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Article de revue

La création inachevée : la poétique sacramentelle du mystère dans les années 1930 (D. L. Sayers, P. Claudel, E. Kouzmina-Karavaeva)

Pages 51 à 73

Notes

  • [1]
    N. Berdiaev, Un nouveau Moyen Âge, Paris, 1927 ; D. L. Sayers, Introductory Papers on Dante, New York, 1969.
  • [2]
    Terme introduit par Eliot dans son essai « The Metaphysical Poets » (1921), Selected Essays, Londres, Faber and Faber Limited, 1934, p. 288, pour définir la rupture au XXe siècle de l’unité spirituelle du monde médiéval.
  • [3]
    Pour A. A. Vesselovski, « le mystère, étant la forme première du drame religieux, a servi de terme commun pour désigner ses nombreuses variantes », Starinnyi Teatr v Evrope (Le Théâtre ancien en Europe), Moscou, 1870, p. 307.
  • [4]
    Paul Claudel, Théâtre, II, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1965, p. 1488 (nous renverrons à cette édition par l’abréviation Th, II, le volume de prose sera noté Pr ). Il s’agissait de mises en scènes expérimentales selon les principes du théâtre du Moyen Âge comme Le Miracle (1914) de K.G. Vollmoller, réalisées par Max Reinhardt dans les années 1920 en plein air, près de la cathédrale de Salzburg.
  • [5]
    Voir Jaqueline de Labriolle, « Oratorio, drame ou opéra ? », Les « Christophe Colomb » de Paul Claudel, Paris, Librairie C. Klincksieck, 1972, p. 63-70 et p. 73.
  • [6]
    Paul Claudel, « Le drame et la musique » (conférence faite à l’Université de Yale en mars 1930), Le Livre de Christophe Colomb, Gallimard, 1935, p. 28. Les citations du texte du Livre qui suivent renvoient à cette édition.
  • [7]
    Gervase of Canterbury, History of the Burning and Repair of the Church of Canterbury. New York, A Documentary of Art, I, 1957, p. 51.
  • [8]
    Dorothy L. Sayers, « The Zeal of Thy House », Four Sacred plays, Londres, Victor Gollangz LTD, 1948, p. 16. Les citations qui suivent renvoient à cette édition.
  • [9]
    Le Fol en Christ (jurodivyj) est un type de saint particulièrement populaire en Russie, qui par sa folie simulée dénonce la prétendue sagesse du monde et la conduite des puissants. Le plus célèbre d’entre eux, Basile le Bienheureux, a donné son nom à la cathédrale située sur la Place Rouge.
  • [10]
    Mère Marie, « Anna », dans Stihi, poemy, misterii, vospominania ob areste i lagere v Ravensbrück (Vers, poèmes, mystères, souvenirs de l’arrestation et du camp de Ravensbrück), Paris, Oreste Zeluck, 1947 (même remarque).
  • [11]
    Alexandre Meier, « Zametki o smysle misterii (z?ertva) » (Notes sur le sens du mystère (le Sacrifice), Filosofskie soc?inenia, Paris, La Presse Libre, 1982, p. 119-129.
  • [12]
    Le problème de l’utilisation des procédés du mystère pour les textes en question a été posé, par exemple, par Henry Rey-Flaud, « Claudel et le théâtre médiéval », Mélanges de langue et de littérature médiévales offerts à Pierre Le Gentil, 1973, p. 715-719 ; Gérald Antoine, « Mystère et parabole chez Claudel », Vis-à-vis ou le double regard critique, Paris, 1982, p. 257-283 ; J. de Labriolle, « Mystère ou auto-sacramental ? », op. cit., p. 70-76. Sur The Zeal of Thy House de Dorothy L. Sayers : Fairman Marion Baker, The Neo-Medieval Plays of Dorothy L. Sayers, University Pittsburgh, 1961.
  • [13]
    Ce moment de la « simultanéité » liturgique se retrouve comme une intention permanente de ce groupe de dramaturges de Canterbury. Ainsi, le drame de l’assassinat de Thomas Becket d’Eliot a été joué au même endroit, quelques générations plus tard, comme un événement qui a une signification pour les contemporains.
  • [14]
    Erich Auerbach, Mimèsis. La Représentation de la réalité dans la littérature occidentale, Paris, Gallimard, 1968, p. 166,168.
  • [15]
    « Sacramental aesthetic […] reconciles time and eternity, and salvages the past from the refuse heap of history, thus allowing the dramatist to synthesize the diverse and transient world of concrete objects and events and the universal and permanent ideas into a multivocal poetic image », dans William V. Spanos, The Christian Tradition in the Modern British Verse Drama : the Poetics of Sacramental Time, New Brunswick, 1967, p. 13. Ce terme est utilisé à la suite de Spanos dans plusieurs travaux plus récents, par exemple, la thèse de Mary A. Donahoe, Sacramental Aesthetic in Plays of Dorothy Sayers, University of Oregon, 1992.
  • [16]
    Paul Claudel, « L’Enthousiasme », Pr, p. 1395.
  • [17]
    Bratstvo Sviatoi Sofii (La Fraternité de Sainte Sophie), Russkij Pout’-YMCA-Press, 2000, p. 162.
  • [18]
    Voir Nicolas Berdiaev, Le Sens de la création, Desclée de Brouwer, 1955. L’apologie de Colomb de Léon Bloy Révélateur du Globe (1883) a inspiré Claudel pour le choix de son héros (comparé par Bloy à saint François-Xavier, t. 1, p. 32 et 35 (d’après Jaqueline de Labriolle, op. cit., p. 17) ; Th, II, p. 1489.
  • [19]
    Comme le montre par exemple la canonisation par l’Église russe d’un peintre d’icône comme André Roublev.
  • [20]
    Everyman (moralité anglaise connue du XVe siècle) a été montée pour l’une des premières saisons du festival de Canterbury ; en Russie, Evreinov crée en 1907 le Théâtre Ancien (Starinyi Teatr), avec le Miracle de Théophile ( XIIe siècle), dans la traduction de Blok. En France, on peut noter Le Théâtre du Peuple de Maurice Pottecher ( Le Mystère de Judas Iscariote, 1905), le Théâtre Populaire de Jacques Copeau ( Mystère de Santa Uliva, 1933), Les Comédiens Routiers de Léon Chancerel ( Compassion de Notre Dame, 1932), ou encore le Théâtre du Vieux Colombier où l’on voit des parallèles avec le travail de Reinhardt : voir Clément Borgal, Metteurs en scène, F. Lanore, 1963.
  • [21]
    Par exemple, L’Annonce faite à Marie de Claudel a été montée au Théâtre de Chambre (Kamernyi Teatr) en Russie en 1920 par Alexandre Tairov comme un « mystère d’amour », utilisé « pour une mise en scène anticléricale », où le quatrième acte, le plus important au niveau de la lecture du mystère, a été supprimé. Voir « L’Annonciation au Théâtre de Chambre », Vestnik teatra (Le Messager du théâtre), Moscou, 1921, p. 78-79.
  • [22]
    On peut voir dans ce « guide » une allusion au « Duce » et au « Führer », dont la menace préoccupait mère Marie, et auxquels elle a consacré de nombreux articles.
  • [23]
    Dans ses croquis préparatoires pour The Zeal of Thy House on trouve un dessin complet de la scène à plusieurs niveaux, Manuscrit 248, p. 1,13, The Marion E. Wade Collection (Wheaton, USA).
  • [24]
    Les formes littéraires de la simultanéité ont récemment été étudiées dans l’ouvrage Jules Romains et les Écritures de la simultanéité, Villeneuve d’Ascq (Nord), Presses Universitaires du Septentrion, 1996 (UL3, Travaux et recherches). Voir en particulier l’article de Marie-Hélène Boblet-Viart et Dominique Viart, « Esthétique de la simultanéité » (p. 19-43).
  • [25]
    Claudel a utilisé cette structure narrative dans son mystère L’Annonce faite à Marie (1912), en particulier dans la scène à la veille de Noël où, parallèlement à la rencontre des deux sœurs dans la forêt, on entend les échos du couronnement du roi et de la liturgie de Noël.
  • [26]
    Psaumes 9.17,9.27 et 17.5-7
  • [27]
    Kenneth W. Pickering. Drama in the Cathedral. The Canterbury Festival Plays 1928-1948, Canterbury, Churchman Publishing Limited in association with The Friends of Canterbury Cathedral, 1985, p. 242-243.
  • [28]
    Jacqueline de Labriolle, « Les oratorios dramatiques de Claudel », Claudel 5, Schémas dramatiques. Revue des Lettres modernes, 1968/3, p. 83-100.
  • [29]
    Cf. par exemple les tendances à structurer l’espace théâtral pour tenter de résoudre le problème de la rampe, du lien entre l’espace de la salle et celui de la scène : S. Eisenstein, « O stereokino » (Le cinéma en relief, 1947), Izbrannye proizvedenia v 6-ti tomah, Moscou, Iskousstvo, 1964, t. III, p. 444-486.
  • [30]
    Pour reprendre la terminologie de Jean-Claude Roberti, « Orthodoxie et théâtre », Contacts, 1973, n° 83, p. 218-232.
  • [31]
    Paul Claudel, Pr, p. 388.
  • [32]
    William V. Spanos, op. cit., p. 14.
  • [33]
    Mère Marie, op. cit., 1947, p. 25.
  • [34]
    Paul Claudel, Lettre à Stanislas Fumet (19.12.1920), dans Correspondance (1920-1954 ), L’Âge d’Homme, 1997, p. 14.
  • [35]
    Le Livre de Christophe Colomb, p. 60.
  • [36]
    T. S. Eliot, The Rock, Londres, 1934, p. 50.
  • [37]
    Le développement de la théologie fut l’une des sources de la renaissance du mystère dans les années 1930. Ainsi, Gabriel Marcel, auteur de drames religieux : La Chapelle ardente (1919), Un homme de Dieu (1922), Le Monde cassé (1923), confie : « … au soir de ma vie, je tends de plus en plus à préférer mes pièces à mes écrits philosophiques », dans Entretiens autour de Gabriel Marcel, Centre culturel international de Cerisy-la-Salle, Éd. de la Baconnière, 1976, p. 9.
  • [38]
    En particulier dans le cadre du Fellowship of Saint Albans and Saint Serge.
  • [39]
    Maritain et Berdiaev ont créé un séminaire catholique-orthodoxe à Clamart auquel participaient plusieurs représentants des intellectuels russes. Voir A. Arjakovsky, La Génération des penseurs religieux de l’émigration russe, Kiev-Paris, L’Esprit et la Lettre, 2002, p. 372-394.
  • [40]
    D’après Sayers, « Jacques Maritain – one of the very few religious writers of our time who really understand the nature of creative work », « Why work ? », Creed or Chaos, New York, Harcourt, 1949, p. 78. Elle attire l’attention sur un passage du chapitre « L’art chrétien » qui correspond à ses propres interrogations : « Si l’artiste prenait pour fin dernière de son opération, donc pour béatitude, la fin de son art ou la beauté de l’œuvre, il serait, purement et simplement, un idolâtre », Art et scolastique, Paris, Desclée de Brouwer, 1965, p. 119.
  • [41]
    Mère Marie, « Istoki tvorc?estva » (Les sources de la création, 1934), in Vospominania, stat’i, oc?erki v 2-h tomah, Paris, YMCA-Press, t. II, 1992, p. 146.
  • [42]
    Paul Claudel, Les Aventures de Sophie, Paris, Gallimard, 1937, p. 220.
  • [43]
    Cf. « The Greatest Drama Ever Stage », « The Dogma is the Drama », Creed or Chaos, op. cit., p. 3-7 ; 20-24.
  • [44]
    Sayers, « In terms of book, “The Book as You Think It” – “The Book as You Write It” - “The Book as You and They Read It” » (Lettre à Herbert Kelly, 4 octobre 1937), Lettres II, op. cit., p. 45.
  • [45]
    Mère Marie, op. cit., p. 146-147.
  • [46]
    Sayers, dans The Mind of the Maker, p. VI, 23,49,79,112. Plus généralement Berdiaev, « one of leading Christians thinkers », est souvent cité dans ses œuvres critiques et ses lettres. Mère Marie, collaboratrice de Berdiaev dans plusieurs revues de l’émigration russe ( Pout’, Novyi Grad ) se réfère souvent implicitement à lui (« V poiskah sinteza », À la recherche de la synthèse, 1929, « Roz?denie i tvorc?estvo », La naissance et la création, 1931). On trouve un écho de ces discussions sur la nature de la création dans la dédicace de mère Marie à Berdiaev sur un recueil de ses poèmes (Berlin, 1937) : « À mon cher ami Nicolas Alexandrovitch Berdiaev, en témoignage du droit des moniales à écrire des poèmes », Archives privées, Paris.
  • [47]
    Cette philosophie est notamment exposée dans Smysl tvor c? estva (Le Sens de la Création, Moscou, 1916), où Berdiaev inscrit en épigraphe une pensée d’Angelus Silesius (« Je sais que sans moi Dieu ne peut vivre un seul instant ; suis-je réduit à rien, il doit rendre l’esprit »). Ces idées reviennent dans ses œuvres tardives, en particulier dans De la destination de l’homme.
  • [48]
    Mère Marie, op. cit., p. 148.
  • [49]
    « We may properly and profitably amuse ourselves by distinguishing those writers who are respectively “father-ridden”, “son-ridden” and “ghost-ridden”. “Thus, a confirmed feebleness in the “father”, or Idea, betrays itself in diffusion, in incoherence, in the breach of the Aristotelian unity of action” ; “weaknesse in the sonhood”, “which sets the artist at odds with the material” ; “a failure of the ghost when the playwright has not been able to “sit in the stalls, “Scalene Trinities” », dans The Mind of the Maker, p. 121 et 133.
  • [50]
    N. Berdiaev, op. cit., p. 134.
  • [51]
    Paul Claudel, Les Cinq Grandes Odes, Paris, Gallimard, 1936. p. 60.
  • [52]
    Pascal Dethurens. Claudel et l’avènement de la modernité, Annales littéraires de l’Université de Franche-Comté, 1996, p. 28.
  • [53]
    Gilbert Gadoffre, « Un poète de demain », Les critiques de notre temps et Claudel, Paris, Gardinier Frères, 1970, p. 43.
  • [54]
    Paul Claudel, Art poétique, Paris, Mercure de France, 1913, p. 20.
  • [55]
    Mère Marie, Poèmes, Berlin, 1937, p. 59.
  • [56]
    Paul Claudel, Art.., op. cit., p. 161.
  • [57]
    D. L. Sayers, The Mind…, op. cit., p. 103.
  • [58]
    Roland Barthes, « L’Arlésienne du catholicisme » (1953), Œuvres complètes, tome I, Paris, Le Seuil, 1993, p. 236-238. Cette richesse n’est d’ailleurs pas obligatoire pour le texte de Claudel, comme le montre, par exemple, la mise en scène récente d’André Nerman (Paris, Théâtre du Nord-Ouest, 2003) sur une petite scène, avec un minimum de moyens, et sans perte de la dimension universelle.
  • [59]
    Voir The Letters II, op. cit., p. 4. On trouve cette scène dans le manuscrit, op. cit., p. 119-124 ; 202-208, The Marion E. Wade Collection.
  • [60]
    V. Meyerhold souligne la différence entre les mises en scènes intimes au sein des communautés religieuses et les grands spectacles organisés sur la place publique. Il remarque que cette différence se retrouve dans les tentatives contemporaines de reprise des mystères médiévaux. Cf. Vs. Meyerhold, Stat’i. Besedy. Rec?i. Pis’ma, (Articles, Lettres, Discours), Moscou, 1968, Ire partie, p. 208 (en russe).
  • [61]
    William V. Spanos, op. cit., p. 124.
  • [62]
    Mère Marie, « Tipy religioznoj z?izni (Les types de la vie religieuse) », Vestnik, Paris, 1997, n° 176, p. 48-49.
  • [63]
    T. S. Eliot, op. cit., p. 9-10.
  • [64]
    Charles Péguy, « Le Mystère des Saints Innocents », Œuvres poétiques complètes, Paris, Gallimard, 1957, p. 782.
  • [65]
    Paul Claudel, Positions et Propositions I, Paris, Gallimard, 1959, p. 84.
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Ô monde qui attend, Monde brisé !
Tu as soif d’être bâti, Tu cherches un créateur
(A. Scriabine, Poème de l’Extase )

