Notes
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[1]
Daniel Woodrell, Winter’s Bone, New York, Little, Brown and Co., 2006 ; cité dans l’édition britannique, Londres, Sceptre, 2007 ; traduction française de Frank Reichert Un hiver de glace, Paris, Éditions Payot & Rivages, 2007, cité dans l’édition de poche, 2011.
-
[2]
Toutes nos citations des contes des Grimm renverront à l’édition et à la traduction de Natacha Rimasson-Fertin, Contes pour les enfants et la maison, Paris, José Corti, 2009.
-
[3]
KHM 51, 60, 64, 102, 103 ou encore 166.
-
[4]
KHM 49 ou 197.
-
[5]
KHM 49.
-
[6]
KHM 127.
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[7]
Winter’s Bone, op. cit., p. 117-118. « Ree agrippa M’man, l’attira à ses côtés et se mit à arpenter les aiguilles piquantes entre les pins et leurs branches cinglantes puis redescendit la colline et traversa le ruisseau alimenté par les pluies jusqu’au promontoire boisé suivant. On voyait des empreintes de pattes dans la neige : ragondins, lapins et une paire de coyotes venus rôder tout près pour flairer. Elle tira M’man vers le sommet à travers le bois touffu. La grimpette exigeait de nombreuses pauses et de profondes inspirations. Les arbres, là-haut, étaient grands, vénérables et fidèles. Une énorme souche de chêne, sciée au bon niveau, offrait une confortable place assise dominant toute la vallée. La souche était spongieuse et vermoulue par la putréfaction, mais elle n’en faisait pas moins un siège large et agréable. M’man s’assit et Ree s’installa derrière elle. Elle lui tint la main un instant puis se leva de la souche, s’agenouilla, la broya entre les deux siennes et pencha le visage en arrière pour la regarder dans les yeux. – J’ai besoin de toi, M’man. Regarde-moi, M’man. Regarde-moi. Je vais avoir besoin de ton aide. Il se passe des choses et je sais pas quoi faire pour trouver une solution. M’man ? Regarde-moi, M’man. M’man ?
Le soleil couchant n’était plus qu’une vaste éclaboussure rouge derrière la ligne de crête. Un horizon écarlate et flamboyant, découpé en colonnes par les troncs et projetant des stries roses sur la vallée enneigée. » Traduction de Frank Reichert, Un hiver de glace, op. cit., p. 131-132. -
[8]
« Ce sont les personnages qui dirigent tout mon travail (…). Je commence toujours par réfléchir aux personnages, jamais à l’intrigue. J’aime songer à eux et voir où ils vont dans mon imagination pour ensuite les suivre et voir comment ils peuvent évoluer. » (Ma traduction).
-
[9]
Winter’s Bone, op. cit., p. 133. Traduction de Frank Reichert : « Thump Milton toisa Ree ; un homme légendaire, au visage comme sculpté dans la pierre des Ozark, saillies, angles droits et recoins glacés que le soleil ne visitait jamais. Sa barbe noire était striée de gris, mais ses gestes étaient encore juvéniles. Il s’accroupit, lui empoigna le menton et fit pivoter sa tête de droite et de gauche pour inspecter les dégâts. Il était plus grand qu’elle ne l’avait imaginé, avec des mains fortes, puissantes comme une averse orageuse. Ses yeux plongeaient en vous sans demander la permission et se servaient sans gêne.
– Si t’as quelque chose à dire, petite, t’as intérêt à le dire maintenant.
Sa voix évoquait des marteaux brandis et des ombres aiguës. » Un hiver de glace, op. cit., p. 148-149. -
[10]
Winter’s Bone, op. cit., p. 58.
Traduction de Frank Reichert : « Ree traversa la prairie aux vieux murs effondrés et gravit la pente jusqu’à la maison de Thump Milton, mais elle n’eut pas à frapper. Une femme l’attendait déjà à son entrée dans le jardin. Elle était plantée sur le seuil, vêtue d’un tablier sur sa robe imprimée à manches courtes, et la regardait approcher en se frottant les mains. Elle avait dépassé la maturité, mais avait encore les joues roses, des cheveux blancs coiffés très haut en un toupet éthéré maintenu en place par de la laque. Elle était robuste d’apparence, corpulente avec une ossature massive, et sa chair roulait au moindre geste.
– Tu dois te tromper de maison, j’imagine. Qui es-tu ? », Un hiver de glace, op. cit., p. 69-70. -
[11]
C’est nous qui soulignons.
-
[12]
Winter’s Bone, op. cit., pp. 23-24.
Traduction de Frank Reichert : « L’oncle Larme était l’aîné de Jessup et mitonnait de la coke depuis très longtemps, mais suite à une expérience qui avait mal tourné, son oreille gauche avait été bouffée et il avait gardé une féroce balafre de chair fondue depuis la nuque jusqu’au milieu de l’échine. Ne restait plus assez de cartilage à son oreille pour y accrocher des lunettes de soleil. Autour du pavillon, les cheveux avaient eux aussi disparu, et la cicatrice de son cou pointait au-dessus de son col. Trois larmes bleues, tatouées à l’encre de la prison, tombaient au goutte à goutte du coin de son œil, côté ravagé. On racontait que ces larmes signifiaient qu’il avait perpétré à trois reprises, en taule, des actes sanglants, sans doute nécessaires, mais dont il valait mieux ne pas parler ; que ces larmes vous enseignaient tout ce qu’il y avait à savoir sur cet homme et que son oreille perdue s’en faisait simplement l’écho. Il s’efforçait généralement de s’asseoir en présentant au mur son côté fondu », Un hiver de glace, op. cit., p. 34. -
[13]
Winter’s Bone, op. cit., p. 37. Traduction de Frank Reichert : « Personne ici a envie d’être méchant […]. C’est juste qu’ici les gens ont un peu de mal à piger les règles, alors des fois ça dérape. » Un hiver de glace, op. cit., p. 47.
-
[14]
Samuel, 118-17.
-
[15]
Winter’s Bone, op. cit., p. 137.
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[16]
Winter’s Bone, op. cit., p. 61-62. Traduction de Frank Reichert : « Transie, Ree se réfugia dans sa jupe en forme de tente. Elle décida de décliner le nom de tous les Milton pour s’occuper l’esprit : Thump, Blond, Cat-fish, Spider, Whoop, Rooster, Scrap… Lefty, Dog, Punch, Pink-eye, Momsy… Cotton, Hog-jaw, Ten Penny, Peashot… Suffit. Assez de Milton. N’utiliser qu’un nombre limité de prénoms masculins était une tactique remontant à l’ancien temps et aux méthodes mises au point par les démolisseurs, méthodes abandonnées pendant le règne d’Haslam, Fruit de la Foi, mais allègrement remises en vigueur après l’avènement de la grande rigueur et l’écroulement des murs sacrés. Comment un shérif ou tout autre ponte du même tonneau aurait-il pu tenir un compte officiel des mâles Dolly quand tant d’entre eux se prénommaient Milton, Haslam, Arthur ou Jessup ? Les Arthur et les Jessup étaient les moins courants — guère plus de cinq par prénom, probablement — et les Haslam étaient deux fois plus nombreux que tous les Arthur et Jessup réunis. Mais le prénom le plus usité chez les Dolly était Milton, et deux douzaines de Milton au bas mot hantaient l’univers de Ree. Prénommer son fils Milton, c’était une décision qui s’efforçait de dessiner son existence avant même qu’il n’y eût fait son entrée, car, pour les Dolly, ce prénom recouvrait tout à la fois des ambitions et un passé. Certains prénoms pouvaient certes conduire à emprunter des chemins menant dans toutes les directions, mais les Jessup, Arthur, Haslam et Milton ne naissaient que pour suivre le sentier rebattu des Dolly jusqu’à l’obscurité de la tombe, vivre et mourir en se pliant à leurs us et coutumes férocement défendus.
