Couverture de RJE_143

Article de revue

La protection de la plage par le droit de l'environnement

Pages 435 à 446

Notes

  • [1]
    Décret n° 63-1235 du 14 décembre 1963 créant le parc national de Port-Cros, JORF 17 décembre 1963, p. 11192.
  • [2]
    Article 15 du décret n° 2012-507 du 18 avril 2012 créant le Parc national des Calanques, JORF du 19 avril 2012, p. 7048.
  • [3]
    L’article L. 215-7 du code de l’environnement dispose que : « L’autorité administrative est chargée de la conservation et de la police des cours d’eau non domaniaux. Elle prend toutes dispositions pour assurer le libre cours des eaux ».
  • [4]
    L’article L. 321-1 du code de l’environnement prévoit que : « I. - Le littoral est une entité géographique qui appelle une politique spécifique d’aménagement, de protection et de mise en valeur.
    II. - La réalisation de cette politique d’intérêt général implique une coordination des actions de l’État et des collectivités locales, ou de leurs groupements, ayant pour objet : (…)
    2° La protection des équilibres biologiques et écologiques, la lutte contre l’érosion, la préservation des sites et du paysage et du patrimoine ».
  • [5]
    L’article L. 321-2 du code de l’environnement prévoit que : « Sont considérées comme littorales, (…), les communes (…) :
    1° riveraines des mers et océans, des étangs salés, des plans d’eau intérieurs d’une superficie supérieure à 1 000 hectares ;
    2° riveraines des estuaires et des deltas lorsqu’elles sont situées en aval de la limite de salure des eaux et participent aux équilibres économiques et écologiques littoraux… ».
  • [6]
    L’article L. 321-8 du code de l’environnement prévoit que : « Les extractions de matériaux non visées aux articles L. 111-1 et L. 111-2 du code minier sont limitées ou interdites lorsqu’elles risquent de compromettre, directement ou indirectement, l’intégrité des plages… ».
  • [7]
    L’article 321-9 du code de l’environnement prévoit que : « L’accès des piétons aux plages est libre sauf si des motifs justifiés par des raisons de sécurité de défense nationale ou de protection de l’environnement nécessitent des dispositions particulières… ».
  • [8]
    CE, 14 novembre 2012, Société Néo Plouvien, req. n° 347778, AJDA 2013, p. 308, note « Qu’est-ce qu’une commune littorale » par Gweltaz Eveillard, AJDA 2013, p. 309.
  • [9]
    CE 5 juillet 1999, Comité local des pêches maritimes et des élevages marins de Noirmoutier et Comité local des pêches maritimes et des élevages marins de Loire-Atlantique Sud, req. n° 197287.
  • [10]
    CAA Nantes 30 novembre 2004, Comité local des pêches maritimes et des élevages marins des Sables d’Olonnes, req n° 02NT01292.
  • [11]
    CAA Nantes, 4 mai 2006, Association de défense des riverains et usagers du littoral de Formentine-La Barre des monts et groupement des usagers du littoral fromentinois, req. n° 00NT02032.
  • [12]
    Art. L. 211-1 du code de l’environnement.
  • [13]
    CAA Douai, 18 janvier 2005, Association Le Moto-Club des Sables, req. n° 03DA00361.
  • [14]
    Article L. 321-8 du code de l’environnement.
  • [15]
    CE, 19 juillet 2010, Association du quartier « Les Hauts de Choiseul », n° 328687.
  • [16]
    Article L. 321-7 et L. 321-3 du code de l’environnement.
  • [17]
    Article L. 321-6 du code de l’environnement.
  • [18]
    Directive 2008/56/CE du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 établissant un cadre d’action communautaire dans le domaine de la politique pour le milieu marin, JOUE L 164, 25 juin.
  • [19]
    Décret 2012-219 du 16 février 2012 relatif à la stratégie nationale pour la mer et le littoral et aux documents stratégiques de façade, JORF 17 février 2012, p. 2781.
  • [20]
    Art. L. 219-3 du code de l’environnement.
  • [21]
    CE 18 mai 1988, req. n° 55881.
  • [22]
    Art. L. 219-2 du code de l’environnement.
  • [23]
    Art. L. 123-1-9 du code de l’urbanisme.

1Le dictionnaire Petit Robert définit la plage comme un rivage en pente douce dont les navires peuvent difficilement s’approcher ou, encore, comme un endroit plat et bas d’un rivage ou les vagues déferlent et qui est constitué de débris minéraux plus ou moins fins.