La Renaissance du mystère au XXe siècle

1La période des années 1910 à 1930, fortement marquée par divers mouvements avant-gardistes qui recherchent l’originalité et la nouveauté, voit aussi une renaissance spirituelle qui embrasse des traditions culturelles diverses. Ainsi, cette époque où le « traditionalisme » pouvait sembler presque plus excentrique que la provocation, se révèle être une époque chrétienne par excellence, comparée parfois pour sa vision tragique à celle de Dante [1], et préparée par le questionnement métaphysique d’un Kierkegaard ou d’un Dostoïevski.

2Un des aspects de ce renouveau, issu du sentiment aigu d’une décomposition du monde (« dissociation of sensibility », selon le terme de T. S. Eliot [2] ), est la renaissance du drame chrétien, et plus particulièrement du mystère. Ce genre, pris ici dans un sens large pour inclure ses diverses variantes médiévales [3], apparaît comme un ensemble de procédés permettant de retrouver l’unité organique du monde. Il replace l’homme dans la création divine, pénétrée par la vision eschatologique d’un « éternel présent » qui manifeste sa transfiguration ultime au-delà de la souffrance. Avec son fameux drame Murder in the Cathedral (1935), Eliot fut l’un des premiers auteurs à participer à la Society of Religious Drama à Canterbury, qui a monté des textes comme Thomas Cranmer of Canterbury de Charles Williams (1936) ou Christ’s Comet de Christopher Hassall (1938). En France, le retour vers le genre du mystère est marqué plutôt par la dramaturgie de Paul Claudel : L’Annonce faite à Marie (1912), Jeanne d’Arc au bûcher (1934) et d’Henry Ghéon, La Merveilleuse Histoire du jeune Bernard de Menton (1924) par exemple ; en Russie on trouve ce mouvement encore plus tôt dans l’œuvre des symbolistes russes (André Biély, Celui qui est venu (1903), Alexis Rémizov, L’Action Diabolique (1907), pour ne citer qu’eux).

3Parmi les nombreux exemples de cette période, nous allons nous concentrer sur trois textes dont la poétique renvoie au drame médiéval, qui sont unis par un même thème, celui de la création humaine, et pour lesquels leurs auteurs ont choisi la forme poétique, la mieux à même selon eux d’exprimer les réalités sacrées à notre époque. Il s’agit du Livre de Christophe Colomb (1927) de Paul Claudel, à qui le célèbre metteur en scène Max Reinhardt avait demandé « une pièce comme le Miracle » [4] pour le festival de Salzbourg ; de la pièce The Zeal of Thy House (1937) que Dorothy L. Sayers, collaboratrice d’Eliot, mais connue davantage comme auteur de romans policiers, a écrite pour le festival de Canterbury ; et du mystère Anna (1938) d’Elisabeth Kuzmina-Karavaeva, poétesse du « siècle d’argent » russe, devenue moniale « dans le monde » en France sous le nom de mère Marie (Skobtsoff), tout en poursuivant ses activités artistiques.

4Ces trois textes, de traditions culturelles et spirituelles différentes, présentent à chaque fois l’entrelacement de diverses formes théâtrales : l’« oratorio dramatique » de Claudel a été ensuite adapté dans une version radiophonique (1947) puis dramaturgique (1953, dans une mise en scène de Jean-Louis Barrault, qui « ranime la tradition des mystères ») [5]. La pièce de Sayers, écrite pour une représentation dans l’église, fut montée ensuite sur une scène professionnelle (Westminster Theatre, 1937). Enfin le « mystère » de mère Marie, qui suggère une mise en scène dans un théâtre intime, a été récemment diffusé comme pièce radiophonique (Moscou, 1989) et monté en 1998 par une troupe d’amateurs sur une scène parisienne.

5Par-delà cette diversité, une profonde parenté lie ces trois textes dans leur référence à un modèle commun.

Une Poétique « sacramentelle » : le modèle médiéval

6Le drame de Claudel comme celui de Sayers sont construits autour d’un événement authentique, la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb pour le premier, la restauration de la cathédrale de Canterbury en 1174 par William of Sens et sa chute du haut de la coupole pour le second. Ce caractère historique est souligné chez Claudel, qui définit lui-même son œuvre comme un « drame historique » [6], par la citation d’une lettre de Christophe Colomb, tandis que Dorothy L. Sayers s’appuie sur la chronique du moine Gervase, contemporain des événements qu’elle met en scène. Mais, comme dans les mystères médiévaux historiques, les événements se déroulent « non seulement dans le temps, mais dans l’Éternité » ( Le Livre, p. 43) pour révéler leur sens spirituel. Le voyage de Colomb est lu à travers un « livre sacré », la chute de William of Sens est interprétée à la suite de Gervase comme « either the Vengeance of God or Envy of the Devil » [7]. Ce plan « surnaturel » est évident dans Anna de mère Marie, où une jeune moniale rencontre un Vagabond, qui a vendu son âme au diable en échange de 300 ans de jeunesse et de richesse. Elle prend sur elle le pacte pour sauver son prochain au prix de sa propre perte, avant d’être justifiée à l’heure de la mort. L’action, sans lien avec un contexte historique précis, se fonde sur la légende de Faust, rappelant un autre type de mystère.

