Notes
- [1]
-
[2]
Rechtbank Den Haag, C/09/456689/ HA ZA 13-1396, 24 juin 2015. http://deeplink.rechtspraak.nl/uitspraak?id=ECLI:NL:RBDHA:2015:7196 ; M. Torre-Schaub, « La justice climatique, À propos du jugement de la Cour de district de La Haye du 24 juin 2015 », RIDE, 2016, n° 3, p. 2-25.
- [3]
-
[4]
Cela fait écho à l’Avis sur la Justice Climatique rendu par le CESE en France en 2016.
-
[5]
V. Masson-Delmotte, Conférence à l’AFD du 18 octobre 2018, https://vimeo.com/295986064.
- [6]
- [7]
-
[8]
M. Torre-Schaub, « Justice et justiciabilité climatique : état des lieux et apports de l’Accord de Paris », in M. Torre-Schaub (dir.), Bilan et perspectives de l’Accord de Paris, regards croisés, Paris, 2017, éd. IRJS, coll. Bibliothèque André Tunc, T. 8, p. 107-124 ; M. Torre-Schaub, « Le contentieux climatique : quels apports au droit de l’environnement ? Ou comment faire du neuf avec du vieux », Chronique, Revue Droit de l’Environnement, n° 263, janvier 2018, p. 6-13.
- [9]
-
[10]
http://www.climatechangenews.com/2018/10/09/climate-lawyers-use-un-1-5c-report-sue-governments/ (consulté le 15 février 2018).
- [11]
-
[12]
Opinion Consultative, 8 février 2018, https://aida-americas.org/sites/default/files/resources_files/oc23_corte_idh%20%281%29.pdf.
- [13]
- [14]
- [15]
-
[16]
https://www.ohchr.org/en/Issues/environment/SRenvironment/Pages/SRenvironmentIndex.aspx. Ce lien a également été fait récemment de manière encore plus précise par A. Boyle, « Climate change, the Paris Agreement and Human Rights », International and Comparative Law Quaterly, octobre 2018, n° 67, p. 759-777 : https://doi.org/10.1017/S0020589318000222.
- [17]
-
[18]
http://report.ipcc.ch/sr15/pdf/sr15_spm_final.pdf, point B-6, p. 33.
-
[19]
Points 32 et suivants de la décision précitée.
-
[20]
M. Torre-Schaub, http://theconversation.com/les-proces-climatiques-gagnent-la-france-quatre-initiatives-a-suivre-de-pres-109543. Voir aussi M. Torre-Schaub et B. Lormeteau (dir.), Dossier spécial « Les recours climatiques en France », Revue Énergie, Environnement, Infrastructures, n° 5, mai 2019.
- [21]
- [22]
-
[23]
Recours de l’Affaire du siècle : https://laffairedusiecle.net/wp-content/uploads/2019/03/ADS-Brief-juridique-140319.pdf (consulté le 27 mars 2018).
- [24]
-
[25]
TA Cergy Pontoise, 1er février 2019, Greenpeace France, Guyane Nature Environnement, Nature Rights, Sea Shepherd France, Surfrider Europe et ZEA, ordonnances n° 1813214, n° 1813215, n° 1813216 et n° 1900066.
1La Cour d’appel de La Haye a confirmé le 9 octobre dernier une décision historique imposant au gouvernement néerlandais de réduire les émissions de gaz à effet de serre au nom de la protection des droits de ses citoyens, le duty of care ou devoir de diligence [1]. La Cour a ainsi rejeté l’appel interposé par le gouvernement visant à annuler la décision en première instance qui avait jugé en 2015 que le gouvernement néerlandais devait réduire ses émissions de 25 % par rapport aux niveaux de 1990 d’ici 2020 [2].
2Cette décision de justice climatique est intervenue un jour après que le Groupe d’experts intergouvernemental sur les changements climatiques (GIEC) a lancé un fort avertissement concernant la nécessité de maintenir le réchauffement planétaire en dessous de 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels d’ici 2030 [3]. L’Accord de Paris fixait l’objectif principal à « moins » de 2 °C et s’était vu ajouter, en vertu d’une demande expresse des petits États insulaires, l’objectif de 1,5 °C. Sur une demande des États signataires de l’Accord, le GIEC avait été mandaté en 2016 pour élaborer un rapport sur les conséquences d’un réchauffement à 1,5 °C, ainsi que sur les mesures qui devront être prises en réponse à la menace que le réchauffement suppose pour le développement durable et l’éradication de la pauvreté [4]. Les auteurs du rapport insistent bien sur sa double nature : à la fois scientifique mais aussi sociale et économique puisque les trajectoires qui devront être suivies pour rester à 1,5 °C remettent entièrement en cause nos systèmes de vie et de développement socio-économique et que des changements drastiques s’imposent de manière urgente et radicale [5]. Les auteurs du rapport reconnaissent avoir sous-estimé dans le passé le fait que la différence de 0,5 °C pourrait causer beaucoup plus de dommages à l’environnement et affecter les êtres humains, du fait que davantage d’évènements météorologiques extrêmes, de sécheresses et d’inondations entraîneront des crises de santé publique et des pénuries alimentaires inimaginables.
