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Article de revue

« La Vérité est concrète », Controverses politiques autour de la poésie pure dans l’Europe des années 1930

Pages 319 à 333

Notes

  • [1]
    Ruth Berlau, introduction à l’ABC de la Guerre (Kriegsfibel), dans Bertolt Brecht, Gedichte, 2 : Sammlungen 1938-1956, Berlin et Francfort-sur-le-Main, Aufbau-Verlag et Suhrkamp, 1988, p. 416 ; ABC de la guerre, traduit par Philippe Ivernel, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 1985, p. 232. Lorsqu’aucune référence n’est donnée, les traductions sont de l’auteur de l’article.
  • [2]
    Edgar Allan Poe, « The Poetic Principle », dans Essays and Reviews, ed. G. R. Thompson, New York, The library of America, 3e edition, 1984, p. 71. Voir Dominique Combe, Poésie et récit : une rhétorique des genres, Paris, José Corti, 1989 ; William Marx, Naissance de la critique moderne : la littérature selon Eliot et Valéry, 1889-1945, Arras, Presses de l’Université d’Artois, 2002, p. 113-128.
  • [3]
    Paul Valéry, « Avant-propos à Connaissance de la déesse » (1920), Œuvres, I, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1957, p. 1270.
  • [4]
    Bernard Faÿ, Panorama de la littérature contemporaine, Paris, Éditions du Sagittaire, 1925, p. 202-203.
  • [5]
    George Moore, An Anthology of Pure Poetry, New York, Boni and Liveright, 1924, p. 10.
  • [6]
    Ibid., p. 24.
  • [7]
    T. S. Eliot, « Note sur Mallarmé et Poe », trad. Ramon Fernandez, La NRF, vol. XXVII, n° 158, 1er novembre 1926, p. 526.
  • [8]
    Albert Thibaudet, « Épilogue à la poésie de Stéphane Mallarmé », La NRF, vol. XXVII, n° 158, 1er novembre 1926, p. 553-561.
  • [9]
    Paul Valéry « Poésie pure (notes pour une conférence) » [1927], Œuvres I, op. cit., p. 1456. Dans les autres pays européens, en Allemagne et en Espagne notamment, l’écho semble moins important, même si Juan Ramón Jiménez et Jorge Guillén ont pu s’y intéresser.
  • [10]
    Bertolt Brecht, Schriften, 1 : 1914-1933, Berlin et Francfort-sur-le-Main, Aufbau et Suhrkamp, 1992, p. 191-192.
  • [11]
    Neue Deutsche Blätter, septembre 1933, vol.1, 1933-1934, n° 1-6, p. 1. Traduction : « En Allemagne, les nationaux-socialistes sévissent. Nous sommes en un état de guerre. La neutralité n’existe pas. Pour personne. Et pour l’écrivain moins que pour personne. […] C’est précisément à travers cela que nous voulons prouver au monde que ce n’est pas par hasard que presque tous les représentants de l’Allemagne littéraire sont des opposants au “IIIe Reich”, et que ce n’est pas par hasard que la littérature de la croix gammée (mais aussi la poésie “pure”, mais aussi la prose non polémique) n’est qu’un succédané tout aussi lamentable que le flot de paroles du “Führer”. La littérature d’un certain rang ne peut aujourd’hui être qu’antifasciste. »
  • [12]
    « Oben auf der Hohen Warte wohnen nicht nur die Rotschilds, sondern auch die Dichter. Unten im Karl-Marx Hof wohnen die Arbeiter. Die Dichter besingen die Schönheit. Die Arbeiterkinder hungern. »« Kleines Dichterportrait », Neue Deutsche Blätter, vol. 2, n° 1-6, 1934-1935, p. 63. La Hohe Warte est une colline résidentielle de Vienne.
  • [13]
    Ibid.
  • [14]
    Karl Wolfskehl, « Stefan George », Die neue Rundschau, vol. 2, Juillet 1928, p. 53.
  • [15]
    Neue Deutsche Blätter, vol. 1, n° 1-6, 1933-1934, p. 262.
  • [16]
    « Es führten Fäden von George und seinem Kreis ins Lager des Feindes, darüber täuschten wir uns nicht, während wir den “Siebenten Ring” für das grösste Gedichtbuch in deutscher Sprache hielten. » Klaus Mann, « Das Schweigen Stefan Georges », Die Sammlung, vol. 1, n° 2, octobre 1933, p. 98-103.
  • [17]
    Ibid. Traduction : « S’il veut une fin à l’image de sa vie — caractérisée par ce sens infaillible de ce que sont la pureté, la probité, et la véritable noblesse, qui nous apparaissait comme la partie la plus précieuse, la plus inaliénable de son être — qu’il persiste donc contre cette nouvelle Allemagne dans le même geste que lui arrachait l’ancienne : la tête détournée de cette engeance qui se vautre quotidiennement dans une honte encore plus profonde que celle dont elle entendait se purifier. »
  • [18]
    Voir Albrecht Betz, Exil et engagement : les intellectuels allemands et la France : 1930- 1940 [Exil und Engagement : deutsche Schriftsteller im Frankreich der dreissiger Jahre] [1986], traduit par Pierre Rusch, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des idées », 1991 ; Sandra Teroni et Wolfgang Klein (éds.), Pour la défense de la culture, les textes du congrès international des écrivains, Paris, juin 1935, Dijon, Éditions universitaires de Dijon, 2005.
  • [19]
    Article anonyme, « Stefan George », Die Sammlung, vol. 1, n° 5, janvier 1934, p. 279
  • [20]
    Franz Leschnitzer, « George und die Folgen », Das Wort, vol. III, 1938, n° 12 p. 113-130.
  • [21]
    « Wir sehen in Georges Lyrik manche Werte, die den Nazis zuwider sein müssen und dennoch auch von uns nicht “geerbt” werden dürfen ; andererseits sehen wir in Georges gesamter Wirksamkeit eine — wenngleich ungewollte — präfaschistische Funktion […]. » Ibid. p. 114.
  • [22]
    Ibid. p. 120. Traduction : L’exact pendant de cette idéologie en terme de mode de création est un formalisme mené à son paroxysme, une totale fétichisation du langage, voire de chaque mot isolé. On peut être tenté d’y voir un nouveau fruit de l’exclusivisme intellectuel et de l’individualisme de pacotille engendrés par la période de la décadence impérialiste. […] Ainsi la période de l’impérialisme devait-elle voir éclore, notamment dans la sphère de la prose et de la poésie spéculatives la métaphysique et la pure “Kulturkritik” (Theodor Haecker, Karl Kraus) ; dans la sphère de la prose narrative : l’impressionnisme et le psychologisme (Jakob Wassermann, Hermann Hesse) ; dans la sphère de la poésie lyrique : le formalisme et l’esthétisme (Hofmannsthal, Rilke, George).
  • [23]
    Bertolt Brecht, Schriften, 1, op. cit., p. 247. Traduction : « Pour ma part je ne reproche pas aux poésies de paraître vides : je n’ai rien contre le vide. Mais leur forme est trop complaisante. Ses vues me paraissent insignifiantes et fortuites, tout au plus originales. Selon toute apparence, Il a bien ingurgité son tas de livres surtout remarquables par leur (belle) reliure et fréquente des gens qui vivent de rentes. »
  • [24]
    Ibid., p. 583.
  • [25]
    Bertolt Brecht, Gedichte, 4 : Gedichte und Gedichtfragmente 1928-1939, Berlin et Francfort-sur-le-Main, Aufbau-Verlag et Suhrkamp, 1993, p. 166.
    Traduction : « Quand je lus qu’ils avaient brûlé les écrits de ceux / Qui avaient tenté d’écrire la vérité / Et qu’ils invitaient le jaseur George, le beau parleur / À inaugurer leur Académie, je souhaitai plus violemment / Que le temps vienne enfin où le Peuple prie un tel homme/ Sur un chantier dans un des faubourgs, / De pousser publiquement une brouette pleine de mortier sur le terrain afin/ Qu’une fois l’un des leurs accomplisse une seule action utile, après quoi / Il pourrait se retirer pour toujours, afin/ De couvrir du papier de lettres/ Aux frais/ Du riche Peuple travailleur. »
  • [26]
    Louis Aragon, L’Œuvre poétique, 2 : 1927-1935, Paris, Livre club Diderot, 1990, p. 1152.
  • [27]
    Ibid., p. 1158. Sur la question du réalisme dans les années 1930, voir Philippe Baudorre, « Le réalisme socialiste français des années Trente : un faux départ », Sociétés & Représentations, février 2003, n° 15, no 1, p. 13-38 ; Nicole Racine, « « La Querelle du Réalisme » (1935-1936) », Sociétés & Représentations, février 2003, n° 15, no 1, p. 113-131.
  • [28]
    Sur les raisons poétiques et philosophiques de cette rupture, voir Florian Mahot Boudias, « Politique de l’illisibilité : André Breton face à Aragon dans Misère de la Poésie (1932) », Fabula-LhT, n° 16, « Crises de lisibilité », dir. J. Baetens et É. Trudel, janvier 2016, URL : http://www.fabula.org/lht/16/mahot-boudias.html, consulté le 14/05/2016.
  • [29]
    Jean Cassou, « Toute la poésie », Les Volontaires, n° 9, août-septembre 1939, p. 787- 792. Voir Thierry Maulnier, Introduction à la poésie française, Paris, Gallimard, 1939.
  • [30]
    Ibid., p. 21.
  • [31]
    Wystan Hugh Auden, The English Auden : Poems, Essays and Dramatic Writings, 1927- 1939, Londres, Faber and Faber, 1986, p. 183.
  • [32]
    Ibid. Traduction : « Par tous les moyens, laissez-nous lever humblement notre chapeau pour honorer / La poésie pure, le récit épique ; / Mais la comédie doit avoir son tour d’applaudissements, elle aussi. / Que chacun donne selon ses forces ; / Nous ne pouvons vivre qu’avec un régime varié. / La fable pieuse et l’histoire obscène / Participent à l’ensemble de la gloire littéraire. »
  • [33]
    « […] the question for writers is not — how are we to disentangle art from “cultural strife” ? It is — what direction do we wish this strife to take ? » Cecil Day Lewis, « Sword and Pen », The Left Review, vol. 2, n° 15, décembre 1936, p. 794-796, citation p. 796.
  • [34]
    En français dans le texte, sans mention de traduction. Archives de la revue France Libre consultées à l’Institut Français du Royaume-Uni, Londres.
  • [35]
    Louis Aragon, Œuvres poétiques complètes, I, Paris, Gallimard, coll. « Bibl. de la Pléiade », 2007, p. 784.
  • [36]
    Heinrich Anacker, Wir wachsen in das Reich hinein, Munich, Zentralverlag der N.S.D.A.P., 1938, p. 104-117.
  • [37]
    Voir Albert Thibaudet, « Lettres et journalisme », La NRF, vol. XX, n° 117, avril-juin 1923, p. 930-938 ; Heinz Kindermann (éd.), Des deutschen Dichters Sendung in der Gegenwart, Leipzig, Philipp Reclam, 1933, p. 254-256.
  • [38]
    Louis Aragon, Œuvres poétiques complètes, I, op. cit., p. 198.
  • [39]
    Louis Aragon, « L’Homme coupé en deux », Les Lettres françaises, 9 mai 1968, reproduit dans L’Œuvre poétique, 2, op. cit., p. 13. Cité par Yves Lavoinne, dans Aragon journaliste communiste. Les Années d’apprentissage 1933-1953, Doctorat d’État, Université des Sciences Humaines de Strasbourg, Strasbourg, 1984, p. 38.
  • [40]
    Voir Myriam Boucharenc, L’Écrivain-reporter au coeur des années trente, Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2004. Et plus spécifiquement : Rino Cortiana, « Portrait du poète en reporter : Cendrars et Marinetti », dans Myriam Boucharenc et Joëlle Deluche (éds.), Littérature et reportage : colloque international de Limoges, 26-28 avril 2000, Limoges, PULIM, 2001, p. 167-186.
  • [41]
    Le poème n’est pas reproduit dans The English Auden, mais il est traduit dans l’anthologie constituée par Michèle Duclos, Poésie britannique des années trente, Talence, Presses universitaires de Bordeaux, 1996, p. 152-155.
  • [42]
    Wystan Hugh Auden et Christopher Isherwood, Journey to a War. On the War in China. With Plates and a Map., Londres, Faber & Faber, 1939 ; Journal de guerre en Chine, traduit par Béatrice Vierne, Monaco, Éd. du Rocher, 2003.
  • [43]
    Wystan Hugh Auden, The English Auden, op. cit., p. 256 ; Journal de guerre en Chine, op. cit., p. 279. Traduction : « Faites l’éloge, certes : que le chant monte et monte encore, / Célébrant la vie qui fleurit dans un vase ou sur un visage, / Célébrant la grâce de la faune et la patience de la flore ; / Il y a eu des gens heureux ; il y a eu de grands sages. / Mais entendez pleurer les victimes du jour, et sachez pourquoi : / Des cités et des hommes sont tombés ; la volonté des Méchants/ N’a jamais perdu son pouvoir ; aux princes et aux rois/ L’Assez Noble Mensonge unificateur sert toujours autant. / À notre allègre chant, l’histoire oppose sa peine immense : / Le Paradis Terrestre n’a jamais existé ; notre tiède étoile a donné naissance/ À une race prometteuse qui n’a jamais fait la preuve de sa valeur ; / L’Ouest nouveau, l’Ouest bâclé est faux ; et ce peuple passif, ce peuple-fleur / Qui depuis si longtemps dans les Dix-Huit Provinces, de tout son cœur, / A construit la terre, est prodigieux, mais il est dans l’erreur. »
  • [44]
    The English Auden, op. cit., p. 257 ; Journal de guerre en Chine, op. cit., p. 282.
  • [45]
    The English Auden, op. cit., p. 262 ; Journal de guerre en Chine, op. cit., p. 292-293.
  • [46]
    Louis Aragon, « Une saison en Asie », L’Humanité, 20 et 27 janvier 1933, p. 7 et 4.
  • [47]
    Louis Aragon, Hourra l’Oural, Paris, Denoël et Steele, 1934 ; Œuvres poétiques complètes, I, op. cit., p. 549-597.

