Notes
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[1]
J.-M. Sauvé, « Les sanctions administratives en droit public français. État des lieux, problèmes et perspectives ». AJDA oct. 2001, n° spécial, p. 16.
-
[2]
Ord. n° 2012-34 du 11 janvier 2012 ; C. Courtaigne-Deslandes, « De l’utilité d’une ordonnance simplifiant, réformant et harmonisant les sanctions pénales du code de l’environnement », BDEI 35/2011 ; C. Cans, « La réforme, tant attendue, du droit répressif de l’environnement », Dr. adm. janv. 2013, p. 13.
-
[3]
P. Delvolvé, « Droit pénal et droit administratif », Archives de philosophie du droit, Tome 53, 2010, p. 147.
-
[4]
E. Rosenfeld, J. Veil, « Sanctions administratives, sanctions pénales », Pouvoirs n° 128, 2008, p. 61.
-
[5]
M. Delmas-Marty et C. Teitgen-Colly, Punir sans juger ? De la répression administrative au droit administratif pénal, Economica 1992.
-
[6]
Cf. M. Delmas-Marty et C. Teitgen-Colly, op. cit., soulignant (p. 45-46) que certaines mesures ont une finalité double, à la fois préventive et répressive, comme la fermeture d’une installation classée pour non-respect des règles de fonctionnement ; J. Bétaille, Les conditions juridiques de l’effectivité de la norme en droit public interne : illustrations en droit de l’urbanisme et en droit de l’environnement, Thèse, Limoges, 2012, dactyl., p. 177 et s. : « le pouvoir de sanction accompagne très souvent le pouvoir de police. (…) Le préfet dispose d’un pouvoir de sanction afin d’assurer le respect des mesures de police spéciale qu’il institue. (…) La répression a, de façon générale, une fonction préventive à travers la dissuasion qu’elle exerce sur des comportements déviants ».
-
[7]
Cf. L. Fonbaustier, « L’efficacité de la police administrative en matière environnementale », in L’efficacité du droit de l’environnement, dir. O. Boskovic, Dalloz, coll. Thèmes et commentaires, 2010, p. 109.
-
[8]
E. Rosenfeld et J. Veil, art. préc.
-
[9]
J.-M. Sauvé, art. préc. : la sanction administrative est acceptable socialement car moins stigmatisante et infâmante que la sanction pénale ; elle est également plus adaptée car l’éventail de sanctions permet d’apporter une réponse diversifiée aux manquements relevés. Cf. également J. Bétaille, op. cit. p. 198.
-
[10]
CE 9 juillet 2007, Min. écologie c/Sté Terena, req. n° 288367, BDEI n° 11/2007 p. 25 concl. Guyomar.
-
[11]
CE 14 novembre 2008, Sté Soferti, req. n° 287275, RFDA 2009, p. 176.
-
[12]
CE 20 mars 1991, SARL Rodanet, req. n° 83776 : cumul de l’exécution des travaux d’office et de la consignation ; CE 8 septembre 1997, SARL Sérachrom, req. n° 121904 ; CAA Nantes, 10 octobre 1990, Goupil, Rec. p. 466, concl. Lemai, RJE 1991 p. 211.
-
[13]
Cf. ancien article L. 514-1 C. env. : « Indépendamment des poursuites pénales qui peuvent être exercées »…, formule reprise aux articles L. 171-7 et L. 171-8 issus de l’ordonnance du 11 janvier 2012.
-
[14]
C. Const., déc. n° 89-260 DC, 28 juillet 1989, Transparence du marché financier : « Sans qu’il soit besoin de rechercher si le principe dont la violation a été invoquée a valeur constitutionnelle, il convient de relever qu’il ne reçoit pas application en cas de cumul entre sanctions pénales et sanctions administratives ».
-
[15]
C. Const., déc. n° 96-378 DC, 23 juillet 1996, loi portant réglementation des télécommunications : « Une sanction administrative de nature pécuniaire ne peut se cumuler avec une sanction pénale ».
-
[16]
C. Const., déc. n° 97-395 DC, 30 décembre 1997, loi de finances pour 1998.
-
[17]
La protection du patrimoine culturel n’est pas envisagée ici, mais il ne fait pas de doutes que nombre de dépendances du domaine public maritime ou fluvial artificiel en font partie.
-
[18]
TA Bastia, 10 juillet 1992, Féraud, et 4 mai 1995, Féraud : à propos de la célèbre paillote abritant le restaurant « Chez Francis ».
-
[19]
CE 29 mai 1984, Mme Galli, AJDA 1985 p. 47.
-
[20]
CE 23 décembre 1941, Sté Mazout-Transport, Rec. p. 246.
-
[21]
CE Sect. 23 février 1979, Min. Équipement c/Assoc. des Amis des chemins de ronde, Rec. p. 75, concl. Baquet, D. 1979, jurisp., p. 405 note Lombard : « Les autorités chargées de la police et de la conservation du domaine public maritime sont tenues, par application des principes régissant la domanialité publique, de veiller à l’utilisation normale des rivages de la mer et d’exercer à cet effet les pouvoirs qu’elles tiennent de la législation en vigueur, y compris celui de saisir le juge des contraventions de grande voirie ».
-
[22]
CE 6 mars 2002, Triboulet et Brosset, Rec. p. 76 : le juge peut ordonner la démolition de constructions un siècle après leur édification irrégulière sur le domaine public maritime.
-
[23]
CE 2 novembre 1956, Min. des travaux publics c/Cne de Poizat, Rec. p. 413 ; CE 23 décembre 2010, Ministre d’État, ministre de l’Écologie, du développement et de l’aménagement durables c/Cne de Fréjus, Rec. 528, AJDA 2011 p. 730 : l’article L. 2132-3 ne permet toutefois pas au juge administratif d’ordonner la démolition d’un ouvrage public implanté irrégulièrement, car seul le préfet a compétence pour prendre une telle décision après avoir vérifié, au regard de la balance des intérêts en présence, si la destruction de l’ouvrage ne porte pas une atteinte excessive à l’intérêt général.
-
[24]
CE 10 mars 1976, Min. de l’Équipement c/Robert, Rec. p. 152.
-
[25]
CE 17 novembre 1944, Bouquet, Rec. p. 298.
-
[26]
Cf. L. Fonbaustier, art. préc.
