Couverture de RJE_192

Article de revue

La pêche profonde en mer, un défi pour une pêche durable

Pages 275 à 289

Notes

  • [1]
    Selon le dernier rapport de la FAO, 31,4 % des stocks de poissons sont actuellement exploités à un niveau non durable et 58,1 % le sont à leur maximum, ce qui ne laisse que 10,5 % de stocks exploités à un niveau inférieur à leur capacité de reproduction, FAO, La situation mondiale des pêches et de l’aquaculture. Contribuer à la sécurité alimentaire et à la nutrition de tous, Rome, 2016.
  • [2]
    Les principales espèces qui forment des rassemblements dans les eaux profondes sont l’hoplosthète orange (Hoplostethus atlanticus) et les oréos (Allocyttus spp., Neocyttus spp. Pseudocyttus spp.), qui sont souvent pêchés ensemble, les béryx (Beryx spp.) dans les pêcheries situées dans les basses latitudes, la légine australe (Dissostichus eleginoides) dans les pêcheries de l’Océan Austral, la tête casquée pélagique (Pseudopentaceros wheeleri) et diverses espèces de Scorpaenidae que l’on trouve près des deux côtes de l’Amérique du Nord, FAO, Pêche profonde en haute mer. Vers une utilisation durable des ressources marines et la protection des écosystèmes marins vulnérables, 2010, p. 5.
  • [3]
    Dans les eaux norvégiennes, on estime qu’entre 30 et 50 % des récifs coralliens ont été détruits ou abîmés par le passage des chaluts. En Australie et en Nouvelle-Zélande, les chaluts démersaux auraient cassé les coraux des crêtes rocheuses des monts sous-marins, provoquant la disparition de l’abondante faune ichytologique qui y proliférait, R. Shoton, « La pêche en eaux profondes », in FAO, L’état des ressources halieutiques marines mondiales, Document technique sur les pêches, p. 457.
  • [4]
    Les monts sous-marins sont des pics volcaniques sous-marins s’élevant à plus de 1 000 mètres au-dessus du fond océanique environnant. On en dénombre de 10 000 à 30 000 dans l’ensemble des bassins océaniques du monde,
  • [5]
    Les océans et le droit de la mer, Rapport du Secrétaire général, AGNU 59/62, mars 2004.
  • [6]
    Article 56 de la Convention. La zone économique exclusive correspond à la zone située au-delà de la mer territoriale jusqu’à une distance maximale de 200 milles marins à partir des lignes de base.
  • [7]
    Article 86 de la Convention.
  • [8]
    T. Scovazzi, « La liberté de la mer : vers l’affaiblissement d’un principe vénérable ? », AdMer, 1998, p. 17.
  • [9]
    Article 3 de la Convention.
  • [10]
    Article 4 de la Convention.
  • [11]
    Conférence des Parties à la Convention sur la diversité biologique, deuxième réunion, Jakarta, 6-17 novembre 1995, UNEP/CBD/COP/2/19, 30 novembre 1995.
  • [12]
    A/RES/58/14.
  • [13]
    Point 46 de la résolution.
  • [14]
    A/RES/59/25, point 66.
  • [15]
    Aux termes de l’article 92 de la Convention de Montego Bay, « Les navires naviguent sous le pavillon d’un seul État et sont soumis, sauf dans les cas exceptionnels expressément prévus par des traités internationaux ou par la Convention, à sa juridiction exclusive en haute mer ».
  • [16]
    R. Shoton, op. cit., p. 205.
  • [17]
    Article 3 et Annexe I du Règlement (UE) n° 2016/2336 du Parlement européen et du Conseil du 14 décembre 2016 établissant des conditions spécifiques pour la pêche des stocks d’eau profonde dans l’Atlantique du Nord-Est ainsi que des dispositions relatives à la pêche dans les eaux internationales de l’Atlantique du Nord-Est, JOUE L 354/1.
  • [18]
    Point 8 des Lignes directrices.
  • [19]
    Sur ce sujet, voir S. Beslier, « La pêche dans les grands fonds, la protection de l’environnement marin et de la diversité biologique », AdMer, 2011, tome XVI, p. 177-196.
  • [20]
    En application de l’article 76 de la Convention de Montego Bay, le plateau continental d’un État côtier comprend « les fonds marins et leur sous-sol au-delà de sa mer territoriale, sur toute l’étendue du prolongement naturel du territoire terrestre de cet État jusqu’au rebord externe de la marge continentale, ou jusqu’à 200 milles marins des lignes de base à partir desquelles est mesurée la largeur de la mer territoriale, lorsque le rebord externe de la marge continentale se trouve à une distance inférieure ». Chaque État côtier bénéficie donc d’un plateau continental juridique jusqu’à 200 milles marins, quelles que soient la morphologie et la composition géologique des fonds. En revanche, seuls les États qui disposent réellement d’une marge continentale naturelle au-delà de cette limite, peuvent, après le dépôt d’un dossier détaillé à la Commission des Limites du Plateau Continental, repousser cette limite sans dépasser la ligne butoir des 350 milles marins.
  • [21]
    Point 25 des Lignes directrices.
  • [22]
    Article 78 de la Convention de Montego Bay.
  • [23]
  • [24]
    Il convient de noter le rôle joué à cet égard par les organes subsidiaires créés par l’Assemblée générale, et plus particulièrement le Processus consultatif officieux ouvert à tous. Établi en 1999 par la résolution 54/33, sa finalité est de faciliter le suivi annuel du développement des affaires maritimes grâce à l’examen du rapport du Secrétaire général en suggérant certaines questions qu’il devrait étudier et en insistant sur l’identification des domaines dans lesquels la coordination et la coopération au niveau intergouvernemental sont nécessaires. Ouvert à tous les États membres des Nations unies, aux membres des institutions spécialisées, aux entités ayant qualité d’observateurs et aux organisations intergouvernementales ayant compétence pour les affaires maritimes, celui-ci a été particulièrement actif sur la question des impacts de la pêche de fond sur les écosystèmes marins vulnérables dans les zones situées au-delà de la juridiction nationale. En 2003, lors de sa quatrième réunion le Processus consultatif a d’ailleurs adopté un rapport spécial sur cette question (A/AC.259/10). Sur le rôle de cet organe et les inquiétudes de certaines délégations quant au dépassement de ses missions, voir G. Goettsche-Wanli, « Le rôle des Nations Unies », in M. Forteau ; J.-M. Thouvenin (dir), Traité de droit international de la mer, Pedone, 2017, p. 107-127. Pour une présentation complète de la manière dont les institutions internationales se sont saisies de la question de la pêche profonde, voir L.-A. Kimball, « Deep-Sea Fisheries of the High Seas: The Management Impasse », The International Journal of Marine and Coastal Law, vol. 19, n° 3, 2004, plus spécialement p. 263-272.
  • [25]
    A/RES/61/105 du 8 décembre 2006.
  • [26]
    Résolution 44/225 sur la pêche aux grands filets pélagiques dérivants et ses conséquences sur les ressources biologiques des océans et des mers, adoptée le 22 décembre 1989, A/44/746. Sur cette résolution, voir, notamment, M. Savini, « La réglementation de la pêche en haute mer par l’Assemblée générale des Nations Unies. À propos de la résolution 44/225 sur les grands filets maillants dérivants », AFDI, 1990, p. 777-817.
  • [27]
    Voir supra.
  • [28]
    Points 30 à 41.
  • [29]
    Points 54 à 60.
  • [30]
    Point 63.
  • [31]
    O. Delfour-Samama, « La lutte contre la pêche illégale, non réglementée, non contrôlée, un instrument au profit du développement durable ? », in G. Brovelli, M. Sancy (dir.), Environnement et développement durable dans les politiques de l’Union européenne, actualités et défis, PUR, 2017, p. 209-221.
  • [32]
    Article 194 de la Convention de Montego Bay.
  • [33]
    §944, PCA Case n° 2013-19, In the matter of the South China Sea arbitration, before an arbitral Tribunal constituted under Annex VII to the 1982 United Nations Convention on the law of the sea, between the Republic of Philippines and the People’s Republic of China, Award, Permanent Court of Arbitration, 12 July 2016.
  • [34]
    Sur ce point, voir P. Ricard, « La sentence arbitrale relative au différend en mer de Chine méridionale et l’obligation de protection du milieu marin », AdMer, 2016, tome XXI, p. 147-159.
  • [35]
    Le droit a très vite appréhendé l’activité de pêche puisque dès le début du 17ème siècle, Hugo Grotius, défenseur de la liberté des mers, fondait sa théorie sur le caractère inépuisable des ressources halieutiques pour s’opposer à l’ordonnance du roi d’Angleterre interdisant aux étrangers l’accès aux pêcheries de la mer du Nord.
  • [36]
    C’est d’ailleurs ce que souligne la Cour internationale de Justice affirmant que la prévention s’impose « en raison du caractère souvent irréversible des dommages causés à l’environnement et des limites inhérentes au mécanisme même de réparation de ce type de dommages », Affaire relative au projet Gabcikovo-Nagymaros, Arrêt du 25 septembre 1997, CIJ, Rec. 1997, p. 78, §140.
  • [37]
    Point 48
  • [38]
    Au début des années 2000, les scientifiques estimaient que seulement 5 % des océans étaient explorés de manière systématique. Plusieurs programmes de recherche ont été menés depuis lors et notamment le programme « Census of Marine Life » qui a initié le premier inventaire global documenté des espèces marines. Cette étude mondiale offre aujourd’hui un accès à des données et à des informations ainsi qu’à des outils et des capacités de suivi et d’étude pour mieux préserver les océans ; voir le site de ce programme : http://www.coml.org/.
  • [39]
    Adoptée en 1982, la Convention de Montego Bay précède de dix ans la Déclaration de Rio qui a reconnu le principe de précaution.
  • [40]
    En application de l’article 6 de l’Accord de 1995, « les États appliquent largement l’approche de précaution à la conservation, à la gestion et à l’exploitation des stocks de poissons chevauchants et des stocks de poissons grands migrateurs afin de protéger les ressources biologiques marines et de préserver le milieu marin. Les États prennent d’autant de précautions que les données sont incertaines, peu fiables ou inadéquates. Le manque de données scientifiques adéquates ne saurait être invoqué pour ne pas prendre de mesures de conservation et de gestion ou pour en différer l’adoption ».
  • [41]
    §135, TIDM, avis consultatif du 1er février 2011, Responsabilités et obligations des États qui patronnent des personnes et entités dans le cadre d’activités menées dans la Zone. Sur cet avis, voir notamment le dossier spécial de l’Annuaire de Droit de la Mer, AdMer, 2011, tome XVI, p. 279-381. Voir également sur le lien entre précaution et biodiversité marine, R. Rayfuse, « Precaution and the Protection of Marine Biodiversity in Areas beyond National Jurisdiction », The International Journal of Marine and Coastal Law, 2012, p. 773-781.
  • [42]
    A/RES/64/72, point 113.
  • [43]
    Le conflit entre les États-Unis et la Grande-Bretagne consécutif à la décision du gouvernement américain d’instaurer une zone d’interdiction de capture en haute mer afin de lutter contre la surexploitation des phoques à fourrure du Pacifique nord (Callorhinus ursinus) a initié cette démarche de coopération institutionnelle. Suite à la sentence arbitrale du 15 août 1893 qui proposa que la capture de ce mammifère fasse l’objet d’un accord sur les mesures de conservation appropriées, les États concernés signèrent une Convention sur la préservation et la protection des phoques à fourrure le 7 juillet 1911 ; J.-P. Beurier (dir.), Droits maritimes, Dalloz, 2014, p. 1318.
  • [44]
    Il s’agit de la Commission des pêches de l’Atlantique du Nord-Est (CPANE), de l’Organisation des pêches de l’Atlantique du Nord-Ouest (OPANO), de la Commission générale des pêches pour la Méditerranée (CGPM), de la Commission pour la conservation des ressources marines vivantes de l’Antarctique (CCAMLR), de l’Organisation des pêches du Sud-Est Atlantique (SEAFO), de l’Organisation régionale de gestion des pêches du Pacifique-sud (ORGPPS), de l’Accord pour les pêcheries du Sud de l’Océan Indien (APSOI) et de la Commission des pêches du Pacifique Nord (NPFC).
  • [45]
  • [46]
    Pour une étude complète des différentes mesures prises par les ORGP, voir : G. Wright, J. Ardron, K. Gjerde, J. Rochette, « Advancing marine biodiversity protection through regional fisheries management: a review of high seas bottom fisheries closures », Working Paper, IDDRI, n° 14, octobre 2014.

