Couverture de RMA_131

Article de revue

Le serrement des mains

Éléments pour une analyse du rituel des serments féodaux en Languedoc et en Provence (XIe-XIIe siècles)

Pages 9 à 23

Notes

  • [1]
    Roger de Muret et son épouse Serena donnent en fi ef (a feus) le tiers de la dîme et la moitié des prémices à deux hommes, un clerc et son gendre [sic], à condition que ledit gendre fi at homo de duobus manibus suis de Roggerio (P. OURLIAC et A.M. MAGNOU, Cartulaire de l’abbaye de Lézat, t. 2, Paris, 1987, p. 407, n° 1577).
  • [2]
    Homo junctibus manibus (A. GERMAIN, Cartulaire des Guilhem de Montpellier. Liber instrumentorum memorialium, Montpellier, 1884-1886, p. 543, n° 350).
  • [3]
    More solito, in medio claustri, super herbam, ante cameram abbatis hominium fecit (G. SAIGE et É. DE DIENNE, Documents historiques relatifs à la vicomté de Carlat, t. 1, Monaco, 1900, p. 2-3 : deux hommages rapportés selon le même formulaire, l’un avant 1103, l’autre après 1119).
  • [4]
    Pour les mentions et leurs références, voir notre ouvrage : H. DÉBAX, La féodalité languedocienne (XIe -XIIe siècles). Serments, hommages et fi efs dans le Languedoc des Trencavel, Toulouse, 2003, p. 210-217.
  • [5]
    Pour une présentation plus précise, voir ibid., p. 99 et s., et notre contribution : Une féodalité qui sent l’encre : typologie des actes féodaux dans le Languedoc des XIe -XIIe siècles, Le vassal, le fi ef et l’écrit. Formes et enjeux de la production documentaire dans le champ des institutions féodo-vassaliques (XIe -XVe siècles). Actes de la journée d’étude de Louvain-la-Neuve, 15 avril 2005, sous la dir. de J.F. NIEUS, sous presse.
  • [6]
    Dans le déroulement du rituel d’entrée en féodalité, l’hommage est connu et fréquemment évoqué comme nous l’avons noté plus haut ; en revanche, en Languedoc, on n’a nulle trace d’investiture par tradition d’un objet, festuca ou autre. La concession du fi ef se fait par le biais de la rédaction d’une charte de donation (identique dans le formulaire aux donations simples, mais donation en fi ef). Jamais dans le Midi il n’est fait non plus une quelconque allusion à un baiser dans le rituel féodal, ni osculum, ni hommage de bouche ; le seul texte qui contienne cette expression – hommage de Bernard Aton IV à l’abbé de Lagrasse en 1110 – est un faux (texte publié dans C. DEVIC et J. VAISSÈTE, Histoire générale de Languedoc, rééd., t. 5, Toulouse, 1875, col. 811 ; et en dernier lieu É. MAGNOU-NORTIER et A.M. MAGNOU, Recueil des chartes de l’abbaye de Lagrasse, t. 1, Paris, 1996, p. 248-251, n° 188).
  • [7]
    Voici les mentions que nous avons pu repérer, en l’état actuel de notre enquête. Dans le Cartulaire des Trencavel (inédit, MONTPELLIER, Société archéologique, ms. 10) : entre 1074 et 1129, actes n° 15,144,214,291,369 (un seul édité : DEVIC et VAISSÈTE, Histoire générale de Languedoc, t. 5, col. 693) ; première moitié du XIIe siècle : n° 117, 420,478,479,480 (le deuxième seul édité : ibid., col. 947) ; vers 1150-1167 : n° 10,12,14, 306,308 (ibid., col. 1220 et n., 1129) ; originaux des archives Trencavel : PARIS, Archives nationales de France, J 304, n° 98. Dans les autres fonds : serment à Raimond IV, comte de Toulouse, avant 1095 : PARIS, Musée de l’histoire de France, A.E. II 1802, vers 1081-1096 ; reproduit et transcrit par J. STIENNON, Paléographie du Moyen Âge, Paris, 1991, p. 258-259 ; serments des Guilhem de Montpellier à l’évêque de Maguelonne : GERMAIN, Cartulaire des Guilhem de Montpellier, p. 72-74,84-88, n° 41-42,46-49, à partir de la fi n du XIe siècle ; serment à Guilhem VI : ibid., p. 275, n° 142 ; serments à l’abbé de Gellone en 1122 et 1170 : P. ALAUS, L. CASSAN et E. MEYNIAL, Cartulaires des abbayes d’Aniane et de Gellone publiés d’après les manuscrits originaux. Cartulaire de Gellone, Montpellier, 1897, p. 298-299, n° 365 et 368 ; serment à l’évêque de Rodez, 961-997 : A. BONAL, Histoire des évêques de Rodez, t. 1, Rodez, 1935, p. 569-570 et J. BELMON, Les vicomtes de Rouergue-Millau (Xe -XIe siècles), thèse dactyl. de l’École des chartes, Paris, 1991, p. 181-182 ; serments des vicomtes de Carlat à l’abbé de Saint-Géraud d’Aurillac, voir supra, n. 3 ; serment de Bernard d’Anduze à l’évêque de Nîmes en 1175 : C. BRUNEL, Les plus anciennes chartes en langue provençale, t. 1, Paris, 1926, p. 135, n° 144 ; serment des vicomtes de Marseille, 1048-1049 : N. COULET, Autour d’un serment des vicomtes de Marseille : la ville d’Aix au milieu du XIe siècle, Annales du Midi, t. 91,1979, p. 315 ; serment de la vicomtesse d’Avignon, vers 1101-1105 : BRUNEL, Les plus anciennes chartes, p. 11-12, n° 8 ; serment de la comtesse de Provence et de son fi ls : J. BELMON et F. VIELLIARD, Latin farci et occitan dans les actes du XIe siècle, Bibliothèque de l’École des chartes, t. 155,1997, p. 160 ; serments à Aldebert, abbé de Lérins, 1080-1102 : H. MORIS et E. BLANC, Cartulaire de l’abbaye de Lérins, Paris, 1883, p. 75,346,348,349, n° 79,355, 362,363 ; serments à plusieurs chanoines du chapitre d’Avignon, vers 1100 : E. DUPRAT, Cartulaire du chapitre de Notre-Dame des Doms, Avignon, 1932, p. 61,70-73, n° 47,65-70 ; serment à l’abbé de Saint-André d’Avignon, première moitié du XIe siècle : J.P. POLY, La Provence et la société féodale, 879-1166. Contribution à l’étude des structures dites féodales dans le Midi, Paris, 1976, p. 147 n. 90. Tous nos remerciements vont à M. ZERNER qui nous a signalé un certain nombre de ces textes.
  • [8]
    Respectivement : Cartulaire des Trencavel, fol. 5,133,100 v°, n° 15,359,308, inédits.
  • [9]
    Voir les deux serments de 1122 et 1170 mentionnés supra, n. 7.
  • [10]
    La référence à la mère est propre à tous les serments, quel que soit leur formulaire, classique ou atypique.
  • [11]
    À la différence de l’évolution qui se fait jour en Catalogne, où l’on a tendance à éluder la mention de la mère lorsque l’anthroponymie se complexifi e (M. ZIMMERMANN, Aux origines de la Catalogne féodale : les serments non datés du règne de Ramon Berenguer Ier, La formació i expansió del feudalisme català : actes del colloqui organitzat pel Collegi Universitari de Girona, 8-11 de gener de 1985, éd. J. PORTELLA I COMAS, Gérone, 1988, p. 138-139).
  • [12]
    G. CATEL, Histoire des comtes de Tolose, Toulouse, 1623, p. 221.
  • [13]
    Elles sont résumées par O. GUYOTJEANNIN, Les fi lles, les femmes, le lignage, L’anthroponymie, document de l’histoire sociale des mondes méditerranéens médiévaux. Actes du colloque international organisé par l’École française de Rome, sous la dir. de M. BOURIN, J.M. MARTIN et F. MENANT, Rome, 1996, p. 396.
  • [14]
    ZIMMERMANN, Aux origines de la Catalogne féodale, p. 137.
  • [15]
    À la suite de suggestions énoncées par P. BONNASSIE, Sur la genèse de la féodalité catalane : nouvelles approches, Il feudalesimo nell’alto medioevo, Spolète, 2000, p. 600.
  • [16]
    Voir les actes du colloque L’anthroponymie, document de l’histoire sociale, particulièrement les articles de M. BOURIN, France du midi, France du nord : deux systèmes anthroponymiques ?, p. 179-202 et M. MITTERAUER, Une intégration féodale ? La dénomination, expression des relations de service et de vassalité, p. 295-311.
  • [17]
    Pour cet auteur, le passage du singulier au pluriel, de la main aux mains, signerait l’introduction de la féodalité dans le Midi (M. ROUCHE, Les survivances antiques dans trois cartulaires de Sud-Ouest de la France aux Xe et XIe siècles, Cahiers de Civilisation médiévale, t. 23,1980, p. 107 : « Cette simple fi délité [dans une main] est un serment dans un esprit de contrat d’égal à égal, et elle n’a jamais la force contraignante de la recommandation par les mains. La fi délité est toujours promise dans une main. Lorsque le pluriel apparaît, nous avons alors affaire à l’hommage et c’est la fi n de nos survivances antiques. »).
  • [18]