2Il ressort de cette définition que la plage est une zone de contact entre la terre et la mer. Le code de l’environnement prend parfaitement en compte cette nature particulière de la plage qui est un espace ni pleinement marin ni pleinement terrestre. La plage est le seul élément du rivage à faire l’objet de dispositions spécifiques. Il n’y a pas de disposition particulière pour les falaises ou d’autres formes de rivage. Cet intérêt particulier du législateur pour la plage est justifié par l’attirance de l’homme moderne pour cet espace qui est un lieu de travail et de loisir fragile.

3Il faut ici rappeler que l’attirance de l’homme pour le rivage est récente. Pendant longtemps, le rivage a été considéré avec méfiance en raison du danger que pouvaient représenter les raids des pirates sur les côtes.

4L’implantation traditionnelle des villages varois est la plus parfaite illustration de la méfiance ancestrale des populations varoises à l’égard du rivage. Ces villages étaient établis sur des hauteurs et à l’écart du rivage de façon à voir arriver l’agresseur par voie maritime et à organiser la défense des populations.

5Aujourd’hui, le rivage, et plus particulièrement la plage, est devenue un élément majeur de l’attractivité touristique du département. Cette attirance pour la plage n’est bien entendu pas propre à ce département. Le tourisme, la pêche, les activités ostréicoles et mytilicoles, la pratique sportive font que, quelle que soit la façade maritime, la plage est devenue un lieu très fréquenté qui nécessite une protection particulière en raison de son caractère fragile.

6Dès avant la consécration d’un droit de l’environnement, la plage a fait l’objet d’une protection innommée et accessoire à travers l’institution de parcs nationaux. Le Parc national de Port Cros est la plus parfaite illustration de cette protection. En effet, aucune disposition du décret du 14 décembre 1963 créant le parc national de Port Cros [1] ne comporte de disposition ayant pour objet direct la protection des plages. Cependant, la réglementation de l’urbanisme et plus généralement des travaux immobiliers dans le parc ainsi que la réglementation de l’accès, de la navigation, du mouillage et de l’accostage des bateaux peuvent s’analyser comme une protection innommée et accessoire des plages.

7On retrouve cette protection innommée et accessoire dans la réglementation du parc national des Calanques qui est le plus récent des parcs nationaux. C’est ainsi que le décret instituant le parc national des Calanques prévoit que sont interdites, soumises à autorisation ou à réglementation du directeur du parc certaines activités qui auront pour conséquence indirecte de protéger les plages se trouvant dans le cœur du parc.

8Sont interdits l’usage de véhicules nautiques à moteur et la pratique de sports et loisirs nautiques tractés, les compétitions sportives motorisées et l’accès aux embarcations à moteur. Sont soumises à autorisation du directeur du parc le campement et le bivouac, l’organisation et le déroulement de manifestations publiques et notamment sportives. Enfin, peuvent être réglementées par le directeur du parc les activités sportives et de loisirs qu’elles soient pratiquées à titre individuel ou dans un groupe encadré par un professionnel [2].

9En droit positif, l’essentiel de la protection de la plage est assuré par les règles de la domanialité publique et par les règles d’urbanisme. La protection de la plage par le droit de l’environnement apparaît ainsi comme une protection complémentaire. Cependant, il ne faut pas perdre de vue que l’impératif environnemental irrigue les autres législations. L’exemple le plus frappant de ce phénomène est bien entendu fourni par le droit de l’urbanisme.

10Pour assurer son rôle complémentaire de protection de la plage, le droit de l’environnement déploie ses moyens les plus traditionnels qui sont : l’institution d’une police administrative, et l’institution d’une planification.

I – La protection par l’institution d’une police administrative spéciale

11Le code de l’environnement institue une police administrative spéciale innommée de protection des plages par la réglementation de l’extraction des matériaux et de l’accès aux plages.

A – L’existence d’une police administrative spéciale de protection de la plage

1 – L’identification de cette police environnementale

12Aucune disposition du code de l’environnement consacrée au littoral n’évoque expressément l’existence d’une police de protection des plages. Il n’y a pas en la matière d’équivalent de l’article L. 215-7 du code de l’environnement qui fonde la police des cours d’eaux non domaniaux [3].