-
[27]
Cf. J. Bétaille, thèse préc. p. 214.
-
[28]
Selon les chiffres du site de l’inspection des installations classées.
-
[29]
J. Bétaille, op. cit. p. 216.
-
[30]
Cour des comptes, Rapport public annuel 2010, La Documentation française 2010 p. 625 : « 26 % des contrôles réalisés par les services de l’État donnent lieu à une réponse administrative ou pénale, mais seuls 1 % conduit à une sanction ».
-
[31]
J.-P. Faugère, « La pratique des sanctions administratives dans le domaine des installations classées », AJDA 2001, n° sp. p. 48 : « À aucun moment nous n’avons sérieusement envisagé l’exécution d’office de travaux sur l’ancienne usine, alors même que la consignation aurait pu nous en donner les moyens. Cette solution paraît en effet très délicate à mettre en œuvre s’il s’agit d’une installation complexe, techniquement difficile à maîtriser ».
-
[32]
L. Fonbaustier, art. préc. ; J. Bétaille, thèse préc. ; G. Canivet et D. Guihal, « Protection de l’environnement par le droit pénal : l’exigence de formation et de spécialisation des magistrats », D. 2004, n° 38, chron. p. 2728 ; D. Deharbe, « Autoriser le risque. Des fonctions de la police des installations classées », Droit de l’envir. n° 141, 2006, p. 258.
-
[33]
P. Lascoumes, L’éco-pouvoir, La découverte, 1994 p. 153.
-
[34]
Cf. sur ces questions : J.-H. Robert, « L’alternative entre les sanctions pénales et les sanctions administratives », AJDA 2001 n° sp. p. 90 ; J.-M. Sauvé, art. préc.
-
[35]
S. Caudal-Sizaret, « Actualité des contraventions de grande voirie en matière de protection de l’environnement », in Mél. J. Morand-Deviller, Montchrestien, 2007 p. 735.
-
[36]
Les parcs naturels marins couvrent toutefois des espaces relevant en partie du domaine public maritime.
-
[37]
CE 6 février 1981, Comité de défense des sites de la Forêt-Fouesnant, Rec. p. 746, JCP 1981, II, 19698, note J.-F. Davignon.
-
[38]
CE Sect. 23 février 1979, Min. Équipement c/Assoc. des amis des chemins de ronde, préc.
-
[39]
Les préfets des autres départements bretons avaient également refusé d’engager les poursuites.
-
[40]
CE 30 septembre 2005, Cacheux, Rec., AJDA 2005, p. 2469, concl. Collin.
-
[41]
Cf. sur ce point S. Caudal-Sizaret, art. préc.
-
[42]
D’une part, il y a dérogation à une obligation de principe pour l’administration et, d’autre part, lorsque la contravention de grande voirie constitue une atteinte à l’environnement, il y a violation du droit fondamental de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, affirmé à l’article 1er de la Charte de l’environnement.
-
[43]
Éclairée par la circulaire du 19 juillet 2013 relative à la mise en œuvre des polices administrative et pénale en matière d’installations classées pour la protection de l’environnement, note D. Gillig, Envir., octobre 2013, p. 45.
-
[44]
Avant l’ordonnance du 11 janvier 2012, seule la méconnaissance des dispositions relatives aux déchets radioactifs pouvait entraîner une sanction administrative pécuniaire, « au plus égale, dans la limite de dix millions d’euros, au cinquième du revenu tiré des opérations réalisées irrégulièrement ». Cette disposition a été maintenue (art. L. 542-2-2 III C. env.).
-
[45]
C. Const. 28 juillet 1989, préc.
-
[46]
J.-H. Robert, « Unions et désunions des sanctions du droit pénal et de celles du droit administratif », art. préc.
-
[47]
J. Bétaille, thèse préc. p. 225.
-
[48]
Groupe de travail installé par Mme Taubira, Garde des Sceaux, ministre de la justice, « Pour la réparation du préjudice écologique », 17 septembre 2013, www.justice.gouv.fr
-
[49]
Rapport préc., p. 24.
-
[50]
Rapport préc., p. 25-26.
1« Notre système de sanction ne peut être réputé rationnel, pour le seul motif qu’il est le produit d’une sédimentation historique », écrivait Jean-Marc Sauvé, souhaitant que l’on puisse procéder à des redéploiements ponctuels entre répression administrative et répression pénale [1].
2Une entreprise de rationalisation du droit pénal de l’environnement a, du reste, été amorcée par l’ordonnance du 11 janvier 2012. Adoptée sur le fondement de l’article 256 de la loi du 10 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement (loi Grenelle II), cette ordonnance porte simplification, réforme et harmonisation des dispositions de police administrative et de police judiciaire du code de l’environnement [2].
3Mais notre propos est, heureusement, limité au droit administratif. Il s’agira donc de nous interroger sur l’existence, les caractéristiques et les perspectives, d’un droit administratif répressif de l’environnement, puisqu’il nous faut raisonner ici en termes de frontières et donc nous démarquer du droit pénal classique. Quand bien même cet exercice de démarcation apparaîtrait-il quelque peu artificiel. Les auteurs soulignent en effet volontiers que « droit pénal et droit administratif participent tous les deux d’un droit coercitif » [3], ou que « le droit de la répression transcende les frontières répression pénale/répression administrative [4]. Dans l’optique d’identification qui est la nôtre, nous utiliserons la formule « droit répressif administratif » de préférence à celle de « droit pénal administratif », pour éviter le risque de confusion que pourrait induire l’adjectif « pénal ». Plus précisément, nous envisageons ici le droit répressif de l’environnement, pour désigner l’objet de notre approche, qui est la matière environnementale.
4Pour les besoins de cette présentation, le droit administratif répressif de l’environnement recouvre donc les différentes mesures ou procédures pouvant être adoptées par l’autorité administrative en vue de punir directement les infractions aux règles protectrices de l’environnement, ou de constater celles-ci pour les faire réprimer par le juge administratif. Comme on le voit, cette définition fait appel à deux critères classiques : le critère organique en vertu duquel ne sont prises en compte que les mesures qui ont pour origine l’administration, et le critère finaliste selon lequel la mesure en cause doit présenter un caractère répressif [5]. Néanmoins, ce second critère devra être entendu de manière compréhensive, car l’édiction de sanctions comporte assurément une dimension préventive. Il convient dès lors de relativiser la distinction entre sanction administrative et mesure de police [6], habituellement opposées du fait que le régime de la police administrative est destiné, non pas à sanctionner des agissements concrets, mais à prévenir des troubles potentiels. Les frontières apparaissent encore plus poreuses si l’on considère que la sanction peut aussi présenter un volet curatif. Il se confirme ainsi que les clivages – ici entre répression, prévention et réparation – ne sont pas aussi tranchés qu’on pourrait le souhaiter.
