Notes
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[1]
Cf. N. Ruiz Camacho, E. Velasquez, et al., « Indicateurs synthétiques de la qualité du sol », Étude et Gestion des Sols, vol. 16, n° 3/4, 2009, p. 323-338.
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[2]
G. Drago, p. 29, in Les libertés économiques, G. Drago et M. Lombard (dir.), éd. Panthéon Assas, 2003, 169 p.
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[3]
R. Letteron, Libertés publiques, 9e éd., Dalloz, coll. Précis, 2012, n° 713.
Maylis DESROUSSEAUX, La protection juridique de la qualité des sols, sous la direction de Philippe BILLET, Université Jean Moulin Lyon 3, 2014
1La définition de la qualité d’un sol varie en fonction des indicateurs employés. La littérature pédologique présente ainsi les résultats obtenus à partir d’indicateurs physiques, chimiques, biologiques, etc [1]. Chacun d’entre eux isole une des propriétés du sol étudié et caractérise son fonctionnement, mais en aucun cas de telles analyses ont pour but de déterminer si un sol est de qualité ou non. Chaque sol dispose d’un potentiel, qu’il s’agisse d’un potentiel direct d’exploitation ou d’un potentiel offert par sa multifonctionnalité et les services rendus par les sols à la société sont aussi nombreux que primordiaux. Par conséquent l’homme entretient une étroite dépendance avec ce milieu et le droit régule d’une part, les rapports entre les hommes et les sols qu’ils exploitent directement et d’autre part, les rapports entre les hommes et dont les sols sont l’objet. Si ce sont bel et bien les qualités des sols qui sont au cœur de ces transactions juridiques, la façon dont le droit les appréhende ignore le caractère fini de cette ressource et sa faible capacité de résilience.
2L’utilité tirée de l’exploitation ou de l’occupation des sols prime et offre une conception uni-fonctionnelle du service écosystémique, détachée des capacités de fonctionnement des sols. La conception utilitariste de la qualité des sols, s’essaye à dessiner une ligne directrice dans leur exploitation et leur occupation. Cette qualité n’est pas pour autant unique ou uniforme, ni aisément décelable, quantifiable ou catégorisable. Elle est plurielle, aussi vaste que sont variés les usages des sols. Il en découle une surexploitation, notamment des sols affectés à l’agriculture, permise par un corpus juridique entièrement tourné vers l’amélioration quantitative de la production des denrées alimentaires. Progressivement, l’individu s’est affranchi des besoins liés à l’exploitation agricole de façon à ne plus être obligé d’exploiter personnellement le sol pour se nourrir et a confié à d’autres le soin de le faire. Il n’en demeure pas moins dépendant des sols mondiaux qui lui prodiguent ce qu’il ne sait ou ne peut plus produire.
3Les politiques publiques aspirent désormais à préserver les espaces agricoles et naturels et de façon plus incidente à maintenir la disponibilité des sols en raison des services dont ils sont à l’origine. Cette notion de disponibilité guide l’action publique, laquelle sait s’adapter à la raréfaction d’un objet, d’une ressource, mais elle ne porte pas le caractère préventif qui permettrait de préserver une quantité suffisante de sols, dont les caractéristiques répondent aux besoins de la société. La disponibilité des ressources est altérée par une concrète persistance dans l’ignorance des qualités réelles des sols, dont le dépassement permettrait une organisation de l’espace fondamentalement plus rationnelle du point de vue de la préservation des ressources. Bien qu’il soit difficile d’imaginer qu’à l’échelle du territoire français le sol devienne un bien rare, il se dessine pourtant un modèle de gestion du sol fondé sur cette idée.