1 « La vérité est concrète » (« Die Wahrheit ist konkret »). Selon Ruth Berlau, c’est cette phrase de Hegel relue à l’aune de Marx que Brecht avait choisi d’afficher en grosses lettres sur les poutres de chêne de son bureau berlinois [1]. Elle rappelle que le dramaturge et poète s’est toujours battu contre l’idéalisme artistique et a refusé l’idée de « poésie pure ». Cette dernière est en 1930 une construction conceptuelle issue d’un idéal d’autarcie du verbe poétique, l’idée d’une voix impersonnelle, un langage mathématique et abstrait, voire l’épreuve et la trace du silence. Héritier des symbolismes, le poète défenseur d’un art pur déteste le message ou l’universel reportage. À côté ou en dehors des constructions intellectuelles de la pureté, qui, selon Bourdieu dans Les Règles de l’art (1992), structurent une partie du champ littéraire depuis la seconde moitié du XIXe siècle, des poètes revendiquent de donner à leurs textes un tour prosaïque, réaliste, idéologique, voire militant. Les constructions de la pureté se trouvent alors contestées, réutilisées, mises en débat en contexte politique. Par l’étude de revues d’époque et d’essais théoriques, il s’agit ici de montrer l’investissement politique et idéologique qui sous-tend la construction de l’idée de « poésie pure », et comment cette construction de la pureté poétique a été discutée et relue dans le contexte d’une intense politisation du travail intellectuel, notamment par les critiques et les jeunes poètes marxistes obligés de se situer et appelant de leurs vœux une poésie de l’expérience. Dans le cadre de cette critique de la poésie pure, on verra enfin qu’Aragon et Auden ont tenté, dans deux recueils des années 1930, d’associer la pratique poétique à celle du reportage.