1Plus vaste espace naturel de la planète, l’océan profond fut longtemps protégé des activités humaines et pouvait encore faire figure, jusqu’au début des années 1980, de dernière frontière face à l’expansion de la pêche maritime. Toutefois, les progrès technologiques qui permettent de pêcher toujours plus loin et à des profondeurs de plus en plus importantes ainsi que l’intérêt des États pour une biodiversité d’autant plus attractive que, sous l’effet de la surpêche, les espèces pélagiques commencent à se raréfier [1], ont mis fin à ce paradigme d’inaccessibilité. Les connaissances scientifiques sur ce milieu restent pourtant encore très largement lacunaires et variables d’un écosystème à l’autre comme d’ailleurs les caractéristiques biologiques des espèces elles-mêmes. Il semble néanmoins acquis que l’augmentation de la profondeur emporte plusieurs traits spécifiques. Ainsi, les espèces des grands fonds présentent généralement à la fois une maturité tardive, une croissance lente, une importante longévité et une productivité annuelle relativement faible par rapport à leur biomasse, autant de facteurs les rendant très vulnérables au changement car très peu résilientes [2]. Toute exploitation, même à faible intensité, peut vite s’avérer préjudiciable aussi bien pour les espèces elles-mêmes que pour les milieux qui les abritent surtout lorsque les méthodes de pêche utilisées passent, comme c’est malheureusement majoritairement le cas, par du chalutage des fonds. En effet, les coraux profonds [3] et les communautés d’éponges sont susceptibles d’être fortement endommagés par le contact répété des engins de pêche. Or, nous savons maintenant que les écosystèmes associés aux monts sous-marins [4] jouent un rôle majeur en matière d’activité biologique et de biodiversité en raison notamment d’un niveau d’endémisme élevé. Ils abritent ainsi un nombre encore inconnu d’espèces, dont beaucoup pourraient avoir une valeur économique [5].

