Couverture de RLC_299

Article de revue

Maeterlinck, Rodenbach, Verhaeren au Brésil.

Quelques pistes

Pages 463 à 470

Notes

  • [1]
    Andrade Muricy, Panorama do movimento simbolista brasileiro, 3 vol., Rio de Janeiro, Instituto Nacional do Livro, 1952. Fernando Góes, Panorama da poesia brasileira, vol. IV, O simbolismo, Rio de Janeiro, Editora Civilização Brasileira, 1959.
  • [2]
    « O movimento belga tem particular interesse para o estudo do nosso Simbolismo e exigiria detido examenesse sentido » (Andrade Muricy, op. cit., p. 44)
  • [3]
    Il ne s’agit que d’un début de réponse car il ne nous a pas été possible de trouver ou de consulter tous les documents requis pour cette recherche. D’où ces quelques pistes…
  • [4]
    Il y fait ses études secondaires et universitaires (Sciences politiques et administratives à l’ULB de 1889 à 1891). Voir Eddy Stols, Les étudiants brésiliens en Belgique (1817-1914), in Historica Lovaniensia, 43, Louvain, 1975, p. 653-692.
  • [5]
    La seule présence « brésilienne » dans la revue est un article de la plume de Victor Orban sur une Brésilienne aujourd’hui tombée dans l’oubli, Zalina Rolim.
  • [6]
    Pour la petite histoire : il a été décoré de l’Ordre de la Couronne et il a reçu en 1919 l’Ordre de Léopold. Les liens avec la Belgique passent parfois par des chemins étranges…
  • [7]
    En possession des Archives Maeterlinck de Gand.
  • [8]
    Ces traductions n’ont jamais été faites. Il est regrettable que les Brésiliens aient perdu une telle occasion de faire connaître leur poésie en Europe.
  • [9]
    La Sagesse et la destinée a été traduite une seconde fois en 1945, cette fois par Monteiro Lobato (rééditée en 1963), Le Trésor des humbles a été traduit en 1945, La Vie des abeilles en 1947 (rééditée en 1987), La Vie des fourmis en 1933 (rééditée en 1987).
  • [10]
    Il évoque ce voyage dans son livre O fundo da gaveta (Rio de Janeiro, 1924), livre qui semble introuvable aujourd’hui.
  • [11]
    Renato Almeida, Em relevo, Rio de Janeiro, Apollo, 1917.
  • [12]
    Nestor Vítor, Cartas à gente nova dans Obra crítica, Rio de Janeiro, Ministério da Educação e Cultura-Fundação Casa de Rui Barbosa, 1973, vol. II, p. 153.
  • [13]
    Le Symbolisme brésilien, dans Mercure de France, 1-XI-1953, p. 518-519.
  • [14]
    Bruges, a morta, traduit par Juracy Daisy Marchese, São Paulo, 1960.
  • [15]
    Le nom de Rodenbach ne figure plus dans la 3e édition du Dicionário de literatura, sous la direction de Jacinto do Prado Coelho (1982).
  • [16]
    Antonio Torres, Verdades indiscretas, Rio de Janeiro, 1925.
  • [17]
    Theodemiro Tostes, in In memoriam de Filipe d’Oliveira, Sociedade Filipe d’Oliveira, 1933, p. 222
  • [18]
    Antônio Francisco Da Costa e Silva, Verhaeren, dans Anthologia, Rio de Janeiro, 1934, p. 155-160.
  • [19]
    Lovaina et Exaltação da paz dans Mário de Andrade, Há uma gota de sangue em cada poema, 1917
  • [20]
    Les rythmes souverains, Les blés mouvants, Les moines, Les forces tumultueuses, Les villages illusoires, Les apparus dans mes chemins, Les campagnes hallucinées et La multiple splendeur.
  • [21]
    Mário de Andrade, O Movimento modernista, Rio de Janeiro, Edição da casa do estudante do Brasil, 1942, p. 18.
  • [22]
    La Répercussion de l’œuvre de Verhaeren dans la littérature brésilienne, dans Émile Verhaeren, dossier dirigé par Véronique Jago-Antoine et Marc Quaghebeur, Textyles, n° 11, Bruxelles, 1994, p. 163-170 et L’Espace poétique de la ville chez Émile Verhaeren et Mário de Andrade, dans Anne-Marie Quint (org.), La Ville : exaltation et distanciation, Cahier n° 4 du Centre de Recherche sur les pays lusophones, Paris, Sorbonne-Nouvelle, 1997, p. 40-62.
  • [23]
    Voir Rita Olivieri-Godet, A Poesia de Eurico Alves. Imagens da cidade e do sertão, Salvador, 1999.
  • [24]
    Um Poeta da vida moderna, dans Sérgio Milliet, Quatro ensaios, São Paulo, Martins, 1966, p. 77-96.
  • [25]
    Sérgio Milliet, Œil-de-bœuf, Anvers, Lumière, 1923.
  • [26]
    Cidades tentaculares, tradução e apresentação José Jeronymo Rivera. Edição bilíngüe francês-português, Brasília, Thesaurus, 1999.