13Cependant cette absence de consécration textuelle n’interdit pas d’affirmer qu’il existe une véritable police administrative spéciale de protection des plages dont les fondements se trouvent dans les pouvoirs conférés à l’autorité administrative et dans les buts visés dans l’exercice de ce pouvoir.

14On doit, tout d’abord, faire observer que la politique publique consacrée au littoral comporte un volet de protection des équilibres biologiques et écologiques, de lutte contre l’érosion, de préservation des sites et paysages et du patrimoine [4]. La plage, en tant que milieu naturel, relève donc de cette politique tant au titre de la lutte contre l’érosion qu’au titre de la préservation des sites et paysages.

15Le champ d’application territorial de cette politique est limité aux communes littorales [5].

16On doit, ensuite, remarquer que le législateur a confié à l’autorité administrative un pouvoir d’interdiction et un pouvoir d’autorisation lui permettant de mettre en œuvre cette politique. C’est ainsi que l’autorité administrative peut interdire ou limiter l’extraction des matériaux dès lors qu’une telle extraction risque de compromettre l’intégrité des plages [6]. Par ailleurs, l’accès aux plages peut être limité ou interdit pour des motifs tirés de la protection de l’environnement [7].

17On constate donc que la politique publique consacrée au littoral confie un pouvoir à l’administration lui permettant d’établir une réglementation tendant à assurer la protection des plages en tant que milieu naturel. On peut ainsi affirmer qu’il existe une police administrative spéciale environnementale de protection des plages.

2 – Un pouvoir de police confié à l’État

18Il ne ressort pas directement du code de l’environnement que cette police de la protection de la plage soit confiée à l’État. Cependant, la plage est un élément du domaine public maritime de l’État. Le pouvoir permettant d’assurer la protection de la plage relève ainsi de l’État. Concrètement, cette compétence sera exercée par le préfet du département.

19Cette compétence du préfet du département concerne aussi bien la police de l’extraction des matériaux que la police de l’accès au rivage. On doit remarquer que l’exercice de ce pouvoir de police du préfet en vue de la protection des plages est conditionné par un avis obligatoire du maire dès lors que la mesure envisagée a pour objet la délivrance d’une autorisation de circulation et de stationnement d’un véhicule terrestre à moteur sur les plages.

B – Le caractère complémentaire de cette protection

1 – Une police au domaine étroitement défini

20Le domaine de cette police de protection de la plage est étroitement défini par le code de l’environnement. Ne sont concernés que l’extraction des matériaux et l’accès à la plage.

21Le préfet peut interdire ou limiter l’extraction de certains matériaux dès lors que cette extraction est susceptible de compromettre directement ou indirectement l’intégrité des plages. L’objet de ce pouvoir est d’établir un pouvoir de contrôle du préfet sur l’extraction des matériaux afin de prévenir tout risque d’érosion consécutive à une extraction mal maîtrisée. Ce pouvoir d’interdiction ou de limitation d’extraction est limité à certains matériaux qui ne sont pas visés aux articles L. 111-1 et L. 111-2 du code minier. Concrètement, le préfet peut interdire ou limiter l’extraction de sables, de graviers ou de galets.

22Ce pouvoir de police ne peut s’exercer que sur le littoral. Or, le littoral est qualifié par le législateur d’entité géographique. Intuitivement, on perçoit que le littoral est une zone étroite de contact entre la mer et la terre. Cependant, dans l’application concrète du droit, on peut difficilement se contenter d’une définition intuitive. Conscient de cette difficulté, le législateur s’est efforcé de définir juridiquement les communes littorales dans lesquelles doit s’appliquer la politique publique du littoral. La définition des communes littorales, qui a elle-même soulevé quelques difficultés pratiques [8], permet, malgré tout, de clarifier quelque peu la situation. Cependant, cette définition des communes littorales n’épuise pas totalement la question du champ d’application des dispositions relatives au littoral. En effet, le territoire communal ne s’étend pas au sous-sol de la mer. La notion de communes littorales est donc insuffisante pour appréhender des travaux situés en mer. Le juge administratif saisi d’autorisation d’extraction en mer va devoir apprécier si ces travaux sont ou non effectués sur le littoral. Le critère utilisé est un critère de distance par rapport à la côte.