4L’approche objectiviste de la protection de la qualité des sols se détache de sa vision utilitariste. Un tout autre champ lexical s’ouvre alors, abandonnant les formes de hiérarchisation qui séparent les sols aptes et exploitables, de ceux stériles ou instables. Le cloisonnement parcellaire du sol, son enfermement au sein de frontières étatiques, s’effacent au bénéfice de la reconnaissance de leur multifonctionnalité et il convient désormais de réaccorder la conception des sols que se fait la société avec cette naturalité, dont le droit aime à les exclure trop souvent. Les sols sont le support et la composante des sites et paysages, ils sont partie intégrante des espaces, ressources et milieux naturels, ils abritent et participent au développement de la biodiversité. Pour cette raison, une nouvelle lecture des textes doit être faite, afin de démontrer que la notion de qualité des sols, en son sens écologique, est une donnée connue du droit et qu’il dispose des outils nécessaires à la concrétisation de cette approche objectiviste. Cette approche ne rejette pas la prise en compte des services écologiques, au profit des seules fonctions écologiques. Au contraire, elle permet d’effacer la seule perspective d’une valorisation des sols par l’usage et d’une identification unidimensionnelle de ces services. L’approche objectiviste de la notion de qualité assied la valeur intrinsèque des sols. Cette valeur, bien qu’elle puisse apparaître antinomique avec la notion de service écologique en ce qu’elle est évaluée au regard du bien-être humain, reconnaît cependant que ce bien-être ne peut être atteint qu’au moyen du bon état des écosystèmes.
5Les caractéristiques pédologiques constituent une richesse en elles-mêmes, tout comme elles participent à la qualité des autres écosystèmes et si le droit les reconnaît, il ne leur accorde pas de statut juridique propre. Elles réinterrogent l’efficacité des normes sectorielles en droit de l’environnement, tout comme les critères de délimitation et d’identification des milieux et des espèces protégés, en faveur d’une meilleure prise en compte des milieux « interfaces », « intermédiaires » ou « tampons ». Fonctions et services appellent au développement d’une approche juridique complémentaire propre à fonder la reconnaissance des interactions entre l’ensemble des écosystèmes. Dans cette optique s’ouvre la réflexion relative à l’élaboration de mécanismes de protection des qualités intrinsèques des sols, afin d’améliorer la protection dont ils bénéficient en droit de l’environnement.
Ianjatiana RANDRIANANDRASANA, Le droit de la protection de la nature à Madagascar : entre centralisme et consensualisme, sous la direction de Mme le Professeur Jacqueline MORAND-DEVILLER, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2014, 465 pages (à paraître aux éditions L’Harmattan, Collection Le Droit aujourd’hui)
6La diversité biologique de Madagascar est caractérisée par une richesse et une endémicité exceptionnelles. Ces caractéristiques motivent le classement de l’Île parmi les zones vulnérables et nécessitent par ailleurs, la mise en place de mesures de protection particulières. Issues de l’adhésion aux conventions internationales relatives à l’environnement, les dispositions du droit malgache de la protection de la nature héritent aussi des mesures historiques internes. Ce droit embrasse un champ large d’application : autant les espèces de la faune et de la flore que les espaces à forte potentialité comme les aires protégées et les forêts. À l’examen des textes adoptés en la matière, l’administration centrale constitue un pilier de ce droit de la protection de la nature. De la Constitution aux dispositions législatives et réglementaires, les responsabilités sont attribuées majoritairement aux autorités centrales. De cette concentration des prises de décision au niveau central, il résulte que la protection de la biodiversité est tributaire de la stabilité du pouvoir et de la volonté réelle des dirigeants à œuvrer en faveur de cette protection. Afin de pallier ces problèmes, il a été décidé d’impliquer les communautés locales riveraines. Cette participation va au-delà de la simple concertation : elle prend place en amont lors de l’élaboration des mesures de protection et implique en aval une responsabilisation plus importante de ces communautés. Le but principal de ce transfert des responsabilités des autorités centrales au profit des communautés locales est d’instaurer un dialogue et de mettre en place des actions concertées dans la protection de la nature à Madagascar.
Aurélie TOMADINI, La liberté d’entreprendre et la protection de l’environnement. Contribution à l’étude des mécanismes de conciliation, sous la direction de Philippe BILLET, Université de Bourgogne, 2014
7Le droit de l’environnement apparaît d’abord comme un obstacle à la d’entreprendre ou, tout au moins, comme une limite à cette liberté. Droit de police, il permet d’assigner des lieux d’implantations, d’imposer des prescriptions de fonctionnement, des normes de rejets, qui forment autant de contraintes susceptibles de remettre en cause cette liberté, tant en droit interne, qu’en droit de l’Union européenne. Les principes du droit de l’environnement (précaution, prévention, pollueur-payeur, réparation, information, participation) et les concepts qui en découlent (préjudice écologique, correction par priorité à la source, utilisation des meilleures techniques disponibles) ont sensiblement modifié le paysage juridique et renouvelé les techniques d’intervention de la puissance publique (fiscalité, quotas d’émission, marchés publics avec critères environnementaux). Paradoxalement, les nouveaux risques et les attentes de la société civile ont justifié des limitations encore plus fortes à l’exercice des activités économiques.