3Ce n’est donc pas un hasard si le rapport et la décision Urgenda ont été divulgués dans la même semaine. Par ailleurs, la décision a été rendue dans un contexte particulier où l’Europe devait décider si elle allait s’aligner sur les nouveaux objectifs de réduction des émissions de GES préconisés par la communauté scientifique et confirmés dans le nouveau rapport du GIEC. À partir d’un travail d’interprétation des juges sur ce que sont les obligations climatiques de l’État, la décision Urgenda se pose un fer de lance pour la justice climatique en Europe et en France. En effet, plusieurs recours climatiques se développent actuellement chez nous, pour certains, très nettement inspirés de cette décision.
La décision Urgenda interprétée à l’aune du rapport du GIEC
4Le rapport du GIEC, associé à la décision Urgenda, aurait dû contribuer à encadrer les négociations sur le changement climatique qui se sont tenues en Pologne dans le cadre de la COP 24 en décembre dernier. Le rapport souligne l’urgence pour les gouvernements d’agir et de réduire davantage les émissions, ce qui a été repris dans la décision Urgenda, avec une injonction de faire adressée au gouvernement pour mettre en œuvre une réduction substantielle de gaz à effet de serre (GES). Le but étant d’empêcher les températures d’augmenter de 2 °C [6]. Le gouvernement néerlandais devra maintenant s’y exécuter dans les plus brefs délais [7]. Après avoir perdu en première instance en 2015, le gouvernement avait annoncé qu’il commencerait à mettre en œuvre une politique de réduction des émissions de 25 %. Mais le plan mis en place, tout comme la suppression progressive de toutes les centrales au charbon, consistait davantage à atteindre des objectifs à long terme au-delà de 2020, alors que la nouvelle décision d’octobre a rappelé au gouvernement qu’il faudra atteindre l’objectif à plus court terme et sans tarder. La question de l’urgence, soulignée d’ailleurs à la fin de chaque chapitre du rapport du GIEC, est bien reprise par la décision Urgenda. Il est intéressant de noter, au passage, que le nom Urgenda – pour désigner l’ONG porteuse du recours – vient de la contraction « urgence » et « agenda ».
Urgenda, un levier pour les recours climatiques et la protection des droits de l’Homme
5La décision Urgenda en première instance de 2015 avait déjà inspiré des dizaines d’autres actions en justice climatique dans le monde. La décision en appel d’octobre 2018 vient raviver la flamme de la lutte contre le changement climatique au prétoire [8]. En effet, une plainte a été déposée auprès de la CJCE en juin dernier [9] visant à ce que l’UE s’engage à réduire davantage ses objectifs de réduction de GES d’ici 2020, 2030 et 2050. Elle vise aussi à la reconnaissance de la violation des droits fondamentaux recueillis dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne du fait des effets négatifs des changements climatiques sur les familles des plaignants. Ces dernières ont déclaré que le GIEC avait confirmé que seuls les objectifs d’émissions européens retenant le réchauffement à moins de 1,5 °C étaient compatibles avec leurs droits fondamentaux [10]. Parmi les signataires, se trouve un agriculteur du sud de la France avec neuf autres familles.
6En Asie et en Amérique latine, les actions et pétitions adressées aux différentes Commissions des droits de l’Homme se poursuivent [11]. Certaines, dans le but de demander aux grands producteurs d’énergies fossiles de rendre compte de leur rôle dans la cause du changement climatique, d’autres pour demander la protection de leurs terres, ou pour que les activités extractives abusives cessent [12]. La plupart de ces actions pourront davantage avancer du fait de la récente décision Urgenda et de la sonnette d’alarme tirée par le GIEC. Le rapport à 1,5 °C pourra sans doute s’appliquer aux prochains recours. Il est certain que, depuis la décision Urgenda, la justice climatique connaît un coup d’accélérateur surtout du côté de la protection des droits de l’Homme. Les États qui ont adhéré à des conventions de protection des droits de l’Homme, comme c’est le cas des Pays-Bas, ont des obligations positives en matière de prévention des violations prévisibles de ces droits. Les articles 2 et 8 de la CEDH, instaurant un droit à la vie et un droit à la vie privée et familiale, doivent être respectés, d’après la décision Urgenda en appel [13]. Selon eux, le gouvernement aurait un devoir d’agir, fondé sur le duty of care, l’obligeant à protéger les droits qui pourraient se voir menacés par les effets inégalitaires du changement climatique [14]. Cet argument ouvre la porte à d’autres futures actions en justice climatique qui pourraient se fonder sur ces droits fondamentaux. C’est ainsi le cas dans l’action aux Philippines, pour laquelle la combinaison de la décision Urgenda et du rapport spécial du GIEC souligne les risques très prévisibles d’un monde non aligné sur 1,5 °C [15]. Les gouvernements sont désormais avertis que leurs lois et politiques sur le climat ne sont pas en conformité avec les dernières données scientifiques et que ces politiques sont contraires aux droits de l’Homme. Le rapporteur spécial des Nations Unies pour les droits de l’Homme, John Knox, soulignait déjà le lien essentiel qui devra être fait entre environnement et droits de l’homme [16].