23Le Conseil d’État, saisi de la légalité d’un décret du 9 avril 1998, accordant une concession minière de sables siliceux marins, a jugé que « le décret attaqué accorde à six entreprises d’extraction de granulats une concession de sables siliceux marins d’une superficie de 8,2 kilomètres carrés portant sur les fonds du domaine public maritime situés à 4,5 milles marins des côtes du département de Loire-Atlantique et de celui de la Vendée ; que, cette concession ne se situant pas sur le littoral, le moyen tiré de ce qu’elle aurait été accordée en violation des dispositions précitées de l’article 24 de la loi du 3 janvier 1986 ne peut être accueilli » [9].

24Dans cet arrêt, le Conseil d’État juge que, dès lors que la concession est éloignée du rivage de la mer, elle ne peut être considérée comme ayant été délivrée sur le littoral et n’entre donc pas dans le champ d’application des dispositions visant à la protection du littoral. Cette doctrine est reprise par les juges du fond.

25La cour administrative d’appel de Nantes a ainsi pu considérer qu’ « il ressort des pièces du dossier et n’est pas contesté que la zone litigieuse d’extraction de sables siliceux marins se situe à environ quatre milles marins des côtes du département de la Vendée ; qu’à une telle distance du rivage, cette concession ne peut être regardée comme se situant sur le littoral et, en conséquence, comme entrant dans le champ d’application des dispositions précitées de l’article 24 de la loi du 3 janvier 1986 » [10].

26Ainsi, en droit positif, le littoral, appréhendé du côté terrestre, connaît une définition législative alors que le littoral, appréhendé du côté maritime, connaît une définition jurisprudentielle.

27Une telle définition asymétrique du littoral peut soulever des difficultés et placer le juge administratif dans des situations délicates car il lui appartiendra au regard des données de chaque espèce d’apprécier ce qui relève ou nom de la loi littoral dès lors que l’on se trouve « les pieds dans l’eau ».

28D’autre part, la mise en œuvre de ce pouvoir du préfet de limiter ou d’interdire l’extraction de certains matériaux peut se heurter au principe d’indépendance des législations. C’est ainsi que la cour administrative d’appel de Nantes a jugé qu’ « entrent dans le champ d’application de ces dispositions (art. L. 321-8 code de l’env.) les autorisations domaniales d’extraire des matériaux sur le domaine public maritime… ; qu’elles ne peuvent être utilement invoquées à l’appui d’une contestation dirigée contre une autorisation sur le fondement de la loi sur l’eau et non sur une autorisation domaniale. » [11]. En l’espèce, il s’agissait de savoir si les dispositions de l’article L. 321-8 du code de l’environnement fondant la police administrative spéciale de l’extraction des matériaux étaient applicables à un projet d’extension d’un port qui entraînait la réduction d’une zone humide. La Cour administrative d’appel de Nantes a répondu par la négative à cette question en fondant son analyse sur le principe de l’indépendance des législations. Cette solution paraît discutable car l’article L. 321-8 du code de l’environnement concerne toutes les formes du littoral y compris les marais, les vasières qui sont des éléments constitutifs du littoral répondant à la définition donnée par le législateur des zones humides [12]qui recouvre les terrains, exploités ou non, habituellement inondés ou gorgés d’eau douce, salée ou saumâtre de façon permanente ou temporaire.

29Le préfet peut, d’autre part, interdire ou limiter l’accès des piétons aux plages pour des raisons de protection de l’environnement. Ce pouvoir permet ainsi à l’administration de réglementer l’exercice de la liberté d’accès des piétons aux plages consacrée par l’article L. 321-9 du code de l’environnement.

30Cette possibilité pour l’administration de réglementer l’exercice d’une liberté n’est pas en soi une nouveauté. L’arrêt Benjamin du 19 mai 1933 affirme avec force la possibilité pour le pouvoir de police de prendre des mesures visant à limiter l’exercice d’une liberté. Plus fondamentalement, il est de la nature même du pouvoir de police de réglementer l’exercice des libertés. Dès lors, la question fondamentale n’est pas celle de savoir si le pouvoir de police peut ou non réglementer l’exercice d’une liberté. La question fondamentale est de savoir à quelle condition il peut le faire. En l’espèce, l’autorité de police peut interdire ou limiter l’accès des piétons pour des motifs de protection de l’environnement. La protection de l’environnement apparaît ainsi comme un motif légal de restriction à la liberté d’aller et venir. L’équilibre entre ces deux exigences reposera en dernière analyse sur le juge administratif qui, à travers son contrôle de la mesure de protection de l’environnement, devra veiller à la conciliation de ses deux impératifs qui peuvent se révéler quelquefois contradictoires.