Dans la mesure où Sonny était d’ores et déjà un Jessup, Ree et M’man avaient hurlé, tempêté et vociféré contre l’idée de faire d’Harold un Milton. Elles avaient hurlé et emporté le morceau, et Ree avait regretté, plus de mille fois de ne pas s’être battue plus longuement pour Sonny, de n’avoir pas réussi, à force de récriminations, à en faire un Adam, un Leotis ou un Eugène, de n’avoir pas hurlé jusqu’à ce qu’on le baptise d’un prénom lui permettant de faire des choix. » Un hiver de glace, op. cit., p. 73-74. -
[17]
Winter’s Bone, op. cit., p. 63.
-
[18]
Winter’s Bone, op. cit., p. 149-150.
-
[19]
Winter’s Bone, op. cit., p. 134.
-
[20]
Cela n’est pas tout à fait exact. En vérité, les mains de Jessup sont tranchées par Merab à l’aide d’une tronçonneuse tandis que le corps est tenu par Ree. L’ambivalence de Merab est ici remarquable, d’autant qu’elle est manifestée par les mains, qu’il s’agisse des coups infligés à Ree ou de l’aide apportée à l’héroïne lorsque celle-ci est confrontée au cadavre de son père.
-
[21]
La liste exhaustive des prix remportés est évidemment consultable sur internet, à commencer par le site officiel du film http://www.wintersbonemovie.com/ ainsi que sur IMDb.
-
[22]
Pour être très précis, il est vu pour la toute première fois par Ree en caméra subjective juste avant la scène dont nous parlons (mais c’est la même séquence). Ree arrive dans la salle de présentation des bestiaux et observe les gradins où Thump est censé se trouver. Lorsque celui-ce se lève pour échapper au regard de Ree, le spectateur comprend de qui il s’agit.
1Les contes des frères Grimm se situent à un carrefour poétique et esthétique. S’ils résultent d’abord d’une tradition orale, ils offrent ensuite la matière, voire la matrice, d’un nouvel héritage cette fois intrinsèquement littéraire. Mais la postérité des contes des Grimm est loin d’être univoque, elle épouse des formes variées et réactualise des significations latentes ou déjà affirmées. Elle peut se manifester en termes de types de personnages, de trames ou de situations narratives ou tout simplement d’ambiances, de décors.
2 La présente étude n’a pas pour ambition d’offrir une nouvelle théorie du conte ni de revisiter l’élaboration de ces contes ou de réévaluer leur place dans l’histoire littéraire. Il ne s’agit pas non plus d’étudier un conte ou un groupe de contes. Notre propos n’est pas non plus de recenser des ouvrages dans lesquels se ferait sentir l’influence des Grimm ni de travailler sur l’adaptation ou la postérité d’un conte en particulier. Nous nous proposons ici de travailler sur une œuvre romanesque contemporaine précise et d’envisager la façon avec laquelle celle-ci est travaillée par l’ensemble de l’univers narratif des Grimm. Partant, il s’agira pour nous de constater la remarquable efficacité des contes de Grimm en même temps que la pertinence d’une œuvre qui ne se réduit pas une simple variation. Cette œuvre s’intitule Winter’s Bone, roman écrit par l’américain Daniel Woodrell, auteur né dans le Missouri en 1953 [1].
3 L’action de Winter’s Bone a pour cadre les monts Ozark, une région des États-Unis accidentée et couverte de forêts, coincée entre le Missouri au nord et l’Arkansas au sud. C’est l’histoire d’une jeune fille, Ree, qui doit s’occuper de sa mère malade et de ses deux petits frères, Sonny et Harold. Le père, Jessup, s’adonne à la fabrication de Crank, c’est-à-dire de méthamphétamine, une drogue chimique de synthèse qui fait des ravages dans la population locale, y compris parmi ceux qui la produisent et qui la vendent. Jessup a disparu, abandonnant femme et enfants. Ree n’a de nouvelles de son père que lorsque le sheriff lui annonce que Jessup a hypothéqué tous leurs biens pour sortir de prison et que s’il ne se présente pas au tribunal pour son procès, tout sera perdu. Ree décide alors de retrouver son père coûte que coûte. Mais elle va se heurter d’abord au silence puis à l’hostilité et à la violence de tous ceux (et de toutes celles) auxquels elle s’adresse. Elle finit par comprendre ce que tout le monde sait et veut lui cacher : son père est mort, exécuté pour avoir parlé. Ree va alors devoir apporter la preuve que son père est mort pour sauver sa famille.
4 Tout au long d’une narration alerte et vive mais non dénuée de méditation, Daniel Woodrell nous fait partager l’itinéraire semé d’embuches de Ree. Pas une page qui ne lui soit consacrée à travers un paysage que Woodrell connaît parfaitement, pour y être né et pour y vivre encore aujourd’hui.
L’espace naturel
5 Chacun sait que la forêt est l’espace privilégié des contes, et plus particulièrement de ceux des frères Grimm. Il serait vain de recenser ici tous les contes y faisant référence. Tout juste nous contenterons-nous de relever quelques formulations [2] à valeur circonstancielle : « dans la forêt » [3], « dans une grande forêt » [4], « au milieu d’une vaste et épaisse forêt » [5], ou encore « au milieu de la forêt » [6]. Ce ne sont là que quelques exemples témoignant de l’importance du domaine sylvestre. Cette importance, chez les Grimm, revêt à la fois une valeur politique et nationale et une valeur symbolique. En effet, cherchant à sauvegarder un patrimoine narratif, les Grimm aspirent du même coup à valoriser, une terre, un territoire, un terroir qui serait celui des contes germaniques dans un moment où Cassel, la ville des Grimm, est la capitale du royaume de Westphalie, membre de la confédération du Rhin, et se voit placée sous domination française. Quant à la valeur symbolique de la forêt, ni les Grimm ni même les contes n’en ont le monopole. Rappelons par exemple qu’au Moyen Âge, la forêt s’impose comme une altérité spatiale radicale susceptible de constituer tout à la fois un refuge, un domaine enchanté, un lieu de mise à l’épreuve, de retraite et bien sûr d’initiation… Symboliquement, l’épaisseur et la complexité de la forêt offrent la parfaite illustration d’une complexité psychologique et psychanalytique. Utilisée comme cadre narratif, la forêt devient le prolongement d’ordre synecdochique d’une histoire construite autour des conflits familiaux et des constructions individuelles ; dans Winter’s Bone, une adolescente cherche son père pour sauver les autres membres de sa famille. Si la métaphore familiale est aussi forte s’agissant de la forêt, c’est qu’il y est question de relations comme de solitude. Constituée d’arbres, la forêt relie et fait obstacle. Chaque arbre plongeant ses racines sous terre et projetant sa cime vers le ciel devient un vivant intermédiaire entre deux éléments essentiels. Mais le déploiement d’une telle verticalité condamne, dans son écrasement, à une horizontalité terrestre faite de singularités en quête de liens, de repères, de racines, d’épanouissement…
6 Dans Winter’s Bone, la seule richesse matérielle de la famille Dolly, c’est la forêt qui entoure sa maison et qui est l’objet de bien des convoitises. Mais la famille, Jessup en tête, s’étant toujours refusée à se séparer de ces quelques arpents de bois, la forêt en vient à symboliser l’unité familiale. Unité fragile et maintenue tant bien que mal par Ree qui en appelle aux vestiges de lucidité de sa mère dans une troublante scène sylvestre.