7Conformément au modèle médiéval, les trois textes présentent de façon sensible l’intervention des forces célestes ou diaboliques, et placent les protagonistes au centre de la lutte éternelle entre le bien et le mal. Dans The Zeal les archanges apparaissent pour suggérer aux hommes la décision à prendre (la scène du choix de l’architecte, acte I) ou pour faire comprendre à William la cause de son accident : son orgueil (acte IV). Pour être reconnus, et accomplir leur mission d’enseignement de façon plus efficace devant une humanité sourde et aveugle, ils conservent en évidence leurs attributs (Michel, chef de l’armée céleste, son épée ; Cassiel, « God’s recorder » [8], son parchemin). Dans le drame de Claudel ce sont les démons qui se déchaînent pour empêcher Colomb d’arriver à bon port. Ils manifestent ainsi le sens universel de l’œuvre de ce dernier : tout l’univers y contribue, ou y résiste. La lutte entre la terre chrétienne et la terre sauvage, habitée par les dieux païens, prend un caractère spectaculaire (« la terre tremble » (p. 97), « la mer bout » (p. 105). L’affrontement propre au mystère dans Anna n’apparaît pas tout de suite. Personne ne se manifeste pour indiquer son chemin à la jeune moniale, qui semble devoir œuvrer seule au milieu de la misère du monde. C’est elle seule qui décide de prendre sur elle-même, par compassion, le pacte du Vagabond. Mais dans le finale les forces en présence se découvrent et la lutte entre le diable et le saint pour l’âme d’Anna se termine par l’ascension au ciel de celle-ci.

8Cette bipolarité du mystère, entre le bien et le mal, prend dans ces textes de multiples aspects. Chez Claudel les scènes tragiques voisinent avec la farce et le burlesque, comme dans la scène où les dieux païens s’émeuvent de la fin prochaine de leur règne, ou lors de l’attente par le chœur du retour triomphal de Colomb. Au dialogue amusant entre le choriste et l’explicateur : « un petit ballet n’aurait fait de mal à personne » / « Un mélange de fandango et de danse du ventre ? » (p. 140-141), succède la vision de Colomb enchaîné (II, 3), c’est-à-dire sa passion selon la logique du mystère. Ce contraste entre ce qui est attendu et ce qui se produit réellement, l’alternance du sérieux et du comique, se retrouve dans la dynamique même de la pièce de Sayers. Les archanges chargés, avec le chœur, de montrer aux hommes l’harmonie de la création divine s’embrouillent parfois dans leurs explications et leur argumentation théologique complexe est mise à mal par une question inattendue : parallèlement à la scène de la rencontre de William et de lady Ursula (une riche et généreuse veuve prête à donner beaucoup pour la construction de la cathédrale mais qui porte autant d’intérêt à l’artiste qu’à son œuvre), un « jeune chérubin » se demande innocemment : « Why did God create mankind in two different sorts, if it makes so much trouble ? », provoquant le tumulte parmi les très sérieux archanges Raphaël, Michel et Gabriel (« Hush ! You mustn’t ask Why / Angels never ask Why / Only man ask Why ! », p. 54) ; mais ils n’obtient pas d’autre réponse à sa question qu’une nouvelle louange à Dieu chantée par le chœur.

9Souvent, là où la sagesse reste sans force, la folie prend le relais. Colomb est traité de fou par ses contemporains (I, 14). Il est en effet déraisonnable de chercher vers l’Ouest une terre qui se trouve à l’Est, ou de persister alors que les vivres manquent pour prendre la route du retour. Chez Mère Marie c’est un « fol en Christ » [9], utilisant un vocabulaire enfantin (p. 67) [10], qui apparaît pour défendre Anna contre la puissance de Satan, mais « ce qui est folie pour les hommes est sagesse pour Dieu », selon la parole de l’Apôtre, et le « bienheureux Basile » confond le démon pour manifester la victoire de l’amour, tandis que les caravelles de Colomb touchent enfin terre.

10Il faut ainsi être fou pour témoigner de la vérité, rire pour présenter les choses les plus sérieuses, il faut changer le mystère en farce pour arriver à la manifestation de la réalité supérieure. Cette tension entre deux pôles, héritage du drame médiéval (où la polarité principale est celle du chemin de croix qui mène à la jubilation) se retrouve dans la multiplicité des images dont est chargé le héros quand il revit les événements clés de l’histoire biblique. Ainsi, Christophe Colomb reconnaît dans les différents épisodes de son aventure l’expérience d’Abraham (le départ), de Jonas (la réclusion dans les cales du bateau), il passe par les « jours de Déluge » (p. 80). De la même façon, la chute de William of Sens fait penser à celle de Lucifer, le premier « orgueilleux », dans le mystère médiéval : il est aussi Adam, qui tombe volontiers dans le péché lorsqu’apparaît son Ève (Lady Ursula), il est surtout un créateur, et son travail est mis en parallèle avec l’acte de Création du monde. Enfin, chacun des trois protagonistes renvoie au Christ et à sa Passion : William of Sens dans son agonie après la chute, Anna qui « descend en enfer » pour le salut du prochain, Christophe Colomb attaché au mât, puis, mourant, qui prononce les paroles du Christ crucifié.

11Au-delà du sacrifice vient le salut. Christophe Colomb qui a tout quitté et tout donné pour partir vers l’Ouest et qui se retrouve seul et misérable, reçoit bien plus, selon la logique inversée du mystère, « au début du monde nouvellement émergé ». Anna quitte la quiétude du monastère et, confrontée à la souffrance et au malheur du monde, se trouve en enfer sur terre – mais le salut spirituel d’un voyageur rencontré sur la route devient son propre salut, car l’enfer ne peut recevoir l’amour et le don de soi. William doit abandonner son œuvre, sur le point d’être achevée, à ses successeurs, mais par ce sacrifice il lui permet de rayonner dans le monde.

12L’harmonie du monde est ainsi restaurée et maintenue par le sacrifice. L’expérience que traversent les trois héros, le découvreur, l’architecte et la moniale, est tout à fait différente mais leur chemin reste « paradigmatique » et renvoie aux étapes essentiels du mystère : le « départ » – le « chemin » – l’« union »  [11]. Le sujet des trois pièces correspond au sujet archétypique du mystère, il se déroule sur plusieurs niveaux parallèlement et entrelace l’histoire céleste et l’histoire humaine qui se rejoignent au moment de la résurrection et du triomphe sur la mort. On pourrait ainsi appeler ces trois œuvres « La vie et la passion de Christophe Colomb / de William of Sens / d’Anna » en les rapprochant des mystères [12] « hagiographiques » qui commémorent la Passion et la Résurrection du Christ à travers la vie des saints.

13Ce procédé, que le mystère hérite du drame liturgique, profondément lié à l’espace et au temps ecclésial, est repris par les dramaturges que nous étudions : la pièce de Dorothy L. Sayers, jouée dans la Cathédrale de Canterbury, et qui s’inscrit dans la symbolique de son espace, « commémore » des événements qui se sont déroulés quelques siècles plus tôt dans les mêmes murs [13]. La revivification de la mémoire de Christophe Colomb « devant la postérité » est présentée comme une lecture liturgique par un récitant, forme que l’on retrouve au début d’Anna, avec ce même objectif de commémorer la vie de saint Vitalij, qui servira de modèle et de justification au départ et au destin de l’héroïne.

14La perspective liturgique reste ainsi la toile de fond pour présenter les événements historiques selon une interprétation figurative [14], sur laquelle se fonde la poétique du drame chrétien du XXe siècle, définie par le chercheur William V. Spanos comme « sacramentelle » [15].

15Le choix des protagonistes marque cependant déjà une nouveauté importante dans cette vision sacramentelle : au lieu d’honorer un saint reconnu par l’Église, c’est la vie et l’œuvre, même controversée, d’un créateur que l’on célèbre. En cela ces trois pièces se distinguent non seulement des mystères médiévaux, mais également des autres mystères contemporains, qui continuent à mettre en scène les vies de saints ( Le Martyre de Saint Sébastien de D’Annunzio, « le théâtre des saints » d’Henri Ghéon). Après les drames religieux d’Eliot sur Thomas Beckett et de Charles Williams sur Thomas Cranmer, deux saints locaux, Sayers propose pour le festival de Canterbury une pièce sur un architecte oublié. Le choix de Claudel pour son « livre sacré » peut paraître surprenant, mais le destin de son héros est « sanctifié » dans la perspective de l’histoire du salut par son enthousiasme créatif et la soif d’un autre monde : « Ce qui fait le saint, c’est le désir de répondre de toute son énergie et de toute sa capacité, et tant pis pour lui ! à la chose qui lui est demandée » [16]. Cela annonce une sensibilité religieuse nouvelle, clairement exprimé par mère Marie (« à travers la création les gens se rendent digne du Royaume » [17] ), que l’on trouve déjà chez des penseurs de l’époque comme Nicolas Berdiaev et Léon Bloy qui mettent sur le même plan sainteté et créativité [18]. Cette sensibilité se répandra à la fin du XXe siècle [19].

16Ces textes, réunis par le modèle médiéval, le dépassent au niveau de la problématique et de la forme, en créant une poétique où la personnalité de l’auteur peut se manifester et s’exprimer.

Le mystère intériorisé

17

… ici le diable lutte contre Dieu, et le champ de bataille est le cœur humain. (Dostoïevski, Frères Karamazov )

18En effet, les possibilités de l’esthétique médiévale sur la scène contemporaine sont manifestement limitées, ce que montre bien l’expérience des « restaurations » de textes médiévaux au XXe siècle, qui quittent rapidement les tréteaux et les vastes scènes en plein air [20]. En plus d’une mise en scène compliquée, la contradiction inhérente à la représentation de la réalité spirituelle dans des formes sensibles, et qui dans la culture russe a empêché l’apparition d’un théâtre religieux, a été ressentie de façon aiguë par les dramaturges contemporains qui cherchent de nouvelles solutions à ce problème.