31Le préfet peut, enfin, après avis du maire, autoriser la circulation et le stationnement des véhicules terrestres à moteur sur les plages. La loi permet ainsi à l’autorité de police d’autoriser des dérogations à l’interdiction qu’elle pose à l’article L. 321-9 du code l’environnement qui limite en principe l’accès à la plage aux seuls véhicules de secours, de police et d’exploitation. Ce pouvoir autorisant l’autorité de police à déroger à l’interdiction posée par la loi est surtout utilisé pour l’organisation de manifestations sportives sur les plages.

2 – Une mesure visant la protection de l’environnement

32L’intervention de la mesure de police doit viser la protection de l’environnement. La prise en compte de cette exigence environnementale se fera différemment selon le domaine dans lequel on se trouve.

33En matière d’extraction de matériaux ou de circulation de véhicule terrestre à moteur, le principe est celui de l’interdiction de telles activités sur la plage. La prise en compte de la protection de l’environnement s’effectuera donc dans l’arrêté autorisant par dérogation soit l’extraction de matériaux soit la circulation des véhicules terrestres à moteur. Le juge administratif vérifiera si l’arrêté comporte des mesures suffisantes et effectives de protection de l’environnement.

34En matière de circulation des piétons sur la plage, le principe est celui de la liberté d’aller et venir sur la plage. La réglementation de police dont l’objet est de limiter cet accès devra être justifiée par la nécessaire protection de l’environnement.

35La protection de l’environnement visée par la mesure de police est définie par la loi et recouvre la protection des équilibres biologiques et écologiques, la lutte contre l’érosion, la préservation des sites et paysages et du patrimoine. Le contrôle exercé par le juge administratif sur la prise en compte par le préfet de cette exigence de protection de l’environnement est poussé.

36Il faut cependant bien reconnaître que certains impératifs économiques peuvent quelquefois être inconsciemment mis en balance. Dans l’affaire de l’enduro du Touquet, on voit la Cour d’appel [13] motiver avec soin son arrêt en relevant dans l’arrêté préfectoral en litige les différentes mesures prises pour assurer la protection de l’environnement alors même qu’une partie de l’épreuve se déroule dans les dunes bordant la plage et que les mesures de protection prévues paraissent très relatives à quiconque a fréquenté des courses de moto. Il faut ici relever que le Tribunal administratif de Lille avait annulé cet arrêté autorisant l’épreuve pour, entre autres motifs, l’insuffisante prise en compte par l’arrêté des atteintes aux milieux naturels.

37Il est d’ailleurs intéressant de noter que l’enduro du Touquet n’a plus lieu dans sa configuration initiale. Les organisateurs ont modifié la formule. La course se déroule aujourd’hui uniquement sur la plage et en une seule manche. La mise en place de cette nouvelle formule souligne que les mesures censées protéger les dunes étaient très relatives dès lors que la course se déroulait en leur sein.

38Quelquefois, la prise en compte de pratiques traditionnelles vient justifier les dérogations aux interdictions de circulation. C’est ainsi que la pêche à pied est une pratique traditionnelle dans les départements connaissant une forte marée.

3 – Le renvoi à d’autres législations

39L’essentiel de la protection de la plage est posé par d’autres législations sur renvoi explicite du code de l’environnement.

40C’est ainsi, tout d’abord, que le code de l’environnement renvoie aux dispositions du code minier afin de définir les conditions d’extraction des matériaux [14]. Or, l’objet principal du code minier n’est pas d’assurer la protection des plages contre l’érosion ou les pollutions. Dès lors, on peut estimer qu’il y a là un risque majeur pesant sur l’intégrité des plages par l’absence de prise en compte de l’impératif de protection de l’environnement par l’administration lors de la délivrance des autorisations d’exploitation. En fait, la prise en compte de l’impératif environnemental se fera par l’application aux exploitations minières en cause du régime des installations classées prévu par le code de l’environnement. En outre, il faut faire observer que le principe d’indépendance des législations n’est pas applicable dans les relations entre la loi et la Constitution. Ces relations sont établies sur la base du principe de hiérarchie des normes. Dans ce cadre, le principe constitutionnel de précaution pourra trouver à s’appliquer et conduire à l’annulation d’une décision administrative méconnaissant les exigences de ce principe. Il est vrai que cette garantie par le principe de précaution peut d’une certaine manière s’avérer illusoire car on se heurte en pratique à une difficulté de preuve importante puisqu’il est de l’essence même du principe de précaution de nécessiter la preuve d’un fait incertain [15].