Ree pulled Mom snug to her side, walked between the pines, the sharp needles and swishing branches, then downhill and across the wet-weather creek to the next wooded mound. There were footprints in the snow, raccoons and rabbits and a pair of coyotes that had prowled near for a sniff. Ree pulled Mom along uphill into the dense hardwood. Many pauses were required, and deep sucks of air, before the crest was reached. The trees were large and august and faithful. A huge oak stump sawed level made a sitting place overlooking the valley. The stump had become frayed and squishy from rot but made a wide pleasant seat.
Mom sat and Ree sat beside her. Ree held Mom’s hand a moment, then came off the stump to kneel. She squeezed with both hands and tilted her face to look up at Mom.
« Mom, I need you. Mom – look at me. Look at me, Mom. Mom, I’m goin’ to need you to help. There’s things happenin’ that I don’t know what to do about. Mom ? Look at me, Mom. Mom ? »
The going sun chucked a vast spread of red behind the ridgeline. A horizon of red light parsed into shafts by standing trees to throw pink in streaks across the valley snow. [7]
8 Ce passage est certainement l’un des plus importants du roman. La nature déploie ici son pouvoir enchanteur (comme l’atteste l’absence de réaction de la mère de Ree) et offre un écrin symbolique privilégié, celui d’un mont boisé et enneigé. Comme dans de nombreux contes, la forêt devient l’espace du délitement familial comme en témoignent ces célèbres contes où les enfants sont abandonnés dans la forêt. C’est en effet une scène d’abandon, de perdition à laquelle nous avons affaire. La cruelle marâtre n’est plus qu’une pauvre femme, terrassée par une folie silencieuse. Cette dégénérescence, c’est aussi celle de ce chêne sur la souche duquel elle est assise, « the stump had become frayed and squishy from rot ». La mère de Ree trône ainsi au milieu d’arbres qui, de sujets d’une reine de famille, sont devenus les spectateurs respectueux (« large and august and faithful ») d’un désastre intime. La parole de Ree ne peut alors que se heurter au vide d’une conscience désormais absente. Cette parole est d’autant plus pathétique qu’elle revêt des accents incantatoires, voire religieux ; Ree implorant le regard du créateur sur sa créature.
9 Jeune fille perdue mais volontaire, Ree s’impose comme une héroïne de conte au sein d’une galerie de personnages qui ne sont pas sans évoquer les récits des célèbres frères.
Les personnages
10 S’agissant des personnages dans un récit apparenté au conte, il semble difficile de faire l’économie des travaux de Vladimir Propp et de sa Morphologie du conte. Le savant russe prend soin dans son ouvrage de distinguer les fonctions narratives des personnages censés remplir ces fonctions. Toutefois, comme il ne peut omettre la question de la répartition de ces opérations parmi les personnages, il en vient à formuler le concept de « sphère d’action », lequel débouche inexorablement sur une typologie des personnages. Il n’est cependant pas tout à fait sûr qu’un tel dispositif soit pertinent pour rendre compte de Winter’s Bone dans la mesure où, à l’inverse de Propp, les personnages l’emportent sur les fonctions. En effet, Daniel Woodrell, comme tout bon auteur américain qui se respecte, privilégie les personnages par rapport à l’intrigue dans l’élaboration de son récit. C’est ce qu’il explique dans un entretien accordé à Keith Rawson le 5 octobre 2011 pour le site internet litreactor.com : « […] it’s the character that drives everything I do […]. I always start with character, I never start with plot. I like to muse on a character and see where they go in my imagination and then follow them and begin to see what they’re up to. » [8]
11 Il n’est cependant pas impossible, dira-t-on, que fonctions narratives et personnages puissent se recouper chez Woodrell, que celui-ci connaisse les théories de Propp ou non. Mais une différence fondamentale apparaît dès lors qu’il s’agit des personnages de Winter’s Bone. En effet, à l’inverse des personnages des contes, ceux du roman de Woodrell imposent une ambivalence qui fait voler en éclats le concept de « sphère d’action ». Loin du simplisme et de l’absence de psychologie qui cantonne les personnages des contes à des rôles bien assignés (« agresseur, donateur, auxiliaire, princesse et père, mandateur, héros et faux héros »), les personnages évoluent en fonction d’une psychologie qui leur est propre, d’un statut dans une communauté donnée, d’un contexte qui n’est pas figé et… des autres personnages.
12 Pour tenter d’y voir plus clair, nous allons faire porter notre attention sur quatre (peut-être cinq) personnages du roman de Woodrell en les comparant à ceux des contes et à ce que formalise Vladimir Propp dans sa Morphologie du conte. Ree Dolly est incontestablement l’héroïne d’un récit qui lui est entièrement consacré : pas un mouvement qui ne soit d’abord le sien, pas un espace qui ne soit son élément. Mais elle est surtout l’héroïne car c’est elle qui mène la quête, portant ainsi tout le récit. Viennent ensuite Thump Milton et Merab Milton, l’ogre et la sorcière ; autrement dit, les agresseurs, ceux qui commettent le mal et contre qui Ree se doit de lutter. Thump est manifestement la clé du problème de Ree ; non seulement il sait où est son père mais il est surtout celui qui verrouille la parole, qui fait peser le silence sur toute une communauté dont il est le chef, imposant un charisme rien moins que légendaire.
Thump Milton loomed over Ree, a fabled man, his face a monuments of Ozark stone, with juts and angles and cold shaded parts the sun never touched. His spade beard was aged gray but his movements were young. He crouched, grabbed her chin, and turned her head from side to side, inspecting the damage. He was bigger than she’d thought, hands strong as stormwater rushing. His eyes went inside you to the depths without asking and helped themselves to anything they wanted.
He said, « You got somethin’ you need to say, child, you best say it now. »
His voice held raised hammers and long shadows. [9]
14 Thump Milton, c’est la mort qui vous dévisage, c’est la statue du Commandeur qui vous inspecte et vous somme de parler, c’est l’ogre qui menace et devant lequel tout plie. Or ce que Thump contemple, c’est peut-être moins le visage de Ree que l’œuvre de sa moitié, Merab, qui, aidée de ses sœurs, a passé l’adolescente à tabac pour la punir de s’obstiner à poser les bonnes questions aux bonnes personnes. Merab est la gardienne, celle sur qui, finalement, repose l’ordre des choses, une certaine idée du cosmos, celui des monts Ozark.
Ree crossed the meadow of old fallen walls, climbed uphill to Thump Milton’s, but did not need to knock. A woman waited for her as she came into the yard. The woman stood on her doorstep wearing an apron over a print dress with short sleeves, rubbing her hands together, watching Ree draw near. The woman was past the middle of her years but looked pink in her cheeks, robust, with white hair brushed high into an airy poof and sprayed to stay there. She was burly, stoutboned, and flesh rolled when she moved. She said, « You’ve got the wrong place, I expect. Who might you be ? » [10]
16 Ree n’a pas besoin de frapper en effet ; c’est Merab, en femme mûre et robuste, qui s’en chargera. C’est Merab qui, telle la sorcière, offre une présence maléfique et constitue le point de contact, la frontière entre la jeune fille et un domaine qui lui est interdit, celui de Thump.
17 Mais l’héroïne n’est pas tout à fait seule. Outre sa fidèle amie d’enfance, Gail, Ree peut aussi compter sur son oncle, Teardrop, l’oncle Larme, qui va l’arracher des griffes de Thump et de ses acolytes et ensuite la protéger. Teardrop pourrait ainsi faire office de chevalier ou de prince, ou encore d’auxiliaire, pour parler comme Propp. Mais les évidences s’arrêtent là car nous ne sommes pas vraiment [11] dans un conte. Teardrop n’est pas exactement un beau jeune homme, dont le courage égalerait la candeur.