19Dorothy L. Sayers, qui a créé ses premières pièces religieuses dans l’esprit du réalisme médiéval, avec de « gigantesques figures angéliques », en vient ainsi, au début des années 1940, à la création d’un cycle évangélique radiophonique ( The Man Born to be King ), car la personne du Christ ne peut être représentée que par la voix. Paul Claudel, lui, se tourne vers les moyens cinématographiques en utilisant dans ses dernières pièces l’écran, « projection de la pensée » et de la réalité sacrée ( Th, II, p. 1493). Christopher Fry dans son mystère A Sleep of Prisoner (1951) emprunte également certain procédés au cinéma (technique des fondus enchaînés). Toutes ces recherches tendent à une expression allusive : la poétique du mystère n’est plus la mise en scène de l’invisible, mais « une fenêtre vers l’invisible » selon l’expression de Pavel Florenski à propos de l’icône, une autre redécouverte du XXe siècle.

20Le spectateur est introduit dans la réalité du mystère par de nouveaux moyens (Claudel et Sayers insistent sur le rôle de la musique), il se trouve devant la nécessité de déchiffrer le sujet « intérieur », indiqué par des indices symboliques et les discours de certains personnages qui se lisent sur plusieurs plans, faisant entendre, outre leurs propres paroles, celles de Dieu. Ainsi, quand dans le Livre la reine Isabelle, voyant que Colomb ne veut pas la rejoindre à la porte du Paradis et reste attaché à sa mule, décrète : « Eh quoi, il lui reste encore une mule ! Il n’est pas juste que cet homme garde quelque chose à lui quand il possède la bienveillance et la complaisance éternelle de sa souveraine » (p. 191-192), il ne s’agit pas du caprice d’une souveraine jalouse, mais de l’appel de Dieu dont l’amour vaut plus que tout bien matériel. Ce procédé peut prendre des formes plus explicites par l’usage de citations connues (« Christophe Colomb, pourquoi m’as-tu abandonné ? » p. 179). Ainsi, la Parole se fait entendre de manière indirecte et exige des spectateurs de percevoir l’action dans une double optique pour discerner le sujet paradigmatique qui ne se manifeste que de cette façon. Pourtant, le mystère au XXe siècle peut aussi être lu comme un simple drame, et les interprétations de ce type ne sont pas rares [21].

21L’absence de Dieu sur la scène est aussi le signe d’une réelle absence de Dieu ressentie par les héros, et qui est propre au XXe siècle. En témoignent la solitude d’Anna face à la souffrance des hommes, et le sentiment d’abandon et de solitude de Christophe Colomb. William est seul également, mais c’est parce qu’il n’a pas besoin de Dieu, auquel dans son orgueil il s’égale.

22La présence des forces malignes est moins sensible, mais la terre n’en demeure pas moins sous leur emprise et doit être « exorcisée » à l’issue de la lutte, afin que Dieu finisse par triompher. C’est ainsi que Christophe Colomb commande aux éléments déchaînés en utilisant les paroles de l’Évangile de saint Jean, et que le fol en Christ de mère Marie chasse par ses paroles « la puissance mauvaise ».

23Si les démons apparaissent parfois encore, c’est dans les scènes parodiques, comme quand les démons ridicules de Claudel attendent avec crainte d’être chassés par Colomb. Mais le diable réellement redoutable est masqué (le « guide » [22] chez mère Marie) ou invisible, il pénètre l’inspiration même de l’artiste (William of Sens), pour la pervertir et, par elle, dominer de nombreux cœurs. Et c’est souvent à travers l’homme possédé qu’il se manifeste et prend la parole (Anna dit du Vagabond : « ce n’est pas la maladie, un esprit le possède », p. 57). Il ne s’agit plus de représenter l’enfer, mais de montrer son action à l’intérieur de la conscience humaine. William, privé du sens de son existence, de son travail et rongé par son propre esprit, reconnaît : « I am in hell » (p. 89). Chez Claudel cette torture se révèle à travers une série de dédoublements : le procès contre Christophe Colomb ne cesse pas tout au long de la pièce, à travers les diverses voix du chœur, dans l’accusation de Christophe Colomb I (le Colomb « historique », abandonné et mourant) contre Christophe Colomb II (celui de la « postérité ») ( Th, II, p. 1495) et culmine dans la scène à « l’intérieur de sa conscience » (II, 4), où, en plus des deux Colomb, apparaît son « ombre » qui devient l’un de ses accusateurs. Dans cette scène tout se dédouble, chaque action est à double sens, « arracher le monde aux ténèbres » n’est pas l’« arracher à la souffrance », et « rendre l’Afrique nécessaire à l’Humanité » revient à « vendre les hommes comme des animaux » (p. 156). Ainsi, les deux pôles du mystère médiéval, sémantiquement bien définis, sont désormais intériorisés dans la conscience, et deviennent difficiles à distinguer. Ils sont, pour reprendre les mots de Claudel, comme « un miroir dont un côté reçoit la lumière et dont l’autre est tout rugueux et rouillé » (p. 53) : il ne reste qu’ambiguïté et jeux de significations mouvantes. Néanmoins, l’action, selon l’ancien schéma, mène toujours vers la rédemption finale.

24Ainsi, « l’état de l’enfer » et la « perspective » du paradis remplacent la représentation de l’enfer et du paradis de la topographie scénique multiple médiévale. On retrouve cependant quelques traces de la scène simultanée – par exemple, dans The Zeal of Thy House[23] avec l’usage des « marches » en haut desquelles apparaissent les anges, quand ils ne descendent pas se mêler directement des affaires des hommes. Ou, également, chez Claudel, avec le proscenium où trône Christophe Colomb II, tandis que sur la scène Christophe Colomb I peine « dans le monde » et que l’écran, au fond, tient lieu de « paysage spirituel » ( Th, II, p. 1491).

25Mais surtout la simultanéité se révèle comme un procédé d’organisation de certaines scènes [24]. Chez Claudel elle est créée notamment grâce à certains personnages [25], comme l’Explicateur qui annonce les événements à l’avance, fait des retours dans le passé, joue partiellement le rôle du maître de jeu du mystère médiéval et décide quel épisode de la vie de Colomb il convient de regarder. L’action passe de l’un à l’autre grâce à l’écran qui joue sur des images multiples qui se succèdent rapidement (p. 82-83), et qui transportent le spectateur (qui se sent tantôt au théâtre, tantôt à l’opéra, tantôt au cinéma) en différents lieux géographiques. Lors de la scène du recrutement qui précède le départ de Colomb, on voit de l’autre côté de l’océan les « affreux dieux de sang et de ténèbres » qui assistent avec inquiétude, à des milliers de kilomètres de distance, et parfois quelque temps à l’avance, à ces préparatifs (p. 99-100). Il s’agit ainsi d’une action mise en parallèle et de la rencontre de deux plans temporels (le Colomb historique et le Colomb devant la postérité), où l’écran permet d’obtenir l’effet de la scène simultanée.

26Dans The Zeal, ce type d’action est organisé selon plusieurs lignes de récit qui se développent en même temps en différents endroits de la scène, comme, par exemple, dans l’épisode qui précède la chute de William (acte II). Parmi les ouvriers qui participent à la restauration, Simon et Theodatus (sur le côté gauche de la scène) préparent la montée de William sur le clocher en vérifiant la solidité de la corde, mais toute leur attention se concentre sur la conversation de William et lady Ursula (la partie opposée de la scène). L’apparition de cette dernière provoque la curiosité de Simon, qui les regarde, et l’indignation de Theodatus, qui ferme les yeux. Les répliques des deux amants s’entremêlent avec les remarques à double sens de Simon, les prières latines de Theodatus et les interventions inquiètes des archanges (la troisième ligne de l’action venue soudain « du haut » des marches) qui prennent place derrière les deux ouvriers et leur font à tour de rôle, des signes pour les avertir (« There is a flaw in the rope » (p. 66). De son côté de la scène, William prononce son monologuecredo fatal (« We are the master-craftsman, God and I », p. 67-68) et commence sa montée vers la coupole, accompagné par l’archange Michel, tenant en main « l’épée du jugement » : « the hour is come » (p. 69). Car « si Yahvé ne bâtit la maison, en vain peinent les bâtisseurs », explique le chœur à l’aide des vers du Psaume 126, donnant sa véritable perspective à l’action dont toutes les lignes se rejoignent au moment de la chute de William : même la présence de Michel est remarquée par un enfant étonné (p. 71).

27Cependant, la structure polysémique du sujet où l’« humain » et le « divin » se « croisent », et qui était manifestée physiquement dans le mystère médiéval par les différents types de personnages, est désormais obtenue de préférence par l’usage des citations bibliques récurrentes, prononcées généralement par le chœur. Elles révèlent en effet les plans simultanés de l’action, et anticipent le dénouement. Ainsi, alors que William monte triomphalement vers la coupole pour couronner son chef-d’œuvre, le chœur chante : « The Lord is known to execute judgment ; the ungodly is trapped in the work of his own hands » / « For he hath said in his heart, Tush, I shall never be cast down ; there shall no harm happen unto me » / « The snares of death compassed me round about, and the pains of hell gat hold upon me. I shall find trouble and heaviness, and I will call upon the name of the Lord : O Lord, I beseech Thee, deliver my soul » [26] (p. 70). Ainsi, en quelques vers tirés des psaumes, on voit toute l’histoire de William of Sens, dont l’orgueil entraîne la chute (spirituelle et physique), suivie de l’expérience de l’enfer, du repentir, et de l’appel vers Dieu.

28Le fond liturgique est renforcé chez Dorothy L. Sayers par la présence de deux chantres (V. et R. : Vesicle and Response). Leur dialogue à travers des citations bibliques crée une tension dramatique rappelant la forme du drame liturgique primitif ou de l’oratorio plus récent [27]. Ils ne se contentent pas de commenter les événements, mais ils interviennent au moment décisif, alors que les arguments restent sans force, pour mettre fin au doute et renverser l’action. Tandis que les archanges tentent en vain de convaincre Williams de s’abandonner à la volonté divine en remettant son œuvre à ses successeurs, ce dernier renonce brusquement à toute opposition devant la scène de la tentation du Christ en croix « jouée » en deux répliques par V. et R. (p. 98). On retrouve ce rôle décisif de la Parole chez Claudel (qui utilise la même forme d’« oratorio dramatique » [28], mais son chœur a alors un caractère plus littéraire qu’ecclésial) quand Christophe Colomb mourant répète les derniers mots du Christ « pourquoi m’as tu abandonné ? » (p. 179). Ces dernières paroles identifient définitivement le héros à son Prototype évangélique et permettent le dénouement : la réunion des deux Christophe Colomb et l’entrée dans le « Paradis de l’Idée ».

