Couverture de RLC_355

Article de revue

De quelques lectures frontalières

Pages 309 à 326

Notes

  • [1]
    Paul Van Tieghem, La Littérature comparée, [1931], Paris, rééd. A. Colin, 1951, p. 68.
  • [2]
    George Steiner, Passions impunies, Paris, Gallimard, coll. « Essais », 1997, p. 127-128.
  • [3]
    « Iberica II », RLC, n° 2, 2000, p. 215.
  • [4]
    Lucien Febvre Combats pour l’Histoire, [1953], Paris, A. Colin, 1965, p. 245.
  • [5]
    Compte rendu de Relire les Lettres d’Espagne de Mérimée (Paris, Classiques Garnier, 2010), RLC, n° 3, 2014, p. 379.
  • [6]
    Éditions du Rocher, 2002.
  • [7]
    Compte rendu de Max Milner. Les leçons de l’ombre (éd. Stéphane Michaud, Paris, Presses de la Sorbonne Nouvelle, 2011), RLC, n° 3, 2013, p. 367-368.
  • [8]
    (« Iberica IV », RLC, n° 4, 2005, p. 513 et « Iberica VI », RLC n° 2, 2010, p. 235).
  • [9]
    Jean Rousset, La Littérature baroque en France, Paris, Corti, 1954, p. 253.
  • [10]
    La Littérature générale et comparée, Paris, A. Colin, 1994, p. 116.
  • [11]
    Yves Clavaron, Petite introduction aux Postcolonial studies, Paris, Kimé, 2015, p. 13-15.
  • [12]
    Minuit, 2002.
  • [13]
    Hazan, 2014.
  • [14]
    Jean Seznec, La Survivance des dieux antiques [1940], Paris, Flammarion, 1980 et 1993.
  • [15]
    Georges Didi-Huberman, L’Image survivante, Paris, Minuit, 2002, p. 254.
  • [16]
    Ibid., p. 500.
  • [17]
    Plon, 1984, p. 21-22.
  • [18]
    Anne-Laure Amilhat, Qu’est-ce qu’une frontière aujourd’hui ?, Paris, PUF, 2015.
  • [19]
    Ernst Hans Gombrich, op. cit., p. 298 et Georges Didi Huberman, op. cit., p. 498.
English version

1 Il est entendu que le comparatiste n’envisage la réalité de la frontière que pour en changer la nature ou la fonction qui est d’ailleurs autant celle d’unir que de séparer. Amateur d’« affinités électives », il lui arrive cependant, comme dans le débat qui oppose Edouard et Charlotte dans le chef-d’œuvre de Goethe, d’adopter le point de vue du premier et donner raison aux « artistes de la séparation » (Scheidekünstler) : par exemple renoncer à la recension d’un travail qu’il tient pour trop éloigné de la discipline qui est la sienne ou trop étranger à certaines de ses pratiques, acquises et définies au fil des ans, et par là même oublier le bel idéal défendu par la seconde, celui des « artistes de l’union » (Einungskünsler). C’est, semble-t-il, le parti que nous avons adopté, tant il est vrai que nombre d’ouvrages ici réunis auraient fort bien pu être oubliés, ou plus exactement être écartés. Aussi l’un des objectifs de cette « étude critique » est-il de réfléchir sur un geste qui ne semble pas « comparatiste » : la mise à l’écart, la « séparation ». De fait, nous renvoyons plutôt dos à dos les positions défendues par nos deux personnages, en rappelant (un rappel qui nous fait remonter, sans aucun état d’âme, au manuel de Paul Van Tieghem que notre discipline « a pour but de décrire un passage[1]) » (italique de l’auteur). Cette description qui est d’abord une traversée des différences fait du comparatiste ce qu’on peut appeler un « frontalier ».

2 Le mot est apparu, appliqué à la littérature comparée, sous la plume de George Steiner, dans « Lire en frontalier », repris dans Passions impunies. Il faisait réflexion sur « les Juifs (mes maîtres) » qui sont passés aux États-Unis et qui ont jeté les bases de « programmes de littérature comparée ». Et de conclure : « En conséquence, la littérature comparée porte en elle et les virtuosités, et les tristesses d’un certain exil, d’une diaspora intérieure [2] ». La formule, proche de l’oxymore, me paraît à ce point juste et stimulante qu’elle dépasse le cadre de l’exemple retenu et oriente notre discipline vers d’autres horizons de recherches. Elle nous servira aussi d’introduction à un phénomène qui, à d’autres époques et dans d’autres contextes, concerne certaines communautés juives et qui peut retenir, à ce titre, notre attention.

3 Il est d’usage que les éditions critiques ou les traductions ne fassent pas l’objet de recensions dans notre revue. Les éditions Chandeigne dont le nom est associé à la diffusion de la culture portugaise offrent deux belles éditions qui nous donnent l’occasion de rompre avec une pratique qui peut étonner quand on sait l’intérêt que suscite, chez certains de nos collègues, les études de traduction et l’utilité de traductions nouvelles dans l’élaboration et le renouvellement des programmes comparatistes. Je ne suis pas sûr que ce soit la destination des deux études qui vont être présentées, mais elles livrent, pour un bilan de l’Europe humaniste du XVIe siècle, des données nouvelles à partir ou en marge d’événements dramatiques connus : l’expulsion des Juifs de la péninsule ibérique.

4 La Consolation aux tribulations d’Israël (1553) de Samuel Usque, dans la traduction de Lúcia Liba Mucznik, en collaboration avec Anne-Marie Quint et Nicole Siganos, restitue le portrait intellectuel d’un auteur qu’on jugera secondaire, enrichi par trois études dues à Yosef H. Yerushalmi (« Un classique juif en langue portugaise », p. 7-122), à Carsten L. Wilke qui complète la première (p. 123-136) et à la traductrice elle-même qui propose en quelques pages une superbe présentation d’une œuvre quelque peu oubliée de la « Renaissance » (p. 509-514). Celle-ci est le « produit d’un syncrétisme de traditions religieuses et culturelles » dans lesquelles on reconnaîtra la chronique historique, le dialogue pastoral, l’inspiration bucolique, l’empreinte biblique tout autant que celle de la De Consolatione philosophiae de Boèce. Sur l’homme, on en sait plus à présent grâce à la thèse de Maria Teresa Guerrini sur le milieu de Ferrare, ville où s’est fixé l’imprimeur Abraham Usque, un cousin peut-être de Samuel. De ses presses, sortira en 1553 la Consolation. Samuel Usque est un agent commercial au service de la famille Mendes de Luna, passablement déchirée par des problèmes financiers. Sa culture repose sur « la littérature contemporaine en latin » et les « quatre langues romanes » (p. 134). Il se montre habile à exploiter des sources de seconde main et plus encore des textes anti-juifs qui seront utilisés « à rebours » (p. 48 et 128-129), en particulier dans le IIIe dialogue qui « s’approprie » la Forteresse de la foi/Fortalitium fidei du franciscain Alonso de Espina, recteur de l’université de Salamanque.

5 Le « déguisement » pastoral est de mise à l’époque : sont mis en scène des « prophètes momentanément déguisés en bergers » (p. 56). Icabo/Jacob représente l’ensemble du peuple juif tandis qu’à Numeo est confiée la tâche d’annoncer la « Rédemption » vers laquelle « le livre tout entier est tendu » (p. 57). L’une des originalités du texte est d’offrir de très nombreux détails historiques concrets (rumeurs accusant les Juifs d’avoir empoisonné les puits, conversions forcées…). Ces « conversos » ont plus particulièrement cultivé le genre pastoral (p. 102). Le phénomène avait retenu l’attention d’Américo Castro et de Marcel Bataillon dans un important article auquel nous avons déjà fait allusion [3]). Comme le rappelle Y. H. Yerushalmi (p. 102-103), il s’agit moins d’un problème qui aurait trait à l’identité juive que « des souffrances et des déchirements qu’entraîne le fait d’être chrétien convaincu, tout en sachant qu’on est d’origine juive dans une société où cela est une tache et un danger ».