Uncle Teardrop was Jessup’s elder and had been a crank chef longer but he’d had a lab go wrong and it had eaten the left ear off his head and burned a savage melted scar down his neck to the middle of his back. There wasn’t enough ear nub remaining to hang sunglasses on. The hair around the ear was gone, too, and the scar on his neck showed above his collar. Three blue teardrops done in jailhouse ink fell in a row from the corner of the eye on his scarred side. Folks said the teardrops meant he’d three times done grisly prison deeds that needed doing but didn’t need to be gabbed about. They said the teardrops told you everything you had to know about the man and the lost ear just repeated it. He generally tried to sit with his melted side to the wall. [12]
19 Ce portrait de Teardrop, l’oncle Larme, est rien moins que vertigineux car il introduit une distance avec l’univers traditionnel des contes tout en préservant un fond référentiel commun. Membre de la famille, personnage protecteur au charisme certain, Teardrop va protéger sa nièce, la soutenir, retisser avec elle un tissu familial déchiré et s’imposer comme un adjuvant (si l’on reprend cette fois les termes du schéma actantiel que Greimas a développé à partir des théories de Propp). Pourtant, lorsque ce personnage fait son apparition dans la diégèse, il est plutôt un opposant. En effet, contrainte de retrouver son père pour sauver la maison, Ree s’adresse d’abord à son oncle, lequel ne manque pas de la repousser violemment. Le personnage de Teardrop fait ainsi valoir un élément capital dans l’économie narrative de Woodrell : l’évolution, et plus encore, l’ambivalence. L’auteur américain ne peut évidemment faire sien le simplisme psychologique des personnages des contes. Teardrop est emblématique de cette ambivalence qu’il incarne au sens propre, qu’il rend visible puisqu’il en porte les stigmates. Il serait aisé de gloser sur la face gauche ravagée, la perte de l’oreille ou la chair marquée. Ce sont là autant de signes extérieurs révélant la complexité du personnage. Et comment ne pas voir dans les trois larmes bleues l’innocence à jamais perdue et la violence omniprésente ? D’autant que l’oncle Larme s’adonne à des activités peu reluisantes. En effet, comme quasiment tous les hommes des monts Ozark, Teardrop produit de la « meth » (crank). Il s’agit d’une drogue chimique de synthèse, un stimulant puissant et hautement addictif. Cette substance fut notamment utilisée par l’armée allemande durant la Seconde Guerre mondiale. Mais la consommation de ces amphétamines euphorisantes peut aussi entraîner le développement d’une paranoïa, la manifestation d’hallucinations ou un comportement violent. Dès lors, il serait tentant de voir dans cette méthamphétamine un artifice d’ordre magique, un substitut du merveilleux dans un monde désenchanté. À moins qu’il ne s’agisse là du véritable monstre à terrasser, de la bête qui menace l’harmonie d’une communauté et qu’il faut affronter.
20 Mais l’ambivalence n’est pas le propre de Teardrop. Elle s’applique également aux personnages de Thump et de Merab. Cette dernière vient ainsi chercher Ree afin de prélever sur le corps de son père les preuves de la mort de ce dernier. D’opposant initial, elle devient un adjuvant final. Quant à Thump, il finit par entendre la parole de Ree pour la laisser partir avec son oncle. Le secret de l’évolution comportementale des personnages de Winter’s Bone est peut-être révélé par Floyd, le mari de Gail, lorsqu’il s’adresse ainsi à Ree : « Nobody here wants to be awful […]. It’s just nobody here knows all the rules yet, and that makes a rocky time. » [13]
21 Et Ree ? Comprend-elle les règles ? Certainement mieux que personne mais elle ne connaît qu’un impératif, celui de prendre soin de sa famille. De ce point de vue, elle n’est pas contaminée par l’ambivalence dont nous avons parlé et ce faisant, elle se rapproche de l’héroïne du conte. À l’instar de cette jeune fille qui doit se taire pendant sept ans pour sauver ses frères transformés en corbeaux dans « Les Douze Frères » (9, « Die zwölf Brüder »), Ree doit faire preuve d’une abnégation sans faille pour aller au bout de ce qu’elle a entrepris, quel que soit le prix à payer pour elle. L’objet de la quête de Ree, rappelons-le, c’est Jessup, son père, qu’il s’agit de retrouver afin d’éviter la saisie de la maison. La disparition du père lance ainsi l’intrigue du roman. Pourtant, Ree ne retrouvera pas Jessup, pas vivant, lui dont l’absence continue assure paradoxalement la présence. Ce graal familial ne sera atteint que sous la forme d’un cadavre gelé dont il faudra tronçonner les mains (nous y reviendrons). Dans la morphologie de Propp, la première fonction correspond à l’éloignement de la maison de l’un des membres de la famille. De cette analogie essentielle découle une caractéristique majeure de Winter’s Bone qui n’est rien d’autre qu’un récit d’initiation.
22 Mais avant d’aborder ce point capital, il convient d’aborder l’onomastique puisqu’il est question des personnages. L’ogre Thump, c’est le « coup », c’est l’« action de frapper », c’est la menace permanente et la terreur en acte. La sorcière Merab a, quant à elle, une dimension biblique puisque Merab est la fille aînée de Saül, d’abord promise à David avant qu’elle n’épouse Adriel [14]. Lorsque Teardrop vient récupérer sa nièce esquintée, le lecteur apprend son véritable nom : « Explain yourself, Haslam » [15] lui dit Thump. Teardrop est bien sûr un surnom dont l’explication a déjà été donnée. Ces larmes qui coulent, et qui ne sont pas sans évoquer une toile de Magritte, expriment également un deuil impossible à faire : celui de Jessup, celui du traître, celui du frère… Haslam Dolly, Jessup Dolly, Ree Dolly, Sonny Dolly, Harold Dolly… Une famille de poupées ? Peut-être bien si l’on se réfère au nom d’une famille dont les prénoms sont délibérément interchangeables. En effet, alors que Ree sollicite une première fois une audience avec Thump, Merab la fait attendre sous une pluie verglacée. La jeune fille s’abîme alors dans un songe plein d’identités éparses.
Ree sat chilled inside her squat tent. To occupy her mind, she decided to name all the Miltons : Thump, Blond, Catfish, Spider, Whoop, Rooster, Scrap… Lefty, Dog, Punch, Pink-eye, Momsy… Cotton, Hog-jaw, Ten Penny, Peashot… enough. Enough Miltons. To have but a few male names in use was a tactic held over from the olden knacker ways, the ways that had been set aside during the time of Haslam, Fruit of Belief, but returned to heartily after the great bitterness erupted and the sacred walls tumbled to nothing. Let any sheriff or similar nabob try to keep official accounts on the Dolly men when so many were named Milton, Haslam, Arthur or Jessup. The Arthurs and Jessups were the fewest, not more than five apiece, probably, and the Haslams amounted to double the Arthurs or Jessups. But the great name of the Dollys was Milton, and at least two dozen Miltons moved about in Ree’s world. If you named a son Milton it was a decision that attempted to chart the life he’d live before he even stepped into it, for among Dollys the name carried expectations and history. Some names could rise to walk many paths in many directions, but Jessups, Arthurs, Haslams and Miltons were born to walk only the beaten Dolly path to the shadowed place, live and die in keeping with those blood-line customs fiercest held.