29Par leur puissance efficace, les citations remplacent dans le dispositif du mystère l’apparition de Dieu aux moments clés. En outre, dépassant leur usage médiéval d’illustration et d’enseignement de la Parole, elles jouent le rôle de gestes liturgiques, plus expressifs que toute explication et, au regard du XXe siècle, plus significatifs que les mots dont le sens est épuisé.

30Ainsi, c’est une réminiscence du même verset des Psaumes (23,7) : « Ouvrez-vous, Portes Éternelles », qui marque dans les trois textes l’entrée dans le Royaume. On la retrouve dans l’humble prière du Vagabond de mère Marie (« Portes de l’éternité, ouvrez-vous largement », p. 65), elle résonne chez Claudel comme une incantation presque magique à l’approche du finale (p. 197,198,199), accompagnant l’entrée d’Isabelle dans le Royaume sur la mule de Christophe Colomb (p. 192), comme l’hymne liturgique Attolite portas célèbre l’Entrée du Christ à Jérusalem, et c’est également sur un hymne évoquant la Jérusalem Céleste que se clôt la pièce de Sayers (p. 102).

31Donc « le monde s’ouvre. Les portes sont ouvertes » ( Livre, p. 195). Les trois auteurs s’arrêtent là, au seuil du véritable mystère, et le finale, comme jadis dans le drame liturgique, reste ouvert. Il renvoie l’action au début de la pièce, indiquant le commencement d’une nouvelle action, au-delà du sujet. Anna retourne au monastère pour mourir, et revient en même temps dans « la patrie céleste » (p. 73), William, handicapé mais illuminé, choisit un nouvel architecte, son homonyme, reproduisant la scène de l’acte I. La « dernière page » du livre de Claudel reproduit la première, mais « tout est devenu blanc » et « tout recommence de nouveau dans la lumière et l’explication » (p. 183).

32L’inachèvement des événements au niveau sémantique est lié à la perspective de « l’éternel présent », dans lequel leur sens s’éclaire par le lien avec le passé biblique, mais aussi par l’adresse aux contemporains, et par l’ouverture vers l’avenir. Ainsi Anna, « la porte-parole » de l’auteur, justifie devant son milieu son propre chemin, neuf dans la tradition orthodoxe russe. Les spectateurs de Canterbury avaient en quelque sorte devant les yeux la suite de l’histoire de William, à travers son œuvre, et reçoivent de l’archange Michel, qui s’adresse directement à eux, les instructions pour continuer à créer sans répéter la faute de l’architecte. Le voyage de Colomb reste ouvert à diverses interprétations – d’où la nécessité de le présenter devant la postérité, comprise comme un spectateur actif, qui « interroge et précise le contenu » d’une pièce qui est « comme une messe dans laquelle l’assistance ne cesse d’intervenir » ( Th, II, 1491).

33Cette communion avec le spectateur, élément essentiel du spectacle médiéval et objet de recherches théâtrales de nombreux courants du XXe siècle [29], prend dans les textes que nous considérons une dimension particulière. Plus qu’un « débordement » vers la salle (grâce au chœur ou aux anges) ou une « inclusion » du spectateur dans la représentation (par les « scènes collectives » de Sayers, acte II, et de Claudel, I, 16), il s’agit d’une tentative d’union avec Dieu, qui est le spectateur pour qui le mystère médiéval était joué par excellence.

34Le mystère contemporain se rapproche ainsi de la « perspective inversée » de l’icône, qui veut ouvrir l’espace du tableau vers le spectateur pour l’amener à Dieu. Par la simplicité de la composition, par le décor liturgique (lié à un « étrange manque de profondeur » chez Claudel, p. 183), par le symbolisme des gestes et des couleurs, cette perspective se révèle tout au long de ces textes : grâce aux anges, comme l’archange Raphaël dans The Zeal dont la fonction : « receive prayer spoken and unspoken […] offering it up before the Throne » (p. 16), est soulignée par l’encensoir, signe visible de l’élévation de la prière humaine. Ou dans les prières et monologues intérieurs ( Anna ), et surtout par l’irruption du silence dans les moments décisifs, quand la parole est à Dieu qui s’adresse dans le secret à l’intimité de la personne. Ou encore avec la participation dans le Livre de colombes vivantes qui « s’échappent du Globe terrestre » (p. 200), pour monter au ciel. Dans cette double ouverture de la mise en scène, s’explique la phrase énigmatique qui revient à plusieurs reprises dans le texte : « Colomb, passe la limite ! », et qui résonne comme un appel du chœur à rejoindre la postérité (accompagné par un mouvement physique de Colomb vers le proscenium, et vers la salle) (p. 47-48), mais aussi comme l’appel de Dieu à entrer dans le paradis (scène finale) pour découvrir le véritable « nouveau monde ».

35Ainsi, après le niveau narratif et le niveau sémantique, l’inachèvement de ces trois pièces se manifeste au niveau des indications de la mise en scène qui tend à rester au seuil du mystère divin. « Les portes s’ouvrent », mais dans une mesure différente dans chacun des textes. Claudel tient à accompagner la vision du Paradis par certaines images sur l’écran (« la Vierge tenant l’Enfant » et le « Pontife gigantesque » qui par son titre et ses vêtements sacerdotaux signifie symboliquement Dieu le Père, p. 200). Mère Marie se contente des « signes » de l’élévation, déjà présents chez Claudel, (les cloches, le chant des anges, les bougies allumées, p. 72), tandis que pour Sayers il suffit d’en placer le présage et la promesse dans la bouche du chœur ecclésial (p. 102). On retrouve ici les différences dans l’iconographie des trois traditions spirituelles, qui hésite entre la « présentation » et la « représentation » du sacré [30], et qui est comprise comme « l’ascension du visible à l’invisible » dans la tradition catholique, comme un art contemplatif plutôt que spectaculaire dans la tradition orthodoxe, tandis que le protestantisme refuse presque complètement la médiation de l’art, à l’exception de la musique.

36Devant cette difficulté évidente à parler des choses spirituelles, les trois auteurs recourent au langage poétique (d’où force citations du Livre des Psaumes, « qui nous fournit la base de notre conversation avec Dieu » [31] ). Pour les participants du mouvement du Religious Poetic Drama comme Sayers, « only verse is capable of reconciling the particular rhythm of the individual voice and the universal rhythm of the voice of Man » [32]. C’est lui qui permet d’approcher le mystère divin (« Tu n’est pas seulement là-bas, mais aussi près de nous, dans notre créativité poétique, notre Dieu » [33], dit mère Marie) et de restaurer l’unité du monde comme le veut Claudel (« Mon ambition comme poète est d’être le réunisseur de la Création, comme ces anciens Czars qu’on appelait les Assembleurs de la Terre Russe, le conciliateur des deux Mondes visible et invisible » [34] ).

37Cette ambition de créer une nouvelle synthèse, destinée à surmonter la décomposition, est commune aux trois textes qui, malgré leur diversité d’accents, se répondent autour du même thème, celui de l’homme-créateur et de sa participation à la restauration de l’authentique visage du monde.

« L’œuvre de Dieu qu’il faut achever »[35]

38

God created man in his own image and likeness, i.e. made him a creator too, calling him to free spontaneous activity and not to formal obedience to His power. Free creativeness is the creature’s answer to the great call of its creator. Man’s creative work is the fulfillment of the Creator’s secret will. (N. Berdiaev, The Destiny of Man (cité par D. L. Sayers dans The Mind of the Maker, p. 49)

39La création est en effet le thème central des trois textes. Alors qu’elle ne s’inscrivait dans le mystère médiéval que comme un reflet de l’œuvre divine, elle n’est plus désormais la simple répétition par un auteur anonyme « de ce qui fut au temps jadis », mais reste l’unique incarnation de la volonté de l’homme-créateur, révélant son visage personnel. Elle fixe « a moment not out of time, but in time […] and that moment of time gave the meaning » [36].

40Le fondement théorique de cette idée est à rechercher dans la pensée théologique qui se développe dans les années 1930 autour du problème de la création, dans un même sens dans différentes traditions spirituelles [37]. Ainsi Dorothy L. Sayers (elle-même auteur d’une série d’ouvrages théologiques hautement appréciés, en particulier par Clive S. Lewis et Charles Williams) s’appuie sur la théologie de l’incarnation, dominante de la pensée anglicane à cette époque (William Temple, Charles Gore), et dont les conclusions font largement écho aux aspirations des représentants de la diaspora orthodoxe russe à Paris (Serge Boulgakov, Nicolas Berdiaev, George Fedotov) à laquelle appartient mère Marie, participante active de ces mêmes cercles et auteur de plusieurs articles sur les problèmes sociaux, philosophiques et théologiques. Cette parenté de pensée est renforcée par les différents contacts qui existaient dans ces années entre les anglicans et les orthodoxes de l’émigration russe [38]. Des deux côtés, ces apologistes du « personnalisme chrétien » aboutissent à des conclusions semblables : l’acte créateur humain est similaire à l’œuvre du Créateur et y trouve sa pleine dimension, – pensée que l’on retrouve également dans les essais de Claudel (Art Poétique, Positions et Propositions ). Les écrits de Jaques Maritain, grand ami de Berdiaev [39], comme Art et scolastique (1920), que Sayers avait lu et apprécié [40], et où il analyse notamment Claudel, témoignent de la popularité de ces idées dans le milieu des intellectuels chrétiens en France.

41Selon cette pensée, l’homme libre établi par le Créateur à son image, est lui aussi créateur, et par son œuvre il peut devenir collaborateur de Dieu. La Création du monde dans cette perspective se poursuit jusqu’à aujourd’hui, et l’artiste travaille à son achèvement. C’est ainsi une synthèse de l’humanisme moderne et de la sensibilité médiévale : Dieu retrouve sa place dans la pensée humaine, mais il la prend sans opposition, à la différence de ce qu’on voyait depuis la Renaissance. Pour mère Marie, l’homme crée « sous la dictée divine, qui vient non de l’extérieur, mais de l’intérieur, du lien absolu » [41]. Loin de les enfermer, le dogme est pour ces auteurs une source d’inspiration, que Claudel décrit comme un « océan où déferlent l’un sur l’autre, comme de grandes vagues, les versets de l’Écriture remués » [42], et de nombreuses pages de Sayers disent combien le dogme est captivant [43].