8Les rapports ne sont cependant, pas aussi tranchés. L’accession du droit de l’environnement à un rang constitutionnel égal à celui de la liberté d’entreprendre impose de revisiter ces relations dans des termes plus apaisés et appelle un jeu de concessions réciproques. L’objectif de conciliation entre les enjeux environnementaux et les enjeux économiques est plus que jamais recherché. Si la liberté d’entreprendre constitue « le fondement » [2], « la pierre angulaire » [3] des régimes libéraux force est de constater que la place grandissante accordée aux problématiques environnementales conduit à la recherche systématique d’un équilibre entre l’exercice des libertés économiques et les mesures de protection de l’environnement. L’analyse des régimes juridiques de protection de l’environnement conduit à ce résultat. À rebours des idées reçues, on perçoit aisément que le droit de l’environnement et, plus largement, l’ensemble des branches du droit qui participent à la protection de l’environnement ne sont pas liberticides, de la même manière qu’il est excessif, pour ne pas dire erroné, de considérer que la liberté d’entreprendre, dans ses diverses déclinaisons, prime nécessairement sur les enjeux environnementaux. Qu’il s’agisse du législateur ou, en dernier ressort du juge, tous deux semblent œuvrer en ce sens, l’objectif étant de garantir la liberté d’entreprendre tout en préservant l’environnement. Lorsque tel n’est pas le cas, ce n’est pas tant en raison de l’incapacité des dispositifs juridiques existants que du fait des choix politiques opérés en amont.
9En dehors de toute opposition, le droit contribue désormais à la rencontre de ces enjeux. La liberté d’entreprendre est en effet soumise à une régulation environnementale par l’intermédiaire des principes directeurs du droit de l’environnement. En parallèle, conscientes du potentiel de cette évolution, les entreprises participent elles aussi au développement de ce phénomène. Dans ces conditions, se dessine aujourd’hui une véritable intégration des considérations environnementales dans la sphère économique, satisfaisant un peu plus l’objectif de conciliation. Il s’agit là du dessein assigné au principe d’intégration. Il met en évidence les interactions positives qu’il existe entre la liberté d’entreprendre et la protection de l’environnement. Sur son fondement la première peut en quelque sorte venir au soutien de la seconde, alors même qu’elle est essentiellement à l’origine de sa dégradation. Cet aspect de la relation se concrétise par l’action du législateur qui intègre les problématiques environnementales dans les politiques économiques, principalement à des fins d’incitation, mais également par une intégration volontaire des opérateurs économiques, qui utilisent les libertés dont ils bénéficient pour participer à la protection de l’environnement, à tout le moins à sa non-détérioration. Cette intégration publique et privée s’appuie sur un double constat. Tout d’abord, une démarche exclusivement axée sur la régulation n’est pas suffisante pour parvenir à la réalisation de l’objectif de développement durable. Ensuite, les opérateurs économiques appréhendent aujourd’hui la problématique environnementale comme une opportunité économique notamment en termes de différenciation et donc de concurrence.
10Les relations qu’entretiennent la liberté d’entreprendre et la protection de l’environnement sont donc riches et complexes à la fois. On constate finalement que la conciliation de la liberté d’entreprendre et de la protection de l’environnement entraîne une adaptation ou plutôt une évolution de l’exercice des libertés économiques. Cette conciliation qu’elle soit imposée ou volontaire, qu’elle soit le fait du législateur, des juridictions ou des opérateurs économiques eux-mêmes, prolonge la notion de développement durable. Elle lui offre une existence juridique à travers l’ensemble des dispositifs juridiques de protection de l’environnement.
Date de mise en ligne : 03/09/2015
Notes
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[1]
Cf. N. Ruiz Camacho, E. Velasquez, et al., « Indicateurs synthétiques de la qualité du sol », Étude et Gestion des Sols, vol. 16, n° 3/4, 2009, p. 323-338.
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[2]
G. Drago, p. 29, in Les libertés économiques, G. Drago et M. Lombard (dir.), éd. Panthéon Assas, 2003, 169 p.
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[3]
R. Letteron, Libertés publiques, 9e éd., Dalloz, coll. Précis, 2012, n° 713.