Ree and Mom both had shouted and shouted and shouted against becoming a Milton, since Sonny was already a Jessup. They had shouted and won and Ree’d a thousand times wished she’d fought longer for Sonny, shouted him into an Adam or Leotis or Eugene, shouted until he was named to expect choices. [16]
24 Ce songe autour du nom revêt ici une connotation invocatoire : se remémorer tous les Milton revient à solliciter l’apparition du seul Milton qui vaille, Thump. Mais, à l’inverse de certains contes comme Rumpelstilzchen (55), la puissance d’invocation du nom est défaillante car elle est conditionnée par une autre épreuve, celle de la violence (nous y reviendrons).
25 Il est toutefois remarquable de constater ici l’omniprésence du nom « Milton » : nom patronymique du côté des méchants et de l’ogre, prénom chez les Dolly. La circulation de ce nom est le signe d’une solidarité problématique, d’une proximité en trompe-l’œil entre des communautés qui ont en commun un espace, des activités… et un peu de sang : « blood don’t truly mean shit to him. […] Blood don’t truly count for diddly to the big man ? » [17] s’exclame Ree face à Merab. The big man : le gros homme, le grand homme, le patron, le parrain, l’ogre.
26 La pérégrination cérébrale de Ree sur l’onomastique offre au lecteur une galerie de personnages dans ces monts désolés. Mais loin de les individualiser, le nom est synonyme d’indifférenciation des personnes. Ce ne sont plus des individus mais les membres d’un clan. Si le nom est une malédiction, c’est parce qu’il renvoie celui qui le porte à une forme de néant, à un anonymat héréditaire qui ne laisse pas place à l’aventure individuelle. Le nom revêt alors une réalité performative puisqu’il est la marque d’une fatalité, le sceau d’une destinée.
Un récit initiatique : la parole et la preuve
27 Or certains personnages de Winter’s Bone, Ree en tête, éprouvent des difficultés à rester à leur place. Ree (comme son père avant elle) enfreint les règles et brave les interdits. Et pour les autochtones des monts Ozark, l’interdit majeur est le silence. La faute de Jessup (pour laquelle il sera tué) est d’avoir parlé, la faute de Ree (pour laquelle elle sera battue) est de parler. Ce faisant, Jessup et Ree s’émancipent par le langage ; leur parole les singularise, les détache du groupe et c’est bien cette parole qui assure la filiation entre le père et la fille. Pourtant, la parole de l’un n’a pas la même valeur ni la même fonction que celle de l’autre. Jessup a fauté car en parlant (à la police), il a trahi les siens et son milieu. Ree a fauté car en questionnant les autres sur le sort de son père, elle exhume ce qui doit rester enseveli. Ce statut de la parole et ce qu’il traduit pour celui qui parle est au cœur d’une conversation nocturne entre Ree et son oncle ténébreux. Teardrop commence par expliquer la faillite de son jeune frère.
« Well, he loved y’all. That’s where he went weak » […]
« But snitchin’… »
« Jessup wasn’t always a snitch. For lots’n lots of years he wasn’t a snitch. He wasn’t, and he wasn’t, and he wasn’t, then one day he was » […]
« That’s why everybody sort of shuns us a little bit now, ain’t it ? » […]
« The dollys around here can’t be seen to coddle a snitch’s family — that’s always been our way. We’re old blood, us people, and our ways was set firm long before hotshot baby Jesus ever even burped milk’n shit yellow. Understand ? But that shunnin’ can change, some. Over time. Folks have noticed the sand you got, girl. » [18]
29 Dans le clan des Dolly, la parole ne rapproche pas ; bien au contraire, elle isole. Jessup a commis une faute qui rejaillit sur sa famille. C’est ici que la parole de Ree vient racheter celle de son père. La jeune héroïne ne se contente pas de sauver sa mère et ses frères en conservant la maison, elle sauve également son père et l’honneur de sa famille. Parole de vérité, le discours de Ree s’impose aussi comme un discours rédempteur. C’est bien ce qu’ a insinué Teardrop lorsqu’il a évoqué la ténacité et le courage de Ree, en passe de devenir exemplaires. En effet, la jeune fille a su faire face à l’ogre. Celui-ci a dû digérer un discours de sang et de larmes après que l’héroïne a été rouée de coups.
She spoke low with her head down, the words lamed by spatters of red wet and slow limping from her mouth. She said, « I got two little brothers who can’t feed teirselves… yet. My mom is sick, and she is always… goin to be sick. Pretty soon the laws’re takin’ our house away n’throwin’us out… to live in the fields… like dogs. Like fuckin’ dogs. The only hope I got to keep our house is… is, I gotta prove… Dad’s dead. Whoever killed him, I don’t need… to know… that. I don’t never need to know that. If Dad did wrong, Dad has paid. But I can’t forever carry both… them boys’n Mom… not… without that house to help. »
Her words were met with silence, an electric moment of utter silence, then Thump Milton stood and left the barn. [19]
31 Tout est dit ici. Les mots répondent aux coups et révèlent d’abord l’inefficacité de ces derniers avant d’exposer une situation proprement inouïe. Le silence rompu, c’est l’explicitation d’un drame familial et d’une initiation personnelle. Pour évoluer et grandir, Ree abandonne son père à son sort de macchabée. Elle ne réclame pas justice car justice a été faite. Ree elle-même a payé cher, dans le sang, le droit de parler. Dans ces monts boisés, la violence règle les problèmes et aplanit les conflits. Mais l’initiation de l’héroïne ne s’arrête pas là. Pour que le deuil soit le garant de l’avenir, Ree doit maintenant prouver la mort de son père. La mise en italiques et le recours à une tournure verbale disent assez que prouver la mort du père, c’est affirmer l’accomplissement, l’achèvement de la fille.
32 Dans un certain nombre de contes, la parole revêt une importance particulière par la résolution d’une énigme qui décide du sort du personnage. La réponse à l’énigme peut aussi bien sauver, comme dans le KHM 22 Das Rätsel « l’énigme », que condamner comme dans le KHM 111 Der gelernte Jäger « le chasseur accompli ». Mais dans le cas de Winter’s Bone, la réussite de la mission de l’héroïne obéit davantage au régime de la preuve. Il est vrai que dans les contes auxquels il vient d’être fait référence, l’énigme et la preuve se conjuguent. Dans Das Rätsel, la résolution de l’énigme permet à la princesse de sauver son honneur mais la preuve apportée par le héros (sous la forme de manteaux) confirme le mariage. Dans Der gelernte Jäger, l’énigme scelle le funeste destin de l’usurpateur tandis que la preuve confirme les dires et affirme le bon droit du héros. Quelle est la nature de cette preuve ? Il s’agit des langues des trois géants occis par le jeune héros au cours de ses épreuves. Outre le rapport à la parole induit par une telle preuve, il nous paraît surtout intéressant de faire remarquer qu’il s’agit là d’un organe corporel, d’un membre amputé. Le corps et ses émanations peuvent ainsi servir de révélateurs comme dans le KHM 21 Aschenputtel « Cendrillon » lorsque les pieds des deux sœurs saignent d’abondance après avoir passé le fameux soulier. Mais il est un autre conte où une partie du corps servira de preuve en mettant l’accent sur la relation filiale entre une fille et son père ; il s’agit du KHM 31 Das Mädchen ohne Hände « La Jeune Fille sans mains ». Si Winter’s Bone n’est certainement pas une réécriture de ce conte, force est de constater que certaines situations et certains motifs structurants du KHM 31 se retrouvent au cœur de l’économie narrative du roman de Daniel Woodrell.