42Cependant tous trois voient le danger qui guette le créateur. C’est le thème central du texte de Sayers, exprimé dans le discours de William :

43

… in making man / God over – reached Himself and gave away
His Godhead. He must now depend on man
For what man’s brain, creative and divine
Can give Him. Man stands equal with Him now,
Partner and rival. (p. 68)

44Son destin archétypique l’amène à reconnaître la vraie nature de la création humaine qui se bâtit non en concurrence, mais en collaboration avec Dieu. C’est pour l’avoir oublié que William est tombé, comme vient l’expliquer l’archange Michel dans un passage qui rappelle l’esprit des moralités médiévales et qui est surtout pour Sayers l’occasion d’exposer sa théorie de la création :

45

For every work of creation is threefold, an earthly trinity to match the heavenly.
First : there is the Creative Idea : passionless, timeless, beholding the whole work complete at once, the end in the beginning ; and this is the image of the Father.
Second : there is the Creative Energy, begotten of that Idea, working in the time from beginning to the end, with sweat and passion, being incarnate in the bonds of matter ; and this is the image of the Word.
Third : there is the Creative Power, the meaning of the work and its response in the lively soul ; and this is the image of the indwelling Spirit.
And these three are one, each equally in itself the whole work, whereof none can exist without other ; and this is the image of the Trinity. (p. 103)

46Ces réflexions sur la nature trinitaire de l’acte créateur (reprises plus tard dans son ouvrage théorique The Mind of the Maker (1941) et dans ses lettres [44] ) sont en accord avec celles de mère Marie, pour qui le Père est la source de toute création, le Fils l’aboutissement ultime de l’incarnation créative, « la création authentique, reflétant la pensée divine », et le Saint Esprit « la puissance qui met en mouvement toute création humaine, […] et l’unit à la source de toute création dans le monde » [45].

47Le héros-créateur de Claudel est l’image même de la Trinité, qu’il porte déjà dans son nom. Il est à la fois le « porte-Christ » ( Th, II, p. 1494) et la colombe qui au début de la pièce « planait sur l’abîme », tandis que Christophe Colomb II, sur le proscenium, qui envoie « le Fils », Christophe Colomb I, vers sa mission terrestre (« Va ! Pars ! Dieu t’appelle ! », p. 58) et qui l’accueille enfin après sa « Passion », est l’image du Père. Le Père qui n’est pas à proprement parler « incarné » sur scène, contrairement au Fils (Christophe Colomb I) et à l’Esprit (la colombe est vivante), mais est indiqué par Christophe Colomb II, parfois par Isabelle (au moment de l’envoi en mission, puis quand elle appelle Colomb à la rejoindre au Paradis), enfin, plus clairement, par le « Pontife gigantesque » qui apparaît sur l’écran à la fin de la pièce (p. 200). Christophe Colomb est donc assimilé au Créateur, « imitant l’Esprit-Saint et le Verbe-Jésus » ( Th, II, p. 1492), mais en même temps il est assailli de toute sorte de doutes et d’hésitations tout humains. Le cuisinieraccusateur révèle la face sombre de son génie et de son œuvre (p. 153) ; son nom même apparaît à ce moment comme un mensonge (p. 53).

48Ainsi, le créateur parfait, qui ressemble à Dieu, est « as rare as that normal eyesight by which, as a never – witnessed yet faithfully worshipped ideal, the oculist measures all the actual vision he has to deal with » ( The Mind.., p. 120). Sayers et mère Marie parlent de l’imperfection de la création humaine pratiquement dans les même termes, ce qui s’explique par leurs références communes à la philosophie de Nicolas Berdiaev, notamment à son ouvrage De la destination de l’homme (1931)  [46]. Ainsi, William, dont l’opinion de soi grandit parallèlement à l’élévation de sa cathédrale, s’appuie directement sur l’argumentation berdiaevienne [47] : « My church He cannot make / Another, but not that. This church is mine / And none but I, not even God, can build it […] God’s crown of matchless works / is not complete without my stone, my jewel / Creation’s nonpareil » (p. 67-68).

49Il ne suffit donc pas de créer pour que la création soit bonne. Celle-ci peut devenir une idole derrière laquelle on oublie « la source du don et du génie » (Berdiaev, p. 118). Mère Marie va jusqu’à parler de « création maligne » [48]. Ce qui l’intéresse, c’est : comment y échapper ? Et la réponse, confirmée par des siècles de christianisme, passe par la substitution au mal du sacrifice volontaire. L’art est bon s’il est don total de soi, si l’auteur se met au service de son œuvre, et non pas l’inverse. Comme Dieu a confié son œuvre à l’homme, William doit abandonner sa création à ses successeurs afin qu’elle vive. La découverte de Colomb lui est enlevée, il meurt seul et abandonné, « et l’Amérique, son enfant, ne portera pas son nom » ( Th II, p. 1175). Mère Marie va plus loin : son héroïne Anna est prête à condamner son âme, dans une réminiscence littéraire faustienne où elle renonce à tout gain pour elle-même. La moniale choisit un chemin nouveau et créatif par rapport à la voie de la perfection et du salut personnel. Son œuvre se projette dans le monde, elle devient une « vie-création » (jiznetvortchestvo), comme celle que recherchaient les symbolistes russes, inspirés par Scriabine, et dans laquelle ils voyaient le sens du mystère qui va vers la transfiguration totale de la vie.

50Les références à la doctrine trinitaire et à sa projection dans la création humaine (qu’on ne trouve pas dans l’exégèse traditionnelle) et surtout les accents mis par chaque auteur sur un domaine particulier sont caractéristiques de leurs propres biographies créatives : un écrivain, qui définit la structure « trinitaire » de la pensée créative et l’utilise comme méthode d’analyse critique (« The imperfections of the artist may be conveniently classified as imperfections in his trinity » [49] ) ; une moniale, apologiste du christianisme social pour qui l’activité artistique est « un acte d’amour créateur, accompli pour les autres » [50] et qui a incarné l’idée de « viecréation » jusqu’au bout par sa propre mort dans les camps nazis à la place d’une autre ; un diplomate ayant parcouru le monde et qui définit sa vocation comme d’« être le rassembleur de la terre de Dieu » [51], comme Colomb est « l’Ambassadeur de Dieu » (p. 53). Ces vocations si différentes renvoient à nouveau à la triade de l’Idée, de l’Incarnation et de l’Écho dans le monde, image de l’acte créateur de la Trinité.

51Le mystère du XXe siècle porte ainsi la marque de la personnalité de son auteur. Chacun d’eux conjugue à sa façon l’intérêt pour le Moyen Âge avec l’amour de la modernité. Mère Marie, qui a présenté ses peintures d’avantgarde dans les mêmes expositions que Gontcharova et Kandinsky, a aussi brodé des icônes originales, selon les techniques anciennes ; Dorothy L. Sayers, connue comme auteur de « mysteries » policiers, pour employer le terme anglais, est aussi auteur d’un « Mystery » au premier sens du mot, et traductrice de La Divine Comédie et de la Chanson de Roland; Claudel qui puise son inspiration dans le christianisme médiéval, emprunte ses thèmes et ses procédés à différentes époques et régions du globe, et se découvre comme un « génie de l’ère moderne » [52], un poète dont « l’heure est pour demain », comme le remarque un de ses contemporains [53].

52Tous trois redécouvrent le christianisme comme vivant et créatif, et veulent participer à son renouvellement. Car dans cette collaboration avec Dieu « quelque chose doit aussi venir de l’homme, et c’est cela la création par excellence, la création du radicalement nouveau », résume Berdiaev dans De la destination de l’homme (p. 118,138). Il ne s’agit plus seulement de « la vie et [de] la passion » de Colomb, de William et d’Anna, mais aussi de leur « mission apostolique » car « le Dessin n’est pas fini » [54], il est ouvert à la créativité humaine.

Vers la Cité Nouvelle

53Ainsi, le thème de la création chez ces auteurs mène du chaos vers la transformation active du monde (« à partir du chaos nous construirons le temple » [55] : mère Marie). Cette re-création du monde se traduit par une réécriture du mystère qui retrouve sa place parmi les genres contemporains en s’enrichissant d’une problématique et d’une technique modernes.

54Le contexte culturel et spirituel de cette renaissance n’est pas le même pour les trois auteurs : Paul Claudel revivifie un genre épuisé, qui a atteint ses limites dans des formes de plus en plus gigantesques et sécularisées ; il y voit une synthèse des arts, inspirée par l’idée chrétienne, propre à incarner son idée de « théâtre total », en incluant le ballet, le chœur, le cinéma. Dorothy L. Sayers et mère Marie se tournent vers un genre « interdit » – dans la tradition anglaise depuis la Réforme, dans la tradition russe depuis l’origine. Toutes deux s’appuient aussi sur une tradition littéraire qui conserve dans sa « mémoire » (Bakhtine) certains traits du genre du mystère comme par exemple chez Byron, Heaven and Earth, auquel fait écho The Zeal of Thy House de Dorothy L. Sayers, avec des références particulièrement fortes à Milton ( Paradise Lost ) et des allusions à Ibsen ( The Master Builder ). Le Faust de Goethe, le Démon de Lermontov, La Rose et la Croix de Blok font de leur côté partie de l’intertextualité d’Anna de mère Marie dont le « mystère » trouve probablement sa source, outre l’œuvre des symbolistes russes, dans des textes montés au cours des années 1910 au Théâtre Ancien à Saint-Pétersbourg (comme le Miracle de Théophile ), et d’autre part dans des mystères montés en France dans les années 1930.

55Les différences de traditions spirituelles se font également sentir : l’interprétation de la scène paradigmatique du « jugement » est à cet égard significative. Dans le texte de Sayers, les anges mettent en balance les vices et les vertus de William, qui est conduit à la conversion par leur enseignement, exposé dans l’esprit de moralité qui transparaît souvent dans The Zeal, et qui renvoie à la vision protestante d’un christianisme surtout moral et intellectuel. C’est au contraire à l’issue d’un duel entre Basile et son « guide » que se décide le sort d’Anna, duel qui n’est que le reflet d’un autre combat qui embrasse tout l’univers ; quant à la conversion du prochain chez mère Marie, elle exige le sacrifice suprême de soi. La structure du miracle européen qu’on observe dans la pièce est repensée ici selon la tradition spirituelle russe : les arguments juridiques contre Anna s’effacent devant l’amour du Dieu miséricordieux, la figure de la Vierge qui intercède est remplacée par le « fol en Christ ». Pour Christophe Colomb le combat est également placé dans la perspective du mystère, mais, à la différence de Sayers et de mère Marie qui s’appuient sur le schéma médiéval simple, la lutte n’oppose pas seulement « adversaires » et « défenseurs » de Colomb devant Dieu : le jugement de Colomb I se transforme par moments en accusation contre Colomb II, c’est-à-dire contre Dieu lui-même. On lui reproche d’être indifférent à la souffrance humaine et le refus de Colomb I d’entrer dans le Paradis peut même rappeler Ivan Karamazov « retournant son billet à Dieu ». Cependant le baiser final de Christophe Colomb I et Christophe Colomb II qui l’a rejoint réconcilie la terre et le ciel.