La place des principes prudentiels
7La décision Urgenda va encore plus loin et rentre dans des questions concernant le coût des mesures à prendre pour éviter que le changement climatique devienne « inabordable » et « impayable ». La décision est fondée sur la question de la prévisibilité d’une augmentation des températures à plus de 1,5 °C et sur l’obligation de l’État d’appliquer les principes prudentiels. Les juges estiment en effet que « le gouvernement n’a pas pris en compte les coûts sociaux et économiques du changement climatique et le fait de trop tarder à prendre des mesures préventives ne fera qu’augmenter ces coûts » [17]. C’est en faisant appel à sa marge d’appréciation que la Cour fonde l’obligation de faire encore plus à la charge de l’État. Ce point apparaît dans le rapport du GIEC aussi : « La plupart des besoins d’adaptation seront moindres avec une augmentation de 1,5 °C contre 2 °C avec un très grand degré de certitude… » [18]. Ce qui, dans le langage du droit, implique d’appliquer le principe de prévention. La décision d’appel rappelle ainsi « qu’il coûtera beaucoup plus cher, en termes économiques mais aussi sociaux, de ne rien faire ou de faire insuffisamment maintenant, plutôt que de faire plus dès aujourd’hui » [19]. Il s’agit très clairement de souligner l’importance à agir de manière préventive en appliquant le principe de prudence renforcé par un argument économique imparable. Le succès de cette décision arrive désormais en France, renforcé par le contenu du rapport du GIEC.
Des recours climatiques en France
8Plusieurs recours en justice apparaissent depuis novembre dernier en France : quatre d’entre eux contre l’État et un contre l’entreprise Total [20]. Ils ont pour origine un mécontentement de certaines ONG et de villes qui estiment que la France n’agit pas assez en matière climatique [21]. Il est également remis en question le fait que des entreprises qui exercent leurs activités dans le secteur des fossiles négligent leurs obligations climatiques. Un premier recours pour carence a été déposé devant le Conseil d’État par le maire de Grande-Synthe pour inaction climatique [22]. Un deuxième recours, « l’affaire du siècle », a été déposé auprès du Tribunal administratif de Paris pour carence fautive de l’État [23]. Parallèlement, une décision a été rendue par le Tribunal administratif de Cergy le 1er février 2019, qui avait pour origine un recours interposé par des ONG contestant l’autorisation donnée à Total par le préfet de Guyane pour des activités liées au forage en mer. Un autre recours contre l’entreprise Total se prépare lui reprochant de ne pas avoir actualisé son plan de vigilance en fonction de son obligation d’établir une cartographie du risque climatique [24].
9Le recours devant le Tribunal administratif de Cergy demandant l’annulation du permis de forage en Guyane, alors qu’il n’a pas été très médiatisé, avait pour objectif ultime d’obliger l’État à se décanter pour une politique sérieuse de « désengagement » de l’énergie fossile, en refusant à l’entreprise Total son autorisation de forage en mer [25]. Alors que le juge s’est prononcé par un référé contre l’annulation de l’autorisation, et même si Total a annoncé entretemps qu’ils arrêtent leurs activités de forage car ils « n’ont rien trouvé », un espoir demeure cependant sur un prochain recours qui sera interposé, cette fois-ci, sur le fond. C’est sur de « petits recours » comme celui-ci qu’il y a sans doute des chances d’obtenir le respect des obligations en matière climatique. En effet, il est souligné dans ce dossier que l’étude d’impact ne traitait pas suffisamment la question climatique et que l’enquête publique avait manqué également d’envisager cette approche. Ce sont donc bien les instruments de contrôle mis à disposition par le droit de l’environnement qui permettront le respect des obligations climatiques par l’État et par les entreprises. Dans le cas d’une décision favorable aux ONG, ce recours montrerait que la France agit pour le climat en appliquant son droit de l’environnement sur son versant « climat », ce qui enverrait un signal fort à la société toute entière.