1La littérature brésilienne n’a jamais pu se libérer totalement de l’influence européenne. Or, celle-ci est presque exclusivement française et belge durant le symbolisme (1893-1922). En effet, l’histoire littéraire cite surtout Samain, Verlaine, Mallarmé, Rodenbach, Verhaeren, Maeterlinck, Baudelaire et Rimbaud comme ayant marqué profondément le symbolisme brésilien [1].

2Toutefois, si la contribution de la Belgique semble importante dans ces échanges littéraires, elle n’a pourtant jamais été étudiée en dehors du contexte français [2] ni de façon approfondie. De plus, ces trois auteurs belges sont souvent cités ensemble, comme s’ils apparaissaient sur la scène littéraire brésilienne au même moment, dans les mêmes circonstances et pour les mêmes raisons.

3Que Maeterlinck, Rodenbach et Verhaeren aient joui d’une fortune certaine dès le début du XX e siècle est un fait établi. Le prouvent leurs vers cités en exergue ou les textes les concernant. Quelle fut la raison de leur succès au Brésil est la question à laquelle tente de répondre cet article [3].

4En 1915, dans Paisagens belgas, Paulo Araújo associe Rodenbach et Bruges (« Por Bruges ao passar ao meu sonho aparece/De Rodenbach a imagem »), évoque la « prose pénétrante » de Maeterlinck et les « vers libres et musicaux » de Verhaeren.

5Quelques années plus tard, Manuel Bandeira mentionne également les trois auteurs dans son poème Bélgica (1924) :

6

…………………
Bélgica das beguines
Das humildes beguines de mãos postas, em prece,
Sob os toucados de linho simbólicos.
Bélgica de Malines.
Bélgica de Bruges-a-morta…
Bélgica dos carrilhões católicos.
Bélgica dos poetas iniciadores,
Bélgica de Maeterlinck
(La Mort de Tintagiles, Pelléas et Mélisande),
Bélgica de Verhaeren e dos campos alucinados de Flandres.
……………………

7Ici, Rodenbach n’est présent que par son roman et est situé dans une Belgique religieuse, alors que Maeterlinck et Verhaeren font partie des « poètes initiateurs ». Pour le premier, c’est le dramaturge qui retient l’attention du poète brésilien tandis que pour le second, ce sont les campagnes hallucinées de Flandre.

8Dans ce dialogue entre la Belgique et le Brésil, quelques Brésiliens ont joué un rôle prépondérant. Ainsi João Itiberê da Cunha (1870-1953) qui vécut à Bruxelles de 1880 à 1892 [4]. Il y publie son unique recueil de vers, Préludes (1890), écrits en français, et collabore à la Jeune Belgique de 1891 à 1893. Sa participation se limite à peu de choses : quatre poèmes de lui, quelques traductions de vers de Eugênio de Castro et de António d’Oliveira Soares, deux symbolistes portugais [5], dont il commente l’œuvre. De retour au Brésil, il se consacre au journalisme et sans doute a-t-il évoqué dans ses articles la Belgique et les collaborateurs de la Jeune Belgique. L’histoire littéraire dit que c’est lui qui introduisit le symbolisme au Paraná, sa région natale.

9Un autre Brésilien, Nestor Vítor, joua également un rôle prépondérant dans ce dialogue entre le Brésil et la Belgique : il traduisit en effet La Sagesse et la destinée et fit précéder son texte d’une longue introduction sur Maeterlinck et son œuvre.

10D’abord, une lettre de lui [6] à Maeterlinck, datée de Rio le 11 juillet 1901 [7], prouve qu’il y a eu une correspondance (un dialogue ?) entre les deux hommes : il y dit avoir reçu de Maeterlinck l’autorisation, deux ans auparavant, de traduire La Sagesse et la destinée. Il annonce que la traduction est terminée et a été envoyée à l’éditeur Garnier de Paris. Le texte portugais paraît en 1902.