    Cartulaire des Trencavel : serment de dix hommes pour le château d’Arzens à Bernard Aton IV, vicomte Trencavel, vers 1074-1129 (Cartulaire des Trencavel, fol. 94 v°, n° 291, inédit), et serment de Guilhem d’Olargues à Aton vicomte de Bruniquel pour le château de Vieussan, première moitié du XIIe siècle (Cartulaire des Trencavel, fol. 38, n° 117, inédit) ; vicomtes de Carlat : deux serments de Richard vicomte de Carlat, le premier à Pierre avant 1103, le second à Gausbert après 1119, tous deux abbés d’Aurillac (SAIGE et DE DIENNE, Documents historiques, p. 2-3) ; Cartulaire du chapitre d’Avignon : serments à Rainald et à Rainoard (DUPRAT, Cartulaire du chapitre, p. 70-73, n° 65,68-70 ; l’éditeur mentionne, sans plus de détail, que les mots qui per za ma mi tes sont en interligne dans l’original) ; Cartulaire de Lérins : serments à l’abbé Aldebert (MORIS et BLANC, Cartulaire de l’abbaye de Lérins, p. 346,348-349, n° 355,362-363).
  • [19]
    Quatre exemples catalans mentionnés par ZIMMERMANN, Aux origines de la Catalogne féodale, p. 143 : en 1106, en 1107, en 1122, en 1135 (Liber Feudorum Maior, éd. F. MIQUEL ROSELL, Barcelone, 1945-1957, p. 408,508,521,549). Le signum crucis, qui a pour équivalent dans le troisième texte cité un signum puncti, est ici une croix apposée en guise de corroboration au bas de l’acte (ou un point en 1122).
  • [20]
    En 1154, il s’agit d’une alliance offensive contre le comte de Toulouse, où le comte de Rodez promet au roi d’Aragon : facio tibi inde hominium et fi delitatem et juro tibi mea propria manu (Liber Feudorum Maior, p. 885). En 1122, l’abbé de Gellone est en litige avec Guilhem Assalit à cause du fi ef du château de Brissac. Guilhem reconnaissait devoir l’hommage pour le château mais refusait de prêter serment. L’abbé l’y contraint après avoir entendu des témoins, dont le propre frère de Guilhem. La diffi nitio énonce que « Guilhem Assalit, reconnaissant alors la vérité, jura de sa propre main fi délité audit abbé Guilhem » (ALAUS, CASSAN et MEYNIAL, Cartulaires des abbayes, p. 297, n° 364 ; trad. DÉBAX, La féodalité languedocienne, p. 141).
  • [21]
    La même interrogation peut subsister quant à l’interprétation de la sanction normalement appliquée lors d’une infraction à un serment, l’ablation de la main droite : est-ce parce que la main droite avait été étendue au-dessus des reliques, ou parce qu’elle avait été impliquée dans une poignée de mains ? Voir F.L. GANSHOF, Charlemagne et le serment, Mélanges Louis Halphen, Paris, 1951, p. 262 n. 4,268 n. 3 et 269, et É. MAGNOU-NORTIER, Foi et fi délité. Recherches sur l’évolution des liens personnels chez les Francs du VIIe au IXe siècle, Toulouse, 1976, p. 109 n. 16.
  • [22]
    Pour Gaillac : Cartulaire des Trencavel, fol. 39, n° 121, inédit. De la même façon, vers 1035-1050, Pierre Raimond comte de Carcassonne donne Aniane et Gellone en fi ef à son demi-frère, qui devra les tenir per manum jamdicti Petri (ibid., fol. 181 v°, n° 468 ; éd. DEVIC et VAISSÈTE, Histoire générale de Languedoc, t. 5, col. 416). Autres attestations dans le cartulaire des Trencavel : en 1037-1040, en 1068, en 1112, en 1150, Cartulaire des Trencavel, fol. 32 v°, 188 v°, 196,31, n° 105,482,497,102 ; et pour Carcassonne : ibid., fol. 192 v°, n° 489, en 1179.
  • [23]
    SUGER, La Geste de Louis VI et autres œuvres, prés. et trad. M. BUR, Paris, 1994, p. 91.
  • [24]
    Par exemple, dans le serment de 802 imposé par Charlemagne à tous ses sujets, ou dans celui de 854 demandé par Charles le Chauve (cf. C.E. ODEGAARD, Carolingian oaths of fi delity, Speculum, t. 16,1941, p. 285-286).
  • [25]
    Il faudrait bien entendu confronter ces données à celles issues des autres corpus documentaires, ce que nous n’avons pas fait.
  • [26]
    Voir, entre autres, celui reproduit en couverture de l’édition des actes de la table ronde Trésors et routes de pèlerinages dans l’Europe médiévale, Conques, 1994 (datation : fi n XIe siècle).
  • [27]
    Bertrand, abbé séculier de Moissac, abandonne les torturas et mauvaises coutumes qu’il détenait sur l’abbaye et jure de ne plus les exiger : insuper manu mea dextera super adstantes sanctas reliquias juro numquam amplius me invasurum in vita mea illas torturas et malas consuetudines (DEVIC et VAISSÈTE, Histoire générale de Languedoc, t. 5, col. 603).
  • [28]
    Introduction de D. ROMAN lors du VIe colloque international du CRISIMA (Université Paul Valéry de Montpellier, 21-24 novembre 2001) : Serment, promesse et engagement : rituels et modalités au Moyen Âge, inédit.
  • [29]
    J.C. SCHMITT, La raison des gestes dans l’Occident médiéval, Paris, 1990, p. 329.
  • [30]
    Marculfi formularum libri duo, éd. et trad. A. UDDHOLM, Uppsala, 1962, p. 86 (texte commenté par ODEGAARD, Carolingian oaths of fi delity, p. 296).
  • [31]
    J.L. CHASSEL, Le serment par les armes (fi n de l’Antiquité-haut Moyen Âge), Droit et cultures, t. 17,1989, p. 91-121.
  • [32]
    Cette acception est attestée depuis Lactance jusqu’à Hincmar ou Flodoard, en passant par Grégoire de Tours, Isidore de Séville, la loi salique et de nombreux capitulaires carolingiens : voir C. DU CANGE, Glossarium ad scriptores mediae et infi mae latinitatis, 5e éd. augmentée par L. FAVRE, t. 3, Niort, 1884, p. 91-92, s. v° dextrae, et J.F. NIERMEYER et C. VAN DE KIEFT, Mediae latinitatis lexicon minus, éd. remaniée par J.W.J. BURGERS, t. 1, Leyde-Boston, 2002, p. 431, s. v° dextrare. Signifi cativement, du Cange donne pour défi nition à dextras dare à la fois « conclure un pacte » (foedus inire) et « se remettre en la potestas d’autrui » (qui aliorum potestati se committebant).
  • [33]
    RICHER DE REIMS, Historiarum libri IIII, III, 81, éd. H. HOFFMANN, Hanovre, 2000, p. 214 : Datisque dextris, osculum sibi sine aliqua disceptatione benignissime dederunt.
  • [34]
    G. BEECH, Le Conventum (vers 1030), un précurseur aquitain des premières épopées, Genève, 1995, p. 131, v. 160-162. Pour apaiser le confl it, un terme de quinze jours fut accepté : in ipsos quidecim dies apprehendit comes dextras inter Bernardum et Hugonem.
  • [35]
    Ibid., v. 166-167 : Hugues se plaint au comte : tu ipse scis quo in breve sunt dextras quas habeo cum Bernardo.
  • [36]
    Voir l’analyse de ce récit par R. JACOB, Le meurtre du seigneur dans la société féodale. La mémoire, le rite, la fonction, Annales. É. S.C., 1990, p. 253, qui note que ce rituel des conjurations « calquait trait pour trait les cérémonies par lesquelles s’établissaient alors et se renouvelaient les liens féodaux. Plus que la promesse de tuer, elles marquaient la volonté de rompre la cohésion d’un monde, afi n de détruire son ordre. »
  • [37]
    N. OFFENSTADT, Interaction et régulation des confl its. Les gestes de l’arbitrage et de la réconciliation au Moyen Âge (XIIIe -XIVe siècles), Les rites de la justice. Gestes et rituels judiciaires au Moyen Âge occidental, éd. C. GAUVARD et R. JACOB, Paris, 2000, p. 220-221.
  • [38]
    SUGER, La Geste de Louis VI, p. 61.
  • [39]
    Ibid., p. 70.
  • [40]
    K. VAN EICKELS, Homagium and amicitia : rituals of peace and their signifi - cance in the Anglo-French negociations of the twelfth century, Francia, t. 24,1997, p. 133-140.
  • [41]
    À Montpellier, la vente est un contrat qui se conclut par la paumée : P. TISSET, Placentin et l’enseignement du droit à Montpellier. Droit romain et coutume dans l’ancien pays de Septimanie, Recueils de Mémoires et Travaux publiés par la Société d’Histoire du Droit et des Institutions des anciens Pays de Droit écrit, t. 2,1951, p. 80. Pour les pactes vêtus : J. BART, Histoire du droit privé, Paris, 1998, p. 402.
  • [42]
    H. ROODENBURG, The « hand of the friendship » : shaking hands and other gestures in the Dutch Republic, A cultural history of gesture, éd. J. BREMMER et H. ROODENBURG, Cambridge, 1991, p. 152-189.
  • [43]
    Dans le texte des serments, on trouve aussi des remplois de formules carolingiennes : de ista hora in antea, sic Deus me adjuvet, et bien sûr le célèbre sicut homo debet esse seniori suo.