2La pêche n’est d’ailleurs pas la seule menace pesant sur ces écosystèmes fragiles exposés également à l’exploration et à l’exploitation des ressources non-biologiques ainsi qu’aux effets du réchauffement climatique.

3La Convention des Nations Unies sur le droit de la mer du 10 décembre 1982 est l’instrument juridique international qui a vocation à régir les activités humaines en mer. Certaines de ses dispositions sont, à cet effet, consacrées à la pêche que celle-ci prenne place dans les eaux sous juridiction de l’État côtier (Partie V) ou en haute mer (Partie VIII). Si la Convention reconnaît les droits souverains de l’État côtier aux fins d’exploration et d’exploitation, de conservation et de gestion des ressources naturelles dans la zone économique exclusive [6], elle demande également aux États de coopérer, directement et par l’intermédiaire des organisations internationales compétentes, à la conservation et à la gestion durable des ressources biologiques de la haute mer. Cette coopération est d’autant plus nécessaire – et attendue – que la haute mer, définie négativement par la Convention comme « toutes les parties de la mer qui ne sont comprises ni dans la zone économique exclusive, la mer territoriale ou les eaux intérieures d’un État, ni dans les eaux archipélagiques d’un État archipel » [7], est soumise à un régime coutumier de liberté de pêche. La haute mer est donc ouverte à tous les États et comporte, outre la liberté de navigation, de survol, de recherche scientifique et de pose de câbles, celle de pêcher. La liberté de pêche ne saurait toutefois se confondre avec la surexploitation et il faut garder présent à l’esprit que « le principe de liberté de la mer doit être entendu dans le contexte des différentes activités maritimes et dans un esprit d’harmonisation d’intérêts potentiellement conflictuels » [8]. L’Accord du 4 décembre 1995 relatif à la conservation et à la gestion des stocks de poissons dont les déplacements s’effectuent tant à l’intérieur qu’au-delà des zones économiques exclusives (stocks chevauchants) et des stocks de poissons grands migrateurs reprend formellement cette obligation de coopération qui vient concrétiser une autre exigence : celle d’assurer la durabilité à long terme des stocks de poissons. L’article 6 du Code de conduite pour une pêche responsable, adopté à la même époque, en vertu duquel « le droit de pêcher implique l’obligation de le faire de manière responsable afin d’assurer effectivement la conservation et la gestion des ressources bioaquatiques » rappelle, ce faisant, le nécessaire équilibre entre exploitation et conservation. Équilibre précaire, s’il en est, tant l’objectif d’exploitation semble l’avoir emporté sur celui de conservation…

4C’est une priorité différente qui sous-tend la Convention sur la biodiversité du 10 juin 1992. Tout en reconnaissant le droit souverain des États d’exploiter leurs propres ressources, la Convention inscrit ce droit dans le cadre de leur politique d’environnement [9]. Si les dispositions de la Convention ne s’appliquent qu’aux éléments de la diversité biologique présents dans les zones situées dans la limite de la juridiction nationale, sont également couverts les processus et activités qui sont réalisés sous la juridiction ou le contrôle des États, que ce soit à l’intérieur de la zone relevant de leur juridiction nationale ou en dehors des limites de celle-ci, indépendamment de l’endroit où ces processus et activités produisent leurs effets [10]. Les questions marines ont d’ailleurs très vite suscité l’attention des États Parties puisque, dès 1995, un projet de programme d’activités supplémentaires sur la diversité biologique marine et côtière était adopté par la Conférence des Parties [11].

5Un cadre conventionnel existe donc bel et bien, majoritairement issu du droit des pêches et, plus indirectement, du droit de la biodiversité. Est-il pour autant suffisant ou doit-on, à l’inverse considérer que seules des règles spécifiques seraient en mesure d’éviter un développement incontrôlé des activités de pêche ciblant les espèces profondes ? C’est finalement une position intermédiaire qu’ont choisie les États qui ne tranchent réellement pour aucune de ces deux options. Il en découle un cadre juridique partiellement abouti (I) dont l’intérêt majeur réside néanmoins dans la tentative de mettre en place une gouvernance intégrée du milieu marin (II).

I – Un cadre juridique partiellement abouti

6Conscients de l’importance de mieux réguler la pêche profonde et de la difficulté à le faire en s’appuyant sur les articles trop généraux ou trop lacunaires de la Convention de Montego Bay et de l’Accord de 1995, les États ont initié, dans l’enceinte de l’Assemblée générale des Nations Unies, puis de la FAO, une série de dispositions spécifiquement dédiées à cette activité. Ces dernières apparaissent néanmoins doublement restreintes à la fois en raison de leur champ d’application géographique limité à la haute mer (A) mais également parce que de nature volontaire, elles restent dénuées d’effets juridiques obligatoires (B).

A – Un champ d’application limité à la haute mer

7Les menaces que font peser certaines pratiques de pêche sur la biodiversité des écosystèmes marins vulnérables, notamment des monts sous-marins, des récifs coralliens, y compris des récifs d’eaux froides ont été abordées dès 2003, dans la première résolution adoptée par l’Assemblée générale portant sur la viabilité des pêches au sein du paragraphe IX relatif à la pêche responsable dans l’écosystème marin [12]. Était alors simplement demandé au Secrétaire général, en coopération avec la FAO et en consultation avec les États, d’inclure dans son prochain rapport sur la pêche une section exposant la nature de ces menaces ainsi que les mesures de protection et de gestion prises en la matière sans d’ailleurs apporter de restriction quant au champ d’application géographique qui couvrait l’échelon mondial, régional et national [13]. Or, dès l’année suivante, l’Assemblée générale, tout en incitant directement les États à adopter des mesures de protection plus strictes pouvant aller jusqu’à l’interdiction, à titre provisoire, de pratiques destructrices, cantonne le champ géographique aux écosystèmes marins vulnérables situés au-delà des juridictions nationales [14]. Le cadre spatial est donc posé et limité aux deux zones relevant de cette qualification juridique : la haute mer et la Zone internationale des fonds marins. Les résolutions adoptées postérieurement par l’Assemblée générale, notamment la résolution 61/105 qui détaille les mesures à prendre par les États, viendront implicitement confirmer cet état de fait en soulignant le rôle prépondérant joué par les organisations régionales de gestion des pêches et l’État du pavillon, entité exclusivement compétente en haute mer [15]. Les Lignes directrices adoptées par la FAO en 2008 sont, quant à elles, sans ambiguïté puisque clairement dédiées à la pêche profonde en haute mer.