33 Le conte des Grimm raconte ainsi l’histoire d’une jeune fille, belle et pieuse, imprudemment promise au diable par un père faible et cupide. Mais au moment voulu, le diable ne peut saisir sa proie, trop pure à force d’ablutions. Malgré la confiscation de l’eau, la jeune fille conserve sa pureté grâce aux larmes qui inondent ses mains. Face à ce nouvel échec, le diable commande alors au père de couper les mains de sa fille. Ce sont alors les moignons qui sont purifiés par les larmes et le diable, après trois tentatives, perd tout droit sur la jeune fille. Celle-ci quitte alors sa famille et trouve asile auprès d’un poirier dont elle consomme les fruits à même l’arbre avec la protection d’un ange divin. Ému par sa situation, le roi épouse la jeune fille qui finit par donner le jour à un petit garçon. Entre-temps, la nouvelle reine a reçu des mains d’argent de la part de son mari. Mais le roi doit partir à la guerre et à la suite à d’un subterfuge diabolique, la reine et son enfant doivent quitter le royaume. Ils trouvent refuge dans une bâtisse où, protégés par un ange, ils vivent paisiblement jusqu’à ce que le roi, contrit, finisse par les retrouver.
34 De ce KHM 31, que retrouve-on dans Winter’s Bone et qu’est-ce qui autorise un rapprochement entre les deux textes ? D’abord une relation filiale défaillante, car le père du conte cède (involontairement il est vrai) sa fille contre des richesses tandis que Jessup cède la maison familiale pour recouvrer la liberté. Chez les frères Grimm, cette situation d’abandon se dédouble avec le départ du roi devenu l’époux. Mais ce dernier abandon est racheté par l’amour du roi pour sa femme, tout comme l’abandon initial de Ree à son sort par Teardrop est ensuite rattrapé par la protection qu’il lui accorde.
35 À cette situation de défaillance de l’autorité et de la protection masculines (du père puis de l’époux tous deux abusés par le diable dans le KHM 31), s’ajoute le motif de l’eau. Dans le conte, l’eau est protectrice et purificatrice. Elle empêche le diable de s’emparer de sa proie ; surtout lorsque cet élément devient lacrymal. Les larmes sont alors l’émanation d’une pureté tout intérieure et viennent dissoudre toute trace de souillure externe ou corporelle sur les mains puis sur les moignons. L’eau est également importante dans Winter’s Bone mais elle n’a pas exactement le même rôle ; elle est annonciatrice et révélatrice. Elle est à proprement parler la détentrice de la vérité. Le corps de Jessup est en effet immergé au fond d’une eau gelée. Ree en a d’abord le pressentiment lorsqu’après une première tentative pour voir Thump Milton, elle défaille, sanglotante, sur un pont à la pensée du corps de son père pris dans la glace de l’eau figée sous elle. Cette vision macabre se confirmera à la fin du roman lorsque Ree, guidée par Merab et ses sœurs, devra rompre la glace qui retient prisonnier le corps de son père à coups de hache.
36 C’est là que nous arrivons à la double caractéristique fondamentale qui unit le KHM 31 à Winter’s Bone : le motif des mains et le régime de la preuve. Les deux sont en fait étroitement liés puisque les mains constituent les preuves. Mais pour pouvoir servir de preuves, ces mains doivent être tranchées. Celles de la fille le sont par le père chez les Grimm, celles du père le sont par la fille [20] chez Woodrell. On appréciera évidemment l’inversion des rôles qui s’explique notamment par le rôle et l’emplacement de ces épisodes dans l’économie de chaque récit. Chez les Grimm, cet événement contribue à lancer l’histoire en offrant un motif signifiant et pathétique qui sera repris par la suite pour attester l’évolution de l’héroïne. Chez Woodrell, l’amputation des mains paternelles est un achèvement, celui de l’initiation de Ree. Mais au niveau de la diégèse, ces mains vont permettre à Ree de prouver la mort de son père et ainsi de lever la caution sur la maison. Le motif des mains se prolonge dans le roman avec un cours de boxe improvisée pour les garçons Sonny et Harold ; les fils de Jessup récupèrent les mains de leur père en enfilant les gants de boxe paternels. Ces derniers fonctionnent ainsi comme un objet transitionnel permettant le deuil et autorisant les fils à continuer leur chemin. Dans Das Mädchen ohne Hände, le motif des mains constitue un véritable réseau de la preuve, entre circularité et complémentarité. C’est ainsi que l’amputation initiale est une preuve de dévouement filial, tandis que le don des mains d’argent est une preuve d’amour matrimonial. Et lorsqu’à la fin du conte, le lecteur apprend que les mains de l’héroïne ont repoussé, ce miracle démontre la bonté de Dieu qui récompense ainsi la pureté et la bonté de l’héroïne. Dans ces conditions, il ne reste plus aux mains d’argent qu’à servir de preuves pour le roi qui est désormais certain d’avoir retrouvé son épouse après l’avoir recherchée pendant tant d’années. De cette façon, l’héroïne, après avoir recouvré son intégrité corporelle avec ses mains de chair, peut reprendre le cours d’une existence harmonieuse et heureuse.
Winter’s Bone, le film
37 Sorti en salles aux États-Unis en 2010 (en mars 2011 en France), le film de Debra Granik fut projeté dans de très nombreux festivals. Acclamé par la critique, il obtint un nombre considérable de récompenses [21]. Citons les prix du meilleur film et du meilleur scénario au festival de Sundance ainsi que le prix du jury du festival de Deauville, sans oublier les quatre nominations aux oscars en 2011.
38 Le film fut tourné sur les lieux mêmes de l’action, dans les monts Ozark, avec une équipe d’acteurs à la fois professionnels et amateurs (ces derniers ayant souvent été recrutés localement). Bien que Daniel Woodrell n’ait pas participé à l’adaptation de son roman, il a accueilli la réalisatrice dans ces montagnes où est né et où vit le romancier. Celui-ci a fait partager à Debra Granik son amour pour cette contrée délaissée.
39 L’adaptation se veut fidèle au roman puisque nous retrouvons exactement les mêmes personnages, la même intrigue et le même déroulement narratif, tout au moins dans les grandes lignes. Les scénaristes ont cependant fait le choix légitime d’un scénario un peu plus resserré que le roman pour un film de 95 minutes. Certaines modifications se justifient certainement par des commodités liées au tournage ou par certaines contingences. C’est ainsi que les jupes que Ree porte constamment deviennent des jeans élimés ou que ses frères font place à un frère et une sœur. De la même façon, le passage à tabac de Ree est considérablement atténué dans le film. Mais ces différences ne paraissent pas essentielles. Il n’en va pas de même de quatre écarts qui nous semblent révélateurs dès lors qu’il s’agit de réfléchir aux enjeux et aux modalités de l’adaptation de ce roman pour et par le cinéma.
40 Le premier a trait aux personnages (ou plutôt à un personnage, d’autant que nous avons déjà évoqué la fratrie de Ree). Teardrop, dans le film de Debra Granik, offre un aspect un tantinet différent de celui que nous avons présenté plus haut. Incarné à l’écran par John Hawkes, Teardrop, l’oncle Larme, présente un visage uni (alors que dans le roman une moitié de son visage a fondu à la suite de l’explosion d’un laboratoire). Il est vrai que l’interprétation de John Hawkes offre des garanties suffisantes quant à l’ambivalence du personnage. Tout comme dans le roman, il est d’abord un opposant avant d’être l’un des adjuvants de Ree.