La poésie pure dans les années 1920

2 L’expression « poésie pure » apparaît sous la plume d’Edgar Allan Poe, notamment dans l’article sur « le principe poétique », et est ensuite reprise par Baudelaire et Mallarmé [2]. Mais la notion passe relativement inaperçue jusqu’à ce que Paul Valéry lance le débat en 1920 par une référence à Poe dans son avant-propos à Connaissance de la déesse : « On voit enfin, vers le milieu du XIXe siècle, se prononcer dans notre littérature une volonté remarquable d’isoler définitivement la Poésie, de tout autre essence qu’elle-même [3]. » La poésie pure apparaît d’emblée comme un projet, sinon un fantasme d’isolement et de perfection diaphane : elle semble être un rêve de libération de la matière. Valéry a ses épigones, mais la notion de « poésie pure » ne fait l’objet d’une théorisation approfondie que dans le livre de l’abbé Bremond, La Poésie pure, publié en 1926 chez Grasset. Le lettré en donne une définition beaucoup plus large que celle de Valéry, qui la restreignait à une période débutant vers 1850, et cherche à en retrouver le principe dans les productions de l’Antiquité et de l’époque classique. Chez l’érudit, le concept s’infléchit aussi considérablement vers un certain mysticisme. Il s’ensuit une polémique qui oppose l’auteur du livre à Paul Souday, critique littéraire influent dans les années 1920, auteur d’un essai sur Valéry. À partir de 1925, la supposée pureté de la poésie devient un objet de controverse.

3 Des nuances politiques apparaissent alors, notamment lorsque les critiques s’attachent à analyser la supposée pureté d’une poésie nationale, comme s’emploie à le faire Bernard Faÿ, érudit charismatique. Celui-ci voit dans le développement de la poésie française depuis le symbolisme la recherche d’une pureté de la langue nationale. Dans son Panorama de la littérature contemporaine (1925), il affirme avec force que

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[s]i l’on considère le nombre de nos poètes, leur qualité et les genres poétiques qu’ils cultivent, on doit penser que la France connut rarement un développement de poésie pure (c’est-à-dire distinguée de l’éloquence, de la musique et du théâtre) comparable à celui que nous admirons maintenant. Depuis le XVIIe siècle, sans doute, nous n’avions jamais créé une poésie aussi personnelle, aussi forte, aussi mâle, aussi nôtre [4].

5 L’extraction de la poésie hors des domaines de l’éloquence et de la musique montre l’héritage matérialiste mallarméen. Mais la description d’une poésie pure et idéale est surtout l’occasion de faire affleurer les valeurs traditionnelles d’une littérature nationale décrite par un homme qui se revendique de droite. La poésie pure, « personnelle » — terme pris au sens d’« original » —, peut même servir, comme ici dans des expressions discrètement fascisantes, à justifier la construction d’un édifice littéraire national, pur et sans mélange. Faÿ rêve d’un objet viril mettant au rebut tous les lyrismes efféminés du XIXe siècle.

6 La notion s’exporte assez rapidement vers le monde anglo-saxon. En 1924, George Moore publie An Anthology of Pure Poetry (Une Anthologie de Poésie Pure). L’auteur, dans l’essai qui précède son anthologie, affirme que « l’art pur » est « une vision presque détachée de la personnalité du poète » (« a vision almost detached from the personality of the poet[5] »). Le critère d’« objectivité » serait l’une des conditions de l’émergence de la poésie pure : le poète ne doit pas livrer ses sentiments mais décrire le monde. Dans le contexte des modernismes anglo-américains, il s’agit de trouver une « Forme sans Voix » (« Voiceless Form[6] »). De son côté, T. S. Eliot publie en novembre 1926 dans la Nouvelle Revue française un court texte traduit et intitulé « Note sur Mallarmé et Poe ». Il semble contredire à la fois l’irrationalisme de Bremond et l’objectivisme de George Moore en faisant de la « poésie pure » une « poésie métaphysique » fondée sur « la puissance du Mot [7] » : il met ainsi l’accent sur la profondeur contemplative et la puissance spirituelle des oeuvres commentées. Dans la même livraison de La N.R.F., qui contient un dossier consacré à Mallarmé, Albert Thibaudet prend de la hauteur et se détache de la polémique. Selon lui, le père de la poésie pure n’est ni Bremond, ni Valéry, mais bien Mallarmé. S’il n’a littéralement rien écrit sur « la poésie pure », toute la vie du poète se serait jouée autour d’elle [8]. En manière de conclusion à la controverse, Valéry peut affirmer dès 1927 : « Un grand bruit s’est fait dans le monde (j’entends le monde des choses les plus précieuses et les plus inutiles), un grand bruit s’est fait dans le monde autour de ces deux mots : la poésie pure[9]. » Contrairement à Mallarmé et à Faÿ, loin aussi d’une lecture religieuse ou métaphysique, le poète infléchit la notion vers la métaphore musicale : le langage de la forme, celui de la continuité mélodique des mots, est sublimation d’un matériau sensible et manifestation d’une rationalité philosophique.

L’aggravation du débat en Allemagne

7 Dans ce contexte, c’est en Allemagne que le débat autour de la politisation de la notion de poésie pure est le plus violent. Dès 1927, dans son article « Kurzer Bericht über vierhundert junge Lyriker » (« Court compte rendu à propos de quatre cents jeunes poètes »), le jeune Brecht se désolidarise des productions des périodes impressionnistes et expressionnistes, « dont le contenu consiste en de jolies images et mots aromatiques » (« deren Inhalt aus hübschen Bildern und aromatischen Wörtern bestand »). Il considère que « ce genre de productions “purement” lyriques sont surestimées » (« werden solche “rein” lyrischen Produkte überschätzt ») et ajoute qu’il a peu d’estime pour les poésies de Rilke, Stefan George et Franz Werfel [10]. Au début des années 1930, les théoriciens marxistes prennent alors pour cible l’idée de poésie pure qui, au mieux, serait le synonyme d’un attentisme politique — celui de l’« émigration intérieure ».

8 Dans ce contexte, le débat sur la « reine Lyrik » s’aggrave à partir de 1933 : les écrivains antifascistes exilés vitupèrent contre les prétentions d’un art dégagé de ses conditions de production, et, en filigrane, contre les poètes tentés par le silence ou l’émigration intérieure. Le périodique Neue Deutsche Blätter (Prague, 1933-1935) s’en fait largement l’écho. Dès la note qui ouvre le premier numéro, la « reine Lyrik », la poésie pure, est explicitement désignée comme l’un des ennemis à abattre.

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In Deutschland wüten die Nationalsozialisten. Wir befinden uns im Kriegszustand. Es gibt keine Neutralität. Für niemand. Am wenigsten für den Schriftsteller. [...] Gerade dadurch wollen wir vor der Weltöffentlichkeit beweisen, daß nicht zufällig fast alle Vertreter des literarischen Deustchland entschiedene Gegner des“ Dritten Reiches” sind, und daß Hakenkreuz-Literatur (auch“ reine” Lyrik, auch die unpolemischste Prosa) nicht zufällig eine ebenso erbärmliches Surrogat ist wie der Wortschwall der“ Führer”. Schrifttum von Rang kann heute nur antifaschistisch sein[11].

10 Pour aller à l’encontre de cette « reine Lyrik », qui ne saurait être l’équivalent de la littérature nazie mais serait irresponsable et criminelle par son inaction, la revue laisse une grande part au genre poétique au sein de sa rubrique « Lyrik und Prosa ». Dans le numéro d’octobre-novembre 1934, le mot de la rédaction est tout aussi éloquent et confirme ce programme. Plus loin, une brève anonyme donne un « Kleines Dichterportrait » (« Petit portrait du poète »). En quelques lignes, l’auteur met en place les clivages qui traversent le genre poétique dans les années 1930 et brosse un portrait satirique de Franz Werfel, écrivain autrichien expressionniste présenté comme un esthète catholique, vivant dans un immeuble bourgeois devenu garnison. Finalement, « il n’y a pas que les Rothschild qui vivent là-haut à la Hohe Warte, mais aussi les poètes. En bas, dans Karl-Marx Hof vivent les ouvriers. Les poètes chantent la beauté. Les enfants des ouvriers ont faim [12] ». La dernière citation raconte enfin que, selon la Deutsche Zeitung Bohemia du 19 septembre 1934, le chancelier fédéral d’Autriche, Kurt von Schuschnigg, se ferait lire à haute voix chaque soir après le labeur de la journée des poèmes de Werfel afin de « purifier son âme » (« zur Seelenreinigung[13] »). Dans sa satire, l’auteur joue ainsi des sens abstrait et concret de la racine « rein » : celui de la pureté et celui du nettoyage.