5C’est en ayant pleinement conscience de ces difficultés que nous allons nous livrer à une étude du droit administratif répressif de l’environnement, entité qui s’avère pour l’instant indéterminée. Cet examen clinique suppose de cerner ce corpus (physiologie), pour en déterminer les maux (pathologie) et rechercher comment y remédier (thérapeutique).
I – Physiologie du droit administratif répressif de l’environnement
6Un premier constat s’impose : nous sommes en présence d’un être bifide. Le droit administratif répressif de l’environnement se partage en effet en deux branches : les sanctions administratives énoncées au code de l’environnement et les contraventions de grande voirie, inscrites dans le code général de la propriété des personnes publiques, qui illustrent le contentieux répressif de la justice administrative.
A – Les sanctions administratives
7La présence de sanctions administratives en matière environnementale est liée à l’encadrement des nombreuses activités génératrices de pollutions et de nuisances par des polices administratives spéciales. L’efficacité de la police administrative passe en effet par l’existence d’une coercition potentielle, la faculté pour l’autorité administrative d’assortir ses commandements de menaces, et de sanctions effectives en cas d’irrespect [7].
8Le modèle d’origine est celui du droit des installations classées issu de la loi du 19 juillet 1976. L’ancien article L. 514-1 C. env. – abrogé par l’ordonnance du 11 janvier 2012 à compter du 1er juillet 2013 – prévoyait qu’en cas d’inobservation des conditions imposées à l’exploitant, constatée par un inspecteur des installations classées, le préfet met en demeure l’exploitant de s’y conformer dans un délai déterminé. Si l’exploitant n’obtempère pas à cette injonction, le préfet pouvait choisir de recourir à diverses sanctions : 1°) obliger l’exploitant à consigner entre les mains d’un comptable public une somme répondant du montant des travaux à réaliser, qui sera restituée à l’exploitant au fur et à mesure de l’exécution des mesures prescrites ; 2°) faire procéder d’office, aux frais de l’exploitant, à l’exécution des mesures prescrites ; 3°) suspendre par arrêté le fonctionnement de l’installation, jusqu’à exécution des conditions imposées et prendre les dispositions provisoires nécessaires. Cet arsenal répressif a été repris dans de nombreux domaines, parfois avec quelques variantes : en droit de l’eau par la loi du 3 janvier 1992 complétée par la loi du 30 décembre 2006 (art. L. 216-1 C. env.), en matière de lutte contre le bruit par la loi du 31 décembre 1992 (art. L. 571-17 C. env.), pour la protection de la qualité de l’air par la loi du 30 décembre 1996 (art. L. 226-8 C. env.), la police des organismes génétiquement modifiés avec la loi du 25 juillet 2008 (art. L. 235-5 et s. C. env.), celle des déchets par l’ordonnance du 17 décembre 2010 (art. L. 541-3 C. env.), le droit des matières et déchets radioactifs depuis la loi du 28 juin 2006 (art. L. 542-2-2 C. env.). Il s’applique aussi aux documents, programmes et opérations susceptibles d’affecter un site Natura 2000, réalisés sans l’évaluation préalable des incidences prévue à l’article L. 414-5 du code de l’environnement (loi du 1er août 2008) ou en cas d’inobservation des mesures destinées à éviter, réduire et compenser les effets négatifs d’un projet sur l’environnement (loi du 12 juillet 2010, art. L. 122-3-4 C. env.). Comme nous le verrons plus loin, ces dispositions ont été abrogées et harmonisées par l’ordonnance du 11 janvier 2012.
9Ce dispositif répressif administratif présente théoriquement divers avantages, généralement mis en exergue par comparaison avec les sanctions pénales. La doctrine souligne ainsi que la sanction administrative constitue une rémanence du privilège du préalable [8] : elle apparaît dès lors comme une sanction efficace et rapide, qui est dispensée de l’intervention préalable d’un juge. C’est une véritable décision administrative dotée du caractère exécutoire. En outre, la sanction administrative comporte des atouts qui tiennent à sa simplicité procédurale, à son aptitude à traiter des contentieux de masse ainsi que des contentieux techniques, à son acceptabilité sociale et à son adaptation [9]. En matière de protection de l’environnement, la sanction pénale est censée offrir un intérêt particulier, qui réside dans l’automaticité de la sanction. En effet, en vertu du schéma répressif évoqué plus haut, l’autorité administrative – par exemple le préfet au titre de la police des installations classées – est tenue de mettre en demeure l’auteur de l’infraction de régulariser sa situation, puis de prononcer une sanction si la mise en demeure reste infructueuse. La rédaction des textes peut susciter un doute quant à l’étendue de la compétence liée de l’administration. Ils prévoient invariablement que l’autorité administrative compétente « met en demeure », et que lorsque l’intéressé n’a pas obtempéré à cette injonction, elle « peut » recourir à l’une ou l’autre des sanctions précitées. Faut-il déduire de l’emploi du verbe « pouvoir » que l’obligation juridique ne porte que sur l’édiction de la mise en demeure, l’autorité administrative ayant ensuite la faculté de renoncer aux poursuites administratives face à un contrevenant récalcitrant ? Cette solution ne nous paraît guère convaincante au regard de la logique globalement comminatoire du dispositif.
10Le choix s’exerce selon nous à l’égard de la sanction la plus adaptée, sachant que la mise en demeure ne constitue pas en elle-même une sanction, comme cela a été précisé dans le cadre du contentieux des installations classées. Il en résulte pour le juge administratif que « l’option ouverte en matière de sanctions n’affecte pas la compétence liée du préfet pour édicter la mise en demeure » [10]. Il considère en outre que « la mise en demeure (…) a pour objet, en tenant compte des intérêts qui s’attachent à la fois à la protection de l’environnement et à la continuité de l’exploitation, de permettre à l’exploitant de régulariser sa situation dans un délai déterminé, en vue d’éviter une sanction pouvant aller jusqu’à la suspension du fonctionnement de l’exploitation » [11]. Cette formule conforte notre analyse car elle implique qu’à défaut pour l’exploitant de déférer à la mise en demeure, il ne saurait échapper à la sanction.