41 Le deuxième écart a certainement trait au nécessaire resserrement de l’intrigue d’un roman pour une adaptation cinématographique. C’est ainsi que disparaît du film toute la dimension sacrée du roman, notamment lorsque Ree passe la nuit dans une caverne, ce qui donne lieu à une épiphanie du passé où des figures tutélaires et pieuses de la communauté se manifestent dans l’esprit de la jeune fille ; ou lorsque se rapprochant d’Hawkfall, le domaine de l’ogre Thump, elle pénètre sur un domaine interdit parce qu’ancien, archaïque, mythique…
42 Le film n’est certainement pas la simple transposition cinématographique du roman de Woodrell. Bien que la trame soit identique, des scènes du roman ne figurent pas dans le film (comme nous venons de le voir) et des scènes du film se révèlent inédites par rapport au roman. C’est le cas de la séquence des comices, tournée au marché à bestiaux de Springfield. Ree y vient pour tenter de voir Thump Milton. Cette séquence de quelques minutes revêt un puissant intérêt cinématographique. On y voit Ree sur une passerelle métallique surplombant un vaste hangar à bestiaux où se trouve Thump Milton qu’elle interpelle. C’est toute la grammaire du cinéma qui est convoquée ici pour une séquence dont la visée est d’abord visuelle et esthétique. La réalisatrice et son équipe jouent d’abord sur le cadrage et les mouvements de caméra : plans sur les bovins hurlants puis plan sur Ree avec un travelling arrière en plan américain suivi de deux plans en caméra subjective, retour sur Ree avec un travelling latéral puis un travelling arrière cette fois en plan rapproché. S’ensuivent alors une série de plans en champ/ contrechamp durant lesquels Ree apostrophe Thump Milton, lequel finit par s’en aller. La séquence s’achève sur une course de Ree sur la passerelle, filmée en contreplongée avec une triple accélération : celle de Ree, celle des bovins subitement affolés et celle de la bande-son. Tout entière tournée vers l’esthétique, la séquence met clairement en avant l’interaction du son et de l’image. Les beuglements des veaux et des génisses tendent à saturer un espace devenu sonore tandis que toute la scène est filmée dans une lumière bleue, très froide et quasi irréelle. En effet, à cette saturation sonore s’ajoute, durant la course finale de Ree sur la passerelle, une saturation lumineuse. Le recours abondant à des filtres de lumière confère ainsi un halo très important à la lumière naturelle qui pénètre par des ouvertures du hangar et qui vient envelopper l’héroïne. Basée avant tout sur une mise en espace et une mise en lumière qui doit tout à l’expression cinématographique, cette séquence revêt pourtant un autre intérêt. C’est en effet à ce moment que le spectateur va voir le personnage de Thump pour la première fois [22]. Si l’on retient que ce personnage est un avatar de l’ogre des contes, le voir dans cette séquence trônant au milieu de ces jeunes bovins criant comme autant de victimes a un effet pour le moins saisissant. On comprend alors le défi de cette scène : introduire le personnage de Thump dans le récit, le présenter au spectateur. Dans le roman, il n’apparaît vraiment que lorsqu’il vient constater les dégâts sur le corps battu de Ree. Debra Granik a voulu nous le faire voir, nous le montrer avant, dans une séquence soignée à l’extrême et qui traduit l’impuissance de Ree à se faire entendre, à tous les sens du terme.
43 Reste une différence qui peut paraître anecdotique mais dont l’écho symbolique est très fort. Lorsque, conduite par Merab et ses sœurs (les mêmes qui l’avaient battue), Ree se retrouve face à l’étang gelé qui retient à jamais le corps de son père, elle doit lui trancher les mains qui serviront à prouver aux autorités que Jessup est bien mort. Pourtant, entre le roman et le film, le protocole est un peu différent. Dans le roman, Ree arrive à proximité d’une mare gelée dont elle doit briser la glace à coups de hache. Alors qu’elle parvient à hisser le corps de son père, Merab tranche les mains à l’aide d’une tronçonneuse. Dans le film, l’étang n’est pas gelé et Ree se rend avec Merab à l’endroit où est son père grâce à une barque, puis la tronçonneuse entre en action. Le rituel de la hache n’est donc pas respecté, la glace symbolique n’est pas brisée. Mais le déplacement en barque avec Merab se charge de connotations mythologiques tout aussi suggestives. Comment ne pas voir en effet dans cette mare traversée nuitamment un Achéron moderne et en Merab un substitut de Charon ? Il s’agit bien en effet du passage du monde des vivants au monde des morts sur une eau noire à la symbolique héraclitéenne. Ainsi s’opère le rite de passage : il faut visiter les morts, retirer leurs corps de la gangue qui les retient prisonniers pour y trouver les ferments de la vie à venir. La séquence, qui passe de l’onirisme harmonieux à l’horreur macabre, s’achève par un plan fixe sur l’eau à la surface de laquelle flottent des nappes d’huile échappées du moteur de la tronçonneuse. Les mouvements et les reflets de cette eau singulière renvoient alors autant à de fines interprétations qu’au plus vil prosaïsme. Tel semble être le projet cinématographique de Debra Granik dont le film ne sacrifie jamais le potentiel symbolique à l’évocation réaliste.
44 Dans les bonus du film en DVD, Debra Granik fait part d’une certaine surprise qu’elle avait eue en prenant connaissance des commentaires auxquels Winter’s Bone avait donné lieu en Allemagne et dans les pays scandinaves. Le public de cette partie de l’Europe n’avait pas manqué de rapprocher cette histoire de celle d’un conte. La réalisatrice utilise alors l’expression de dark fairy tale (littéralement « sombre conte de fée ») pour justifier ce rapprochement pertinent. Ce faisant, elle revendique sa filiation (d’abord inconsciente apparemment) avec un fonds narratif ancien susceptible d’être actualisé au gré des époques, des esthétiques ou des supports. Daniel Woodrell ne la démentirait sûrement pas.
Notes
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[1]
Daniel Woodrell, Winter’s Bone, New York, Little, Brown and Co., 2006 ; cité dans l’édition britannique, Londres, Sceptre, 2007 ; traduction française de Frank Reichert Un hiver de glace, Paris, Éditions Payot & Rivages, 2007, cité dans l’édition de poche, 2011.
-
[2]
Toutes nos citations des contes des Grimm renverront à l’édition et à la traduction de Natacha Rimasson-Fertin, Contes pour les enfants et la maison, Paris, José Corti, 2009.
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[3]
KHM 51, 60, 64, 102, 103 ou encore 166.
-
[4]
KHM 49 ou 197.
-
[5]
KHM 49.
-
[6]
KHM 127.
-
[7]
Winter’s Bone, op. cit., p. 117-118. « Ree agrippa M’man, l’attira à ses côtés et se mit à arpenter les aiguilles piquantes entre les pins et leurs branches cinglantes puis redescendit la colline et traversa le ruisseau alimenté par les pluies jusqu’au promontoire boisé suivant. On voyait des empreintes de pattes dans la neige : ragondins, lapins et une paire de coyotes venus rôder tout près pour flairer. Elle tira M’man vers le sommet à travers le bois touffu. La grimpette exigeait de nombreuses pauses et de profondes inspirations. Les arbres, là-haut, étaient grands, vénérables et fidèles. Une énorme souche de chêne, sciée au bon niveau, offrait une confortable place assise dominant toute la vallée. La souche était spongieuse et vermoulue par la putréfaction, mais elle n’en faisait pas moins un siège large et agréable. M’man s’assit et Ree s’installa derrière elle. Elle lui tint la main un instant puis se leva de la souche, s’agenouilla, la broya entre les deux siennes et pencha le visage en arrière pour la regarder dans les yeux. – J’ai besoin de toi, M’man. Regarde-moi, M’man. Regarde-moi. Je vais avoir besoin de ton aide. Il se passe des choses et je sais pas quoi faire pour trouver une solution. M’man ? Regarde-moi, M’man. M’man ?