1L’hommage est connu et pratiqué en Languedoc depuis au moins le milieu du XIe siècle. Il s’agit d’une cérémonie dont le rituel semble conforme à ce que l’on connaît par ailleurs, à sa description classique. Vers 1061-1090, le seigneur de Muret en Toulousain précise que son vassal devra être son homme des deux mains [1]. À la fi n du XIe siècle, une inféodation entre deux frères, seigneurs de Castries non loin de Montpellier, stipule que l’un des deux devra se faire « homme les mains jointes » de son frère [2]. Et à l’autre bout du Languedoc, aux portes de l’Auvergne, et au tournant des XIe -XIIe siècles, les vicomtes de Carlat doivent hommage à l’abbé d’Aurillac, « selon la coutume, au milieu du cloître, sur l’herbe, devant le logis de l’abbé [3] ». Au XIIe siècle, la mention de l’hommage se répand dans les actes languedociens, sous les vocables hominium, hominiscum, hominaticum, homenesc[4]. Ce n’est donc pas parce que le Languedoc aurait ignoré l’hommage que s’y serait développé un rituel propre au serment féodal. Car un tel rituel existait, original et distinct de l’immixtio manuum. En l’absence de sources narratives qui décriraient précisément ce rite sacramentel, nous n’en saisissons certainement que des bribes, mais il est possible de reconstituer une structure globalement cohérente.

2Les sources à notre disposition, ce sont les serments de fi délité conservés à de très nombreux exemplaires dans les archives méridionales : plusieurs centaines certainement, dont plus de trois cents dans le cartulaire des Trencavel [5]. Ces serments reproduisent un formulaire assez stéréotypé, tous semblables mais tous différents. Ils égrènent des litanies de clauses dans une forme que l’on pourrait qualifi er de poétique, à la limite de la comptine ou de l’invocation incantatoire. La répétition des formules y est lancinante, entêtante même, peut-être pour ancrer les textes dans les esprits, pour faciliter la mémorisation. La mise par écrit de ces serments a pour but de retranscrire un discours, de conserver la mémoire des paroles prononcées et des engagements pris, non pas de décrire une cérémonie. Cependant un certain nombre de ces textes, justement ceux qui s’écartent le plus du formulaire accoutumé, laisse échapper des indices sur le déroulement de la cérémonie au cours de laquelle le serment était prêté. Ce sont aussi des serments où la langue occitane prend le plus de place, certains étant même rédigés entièrement en occitan. Ils semblent plus proches de l’oralité et du rituel tel qu’il pouvait se dérouler. Ces serments « atypiques » – dans leur forme, non dans leur contenu qui est rigoureusement identique à celui des serments formalisés – permettent de déceler quatre temps forts de l’engagement, que nous évoquerons tour à tour [6].

L’interpellation

3Les textes de serment n’ont retranscrit que les discours, les paroles effectivement échangées ; il manque ce que dans une pièce de théâtre on appellerait l’exposition. Le cadre n’est pas brossé, les personnages ne sont pas mis en place : il est impossible de décider si les protagonistes sont debout ou assis, face à face ou côte à côte. Mais les serments atypiques permettent d’appréhender les premières paroles échangées : le rituel de prestation d’un serment féodal commençait par une interpellation, c’est le premier temps du rituel.

4Le prestataire du serment apostrophait le récipiendaire pour attirer son attention, concrètement, mais surtout symboliquement. Au lieu de la narration impersonnelle en vigueur dans la plupart des serments (De ista hora in antea, non decebra…), ces serments s’ouvrent sur une interpellation très vivante : Aus ! Audis ! (écoute !), Antenz ! (entends !), Cai gara ! Za gara ! Say garda ! (prends garde !). Plus d’une quarantaine de serments ont gardé la trace de cette apostrophe initiale, une quinzaine dans le cartulaire des Trencavel, les autres répartis dans des fonds issus de tout le Midi : comtes de Toulouse ou de Provence, vicomtes de Carlat, de Marseille ou d’Avignon, seigneurs d’Anduze ou Guilhem de Montpellier, évêques de Rodez ou d’Antibes, chanoines d’Avignon, abbés de Lérins ou de Gellone [7].

5L’ordre habituel de l’énoncé des protagonistes du serment est ensuite inversé. Dans les serments classiques, le vassal se nomme le premier puis il nomme son seigneur (selon la formule juro ego tibi…). Ici, l’apostrophe est immédiatement suivie du nom du récipiendaire du serment : « Écoute toi untel, moi untel je… ». Ainsi dans plusieurs serments à Bernard Aton IV, vicomte Trencavel, vers la fi n du XIe ou le début du XIIe siècle : Aus Bernard fi ls Ermengard, eu Arnaldus lo fi l de Dias…, Za gara audi Bernard fi lius Ermengardis, ego Wilabertus fi lius Gila…, ou en 1162 à Raimond Trencavel et à son fi ls : Aus tu R. Trencavel vezcoms de Beders fi lz de Cecilia vescomtessa et tu Roger fi lz de R. Trencavel et de Saura comitissa, eu Sicarz de Laurac fi lz de Ava[8] … Le modèle habituel des serments à l’abbé de Gellone reproduit cette même formulation : Zai aujas, hom que as num [suit le nom de l’abbé concerné] abbas de Gello, heu [suit le nom du vassal] [9]

6Cette forme particulièrement vive reproduisant l’oralité occitane paraît être une transcription assez fi dèle de ce que pouvait être le début de la cérémonie, une interpellation symbolique qui campait les deux protagonistes et marquait l’ouverture du rituel.

L’énoncé des identités

7Le deuxième moment du rite est intimement lié au premier : l’apostrophe introduit l’énoncé de l’identité des deux protagonistes du serment. À de très rares exceptions près, cette désignation des acteurs se fait par l’énoncé de leur nom suivi du nom de leur mère, sous la forme « untel fi ls de une telle », Bernard fi ls Ermengard ou Arnaldus lo fi l de Dias, pour reprendre les exemples précédents. Ce mode de dénomination est tout à fait spécifi que aux textes de serment, et se rencontre dans toutes les aires géographiques où l’on a conservé ce type de sources, de la Provence à la Catalogne, du Toulousain à la Méditerranée [10]. En Languedoc, cette particularité se maintient quel que soit le mode de désignation anthroponymique adopté, que ce soit un nom simple, un nom double avec nomen paternum au génitif ou même triple avec surnom toponymique [11]. L’un des serments « atypiques » revendique même la fi liation féminine en la plaçant en tête de l’identité : Antenz fi ls de Guillelma Ato ! (il s’agit d’un serment prêté à un vicomte de Bruniquel nommé Aton, fi ls de Guillelma issue de la lignée des Trencavel) : l’inversion souligne encore plus fermement la référence maternelle.