8La question qui se pose est alors celle de savoir si la pêche dite profonde ne se pratique réellement qu’en haute mer. Répondre à cette interrogation risque néanmoins de s’avérer difficile dans la mesure où il n’existe pas de définition scientifique, et encore moins juridique, communément acceptée des « espèces profondes », pas plus qu’il n’en existe de l’océan profond et de ce fait, de la pêche profonde. Ainsi, le Conseil international pour l’exploration de la mer (CIEM) retient une profondeur de plus de 200 mètres pour définir les eaux profondes alors que la FAO dans son rapport de 2005 sur l’état des ressources halieutiques marines mondiales note que les « océans étant un écosystème continu, toute zonation basée sur la profondeur serait arbitraire » et en déduit « qu’il n’existe pas de définition stricte et universellement applicable des poissons des grands fonds » [16]. La Commission européenne définit, quant à elle, les espèces d’eau profonde à partir d’une combinaison de facteurs biologiques tels qu’une maturité relativement tardive, une croissance lente, un faible taux de mortalité naturelle, la possibilité de ne pas frayer chaque année, facteurs complétés par une liste figurant en annexe et répertoriant, à ce jour, 49 espèces [17]. Dans ses lignes directrices, la FAO a fait le choix de cibler l’activité de pêche en eau profonde qu’elle identifie à partir de deux critères cumulatifs. Les directives s’appliquent aux pêches qui présentent comme caractéristique de capturer des espèces ne pouvant supporter que des taux d’exploitation de faible intensité et qui sont effectuées à partir d’engins de pêche risquant d’entrer en contact avec les fonds marins [18].

9L’intérêt premier de cette définition tient au fait que l’activité se qualifie non pas tant au regard des espèces concernées – le premier critère pouvant certainement s’appliquer à un grand nombre d’espèces – qu’aux techniques utilisées qui renvoient pour l’essentiel au chalutage de fond. Sont alors tout particulièrement visés les écosystèmes marins vulnérables qui, en raison de leur fragilité, sont directement menacés par cette très décriée technique de pêche. L’annexe I des Lignes directrices en dresse une liste non exhaustive comprenant, notamment, les coraux d’eau froide, les communautés colonisées par les éponges, les cheminées hydrothermales accueillant des populations endémiques. Or, de tels écosystèmes se retrouvent également dans les zones situées au sein des juridictions nationales, y compris d’ailleurs dans les eaux côtières elles aussi touchées par les activités chalutières [19].

10Le choix de limiter le champ géographique des lignes directrices à la haute mer emporte, de ce fait, un certain nombre de difficultés ou tout au moins d’interrogations. La première d’entre elles concerne les écosystèmes marins vulnérables situés dans les zones sous juridiction. Sont-ils, du fait de leur localisation géographique, exclus des mesures préconisées dans les lignes directrices ? La réponse est dans le texte lui-même puisque le point 10 énonce que les États côtiers peuvent, le cas échéant, appliquer les présentes Directives à l’intérieur de leurs zones de juridiction nationale. Les États côtiers sont donc invités, s’ils le souhaitent, à appliquer des mesures non obligatoires ! Autre difficulté qui touche cette fois les écosystèmes qui, à l’instar de certains stocks de poissons, chevauchent la haute mer et les eaux sous juridiction. Si l’État côtier est, en application de la Convention de Montego Bay, indéniablement compétent pour réglementer la pêche et la protection de l’environnement dans sa ZEE, sa juridiction s’arrête là où commence la haute mer. Des mécanismes spécifiques assurant une gestion conjointe apparaissent alors nécessaires. La question peut notamment se poser dès lors que sont concernés des écosystèmes marins vulnérables situés dans la partie du plateau continental comprise entre 200 et 350 milles marins [20]. L’État côtier qui a obtenu, conformément à la procédure prévue à l’article 76-8 de la Convention de Montego Bay, une extension de son plateau continental et qui, de ce fait, exerce des droits souverains sur les espèces dites sédentaires est-il compétent pour réglementer la pêche se réalisant dans les eaux surjacentes gouvernées, du fait de leur statut de haute mer, par le principe de liberté ? À la solution qui consistait à renvoyer l’application des Lignes directrices au-delà des zones sous juridiction sans distinction entre colonne d’eau et sol et sous-sol, les délégations ont fait le choix d’insérer une clause énonçant qu’ « aucune disposition de ces Directives concernant la gestion de la pêche profonde en haute mer au-dessus du plateau continental de la part des États et des organisations et arrangements régionaux de gestion des pêches, ne doit porter préjudice aux droits souverains de l’État côtier sur ce plateau, ni à l’exercice de la juridiction de l’État côtier sur ce plateau, conformément au droit international tel que reflété dans la Convention des Nations Unies de 1982 » [21]. Les droits de l’État côtier sont donc protégés mais il n’est pas certain que cette reconnaissance soit de nature à assurer la conservation des écosystèmes vulnérables. En effet, l’article 78 de la Convention de Montego Bay rappelle que les droits souverains de l’État côtier, limités à l’exploration et l’exploitation des ressources naturelles, ne doivent pas « affecter » le régime juridique des eaux surjacentes, porter atteinte aux droits et libertés reconnus par la Convention, « ni en gêner l’exercice de manière injustifiable » [22]. Parce que l’espace maritime est par nature un espace partagé, les droits de l’État côtier sur son plateau continental étendu doivent donc cohabiter avec les droits reconnus aux États du pavillon. Reste à savoir si cette conciliation se fera au bénéfice des écosystèmes marins vulnérables situés sur cette partie des fonds marins, question d’autant plus prégnante que ce sont actuellement 81 demandes d’extension qui sont portées devant la Commission des Limites du Plateau Continental [23].

11Le zonage, horizontal ou vertical, de la Convention de Montego Bay fondé sur un critère de distance par rapport à la côte apparaît donc peu adéquat pour prendre en compte les écosystèmes benthiques. Les données écologiques résistent parfois au cadre juridique imposé… De ce fait, il aurait sans doute été possible de ne pas limiter le champ d’application des textes relatifs à la pêche profonde à la haute mer, sans que cela ne porte d’ailleurs atteinte aux droits de l’État côtier, en raison de la nature exclusivement volontaire des instruments adoptés.

B – La préeminence d’instruments volontaires

12Lancé par les ONG, le débat sur les effets de la pêche profonde et la nécessité de réfléchir à un cadre juridique plus efficient s’est principalement développé dans l’enceinte de la FAO et de l’Assemblée générale des Nations Unies. Cette situation n’a rien d’inhabituel et illustre le rôle majeur joué par les Nations Unies dans le développement progressif du droit international de la mer, particulièrement pour les questions liées à la pêche en haute mer. Cette dernière a ainsi, dans sa résolution annuelle sur la pêche adoptée par consensus, consacré depuis 2002 un chapitre spécial à la pêche responsable dans l’écosystème marin [24].