11Dans cette même lettre, Nestor Vítor avoue aussi qu’il n’a encore trouvé personne pour traduire quelques poèmes de Cruz e Sousa, « un poète dont je vous avais parlé », traductions qui lui avaient été demandées par Maeterlinck [8]. Enfin, Vítor annonce à Maeterlinck que La Vie des abeilles vient d’« apparaître » (sic) à Rio, donc en juillet 1901. Ce livre paraît en Europe aussi en 1901. C’est dire la rapidité avec laquelle les œuvres arrivaient au Brésil.

12Son introduction, qui a pour but de « conquérir la sympathie » des lecteurs pour Maeterlinck, est le premier texte sur le Belge à paraître au Brésil. Nestor Vítor s’y adresse sans arrêt à ses lecteurs et y intercale de temps en temps une réponse à une hypothétique question ou critique. Ainsi, après avoir situé l’auteur belge dans le contexte littéraire français de l’époque, il conclut : « Maeterlinck représente un cas complètement isolé dans la nouvelle littérature française – vous ne voulez pas l’accepter parce qu’il est flamand ? – d’accord : dans la littérature écrite en français ».

13Dans la biographie qu’il donne de Maeterlinck, il décrit sa ville natale :

14

Gand n’est pas à proprement parler une petite ville, mais n’est pas comparable à ce qu’on pourrait appeler une capitale. C’est une ville flamande, ce qui signifie équilibrée et travailleuse, d’un petit pays honnête et actif, souriant et croyant.

15Ce caractère flamand est souvent associé à celui de mystique lorsqu’il s’agit de Maeterlinck – flamand et mystique.

16Si, pour Nestor Vítor, « Maeterlinck est un écrivain mystique, ou un mystique qui est écrivain, mais il n’est pas ce qu’on a coutume d’appeler – tout court, sans adjectif – un écrivain », il ne s’explique pas sur ce caractère mystique. Sans doute est-il dû à la traduction qu’a faite Maeterlinck de Ruysbroeck, mystique qui semble beaucoup avoir impressionné les Brésiliens.

17Bien que les vers de Serres chaudes soient fréquemment cités en exergue, la critique semble avoir attaché peu d’importance au poète.

18Nestor Vítor qualifie le poète de « jeune herboriste des forêts de l’âme » et définit Serres chaudes comme « une poignée de vers amorphes, alanguis et délicieux » mais néanmoins difficiles à appréhender. Il évoque les « images vagues qui peuplent des horizons lointains, irréels » et prévient le lecteur, qui après la lecture se retrouve « dans une espèce de douce hypnose », qu’une « compréhension littérale est vaine ». S’il devine l’importance de l’inconscient dans le lyrisme de Maeterlinck, Vítor ne perçoit toutefois pas le rôle des images insolites, des métaphores alogiques et des analogies dans les poèmes de Serres Chaudes.

19En ce qui concerne la production dramatique de Maeterlinck, ce sont surtout la nouveauté et l’originalité de ses drames qui sont soulignées. Et si les critiques admirent le raffinement, la magie et le désir d’exprimer l’innommable, ils mettent aussi l’accent sur la simplicité, « la puérilité voulue et recherchée ». Le génie de Maeterlinck consiste à « exprimer de grandes émotions et dévoiler les mystères de notre subconscient avec des mots simples ». Nestor Vítor compare même ses pièces aux mystères médiévaux et souligne, ici aussi, son esprit mystique.

20Actuellement, on se souvient surtout au Brésil du dramaturge (en 1962 a été organisée à la Bibliothèque Nationale de Rio de Janeiro une exposition commémorative du centenaire de sa naissance et consacrée presque exclusivement à son théâtre) et ses œuvres continuent à être traduites : L’Intruse en 1967, L’Oiseau bleu en 1962 (rééditée en 1971), Pelléas et Mélisande en 1952 (rééditée en 1977) [9].

21Rodenbach semble, au Brésil aussi, indissociablement lié à Bruges. Contrairement à Maeterlinck, très peu de ses vers sont cités en exergue. Par contre, la ville de Bruges est fréquemment évoquée dans les textes et les poèmes des Brésiliens. Très souvent, l’image transmise est celle d’une ville grise et morte, comme dans ce tercet de Alma de Rodenbach (1922) de Rodrigo Otávio Filho :

22

…………………
E, como reflectida através de vitrais,
Bruges acinzentada e morta me aparece,
Espalhando o silêncio à tona dos canais…
…………………

23Pour les Brésiliens, il y a identification de Bruges-la-Morte et de la ville.