11Ajoutons à cela que le pouvoir d’appréciation dont dispose l’administration quant à l’adaptation de la sanction n’exclut pas le cumul des sanctions. En effet, l’article L 514-1 n’impose nullement de s’en tenir à une seule sanction. Le juge administratif admet donc le prononcé successif de différentes sanctions à la suite d’une mise en demeure unique [12].
12L’efficacité du système répressif est en outre renforcée par la possibilité de cumuler les sanctions administratives et pénales à raison de mêmes faits, comme l’indiquent les textes [13], en dérogation à la règle non bis in idem. Admise par une décision du Conseil constitutionnel du 28 juillet 1989 [14], cette solution semblait remise en cause par la décision du 23 juillet 1996 [15]. Le Conseil constitutionnel l’a toutefois réitérée dans sa décision du 30 décembre 1997 [16], où il admet expressément le cumul d’une sanction pénale et d’une sanction disciplinaire, à condition que la somme des sanctions pécuniaires pénale et administrative n’excède pas le montant maximum de la plus sévère. Il est à noter que ces règles s’appliquent également aux contraventions de grande voirie.
B – Les contraventions de grande voirie
13Les contraventions de grande voirie sont un dispositif répressif propre au domaine public, dont il vise à sauvegarder l’usage et l’intégrité. Il résulte de l’existence d’une police administrative spéciale, la police de la conservation. Aux termes de l’article L. 2132-2 du code général de la propriété des personnes publiques, « les contraventions de grande voirie sont instituées par la loi ou le décret, selon le montant de l’amende encourue, en vue de la répression des manquements aux textes qui ont pour objet (…) la protection de l’intégrité ou de l’utilisation de ce domaine public (…). Elles sont constatées, poursuivies ou réprimées par voie administrative ».
14Le recours aux contraventions de grande voirie permet de protéger des domaines publics spécifiques tels que le domaine public maritime naturel et le domaine public fluvial naturel. À ce titre, il participe à la protection de l’environnement naturel [17].
15Comme pour les sanctions administratives, l’infraction est purement matérielle, ce qui dispense de la recherche d’un élément intentionnel ou d’une faute. Sont ainsi répréhensibles les atteintes résultant d’occupations domaniales irrégulières (implantation de paillotes sur la plage [18]) ou de dégradations directes telles que des pollutions et nuisances (déversement d’eaux usées sur les rochers [19], ou de mazout sur les plages à la suite du naufrage d’un pétrolier [20]). S’agissant du domaine public maritime naturel, les articles L. 2132-3 et 4 interdisent en effet toute construction ou aménagement sous peine de démolition, confiscation des matériaux et amende. Les dépôts, extractions et autres dégradations sont également prohibés, sauf autorisation d’occupation du domaine public.
16Ce régime de la domanialité publique ne manque pas d’intérêts au regard de la préservation de l’environnement. Primo, le principe de l’opportunité des poursuites qui joue en matière pénale ne s’y applique pas. L’administration est en effet tenue d’exercer les poursuites lorsqu’elle constate une contravention de grande voirie, comme l’a affirmé un arrêt du Conseil d’État du 23 février 1979 [21]. Concrètement, le préfet du département sur le territoire duquel l’infraction de grande voirie a été commise, qui est le titulaire de l’action de voirie dans la plupart des hypothèses, doit dresser acte de la notification du procès-verbal d’infraction et le transmettre au tribunal administratif qui se trouve dès lors saisi. Il en résulte, là encore, un phénomène d’automaticité de la réponse répressive.
17Secundo, la dualité de la sanction attachée à la contravention de grande voirie constitue un réel atout dans une optique de protection des espaces naturels. Rappelons sur ce point que la contravention de grande voirie permet de condamner le contrevenant à la fois au paiement d’une amende, ce qui correspond à l’aspect répressif de la sanction, lié à l’action publique, et à réparer l’atteinte portée au domaine public. Cette obligation présente un caractère restitutif, représentatif de l’action domaniale. À la différence de l’amende qui suit le régime des amendes de police, elle est imprescriptible et ne peut être amnistiée. Cela entraîne que la remise en état des dépendances dégradées peut être ordonnée à tout moment [22], et qu’il n’est pas possible de transiger avec le contrevenant. En outre, le juge administratif se saisit d’office de l’action en réparation au cas où le préfet n’aurait pas déposé de conclusions en ce sens, ce qui permet de surmonter l’inertie éventuelle de l’administration [23]. L’action domaniale se résout par la réparation en nature du dommage causé au domaine public, qui peut revêtir diverses formes : cessation de l’activité dommageable [24], réparation en nature telle que la remise en état des espaces dégradés [25]…
18Le régime des contraventions de grande voirie a été étendu par la loi du 14 avril 2006 relative aux parcs naturels, parcs naturels marins et parcs naturels régionaux, à certains espaces naturels protégés qui bénéficient ainsi de sa protection. Sont concernées les dépendances domaniales relevant du Conservatoire de l’espace littoral et des rivages lacustres (art. L. 322-10-4 C. env.), celles incluses dans le périmètre d’un parc national (art. L. 331-19-1 C. env.), d’une réserve naturelle (art. L. 332-22-1 C. env.) ou d’un parc naturel marin (art. L. 334-7 C. env.). Ces dispositions traduisent la reconnaissance du potentiel environnemental de la contravention de grande voirie. Elles entraînent aussi, ce qui peut s’avérer utile, une diversification des autorités administratives susceptibles de poursuivre les infractions.
19Dans la pratique, ces deux modalités du droit administratif répressif de l’environnement que constituent les sanctions administratives et les contraventions de grande voirie révèlent des handicaps et des défaillances, symptomatiques d’une santé chancelante.
II – Pathologie du droit administratif répressif de l’environnement
20Les lacunes de la répression se manifestent dans le domaine des sanctions administratives comme dans celui des contraventions de grande voirie.
A – Les affections chroniques des sanctions administratives
21La mise en œuvre des sanctions administratives édictées par le code de l’environnement pêche à plusieurs niveaux.