56Ainsi, face au problème du bien et du mal, posé parfois dans ces textes comme une interpellation de Dieu, on discerne différentes voies de transformation du monde : par le sacrifice personnel, qui, selon mère Marie, n’est pas moins important que la transfiguration universelle – ou par un acte total chez Claudel dont le héros rassemble la terre pour la rendre à Dieu. Cet acte est pensé dans des formes théâtrales grandioses où le monde est vu comme l’immense scène de la création (« Chaque homme a été créé pour être le témoin et l’acteur d’un certain spectacle, pour en déterminer en lui le sens » [56] ). On retrouve la vision de l’univers de Sayers comme une pièce inachevée où « every one of us is on the stage, performing a part in a play, of which we have not seen either the script or any synopsis of the ensuing acts » [57] — ressuscitant ainsi l’idée ancienne de la « scène vitale », particulièrement forte au XIIe siècle, et développée ensuite sous plusieurs formes dans les systèmes théâtraux ultérieurs.

57Cette différence entre « ecclésialisation de la vie » (mère Marie) et « théâtralisation de la vie » (Claudel et Sayers) définit le développement de la tradition théâtrale chrétienne en Orient et en Occident, qui se ramène en fin de compte à une différence de perception de la réalité spirituelle (intelligible ou visuelle). En Occident la lecture théâtrale de la liturgie amène une évolution de la messe en spectacle, processus organiquement lié à l’esprit du Moyen Âge occidental tourné vers l’action de masse. On en perçoit l’écho dans l’ampleur très théâtrale du Livre, critiqué pour sa richesse et son « impérialisme catholique » (R. Barthes à propos de la mise en scène de Jean-Louis Barrault au Théâtre Marigny, 1953 [58] ), ou dans le côté manifestement spectaculaire de The Zeal, malgré le renoncement (à regret) à certaines scènes comme le défilé ( pageant ) final dans l’esprit des guildes médiévales anglaises, exclu à cause des difficultés de représentation [59]. Anna au contraire est destinée plutôt à un petit théâtre par ses formes simples, allusives, plus littéraires que théâtrales, où l’accent est mis sur la « présentation » et non la « représentation ». Notons que ces deux formes de mystère existaient déjà au Moyen Âge [60].

58Cette diversité d’approche, liée à l’appartenance à des traditions littéraires, nationales et religieuses distinctes donne une tonalité différente aux trois « mystères », mais ils convergent dans leur orientation commune : montrer la re-création du monde qui peut être illuminé et renouvelé. Les trois textes, avec la variété de genres qu’ils incluent, éléments de moralité, de miracle, d’oratorio, sont des drames religieux par essence, au centre desquels on trouve la lutte spirituelle avec Dieu (Colomb, William), ou pour Dieu (Anna), d’hommes libres dont le destin métaphysique se trouve entre leurs mains.

59Les trois auteurs se retrouvent enfin dans leur vision de la Cité Nouvelle, où la construction de la Cathédrale de Canterbury préfigure celle de « Church of Christendom » [61], où la « liturgie hors du temple » [62] fait du monde entier un temple, et où la « nouvelle liturgie théâtrale » réunis les « différentes parties éparses de l’humanité » ( Th, II, p. 1489).

60Il s’agit en effet de « l’œuvre de Dieu qu’il faut achever » ( Livre, p. 60) ; l’acte de création est la pierre (selon la métaphore préférée des trois auteurs) posée au fondement de la Jérusalem Céleste, « pierre » qui peut prendre une forme artistique (la cathédrale comme « poem of stone », Sayers, p. 27), géopolitique (« faire un seul globe au-dessous de la croix », Claudel, p. 43) ou sociale (« chaque pierre porte la charge d’une autre », mère Marie).

61De nombreux poètes-dramaturges parlent à l’unisson sur ce thème. On peut citer Eliot dans son « pageant play » The Rock (1934) « In the vacant places / We will build with new bricks […] / Where the word is unspoken / We will build with new speech » [63]; ou Péguy dans Le Mystère des Saints Innocents (1912) « C’est comme une belle voûte qui monte des deux côtés vers la clef de voûte […] / et la pierre qui monte du bas s’avance hardiment, et fidèlement et sûrement / en toute sécurité sans aucune inquiétude / Parce que montante elle sait très bien / qu’elle trouvera la clef de voûte exacte au rendez-vous à la juste intersection » [64]. C’est une Pentecôte, le don de se comprendre dans la diversité des langues, (car « il n’y a qu’une seule Révélation transcrite en un langage innombrable, continu et réciproquement traduisible » [65], Claudel).

62Dans leurs tentatives de réécrire un livre sacré pour leur siècle nos trois auteurs se tournent vers des formes dramatiques et vers un genre qui exprimait par excellence la sensibilité chrétienne. Par leur finale ouvert, leurs textes renvoient à une œuvre idéale, encore inachevée, dont ils sont des « actes ». Comme la cathédrale, ce « mystère de pierre » selon le mot d’Émile Mâle, ils restent ouverts à la créativité des générations successives, qui apportent chacune leur sensibilité propre.