6 On retiendra également la place singulière occupée par Ferrare dans l’accueil des Juifs et dans l’histoire de l’imprimerie juive, mais aussi dans la diffusion d’ouvrages en langue espagnole, en particulier la Bible. À juste titre, il est remarqué que la métaphore filée du bateau battu par la tempête de la Consolation, et qui est ici une figuration du peuple juif (p. 97), renvoie au frontispice de la Bible en espagnol (reproduit p. 507). C’est dans ce contexte culturel qu’apparaît le nom de Bernardim Ribeiro et son chef-d’œuvre, Menina e moça/Enfant et jeune fille, l’un des derniers textes imprimés par Abraham Usque en 1554, une édition posthume, ce qui pose, entre autres questions, celle de l’identité de l’auteur ; elle est ici évoquée avec beaucoup de prudence, sans que soient occultées les relations entre les hommes et les deux textes.

7 On se réjouira de disposer à présent d’une traduction due à Maryvonne Boudoy et Anne-Marie Quint, sous le titre Le Livre des nostalgies, de ce monument de la littérature pastorale portugaise. Bernardim Ribeiro, ami des poètes Sà de Miranda, Boscán et Garcilaso de la Vega, continue d’être entouré de mystères, comme on peut le constater à la lecture de la préface et de la très précieuse postface, rédigées par les deux traductrices. Celles-ci ne peuvent que rappeler l’hypothèse d’une « fiction romanesque qui témoigne du drame qu’ont vécu ceux qu’on appelle alors les “nouveaux chrétiens” ou les “marranes” déchirés entre leur ancienne foi et la nouvelle » (p. 11). Il faut reconnaître que le texte qui est traduit ajoute encore aux interrogations qu’on peut lui adresser puisqu’il est rétabli dans la forme qu’il a prise très tôt, et au long du XIXe siècle, avec l’adjonction de la suite « déroutante » (p. 7), dite suite d’Evora, publiée par l’éditeur portugais André de Burgos en 1557. D’où la forme continue donnée au texte français et l’utilité d’une note circonstanciée (n. 45, p. 340) qui signale l’endroit où s’arrêtent l’édition de Ferrare et celle de Cologne. Ainsi se trouve en partie annulé « l’inachèvement » de ce texte qui lui conférait, selon Marcel Bataillon, une « originalité structurelle » (p. 298). Ces récits de récits sont loin de posséder « le lyrisme et l’intensité d’émotion » des séquences précédentes. Pourtant, les traductrices avancent « l’hypothèse » selon laquelle ces histoires « sont, en totalité ou peu s’en faut, de la main de Bernardim Ribeiro » (p. 309), lequel marque son intention « ludique » en inventant pour ses personnages des anagrammes (comme Narbindel pour… Bernardim). Demeure néanmoins la question de la transmission d’un texte « aux Usque » (p. 312). On appréciera, dans les dernières pages de la postface, la mise en évidence de l’originalité d’un texte interprété comme une suite de « subversions » des genres littéraires contemporains : fiction chevaleresque, fiction pastorale, roman sentimental auxquelles s’ajoute une surprenante promotion accordée à « l’expression de la sensibilité féminine » (p. 323, 328). Il n’en est pas moins vrai que ce « lointain précurseur des romantiques » invente des situations où les personnages sont confrontés à des « séparations déchirantes » (p. 333) et dans lesquelles un écrivain qui continue à se dérober à toute enquête manifeste « son exceptionnel talent de conteur » (p. 334).

8 Au moment d’aborder deux travaux collectifs portant sur la seule littérature française, je ne peux m’empêcher de penser à la formule de Lucien Febvre, dans Combats pour l’Histoire qui servait à regrouper des contributions venues des « historiens de la littérature » (entendons des « francisants ») et d’autres domaines vers lesquels nous souhaiterons, à notre tour, nous aventurer : « Regards chez le voisin ou Frères qui s’ignorent [4] ». D’aucuns jugeront l’allusion anachronique, exagérée et totalement subjective. Il n’empêche : la frontière subsiste, pour beaucoup, entre les deux disciplines (la nôtre cherchant à tout prix à préserver sa spécificité) et elle justifie à mes yeux ce « regard » sans doute sévère sur une situation qui, en dépit de belles déclarations sur l’interdisciplinarité, ne cesse de susciter des méfiances et des exclusions. On jugera ici sur pièces avant d’émettre non un jugement, mais quelques réflexions.

9 Jean-Louis Benoit a été le maître d’œuvre d’un colloque, tenu à l’Université de Bretagne-Sud/Lorient en 2013, original, ambitieux (400 pages grand format) dans le meilleur sens du terme, utile, ajouterons-nous, consacré à « La Vierge Marie dans la littérature française ». Les actes regroupent une quarantaine de communications, depuis le Moyen Âge jusqu’au… XXIe siècle, avec le témoignage du poète Jean-Pierre Lemaire. Nous nous attarderons sur l’introduction, dense et suggestive, de J.-L. Benoit (p. 9-16), qui dépasse la simple présentation et glose des travaux réunis et qui m’apparaît comme un petit discours de la méthode.

10 Il est d’emblée question de « représentation », de « transposition » littéraire, « entre l’expérience de la foi et l’expérience littéraire », deux notions essentielles à la réflexion comparatiste, qu’il s’agisse de thématique, de mythes, d’« images ». L’entrée du présent sujet en littérature correspond, entre autres desseins, à celui de redonner une place jusqu’à présent « timide », à un thème largement exploité par les historiens et les historiens de l’art, à montrer aussi comment très tôt Marie devient un « personnage ». On soulignera — autre heureuse initiative — la volonté d’inscrire une réflexion « littéraire » dans « la longue durée », de mettre ainsi au jour de possibles « invariants », en n’ignorant rien de la nécessité de « contextualiser » les œuvres retenues ; de s’avancer enfin, dans le meilleur des cas, vers une « histoire littéraire du culte marial » pour dépasser la simple « anthologie ».

11 La perspective historique oblige à mettre en lumière des « jalons », des temps forts. Le Moyen Âge (le grand oublié dans nos études comparatistes, soit dit en passant) est le premier et le plus évident avec, par exemple, les Miracles de Notre Dame et la Vierge assimilée à la dame courtoise. Le XVIIIe est le moins riche, pour d’évidentes raisons idéologiques. Deux chapitres intermédiaires (« La Vierge mise en scène » et « La Vierge entre Moyen Âge et époque moderne ») permettent en quelque sorte de ne pas trop juxtaposer temps anciens et « modernité », de montrer comment, au moment des guerres de religion, Marie devient une « référence identitaire forte » pour les catholiques, enfin d’accorder au théâtre une place non négligeable. Mais la grande surprise est de découvrir un XIXe siècle présenté comme « le grand siècle marial », celui où s’affirme une « renaissance mariale ». On ne peut s’empêcher de penser, en contrepoint, à la thèse de notre collègue Stéphane Michaud, Muse et Madone (Paris, Seuil, 1985). Si Huysmans inspire rien moins que trois communications, Chateaubriand, le Victor Hugo de Notre-Dame de Paris, Joséphin Péladan ne sont pas oubliés et il convient de noter d’autres centres d’intérêt qui orientent la réflexion vers ce que les comparatistes appellent (ou appelaient) l’histoire des idées : la Vierge fin-de-siècle co-rédemptrice (Gaël Prigent), les apparitions mariales (Pascaline Hamon), les relations entre dévotion mariale et politique (Earl Jeffrey Richards). Une autre surprise est celle qui nous fait découvrir la richesse du XXe siècle, même si des noms sont en quelque sorte attendus : Francis Jammes, Péguy (abordé par J.-L. Benoit), Claudel (avec Dominique Millet-Gérard), Simone Weil, Marie Noël. Mais il s’en faut que les contributions s’apparentent à des monographies : le mot est honni des comparatistes et j’ai souhaité bien sûr le réhabiliter, sous l’autorité de… Lucien Febvre, à propos du travail d’un « comparatiste », François Géal, sur Mérimée [5]. Aussi saura-t-on gré à J.-L. Benoit d’avoir retenu nombre d’interventions qui ressortissent à l’histoire des idées et montré diverses facettes de ce qui est appelé une « récupération » politique : Marie (la Vierge de La Salette) dans la théologie politique française (Jacques Marx), Marie et la décolonisation (due à notre collègue messin Pierre Halen), Marie face à la postmodernité (Daniel S. Larangé). Et encore : Marie dans la littérature de jeunesse (Danièle Henky), autant de variations que je souligne de la « formule » canonique « X et Y » qui définirait, depuis le fameux manuel de Cl. Pichois et A.-M. Rousseau, la spécificité du questionnement comparatiste.