11 Mais les attaques contre la reine Lyrik se concentrent surtout sur Stefan George, qui disparaît en 1933 juste après l’arrivée au pouvoir d’Hitler. Le poète ayant introduit le symbolisme en Allemagne, admirateur de Mallarmé et directeur des Blätter für die Kunst, devient dans les années 1920 un fervent défenseur du nationalisme allemand. En 1928, pour le soixantième anniversaire du poète, Karl Wolfskehl publie un éloge dans la Neue Rundschau et, au détour des flagorneries, en vient à donner une définition du poème comme « événement autonome » (« selbstständiges Begebnis[14] »), ce qui ne pouvait que hérisser les adversaires de George. À sa mort, les écrivains déjà exilés sont alors gênés et oscillent entre l’hommage et la condamnation. Dans leur quatrième livraison, les Neue Deutsche Blätter publient une nécrologie lapidaire, à la fois respectueuse et ironique, en soulignant les hommages que le poète défunt aurait reçus de la part de Goebbels, ministre de la propagande, et de Rust, ministre de la culture [15]. Dans Die Sammlung (Amsterdam, 1933-1935), Klaus Mann s’interroge sur « Le Silence de Stefan George » (« Das Schweigen Stefan Georges »). Le critique est ambigu car, tout en témoignant son affection pour le grand poète qu’il a admiré dans sa jeunesse, il exprime sans détour sa suspicion : « Certains fils menaient tout droit du cercle George au camp de l’ennemi, là-dessus nous ne nous faisions aucune illusion, alors même que nous considérions Le Septième Anneau comme le plus grand livre de poésie de langue allemande [16] ». Mais K. Mann nuance : il voit la raison de ce silence dans le fait que le IIIe Reich ne réalise pas complètement les aspirations du poète. Humaniste, celui-ci aurait rêvé d’un nouvel héroïsme, mais non d’un héroïsme barbare, d’où sa réserve polie.

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Wenn er enden will, wie er gelebt hat — mit dem untrüglichen Wissen um Reinheit, Lauterkeit und echten Adel, das uns der kostbarste, unveräusserlichste Teil seines Wesens schien — so verharre er gegen dies neue Deutschland in derselben Geste, die ihm das alte abnötigte: das Haupt weggewendet von einem Geschlecht, das sich täglich in eine noch tiefere Schande verstrickt, als die es war, von der es reinigen wollte[17].

13 K. Mann est mal à l’aise parce que les écrivains émigrés identifient leur combat antifasciste avec celui de la défense de la culture, des valeurs littéraires et parfois d’une essence de la littérature face à la barbarie [18]. Or l’œuvre de George représente à cette époque une certaine essence de la littérature, d’où des argumentations contournées et maladroites quant à la dérive du grand poète. Encore en 1934, Die Sammlung est plus complaisant que les Neue Deutsche Blätter : le poète devrait entrer « dans le Panthéon de nos héros les plus purs » (« in Pantheon unserer reinsten Helden[19] »). La décision qu’avait prise George avant sa mort de ne pas être inhumé à l’intérieur du Reich — mais en Suisse, dans le Tessin — semble le sauver du purgatoire politique.

14 Les animateurs de Das Wort, revue communiste exilée à Moscou (1936- 1939), sont quant à eux très sévères. Dans un long article, le journaliste et critique Franz Leschnitzer s’emploie en 1938 à une véritable destruction de la gloire de l’écrivain récupéré par les nazis [20]. Mais là encore, le jugement paraît clivé. « Nous voyons, écrit-il, dans la poésie de George certaines valeurs peu susceptibles de plaire aux Nazis mais dont nous ne saurions guère davantage revendiquer l’héritage [21] […]. » Il évoque juste après « une fonction préfasciste — certes involontaire » (« eine — wenngleich ungewollte — präfaschistische Funktion ») contenue dans la poésie de George. Sa critique de la technique moderne et son rêve d’une culture idéale ne serait en réalité que pur formalisme et fuite de la praxis.

15

Die Schaffens Methode, die einer solchen Ideologie restlos entspricht, ist ein auf die höchste Spitze getriebener Formalismus, eine totale Fetischisierung der Sprache, ja jedes einzelnen Wort. Auch hierin kann man eine Frucht jenes geistigen Exklusivismus und Talmi-Individualismus erkennen, den die Periode der imperialistischen Dekadenz hervorgebracht hat. [...] So mußte in der Periode des Imperialismus unter andern die Region der erörternden Prosa und Poesie, die Metaphysik und die bloße“ Kulturkritik” aufsprießen lassen (Theodor Haecker, Karl Kraus); die Region der erzählenden Prosa: den Impressionismus und den Psychologismus (Jakob Wassermann, Hermann Hesse); die Region der Lyrik: den Formalismus und den Ästhetizismus (Hofmannsthal, Rilke, George)[22].

16 L’auteur évoque ensuite les disciples de Stefan George qui se seraient compromis avec le nazisme. C’est bien à une destruction historiographique que se livre le critique.

17 Le jeune Brecht n’est pas en reste et livre, à l’occasion du soixantième anniversaire de George, une contribution iconoclaste :

18

Ich selber wende gegen die Dichtungen Georges nicht ein, daß sie leer erscheinen: ich habe nichts gegen Leere. Aber ihre Form is zu selbstgefällig. Seine Ansichten scheinen mir belanglos und zufällig, lediglich originell. Er hat wohl seinen Haufen von Büchern in sich hineingelesen, die nur gut eingebunden sind, und mit Leuten verkehrt, die von Renten leben[23].

19 Brecht reproche à George d’être un poète bourgeois et formaliste, mais jamais d’être proche de l’extrême droite. Dans une note manuscrite de 1932, ironiquement intitulée « Reiner Geist » (« Esprit pur »), il traite encore George avec mépris [24]. À la mort de celui-ci, Brecht n’écrit rien, ni hommage, ni insulte. Il l’évoque simplement dans un poème resté inédit.

Als ich las, dass sie die Schriften derer verbrannten
Die die Wahrheit zu schreiben versucht hatten
Aber den Schwätzer George, den Schönredner, einluden
Ihre Akademie zu eröffnen, wünschte ich heftiger
Daß die Zeit endlich kommt, wo das Volk einen solchen Menschen bittet
Öffentlich bei einem Bau in einer der Vorstädte
Einen Schubkarren mit Mörtel über den Bauplatz zu schieben, damit
Einmal einer von ihnen eine nützliche Handlung verrichte, worauf er sich
Für immer zurückziehen könnte, um
Papier mit Buchstaben zu bedecken
Auf Kosten des
Reichen arbeitenden Volkes[25].

20 Dans cette vision particulièrement violente, Brecht refuse toute valeur à l’œuvre, symbole d’une littérature figée et réactionnaire. À cela le jeune poète oppose l’action, vision obsédante. Pour lui, la « reine Lyrik » n’est en aucun cas un fascisme, elle est le discours d’un âge historique, celui de la bourgeoisie, décorum d’une agonie. La poésie pure ne serait pas la racine du mal, elle n’en serait que le bourgeonnement, absolument gracieux et parfaitement inutile.

Fortune d’un lieu commun en France et en Angleterre

21 Si la lecture brechtienne de George invite à considérablement relativiser la portée politique de l’idée de poésie pure, il n’en demeure pas moins qu’un concert de voix marxistes apparaît dans les années 1930 pour la combattre, la construisant de fait comme enjeu politique. En 1935, Aragon dénonce l’art pur dans « Le Retour à la réalité », son discours du Congrès international des Écrivains pour la Défense de la Culture : « Il s’agit de reprendre [dans les œuvres] le réalisme, et de le dégager des mysticismes et des jongleries, des escroqueries à la religion, à la beauté, à l’idée pure, grâce auxquelles de véritables bourreaux en chair et en os ont su se faire oublier dans un monde de nuées [26]. » Il exhorte aussi les écrivains à abandonner « le toc de la pureté » pour trouver leur inspiration dans les soulèvements populaires et dans les conflits de l’histoire [27]. En passant, il conspue Marinetti le futuriste pour sa compromission fasciste et ses anciens compagnons surréalistes qui refusent la politisation directe du poème. Il rappelle ainsi son désaccord avec Breton à propos de son poème « Front rouge » (1930), cause de leur rupture en 1932 [28].