8Cette originalité des serments féodaux intrigue les historiens depuis bien longtemps, déjà Guillaume Catel s’en étonnait dans son Histoire des comtes de Tolose, publiée en 1623 : « C’était la coutume en ce temps-là de se nommer fi ls de la mère et non du père comme les Romains le faisaient… Il n’est pas fort aisé de savoir pourquoi est-ce qu’ils se disaient plutôt fi ls de la mère que du père, sinon que ce fut lors que leur père avait été marié plusieurs fois [12]. » De nombreuses interprétations ont depuis été avancées, la plupart partielles ou insatisfaisantes, car elles ne rendent pas compte du fait que cette fi liation féminine n’est rappelée que dans les actes de serment [13]. Les seules explications qui résistent quelque peu à l’analyse ramènent vers des considérations d’ordre anthropologique, et ont été récemment suggérées par M. Zimmermann et P. Bonnassie. Elles ont le grand mérite de lier cette pratique énigmatique à la nature sacramentelle des textes.

9La première piste d’explication souligne les analogies entre fi délité et féminité, fi délité et maternité. « Souligner la féminité de la mère des partenaires, c’est renforcer l’importance du serment, valoriser la portée des engagements. La mère qui transmet la vertu avec le sang authentifi e et pérennise la fi délité, celle du vassal comme celle du seigneur. La mère est le seul parent authentique. Rappeler au fi dèle qu’il est le fi ls d’une mère, c’est bien davantage qu’énoncer un état civil ; c’est transférer son serment dans le domaine de l’imprescriptible. Maternité et fi délité se rejoignent ; la mère est fi dèle par nature [14]. »

10Ces remarques restent tout à fait pertinentes, mais j’y adjoindrai un autre ordre d’explication [15] – les deux interprétations ne s’excluant pas, loin de là. Cette seconde interprétation souligne les analogies qui unissent étroitement liens féodaux et liens de parenté. Le rapport féodal instaure en effet des devoirs qui normalement incombent à la parenté, M. Bloch l’avait déjà abondamment commenté : le seigneur nourrit et adoube le fi ls du vassal, marie sa fi lle, il est le tuteur d’enfants mineurs orphelins si besoin est. Le seigneur donne aussi son nom, comme en témoigne dans le Midi la vogue des Guilhem, Raimond ou Bernard, en référence aux prestigieuses lignées des Guilhelmides ou des Raimondins [16]. Or le serment est un acte individuel, personnel, un acte « d’homme à homme », où les individus se présentent seuls, extraits de leurs réseaux familiaux. Le prestataire d’un serment féodal est formellement extirpé de sa parenté charnelle et il est inséré dans un réseau de parenté que l’on peut appeler spirituelle, qui est le réseau féodal. Le seigneur, père spirituel, ou mieux parrain en féodalité, prend alors symboliquement la place du père charnel qui est occulté dans l’énoncé des identités : l’important serait donc ici l’absence du père, autant et plus que la présence de la mère. Cette piste me paraît tout à fait féconde ; un seul fait resterait à expliquer : dans nos serments, le seigneur donne lui aussi le nom de sa mère. On peut invoquer un phénomène d’analogie structurelle, qui fait que le seigneur est lui aussi extrait de ses réseaux familiaux.

11Que l’on mette l’accent sur la présence de la mère ou sur l’absence du père, il n’en reste pas moins que le serment est un acte individuel qui, paradoxalement, révèle une conception forte et structurée des parentés charnelle et spirituelle.

Le serrement des mains

12Après que le seigneur a été interpellé, après que les identités ont été déclinées, certains des textes de serment font apparaître le troisième temps fort du rituel, le serrement des mains. Un petit groupe des serments atypiques est en effet ainsi formulé : Ausz Bernard fi ls de Ermengard cui eu per est manu ten…, Antenz fi ls de Guillelma Ato cui eu per la man ten…, Say garda P. abbas cui eu per esta ma tienh… La clause peut être exprimée dans les deux sens : « Écoute, toi, que je tiens par la main », ou bien « toi qui me tiens par la main », ainsi dans le cartulaire du chapitre d’Avignon : Aus tu Rainoard fi lius Pontia qui per za ma mi tes. Cela souligne bien le parallélisme du geste. Une main du prestataire du serment étreint une main du récipiendaire, ils se serrent la main ; et la main est toujours au singulier. Tout cela différencie nettement ce rituel de celui de l’hommage avec son geste dissymétrique, où les deux mains du fi dèle sont serrées dans celles du seigneur, et pour lequel les textes emploient toujours le pluriel. Contrairement à ce qu’affi rmait M. Rouche, le rite des mains ne remplace pas le rituel dans une main, les deux gestes coexistent durant tous les XIe et XIIe siècles [17].

13En l’état actuel de nos dépouillements, nous avons trouvé trace de ce rituel par la main dans une dizaine de serments de fi délité [18], mais aussi dans quelques autres textes, diplomatiques ou narratifs. L’apparition du « serrement des mains » dans les quelques formulaires de serment qui le mentionnent doit-elle être interprétée comme une singularité de ces serments-là, le rituel étant mis par écrit à cause de l’originalité de la prestation de serment dans ces dix cas ? Ou bien l’échange des mains au moment de l’échange des paroles sacramentelles est-il un élément structurel de la cérémonie, un passage obligé qui n’est cependant retranscrit que dans quelques textes ? La seconde hypothèse nous paraît de loin la plus plausible. On ne voit pas bien pourquoi les dix serments mentionnant le geste auraient suivi un cérémonial différent : ils ne sont ni plus ni moins solennels, n’impliquent ni plus ni moins de hauts personnages, etc. Leur mise par écrit présente néanmoins une particularité : la langue employée y est particulièrement proche de l’oralité occitane. Par exemple, pour désigner le château objet de la fi délité, on trouve dans tous les cas castel, et non les substantifs latins castellum ou castrum, éventuellement déclinés. La fi délité et le service sont exprimés : tos fi els serviens serai, et non par les équivalents fi delitas et servicium. On peut donc supposer que c’est la rédaction dans une langue globalement conforme aux paroles prononcées qui a permis l’affl eurement des indices qui permettent de reconstituer le troisième temps fort du rite. Cette poignée de mains est attestée dans toutes les régions qui ont livré des textes de serment, de la Provence à la plaine carcassonnaise, du Carladès au Biterrois.

14Seule la Catalogne semble pour l’instant échapper à cette géographie : on y a conservé de nombreux textes de serment, mais aucun ne renvoie explicitement au rituel dont il est question – nous n’y rencontrons par ailleurs nulle trace de l’interpellation initiale. Certains serments cependant, parmi ceux qui comportent un eschatocole, font allusion à un serment prêté « de la propre main » du prestataire, par exemple en 1107, hoc sacramentum propria manu juravi et signo crucis fi rmavi fi rmarique rogavi[19]. D’autres actes mentionnent cette main qui jure, en contexte catalan ou non : une convenientia de 1154 entre Hugues, comte de Rodez, et le roi d’Aragon (juro tibi mea propria manu), ou une diffi nitio de 1122 entre l’abbé de Gellone et le seigneur de Brissac (juravit propria manu fi delitatem) [20]. Mais ce type de formulation n’est pas assez précis pour lever le doute sur le rôle de la main : est-ce la main serrée dans celle du seigneur, comme dans les formulaires de serment, ou est-ce la main étendue au-dessus des Évangiles ou des reliques [21] ?