12 Marie n’a pas été oubliée, bien sûr, dans le Dictionnaire des mythes féminins dirigé par Pierre Brunel [6]. L’article est dû à Anne-Marie Pelletier. On peut s’adonner à une… comparaison entre les deux ouvrages et voir comment, à l’évidence, le corpus retenu dans le Dictionnaire est plus large et varié, accordant une part attendue aux lettres espagnoles, mais aussi à Novalis et Rilke. Mais le cadre, depuis Saint Bernard jusqu’à Marie Noël, reste le même. Sans doute la dimension mythique n’est-elle pas sensible dans le colloque : elle est diffuse. La différence d’approche entre les deux ouvrages serait donc bien, essentiellement, une question de corpus, la littérature comparée privilégiant la « dimension étrangère ». Il n’en reste pas moins que les actes de ce colloque constituent une sorte de somme qui fait constamment passer du sacré au profane, de la « figure » au « personnage », de l’archétype virginal au substitut féminin, du topos (de l’apparition, par exemple), de la prière, du répertoire dévotionnel à l’imaginaire littéraire. Ils représentent enfin une remarquable leçon d’étude « thématique ». À ce titre, ils complètent, à quelques décennies de distance, l’autre leçon donnée par le « francisant » Max Milner avec sa thèse monumentale sur… le Diable (dans la littérature française) qu’à la faveur d’un hommage j’ai souhaité « revisiter [7] ».

13 Il n’est pas sûr que la « dimension étrangère » continue d’être une spécificité comparatiste lorsqu’on aborde la littérature de voyage. Le genre est plutôt difficile à définir, comme le rappelle, dans une brève introduction, François Moureau, coordinateur, en collaboration avec Marie-Christine Gomez-Géraud et Philippe Antoine, d’un volume intitulé Itinéraires littéraires du voyage. L’ouverture sur l’étranger, ou mieux encore l’expérience de l’étranger est dans ce cas essentielle, constitutive du genre, quelle que soit l’origine ou la nationalité des voyageurs. Ils sont tous ici français, de Montaigne à Jean Rolin, en passant par Flaubert, Barrès, Morand et Gide, pour ne citer que les plus connus. Mais il y a d’heureuses et curieuses découvertes (ou relectures) avec Marie de Ujfalvy-Bourdon, la « Parisienne qui visite l’Himalaya », la Canadienne Gabrielle Roy, Jean de Thévenot, Cavelier de la Salle, Regnard… Sur la trentaine d’articles, nombreux sont ceux qui peuvent être lus comme des sortes de monographies, surtout lorsqu’ils concernent des voyageurs (ou des voyageuses) peu connus. Mais quelques-uns portent sur des thèmes originaux ou transversaux : le monde des saveurs chez les voyageurs du Moyen Âge (Caroline Prud’homme), le recours à l’image et à la photographie (Claude Reichler, Danièle Méaux), la poésie des ruines dans la Sicile du début du XIXe siècle (Giuseppina Tardanico), l’utopie et les « îles voyageuses » (Arlette Fruet), les procédés d’auto-dénigrement et d’autodérision (Odile Gannier), le « paradigme » du voyage au Brésil entre littérature et savoir (Jean-Claude Laborie). On retrouve une question expressément définie comme relevant de la littérature comparée (p. 253) avec les versions italiennes et françaises du Devisement du Monde de Marco Polo (Philippe Ménard).

14 Le plan adopté retiendra l’attention en ce qu’il recoupe des axes de travail connus et pratiqués par le comparatiste : une sorte de typologie fondée sur l’écriture des « voyageurs et des voyageuses » ; les « images » du voyage ; l’espace et les itinéraires « de la Méditerranée aux Orients » ; « poétiques » du voyage ; enfin un retour au contemporain envisagé comme « dernier siècle des voyages ». Et plus encore, au long des siècles traversés, on appréciera les nombreuses notations qui mettent l’accent sur les originalités d’une écriture « viatique » et sur les caractéristiques d’un genre « métoyen », mot du XVIIe siècle qui, comme le rappelle F. Moureau, définit un genre… « indéfinissable », aux frontières floues et instables, allant du romanesque à l’autobiographie, de l’enquête, du reportage à la confession, du traité aux mémoires, passant de l’effet littéraire, voire du cliché, à la volonté informative, jouant sur le familier et l’étrange, tout autant que sur l’étranger proprement dit. La question du corpus, de sa nationalité est, on le voit, bien dépassée : l’ouvrage, dans son esprit comme dans ses grandes lignes, est pleinement « comparatiste ». Ou relevant, par l’attention portée tout à la fois sur l’histoire culturelle et la poétique, d’une littérature qu’il faut appeler « générale ».

15 C’est un partisan déclaré de cette appellation que nous retrouvons, à la faveur d’une version espagnole d’un de ses cours au Collège de France (1952- 1953) : Marcel Bataillon, premier président de la SFLC (devenue SFLGC) et directeur pendant de longues années de la présente revue (rappel à l’usage des jeunes générations). Grâce à Carlo Ossola, assisté par Angela Guidi, ce cours consacré à « Cervantès et le Baroque » a pu être édité (et traduit, brillamment, me semble-t-il, en espagnol par Julián Mateo Ballorca). Si l’on en croit la brève notice introductive de Claude et de Gilles Bataillon, une version française devrait prochainement sortir. Elle s’ajoutera à d’autres précieuses publications dont il a été ici rendu compte [8].

16 Bataillon part d’une constatation ponctuelle : on a beaucoup « baroquisé » Cervantès ces derniers temps. Or, la notion de baroque est, précise-t-il, une catégorie qui « nous » est étrangère. Ajoutons, parfois encombrante, à preuve la très curieuse note (une dédicace) que lui adresse le grand germaniste et comparatiste Fernand Baldensperger lui demandant son aide dans la « lutte contre les excès du baroque » (p. 13-14). Nous sommes à peu près au milieu du siècle dernier… Rappelons que, l’année suivante, sortira la thèse de Jean Rousset sur La littérature baroque en France. Elle amorce une « réhabilitation [9] » qui montre, comme a contrario, le bien fondé du propos premier de Bataillon quand il procède à un « travail de nettoyage intellectuel » (p. 199). Celui-ci propose en effet une analyse critique serrée de la notion de baroque et, plus encore, de ceux qui la défendent et l’illustrent parfois d’une façon jugée intempestive : Joaquín Casalduero et Helmut Hatzfeld. Bataillon est ainsi amené à procéder à une révision de l’histoire artistique et culturelle : critique de l’interprétation donnée a posteriori de la « contre-réforme tridentine », rétablissement d’un « classicisme vitruvien » avec l’Escorial comme modèle, récusation d’une idée (d’un idéal) ascétique, défendue par Hatzfeld.