22 En 1939, Jean Cassou commente le dernier ouvrage de Thierry Maulnier, Introduction à la poésie française, dans l’argumentation duquel il voit à la fois une recherche de l’essence introuvable de la poésie et des sympathies à l’égard du nazisme. Pour Maulnier comme pour Cassou, l’important semble moins de lire la poésie du passé que de politiser la lecture actuelle du patrimoine poétique. Selon J. Cassou, Maulnier s’appuierait en effet sur une dénonciation du romantisme français libéral et sur la valorisation du discours national hérité du romantisme allemand. Pour J. Cassou, derrière la recherche de perfection formelle et de chant mélodieux chère à Maulnier, se cache la propagande nazie la plus honteuse : « La mort sait prendre, pour ses tentations, une voix de sirène et chanter des chansons auxquelles de jeunes cœurs ne sauraient se montrer insensibles. » Et d’ajouter : « Mais au bout du compte on pense et on écrit comme le Völkischer Beobachter[29]. » Cette analyse est pour le moins outrée car T. Maulnier, s’il éreinte dans son ouvrage les mages romantiques — Lamartine, Musset, Hugo — et critique ouvertement le surréalisme, ne fait pas non plus l’apologie de la poésie de propagande. Il défend plutôt une poésie formaliste, celle des poètes de l’époque baroque et celle de Valéry : « L’acte poétique est le type le plus haut et le plus général des actes qui détournent les substances sur lesquelles ils s’exercent de leur destin naturel il est l’acte créateur dans sa pureté [30]. » Dans son procès d’intention, J. Cassou met en relation les goûts littéraires de l’auteur et ses prises de position extrémistes — son non-conformisme, son penchant fasciste. In fine, les deux critiques parlent plus d’eux-mêmes et de leur temps que de l’histoire de la poésie.

23 Du côté anglais, une position originale à l’égard de la poésie pure est celle de W. H. Auden, poète emblématique de la red decade. Cet auteur valorise un art ancré dans le réel, notamment dans ses conceptions du lectorat et du rôle social du poète. Selon lui, le poète doit parler à tous et fonder sa production sur un idéal, celui de l’action et de la communication ; la poésie doit être en prise avec la vie et doit être plus claire possible, évitant à la fois obscurités et simplismes ; elle est un apprentissage de la singularité et de la nuance et permet de ce fait de communiquer — voire de communier — avec d’autres consciences. En 1936, dans sa Lettre à Lord Byron, Auden revient sur les causes du dédain de T. S. Eliot envers le poète romantique. Selon lui, l’auteur de La Terre Vaine aurait dit de Byron qu’il était « un esprit inintéressant » (an uninteresting mind). Auden relativise alors la valeur de « la poésie pure » (l’expression française est citée) en revendiquant, avec un accent très montaignien, un goût fondé sur le changement et l’éclectisme : « Only on varied diet can we live[31] » (« Nous ne pouvons vivre qu’avec un régime varié »).

By all means let us touch our humble caps to
La poésie pure, the epic narrative ;
But comedy shall get nits round of claps, too.
According to his powers, each may give ;
Only on varied diet can we live.
The pious fable and the dirty story
Share in the total literary glory[32].

24 Auden apprécie la poésie, il apprécie les symbolistes français, mais la variété semblerait être mère de bonne santé : le poète traite la poésie pure avec une tranquille désinvolture et valorise les genres bas, comiques et prosaïques.

25 Mais Auden, au sein même de sa constellation poétique, reste un cas particulier. Beaucoup plus tranchés, les articles sur la question de la poésie pure sont légion dans les revues qu’il fréquente. Ainsi son ami Cecil Day Lewis publie-t-il en 1936, dans The Left Review, un article significativement intitulé « Sword and Pen » (« L’Épée et la plume »). Le poète y dit que la période capitaliste a instauré un fossé artificiel entre l’intellectuel et la foule, que l’artiste a été rejeté en dehors des préoccupations de la société et que le nouvel art doit permettre à chacun, grâce à l’éducation, de créer : « […] la question posée aux écrivains n’est pas : comment est-on à même de démêler l’art de la “lutte culturelle” ? C’est : quelle direction voulons-nous que cette lutte prenne [33] ? » Derrière la question de l’autonomie sociale du poète se trouve sans doute aussi l’enjeu de l’idéal symboliste de la pureté du poème. Dans le même ordre d’idées, pendant la Seconde Guerre mondiale, dans la revue France Libre publiée à Londres, Stephen Spender formule cette incompatibilité en déclarant que les adeptes de la poésie pure ont brisé le lien qui unissait le symbole à la réalité symbolisée.

26

Ces efforts pour produire des effets littéraires « purs », indépendants de l’expérience commune parce qu’étrangers et supérieurs à cette expérience, ont abouti à des résultats remarquables ; et pourtant, en fin de compte, ils semblent stériles. Imagisme, symbolisme, poésie pure, surréalisme semblent tous s’épuiser rapidement ; et quand la pratique s’en généralise, ils donnent l’impression d’un art épuisé parce que sans racines dans la vie [34].

27 Cette rhétorique trouve son plein développement en temps de guerre, et notamment dans la poésie de résistance, chez Aragon par exemple, qui écrit dans Les Yeux d’Elsa (1942) un poème allégorique intitulé « Contre la poésie pure » : « Où qu’elle soit je troublerai l’eau pure [35]. »

28 Il faut garder à l’esprit que ce paradigme binaire est en partie une création des milieux marxistes, et qu’inversement les régimes fascistes ne revendiquent absolument pas la pratique d’un art pur. La poésie proprement nazie — Gerhard Schumann, Agnes Miegel, Heinz Kindermann, Heinrich Anacker, Herybert Menzel, etc. — est bien multiforme, oscillant entre les formes traditionnelles du Lied et des apothéoses modernistes. En 1938, à l’occasion de l’Anschluss des Sudètes et de l’Autriche, Heinz Kindermann, qui avait réussi sa carrière à l’aide du parti, le remercie en publiant une anthologie de poèmes : Heimkehr ins Reich. Großdeutsche Dichtung aus Ostmark und Sudetenland (Retour dans le Reich. Poésie allemande de l’Est et des Sudètes). Heinrich Anacker est quant à lui l’inventeur du slogan « un peuple, un empire, un guide ! » (« Ein Volk — Ein Reich — Ein Führer ! »). Mais, dans son grand recueil de 1938 Wir wachsen in das Reich hinein (Nous grandissons au sein du Reich), il consacre toute une section à l’« Éternel esprit d’Icare » (« Ewiger Ikarusgeist ») de l’avion. L’influence expressionniste est sans aucun doute encore présente dans cette ode moderniste [36]. La poésie du IIIe Reich n’est donc certainement pas une poésie « pure » et est évidemment plus proche des chants de propagande communiste que des expérimentations langagières de S. George. Il n’empêche que les poètes marxistes des années 1930 reprennent à leur compte une voie prosaïque et référentielle du genre poétique depuis le XIXe siècle pour conspuer toute résurgence de l’idée de poésie pure. Dans leur recherche poétique, ils redonnent de la valeur à un objet détesté par les poètes au moins depuis Mallarmé : l’universel reportage.