13La résolution 61/105 adoptée en 2006 [25] détaille les mesures que les États sont invités à prendre afin de gérer convenablement les stocks de poissons et protéger les écosystèmes marins vulnérables. Cette invitation ne va toutefois pas jusqu’à instaurer un moratoire pour la pêche profonde à l’image de celui mis en place pour la pêche hauturière au grand filet dérivant [26] mais préconise une règle dite « d’évitement » qui veut qu’un navire cesse son activité de pêche de fond dès lors que des échantillons de matériaux révélateurs d’un habitat fragile sont ramenés dans le chalut. De même, s’il est vrai que les États sont incités à interdire cette activité dans les zones où des écosystèmes marins vulnérables ont été identifiés, il ne s’agit que de mesures temporaires, prises au cas par cas, dans l’attente de l’adoption de règles spécifiques de conservation et de gestion.

14Les directives internationales sur la gestion de la pêche profonde en haute mer adoptées par la FAO en 2008 [27] précisent les dispositions de cette résolution. Leur finalité est triple puisqu’il s’agit d’utiliser de manière durable les ressources biologiques marines exploitées par la pêche profonde, de prévenir les effets néfastes notables sur les écosystèmes marins profonds vulnérables en eaux profondes et de protéger la biodiversité marine qu’ils abritent. À cette fin, le texte fournit des orientations sur les différentes étapes de la gestion et de la conservation allant de la collecte et de la communication des données, qu’elles soient scientifiques ou relatives à l’emplacement des navires de pêche [28], jusqu’à l’adoption d’un cadre de suivi, de contrôle et de surveillance. Celui-ci devrait permettre d’évaluer l’effort de pêche par type d’engin, de vérifier les données sur les captures ainsi que de disposer d’éléments suffisants pour attester des infractions en cas de pêche illégale [29]. Les directives présentent en outre les mesures qui devraient être adoptées, soit par l’État du pavillon, soit par une organisation régionale des pêches lorsqu’elle existe, pour prévenir les impacts négatifs sur les écosystèmes marins vulnérables. Conformément aux recommandations de l’Assemblée générale des Nations Unies, le texte demande aux États de fermer à la pêche profonde des zones qui abritent ou pourraient abriter des écosystèmes marins vulnérables, de s’abstenir d’accroître l’effort de pêche des navires pratiquant la pêche en eaux profondes au-delà de son niveau et de ses limites spatiales actuelles en soulignant bien qu’il ne s’agit là que de mesures provisoires dans l’attente de l’adoption d’un « cadre réglementaire fonctionnel » [30]. La FAO ne précisant pas ce que cette expression recouvre, on peut imaginer, s’agissant de la haute mer, que ce cadre prenne la forme soit de mesures spécifiques adoptées par les organisations régionales des pêches, soit d’un traité à vocation universelle. Nous serions donc en présence d’une construction juridique qui progresserait des instruments de soft law vers des normes obligatoires comme cela a d’ailleurs déjà pu être le cas en matière de lutte contre la pêche illégale, non réglementée et non déclarée (INN) avec l’adoption en 2009 de l’Accord sur les mesures du ressort de l’État du port. Cet accord est en effet l’aboutissement d’un long processus : il s’inspire du plan d’action international élaboré par la FAO en 2001, instrument de soft law applicable de manière seulement volontaire par les États, lui-même issu du Code de conduite pour une pêche responsable adopté en 1995 [31].

15En l’absence d’un tel dispositif, la question se pose de l’étendue des obligations qui pèsent sur les États. Facultatives, les directives de la FAO et les résolutions de l’Assemblée générale demeurent, au-delà des variations de dénomination, de simples recommandations. Le préambule des Directives rappelle néanmoins que ces dernières doivent être interprétées et appliquées conformément aux règles pertinentes du droit international telles que reflétées dans la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer. Il nous semble alors que ces dispositions ne peuvent se lire indépendamment du cadre conventionnel et coutumier en vigueur et notamment de l’obligation pesant sur les États, en application de l’article 192 de la Convention, de protéger et de préserver le milieu marin, y compris en prenant les mesures nécessaires pour « protéger et préserver les écosystèmes rares et délicats ainsi que l’habitat des espèces et autres organismes marins en régression, menacés ou en voie d’extinction » [32]. Or, dans sa sentence relative au Différend en mer de Chine méridionale (Philippines c. Chine), rendue à l’unanimité le 12 juillet 2016, le Tribunal arbitral a estimé que la Chine, en construisant des îles artificielles, avait causé des dommages graves et irréversibles au milieu marin, et plus particulièrement aux récifs coralliens manquant ainsi à ses obligations internationales [33]. Alors que l’article 192 était jusqu’alors considéré, du fait de sa généralité, comme une disposition difficile à invoquer dans le cadre d’un différend interétatique, le Tribunal lui reconnaît ici des effets concrets et opératoires [34].

16Comme évoqué précédemment, nous assistons donc à un glissement : l’objectif initial de gestion des stocks s’est vu compléter par un objectif de protection des écosystèmes et de la biodiversité qu’ils abritent. Cette intégration d’une finalité environnementale dans des instruments relatifs à la pêche est révélatrice d’une tendance qui prône une gestion plus intégrée du milieu marin.

II – Vers une gestion intégrée de l’environnement marin

17Activité ancestrale, la pêche est souvent identifiée comme l’une des principales menaces pesant sur le milieu marin alors même que son maintien est intrinsèquement lié à la qualité de celui-ci. De même, les corpus juridiques relatifs à la pêche et à l’environnement se sont construits parallèlement, mais non concomitamment [35], à partir de concepts fondés sur le volume admissible des captures ou le rendement constant maximum pour le premier, la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique à laquelle est reconnue une valeur intrinsèque pour le second. Toutefois, les interactions entre les espèces et leur milieu ont mis à mal ce cloisonnement et ont conduit les États à reconnaître, dans la Déclaration de Reykjavik adoptée en 2001, « que la gestion durable de la pêche incluant des considérations relatives à l’écosystème implique de prendre en compte les répercussions de la pêche sur les écosystèmes marins et celles des écosystèmes marins sur la pêche ». Cette approche intégrée de l’environnement marin, selon une véritable approche écosystémique, s’illustre ici par l’affirmation de principes issus du droit de l’environnement (A) ainsi que par l’extension des compétences environnementales des organisations en charge de la gestion des pêches (B).