17 Puis il en vient à une relecture systématique de l’œuvre de Cervantès : une admirable leçon de critique littéraire. D’abord, l’examen du théâtre qui répond à un certain « classicisme » propre à l’époque de Philippe II, vite balayé par le triomphe de Lope de Vega, du goût « lopesque », là où d’autres voient un « premier » baroque (encore Casalduero…) (p. 56-57). La pastorale nous ramène à un esprit « Renaissance » (p. 99). Pour ce qui est des Nouvelles exemplaires, il affiche ses réserves face au recours à un vague Zeitgeist pour expliquer une œuvre novatrice. Plus encore, il est contre le projet (celui de Casalduero…) de lire cet ensemble de textes comme s’il s’agissait d’une seule et même œuvre, un « tout organique » (p. 101-102, 112). C’est pour lui l’occasion de se livrer à quelques belles explications de textes. Bataillon parie sur le romanesque, sur l’homme Cervantès, non sur « l’entité prodigieuse » forgée par Casalduero (p. 122). La lecture du Colloque des chiens n’appelle aucun recours à la notion de baroque ; au contraire, Bataillon met en avant une continuité avec un esprit de la Renaissance, une Renaissance tardive (p. 141).

18 L’examen du Don Quichotte l’amène à changer de cible : non plus Casalduero mais Hatzfeld qui voit dans le chevalier à la Triste Figure le triomphe de l’homme ascète dont aurait besoin une certaine Contre Réforme (p. 153). L’examen de la structure de l’œuvre achève de ruiner toute interprétation baroque : il s’agit simplement de suivre un écrivain qui « improvise comme un compositeur […] devant son clavier » (p. 159). C’est le principe du mouvement qui se prouve en marchant : vires adquirit eundo… Plus précisément, il pose clairement les trois « claviers » sur lesquels Cervantès improvise : les aventures du chevalier, les épisodes amoureux, les discussions littéraires. Bataillon est catégorique : Don Quichotte « n’est pas l’étude d’une âme », ni « l’expression involontaire de l’idéologie d’une époque ». Il est « avant tout une création volontaire et libre de l’imagination de Cervantès » (p. 167). S’il accepte un parallèle avec Velázquez, suggéré par Américo Castro (le peintre dans son tableau), c’est pour rappeler que « l’œuvre rivalise avec le réel qu’elle recrée » et que l’œuvre d’art « implique une technique et une grande part d’artifice » (p. 169).

19 Il est vrai que le Persiles l’amène à quelques concessions : d’abord reconnaître que ce dernier roman est « construit », à la différence du Don Quichotte, et qu’il s’agit du « testament d’une vieillesse dévote » (p. 185) ; ensuite, proposer, dans ce cas précis, une « forme proprement cervantine de ce que l’on peut appeler “baroque tridentin” » (barroco trentino) (p. 197). Or, ce baroque n’est pas en rupture avec l’esprit de la Renaissance, il relève d’une Renaissance tardive, une « Spätrenaissance » (p. 202-205). Mais en aucun cas il ne peut être question d’un « homme baroque », tout au plus un « goût artistique qu’on peut appeler baroque si l’on veut » (p. 211). L’étude à laquelle Bataillon a procédé sur le baroque lui a permis de « dissiper des nuées idéologiques » et de « voir clair dans une histoire littéraire concrète » (p. 212).

20 Il terminera en plaidant, de façon sobre et ferme, pour des études « à la fois structurales et stylistiques appliqués aux différents genres » (p. 212). Cet objectif critique s’inscrit pleinement dans la perspective d’une littérature générale. Et c’est dans cet esprit qu’il proposera, quelques années plus tard, au fameux congrès de l’AILC de Chapel Hill (1958), un nouveau plaidoyer pour une « histoire exigeante des formes », et pour une littérature « générale » à partir d’un seul exemple : La Celestina. J’ai tenu à rappeler cette leçon administrée avec simplicité et rigueur dans mon manuel, au chapitre des « Formes, genres, modèles [10] ».

21 C’est encore une autre forme de littérature « générale » appliquée aux lettres espagnoles que propose Loreto Busquets, dans un recueil de seize études consacrées aux rapports entre littérature et pensée sociale et politique. Le parcours va de la Renaissance au XXe siècle, avec une préférence pour la période entre Lumières et Romantisme. Trois approches ont été privilégiées : le structuralisme, la stylistique ou la méthode historico-philologique et l’histoire des idées. Ces orientations sont sensibles dans des lectures de poésies (la comparaison entre le Phaéton de Luigi Alamanni et celui de Francisco de Aldana), mais surtout dans les relectures de pièces de théâtre, souvent connues, qu’il s’agisse de La vida es sueño de Calderón, lue comme une apologie de la monarchie chrétienne, de la Lucrecia y Tarquinio de Rojas Zorrilla, envisagée comme le conflit de la fin et des moyens, les limites d’une certaine idéologie bourgeoise dans la comédie de Moratín, El Sí de las Niñas, l’écriture de l’Histoire dans le Don Alvaro du Duc de Rivas ou du thème de la « pureté ethnique » (limpieza étnica) dans La morisca de Alajuar du même Rivas.

22 Attentive au climat social et culturel, l’hispaniste s’élève contre l’idée d’une Espagne rétrograde. Aussi revient-elle sur des œuvres ou des genres qui ont été, selon elle, mal interprétés, mal traités, comme la tragédie néo-classique ou telle tragédie oubliée, comme la Lucrecia de Joan Ramis i Ramis, Idomeo, la tragédie « philosophique » de Cienfuegos dont elle met en évidence l’athéisme, la réélaboration des sources (Racine, Legouvé) dans Polixena de « l’abbé » Marchena ou l’idéologie « réactionnaire » de la Virginia de Tamayo y Baus. Plus proche de nous et passant du domaine castillan au catalan, elle offre deux stimulantes lectures de la fresque de Narcis Oller, La febre d’or et du Pianista de Vázquez Montalbán. On appréciera la constante rigueur et la finesse dans l’analyse, une érudition vaste et maîtrisée et, plus encore, dans ces articles qui ont parfois la vigueur de l’essai, l’invitation quasi constante à entreprendre des révisions, voire des réhabilitations.

23 Nous restons encore dans le XIXe siècle et dans une littérature « générale » avec le colloque international organisé à Coïmbre en 2011 et publié en 2013 sous le titre « Le Siècle du Roman »/O século do Romance. Un sous-titre « Réalisme et naturalisme dans la fiction du XIXe siècle » vient opportunément préciser l’optique d’un ouvrage volumineux (686 pages…), coordonné par António Apolinário Lourenço, Maria Helena Santana et Maria João Simões, membres du Groupe de recherches « Littératures sans frontières » du Centre de Littérature portugaise de l’Université de Coïmbre. Cette sorte de double appartenance explique en partie le caractère double ou la tension qui parcourt un vaste ensemble de cinquante communications réparties en neuf sections : d’un côté, la part importante accordée à la littérature portugaise et singulièrement aux deux grands romanciers Camilo et Eça de Queirós (sections V et VI) ; de l’autre, des ouvertures appréciables sur les littératures brésiliennes et européennes (sections VIII et IX). On comprendra que, face à l’étonnante diversité et la richesse des travaux, notre attention se fixe plutôt sur les sections qui se présentent comme générales ou transversales (I à IV et VII).