15Par ailleurs, on peut se demander si l’on ne peut rattacher à ce rituel tous les actes, assez nombreux, où il est dit que le vassal tient un fi ef de la main de son seigneur. Bien entendu, cette expression peut être comprise de manière toute simple, comme un rappel de la donation en fi ef par le seigneur ; on dit bien encore aujourd’hui donner de la main à la main. Mais dans ce contexte féodal où un serment est toujours exigé pour le fi ef, on peut aussi y voir une allusion au rituel de serrement des mains. Ainsi, dès la première moitié du XIe siècle, l’abbaye de Gaillac doit être tenue en fi ef de la main des vicomtes Trencavel ; dans la seconde moitié du XIIe, le vicomte reconnaît à deux reprises qu’il tient Carcassonne en fi ef du roi d’Aragon, et pour cela, il fait hommage au comte-roi et habeat per manum ejus predicta castra ad fevum et servicium et fi delitatem[22]. Suger ne dit pas autre chose dans son récit de la vie de Louis VI, lorsque, à propos d’une querelle sur le château de Gisors en 1109, des envoyés du roi de France accusent le roi d’Angleterre de ne pas avoir respecté les conventions conclues « lorsque, par la généreuse libéralité du roi de France, votre zèle [Henri Ier ] reçut de sa dextre munifi cente le duché de Normandie en fi ef propre [23] ». Une nouvelle précision apparaît ici, sur laquelle nous reviendrons : la main impliquée dans le rituel serait la main droite.

Les res sacrae

16La cérémonie rituelle de prestation d’un serment féodal commençait donc par une interpellation symbolique du seigneur, puis étaient énoncées les identités du seigneur puis du vassal, en nommant spécifi quement leur mère. Pendant tout ce temps, ils s’étreignaient mutuellement une main. Tous les textes déroulent ensuite la litanie des clauses de l’engagement, que nous ne détaillerons pas ici. Ce sont des paroles prononcées par le fi dèle, par lesquelles il s’engage à aider et conseiller son seigneur, à tenir un ou des châteaux et à les lui rendre. Dans ces serments qui ne comportent généralement pas de protocole fi nal, l’acte se termine abruptement par une formule qui énonce le quatrième temps du rituel : le jureur a engagé sa parole sur des res sacrae. Dès le XIe siècle, il est dit que le vassal met sa foi en jeu (per fi de, per ma fe), et cette foi est gagée sur la caution de choses sacrées. La formule en est très courte et stéréotypée : per Deum et haec sancta, per aquetz sanz. À partir de la deuxième moitié du XIIe siècle, on trouve : per haec sancta Evangelia, et à cinq reprises dans le cartulaire des Trencavel, sic Deus nos adjuvet, clause qui rappelle celle des serments publics du haut Moyen Âge [24].

17Deux types de res sacrae apparaissent donc dans les textes de serment, soit ce sont des corps saints, des reliques, soit il s’agit des Évangiles. Les importantes séries de serments conservées par les archives des Trencavel permettent de déceler une évolution des premiers aux seconds [25]. Jusqu’au milieu du XIIe siècle, les reliques sont très largement majoritaires ; on ne peut malheureusement pas préciser davantage, en l’absence de date de temps et de lieu. On peut supposer que ces serments étaient prêtés dans une église, dans un lieu de culte assez important pour posséder des reliques, mais on ne peut écarter l’hypothèse de l’emploi de reliquaires portatifs, comme ceux conservés dans le trésor de Conques, par exemple [26]. À partir du milieu du XIIe siècle, se répand le serment sur les Évangiles qui se substituent rapidement et complètement aux reliques. Le lieu qui est alors parfois précisé, dans des textes qui adoptent la forme de la charte, est toujours le palais ou une résidence vicomtale. Par exemple, en 1163, des serments sont prêtés in maiori sala palacii Carcassone. Nous ne pouvons décider si ce fut l’évolution des reliques aux Évangiles qui rendit possible ce transfert de l’église vers le palais, ou si au contraire l’exigence nouvelle d’une prestation de serment au milieu de la cour vicomtale a imposé, pour des raisons pratiques, le recours aux livres saints. On ne peut parler de véritable sécularisation du rite, le serment étant prêté sur les Évangiles, mais ce déplacement de la cérémonie vers l’autorité profane est à remarquer.

18Lorsque les serments sont datés, à partir des années 1130, on peut reconstituer un certain nombre de dossiers, en glanant les textes d’un bout à l’autre du cartulaire des Trencavel, qui permettent d’imaginer de véritables assises sacramentelles. Ainsi, au début du mois d’avril 1139, le vicomte Roger Ier tint une grande cour, on ne sait malheureusement où – peut-être à Carcassonne. Il reçut un serment le 5 avril, quatre le 6 et un dernier le 8, pour trois castella situés aux limites de l’Albigeois et du Lauragais. Son frère Raimond Trencavel fi t de même du 14 au 16 juillet 1158 : on a conservé le texte de huit serments prêtés ces jours-là pour six châteaux différents. Grâce aux listes de témoins, il est possible de se faire une idée de la brillante cour qui se réunit alors dans le palais de Carcassonne, avec les viguiers de Carcassès et de Razès, les seigneurs de Laurac, de Lautrec, de Saissac, d’Hautpoul, et bien d’autres. Ce que nos sources diplomatiques ne livreront cependant jamais, ce sont toutes les discussions qui devaient avoir lieu en coulisses, négociations, réconciliations, conclusions de mariages. Non plus que toutes les réjouissances qui devaient accompagner ces sessions, banquets et fêtes, et certainement prestations de troubadours.

Quelle main ?

19Qu’il s’agisse de corps ou de livres saints, le dernier temps du rite pose un autre problème : celui du geste. Le jureur prend en effet la divinité à témoin en étendant une main au dessus des res sacrae, ou bien en la posant sur les Évangiles (les textes disent parfois tactis sacrosanctis Evangeliis). La latéralisation symbolique en vigueur dans tout l’Occident médiéval rend impensable qu’il s’agisse ici de la main gauche. On ne peut prêter un serment devant Dieu qu’avec la main droite ; un acte de 1073 désigne d’ailleurs explicitement cette main [27]. Le rituel ici était certainement identique à celui en vigueur dans tous les types de serments qui, en de nombreuses circonstances, pouvaient être prêtés : serments judiciaires, serments pour assurer une guirpitio ou un partage de biens, pour affermir un engagement, etc. Or, au début de la cérémonie, le fi dèle avait une main prise dans celle du seigneur. Rien dans les formulaires de serments féodaux ne permet de préciser de quelle main il est question. Mais l’omniprésence de la main droite dans les rituels juratoires depuis l’Antiquité rend tout aussi invraisemblable l’hypothèse que le vassal donne sa main gauche au seigneur.

20En effet, dans tout l’Occident médiéval, la main droite est couramment associée à des serments, dans de nombreux champs d’action. Déjà à l’époque romaine, la déesse chargée de veiller sur le respect des serments, Fides, installée au Capitole auprès de Jupiter, est symbolisée par l’union de deux mains droites [28]. Et le geste de l’engagement matrimonial, la dextrarum junctio des époux, fut légué par l’Antiquité païenne à la civilisation chrétienne, bien que son importance fût amoindrie par rapport au consentement verbal et au sacrement [29]. Il ne s’agit pas ici d’un serment à proprement parler, mais d’un engagement, réciproque et égalitaire qui plus est.

21La main est aussi l’élément fondamental des rituels d’entrée en fi délité des antrustions. À la différence des vassi, les antrustions du haut Moyen Âge prêtaient serment dans la main du roi, comme en témoigne un formulaire de Marculf : veniens ibi in palatio nostro una cum arma sua, in manu nostra trustem et fi delitatem nobis visus est coniurasse[30]. L’antrustion jure donc avec ses armes dans la main du roi, dont on peut supposer qu’il l’étreint. Le geste n’est pas exactement identique mais il rappelle celui qui est attesté dans le cas d’un pacte connu des combattants barbares de l’Empire romain, le serment par les armes. Là le jureur brandit son arme avec sa main droite, le serment est dit cum dextra armata[31]. Mais dans les deux cas, il existe un lien entre l’engagement de fi délité et la main accompagnée des armes – certainement la droite, bien que ce ne soit pas explicitement précisé dans le cas des antrustions.