41Par ailleurs, le code de l’environnement renvoie explicitement au code de l’urbanisme pour l’exécution de tous travaux, constructions et installations ainsi que pour l’accueil des navires de plaisance dans les sites naturels qui doit s’effectuer dans les conditions prévues par les schémas de mise en valeur de la mer [16].

42Enfin, le code de l’environnement renvoie au code général de la propriété publique pour les décisions relatives à l’utilisation du domaine public maritime dont la plage est l’une des composantes ainsi que pour la préservation de l’état naturel du rivage [17].

II – La protection des plages par la planification environnementale

43La loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement a consacré l’institution de « La politique pour les milieux marins » codifiée aux articles L. 219-1 et suivants du code de l’environnement. Cette loi constitue la transposition en droit interne de la directive communautaire du 17 juin 2008 [18] dont le délai de transposition expirait le 15 juillet 2010.

44Cette politique se concrétise par deux volets constitués par la gestion intégrée de la mer et du littoral et par la protection et la préservation du milieu marin. Seul le premier volet de cette politique nous intéresse pour souligner la problématique de la protection indirecte de la plage par la politique pour les milieux marins.

45La gestion intégrée de la mer et du littoral se décline à travers deux documents de planification dont il conviendra d’apprécier la portée du point de vue de la protection des plages.

A – La planification de la gestion integrée de la mer et du littoral

46La gestion intégrée de la mer et du littoral se concrétise par l’élaboration de deux documents de planification constitués par l’élaboration au niveau national d’une stratégie nationale pour la mer et le littoral et par la rédaction au niveau déconcentré d’un document stratégique de façade.

1 – La stratégie nationale pour la mer et le littoral

47La stratégie nationale pour la mer et le littoral est un document de planification élaboré par l’État qui fixe des principes et orientations générales en vue d’assurer la protection du milieu, la valorisation des ressources marines et la gestion concertée des activités liées à la mer et au littoral. Ce document est élaboré par l’État en concertation avec les collectivités territoriales, la communauté scientifique, les acteurs socio-économiques et les associations de protection de l’environnement. Par ailleurs, le public est consulté par voie électronique. La stratégie nationale pour la mer et le littoral est adoptée par décret, après avis du Conseil national de la mer et des littoraux.

48La stratégie nationale pour la mer et le littoral est révisée tous les 6 ans en application du principe du parallélisme des formes.

49La protection de l’environnement est prise en compte au titre de la stratégie nationale dans la mesure où ce document doit définir entre autres les orientations et les principes permettant d’assurer la protection des milieux, des ressources, des équilibres biologiques et écologiques ainsi que la préservation des sites, des paysages et du patrimoine, la prévention des risques et la gestion du trait de côte.

2 – Le document stratégique de façade

50Le document stratégique de façade détermine, dans le respect des objectifs et orientations définis par la stratégie nationale, les objectifs de la gestion intégrée pour la façade maritime considérée ainsi que les dispositions permettant d’atteindre ces objectifs. L’objet du document stratégique de façade est donc de préciser et de compléter les orientations de la stratégie nationale.

51Il traite obligatoirement de la protection des milieux, des ressources, des équilibres biologiques et écologiques ainsi que la préservation des sites, des paysages et du patrimoine, la prévention des risques et la gestion du trait de côte.

52Il présente un bilan de la situation, établit les perspectives d’évolution et peut définir des zones à vocation particulière. Il comporte un rapport, des annexes et des documents graphiques. Le document stratégique de façade est élaboré, adopté et mis en œuvre sous l’autorité des préfets coordonnateurs désignés pour chaque façade maritime (préfet maritime et préfet de région).

53Le document stratégique de façade doit être compatible avec la stratégie nationale pour la mer et le littoral.

B – La portée de la gestion integrée de la mer et du littoral

54Les promoteurs de cette politique entendent donner à celle-ci la portée la plus étendue possible.

55En effet, cette politique est fondée sur le constat de l’inadaptation actuelle des mécanismes juridiques qui privilégient une approche sectorielle de la mer et du littoral. Il s’agit donc de promouvoir une gestion intégrée qui permettrait de mieux concilier les exigences contradictoires que sont la protection de l’environnement et les impératifs économiques et sociaux.