A – L’affirmation de principes issus du droit de l’environnement

18Le droit de l’environnement est, par essence, un droit davantage tourné vers la prévention que vers la réparation du fait du caractère parfois irréparable des dommages causés ou, lorsqu’une telle réparation est envisageable, de son coût potentiellement élevé [36]. L’étude d’impact environnemental est l’un des outils venant matérialiser cette obligation de prévention puisqu’elle permet d’évaluer, à l’avance, les effets potentiels d’une activité sur l’environnement. Le Principe 17 de la Déclaration de Rio demande ainsi aux États d’entreprendre une étude d’impact sur l’environnement dans le cas « d’activités qui risquent d’avoir des effets nocifs importants sur l’environnement ». L’article 206 de la Convention de Montego Bay laisse, quant à lui, une plus grande latitude aux États. Il dispose en effet que « lorsque les États ont de sérieuses raisons de penser que des activités envisagées relevant de leur juridiction ou de leur contrôle risquent d’entraîner une pollution importante ou des modifications considérables et nuisibles du milieu marin, ils évaluent, dans la mesure du possible, les effets potentiels de ces activités sur ce milieu ». Mais c’est le point 47 des Lignes directrices qui présente la rédaction la plus précise. Afin de déterminer si les activités de pêche profonde sont de nature à produire des effets néfastes notables dans des zones données, les États du pavillon et les organisations de gestion des pêches sont incités à procéder à des évaluations qui devraient notamment porter sur les types de pêches pratiquées ou envisagées dans la zone, les informations scientifiques et techniques les plus fiables disponibles sur l’état actuel des ressources halieutiques et des écosystèmes, l’identification, la description et la cartographie des écosystèmes marins vulnérables connus ou susceptibles d’apparaître dans la zone de pêche, les données et méthodes utilisées pour identifier, décrire et évaluer les impacts de l’activité, l’identification, la description et l’évaluation de la fréquence, l’ampleur et la durée des impacts probables, y compris les impacts cumulatifs des activités couvertes par l’évaluation des écosystèmes marins vulnérables et des ressources halieutiques faiblement productives dans la zone de pêche, l’évaluation du risque d’impacts probables dus aux opérations de pêche et les mesures proposées d’atténuation. Ce faisant devront être prises en compte les conditions différentes qui prévalent dans les zones où les pêches profondes sont bien établies et dans celles où les pêches n’ont pas lieu ou ne sont pratiquées qu’occasionnellement [37]. Le contenu de l’évaluation, au demeurant très complet, est donc fonction de la récurrence de l’activité de pêche. Il s’agissait probablement de ne pas faire peser une charge trop lourde sur le secteur de la pêche et de rendre compte du fait que tous les fonds marins sont loin d’être homogènes, certains étant peut-être moins sensibles au chalutage que d’autres. Néanmoins, il semble important de garder présent à l’esprit que même les zones où le chalutage est pratiqué de longue date peuvent abriter des écosystèmes fragiles, les connaissances scientifiques étant encore loin d’être absolues. La reconnaissance de situations différenciées ne doit donc pas conduire à ce que des standards moins exigeants soient appliqués dans les zones déjà soumises au chalutage mais bien plutôt à renforcer ces évaluations lorsque l’ouverture d’une nouvelle zone de chalutage est envisagée.

19Une telle interprétation est d’ailleurs conforme à cet autre principe environnemental qu’est le principe de précaution qui veut que l’absence de certitude scientifique ne conduise pas à l’inaction mais, au contraire, à l’adoption de mesures de conservation plus rigoureuses. C’est d’ailleurs une hypothèse évoquée par les Lignes directrices elles-mêmes : « si, après l’évaluation de toutes les informations scientifiques et techniques disponibles, une grande incertitude persiste quant à la présence d’environnements marins vulnérables ou quant à la possibilité que des activités de pêche profonde en haute mer entraînent des effets néfastes notables sur les environnements marins vulnérables, les États ne devraient autoriser la poursuite des activités individuelles de pêche profonde en haute mer que si elles se conforment, notamment à des mesures de précaution, de conservation et de gestion destinées à éviter des effets néfastes notables ».

20Cette disposition illustre le fait que la précaution, qu’elle soit qualifiée de principe ou d’approche, sous-tend le droit de la mer et plus précisément encore le droit de la biodiversité marine, tant cette dernière reste encore peu explorée à l’échelle mondiale [38]. S’il est vrai que le principe de précaution ne figure pas en tant que tel dans la Convention de Montego Bay [39], on le retrouve à l’inverse dans l’Accord de 1995 sur les stocks chevauchants [40]. De même, c’est à l’occasion d’une demande d’avis consultatif portant sur la Zone internationale des fonds marins que la Chambre pour le règlement des différends marins du Tribunal international du droit de la mer (TIDM) a pu reconnaître, assez prudemment d’ailleurs, que la référence à l’approche de précaution dans un nombre croissant de traités et autres instruments internationaux a créé « un mouvement qui tend à incorporer cette approche dans le droit international coutumier » [41].

21Toutefois, le principe de précaution est, par nature, un principe éphémère : passerelle entre incertitude et certitude, pour autant que cette dernière puisse être absolue, il appelle à un approfondissement de nos connaissances scientifiques. Dans sa résolution 69/74, l’Assemblée générale des Nations Unies, notant avec préoccupation qu’en dépit des progrès accomplis, la résolution 61/105 n’a pas été mise en œuvre de façon suffisante, demande aux États d’agir individuellement et par l’entremise des organismes et arrangements régionaux de gestion des pêches, conformément au principe de précaution, pour appliquer les Directives internationales de 2008 [42]. Les organisations régionales de gestion des pêches (ORGP) apparaissent, à cet égard, comme un acteur central dans la gestion durable des ressources halieutiques ; certaines d’entre elles ont d’ailleurs vu leur champ de compétence étendu aux questions environnementales.

B – L’extension des compétences des organisations régionales de gestion des pêches

22Les ORGP sont des organisations internationales dont l’origine remonte à la fin du XIXème siècle [43] dans le but de gérer un ou plusieurs stocks de poissons, ou encore une zone océanique. La finalité de ces organisations est à la fois d’augmenter les connaissances scientifiques mais également de maintenir les stocks à un niveau optimal et ceci afin de permettre un maximum de captures. Les ORGP offrent donc un cadre institutionnel permettant aux États côtiers et aux États pêcheurs de se conformer à l’obligation découlant de l’article 116 de la Convention de Montego Bay et à celle de l’article 8 de l’Accord de 1995 sur les stocks chevauchants de coopérer. Ce dernier texte demande d’ailleurs aux États de créer de telles organisations, lorsqu’elles n’existent pas encore, afin d’assurer la conservation et la gestion des stocks. C’est d’ailleurs presque chose faite, le maillage des ORGP en haute mer ayant été assez rapidement complété à l’exception notable de l’Atlantique du Centre-Est, de l’Atlantique du Sud-Ouest et de l’Arctique. Toutefois, parmi la cinquantaine d’organes internationaux de pêche maritime, seules huit ORGP ont actuellement un mandat les autorisant à gérer la pêche profonde [44] et seules certaines d’entre elles ont déjà adopté des mesures pour protéger les écosystèmes marins vulnérables.

23C’est le cas notamment de la Commission des pêches de l’Atlantique du Nord-Est qui a pris la décision de fermer à la pêche au chalut de fond plusieurs zones identifiées comme vulnérables [45] et cela en liaison avec la Commission Ospar créée par la Convention du même nom et compétente pour la protection de l’environnement dans cette zone. Liées, depuis 2008, par un Memorandum of Understanding les engageant à coopérer dans le cadre d’une planification spatiale marine, ces deux institutions participent ainsi au rapprochement entre droit des pêches et droit de l’environnement. Il n’est d’ailleurs pas inintéressant de noter que les zones de fermeture de la pêche au chalut recoupent partiellement les aires marines protégées désignées en haute mer par la Commission Ospar suite à la réunion ministérielle de Bergen en septembre 2010. De son côté, la Commission générale des pêches pour la Méditerranée a complété sa désignation de zones interdites au chalutage par une prohibition générale de toute activité de chalutage dans les fonds supérieurs à mille mètres.