24En 1913, Rodrigo Otávio Filho avait fait « un pèlerinage à la Ville Morte » [10], accompagné de Ronald de Carvalho, Filipe d’Oliveira et Álvaro Moreyra. Tous ces poètes sont originaires du Rio Grande do Sul, ils font partie du groupe de la revue Fon-Fon et tous ont évoqué la ville belge. L’imprégnation fut si profonde que la critique en est arrivée à les surnommer « les poètes des canaux de Bruges ».

25Renato Almeida, dans Lendo Rodenbach[11], qualifie Bruges de symbole. La ville est associée aux émotions tristes, aux rêves endoloris, aux horizons gris. Et, bien sûr, aux quais, toujours calmes, aux toits dentelés des maisons blanches, aux eaux mortes des canaux, aux cygnes… Rodenbach a, toujours selon le critique, écrit une œuvre en total accord avec « la ville des brumes ». Et face à la critique qui vilipende cette manie de « vouloir transporter sous des cieux tropicaux les canaux de Bruges » [12], Almeida objecte : « on a dit de nous, qui avons appris à aimer Bruges à travers l’évocation de Rodenbach, beaucoup de mal… notre fétiche ne vaut pas la censure ».

26Encore en 1953, pour Roger Bastide Bruges sert de point de comparaison :
[13], l’image stéréotypée de

27

…Affonsus de Guimaraens, qui a vécu à Ouro Preto, espèce de Bruges brésilienne, Bruges de montagnes baroques au lieu de mers ou d’eaux stagnantes, mais aussi enveloppée de brumes, aussi mélodieuse de cloches d’églises, aussi ville morte, aussi catholique et liturgique que la Bruges de Belgique…

28Et, bien que Bruges-la-morte ait encore été traduite en portugais en 1960 [14], l’engouement pour Bruges (et pour Rodenbach) [15] disparaît avec le symbolisme; le modernisme qui suivit allait préférer les villes tentaculaires aux villes mortes.

29Surgi en 1922, le modernisme s’est fixé comme objectif de créer une littérature authentiquement brésilienne. Pour ce faire, il fallait prendre en compte la réalité brésilienne, mettre la littérature au diapason du monde moderne et cesser d’imiter servilement la littérature européenne. Si l’influence de la France perdure durant cette période, elle n’est plus quasi exclusive comme précédemment mais demeure néanmoins prépondérante. En outre, il ne s’agit plus d’imiter mais de s’approprier certains éléments en vue d’une recréation. À cette époque aussi, le Brésil s’industrialise, se modernise et s’urbanise.

30C’est surtout après la mort de Verhaeren que paraissent des textes le concernant. L’ironie de sa mort, « cueilli par la “force tumultueuse” d’une locomotive en marche vers les villes tentaculaires qu’il a idéalisées » [16], relatée par tous, a impressionné au point de servir de comparaison lors de l’évocation d’autres morts accidentelles, telle celle du poète Filipe d’Oliveira en 1933 : « E, como Verhaeren, morreu sob uma das forças tumultuosas deste século nervoso e ágil de que ele foi um filho bem amado » [17].

31De Verhaeren, qualifié tour à tour de poète épique et de poète lyrique, de chantre du vertige de la vie, de grand symboliste et de grand mystique ou encore de poète majeur de la langue française du XIXe siècle (à côté de Baudelaire), les auteurs s’accordent pour dire que la littérature mondiale a perdu un génie. Ils soulignent ses images rutilantes, ses métaphores osées, son style audacieux et son éloquence.

32Mais au-delà du panégyrique de Verhaeren, qualifié par tous de représentatif du « génie belge », se profile une image de la Belgique quelque peu déconcertante. Ainsi, la Flandre se caractérise par une mélancolie mystique et contemplative, par ses sites brumeux et ses paysages calmes. Les Flamands, eux, sont des gens simples, plus calmes que les Wallons, qui sont plus inconstants. Image de la Belgique encore, mais plus réaliste cette fois, dans les 84 vers que da Costa e Silva [18] adresse à Verhaeren, appelé « Mestre » : « cette terre héroïque, martyrisée de façon barbare, assiégée, incendiée, rendue esclave ». La Belgique sous la guerre est évoquée aussi par Mário de Andrade, futur chef de file du modernisme de São Paulo, dans deux poèmes où il plaint les « heróicas Bélgicas diliceradas » et les « Lieges desfiguradas » [19].