56La plage, élément du littoral, est ainsi indirectement concernée par les objectifs et orientations de protection de l’environnement qui seront définies au titre de la stratégie nationale pour la mer et le littoral.

57Or, cette gestion intégrée se heurte à notre vieux principe de droit administratif de l’indépendance des législations qui veut que les exigences posées par chaque législation demeurent parallèles. Il faut garder à l’esprit que ce vieux principe est un élément fondamental de la protection de la liberté des citoyens administrés et tous les principes nouveaux de participation des administrés à la décision et de transparence du processus décisionnel ne permettront jamais de garantir la liberté de tel individu concret. La liberté de l’individu ne sera préservée qu’à la condition que le pouvoir de l’administration soit lui-même étroitement borné.

58Le législateur a posé le principe selon lequel toute décision administrative relative à la mer ou au littoral devait être compatible avec le document stratégique de façade et a confié au pouvoir réglementaire le soin de définir les schémas et les plans entrant dans le champ de ce rapport de compatibilité. Le législateur souhaite ainsi donner à cette politique publique la plus grande portée en évitant qu’elle soit limitée par l’application du principe d’indépendance des législations.

59La loi instituant cette obligation de compatibilité a été adoptée le 12 juillet 2010. Le décret d’application [19] a été publié sans déterminer les documents devant être mis en compatibilité. Il appartiendra donc au juge administratif d’apprécier les documents qui devront être mis en compatibilité. Cette indétermination soulève bien évidemment un problème de sécurité juridique ouvrant la voie à de nombreux contentieux.

60Les risques contentieux sont d’autant plus grands que cette planification pour la mer n’a pas su, n’a pas voulu, ou encore n’a pas pu intégrer l’expérience que l’on peut tirer du droit de l’urbanisme en matière de planification territoriale. En effet, le législateur pose l’obligation pour le document stratégique de façade de respecter les principes et orientations posées par la stratégie nationale pour la mer et le littoral [20]. Il semble donc que la stratégie nationale ne soit pas directement opposable et constitue une directive permettant l’élaboration des documents stratégiques de façade. Si cette lecture du mécanisme institué par le législateur est exacte, on peut craindre que le législateur ait reproduit la situation qu’il avait créée, dans le domaine du droit de l’urbanisme, en matière de schémas directeurs locaux. Les schémas directeurs locaux avaient la nature juridique de directive. Faute d’avoir fait l’objet de révision régulière, ces documents d’urbanisme sont devenus obsolètes et ont conduit le juge administratif à écarter des plans d’occupation des sols pertinents au profit de schémas directeurs locaux obsolètes [21]. Or, cette situation peut parfaitement se reproduire dans la mesure où le législateur a prévu la révision tous les six ans de la stratégie nationale sans prévoir de sanction juridique à une éventuelle inertie administrative [22]. Dès lors, on peut très bien imaginer une stratégie nationale pour la mer et le littoral devenu obsolète conduisant à une remise en cause de la validité de document stratégique de façade. Cette remise en cause de la validité du document stratégique de façade pourra très bien s’étendre aux documents et décisions devant être compatibles avec celui-ci. Il y a ici une possibilité de contagion qui peut s’étendre à d’autres politiques publiques

61On doit ici faire observer que d’ores et déjà l’impact sur le droit de l’urbanisme sera présent car on ne voit pas très bien comment la planification en matière d’eau prévue par le code de l’environnement échappera à l’obligation de mise en compatibilité des SDAGE et des SAGE avec le document stratégique de façade. Or, le code de l’urbanisme impose la compatibilité des SCOT et PLU avec la planification en matière d’eau [23]. Il faut également observer que par ce biais ce ne sont pas que les communes littorales qui verront potentiellement impacter leur document d’urbanisme. On peut très bien imaginer que le document stratégique de la façade Méditerranée comporte des éléments en termes de qualité des eaux qui nécessitent la mise en compatibilité du SDAGE Rhône-Méditerranée ce qui emportera des conséquences en matière de droit de l’urbanisme jusqu’à Lyon.

62En guise de conclusion, on peut faire observer que le droit de l’environnement n’apporte pas directement une protection des plages très étendue. Cette protection se concrétise principalement par d’autres législations que le droit de l’environnement cherche à orienter. Ces quelques éléments permettent de douter de la possibilité d’aboutir à une simplification des normes. Par ailleurs, la politique de décentralisation de l’urbanisme, consacrée en 1983 et qui n’a jamais été remise en cause depuis, est de plus en plus encadrée par l’État au moyen de l’impératif environnemental qui apparaît bien souvent comme un puissant levier de recentralisation.