24Sans détailler plus avant les différentes mesures prises par les ORGP [46], il convient de souligner que l’intérêt de ce mécanisme est de rendre obligatoires les normes volontaires issues de l’Assemblée générale et de la FAO. En effet, ces ORGP sont compétentes pour adopter des mesures de conservation qui s’appliquent à leurs États membres, tout au moins en respect du principe du consensualisme qui gouverne le droit international, à ceux qui n’y auraient pas objecté.

25Les mesures adoptées au niveau international afin de gérer la pêche profonde témoignent de l’intégration des préoccupations environnementales dans le corpus juridique relatif à la pêche. C’est finalement l’intérêt porté à la protection de la biodiversité qui a permis un tel rapprochement. Mais rapprochement ne signifie pas fusion : ainsi, la pêche a été exclue des négociations en cours sur l’adoption d’un traité juridiquement contraignant relatif à l’exploitation durable et à la conservation de la biodiversité marine au-delà des zones sous juridiction alors même que la pêche, lorsqu’elle est peu ou mal gérée, fait peser de graves menaces sur la biodiversité marine. L’exemple de la pêche profonde est, à ce titre, très éclairant et témoigne que, encore une fois, beaucoup reste à faire.

Notes

  • [1]
    Selon le dernier rapport de la FAO, 31,4 % des stocks de poissons sont actuellement exploités à un niveau non durable et 58,1 % le sont à leur maximum, ce qui ne laisse que 10,5 % de stocks exploités à un niveau inférieur à leur capacité de reproduction, FAO, La situation mondiale des pêches et de l’aquaculture. Contribuer à la sécurité alimentaire et à la nutrition de tous, Rome, 2016.
  • [2]
    Les principales espèces qui forment des rassemblements dans les eaux profondes sont l’hoplosthète orange (Hoplostethus atlanticus) et les oréos (Allocyttus spp., Neocyttus spp. Pseudocyttus spp.), qui sont souvent pêchés ensemble, les béryx (Beryx spp.) dans les pêcheries situées dans les basses latitudes, la légine australe (Dissostichus eleginoides) dans les pêcheries de l’Océan Austral, la tête casquée pélagique (Pseudopentaceros wheeleri) et diverses espèces de Scorpaenidae que l’on trouve près des deux côtes de l’Amérique du Nord, FAO, Pêche profonde en haute mer. Vers une utilisation durable des ressources marines et la protection des écosystèmes marins vulnérables, 2010, p. 5.
  • [3]
    Dans les eaux norvégiennes, on estime qu’entre 30 et 50 % des récifs coralliens ont été détruits ou abîmés par le passage des chaluts. En Australie et en Nouvelle-Zélande, les chaluts démersaux auraient cassé les coraux des crêtes rocheuses des monts sous-marins, provoquant la disparition de l’abondante faune ichytologique qui y proliférait, R. Shoton, « La pêche en eaux profondes », in FAO, L’état des ressources halieutiques marines mondiales, Document technique sur les pêches, p. 457.
  • [4]
    Les monts sous-marins sont des pics volcaniques sous-marins s’élevant à plus de 1 000 mètres au-dessus du fond océanique environnant. On en dénombre de 10 000 à 30 000 dans l’ensemble des bassins océaniques du monde,
  • [5]
    Les océans et le droit de la mer, Rapport du Secrétaire général, AGNU 59/62, mars 2004.
  • [6]
    Article 56 de la Convention. La zone économique exclusive correspond à la zone située au-delà de la mer territoriale jusqu’à une distance maximale de 200 milles marins à partir des lignes de base.
  • [7]
    Article 86 de la Convention.
  • [8]
    T. Scovazzi, « La liberté de la mer : vers l’affaiblissement d’un principe vénérable ? », AdMer, 1998, p. 17.
  • [9]
    Article 3 de la Convention.
  • [10]
    Article 4 de la Convention.
  • [11]
    Conférence des Parties à la Convention sur la diversité biologique, deuxième réunion, Jakarta, 6-17 novembre 1995, UNEP/CBD/COP/2/19, 30 novembre 1995.
  • [12]
    A/RES/58/14.
  • [13]
    Point 46 de la résolution.
  • [14]
    A/RES/59/25, point 66.
  • [15]
    Aux termes de l’article 92 de la Convention de Montego Bay, « Les navires naviguent sous le pavillon d’un seul État et sont soumis, sauf dans les cas exceptionnels expressément prévus par des traités internationaux ou par la Convention, à sa juridiction exclusive en haute mer ».
  • [16]
    R. Shoton, op. cit., p. 205.
  • [17]
    Article 3 et Annexe I du Règlement (UE) n° 2016/2336 du Parlement européen et du Conseil du 14 décembre 2016 établissant des conditions spécifiques pour la pêche des stocks d’eau profonde dans l’Atlantique du Nord-Est ainsi que des dispositions relatives à la pêche dans les eaux internationales de l’Atlantique du Nord-Est, JOUE L 354/1.
  • [18]
    Point 8 des Lignes directrices.
  • [19]
    Sur ce sujet, voir S. Beslier, « La pêche dans les grands fonds, la protection de l’environnement marin et de la diversité biologique », AdMer, 2011, tome XVI, p. 177-196.
  • [20]
    En application de l’article 76 de la Convention de Montego Bay, le plateau continental d’un État côtier comprend « les fonds marins et leur sous-sol au-delà de sa mer territoriale, sur toute l’étendue du prolongement naturel du territoire terrestre de cet État jusqu’au rebord externe de la marge continentale, ou jusqu’à 200 milles marins des lignes de base à partir desquelles est mesurée la largeur de la mer territoriale, lorsque le rebord externe de la marge continentale se trouve à une distance inférieure ». Chaque État côtier bénéficie donc d’un plateau continental juridique jusqu’à 200 milles marins, quelles que soient la morphologie et la composition géologique des fonds. En revanche, seuls les États qui disposent réellement d’une marge continentale naturelle au-delà de cette limite, peuvent, après le dépôt d’un dossier détaillé à la Commission des Limites du Plateau Continental, repousser cette limite sans dépasser la ligne butoir des 350 milles marins.
  • [21]
    Point 25 des Lignes directrices.
  • [22]
    Article 78 de la Convention de Montego Bay.
  • [23]
  • [24]