22Il est généralement admis, tout d’abord, que les possibilités matérielles de procéder aux contrôles permettant de déceler les manquements aux normes environnementales sont insuffisantes. Le prononcé d’une sanction nécessite qu’un agent assermenté adresse à l’autorité administrative compétente un rapport de contrôle établissant les faits. Or les effectifs d’inspecteurs – tels que les inspecteurs des installations classées, devenus des inspecteurs de l’environnement depuis l’ordonnance du 11 janvier 2012 – sont loin de couvrir les besoins. Selon les chiffres publiés sur le site de l’inspection des installations classées, on comptait, au 31 décembre 2012, 1 250 équivalents temps plein, soit 1 555 inspecteurs, d’où le ratio d’un inspecteur pour 320 installations. Dans ces conditions, seulement 6 % des établissements classés ont pu faire l’objet d’une inspection – soit 24 000 visites d’inspection. Pour la même raison, les inspections ne peuvent être que brèves et superficielles, y compris pour les sites « Séveso » présentant des risques d’accidents majeurs. Ce constat est d’autant plus décevant qu’il n’est pas récent et que sa dénonciation n’emporte pas d’amélioration visible [26].
23Les statistiques disponibles conduisent aussi à relativiser fortement la prétendue automaticité des mises en demeure. Il apparaît que l’édiction d’une mise en demeure consécutivement au fonctionnement irrégulier d’une installation n’a rien de systématique, comme le montre l’étude du Conseil d’État réalisée à propos de la police de l’eau : « Sur les 40 % de contrôles effectués sur le terrain et donnant des résultats non conformes, 91 % débouchent d’après le ministère de l’écologie sur un simple rappel à la réglementation et 8,5 % seulement sur une mise en demeure alors que l’article L 216-1 du Code de l’environnement en fait l’issue normale du contrôle en présence d’une non-conformité » [27]. Dans le domaine des installations classées, les 24 000 contrôles réalisés en 2012 ont entraîné 2 660 arrêtés préfectoraux de mise en demeure, soit environ 10 % [28]. Sachant qu’une grande majorité d’exploitations échappe à tout contrôle, ces chiffres font apparaître un phénomène de quasi-impunité des contrevenants.
24De même, le prononcé de sanctions effectives laisse à désirer. Ainsi, les 2 660 arrêtés de mise en demeure édictés en 2012 dans le domaine des installations classées n’aboutissent qu’à 295 sanctions administratives. Une hypothèse optimiste peut être avancée, celle de la régularisation après mise en demeure, qui conduit à l’abandon de la procédure. Toutefois, il ne faut pas exclure une explication plus réaliste, selon laquelle « le niveau des tolérances administratives dans ce domaine est particulièrement important » [29]. Concernant la police de l’eau, la réponse administrative aux non-conformités établies est encore plus faible, puisque seul 1 % des contrôles se solde par une sanction [30]. En outre, l’éventail des sanctions offert par les textes n’est pas utilisé dans toute sa diversité. Certaines sanctions ne sont jamais employées, soit parce qu’elles sont susceptibles d’avoir des conséquences trop lourdes sur le plan économique et social, ce qui est le cas de la suspension d’activité, soit parce que leur mise en œuvre est trop complexe pour l’administration, nous pensons ici à l’exécution d’office des travaux [31]. Quant à la consignation d’une somme d’argent, c’est une mesure qui n’est pas punitive mais coercitive…
25Nombre d’auteurs soulignent également la tendance de l’administration à privilégier les solutions négociées et le compromis [32]. Le préfet J.-P. Faugère évoque le rôle incitatif de la sanction administrative, qui « devient un moyen de forcer le dialogue, voire de rétablir le rapport de forces en faveur de l’intérêt général ». De façon générale, les logiques de régularisation, ou encore de tolérance administrative, semblent prévaloir au sein de l’inspection des installations classées et des préfectures [33]. Ce constat induit inévitablement une suspicion à l’égard de l’impartialité de l’autorité administrative investie du pouvoir de sanction, à savoir le plus souvent le préfet. Pourvu de multiples casquettes, celui-ci doit arbitrer entre des intérêts divergents. La prise en compte des enjeux politiques, économiques et sociaux locaux, l’emporte bien souvent face aux considérations environnementales.
26Enfin, l’évolution récente du droit de sanctions administratives soulève des interrogations quant à leur acceptabilité politique et à leur efficacité comparée à celle des sanctions pénales, dans un contexte de rapprochement des procédures et des garanties sous l’influence de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme [34].
B – Les contraventions de grande voirie : symptômes d’un malaise
27La constitution des contraventions de grande voirie révèle également un certain nombre de vices.
28Le premier tient au fait que la protection qu’elles véhiculent s’applique uniquement au domaine public. Ce principe, inhérent à leur institution même, induit une limite regrettable lorsqu’on envisage l’extension opérée par la loi du 14 avril 2006. En effet, si la quasi-totalité des terrains acquis par le Conservatoire du littoral, appartenant à son domaine propre, relève du domaine public, la situation est différente pour les parcs nationaux, parcs naturels marins et réserves naturelles [35]. Leur délimitation n’entraîne aucune appropriation publique, par conséquent des portions plus ou moins vastes de ces espaces naturels protégés vont échapper à la protection souhaitée par le législateur [36].