33Des œuvres de Verhaeren, citées par les auteurs [20], se détache Les Villes tentaculaires par le nombre de citations. C’est sans conteste l’œuvre qui a le plus influencé les modernistes. Mário de Andrade, auteur du premier recueil de vers moderniste, Paulicéia desvairada, avoue avoir eu l’idée d’écrire ces vers sur la ville de São Paulo après lecture de l’œuvre belge :

34

Tinha cadernos e cadernos de coisas parnasianas e algumas timidamente simbolistas, mas tudo acabara por me desagradar. Na minha leitura desarvorada, já conhecia até alguns futuristas de última hora, mas só então descobrira Verhaeren.
E fôra o deslumbramento. Levado em principal pelas « Villes tentaculaires », concebi imediatamente fazer um livro de poesias « modernas », em verso-livre, sobre a minha cidade. [21]

35Selon Rita Olivieri-Godet [22], si Andrade et Verhaeren partagent le même sentiment de simultanéité face aux transformations apportées par l’industrialisation, si tous deux exaltent la vitesse, la technologie et le dynamisme du monde moderne, s’ils critiquent de la même façon les inégalités que le capitalisme met en place, il n’en demeure pas moins que l’image de la ville diffère chez les deux poètes. Pour Andrade, elle est celle « d’une métropole moderne, cosmopolite, dans laquelle l’activité industrielle ne joue pas un rôle prépondérant ». Chez Verhaeren, l’idée de la ville moderne se confond avec celle de la ville industrielle (1997, p. 66).

36Eurico Alves, poète de l’État de Bahia, semble, lui aussi, s’être inspiré de la poésie de Verhaeren [23] pour ses Poemas metálicos, écrits entre 1926 et 1932.

37Passées les premières années modernistes, si Les Villes tentaculaires ne servent plus de source d’inspiration, l’intérêt pour le poète belge ne diminue pas pour autant. En 1966 paraît l’essai critique [24] de Sérgio Milliet, écrit à l’occasion du centenaire de la naissance de Verhaeren. C’est de loin l’article le plus complet et le mieux documenté ayant paru au Brésil sur l’auteur belge. Il est vrai que Milliet avait entendu parler de Verhaeren à Genève, où il a séjourné et fréquenté le groupe du Carmel, qui entretenait des contacts avec Verhaeren, qu’il connaissait Stefan Zweig et qu’il était venu en Belgique où a été publié un de ses recueils de vers [25].

38Dans cet article de vingt pages, véritable incitation à la lecture de Verhaeren, Milliet passe en revue toute sa production, situe l’auteur dans son époque littéraire, signale les influences reçues, souligne l’évolution parcourue et illustre ses affirmations par de larges extraits traduits par lui.

39Selon Milliet, les deux caractéristiques majeures de Verhaeren sont d’une part l’amour qu’il portait à l’humain et son engagement, d’autre part la conscience qu’il avait d’« appartenir à son pays et à sa race ». Cette caractéristique ne pouvait que plaire au moderniste Milliet.

40Et, ici aussi et encore, le critique évoque la mort tragique de Verhaeren. Par contre, la description du tempérament flamand est moins fantaisiste : exubérant, passionné, tumultueux, tout d’une pièce. Les Flamands sont sains et forts, tenaces et extravertis dans la joie comme dans la peine.

41Enfin, d’après Milliet, la raison du succès de Verhaeren est qu’il fut « un poète-homme entre beaucoup de poètes-littérateurs ». S’il fut pionnier en découvrant la beauté dans la nouveauté, il l’est encore par son message d’action et de vie intense. L’article se termine par une constatation : « Peu d’entre nous ont lu Verhaeren. Poète parmi les plus représentatifs de notre temps, il recommence à attirer l’attention des modernes ». Quoi qu’il en soit, la dernière traduction des Villes tentaculaires date de 1999 [26].