Contre la poésie pure : usages du reportage chez Aragon et Auden

29 Pour nombre de critiques de l’entre-deux-guerres est évident le lieu commun symboliste selon lequel la littérature est éternelle et le journalisme réduit [37]. Les poètes eux-mêmes, notamment les surréalistes, tiennent souvent des propos haineux mais ambigus contre la presse. Bien que journaliste à ses heures, Aragon déteste le journal tout en en faisant un matériau indispensable de sa propre pratique poétique. Dans une note, Le Paysan de Paris n’est pas tendre avec la corporation : « Et quand je dis journaliste, je dis toujours salaud[38] ». Mais s’il déteste les journalistes, en bon héritier d’Apollinaire, Aragon est friand de réclames, d’événements et de faits divers. Il le reconnaît plus tard, en 1968 : « C’était le temps où nous lisions Hegel, et la quatrième page des journaux en ce temps-là fleurissait de l’involontaire poésie des publicités [39]. » Plus encore, les poètes politisés valorisent le nouveau genre journalistique qu’est le reportage, présentant le poète en aventurier de l’actualité et assumant la mimèsis du monde social contemporain [40]. Ces recherches poétiques aboutissent alors à des expérimentations formelles et à des livres hybrides.

30 Une lecture en miroir du recueil Hourra l’Oural (1934) d’Aragon et du livre A Journey to a War (1939) de W.H. Auden et de Christopher Isherwood permet de comprendre ces tensions. Déjà en 1938, Auden écrit un long poème de quatre sections pour le General Post Office : « Night mail » (« Le Train postal de nuit »), poème de commande censé faire la promotion des activités de la poste anglaise [41]. Objet original, ce texte est le témoin d’une époque durant laquelle un poète pouvait recevoir la commande d’un service public. Auden récidive la même année en se rendant sur le front de la guerre sino-japonaise. Le projet est explicitement journalistique. Fin 1937, après qu’Auden est rentré d’Espagne, Faber lui commande ainsi qu’à Christopher Isherwood un récit de voyage en Orient. Les deux jeunes gens décident de se rendre sur le théâtre des opérations côté chinois. Pendant plusieurs mois, ils voyagent au plus près du front, parfois sous les bombardements, rencontrent des habitants, des commerciaux, des diplomates, des militaires et même un acteur. Le livre qui en résulte, Journal de guerre en Chine[42], est complètement hybride car, en plus d’être écrit à quatre mains, il mêle le journal en prose d’Isherwood et les poèmes d’Auden.

31 Le tissage des deux écritures ne se fait pas sans effets d’étanchéité. Le journal d’Isherwood se présente bel et bien comme un reportage, sous la forme d’un carnet de bord relatant les récits de voyage en train ou à cheval, les conversations et les repas surprenants, la peur toujours présente d’une attaque ennemie. Ce journal décrit les paysages, transcrit certains dialogues, fait part de la révolte de son auteur face aux conditions de vie des Chinois. Des photographies complètent le dispositif. L’ensemble est très prosaïque et joue le jeu du reportage, fondé sur un pacte de transparence. Or les poèmes d’Auden ne sont pas du tout écrits dans le même esprit : leur vision est très générale, voire allégorique, en tout cas très chrétienne. L’auteur ne date pas ses textes et ne donne aucune circonstance précise. Les douze premiers sonnets constituent une sorte de récit des origines, évoquant à la fois la Genèse et sa mythologie dans l’avènement et la chute d’un héros ou d’un dieu, « il » puissant jusqu’à la fin de son ère. Le récit étiologique est au service d’un temps eschatologique : il s’agit d’expliquer la faillite de l’amour, la chute dans le mal. À partir du treizième sonnet, quelques noms propres apparaissent et le lecteur comprend, dans le passage du prétérit au présent, qu’il s’agit d’évoquer les maux de la guerre.

Certainly praise: let the song mount again and again
For life as it blossoms out in a jar or a face,
For the vegetable patience, the animal grace;
Some people have been happy; there have been great men.
But hear the morning’s injured weeping, and know why:
Cities and men have fallen; the will of the Unjust
Has never lost its power; still, all princes must
Employ the Fairly-Noble unifying Lie.
History opposes its grief to our buoyant song:
The Good Place has not been; our star has warmed to birth
A race of promise that has never proved its worth;
The quick new West is false; and prodigious, but wrong
This passive flower-like people who for so long
In the Eighteen Provinces have constructed the earth[43].

32 À l’image de ce poème, tous les sonnets évoquent la situation sur le mode de la périphrase et de l’allusion, ils deviennent un discours allégorique.

33 Le seizième sonnet dresse la cartographie du mal : « And maps can really point to places / Where life is evil now : / Nanking ; Dachau » (« Et les cartes peuvent réellement indiquer des endroits / Où la vie, à cette heure, du mal est la proie : / Nankin, Dachau [44] »). Le sonnet dix-huit évoque la mort d’un soldat anonyme, prolétaire sans mémoire et sans postérité dont la propagande se sert pour exalter le sacrifice militaire. Le sonnet vingt-deux est une critique acerbe des stratégies géopolitiques des nations européennes, stratégies de l’inaction. Les deux derniers poèmes forment un diptyque placé sous le signe de la catastrophe historique : le premier décrit la marche du monde vers un « désastre » (« disaster ») dû à la recherche effrénée du « bénéfice d’exploitation » (« steady profit »). Le dernier fait de tous les hommes des « apprentis de l’erreur » (« we are articled to error[45] »). Le long « Commentary » (« Commentaire ») qui suit est un discours en un mètre plus ample, presque un sermon, développant la dualité de la nature humaine et sa propension au mal. Le poète s’y représente marchant dans Shanghai, méditant sur son statut de privilégié et d’observateur extérieur. Là encore, le propos est très général et Auden chante l’éloge de l’amour et de la vie aux dépens des puissances mortifères que sont pour lui l’État, l’Argent et la Haine.

34 Très différent par le ton, le poème d’Aragon Hourra l’Oural, publié en 1934, prend lui aussi la forme d’un voyage en Orient. L’auteur effectue un second séjour en URSS, avec Elsa Triolet, de la mi-juin 1932 à la mi-mars 1933. Le couple visite les villes de l’Oural, fleuron de l’industrialisation nouvelle de l’URSS. Aragon ne publie pas un récit de voyage en bonne et due forme comme nombre de ses contemporains (pensons à Gide ou Russell) mais, en janvier 1933, il livre à L’Humanité deux articles intitulés « Une saison en Asie [46] », qui prennent la forme d’une chronique de son cheminement, quoique sans date et sans itinéraire précis. À Paris, l’écriture de Hourra l’Oural se trouve précipitée par les troubles de février 1934, comme en témoigne la dédicace à des communistes tués par la police lors des manifestations [47]. La comparaison de Hourra l’Oural avec les sonnets de A Journey to a War montre qu’Aragon garde certains éléments référentiels de son itinéraire : Nadiejinsk la ville nouvelle et industrielle, Lisva la « petite bourgade » au palais de la culture « immense », Zlatooust, Magnitogorsk, Tchéliabinsk. On ne retrouve certes pas dans le grand poème de louange la ville de Perm et son cirque, ni le chantier de Nijni-Taguil — l’auteur sélectionne, coupe et ré-agence —, mais dans la mesure où le poème garde une ambition documentaire, celui-ci peut être conçu comme une forme de reportage, image d’un itinéraire à travers les villes nouvelles de l’Oural.

35 Cependant, comme chez Auden, le référent finit par se dissoudre dans une forme de déréalisation poétique. L’écriture du poème montre en effet un sujet fasciné par un spectacle collectif : elle met en forme la continuité entre l’idée communiste et sa réalisation politique, selon un système de signes très lisibles, tout en contenant aussi des ferments de rêve de manière intempestive. Car contrairement à « Front rouge », le grand poème Hourra l’Oural n’est pas tant un cri de révolte ou d’exhortation à la révolution que la célébration d’un espace transfiguré et idéal, perçu dans l’intimité d’un rêve : « L’Oural rêvait / car l’Oural rêve / lui aussi de temps en temps ». Quand le journaliste produit un texte lisible et intelligible, Aragon emploie des effets de déplacements et de superpositions linguistiques propres au discours poétique. Sans aucun doute, Aragon reprend aussi à l’esthétique de Maïakovski (disparu en 1930 dans des circonstances mystérieuses) le mélange du vers libre et du vers régulier, de la chanson et du récit, ainsi que le dispositif dramaturgique inspiré du mystère-bouffe. Très structuré, Hourra l’Oural ressemble ainsi souvent plus à un poème polyphonique et bigarré qu’à un récit de voyage linéaire. Comme chez Auden, mais d’une manière beaucoup plus prosaïque, la réalité décrite subit dans la poésie une forme de déréalisation. Elle s’éloigne du lecteur, d’autant qu’Aragon se laisse à la fois emporter par le rêve et par la propagande. Mais quelque chose de l’U.R.S.S. reste encore perceptible dans Hourra l’Oural, grâce à certains détails à valeur documentaire, notamment les nombreux toponymes et anthroponymes. Ce n’est pas le cas de la Chine dans « In Time of War », ensemble didactique très lointain à la fois du reportage et du symbole diaphane. Les deux poètes s’éloignent ainsi de l’idéal de la poésie pure en expérimentant des formes hybrides et en ayant recours à des stratégies très différentes, voire antagonistes.