Mise en ligne 14/08/2015

Notes

  • [1]
    Décret n° 63-1235 du 14 décembre 1963 créant le parc national de Port-Cros, JORF 17 décembre 1963, p. 11192.
  • [2]
    Article 15 du décret n° 2012-507 du 18 avril 2012 créant le Parc national des Calanques, JORF du 19 avril 2012, p. 7048.
  • [3]
    L’article L. 215-7 du code de l’environnement dispose que : « L’autorité administrative est chargée de la conservation et de la police des cours d’eau non domaniaux. Elle prend toutes dispositions pour assurer le libre cours des eaux ».
  • [4]
    L’article L. 321-1 du code de l’environnement prévoit que : « I. - Le littoral est une entité géographique qui appelle une politique spécifique d’aménagement, de protection et de mise en valeur.
    II. - La réalisation de cette politique d’intérêt général implique une coordination des actions de l’État et des collectivités locales, ou de leurs groupements, ayant pour objet : (…)
    2° La protection des équilibres biologiques et écologiques, la lutte contre l’érosion, la préservation des sites et du paysage et du patrimoine ».
  • [5]
    L’article L. 321-2 du code de l’environnement prévoit que : « Sont considérées comme littorales, (…), les communes (…) :
    1° riveraines des mers et océans, des étangs salés, des plans d’eau intérieurs d’une superficie supérieure à 1 000 hectares ;
    2° riveraines des estuaires et des deltas lorsqu’elles sont situées en aval de la limite de salure des eaux et participent aux équilibres économiques et écologiques littoraux… ».
  • [6]
    L’article L. 321-8 du code de l’environnement prévoit que : « Les extractions de matériaux non visées aux articles L. 111-1 et L. 111-2 du code minier sont limitées ou interdites lorsqu’elles risquent de compromettre, directement ou indirectement, l’intégrité des plages… ».
  • [7]
    L’article 321-9 du code de l’environnement prévoit que : « L’accès des piétons aux plages est libre sauf si des motifs justifiés par des raisons de sécurité de défense nationale ou de protection de l’environnement nécessitent des dispositions particulières… ».
  • [8]
    CE, 14 novembre 2012, Société Néo Plouvien, req. n° 347778, AJDA 2013, p. 308, note « Qu’est-ce qu’une commune littorale » par Gweltaz Eveillard, AJDA 2013, p. 309.
  • [9]
    CE 5 juillet 1999, Comité local des pêches maritimes et des élevages marins de Noirmoutier et Comité local des pêches maritimes et des élevages marins de Loire-Atlantique Sud, req. n° 197287.
  • [10]
    CAA Nantes 30 novembre 2004, Comité local des pêches maritimes et des élevages marins des Sables d’Olonnes, req n° 02NT01292.
  • [11]
    CAA Nantes, 4 mai 2006, Association de défense des riverains et usagers du littoral de Formentine-La Barre des monts et groupement des usagers du littoral fromentinois, req. n° 00NT02032.
  • [12]
    Art. L. 211-1 du code de l’environnement.
  • [13]
    CAA Douai, 18 janvier 2005, Association Le Moto-Club des Sables, req. n° 03DA00361.
  • [14]
    Article L. 321-8 du code de l’environnement.
  • [15]
    CE, 19 juillet 2010, Association du quartier « Les Hauts de Choiseul », n° 328687.
  • [16]
    Article L. 321-7 et L. 321-3 du code de l’environnement.
  • [17]
    Article L. 321-6 du code de l’environnement.
  • [18]
    Directive 2008/56/CE du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 établissant un cadre d’action communautaire dans le domaine de la politique pour le milieu marin, JOUE L 164, 25 juin.
  • [19]
    Décret 2012-219 du 16 février 2012 relatif à la stratégie nationale pour la mer et le littoral et aux documents stratégiques de façade, JORF 17 février 2012, p. 2781.
  • [20]
    Art. L. 219-3 du code de l’environnement.
  • [21]
    CE 18 mai 1988, req. n° 55881.
  • [22]
    Art. L. 219-2 du code de l’environnement.
  • [23]
    Art. L. 123-1-9 du code de l’urbanisme.
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