10D’une manière générale, les différentes actions en justice qui se préparent en France rappellent à la fois les engagements de la France sous l’égide de l’Accord de Paris ainsi que les nouvelles informations contenues dans le rapport du GIEC nous invitant à agir de manière plus vigoureuse et plus rapidement. Avec un effet amplificateur, après la décision Urgenda d’octobre dernier aux Pays-Bas, des dizaines d’actions en justice climatique se préparent dans toute l’Europe et en France. On le voit bien, le rapport du GIEC, s’il n’a pas permis lors de la dernière Conférence des Parties une révision à la hausse des ambitions de l’Accord de Paris à la lumière de l’urgence qu’il exprimait, peut encore jouer un rôle important en permettant à ces contentieux de fournir un argumentaire scientifique et économique étayé sur l’urgence à agir. Plusieurs raisons nous poussent à penser cela : d’abord, parce que des lois nationales sur le climat commencent à émerger dans certains pays d’Europe (Espagne, Belgique, Pays-Bas, Irlande), qui s’appuient sur le Rapport et sur les enseignements tirés de la décision Urgenda. Ensuite, parce que stimulés par cette décision, les procès climatiques ne cessent de se multiplier montrant que la question climatique peut être vue au prétoire. Enfin, parce que le rapport pousse le droit de l’environnement lui-même à évoluer et à se dépasser. En effet, de manière progressive mais certaine, la science et le droit de l’environnement sont amenés, plus que jamais, à travailler ensemble.
Mots-clés éditeurs : justice climatique, expertise scientifique, contentieux climatique, étude d’impact, GIEC, Urgenda
Date de mise en ligne : 17/06/2019
Notes
- [1]
-
[2]
Rechtbank Den Haag, C/09/456689/ HA ZA 13-1396, 24 juin 2015. http://deeplink.rechtspraak.nl/uitspraak?id=ECLI:NL:RBDHA:2015:7196 ; M. Torre-Schaub, « La justice climatique, À propos du jugement de la Cour de district de La Haye du 24 juin 2015 », RIDE, 2016, n° 3, p. 2-25.
- [3]
-
[4]
Cela fait écho à l’Avis sur la Justice Climatique rendu par le CESE en France en 2016.
-
[5]
V. Masson-Delmotte, Conférence à l’AFD du 18 octobre 2018, https://vimeo.com/295986064.
- [6]
- [7]
-
[8]
M. Torre-Schaub, « Justice et justiciabilité climatique : état des lieux et apports de l’Accord de Paris », in M. Torre-Schaub (dir.), Bilan et perspectives de l’Accord de Paris, regards croisés, Paris, 2017, éd. IRJS, coll. Bibliothèque André Tunc, T. 8, p. 107-124 ; M. Torre-Schaub, « Le contentieux climatique : quels apports au droit de l’environnement ? Ou comment faire du neuf avec du vieux », Chronique, Revue Droit de l’Environnement, n° 263, janvier 2018, p. 6-13.
- [9]
-
[10]
http://www.climatechangenews.com/2018/10/09/climate-lawyers-use-un-1-5c-report-sue-governments/ (consulté le 15 février 2018).
- [11]
-
[12]
Opinion Consultative, 8 février 2018, https://aida-americas.org/sites/default/files/resources_files/oc23_corte_idh%20%281%29.pdf.
- [13]
- [14]
- [15]
-
[16]
https://www.ohchr.org/en/Issues/environment/SRenvironment/Pages/SRenvironmentIndex.aspx. Ce lien a également été fait récemment de manière encore plus précise par A. Boyle, « Climate change, the Paris Agreement and Human Rights », International and Comparative Law Quaterly, octobre 2018, n° 67, p. 759-777 : https://doi.org/10.1017/S0020589318000222.
- [17]
-
[18]
http://report.ipcc.ch/sr15/pdf/sr15_spm_final.pdf, point B-6, p. 33.
-
[19]
Points 32 et suivants de la décision précitée.
-
[20]
M. Torre-Schaub, http://theconversation.com/les-proces-climatiques-gagnent-la-france-quatre-initiatives-a-suivre-de-pres-109543. Voir aussi M. Torre-Schaub et B. Lormeteau (dir.), Dossier spécial « Les recours climatiques en France », Revue Énergie, Environnement, Infrastructures, n° 5, mai 2019.
- [21]
- [22]
-
[23]
Recours de l’Affaire du siècle : https://laffairedusiecle.net/wp-content/uploads/2019/03/ADS-Brief-juridique-140319.pdf (consulté le 27 mars 2018).
- [24]
-
[25]
TA Cergy Pontoise, 1er février 2019, Greenpeace France, Guyane Nature Environnement, Nature Rights, Sea Shepherd France, Surfrider Europe et ZEA, ordonnances n° 1813214, n° 1813215, n° 1813216 et n° 1900066.