24 Dans la première section, « La république réaliste », Philippe Dufour met l’accent sur les relations entre le réalisme et une certaine pensée de la démocratie, mais aussi (la nuance est appréciable) sur la mobilité sociale et la promotion des classes moyennes. Dans cette optique, on retiendra deux communications plus ponctuelles, moins ambitieuses, mais éclairantes, sur deux types sociaux relativement nouveaux : le « commis aux écritures » dans le roman naturaliste (Hélène Campaignolle-Catel) et les « bonnes » (criadas) dans le roman « réaliste » portugais (Maria Helena Santana). Du type on passe au « personnage » (section II), revisité par deux maîtres : Carlos Reis et Dario Villanueva, avec, respectivement, une contribution sur un personnage emblématique du roman queirosien, le poète Tomás Alencar, et une vigoureuse synthèse qui déplace la question du réalisme vers le lecteur et la « lecture intentionnellement réaliste ». Dans « Le(s) discours du réalisme » (Section III), le pluriel hypothétique montre avec prudence la diversité nécessaire et, somme toute attendue, autour d’une notion évidente et passablement fuyante. Ce sont de fait des aperçus divers et là encore nouveaux qui sont apportés : la criminologie avec le célèbre roman de Stevenson Dr. Jekyll and Mr. Hyde, le jeu parodique et le pastiche comme variante « réaliste », le réalisme comme style de la démocratie, l’alliance nouvelle de l’écrivain et du journaliste, enfin une forme originale de récit court, les « phototypies » de José Augusto Vieira sur les classes sociales du Minho.

25 Sous le titre « Littérature et autres arts », la section IV ménage d’utiles ouvertures sur les domaines plastiques. Relevons toutefois la diversité des questions abordées, depuis celle, toute matérielle, du livre illustré (Jean-François Botrel) jusqu’au personnage du peintre dans un roman queirosien, A tragédia da Rua das Flores (Ofelia Paiva Monteiro), en passant par la place de la peinture dans l’esthétique queirosienne (Isabel Pires de Lima) et l’adaptation en bandes dessinées de Machado de Assis (Maria Aparecido Ribeiro). Notons également comment l’espace est lentement et sûrement occupé par un « réalisme » multiforme au détriment du « naturalisme ». Cette tendance s’accentue dans les sections consacrées aux univers romanesques bien opposés de Camilo et de Eça de Queirós. Détail significatif : la section VII, intitulée « Réalisme et érotisme » et qui aborde de fait les personnages féminins regroupe des contributions qui concernent le réalisme, comme la très longue intervention de A.A. Lourenço sur trois versions du bovarysme au Portugal, en particulier O Primo Basílio de Eça de Queirós (p. 429-452) ; mais aussi d’autres qui font référence au naturalisme, par exemple celle présentée par Maria do Carmo Pinheiro e Silva Cardoso Mendes sur la démystification de don Juan dans le roman naturaliste portugais (Abel Botelho et Luis de Magalhães), un thème sur lequel nous allons revenir. Les contributions sur la littérature brésilienne (section VIII) mettent l’accent, à juste titre, sur l’union ou le dialogue entre les deux esthétiques, en particulier avec le célèbre roman d’Aluisio de Azevedo, O Cortiço, et aussi chez Joaquim Manuel de Macedo, tandis que Machado de Assis affirme son irréductible originalité, au-delà de toute tentative d’enrôlement esthétique par la critique.

26 Le Naturalisme revient en force dans la dernière section avec des contributions sur Zola. On relèvera l’utile contribution sur la romancière espagnole Emilia Pardo Bazán et son rôle dans la diffusion du naturalisme français (Marisa Sotelo Vázquez). Mais la dimension symbolique dans les romans « réalistes » de Pereda et de Pérez Galdós et la présence en conclusion de Tolstoï (avec trois communications) achèvent d’accorder au réalisme une place assurément dominante mais riche en complexités et ambiguïtés. Quoi qu’il en soit, on ne saurait dénier à ce colloque une audace et une ambition dignes d’éloge et une évidente utilité pour de nouvelles lectures.

27 C’est une contribution à la littérature comparée bien originale que propose Maria do Carmo Cardoso Mendes, déjà citée, avec sa thèse sur le mythe de don Juan, intitulée Don Juan (ismo) O mito. Cette très vaste recherche (574 pages), cette enquête scrupuleuse porte sur la seule littérature portugaise, à partir du moment où don Juan fait son apparition au Portugal, en 1775, sous la forme d’un livret anonyme, une adaptation de Molière, sous le titre O Convidado de Pedra ou D. Juan Tenorio, o Dissoluto. Une première partie d’une brièveté surprenante (p. 13-17) signale une des caractéristiques de la diffusion du mythe (ou du thème…) au Portugal : l’entrée tardive d’une histoire, d’un scénario, d’un personnage issu de deux traditions culturelles étrangères (espagnole et française), d’où l’évidente dimension comparatiste. La chronologie explique en partie le choix d’un plan simple en deux parties correspondant en gros au XIXe et au XXe siècle (p. 21-367) et à l’époque « contemporaine » réduite à la « fiction » (p. 369-517).

28 On assiste de fait, dans la première partie, à une relecture continue, attentive de la littérature portugaise depuis le fameux Viagens na minha terra d’Almeida Garrett, chef-d’œuvre du « premier » romantisme, jusqu’à la pièce de théâtre de José Saramago, Don Giovanni ou o dissoluto absolvido, placé « sous le signe » de Mozart. Par une sorte de fatalité, il semble que ce soit don Juan qui fasse l’objet d’un catalogue qui fait songer à celui que débite Leporello dans l’opéra de Mozart… Il faut chercher les raisons de cette impression de lecture d’une part, dans le principe de « dissémination », une autre manière de mettre en évidence la faible implantation du « mythe » renvoyant à un modèle et à une histoire à séquences et à variantes ; d’autre part, plus sûrement, à un principe que j’appellerais d’« euphémisation » qui fait défiler une galerie de figures donjuanesques : dès le début avec Almeida Garrett, c’est Carlos le « dandy » et « l’homme fatal » (p. 34-47) ; c’est aussi ce qui est appelé, de façon pittoresque et juste, « l’érosion » de don Juan, du mythe, avec le motif de la « femme fatale » chez Camilo, et le « don juanisme féminin » qui fait son apparition avec A morte de D. João, poème dramatique de Guerra Junqueiro (pp. 104-189). Et, à nouveau, le « dandy » avec Eça de Queirós, la forme « portugaise » d’un certain don Juan, le « marialva » (pp. 225-233), la variante romantique et fin-de-siècle du « lion » (pp. 234-257) qui va finir ses jours « domestiqué » (autre belle image…), l’inversion du processus de séduction (séduction féminine), enfin le « crépuscule » du séducteur avec le D. João e a Máscara « fable tragique » d’António Patrício (p. 322) et A última noite de D. João (1948) de Fernando de Araujo Lima qui ne semble pas avoir été influencé par la pièce d’Edmond Rostand (p. 333).

29 Dans le second passage en revue, c’est encore la notion d’« érosion » qui est mise en avant dans l’examen de la production romanesque de la génération de « Presença » (p. 420). Ce sont aussi les figures du « bel ami » et du « marialva » qui reviennent (pp. 430-455), voire d’un certain « donjuanisme romantique » avec le roman à succès de David Mourão-Ferreira, Um amor feliz (1986) qu’il faut peut-être lire au second degré et dans l’optique du séducteur/ séduit, une des situations sentimentalo-érotiques exploitées par David dans sa poésie ou dans cette curieuse fausse confession qu’est Jogo de espelhos (1996), en particulier la partie intitulée « Da sedução e das sedutoras ». Sans paradoxe aucun, tout est dit, semble-t-il, en ce qui concerne « notre » époque avec la réflexion de l’humoriste espagnol Mingote (citée p. 368) qui constate une « impossibilité » d’existence actuelle de don Juan, compte tenu des réactions de n’importe quelle jeune fille : l’éclat de rire face aux manœuvres du séducteur et à sa prétention de la tromper en se faisant passer pour un autre (version plutôt molinesque, on le voit). De plus, remarque non dénuée de bon sens : « aujourd’hui on n’éteint plus la lumière »…

30 Il est question ici de « donjuanisme » et de l’inversion d’une intrigue donjuanesque, plus précisément du rapport de force entre l’homme et la femme. De plus, il y a, diffuse au long de l’étude, une question évidente et lancinante : la réception problématique par « le » Portugal d’un élément littéraire et culturel venu du voisin hispanique, d’où la dimension comparatiste. Notons qu’il est d’ailleurs pour le moins frappant que le Dictionnaire de Don Juan (coordonné par P. Brunel) comporte, exception confirmant la règle des noms d’auteurs ou des titres d’œuvres, une entrée « Portugal, Don Juan au », entrée sur la pointe des pieds… Aussi saura-t-on gré à Maria do Carmo Cardoso Mendes d’avoir suivi avec rigueur et érudition les métamorphoses du donjuanisme en terre lusitaine.