29Le second réside dans la possibilité de déroger à l’obligation de poursuivre les contrevenants. Cette obligation trouve en effet sa limite auprès des autres intérêts généraux dont le préfet a la charge, notamment les nécessités de l’ordre public. Le préfet dispose donc d’un pouvoir d’appréciation pour arbitrer entre la préservation du domaine public et d’autres intérêts généraux, y compris d’ordre économique et financier [37]. Il ne peut toutefois pas justifier son refus de poursuivre sur des raisons de simple convenance administrative [38]. Les suites contentieuses du naufrage de l’Erika fournissent une illustration intéressante de ce pouvoir discrétionnaire. Alors que l’existence d’une contravention de grande voirie constituée par la pollution du domaine public maritime par les hydrocarbures échappés du pétrolier est incontestable, le refus opposé par le préfet du Finistère à la demande de M. Cacheux de poursuivre la société Total Fina Elf est validé par la juridiction administrative [39]. Ce refus est légalement fondé sur la prise en compte de l’engagement de la société à assumer financièrement et techniquement les opérations de pompage du reste de la cargaison, et à contribuer au financement du nettoyage et de la remise en état du littoral. Pour le Conseil d’État, c’est « sans erreur manifeste d’appréciation que le préfet, qui pouvait légalement retenir un tel motif d’intérêt général sans rechercher s’il permettait d’aboutir à un meilleur résultat qu’une contravention de grande voirie » a rejeté la requête de M. Cacheux [40]. Ce raisonnement est critiquable à un double titre [41]. D’une part, dans le choix du contrôle restreint sur les motifs de la décision du préfet, alors qu’un contrôle normal, pratiqué auparavant, semble s’imposer [42]. D’autre part, dans le refus de mettre en balance les avantages et coûts respectifs des deux solutions. Comme le relève S. Caudal-Sizaret, « le juge aurait dû vérifier, comme le lui demandait M. Cacheux, que les actions amiables entreprises par l’administration permettaient bel et bien d’obtenir un résultat au moins équivalent à la mise en œuvre d’une potentielle contravention : autrement, n’est-on pas en présence d’une pure convenance administrative, justement prohibée par le Conseil d’État ? ». La tentation de l’administration de privilégier la recherche de compromis, visible dans cette affaire, au détriment d’une réparation en bonne et due forme, rejoint le constat dressé plus haut du manque de rigueur dont témoigne cette même administration dans l’application des sanctions administratives. Quels sont les remèdes à notre disposition pour contrer ces maux ?
III – Indications thérapeutiques
30La situation n’est pas désespérée : des possibilités d’amélioration se dessinent, déjà actuelles pour certaines d’entre elles, ou seulement virtuelles pour d’autres.
A – La cure de jouvence des sanctions administratives
31L’ordonnance du 11 janvier 2012 [43] s’efforce d’amender le système, en intervenant sur les volets administratif et pénal de la répression des atteintes à l’environnement. Elle vise globalement à simplifier les procédures et à les rendre plus efficaces. Elle procède ainsi à une harmonisation des contrôles administratifs, confiés désormais à un corps unique d’inspecteurs de l’environnement, habilités à rechercher et à constater les infractions aux dispositions du code de l’environnement et aux dispositions du code pénal relatives à l’abandon d’ordures, déchets, matériaux et autres objets (art. L. 172-1 C. env.). Un certain nombre de dispositions visent à renforcer l’efficacité des contrôles administratifs : nous mentionnerons la suppression de l’obligation d’information préalable de l’exploitant 48 heures à l’avance en cas de contrôle inopiné, le droit d’emporter les documents, l’obligation de dresser un relevé des non-conformités dans le rapport d’inspection, et pour le préfet, l’obligation de mettre en demeure est rappelée avec force ; la possibilité nouvelle de suspendre le fonctionnement d’une exploitation irrégulière en attendant l’issue de la procédure de régularisation, qui doit être précédée d’une procédure contradictoire, ne constitue pas une sanction administrative mais une mesure de sauvegarde.
32La généralisation des sanctions administratives et leur uniformisation représentent un autre apport essentiel de l’ordonnance. La sanction administrative, conçue comme la conséquence normale d’un contrôle administratif faisant apparaître des irrégularités, figure dans les « dispositions communes aux contrôles et aux sanctions », ce qui traduit son applicabilité à toutes les matières régies par le code de l’environnement. Le régime unifié des sanctions administratives s’inspire de celui établi pour la police des installations classées (ancien article L. 514-1 C. env.). Le prononcé de ces sanctions est toujours indépendant de l’exercice des poursuites pénales, et soumis au respect du principe des droits de la défense et du principe du contradictoire. Il nécessite toujours une mise en demeure préalable à l’adresse du contrevenant. À côté de ces constantes, l’ordonnance innove en ramenant les hypothèses d’irrégularité à deux cas de figure : le fonctionnement d’installations et la réalisation d’activités et travaux sans titre (art. L. 171-7 C. env.) et les activités non respectueuses des prescriptions (art. L. 171-8 C. env.). En outre, à l’arsenal classique des sanctions (consignation d’une somme d’argent, exécution d’office des travaux, suspension de l’activité), l’ordonnance de 2012 ajoute la faculté d’ordonner le paiement d’une amende d’un montant maximum de 15 000 euros [44], et de recourir à une astreinte journalière, au plus égale à 1 500 euros. Cette dernière n’étant pas prononcée à titre de sanction pécuniaire, mais comme une mesure de coercition destinée à contraindre l’exploitant à déférer à la mise en demeure.
33Si l’introduction de l’amende présente l’avantage de diversifier les sanctions, et d’ouvrir une faculté de graduation de la sanction, par la modulation de son montant, elle suscite une interrogation quant au maintien concomitant de la sanction pénale. Comme nous l’avons relevé plus haut, la règle non bis in idem ne s’applique pas au cumul de sanctions administratives et pénales, qui présentaient, jusqu’à l’ordonnance de 2012, des natures différentes. Désormais, l’hypothèse du cumul des sanctions pécuniaires pourra se rencontrer en matière environnementale. Elle est certes autorisée par le Conseil constitutionnel [45], dans la limite du montant maximal de la plus élevée des deux amendes. Mais l’étonnement exprimé devant cette situation par J.- H. Robert reste de mise : « le cumul est plus surprenant quand la répression administrative prend la même forme que la sanction pénale, celle d’une amende » [46]. L’intérêt du cumul repose selon nous sur une certaine complémentarité des sanctions administrative et pénale. La condamnation à une double amende, dont le montant total est plafonné, laisse dubitatif quant au message adressé au contrevenant. Ceci étant, l’amende se justifie dans l’économie propre aux sanctions administratives, car elle peut s’additionner avec d’autres mesures punitives, et présenter une vertu dissuasive plus élevée que les sanctions improbables (exécution d’office et suspension).