36 Le concept de « poésie pure », support de débats et de tiraillements dans les milieux poétiques des années 1920, s’est ainsi retrouvé au cœur des débats politico-littéraires, dans l’œil du cyclone des années 1930. Les poètes marxistes, Aragon et Brecht en tête, ont trouvé dans les dernières vaguelettes de l’idéal symboliste un ennemi facile, ils ont politisé la notion à outrance. Du point de vue de la poétique, écrire de la poésie s’arrimant au reportage ou un contenu spécifiquement politique signifie encore en 1930 subvertir un genre, voire un idéal. Dans les années 1920, la poésie prenant en charge la représentation de la société ou un message directement politique est exclue de la pratique littéraire, elle en est une excroissance monstrueuse et subversive. Cette poésie préfère le journal à la revue littéraire : elle ne paraît ni dans La N.R.F., ni dans Die neue Rundschau, ni dans The Criterion ou The Adelphi, mais plutôt dans les revues communistes ou dans la presse généraliste. Elle se diffuse aux marges de la République européenne des lettres. Aujourd’hui encore, ces textes présentent l’intérêt de l’expérimentation, de la recherche et parfois de l’échec.

Notes

  • [1]
    Ruth Berlau, introduction à l’ABC de la Guerre (Kriegsfibel), dans Bertolt Brecht, Gedichte, 2 : Sammlungen 1938-1956, Berlin et Francfort-sur-le-Main, Aufbau-Verlag et Suhrkamp, 1988, p. 416 ; ABC de la guerre, traduit par Philippe Ivernel, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 1985, p. 232. Lorsqu’aucune référence n’est donnée, les traductions sont de l’auteur de l’article.
  • [2]
    Edgar Allan Poe, « The Poetic Principle », dans Essays and Reviews, ed. G. R. Thompson, New York, The library of America, 3e edition, 1984, p. 71. Voir Dominique Combe, Poésie et récit : une rhétorique des genres, Paris, José Corti, 1989 ; William Marx, Naissance de la critique moderne : la littérature selon Eliot et Valéry, 1889-1945, Arras, Presses de l’Université d’Artois, 2002, p. 113-128.
  • [3]
    Paul Valéry, « Avant-propos à Connaissance de la déesse » (1920), Œuvres, I, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1957, p. 1270.
  • [4]
    Bernard Faÿ, Panorama de la littérature contemporaine, Paris, Éditions du Sagittaire, 1925, p. 202-203.
  • [5]
    George Moore, An Anthology of Pure Poetry, New York, Boni and Liveright, 1924, p. 10.
  • [6]
    Ibid., p. 24.
  • [7]
    T. S. Eliot, « Note sur Mallarmé et Poe », trad. Ramon Fernandez, La NRF, vol. XXVII, n° 158, 1er novembre 1926, p. 526.
  • [8]
    Albert Thibaudet, « Épilogue à la poésie de Stéphane Mallarmé », La NRF, vol. XXVII, n° 158, 1er novembre 1926, p. 553-561.
  • [9]
    Paul Valéry « Poésie pure (notes pour une conférence) » [1927], Œuvres I, op. cit., p. 1456. Dans les autres pays européens, en Allemagne et en Espagne notamment, l’écho semble moins important, même si Juan Ramón Jiménez et Jorge Guillén ont pu s’y intéresser.
  • [10]
    Bertolt Brecht, Schriften, 1 : 1914-1933, Berlin et Francfort-sur-le-Main, Aufbau et Suhrkamp, 1992, p. 191-192.
  • [11]
    Neue Deutsche Blätter, septembre 1933, vol.1, 1933-1934, n° 1-6, p. 1. Traduction : « En Allemagne, les nationaux-socialistes sévissent. Nous sommes en un état de guerre. La neutralité n’existe pas. Pour personne. Et pour l’écrivain moins que pour personne. […] C’est précisément à travers cela que nous voulons prouver au monde que ce n’est pas par hasard que presque tous les représentants de l’Allemagne littéraire sont des opposants au “IIIe Reich”, et que ce n’est pas par hasard que la littérature de la croix gammée (mais aussi la poésie “pure”, mais aussi la prose non polémique) n’est qu’un succédané tout aussi lamentable que le flot de paroles du “Führer”. La littérature d’un certain rang ne peut aujourd’hui être qu’antifasciste. »
  • [12]
    « Oben auf der Hohen Warte wohnen nicht nur die Rotschilds, sondern auch die Dichter. Unten im Karl-Marx Hof wohnen die Arbeiter. Die Dichter besingen die Schönheit. Die Arbeiterkinder hungern. »« Kleines Dichterportrait », Neue Deutsche Blätter, vol. 2, n° 1-6, 1934-1935, p. 63. La Hohe Warte est une colline résidentielle de Vienne.
  • [13]
    Ibid.
  • [14]
    Karl Wolfskehl, « Stefan George », Die neue Rundschau, vol. 2, Juillet 1928, p. 53.
  • [15]
    Neue Deutsche Blätter, vol. 1, n° 1-6, 1933-1934, p. 262.
  • [16]
    « Es führten Fäden von George und seinem Kreis ins Lager des Feindes, darüber täuschten wir uns nicht, während wir den “Siebenten Ring” für das grösste Gedichtbuch in deutscher Sprache hielten. » Klaus Mann, « Das Schweigen Stefan Georges », Die Sammlung, vol. 1, n° 2, octobre 1933, p. 98-103.
  • [17]
    Ibid. Traduction : « S’il veut une fin à l’image de sa vie — caractérisée par ce sens infaillible de ce que sont la pureté, la probité, et la véritable noblesse, qui nous apparaissait comme la partie la plus précieuse, la plus inaliénable de son être — qu’il persiste donc contre cette nouvelle Allemagne dans le même geste que lui arrachait l’ancienne : la tête détournée de cette engeance qui se vautre quotidiennement dans une honte encore plus profonde que celle dont elle entendait se purifier. »
  • [18]
    Voir Albrecht Betz, Exil et engagement : les intellectuels allemands et la France : 1930- 1940 [Exil und Engagement : deutsche Schriftsteller im Frankreich der dreissiger Jahre] [1986], traduit par Pierre Rusch, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des idées », 1991 ; Sandra Teroni et Wolfgang Klein (éds.), Pour la défense de la culture, les textes du congrès international des écrivains, Paris, juin 1935, Dijon, Éditions universitaires de Dijon, 2005.
  • [19]
    Article anonyme, « Stefan George », Die Sammlung, vol. 1, n° 5, janvier 1934, p. 279
  • [20]
    Franz Leschnitzer, « George und die Folgen », Das Wort, vol. III, 1938, n° 12 p. 113-130.
  • [21]
    « Wir sehen in Georges Lyrik manche Werte, die den Nazis zuwider sein müssen und dennoch auch von uns nicht “geerbt” werden dürfen ; andererseits sehen wir in Georges gesamter Wirksamkeit eine — wenngleich ungewollte — präfaschistische Funktion […]. » Ibid. p. 114.
  • [22]
    Ibid. p. 120. Traduction : L’exact pendant de cette idéologie en terme de mode de création est un formalisme mené à son paroxysme, une totale fétichisation du langage, voire de chaque mot isolé. On peut être tenté d’y voir un nouveau fruit de l’exclusivisme intellectuel et de l’individualisme de pacotille engendrés par la période de la décadence impérialiste. […] Ainsi la période de l’impérialisme devait-elle voir éclore, notamment dans la sphère de la prose et de la poésie spéculatives la métaphysique et la pure “Kulturkritik” (Theodor Haecker, Karl Kraus) ; dans la sphère de la prose narrative : l’impressionnisme et le psychologisme (Jakob Wassermann, Hermann Hesse) ; dans la sphère de la poésie lyrique : le formalisme et l’esthétisme (Hofmannsthal, Rilke, George).