31 Comment un historien va-t-il aborder un sujet qu’aurait pu traiter un comparatiste ? Le sujet, si l’on s’en tient au titre : Suisse-Portugal : regards croisés (1890-1930), renvoie, pour le comparatiste, à des questions de relations interculturelles (contacts, diffusion d’informations, intermédiaires, voyageurs, traductions), envisagées ici dans les deux sens, insistons sur l’optique originale, ainsi qu’à des problèmes de représentations, voire d’imagologie. Reto Monico (Université de Genève) répond à cette question avec une grosse thèse (565 pages), superbement documentée et plus encore richement illustrée, et qui m’est parvenue bien tardivement en compagnie d’autres travaux passionnants sur l’histoire culturelle et politique du Portugal. L’une des originalités majeures (et donc sa différence avec une étude « littéraire ») est le recours systématique à la presse périodique, voire à une méthode quantitative (p. 482). La presse étudiée est helvétique (on appréciera le tableau qui matérialise les enquêtes effectuées, p. 27-28) puisque la presse portugaise ne parle « pratiquement pas de la Suisse » (p. 27). Un correctif sera quand même apporté avec une enquête évidemment rapide (chap. VII, p. 421-446) et il faut également signaler une source qui a été, semble-t-il, d’une grande utilité : les archives du Vicomte de Faria, consul à Lausanne (p. 30). D’entrée de jeu, la relation « maître/élève », le maître helvétique et l’élève portugais (p. 19), signale une évidente asymétrie dans les rapports et les mouvements d’intérêt ou d’opinion. Un correctif important : il s’agit de « deux petites puissances qui sympathisent à distance ».

32 En une suite souple de huit chapitres, seront successivement étudiés : la situation et l’évolution politique du Portugal « vues » par la presse suisse (« journaux catholiques », « presse libérale et radicale » et « les journaux de gauche »), avec comme temps fort la reconnaissance par la Confédération helvétique de la jeune république portugaise (p. 193) ; puis l’entrée du Portugal dans la Grande Guerre, longuement détaillée ; enfin, la chute de la république, la dictature militaire et « l’entrée en scène » du Dr Salazar, plutôt bien accueilli (p. 334-343). On retiendra, en complément à l’analyse politique, les rapports des deux consuls suisses au Portugal (p. 184-192) et les témoignages de « quelques voyageurs suisses au Portugal », issus de l’examen de la presse (p. 344-350). Et encore, les études sur trois diplomates portugais à Berne, avec une attention toute particulière portée au poète républicain Guerra Junqueiro (p. 371-388) ou celles sur les « images rêvées et perçues », enfin la partie consacrée aux « Voyages et littérature » (p. 447-466) où l’on trouvera la lettre de Eça de Queirós à sa femme, écrite à Montreux, quelques semaines avant sa mort. Jugement sur la Suisse (en français dans le texte) : « Elle est fade — très fade » (p. 458). Plus enthousiaste est le roman pour adolescents aux nombreuses rééditions de Virginia de Castro e Almeida, Em pleno azul. De ces quelques images on passera, pour conclure (chap. VIII : « La Suisse au Portugal »), à une possible « projection mythique » : idée avancée avec un point d’interrogation qui paraît de mise puisqu’il s’agit de fait de deux influences du modèle suisse au Portugal, portant sur la réforme de l’armée et sur la diffusion des idées pédagogiques, le célèbre Pestalozzi, mais aussi d’Edmond Claparède et d’Adolphe Ferrière.

33 Il est dommage que l’enquête s’arrête au moment même où l’arrivée du Dr Salazar va susciter en Suisse l’intérêt d’au moins une personnalité de premier plan, tant dans le domaine littéraire qu’au plan des idées (fort traditionnelles), le patricien fribourgeois Gonzague de Reynold. L’optique essentiellement politique a comme conditionné la priorité donnée à l’analyse détaillée d’une période mouvementée. Une autre coupe chronologique, avec l’apparition d’autres thèmes et d’autres objectifs, aurait permis d’enrichir et de nuancer le bilan, mais, à coup sûr, ne l’aurait pas substantiellement changé.

34 Dans ce parcours qui est effectué à la lisière du champ comparatiste, j’aimerais faire une incursion, trop brève assurément, dans un domaine indivis entre littérature française et littérature comparée : la francophonie. Deux ouvrages collectifs, de nature et de portée différentes, centrés sur deux auteurs, coordonnés par deux collègues comparatistes, invitent à dégager et à légitimer ce que peut être — une parmi d’autres — une approche comparatiste.

35 Mentionnons d’abord le très volumineux hommage (1289 p.) rendu à Albert Memmi par Guy Dugas (Université de Montpellier) et son équipe, à partir d’une suite de textes qui ressortissent à un genre reconnu, mais dans d’autres contextes et pour des siècles plus anciens : « le portrait » qui permet à Guy Dugas de donner quelques belles pages sur une question qui ne relève pas seulement de la poétique. Répondant aux critères de la génétique textuelle définis par Pierre-Marc de Biasi, cette « édition critique » propose, en une suite continue de genèses dont on appréciera la parfaite érudition, suivies de très riches éléments critiques, cinq textes majeurs : Portrait du colonisé précédé d’un Portrait du colonisateur, Portrait du décolonisé arabo-musulman et de quelques autres, Portrait d’un juif, La Libération du juif, enfin L’Homme dominé. Chacun de ces textes a fait l’objet de rééditions, d’où l’intérêt de suivre par le menu (avec inscriptions des ajouts et des corrections) non seulement la logique d’une écriture, le dynamisme étonnant d’une pensée, mais aussi le mouvement des idées (politiques, sociales, philosophiques) qui couvrent plus d’un demi-siècle.

36 Si l’on prend un seul exemple, le dernier, L’Homme dominé, nous sommes face à une première édition en 1968, suivie de trois autres, pour arriver à celle de 2010 qui est retenue. Mais la préhistoire du texte est restituée et, plus encore, sous forme de « Dossier de réception », des éléments particulièrement éclairant sur les premières « lectures ». Citons celle de Jacques Berque qui souligne « l’analyse différentielle » à laquelle Memmi s’est livré, le caractère composite de l’œuvre relevé par Claude Roy, l’enthousiasme d’Etiemble… On comprendra qu’il est impossible d’entrer dans le détail d’un travail à la fois gigantesque et minutieux. Tout au plus, mentionnons une des présentations de l’œuvre, une « entrée » possible, « Procès du postcolonial au Maghreb » que le maître d’œuvre a souhaité faire en deux temps, en deux « épisodes », en ouverture (p. 21-34) et en conclusion (p. 1249-1256). Non sans raison, Guy Dugas met en évidence la place secondaire, voire l’oubli, d’Albert Memmi, dans le grand débat ouvert par les études postcoloniales et qui intéresse au premier chef les collègues comparatistes qui se sont spécialisés dans ce champ de recherches. Le hasard de l’actualité fait que l’analyse de Guy Dugas se trouve (heureusement) contredite par la sortie d’un « petit » mais dense essai, dû à notre collègue Yves Clavaron (Université de Saint-Étienne), Petite introduction aux Postcolonial studies (176 pages) dans laquelle la présentation de Memmi figure en bonne place, entre celles d’Aimé Césaire et de Frantz Fanon, en tant que « penseurs francophones du combat anti-colonial [11] ». L’histoire (pas seulement de la littérature) est bien en marche…