22La main droite est surtout mentionnée de façon très fréquente dans les accords de paix et les réconciliations. Elle y a une importance telle qu’elle a pu donner son nom à un type de pactes de pacifi cation jurés, les dextrae[32]. Sur dextrae a été formé le verbe dextrare qui signifi e donner sa foi par la main droite, c’est-à-dire prêter serment. On pourrait penser que la main droite n’est ici aussi intervenue que dans un geste de serment sur des res sacrae. Heureusement, un certain nombre de textes, plus précis dans la description du cérémonial, explicitent que les deux mains sont bien serrées. Les différentes occurrences peuvent revêtir diverses signifi cations. Quelques-unes interviennent dans le récit de trêves, de sécurités, dans un contexte d’égalité entre les deux protagonistes, ou pour le moins sans allusion à une hiérarchie implicite. Ainsi lors d’une réconciliation qui eut lieu vers 980, Lothaire et Otton II « après s’être donné les mains droites, se donnèrent un baiser [33] ». Avant 1030, pour mettre fi n à une guerre entre Bernard de la Marche et Hugues le Chiliarque, le comte de Poitiers « saisit les mains droites de Bernard et de Hugues [34] » : le geste est là moins clair, puisqu’il implique un tiers qui intervient dans le serrement des mains. On ne peut cependant comprendre si le comte prend successivement dans sa main les droites des deux belligérants, ou s’il force en quelque sorte les deux protagonistes à se serrer les mains. La trêve ainsi conclue est ensuite dans le texte du Conventum mentionnée sous le terme de dextras[35]. Ces pactes de mains droites, gestes d’apaisement, sont aussi des conclusions d’alliances, qui paradoxalement peuvent contrevenir à la paix et à l’ordre social : ils peuvent devenir des conjurations au sens insurrectionnel du terme. Dans son récit du meurtre du comte de Flandre Charles le Bon en 1127, Galbert de Bruges montre les conjurés se donnant l’un à l’autre leurs droites [36]. Quand les textes se font plus nombreux et plus précis, aux XIVe et XVe siècles, la main droite est régulièrement mentionnée dans les réconciliations privées comme dans les paix publiques [37].

23Mais ces conclusions de paix sont parfois aussi assorties d’une reconnaissance de soumission. La pacifi cation passe alors par l’instauration ou la réitération d’un lien hiérarchique. Ainsi lorsque de très nobles seigneurs de la région de Laon viennent faire leur soumission à Louis VI, Suger nous rapporte ainsi l’entrevue : « venus à lui dans un esprit de paix, ils embrassèrent sa jeunesse, et lui tendant la main droite en signe d’amitié, ils s’engagèrent à son service, eux et les leurs [38] ». Dans les mêmes termes est rapportée l’entrevue entre Philippe Ier, son fi ls Louis et le pape Pascal II, « inclinant à ses pieds, pour l’amour de Dieu, la majesté royale […], abaissant leur couronne et se courbant […], ils lui tendirent la main droite en signe d’amitié, d’aide et de conseil, mirent leur royaume à sa disposition [39] ». L’amitié dont il est question à deux reprises n’est pas bien entendu à comprendre dans un sens moderne et psychologique, il s’agit de pactes, compris comme des alliances [40].

24Nous sommes bien consciente de ne pas avoir épuisé la polysémie du geste de la main. En Languedoc, des contrats pouvaient aussi être conclus de la sorte, en un geste de « tope-là » qui est attesté par Placentin sous la dénomination de palmata, ou plus tard sous l’appellation de pacte vêtu, opposé au pacte nu [41]. Le geste semble cependant être ici quelque peu distinct, bien qu’il ait pu impliquer aussi les mains droites : il doit s’agir de l’action de frapper les mains, non de les étreindre, comme dans le cas du serment féodal. La poignée de mains comme geste de salut, d’accueil ou d’adieu, est en revanche de tradition très récente, et n’est pas attestée avant le XIXe siècle [42].

25Le rituel qu’il est possible de reconstituer pour l’engagement féodal dans le Midi s’inscrit de fait dans une longue tradition d’engagements de la foi et de la parole, de rites juratoires associés à la main droite. Le rituel de prestation du serment ne peut se comprendre que par une succession de gestes : au début de la cérémonie, le temps de l’interpellation et de l’énoncé des identités, le jureur étreint de sa main droite la main droite du seigneur, en un mouvement qui évoque à la fois la pacifi cation et la soumission. Puis il énonce les clauses de son engagement. Enfi n pour jurer, il étend sa main, à nouveau la droite, au-dessus des reliques ou des livres saints. Il faut donc supposer que les deux gestes de la main droite sont accomplis l’un après l’autre.

26Les mouvements de mains sont donc multiples : à côté de la main jointe et serrée dans celle du seigneur, on trouve la main qui jure, posée sur les res sacrae, voire la main qui donne le fi ef. Le geste précis de la poignée de mains est polysémique, il ressortit au droit des contrats, au rituel du mariage, aux trêves et paix, tout autant qu’au rite d’entrée en fi délité des antrustions, bien avant de devenir une simple salutation. Le serment et son rituel en Languedoc sont un précipité de rites et d’usages antérieurs où se mêlent des traditions de l’entrée en dépendance ou de rites militaires (avec la main droite armée), et de rites issus des serments publics du haut Moyen Âge ou même des serments de Paix de Dieu (avec le rôle des res sacrae) [43]. Mais à côté, des formes sont nouvelles : l’interpellation, la fi liation maternelle, les clauses de l’engagement pour un château, l’emploi massif de l’occitan. Tout cela atteste de la réinterprétation d’un vieux rituel dans le cadre de la vassalité. Le vocabulaire des gestes étant limité, il est clair que le serrement des mains a pu prendre diverses signifi cations en différents contextes. Dans le cadre des engagements vassaliques dans le Languedoc des XIe -XIIe siècles, le rituel de la main a pu accompagner ou supplanter la jonction des mains, comme cérémonial d’entrée en vassalité. Nous avons en fait affaire dès le XIe siècle à une structure homogène, à un ensemble de rites d’origines diverses réaménagés, réagencés, auxquels est conféré un sens nouveau : l’entrée en fi délité, la conclusion d’un pacte féodo-vassalique et la reconnaissance d’un pouvoir supérieur sur un château qui matérialise le fi ef.

27Le serment, pourvu d’un rituel bien individualisé et formalisé, est le cadre général de l’entrée en dépendance en Languedoc aux XIe -XIIe siècle. Son importance ne peut faire de doute : en témoigne le soin que les Trencavel ont mis à retranscrire ces textes, tous semblables mais tous différents, dans leur cartulaire presque cent cinquante ans plus tard. Sa souplesse, à la différence d’un rite rigide et unique comme l’hommage, a dû contribuer à son succès et à sa diffusion générale ; les clauses en sont en effet modulables à l’infi ni. Nous pouvons affi rmer que la structure fondamentale de la féodalité languedocienne est le serment qui révèle l’entrée en fi délité, une fi délité à laquelle la foi donne son contenu, une fi délité qui manifeste la soumission à une autorité supérieure et qui permet la défi nition des devoirs respectifs du seigneur et du vassal. Et tout cela dans un cadre ritualisé, par le serrement des mains, dans lequel l’hommage n’est qu’une addition, un ajout facultatif, non insignifi ant mais nullement obligatoire.