Notes

  • [1]
    N. Berdiaev, Un nouveau Moyen Âge, Paris, 1927 ; D. L. Sayers, Introductory Papers on Dante, New York, 1969.
  • [2]
    Terme introduit par Eliot dans son essai « The Metaphysical Poets » (1921), Selected Essays, Londres, Faber and Faber Limited, 1934, p. 288, pour définir la rupture au XXe siècle de l’unité spirituelle du monde médiéval.
  • [3]
    Pour A. A. Vesselovski, « le mystère, étant la forme première du drame religieux, a servi de terme commun pour désigner ses nombreuses variantes », Starinnyi Teatr v Evrope (Le Théâtre ancien en Europe), Moscou, 1870, p. 307.
  • [4]
    Paul Claudel, Théâtre, II, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1965, p. 1488 (nous renverrons à cette édition par l’abréviation Th, II, le volume de prose sera noté Pr ). Il s’agissait de mises en scènes expérimentales selon les principes du théâtre du Moyen Âge comme Le Miracle (1914) de K.G. Vollmoller, réalisées par Max Reinhardt dans les années 1920 en plein air, près de la cathédrale de Salzburg.
  • [5]
    Voir Jaqueline de Labriolle, « Oratorio, drame ou opéra ? », Les « Christophe Colomb » de Paul Claudel, Paris, Librairie C. Klincksieck, 1972, p. 63-70 et p. 73.
  • [6]
    Paul Claudel, « Le drame et la musique » (conférence faite à l’Université de Yale en mars 1930), Le Livre de Christophe Colomb, Gallimard, 1935, p. 28. Les citations du texte du Livre qui suivent renvoient à cette édition.
  • [7]
    Gervase of Canterbury, History of the Burning and Repair of the Church of Canterbury. New York, A Documentary of Art, I, 1957, p. 51.
  • [8]
    Dorothy L. Sayers, « The Zeal of Thy House », Four Sacred plays, Londres, Victor Gollangz LTD, 1948, p. 16. Les citations qui suivent renvoient à cette édition.
  • [9]
    Le Fol en Christ (jurodivyj) est un type de saint particulièrement populaire en Russie, qui par sa folie simulée dénonce la prétendue sagesse du monde et la conduite des puissants. Le plus célèbre d’entre eux, Basile le Bienheureux, a donné son nom à la cathédrale située sur la Place Rouge.
  • [10]
    Mère Marie, « Anna », dans Stihi, poemy, misterii, vospominania ob areste i lagere v Ravensbrück (Vers, poèmes, mystères, souvenirs de l’arrestation et du camp de Ravensbrück), Paris, Oreste Zeluck, 1947 (même remarque).
  • [11]
    Alexandre Meier, « Zametki o smysle misterii (z?ertva) » (Notes sur le sens du mystère (le Sacrifice), Filosofskie soc?inenia, Paris, La Presse Libre, 1982, p. 119-129.
  • [12]
    Le problème de l’utilisation des procédés du mystère pour les textes en question a été posé, par exemple, par Henry Rey-Flaud, « Claudel et le théâtre médiéval », Mélanges de langue et de littérature médiévales offerts à Pierre Le Gentil, 1973, p. 715-719 ; Gérald Antoine, « Mystère et parabole chez Claudel », Vis-à-vis ou le double regard critique, Paris, 1982, p. 257-283 ; J. de Labriolle, « Mystère ou auto-sacramental ? », op. cit., p. 70-76. Sur The Zeal of Thy House de Dorothy L. Sayers : Fairman Marion Baker, The Neo-Medieval Plays of Dorothy L. Sayers, University Pittsburgh, 1961.
  • [13]
    Ce moment de la « simultanéité » liturgique se retrouve comme une intention permanente de ce groupe de dramaturges de Canterbury. Ainsi, le drame de l’assassinat de Thomas Becket d’Eliot a été joué au même endroit, quelques générations plus tard, comme un événement qui a une signification pour les contemporains.
  • [14]
    Erich Auerbach, Mimèsis. La Représentation de la réalité dans la littérature occidentale, Paris, Gallimard, 1968, p. 166,168.
  • [15]
    « Sacramental aesthetic […] reconciles time and eternity, and salvages the past from the refuse heap of history, thus allowing the dramatist to synthesize the diverse and transient world of concrete objects and events and the universal and permanent ideas into a multivocal poetic image », dans William V. Spanos, The Christian Tradition in the Modern British Verse Drama : the Poetics of Sacramental Time, New Brunswick, 1967, p. 13. Ce terme est utilisé à la suite de Spanos dans plusieurs travaux plus récents, par exemple, la thèse de Mary A. Donahoe, Sacramental Aesthetic in Plays of Dorothy Sayers, University of Oregon, 1992.
  • [16]
    Paul Claudel, « L’Enthousiasme », Pr, p. 1395.
  • [17]
    Bratstvo Sviatoi Sofii (La Fraternité de Sainte Sophie), Russkij Pout’-YMCA-Press, 2000, p. 162.
  • [18]
    Voir Nicolas Berdiaev, Le Sens de la création, Desclée de Brouwer, 1955. L’apologie de Colomb de Léon Bloy Révélateur du Globe (1883) a inspiré Claudel pour le choix de son héros (comparé par Bloy à saint François-Xavier, t. 1, p. 32 et 35 (d’après Jaqueline de Labriolle, op. cit., p. 17) ; Th, II, p. 1489.
  • [19]
    Comme le montre par exemple la canonisation par l’Église russe d’un peintre d’icône comme André Roublev.
  • [20]
    Everyman (moralité anglaise connue du XVe siècle) a été montée pour l’une des premières saisons du festival de Canterbury ; en Russie, Evreinov crée en 1907 le Théâtre Ancien (Starinyi Teatr), avec le Miracle de Théophile ( XIIe siècle), dans la traduction de Blok. En France, on peut noter Le Théâtre du Peuple de Maurice Pottecher ( Le Mystère de Judas Iscariote, 1905), le Théâtre Populaire de Jacques Copeau ( Mystère de Santa Uliva, 1933), Les Comédiens Routiers de Léon Chancerel ( Compassion de Notre Dame, 1932), ou encore le Théâtre du Vieux Colombier où l’on voit des parallèles avec le travail de Reinhardt : voir Clément Borgal, Metteurs en scène, F. Lanore, 1963.
  • [21]
    Par exemple, L’Annonce faite à Marie de Claudel a été montée au Théâtre de Chambre (Kamernyi Teatr) en Russie en 1920 par Alexandre Tairov comme un « mystère d’amour », utilisé « pour une mise en scène anticléricale », où le quatrième acte, le plus important au niveau de la lecture du mystère, a été supprimé. Voir « L’Annonciation au Théâtre de Chambre », Vestnik teatra (Le Messager du théâtre), Moscou, 1921, p. 78-79.
  • [22]
    On peut voir dans ce « guide » une allusion au « Duce » et au « Führer », dont la menace préoccupait mère Marie, et auxquels elle a consacré de nombreux articles.
  • [23]
    Dans ses croquis préparatoires pour The Zeal of Thy House on trouve un dessin complet de la scène à plusieurs niveaux, Manuscrit 248, p. 1,13, The Marion E. Wade Collection (Wheaton, USA).
  • [24]
    Les formes littéraires de la simultanéité ont récemment été étudiées dans l’ouvrage Jules Romains et les Écritures de la simultanéité, Villeneuve d’Ascq (Nord), Presses Universitaires du Septentrion, 1996 (UL3, Travaux et recherches). Voir en particulier l’article de Marie-Hélène Boblet-Viart et Dominique Viart, « Esthétique de la simultanéité » (p. 19-43).
  • [25]
    Claudel a utilisé cette structure narrative dans son mystère L’Annonce faite à Marie (1912), en particulier dans la scène à la veille de Noël où, parallèlement à la rencontre des deux sœurs dans la forêt, on entend les échos du couronnement du roi et de la liturgie de Noël.
  • [26]
    Psaumes 9.17,9.27 et 17.5-7
  • [27]
    Kenneth W. Pickering. Drama in the Cathedral. The Canterbury Festival Plays 1928-1948, Canterbury, Churchman Publishing Limited in association with The Friends of Canterbury Cathedral, 1985, p. 242-243.
  • [28]
    Jacqueline de Labriolle, « Les oratorios dramatiques de Claudel », Claudel 5, Schémas dramatiques. Revue des Lettres modernes, 1968/3, p. 83-100.
  • [29]
    Cf. par exemple les tendances à structurer l’espace théâtral pour tenter de résoudre le problème de la rampe, du lien entre l’espace de la salle et celui de la scène : S. Eisenstein, « O stereokino » (Le cinéma en relief, 1947), Izbrannye proizvedenia v 6-ti tomah, Moscou, Iskousstvo, 1964, t. III, p. 444-486.
  • [30]
    Pour reprendre la terminologie de Jean-Claude Roberti, « Orthodoxie et théâtre », Contacts, 1973, n° 83, p. 218-232.
  • [31]
    Paul Claudel, Pr, p. 388.
  • [32]
    William V. Spanos, op. cit., p. 14.
  • [33]
    Mère Marie, op. cit., 1947, p. 25.
  • [34]
    Paul Claudel, Lettre à Stanislas Fumet (19.12.1920), dans Correspondance (1920-1954 ), L’Âge d’Homme, 1997, p. 14.
  • [35]
    Le Livre de Christophe Colomb, p. 60.
  • [36]
    T. S. Eliot, The Rock, Londres, 1934, p. 50.
  • [37]
    Le développement de la théologie fut l’une des sources de la renaissance du mystère dans les années 1930. Ainsi, Gabriel Marcel, auteur de drames religieux : La Chapelle ardente (1919), Un homme de Dieu (1922), Le Monde cassé (1923), confie : « … au soir de ma vie, je tends de plus en plus à préférer mes pièces à mes écrits philosophiques », dans Entretiens autour de Gabriel Marcel, Centre culturel international de Cerisy-la-Salle, Éd. de la Baconnière, 1976, p. 9.
  • [38]
    En particulier dans le cadre du Fellowship of Saint Albans and Saint Serge.
  • [39]
    Maritain et Berdiaev ont créé un séminaire catholique-orthodoxe à Clamart auquel participaient plusieurs représentants des intellectuels russes. Voir A. Arjakovsky, La Génération des penseurs religieux de l’émigration russe, Kiev-Paris, L’Esprit et la Lettre, 2002, p. 372-394.
  • [40]
    D’après Sayers, « Jacques Maritain – one of the very few religious writers of our time who really understand the nature of creative work », « Why work ? », Creed or Chaos, New York, Harcourt, 1949, p. 78. Elle attire l’attention sur un passage du chapitre « L’art chrétien » qui correspond à ses propres interrogations : « Si l’artiste prenait pour fin dernière de son opération, donc pour béatitude, la fin de son art ou la beauté de l’œuvre, il serait, purement et simplement, un idolâtre », Art et scolastique, Paris, Desclée de Brouwer, 1965, p. 119.
  • [41]
    Mère Marie, « Istoki tvorc?estva » (Les sources de la création, 1934), in Vospominania, stat’i, oc?erki v 2-h tomah, Paris, YMCA-Press, t. II, 1992, p. 146.
  • [42]
    Paul Claudel, Les Aventures de Sophie, Paris, Gallimard, 1937, p. 220.
  • [43]
    Cf. « The Greatest Drama Ever Stage », « The Dogma is the Drama », Creed or Chaos, op. cit., p. 3-7 ; 20-24.
  • [44]
    Sayers, « In terms of book, “The Book as You Think It” – “The Book as You Write It” - “The Book as You and They Read It” » (Lettre à Herbert Kelly, 4 octobre 1937), Lettres II, op. cit., p. 45.
  • [45]
    Mère Marie, op. cit., p. 146-147.
  • [46]
    Sayers, dans The Mind of the Maker, p. VI, 23,49,79,112. Plus généralement Berdiaev, « one of leading Christians thinkers », est souvent cité dans ses œuvres critiques et ses lettres. Mère Marie, collaboratrice de Berdiaev dans plusieurs revues de l’émigration russe ( Pout’, Novyi Grad ) se réfère souvent implicitement à lui (« V poiskah sinteza », À la recherche de la synthèse, 1929, « Roz?denie i tvorc?estvo », La naissance et la création, 1931). On trouve un écho de ces discussions sur la nature de la création dans la dédicace de mère Marie à Berdiaev sur un recueil de ses poèmes (Berlin, 1937) : « À mon cher ami Nicolas Alexandrovitch Berdiaev, en témoignage du droit des moniales à écrire des poèmes », Archives privées, Paris.
  • [47]
    Cette philosophie est notamment exposée dans Smysl tvor c? estva (Le Sens de la Création, Moscou, 1916), où Berdiaev inscrit en épigraphe une pensée d’Angelus Silesius (« Je sais que sans moi Dieu ne peut vivre un seul instant ; suis-je réduit à rien, il doit rendre l’esprit »). Ces idées reviennent dans ses œuvres tardives, en particulier dans De la destination de l’homme.
  • [48]
    Mère Marie, op. cit., p. 148.
  • [49]
    « We may properly and profitably amuse ourselves by distinguishing those writers who are respectively “father-ridden”, “son-ridden” and “ghost-ridden”. “Thus, a confirmed feebleness in the “father”, or Idea, betrays itself in diffusion, in incoherence, in the breach of the Aristotelian unity of action” ; “weaknesse in the sonhood”, “which sets the artist at odds with the material” ; “a failure of the ghost when the playwright has not been able to “sit in the stalls, “Scalene Trinities” », dans The Mind of the Maker, p. 121 et 133.
  • [50]
    N. Berdiaev, op. cit., p. 134.
  • [51]
    Paul Claudel, Les Cinq Grandes Odes, Paris, Gallimard, 1936. p. 60.
  • [52]
    Pascal Dethurens. Claudel et l’avènement de la modernité, Annales littéraires de l’Université de Franche-Comté, 1996, p. 28.
  • [53]
    Gilbert Gadoffre, « Un poète de demain », Les critiques de notre temps et Claudel, Paris, Gardinier Frères, 1970, p. 43.
  • [54]
    Paul Claudel, Art poétique, Paris, Mercure de France, 1913, p. 20.
  • [55]
    Mère Marie, Poèmes, Berlin, 1937, p. 59.
  • [56]
    Paul Claudel, Art.., op. cit., p. 161.
  • [57]
    D. L. Sayers, The Mind…, op. cit., p. 103.
  • [58]
    Roland Barthes, « L’Arlésienne du catholicisme » (1953), Œuvres complètes, tome I, Paris, Le Seuil, 1993, p. 236-238. Cette richesse n’est d’ailleurs pas obligatoire pour le texte de Claudel, comme le montre, par exemple, la mise en scène récente d’André Nerman (Paris, Théâtre du Nord-Ouest, 2003) sur une petite scène, avec un minimum de moyens, et sans perte de la dimension universelle.
  • [59]
    Voir The Letters II, op. cit., p. 4. On trouve cette scène dans le manuscrit, op. cit., p. 119-124 ; 202-208, The Marion E. Wade Collection.
  • [60]
    V. Meyerhold souligne la différence entre les mises en scènes intimes au sein des communautés religieuses et les grands spectacles organisés sur la place publique. Il remarque que cette différence se retrouve dans les tentatives contemporaines de reprise des mystères médiévaux. Cf. Vs. Meyerhold, Stat’i. Besedy. Rec?i. Pis’ma, (Articles, Lettres, Discours), Moscou, 1968, Ire partie, p. 208 (en russe).
  • [61]
    William V. Spanos, op. cit., p. 124.
  • [62]
    Mère Marie, « Tipy religioznoj z?izni (Les types de la vie religieuse) », Vestnik, Paris, 1997, n° 176, p. 48-49.
  • [63]
    T. S. Eliot, op. cit., p. 9-10.
  • [64]
    Charles Péguy, « Le Mystère des Saints Innocents », Œuvres poétiques complètes, Paris, Gallimard, 1957, p. 782.
  • [65]
    Paul Claudel, Positions et Propositions I, Paris, Gallimard, 1959, p. 84.
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