37 C’est vers une autre réhabilitation, dans le même contexte « anti-colonial », que nous nous tournons avec un hommage utile et mérité à l’écrivain martiniquais Vincent Placoly (1946-1992), trop tôt disparu, sous la responsabilité de Jean-Georges Chali (UAG, Université des Antilles Guyane) et Axel Arthéron (UAG Théâtre). Précisons ou rappelons : 14 pièces de théâtre, des nouvelles et des essais et trois romans. Les 17 contributions (dont quatre sont dues aux deux « éditeurs ») font apparaître une participation assez large, internationale, qui va de francisants… français et anglo-saxons, de spécialistes de théâtre à des philosophes et à une hispaniste. Elles sont regroupées en trois sections : « poétique de l’engagement anti-colonial », « Placoly architecte et archéologue de l’Histoire » enfin « Le renouvellement de la perspective littéraire : l’américanité ». On aura peut-être deviné que c’est cette dernière section qui intéresse tout particulièrement le comparatiste, même si les interventions ne sont pas de la responsabilité de comparatistes : nous parlons d’une approche, d’un esprit.

38 L’œuvre de Vincent Placoly se signale par la place, large et variée, accordée aux lettres hispano-américaines. Ce sont elles qui, au long du volume, scandent nombre d’interventions. Mais la référence à Brecht (et à l’universitaire Bernard Dort comme médiateur) s’impose pour le théâtre, en particulier pour sa première pièce de théâtre, en 1969, La Douloureuse et Tragique Fin d’André Aliker. On aimerait en savoir plus sur l’adaptation en créole d’un Don Juan qui doit autant à Tirso de Molina qu’à Molière. La notion de « post-négritude » peut éclairer une partie de cette production théâtrale. Mais les références à Sartre et Fanon s’imposent dans un travail placé sous le signe de l’engagement. Et l’on peut rappeler la belle formule du grand spécialiste des Antilles, Jack Corzani, qui tenait Placoly moins pour un « paroleur » que pour un « penseur » (p. 89). On a l’impression parfois que c’est cette réalité du combat idéologique, du débat d’idées, qui a poussé nombre d’interventions à insister sur les qualités d’écriture, en particulier romanesque, de Placoly. Il est significatif qu’à la faveur de l’idée de « décentrement », un lien puisse être fait avec Saint-John Perse : « Tout un peuple muet se lève dans mes phrases, aux grandes marges du poème ». Pour d’autres raisons, on comprendra la part accordée à l’écriture de l’Histoire qui reste, pour Placoly comme pour d’autres écrivains antillais, un questionnement central.

39 Il n’en est pas moins vrai que la dimension américaine, l’américanité (assortie néanmoins d’un prudent point d’interrogation) traverse toute l’œuvre. Elle justifie des parallèles, des rapprochements, assurément éclairants (José Martí, Carpentier, Borges, Sábato, Onetti…), mais aussi avec Édouard Glissant (p. 170). Elle appelle d’autres lectures pour cerner plus nettement le jeu des références intertextuelles latino-américaines. C’est pourquoi l’idée d’un « humanisme nouveau » (p. 177) est juste et stimulante, de même que celle d’une littérature en mouvement, ouverte « aux autres qui sont en nous » (p. 207), formule heureuse de Daniel Seguin-Cadiche à qui l’on doit déjà un bel essai sur Placoly placé sous le signe d’Alejo Carpentier. De nouvelles « tracées » sont attendues pour illustrer le vers du poète guadeloupéen Daniel Maximin, dans son poème « Soleil vert », en hommage à l’écrivain, transfiguré en « ouvreur d’espace pour destins confinés ».

40 Ouverture… Ce maître-mot de la pensée et de la pratique comparatistes légitime ces parcours effectués dans les marges du champ comparatiste ; il me servira aussi de conclusion. Commencés avec des recensions sur deux éditions critiques, ils se terminent sur une traduction, la biographie intellectuelle d’Aby Warburg par Ernst Hans Gombrich, quarante-cinq ans après sa parution en anglais, ouvrant ainsi la réflexion « comparatiste » à l’histoire de l’art ou mieux à l’iconographie. Aux remerciements adressés par le traducteur, Lucien d’Azay, à Caroline Noirot, directrice éditoriale de Klincksieck, je me permets d’ajouter les nôtres, je veux dire ceux de la direction de cette revue.

41 Lucien d’Azay a fait précéder sa traduction par une remarquable introduction à la pensée d’un des fondateurs de l’iconographie. Signalons aussi, en complément, un texte de Fritz Saxl, qui a succédé à Warburg à la direction de sa célèbre Bibliothèque. Lucien d’Azay a raison quand il compare l’enquête de Gombrich à… un roman policier. Je donne ici une impression de lecteur. Cette publication récente n’enlève rien aux mérites de l’étude fondamentale de Georges Didi-Huberman, L’Image survivante[12] et la récente étude de Marie-Anne Lescourret, avec son beau titre (Aby Warburg ou la tentation du regard[13]) pourra servir de complément à ceux qui préfèrent la biographie au… genre policier.

42 On connaît le Warburg de l’Atlas Mnemosyne, une matérialisation et un aboutissement de sa stratégie comparative, le Warburg de la grande bibliothèque, bien sûr, et celui des formules, des trouvailles (« Dieu niche dans le détail… »), ou des paradoxes qui frappent par leur force d’illumination, comme celui du « bon voisin », une invitation à abandonner le livre que l’on tient pour référence pour le suivant sur le rayon et trouver la solution ou du nouveau… On n’oubliera pas aussi les livres « qui apportent de l’aide », par exemple L’Expression des émotions de Darwin que Warburg découvre à Florence en 1888. C’est précisément ce que sont, pour le comparatiste, soucieux de dialogues ou de convergences, les études de Warburg ou la synthèse de Gombrich.

43 Si l’on cherche à évaluer les apports légués par Warburg, il faudrait détailler un outillage mental dont on ne peut donner ici que les formes les plus connues : l’idée de survivance de l’œuvre d’art, ou plutôt d’un motif (Nachleben), empruntée au médiéviste Anton Springer (alors que Warburg a fait « l’impasse » sur les temps médiévaux), notion que les comparatistes associent à l’étude magistrale de Jean Seznec [14] ; celle de « formule de pathos » (pathosformel) (formule classique employée pour ajouter un supplément d’expressivité et de pathos) que Warburg aurait trouvé dans Burckhardt (2015, 173n et 179). La notion que Didi-Huberman rapproche justement du topos de Ernst Robert Curtius [15] permet (à mon sens) des lectures ou des approches sérielles, mais surtout elle est un élément d’appréciation sur les artistes qui savent résister à ces « formules », Dürer ou Rembrandt, parmi ceux que Warburg a étudiés. Ou encore, empruntée à Richard Semon, la notion d’« engramme », ou « trace », « énergie mnémonique » que laisse ou dépose tout événement qui affecte la matière vivante (p. 230). Il y a aussi les trajets conceptuels opérés par Warburg : par exemple, les représentations figuratives (images) considérées comme « reflets d’images mentales » (Vorstellungen) (p. 290).