B – L’expérimentation de méthodes thérapeutiques nouvelles
34Pour conférer toute son effectivité au système répressif, il paraît urgent de renforcer l’impartialité de l’administration sanctionnatrice. Dans cette perspective, nous proposons la création d’une nouvelle autorité administrative indépendante, intervenant dans le domaine environnemental. Le recours à une telle institution se justifie par la nécessité de placer l’autorité décisionnaire à l’abri des pressions et conflits d’intérêts. Traditionnellement, les autorités administratives indépendantes sont créées par le législateur dans des secteurs d’activité sensibles, à forts enjeux économiques, éthiques ou sociaux. Certaines d’entre elles sont dotées de pouvoirs de sanction. Au vu de l’existant, il n’est donc pas incohérent de préconiser la mise en place d’une Haute autorité de l’environnement, chargée de la répression des atteintes à l’environnement de façon globale. Elle disposerait du pouvoir de sanction, et pourrait être saisie par toute personne ou s’autosaisir. Cette proposition n’a rien de révolutionnaire et ne fait que reprendre des idées qui sont dans l’air du temps [47]. Le rapport du groupe de travail présidé par Y. Jégouzo [48] propose également la création d’une Haute autorité environnementale, comme condition de la « mise en œuvre optimale du principe de réparation du préjudice écologique » [49]. Cette institution viendrait combler un vide existant dans le dispositif actuel de protection et de gestion de l’environnement en matière d’évaluation, de régulation et de contrôle non juridictionnel. La définition très large de ses compétences [50] permet d’y adjoindre la centralisation des rapports de contrôle effectués par les inspecteurs de l’environnement, l’édiction des mises en demeure et le prononcé des sanctions administratives.
35Cette autorité administrative indépendante pourrait également se voir confier le déclenchement de l’action de voirie afin de le soustraire à l’appréciation du préfet. À défaut, car la spécialité environnementale de cette Haute autorité pourrait légitimement conduire à exclure les questions de domanialité publique, d’autres pistes sont à creuser pour renforcer l’efficacité des contraventions de grande voirie. Celle consistant à donner la compétence pour engager l’action domaniale à une autorité collégiale doit être privilégiée. Ensuite, il paraît nécessaire d’apporter un complément au contrôle juridictionnel en la matière, qui n’a rien d’automatique et n’offre aucune garantie que les intérêts environnementaux prévalent. Il pourrait s’agir du développement d’un contrôle citoyen sur l’action de l’administration en faveur de l’intégrité du domaine public. Ainsi, les préfets pourraient avoir l’obligation d’établir un rapport annuel destiné au parlement, et d’assurer une publicité au niveau départemental quant à la pratique des contraventions de grande voirie dans leur circonscription. De façon générale, la concrétisation du droit à l’information du public sur ces questions serait de nature à rendre plus effective la répression, mais aussi probablement le caractère dissuasif de la sanction.
Date de mise en ligne : 14/08/2015
Notes
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[1]
J.-M. Sauvé, « Les sanctions administratives en droit public français. État des lieux, problèmes et perspectives ». AJDA oct. 2001, n° spécial, p. 16.
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[2]
Ord. n° 2012-34 du 11 janvier 2012 ; C. Courtaigne-Deslandes, « De l’utilité d’une ordonnance simplifiant, réformant et harmonisant les sanctions pénales du code de l’environnement », BDEI 35/2011 ; C. Cans, « La réforme, tant attendue, du droit répressif de l’environnement », Dr. adm. janv. 2013, p. 13.
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[3]
P. Delvolvé, « Droit pénal et droit administratif », Archives de philosophie du droit, Tome 53, 2010, p. 147.
-
[4]
E. Rosenfeld, J. Veil, « Sanctions administratives, sanctions pénales », Pouvoirs n° 128, 2008, p. 61.
-
[5]
M. Delmas-Marty et C. Teitgen-Colly, Punir sans juger ? De la répression administrative au droit administratif pénal, Economica 1992.
-
[6]
Cf. M. Delmas-Marty et C. Teitgen-Colly, op. cit., soulignant (p. 45-46) que certaines mesures ont une finalité double, à la fois préventive et répressive, comme la fermeture d’une installation classée pour non-respect des règles de fonctionnement ; J. Bétaille, Les conditions juridiques de l’effectivité de la norme en droit public interne : illustrations en droit de l’urbanisme et en droit de l’environnement, Thèse, Limoges, 2012, dactyl., p. 177 et s. : « le pouvoir de sanction accompagne très souvent le pouvoir de police. (…) Le préfet dispose d’un pouvoir de sanction afin d’assurer le respect des mesures de police spéciale qu’il institue. (…) La répression a, de façon générale, une fonction préventive à travers la dissuasion qu’elle exerce sur des comportements déviants ».
-
[7]
Cf. L. Fonbaustier, « L’efficacité de la police administrative en matière environnementale », in L’efficacité du droit de l’environnement, dir. O. Boskovic, Dalloz, coll. Thèmes et commentaires, 2010, p. 109.
-
[8]
E. Rosenfeld et J. Veil, art. préc.
-
[9]
J.-M. Sauvé, art. préc. : la sanction administrative est acceptable socialement car moins stigmatisante et infâmante que la sanction pénale ; elle est également plus adaptée car l’éventail de sanctions permet d’apporter une réponse diversifiée aux manquements relevés. Cf. également J. Bétaille, op. cit. p. 198.
-
[10]
CE 9 juillet 2007, Min. écologie c/Sté Terena, req. n° 288367, BDEI n° 11/2007 p. 25 concl. Guyomar.
-
[11]
CE 14 novembre 2008, Sté Soferti, req. n° 287275, RFDA 2009, p. 176.
-
[12]
CE 20 mars 1991, SARL Rodanet, req. n° 83776 : cumul de l’exécution des travaux d’office et de la consignation ; CE 8 septembre 1997, SARL Sérachrom, req. n° 121904 ; CAA Nantes, 10 octobre 1990, Goupil, Rec. p. 466, concl. Lemai, RJE 1991 p. 211.
-
[13]
Cf. ancien article L. 514-1 C. env. : « Indépendamment des poursuites pénales qui peuvent être exercées »…, formule reprise aux articles L. 171-7 et L. 171-8 issus de l’ordonnance du 11 janvier 2012.
-
[14]
C. Const., déc. n° 89-260 DC, 28 juillet 1989, Transparence du marché financier : « Sans qu’il soit besoin de rechercher si le principe dont la violation a été invoquée a valeur constitutionnelle, il convient de relever qu’il ne reçoit pas application en cas de cumul entre sanctions pénales et sanctions administratives ».
-
[15]
C. Const., déc. n° 96-378 DC, 23 juillet 1996, loi portant réglementation des télécommunications : « Une sanction administrative de nature pécuniaire ne peut se cumuler avec une sanction pénale ».