Mots-clés éditeurs : vassalité, féodalité, serment, hommage, rituel

Date de mise en ligne : 07/06/2007

https://doi.org/10.3917/rma.131.0009

Notes

  • [1]
    Roger de Muret et son épouse Serena donnent en fi ef (a feus) le tiers de la dîme et la moitié des prémices à deux hommes, un clerc et son gendre [sic], à condition que ledit gendre fi at homo de duobus manibus suis de Roggerio (P. OURLIAC et A.M. MAGNOU, Cartulaire de l’abbaye de Lézat, t. 2, Paris, 1987, p. 407, n° 1577).
  • [2]
    Homo junctibus manibus (A. GERMAIN, Cartulaire des Guilhem de Montpellier. Liber instrumentorum memorialium, Montpellier, 1884-1886, p. 543, n° 350).
  • [3]
    More solito, in medio claustri, super herbam, ante cameram abbatis hominium fecit (G. SAIGE et É. DE DIENNE, Documents historiques relatifs à la vicomté de Carlat, t. 1, Monaco, 1900, p. 2-3 : deux hommages rapportés selon le même formulaire, l’un avant 1103, l’autre après 1119).
  • [4]
    Pour les mentions et leurs références, voir notre ouvrage : H. DÉBAX, La féodalité languedocienne (XIe -XIIe siècles). Serments, hommages et fi efs dans le Languedoc des Trencavel, Toulouse, 2003, p. 210-217.
  • [5]
    Pour une présentation plus précise, voir ibid., p. 99 et s., et notre contribution : Une féodalité qui sent l’encre : typologie des actes féodaux dans le Languedoc des XIe -XIIe siècles, Le vassal, le fi ef et l’écrit. Formes et enjeux de la production documentaire dans le champ des institutions féodo-vassaliques (XIe -XVe siècles). Actes de la journée d’étude de Louvain-la-Neuve, 15 avril 2005, sous la dir. de J.F. NIEUS, sous presse.
  • [6]
    Dans le déroulement du rituel d’entrée en féodalité, l’hommage est connu et fréquemment évoqué comme nous l’avons noté plus haut ; en revanche, en Languedoc, on n’a nulle trace d’investiture par tradition d’un objet, festuca ou autre. La concession du fi ef se fait par le biais de la rédaction d’une charte de donation (identique dans le formulaire aux donations simples, mais donation en fi ef). Jamais dans le Midi il n’est fait non plus une quelconque allusion à un baiser dans le rituel féodal, ni osculum, ni hommage de bouche ; le seul texte qui contienne cette expression – hommage de Bernard Aton IV à l’abbé de Lagrasse en 1110 – est un faux (texte publié dans C. DEVIC et J. VAISSÈTE, Histoire générale de Languedoc, rééd., t. 5, Toulouse, 1875, col. 811 ; et en dernier lieu É. MAGNOU-NORTIER et A.M. MAGNOU, Recueil des chartes de l’abbaye de Lagrasse, t. 1, Paris, 1996, p. 248-251, n° 188).
  • [7]
    Voici les mentions que nous avons pu repérer, en l’état actuel de notre enquête. Dans le Cartulaire des Trencavel (inédit, MONTPELLIER, Société archéologique, ms. 10) : entre 1074 et 1129, actes n° 15,144,214,291,369 (un seul édité : DEVIC et VAISSÈTE, Histoire générale de Languedoc, t. 5, col. 693) ; première moitié du XIIe siècle : n° 117, 420,478,479,480 (le deuxième seul édité : ibid., col. 947) ; vers 1150-1167 : n° 10,12,14, 306,308 (ibid., col. 1220 et n., 1129) ; originaux des archives Trencavel : PARIS, Archives nationales de France, J 304, n° 98. Dans les autres fonds : serment à Raimond IV, comte de Toulouse, avant 1095 : PARIS, Musée de l’histoire de France, A.E. II 1802, vers 1081-1096 ; reproduit et transcrit par J. STIENNON, Paléographie du Moyen Âge, Paris, 1991, p. 258-259 ; serments des Guilhem de Montpellier à l’évêque de Maguelonne : GERMAIN, Cartulaire des Guilhem de Montpellier, p. 72-74,84-88, n° 41-42,46-49, à partir de la fi n du XIe siècle ; serment à Guilhem VI : ibid., p. 275, n° 142 ; serments à l’abbé de Gellone en 1122 et 1170 : P. ALAUS, L. CASSAN et E. MEYNIAL, Cartulaires des abbayes d’Aniane et de Gellone publiés d’après les manuscrits originaux. Cartulaire de Gellone, Montpellier, 1897, p. 298-299, n° 365 et 368 ; serment à l’évêque de Rodez, 961-997 : A. BONAL, Histoire des évêques de Rodez, t. 1, Rodez, 1935, p. 569-570 et J. BELMON, Les vicomtes de Rouergue-Millau (Xe -XIe siècles), thèse dactyl. de l’École des chartes, Paris, 1991, p. 181-182 ; serments des vicomtes de Carlat à l’abbé de Saint-Géraud d’Aurillac, voir supra, n. 3 ; serment de Bernard d’Anduze à l’évêque de Nîmes en 1175 : C. BRUNEL, Les plus anciennes chartes en langue provençale, t. 1, Paris, 1926, p. 135, n° 144 ; serment des vicomtes de Marseille, 1048-1049 : N. COULET, Autour d’un serment des vicomtes de Marseille : la ville d’Aix au milieu du XIe siècle, Annales du Midi, t. 91,1979, p. 315 ; serment de la vicomtesse d’Avignon, vers 1101-1105 : BRUNEL, Les plus anciennes chartes, p. 11-12, n° 8 ; serment de la comtesse de Provence et de son fi ls : J. BELMON et F. VIELLIARD, Latin farci et occitan dans les actes du XIe siècle, Bibliothèque de l’École des chartes, t. 155,1997, p. 160 ; serments à Aldebert, abbé de Lérins, 1080-1102 : H. MORIS et E. BLANC, Cartulaire de l’abbaye de Lérins, Paris, 1883, p. 75,346,348,349, n° 79,355, 362,363 ; serments à plusieurs chanoines du chapitre d’Avignon, vers 1100 : E. DUPRAT, Cartulaire du chapitre de Notre-Dame des Doms, Avignon, 1932, p. 61,70-73, n° 47,65-70 ; serment à l’abbé de Saint-André d’Avignon, première moitié du XIe siècle : J.P. POLY, La Provence et la société féodale, 879-1166. Contribution à l’étude des structures dites féodales dans le Midi, Paris, 1976, p. 147 n. 90. Tous nos remerciements vont à M. ZERNER qui nous a signalé un certain nombre de ces textes.
  • [8]
    Respectivement : Cartulaire des Trencavel, fol. 5,133,100 v°, n° 15,359,308, inédits.
  • [9]
    Voir les deux serments de 1122 et 1170 mentionnés supra, n. 7.
  • [10]
    La référence à la mère est propre à tous les serments, quel que soit leur formulaire, classique ou atypique.
  • [11]
    À la différence de l’évolution qui se fait jour en Catalogne, où l’on a tendance à éluder la mention de la mère lorsque l’anthroponymie se complexifi e (M. ZIMMERMANN, Aux origines de la Catalogne féodale : les serments non datés du règne de Ramon Berenguer Ier, La formació i expansió del feudalisme català : actes del colloqui organitzat pel Collegi Universitari de Girona, 8-11 de gener de 1985, éd. J. PORTELLA I COMAS, Gérone, 1988, p. 138-139).
  • [12]
    G. CATEL, Histoire des comtes de Tolose, Toulouse, 1623, p. 221.
  • [13]
    Elles sont résumées par O. GUYOTJEANNIN, Les fi lles, les femmes, le lignage, L’anthroponymie, document de l’histoire sociale des mondes méditerranéens médiévaux. Actes du colloque international organisé par l’École française de Rome, sous la dir. de M. BOURIN, J.M. MARTIN et F. MENANT, Rome, 1996, p. 396.
  • [14]
    ZIMMERMANN, Aux origines de la Catalogne féodale, p. 137.
  • [15]
    À la suite de suggestions énoncées par P. BONNASSIE, Sur la genèse de la féodalité catalane : nouvelles approches, Il feudalesimo nell’alto medioevo, Spolète, 2000, p. 600.
  • [16]
    Voir les actes du colloque L’anthroponymie, document de l’histoire sociale, particulièrement les articles de M. BOURIN, France du midi, France du nord : deux systèmes anthroponymiques ?, p. 179-202 et M. MITTERAUER, Une intégration féodale ? La dénomination, expression des relations de service et de vassalité, p. 295-311.
  • [17]
    Pour cet auteur, le passage du singulier au pluriel, de la main aux mains, signerait l’introduction de la féodalité dans le Midi (M. ROUCHE, Les survivances antiques dans trois cartulaires de Sud-Ouest de la France aux Xe et XIe siècles, Cahiers de Civilisation médiévale, t. 23,1980, p. 107 : « Cette simple fi délité [dans une main] est un serment dans un esprit de contrat d’égal à égal, et elle n’a jamais la force contraignante de la recommandation par les mains. La fi délité est toujours promise dans une main. Lorsque le pluriel apparaît, nous avons alors affaire à l’hommage et c’est la fi n de nos survivances antiques. »).
  • [18]