44 Plus profondément, il y a une leçon éthique dans les travaux de Warburg qui mérite réflexion. L’artiste (le grand) est vu comme celui qui mène à sa manière un combat pour la libération de l’humanité contre les peurs irrationnelles (p. 203). L’histoire de la civilisation est pour lui l’histoire d’un « combat contre le monstre » (p. 212). Aussi, commente Gombrich, « l’objectif d’une véritable civilisation ne consiste pas à se soumettre aux réactions phobiques immédiates, mais à prolonger l’intervalle de réflexion. Car pendant cet intervalle l’homme peut s’émanciper des influences compulsives des réflexes primitifs » (p. 224- 225). Il y a chez Warburg une pensée morale, esthétique de l’intervalle, sorte d’epochê de l’esprit et moment ou espace heuristique pour la recherche. Didi-Huberman parle d’une « iconologie de l’intervalle [16] ». Il ajoute : « L’intervalle […] serait donc, par excellence, l’outil épistémologique de déterritorialisation disciplinaire menée par Warburg tout au long de sa vie. » Il précise encore :

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Les frontières, on le sait, sont souvent des séparations arbitraires dans le rythme géologique d’une même contrée. Que fait le clandestin lorsqu’il veut passer une frontière ? Il utilise un intervalle existant déjà — une ligne de fracture, une faille, un couloir d’érosion — et si possible, inaperçu comme « détail » par les douaniers. Ainsi fonctionne l’« iconologie de l’intervalle », en suivant les rythmes géologiques de la culture pour transgresser les limites artificiellement instituées entre disciplines.

46 C’est en cela que le travail de Warburg est, pour le comparatiste, une leçon. Jouer l’intervalle contre la limite, la frontière. Mettre à profit l’intervalle disciplinaire ; au besoin, l’inventer, comme espace du rapprochement, de la convergence. L’intervalle serait-il le nouveau champ d’action et de réflexion du frontalier, du comparatiste ? Sans doute. Au reste, la frontière n’est plus simplement extérieure, mais intérieure à tout pays : Lévi-Strauss le notait déjà dans son cours de 1959-1960, Paroles données[17]. La frontière tend même à être « individualisée [18] », une évolution qui d’ailleurs justifie, à mes yeux, ce que j’appelle un « comparatisme intérieur ».

47 Gombrich rappelle, au moment de conclure, que l’homme Warburg était contre toute « police des frontières [19] ». Gombrich cite ici un texte du comparatiste Harry Levin (« New frontiers of Knowledge in the Humanities ») qui date de 1958. Je ne connais pas ce texte, mais j’ai lu celui que Levin a donné quelques années auparavant, en 1953, à notre revue dans un numéro spécial sur la situation de notre discipline. L’article : « La littérature comparée : point de vue d’outre-atlantique » est à la fois spirituel, sévère et lucide. Il attirait l’attention sur un danger : « En définissant notre matière d’une manière trop étroite, nous nous transformons en douaniers de la littérature. » Et il faisait remarquer :

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Les iconologues de l’Institut Warburg, alliant l’érudition et la finesse, ont montré de quelle manière subtile le concept informe le symbole en peinture. Nous ferions bien de les imiter dans nos tentatives de critique littéraire, et nous devrions aussi continuer systématiquement les tentatives de Gaston Bachelard et d’autres psychologues audacieux pour sortir des chemins battus et explorer les régions tortueuses de l’imagination.

49 Combat d’arrière-garde, diront certains… Le propos me semble loin d’être périmé ou caduc. Il a conservé son intérêt, son actualité et il demeure, pour le comparatiste, à l’horizon de sa réflexion, comme une invitation à reprendre le bon combat. C’était d’ailleurs l’idéal intellectuel de Aby Warburg : reprendre le travail, relire, recommencer sans cesse. Didi-Huberman rappelle son allocution de 1927 sur laquelle il conclut son étude (p. 514…), parce qu’elle vaut « pour chaque temps, chaque époque, voire chaque instant de la recherche » : Si continua — coraggio ! — ricominciamo la lettura…

Bibliographie

Références bibliographiques

  • BATAILLON (Marcel), Cervantes y el Barroco (trad. Julián Mateo Ballorca), Junta de Castilla y León. Consejería de Cultura y Turismo, 2014.
  • BENOIT (Jean-Louis) (dir.), La Vierge Marie dans la littérature française, Lyon, Jacques André éd., 2014.
  • BUSQUETS (Loreto), Pensamiento social y político en la literatura española desde el renacimiento hasta el siglo XX, Madrid, Ed. Verbum, 2014.
  • CHALI (Jean-Georges) et ARTHERON (Axel) (coord.), Vincent Placoly. Un écrivain de la décolonisation, Matoury Guyane, Ibis Rouge Editions, 2014.
  • DUGAS (Guy) (coord.), Albert Memmi. Portraits, CNRSEdition, Planète Libre, 2015.
  • GOMBRICH (Ernst Hans), Aby Warburg. Une biographie intellectuelle (trad. de l’anglais par Lucien d’Azay), Paris, Klincksieck, 2015.
  • LOURENÇO (António Apolinário), SANTANA (Maria Helena), SIMÕES (Maria João) (coord.), O Século do Romance. Realismo e Naturalismo na ficção oitocentista, Coimbra, Centro de Literatura portuguesa, 2013.
  • MENDES (Maria do Carmo Cardoso), Don Juan (ismo). O Mito, Ribeirão, V. N. Famalicão, 2014.
  • MONICO (Reto), Suisse -Portugal : regards croisés (1890-1930), Genève, Société d’Histoire et d’archéologie de Genève, 2005.
  • MOUREAU (François), GOMEZ-GERAUD (Marie-Christine), ANTOINE (Philippe), Itinéraires littéraires du voyage, Travaux de Littérature publiés par l’ADIREL, Genève, Droz, 2013.
  • RIBEIRO (Bernardim), Le Livre des Nostalgies (trad. du portugais par Maryvonne Boudoy et Anne-Marie Quint), Paris, Chandeigne, 2014.
  • USQUE (Samuel), Consolation aux tribulations d’Israël - 1553 (trad. du portugais par Lúcia Liba Mucznik avec la collab. D’Anne-Marie Quint), Paris, Chandeigne, 2014.

Notes

  • [1]
    Paul Van Tieghem, La Littérature comparée, [1931], Paris, rééd. A. Colin, 1951, p. 68.
  • [2]
    George Steiner, Passions impunies, Paris, Gallimard, coll. « Essais », 1997, p. 127-128.
  • [3]
    « Iberica II », RLC, n° 2, 2000, p. 215.
  • [4]
    Lucien Febvre Combats pour l’Histoire, [1953], Paris, A. Colin, 1965, p. 245.
  • [5]
    Compte rendu de Relire les Lettres d’Espagne de Mérimée (Paris, Classiques Garnier, 2010), RLC, n° 3, 2014, p. 379.
  • [6]
    Éditions du Rocher, 2002.
  • [7]
    Compte rendu de Max Milner. Les leçons de l’ombre (éd. Stéphane Michaud, Paris, Presses de la Sorbonne Nouvelle, 2011), RLC, n° 3, 2013, p. 367-368.
  • [8]
    (« Iberica IV », RLC, n° 4, 2005, p. 513 et « Iberica VI », RLC n° 2, 2010, p. 235).
  • [9]
    Jean Rousset, La Littérature baroque en France, Paris, Corti, 1954, p. 253.
  • [10]
    La Littérature générale et comparée, Paris, A. Colin, 1994, p. 116.
  • [11]
    Yves Clavaron, Petite introduction aux Postcolonial studies, Paris, Kimé, 2015, p. 13-15.
  • [12]
    Minuit, 2002.
  • [13]
    Hazan, 2014.
  • [14]
    Jean Seznec, La Survivance des dieux antiques [1940], Paris, Flammarion, 1980 et 1993.
  • [15]
    Georges Didi-Huberman, L’Image survivante, Paris, Minuit, 2002, p. 254.
  • [16]
    Ibid., p. 500.
  • [17]
    Plon, 1984, p. 21-22.
  • [18]
    Anne-Laure Amilhat, Qu’est-ce qu’une frontière aujourd’hui ?, Paris, PUF, 2015.
  • [19]
    Ernst Hans Gombrich, op. cit., p. 298 et Georges Didi Huberman, op. cit., p. 498.
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