-
[16]
C. Const., déc. n° 97-395 DC, 30 décembre 1997, loi de finances pour 1998.
-
[17]
La protection du patrimoine culturel n’est pas envisagée ici, mais il ne fait pas de doutes que nombre de dépendances du domaine public maritime ou fluvial artificiel en font partie.
-
[18]
TA Bastia, 10 juillet 1992, Féraud, et 4 mai 1995, Féraud : à propos de la célèbre paillote abritant le restaurant « Chez Francis ».
-
[19]
CE 29 mai 1984, Mme Galli, AJDA 1985 p. 47.
-
[20]
CE 23 décembre 1941, Sté Mazout-Transport, Rec. p. 246.
-
[21]
CE Sect. 23 février 1979, Min. Équipement c/Assoc. des Amis des chemins de ronde, Rec. p. 75, concl. Baquet, D. 1979, jurisp., p. 405 note Lombard : « Les autorités chargées de la police et de la conservation du domaine public maritime sont tenues, par application des principes régissant la domanialité publique, de veiller à l’utilisation normale des rivages de la mer et d’exercer à cet effet les pouvoirs qu’elles tiennent de la législation en vigueur, y compris celui de saisir le juge des contraventions de grande voirie ».
-
[22]
CE 6 mars 2002, Triboulet et Brosset, Rec. p. 76 : le juge peut ordonner la démolition de constructions un siècle après leur édification irrégulière sur le domaine public maritime.
-
[23]
CE 2 novembre 1956, Min. des travaux publics c/Cne de Poizat, Rec. p. 413 ; CE 23 décembre 2010, Ministre d’État, ministre de l’Écologie, du développement et de l’aménagement durables c/Cne de Fréjus, Rec. 528, AJDA 2011 p. 730 : l’article L. 2132-3 ne permet toutefois pas au juge administratif d’ordonner la démolition d’un ouvrage public implanté irrégulièrement, car seul le préfet a compétence pour prendre une telle décision après avoir vérifié, au regard de la balance des intérêts en présence, si la destruction de l’ouvrage ne porte pas une atteinte excessive à l’intérêt général.
-
[24]
CE 10 mars 1976, Min. de l’Équipement c/Robert, Rec. p. 152.
-
[25]
CE 17 novembre 1944, Bouquet, Rec. p. 298.
-
[26]
Cf. L. Fonbaustier, art. préc.
-
[27]
Cf. J. Bétaille, thèse préc. p. 214.
-
[28]
Selon les chiffres du site de l’inspection des installations classées.
-
[29]
J. Bétaille, op. cit. p. 216.
-
[30]
Cour des comptes, Rapport public annuel 2010, La Documentation française 2010 p. 625 : « 26 % des contrôles réalisés par les services de l’État donnent lieu à une réponse administrative ou pénale, mais seuls 1 % conduit à une sanction ».
-
[31]
J.-P. Faugère, « La pratique des sanctions administratives dans le domaine des installations classées », AJDA 2001, n° sp. p. 48 : « À aucun moment nous n’avons sérieusement envisagé l’exécution d’office de travaux sur l’ancienne usine, alors même que la consignation aurait pu nous en donner les moyens. Cette solution paraît en effet très délicate à mettre en œuvre s’il s’agit d’une installation complexe, techniquement difficile à maîtriser ».
-
[32]
L. Fonbaustier, art. préc. ; J. Bétaille, thèse préc. ; G. Canivet et D. Guihal, « Protection de l’environnement par le droit pénal : l’exigence de formation et de spécialisation des magistrats », D. 2004, n° 38, chron. p. 2728 ; D. Deharbe, « Autoriser le risque. Des fonctions de la police des installations classées », Droit de l’envir. n° 141, 2006, p. 258.
-
[33]
P. Lascoumes, L’éco-pouvoir, La découverte, 1994 p. 153.
-
[34]
Cf. sur ces questions : J.-H. Robert, « L’alternative entre les sanctions pénales et les sanctions administratives », AJDA 2001 n° sp. p. 90 ; J.-M. Sauvé, art. préc.
-
[35]
S. Caudal-Sizaret, « Actualité des contraventions de grande voirie en matière de protection de l’environnement », in Mél. J. Morand-Deviller, Montchrestien, 2007 p. 735.
-
[36]
Les parcs naturels marins couvrent toutefois des espaces relevant en partie du domaine public maritime.
-
[37]
CE 6 février 1981, Comité de défense des sites de la Forêt-Fouesnant, Rec. p. 746, JCP 1981, II, 19698, note J.-F. Davignon.
-
[38]
CE Sect. 23 février 1979, Min. Équipement c/Assoc. des amis des chemins de ronde, préc.
-
[39]
Les préfets des autres départements bretons avaient également refusé d’engager les poursuites.
-
[40]
CE 30 septembre 2005, Cacheux, Rec., AJDA 2005, p. 2469, concl. Collin.
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[41]
Cf. sur ce point S. Caudal-Sizaret, art. préc.
-
[42]
D’une part, il y a dérogation à une obligation de principe pour l’administration et, d’autre part, lorsque la contravention de grande voirie constitue une atteinte à l’environnement, il y a violation du droit fondamental de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, affirmé à l’article 1er de la Charte de l’environnement.
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[43]
Éclairée par la circulaire du 19 juillet 2013 relative à la mise en œuvre des polices administrative et pénale en matière d’installations classées pour la protection de l’environnement, note D. Gillig, Envir., octobre 2013, p. 45.
-
[44]
Avant l’ordonnance du 11 janvier 2012, seule la méconnaissance des dispositions relatives aux déchets radioactifs pouvait entraîner une sanction administrative pécuniaire, « au plus égale, dans la limite de dix millions d’euros, au cinquième du revenu tiré des opérations réalisées irrégulièrement ». Cette disposition a été maintenue (art. L. 542-2-2 III C. env.).
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[45]
C. Const. 28 juillet 1989, préc.
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[46]
J.-H. Robert, « Unions et désunions des sanctions du droit pénal et de celles du droit administratif », art. préc.
-
[47]
J. Bétaille, thèse préc. p. 225.
-
[48]
Groupe de travail installé par Mme Taubira, Garde des Sceaux, ministre de la justice, « Pour la réparation du préjudice écologique », 17 septembre 2013, www.justice.gouv.fr
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[49]
Rapport préc., p. 24.
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[50]
Rapport préc., p. 25-26.