Le soleil couchant n’était plus qu’une vaste éclaboussure rouge derrière la ligne de crête. Un horizon écarlate et flamboyant, découpé en colonnes par les troncs et projetant des stries roses sur la vallée enneigée. » Traduction de Frank Reichert, Un hiver de glace, op. cit., p. 131-132. -
[8]
« Ce sont les personnages qui dirigent tout mon travail (…). Je commence toujours par réfléchir aux personnages, jamais à l’intrigue. J’aime songer à eux et voir où ils vont dans mon imagination pour ensuite les suivre et voir comment ils peuvent évoluer. » (Ma traduction).
-
[9]
Winter’s Bone, op. cit., p. 133. Traduction de Frank Reichert : « Thump Milton toisa Ree ; un homme légendaire, au visage comme sculpté dans la pierre des Ozark, saillies, angles droits et recoins glacés que le soleil ne visitait jamais. Sa barbe noire était striée de gris, mais ses gestes étaient encore juvéniles. Il s’accroupit, lui empoigna le menton et fit pivoter sa tête de droite et de gauche pour inspecter les dégâts. Il était plus grand qu’elle ne l’avait imaginé, avec des mains fortes, puissantes comme une averse orageuse. Ses yeux plongeaient en vous sans demander la permission et se servaient sans gêne.
– Si t’as quelque chose à dire, petite, t’as intérêt à le dire maintenant.
Sa voix évoquait des marteaux brandis et des ombres aiguës. » Un hiver de glace, op. cit., p. 148-149. -
[10]
Winter’s Bone, op. cit., p. 58.
Traduction de Frank Reichert : « Ree traversa la prairie aux vieux murs effondrés et gravit la pente jusqu’à la maison de Thump Milton, mais elle n’eut pas à frapper. Une femme l’attendait déjà à son entrée dans le jardin. Elle était plantée sur le seuil, vêtue d’un tablier sur sa robe imprimée à manches courtes, et la regardait approcher en se frottant les mains. Elle avait dépassé la maturité, mais avait encore les joues roses, des cheveux blancs coiffés très haut en un toupet éthéré maintenu en place par de la laque. Elle était robuste d’apparence, corpulente avec une ossature massive, et sa chair roulait au moindre geste.
– Tu dois te tromper de maison, j’imagine. Qui es-tu ? », Un hiver de glace, op. cit., p. 69-70. -
[11]
C’est nous qui soulignons.
-
[12]
Winter’s Bone, op. cit., pp. 23-24.
Traduction de Frank Reichert : « L’oncle Larme était l’aîné de Jessup et mitonnait de la coke depuis très longtemps, mais suite à une expérience qui avait mal tourné, son oreille gauche avait été bouffée et il avait gardé une féroce balafre de chair fondue depuis la nuque jusqu’au milieu de l’échine. Ne restait plus assez de cartilage à son oreille pour y accrocher des lunettes de soleil. Autour du pavillon, les cheveux avaient eux aussi disparu, et la cicatrice de son cou pointait au-dessus de son col. Trois larmes bleues, tatouées à l’encre de la prison, tombaient au goutte à goutte du coin de son œil, côté ravagé. On racontait que ces larmes signifiaient qu’il avait perpétré à trois reprises, en taule, des actes sanglants, sans doute nécessaires, mais dont il valait mieux ne pas parler ; que ces larmes vous enseignaient tout ce qu’il y avait à savoir sur cet homme et que son oreille perdue s’en faisait simplement l’écho. Il s’efforçait généralement de s’asseoir en présentant au mur son côté fondu », Un hiver de glace, op. cit., p. 34. -
[13]
Winter’s Bone, op. cit., p. 37. Traduction de Frank Reichert : « Personne ici a envie d’être méchant […]. C’est juste qu’ici les gens ont un peu de mal à piger les règles, alors des fois ça dérape. » Un hiver de glace, op. cit., p. 47.
-
[14]
Samuel, 118-17.
-
[15]
Winter’s Bone, op. cit., p. 137.
-
[16]
Winter’s Bone, op. cit., p. 61-62. Traduction de Frank Reichert : « Transie, Ree se réfugia dans sa jupe en forme de tente. Elle décida de décliner le nom de tous les Milton pour s’occuper l’esprit : Thump, Blond, Cat-fish, Spider, Whoop, Rooster, Scrap… Lefty, Dog, Punch, Pink-eye, Momsy… Cotton, Hog-jaw, Ten Penny, Peashot… Suffit. Assez de Milton. N’utiliser qu’un nombre limité de prénoms masculins était une tactique remontant à l’ancien temps et aux méthodes mises au point par les démolisseurs, méthodes abandonnées pendant le règne d’Haslam, Fruit de la Foi, mais allègrement remises en vigueur après l’avènement de la grande rigueur et l’écroulement des murs sacrés. Comment un shérif ou tout autre ponte du même tonneau aurait-il pu tenir un compte officiel des mâles Dolly quand tant d’entre eux se prénommaient Milton, Haslam, Arthur ou Jessup ? Les Arthur et les Jessup étaient les moins courants — guère plus de cinq par prénom, probablement — et les Haslam étaient deux fois plus nombreux que tous les Arthur et Jessup réunis. Mais le prénom le plus usité chez les Dolly était Milton, et deux douzaines de Milton au bas mot hantaient l’univers de Ree. Prénommer son fils Milton, c’était une décision qui s’efforçait de dessiner son existence avant même qu’il n’y eût fait son entrée, car, pour les Dolly, ce prénom recouvrait tout à la fois des ambitions et un passé. Certains prénoms pouvaient certes conduire à emprunter des chemins menant dans toutes les directions, mais les Jessup, Arthur, Haslam et Milton ne naissaient que pour suivre le sentier rebattu des Dolly jusqu’à l’obscurité de la tombe, vivre et mourir en se pliant à leurs us et coutumes férocement défendus.
Dans la mesure où Sonny était d’ores et déjà un Jessup, Ree et M’man avaient hurlé, tempêté et vociféré contre l’idée de faire d’Harold un Milton. Elles avaient hurlé et emporté le morceau, et Ree avait regretté, plus de mille fois de ne pas s’être battue plus longuement pour Sonny, de n’avoir pas réussi, à force de récriminations, à en faire un Adam, un Leotis ou un Eugène, de n’avoir pas hurlé jusqu’à ce qu’on le baptise d’un prénom lui permettant de faire des choix. » Un hiver de glace, op. cit., p. 73-74. -
[17]
Winter’s Bone, op. cit., p. 63.
-
[18]
Winter’s Bone, op. cit., p. 149-150.
-
[19]
Winter’s Bone, op. cit., p. 134.
-
[20]
Cela n’est pas tout à fait exact. En vérité, les mains de Jessup sont tranchées par Merab à l’aide d’une tronçonneuse tandis que le corps est tenu par Ree. L’ambivalence de Merab est ici remarquable, d’autant qu’elle est manifestée par les mains, qu’il s’agisse des coups infligés à Ree ou de l’aide apportée à l’héroïne lorsque celle-ci est confrontée au cadavre de son père.
-
[21]
La liste exhaustive des prix remportés est évidemment consultable sur internet, à commencer par le site officiel du film http://www.wintersbonemovie.com/ ainsi que sur IMDb.
-
[22]
Pour être très précis, il est vu pour la toute première fois par Ree en caméra subjective juste avant la scène dont nous parlons (mais c’est la même séquence). Ree arrive dans la salle de présentation des bestiaux et observe les gradins où Thump est censé se trouver. Lorsque celui-ce se lève pour échapper au regard de Ree, le spectateur comprend de qui il s’agit.