Notes

  • [1]
    Andrade Muricy, Panorama do movimento simbolista brasileiro, 3 vol., Rio de Janeiro, Instituto Nacional do Livro, 1952. Fernando Góes, Panorama da poesia brasileira, vol. IV, O simbolismo, Rio de Janeiro, Editora Civilização Brasileira, 1959.
  • [2]
    « O movimento belga tem particular interesse para o estudo do nosso Simbolismo e exigiria detido examenesse sentido » (Andrade Muricy, op. cit., p. 44)
  • [3]
    Il ne s’agit que d’un début de réponse car il ne nous a pas été possible de trouver ou de consulter tous les documents requis pour cette recherche. D’où ces quelques pistes…
  • [4]
    Il y fait ses études secondaires et universitaires (Sciences politiques et administratives à l’ULB de 1889 à 1891). Voir Eddy Stols, Les étudiants brésiliens en Belgique (1817-1914), in Historica Lovaniensia, 43, Louvain, 1975, p. 653-692.
  • [5]
    La seule présence « brésilienne » dans la revue est un article de la plume de Victor Orban sur une Brésilienne aujourd’hui tombée dans l’oubli, Zalina Rolim.
  • [6]
    Pour la petite histoire : il a été décoré de l’Ordre de la Couronne et il a reçu en 1919 l’Ordre de Léopold. Les liens avec la Belgique passent parfois par des chemins étranges…
  • [7]
    En possession des Archives Maeterlinck de Gand.
  • [8]
    Ces traductions n’ont jamais été faites. Il est regrettable que les Brésiliens aient perdu une telle occasion de faire connaître leur poésie en Europe.
  • [9]
    La Sagesse et la destinée a été traduite une seconde fois en 1945, cette fois par Monteiro Lobato (rééditée en 1963), Le Trésor des humbles a été traduit en 1945, La Vie des abeilles en 1947 (rééditée en 1987), La Vie des fourmis en 1933 (rééditée en 1987).
  • [10]
    Il évoque ce voyage dans son livre O fundo da gaveta (Rio de Janeiro, 1924), livre qui semble introuvable aujourd’hui.
  • [11]
    Renato Almeida, Em relevo, Rio de Janeiro, Apollo, 1917.
  • [12]
    Nestor Vítor, Cartas à gente nova dans Obra crítica, Rio de Janeiro, Ministério da Educação e Cultura-Fundação Casa de Rui Barbosa, 1973, vol. II, p. 153.
  • [13]
    Le Symbolisme brésilien, dans Mercure de France, 1-XI-1953, p. 518-519.
  • [14]
    Bruges, a morta, traduit par Juracy Daisy Marchese, São Paulo, 1960.
  • [15]
    Le nom de Rodenbach ne figure plus dans la 3e édition du Dicionário de literatura, sous la direction de Jacinto do Prado Coelho (1982).
  • [16]
    Antonio Torres, Verdades indiscretas, Rio de Janeiro, 1925.
  • [17]
    Theodemiro Tostes, in In memoriam de Filipe d’Oliveira, Sociedade Filipe d’Oliveira, 1933, p. 222
  • [18]
    Antônio Francisco Da Costa e Silva, Verhaeren, dans Anthologia, Rio de Janeiro, 1934, p. 155-160.
  • [19]
    Lovaina et Exaltação da paz dans Mário de Andrade, Há uma gota de sangue em cada poema, 1917
  • [20]
    Les rythmes souverains, Les blés mouvants, Les moines, Les forces tumultueuses, Les villages illusoires, Les apparus dans mes chemins, Les campagnes hallucinées et La multiple splendeur.
  • [21]
    Mário de Andrade, O Movimento modernista, Rio de Janeiro, Edição da casa do estudante do Brasil, 1942, p. 18.
  • [22]
    La Répercussion de l’œuvre de Verhaeren dans la littérature brésilienne, dans Émile Verhaeren, dossier dirigé par Véronique Jago-Antoine et Marc Quaghebeur, Textyles, n° 11, Bruxelles, 1994, p. 163-170 et L’Espace poétique de la ville chez Émile Verhaeren et Mário de Andrade, dans Anne-Marie Quint (org.), La Ville : exaltation et distanciation, Cahier n° 4 du Centre de Recherche sur les pays lusophones, Paris, Sorbonne-Nouvelle, 1997, p. 40-62.
  • [23]
    Voir Rita Olivieri-Godet, A Poesia de Eurico Alves. Imagens da cidade e do sertão, Salvador, 1999.
  • [24]
    Um Poeta da vida moderna, dans Sérgio Milliet, Quatro ensaios, São Paulo, Martins, 1966, p. 77-96.
  • [25]
    Sérgio Milliet, Œil-de-bœuf, Anvers, Lumière, 1923.
  • [26]
    Cidades tentaculares, tradução e apresentação José Jeronymo Rivera. Edição bilíngüe francês-português, Brasília, Thesaurus, 1999.

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