    Cartulaire des Trencavel : serment de dix hommes pour le château d’Arzens à Bernard Aton IV, vicomte Trencavel, vers 1074-1129 (Cartulaire des Trencavel, fol. 94 v°, n° 291, inédit), et serment de Guilhem d’Olargues à Aton vicomte de Bruniquel pour le château de Vieussan, première moitié du XIIe siècle (Cartulaire des Trencavel, fol. 38, n° 117, inédit) ; vicomtes de Carlat : deux serments de Richard vicomte de Carlat, le premier à Pierre avant 1103, le second à Gausbert après 1119, tous deux abbés d’Aurillac (SAIGE et DE DIENNE, Documents historiques, p. 2-3) ; Cartulaire du chapitre d’Avignon : serments à Rainald et à Rainoard (DUPRAT, Cartulaire du chapitre, p. 70-73, n° 65,68-70 ; l’éditeur mentionne, sans plus de détail, que les mots qui per za ma mi tes sont en interligne dans l’original) ; Cartulaire de Lérins : serments à l’abbé Aldebert (MORIS et BLANC, Cartulaire de l’abbaye de Lérins, p. 346,348-349, n° 355,362-363).
  • [19]
    Quatre exemples catalans mentionnés par ZIMMERMANN, Aux origines de la Catalogne féodale, p. 143 : en 1106, en 1107, en 1122, en 1135 (Liber Feudorum Maior, éd. F. MIQUEL ROSELL, Barcelone, 1945-1957, p. 408,508,521,549). Le signum crucis, qui a pour équivalent dans le troisième texte cité un signum puncti, est ici une croix apposée en guise de corroboration au bas de l’acte (ou un point en 1122).
  • [20]
    En 1154, il s’agit d’une alliance offensive contre le comte de Toulouse, où le comte de Rodez promet au roi d’Aragon : facio tibi inde hominium et fi delitatem et juro tibi mea propria manu (Liber Feudorum Maior, p. 885). En 1122, l’abbé de Gellone est en litige avec Guilhem Assalit à cause du fi ef du château de Brissac. Guilhem reconnaissait devoir l’hommage pour le château mais refusait de prêter serment. L’abbé l’y contraint après avoir entendu des témoins, dont le propre frère de Guilhem. La diffi nitio énonce que « Guilhem Assalit, reconnaissant alors la vérité, jura de sa propre main fi délité audit abbé Guilhem » (ALAUS, CASSAN et MEYNIAL, Cartulaires des abbayes, p. 297, n° 364 ; trad. DÉBAX, La féodalité languedocienne, p. 141).
  • [21]
    La même interrogation peut subsister quant à l’interprétation de la sanction normalement appliquée lors d’une infraction à un serment, l’ablation de la main droite : est-ce parce que la main droite avait été étendue au-dessus des reliques, ou parce qu’elle avait été impliquée dans une poignée de mains ? Voir F.L. GANSHOF, Charlemagne et le serment, Mélanges Louis Halphen, Paris, 1951, p. 262 n. 4,268 n. 3 et 269, et É. MAGNOU-NORTIER, Foi et fi délité. Recherches sur l’évolution des liens personnels chez les Francs du VIIe au IXe siècle, Toulouse, 1976, p. 109 n. 16.
  • [22]
    Pour Gaillac : Cartulaire des Trencavel, fol. 39, n° 121, inédit. De la même façon, vers 1035-1050, Pierre Raimond comte de Carcassonne donne Aniane et Gellone en fi ef à son demi-frère, qui devra les tenir per manum jamdicti Petri (ibid., fol. 181 v°, n° 468 ; éd. DEVIC et VAISSÈTE, Histoire générale de Languedoc, t. 5, col. 416). Autres attestations dans le cartulaire des Trencavel : en 1037-1040, en 1068, en 1112, en 1150, Cartulaire des Trencavel, fol. 32 v°, 188 v°, 196,31, n° 105,482,497,102 ; et pour Carcassonne : ibid., fol. 192 v°, n° 489, en 1179.
  • [23]
    SUGER, La Geste de Louis VI et autres œuvres, prés. et trad. M. BUR, Paris, 1994, p. 91.
  • [24]
    Par exemple, dans le serment de 802 imposé par Charlemagne à tous ses sujets, ou dans celui de 854 demandé par Charles le Chauve (cf. C.E. ODEGAARD, Carolingian oaths of fi delity, Speculum, t. 16,1941, p. 285-286).
  • [25]
    Il faudrait bien entendu confronter ces données à celles issues des autres corpus documentaires, ce que nous n’avons pas fait.
  • [26]
    Voir, entre autres, celui reproduit en couverture de l’édition des actes de la table ronde Trésors et routes de pèlerinages dans l’Europe médiévale, Conques, 1994 (datation : fi n XIe siècle).
  • [27]
    Bertrand, abbé séculier de Moissac, abandonne les torturas et mauvaises coutumes qu’il détenait sur l’abbaye et jure de ne plus les exiger : insuper manu mea dextera super adstantes sanctas reliquias juro numquam amplius me invasurum in vita mea illas torturas et malas consuetudines (DEVIC et VAISSÈTE, Histoire générale de Languedoc, t. 5, col. 603).
  • [28]
    Introduction de D. ROMAN lors du VIe colloque international du CRISIMA (Université Paul Valéry de Montpellier, 21-24 novembre 2001) : Serment, promesse et engagement : rituels et modalités au Moyen Âge, inédit.
  • [29]
    J.C. SCHMITT, La raison des gestes dans l’Occident médiéval, Paris, 1990, p. 329.
  • [30]
    Marculfi formularum libri duo, éd. et trad. A. UDDHOLM, Uppsala, 1962, p. 86 (texte commenté par ODEGAARD, Carolingian oaths of fi delity, p. 296).
  • [31]
    J.L. CHASSEL, Le serment par les armes (fi n de l’Antiquité-haut Moyen Âge), Droit et cultures, t. 17,1989, p. 91-121.
  • [32]
    Cette acception est attestée depuis Lactance jusqu’à Hincmar ou Flodoard, en passant par Grégoire de Tours, Isidore de Séville, la loi salique et de nombreux capitulaires carolingiens : voir C. DU CANGE, Glossarium ad scriptores mediae et infi mae latinitatis, 5e éd. augmentée par L. FAVRE, t. 3, Niort, 1884, p. 91-92, s. v° dextrae, et J.F. NIERMEYER et C. VAN DE KIEFT, Mediae latinitatis lexicon minus, éd. remaniée par J.W.J. BURGERS, t. 1, Leyde-Boston, 2002, p. 431, s. v° dextrare. Signifi cativement, du Cange donne pour défi nition à dextras dare à la fois « conclure un pacte » (foedus inire) et « se remettre en la potestas d’autrui » (qui aliorum potestati se committebant).
  • [33]
    RICHER DE REIMS, Historiarum libri IIII, III, 81, éd. H. HOFFMANN, Hanovre, 2000, p. 214 : Datisque dextris, osculum sibi sine aliqua disceptatione benignissime dederunt.
  • [34]
    G. BEECH, Le Conventum (vers 1030), un précurseur aquitain des premières épopées, Genève, 1995, p. 131, v. 160-162. Pour apaiser le confl it, un terme de quinze jours fut accepté : in ipsos quidecim dies apprehendit comes dextras inter Bernardum et Hugonem.
  • [35]
    Ibid., v. 166-167 : Hugues se plaint au comte : tu ipse scis quo in breve sunt dextras quas habeo cum Bernardo.
  • [36]
    Voir l’analyse de ce récit par R. JACOB, Le meurtre du seigneur dans la société féodale. La mémoire, le rite, la fonction, Annales. É. S.C., 1990, p. 253, qui note que ce rituel des conjurations « calquait trait pour trait les cérémonies par lesquelles s’établissaient alors et se renouvelaient les liens féodaux. Plus que la promesse de tuer, elles marquaient la volonté de rompre la cohésion d’un monde, afi n de détruire son ordre. »
  • [37]
    N. OFFENSTADT, Interaction et régulation des confl its. Les gestes de l’arbitrage et de la réconciliation au Moyen Âge (XIIIe -XIVe siècles), Les rites de la justice. Gestes et rituels judiciaires au Moyen Âge occidental, éd. C. GAUVARD et R. JACOB, Paris, 2000, p. 220-221.
  • [38]
    SUGER, La Geste de Louis VI, p. 61.
  • [39]
    Ibid., p. 70.
  • [40]
    K. VAN EICKELS, Homagium and amicitia : rituals of peace and their signifi - cance in the Anglo-French negociations of the twelfth century, Francia, t. 24,1997, p. 133-140.
  • [41]
    À Montpellier, la vente est un contrat qui se conclut par la paumée : P. TISSET, Placentin et l’enseignement du droit à Montpellier. Droit romain et coutume dans l’ancien pays de Septimanie, Recueils de Mémoires et Travaux publiés par la Société d’Histoire du Droit et des Institutions des anciens Pays de Droit écrit, t. 2,1951, p. 80. Pour les pactes vêtus : J. BART, Histoire du droit privé, Paris, 1998, p. 402.
  • [42]
    H. ROODENBURG, The « hand of the friendship » : shaking hands and other gestures in the Dutch Republic, A cultural history of gesture, éd. J. BREMMER et H. ROODENBURG, Cambridge, 1991, p. 152-189.
  • [43]
    Dans le texte des serments, on trouve aussi des remplois de formules carolingiennes : de ista hora in antea, sic Deus me adjuvet, et bien sûr le célèbre sicut homo debet esse seniori suo.

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