    Il convient de noter le rôle joué à cet égard par les organes subsidiaires créés par l’Assemblée générale, et plus particulièrement le Processus consultatif officieux ouvert à tous. Établi en 1999 par la résolution 54/33, sa finalité est de faciliter le suivi annuel du développement des affaires maritimes grâce à l’examen du rapport du Secrétaire général en suggérant certaines questions qu’il devrait étudier et en insistant sur l’identification des domaines dans lesquels la coordination et la coopération au niveau intergouvernemental sont nécessaires. Ouvert à tous les États membres des Nations unies, aux membres des institutions spécialisées, aux entités ayant qualité d’observateurs et aux organisations intergouvernementales ayant compétence pour les affaires maritimes, celui-ci a été particulièrement actif sur la question des impacts de la pêche de fond sur les écosystèmes marins vulnérables dans les zones situées au-delà de la juridiction nationale. En 2003, lors de sa quatrième réunion le Processus consultatif a d’ailleurs adopté un rapport spécial sur cette question (A/AC.259/10). Sur le rôle de cet organe et les inquiétudes de certaines délégations quant au dépassement de ses missions, voir G. Goettsche-Wanli, « Le rôle des Nations Unies », in M. Forteau ; J.-M. Thouvenin (dir), Traité de droit international de la mer, Pedone, 2017, p. 107-127. Pour une présentation complète de la manière dont les institutions internationales se sont saisies de la question de la pêche profonde, voir L.-A. Kimball, « Deep-Sea Fisheries of the High Seas: The Management Impasse », The International Journal of Marine and Coastal Law, vol. 19, n° 3, 2004, plus spécialement p. 263-272.
  • [25]
    A/RES/61/105 du 8 décembre 2006.
  • [26]
    Résolution 44/225 sur la pêche aux grands filets pélagiques dérivants et ses conséquences sur les ressources biologiques des océans et des mers, adoptée le 22 décembre 1989, A/44/746. Sur cette résolution, voir, notamment, M. Savini, « La réglementation de la pêche en haute mer par l’Assemblée générale des Nations Unies. À propos de la résolution 44/225 sur les grands filets maillants dérivants », AFDI, 1990, p. 777-817.
  • [27]
    Voir supra.
  • [28]
    Points 30 à 41.
  • [29]
    Points 54 à 60.
  • [30]
    Point 63.
  • [31]
    O. Delfour-Samama, « La lutte contre la pêche illégale, non réglementée, non contrôlée, un instrument au profit du développement durable ? », in G. Brovelli, M. Sancy (dir.), Environnement et développement durable dans les politiques de l’Union européenne, actualités et défis, PUR, 2017, p. 209-221.
  • [32]
    Article 194 de la Convention de Montego Bay.
  • [33]
    §944, PCA Case n° 2013-19, In the matter of the South China Sea arbitration, before an arbitral Tribunal constituted under Annex VII to the 1982 United Nations Convention on the law of the sea, between the Republic of Philippines and the People’s Republic of China, Award, Permanent Court of Arbitration, 12 July 2016.
  • [34]
    Sur ce point, voir P. Ricard, « La sentence arbitrale relative au différend en mer de Chine méridionale et l’obligation de protection du milieu marin », AdMer, 2016, tome XXI, p. 147-159.
  • [35]
    Le droit a très vite appréhendé l’activité de pêche puisque dès le début du 17ème siècle, Hugo Grotius, défenseur de la liberté des mers, fondait sa théorie sur le caractère inépuisable des ressources halieutiques pour s’opposer à l’ordonnance du roi d’Angleterre interdisant aux étrangers l’accès aux pêcheries de la mer du Nord.
  • [36]
    C’est d’ailleurs ce que souligne la Cour internationale de Justice affirmant que la prévention s’impose « en raison du caractère souvent irréversible des dommages causés à l’environnement et des limites inhérentes au mécanisme même de réparation de ce type de dommages », Affaire relative au projet Gabcikovo-Nagymaros, Arrêt du 25 septembre 1997, CIJ, Rec. 1997, p. 78, §140.
  • [37]
    Point 48
  • [38]
    Au début des années 2000, les scientifiques estimaient que seulement 5 % des océans étaient explorés de manière systématique. Plusieurs programmes de recherche ont été menés depuis lors et notamment le programme « Census of Marine Life » qui a initié le premier inventaire global documenté des espèces marines. Cette étude mondiale offre aujourd’hui un accès à des données et à des informations ainsi qu’à des outils et des capacités de suivi et d’étude pour mieux préserver les océans ; voir le site de ce programme : http://www.coml.org/.
  • [39]
    Adoptée en 1982, la Convention de Montego Bay précède de dix ans la Déclaration de Rio qui a reconnu le principe de précaution.
  • [40]
    En application de l’article 6 de l’Accord de 1995, « les États appliquent largement l’approche de précaution à la conservation, à la gestion et à l’exploitation des stocks de poissons chevauchants et des stocks de poissons grands migrateurs afin de protéger les ressources biologiques marines et de préserver le milieu marin. Les États prennent d’autant de précautions que les données sont incertaines, peu fiables ou inadéquates. Le manque de données scientifiques adéquates ne saurait être invoqué pour ne pas prendre de mesures de conservation et de gestion ou pour en différer l’adoption ».
  • [41]
    §135, TIDM, avis consultatif du 1er février 2011, Responsabilités et obligations des États qui patronnent des personnes et entités dans le cadre d’activités menées dans la Zone. Sur cet avis, voir notamment le dossier spécial de l’Annuaire de Droit de la Mer, AdMer, 2011, tome XVI, p. 279-381. Voir également sur le lien entre précaution et biodiversité marine, R. Rayfuse, « Precaution and the Protection of Marine Biodiversity in Areas beyond National Jurisdiction », The International Journal of Marine and Coastal Law, 2012, p. 773-781.
  • [42]
    A/RES/64/72, point 113.
  • [43]
    Le conflit entre les États-Unis et la Grande-Bretagne consécutif à la décision du gouvernement américain d’instaurer une zone d’interdiction de capture en haute mer afin de lutter contre la surexploitation des phoques à fourrure du Pacifique nord (Callorhinus ursinus) a initié cette démarche de coopération institutionnelle. Suite à la sentence arbitrale du 15 août 1893 qui proposa que la capture de ce mammifère fasse l’objet d’un accord sur les mesures de conservation appropriées, les États concernés signèrent une Convention sur la préservation et la protection des phoques à fourrure le 7 juillet 1911 ; J.-P. Beurier (dir.), Droits maritimes, Dalloz, 2014, p. 1318.
  • [44]
    Il s’agit de la Commission des pêches de l’Atlantique du Nord-Est (CPANE), de l’Organisation des pêches de l’Atlantique du Nord-Ouest (OPANO), de la Commission générale des pêches pour la Méditerranée (CGPM), de la Commission pour la conservation des ressources marines vivantes de l’Antarctique (CCAMLR), de l’Organisation des pêches du Sud-Est Atlantique (SEAFO), de l’Organisation régionale de gestion des pêches du Pacifique-sud (ORGPPS), de l’Accord pour les pêcheries du Sud de l’Océan Indien (APSOI) et de la Commission des pêches du Pacifique Nord (NPFC).
  • [45]
  • [46]
    Pour une étude complète des différentes mesures prises par les ORGP, voir : G. Wright, J. Ardron, K. Gjerde, J. Rochette, « Advancing marine biodiversity protection through regional fisheries management: a review of high seas bottom fisheries closures », Working Paper, IDDRI, n° 14, octobre 2014.
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