  • [23]
    Bertolt Brecht, Schriften, 1, op. cit., p. 247. Traduction : « Pour ma part je ne reproche pas aux poésies de paraître vides : je n’ai rien contre le vide. Mais leur forme est trop complaisante. Ses vues me paraissent insignifiantes et fortuites, tout au plus originales. Selon toute apparence, Il a bien ingurgité son tas de livres surtout remarquables par leur (belle) reliure et fréquente des gens qui vivent de rentes. »
  • [24]
    Ibid., p. 583.
  • [25]
    Bertolt Brecht, Gedichte, 4 : Gedichte und Gedichtfragmente 1928-1939, Berlin et Francfort-sur-le-Main, Aufbau-Verlag et Suhrkamp, 1993, p. 166.
    Traduction : « Quand je lus qu’ils avaient brûlé les écrits de ceux / Qui avaient tenté d’écrire la vérité / Et qu’ils invitaient le jaseur George, le beau parleur / À inaugurer leur Académie, je souhaitai plus violemment / Que le temps vienne enfin où le Peuple prie un tel homme/ Sur un chantier dans un des faubourgs, / De pousser publiquement une brouette pleine de mortier sur le terrain afin/ Qu’une fois l’un des leurs accomplisse une seule action utile, après quoi / Il pourrait se retirer pour toujours, afin/ De couvrir du papier de lettres/ Aux frais/ Du riche Peuple travailleur. »
  • [26]
    Louis Aragon, L’Œuvre poétique, 2 : 1927-1935, Paris, Livre club Diderot, 1990, p. 1152.
  • [27]
    Ibid., p. 1158. Sur la question du réalisme dans les années 1930, voir Philippe Baudorre, « Le réalisme socialiste français des années Trente : un faux départ », Sociétés & Représentations, février 2003, n° 15, no 1, p. 13-38 ; Nicole Racine, « « La Querelle du Réalisme » (1935-1936) », Sociétés & Représentations, février 2003, n° 15, no 1, p. 113-131.
  • [28]
    Sur les raisons poétiques et philosophiques de cette rupture, voir Florian Mahot Boudias, « Politique de l’illisibilité : André Breton face à Aragon dans Misère de la Poésie (1932) », Fabula-LhT, n° 16, « Crises de lisibilité », dir. J. Baetens et É. Trudel, janvier 2016, URL : http://www.fabula.org/lht/16/mahot-boudias.html, consulté le 14/05/2016.
  • [29]
    Jean Cassou, « Toute la poésie », Les Volontaires, n° 9, août-septembre 1939, p. 787- 792. Voir Thierry Maulnier, Introduction à la poésie française, Paris, Gallimard, 1939.
  • [30]
    Ibid., p. 21.
  • [31]
    Wystan Hugh Auden, The English Auden : Poems, Essays and Dramatic Writings, 1927- 1939, Londres, Faber and Faber, 1986, p. 183.
  • [32]
    Ibid. Traduction : « Par tous les moyens, laissez-nous lever humblement notre chapeau pour honorer / La poésie pure, le récit épique ; / Mais la comédie doit avoir son tour d’applaudissements, elle aussi. / Que chacun donne selon ses forces ; / Nous ne pouvons vivre qu’avec un régime varié. / La fable pieuse et l’histoire obscène / Participent à l’ensemble de la gloire littéraire. »
  • [33]
    « […] the question for writers is not — how are we to disentangle art from “cultural strife” ? It is — what direction do we wish this strife to take ? » Cecil Day Lewis, « Sword and Pen », The Left Review, vol. 2, n° 15, décembre 1936, p. 794-796, citation p. 796.
  • [34]
    En français dans le texte, sans mention de traduction. Archives de la revue France Libre consultées à l’Institut Français du Royaume-Uni, Londres.
  • [35]
    Louis Aragon, Œuvres poétiques complètes, I, Paris, Gallimard, coll. « Bibl. de la Pléiade », 2007, p. 784.
  • [36]
    Heinrich Anacker, Wir wachsen in das Reich hinein, Munich, Zentralverlag der N.S.D.A.P., 1938, p. 104-117.
  • [37]
    Voir Albert Thibaudet, « Lettres et journalisme », La NRF, vol. XX, n° 117, avril-juin 1923, p. 930-938 ; Heinz Kindermann (éd.), Des deutschen Dichters Sendung in der Gegenwart, Leipzig, Philipp Reclam, 1933, p. 254-256.
  • [38]
    Louis Aragon, Œuvres poétiques complètes, I, op. cit., p. 198.
  • [39]
    Louis Aragon, « L’Homme coupé en deux », Les Lettres françaises, 9 mai 1968, reproduit dans L’Œuvre poétique, 2, op. cit., p. 13. Cité par Yves Lavoinne, dans Aragon journaliste communiste. Les Années d’apprentissage 1933-1953, Doctorat d’État, Université des Sciences Humaines de Strasbourg, Strasbourg, 1984, p. 38.
  • [40]
    Voir Myriam Boucharenc, L’Écrivain-reporter au coeur des années trente, Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2004. Et plus spécifiquement : Rino Cortiana, « Portrait du poète en reporter : Cendrars et Marinetti », dans Myriam Boucharenc et Joëlle Deluche (éds.), Littérature et reportage : colloque international de Limoges, 26-28 avril 2000, Limoges, PULIM, 2001, p. 167-186.
  • [41]
    Le poème n’est pas reproduit dans The English Auden, mais il est traduit dans l’anthologie constituée par Michèle Duclos, Poésie britannique des années trente, Talence, Presses universitaires de Bordeaux, 1996, p. 152-155.
  • [42]
    Wystan Hugh Auden et Christopher Isherwood, Journey to a War. On the War in China. With Plates and a Map., Londres, Faber & Faber, 1939 ; Journal de guerre en Chine, traduit par Béatrice Vierne, Monaco, Éd. du Rocher, 2003.
  • [43]
    Wystan Hugh Auden, The English Auden, op. cit., p. 256 ; Journal de guerre en Chine, op. cit., p. 279. Traduction : « Faites l’éloge, certes : que le chant monte et monte encore, / Célébrant la vie qui fleurit dans un vase ou sur un visage, / Célébrant la grâce de la faune et la patience de la flore ; / Il y a eu des gens heureux ; il y a eu de grands sages. / Mais entendez pleurer les victimes du jour, et sachez pourquoi : / Des cités et des hommes sont tombés ; la volonté des Méchants/ N’a jamais perdu son pouvoir ; aux princes et aux rois/ L’Assez Noble Mensonge unificateur sert toujours autant. / À notre allègre chant, l’histoire oppose sa peine immense : / Le Paradis Terrestre n’a jamais existé ; notre tiède étoile a donné naissance/ À une race prometteuse qui n’a jamais fait la preuve de sa valeur ; / L’Ouest nouveau, l’Ouest bâclé est faux ; et ce peuple passif, ce peuple-fleur / Qui depuis si longtemps dans les Dix-Huit Provinces, de tout son cœur, / A construit la terre, est prodigieux, mais il est dans l’erreur. »
  • [44]
    The English Auden, op. cit., p. 257 ; Journal de guerre en Chine, op. cit., p. 282.
  • [45]
    The English Auden, op. cit., p. 262 ; Journal de guerre en Chine, op. cit., p. 292-293.
  • [46]
    Louis Aragon, « Une saison en Asie », L’Humanité, 20 et 27 janvier 1933, p. 7 et 4.
  • [47]
    Louis Aragon, Hourra l’Oural, Paris, Denoël et Steele, 1934 ; Œuvres poétiques complètes, I, op. cit., p. 549-597.
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