Couverture de RJE_133

Article de revue

Un prélude en demi-teinte : à propos de la décision n˚ 2013-666 DC-Loi visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre

Pages 425 à 432

Notes

  • [1]
    Loi n° 2013-312 du 15 avril 2013 visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre et portant diverses dispositions sur la tarification de l’eau et sur les éoliennes, JORF, n° 0089 du 16 avril 2013, p. 6208 ; M.-C. de Montecler, « Adoption définitive de la proposition de loi Brottes sur la transition énergétique », AJDA 2013 p. 550 ; Cons. const., déc. n° 2000-441 DC du 28 décembre 2000, Loi de finances rectificative pour 2000 ; Cons. const., déc. n° 2009-599 DC du 29 décembre 2009, Loi de finances pour 2010 ; Cons. const., 4 février 2011, n° 2010-97 QPC.
  • [2]
    Cons. const., déc. n° 2013-666 DC du 11 avril 2013, note M.-C de Montecler, AJDA 2013, p. 771 ; JCP E, n° 16, 18 avril 2013, act. 290 ; JCP A, n° 17, 22 avril 2013, act. 365 ; T. Garancher et J.-N. Clément, BDEI, 2013, n° 45, « Rubrique de jurisprudence de droit de l’énergie » (Oct. 2012 – Mars 2013).
  • [3]
    Code de l’énergie, article L. 132-2.
  • [4]
    Code de l’énergie, article L. 131-2.
  • [5]
    Code de l’énergie, articles L. 134-25 et L. 134-29.
  • [6]
    Code de l’énergie, article L. 134-25.
  • [7]
    Code de l’énergie, article L. 122-1.
  • [8]
    Code de l’action sociale et des familles (CASF), article L. 115-3.
  • [9]
    Ibid.
  • [10]
    CGCT, article L. 2224-31.
  • [11]
    CGCT, article L. 2224-12-1.
  • [12]
    Code de l’énergie, article L. 232-1.
  • [13]
    Cons. const., déc. n° 2008-564 DC du 19 juin 2008, Loi relative aux organismes génétiquement modifiés (OGM), cons. 10 ; Cons. const., déc. n° 2011-625 DC du 10 mars 2011, Loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, cons. 81 ; Cons. const., déc. n° 2011-629 DC du 12 mai 2011, Loi de simplification et d’amélioration de la qualité du droit, cons. 9.
  • [14]
    Cons. 4.
  • [15]
    Cons. const., déc. n° 2000-441 DC du 28 décembre 2000, Loi de finances rectificative pour 2000, cons. 34 ; S. Caudal, « Un nouvel obstacle pour l’écotaxe sur l’énergie, commentaire de l’extrait de la décision du Conseil constitutionnel n° 2000-411 DC du 28 décembre 2000, concernant l’extension de la taxe générale sur les activités polluantes à l’énergie », RJE, n° 2/2001, p. 215-230.
  • [16]
    Cons. const., déc. n° 2009-599 DC du 29 décembre 2009, Loi de finances pour 2010, cons. 82 ; P. Thieffry, « La taxe carbone contraire à l’objectif de lutte contre le changement climatique », AJDA 2010, p. 1 ; W. Mastor, « La contribution carbone à la lumière de la décision du Conseil constitutionnel du 29 décembre 2009 : chronique d’une mort - et d’une renaissance ? - annoncées », AJDA 2010, p. 277 ; Ph. Billet, « Trop d’exonérations tuent la taxe », Env., n° 2, alerte 14, février 2010 ; dans le même sens, concernant la taxe communale sur l’électricité : Cons. const., 4 février 2011, n° 2010-97 QPC ; AJDA, 2011, p. 246 ; AJCT 2011, p. 193, note Scanvic ; JCP A 2011, n° 10, p. 27, note Fleury et Schaeffer; JCP 2012, n° 27, p. 1344, chron. Mathieu et Verpeaux ; LPA, 2012, n° 152, p. 23, note Baghastani.
  • [17]
    Cons. 12.
  • [18]
    Cons. 13.
  • [19]
    Cons. 17.
  • [20]
    M. Lombard, S. Nicinski et E. Glaser, « Actualité du droit de la concurrence et de la régulation », AJDA 2013, p. 1260.
  • [21]
    CGCT, article L. 2224-34.
  • [22]
    F. Tesson et O. Bonneau, « Vers un droit public de l’économie d’énergie ? Les collectivités territoriales face à leurs nouvelles obligations », AJDA 2012, p. 2256.
  • [23]
    Code de l’énergie, article L.232-1-II.
  • [24]
    Code de l’énergie, article L. 321-10.
  • [25]
    Cons. const., déc. n° 2004-501 DC du 5 août 2004, Loi relative au service public de l’électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières.
  • [26]
    CE, 3 mai 2011, SA Voltalis, n° 331858.
  • [27]
    Autorité de la concurrence, Avis n° 12-A-19 du 26 juillet 2012 concernant l’effacement de consommation dans le secteur de l’électricité.
  • [28]
    Cons. 20.
  • [29]
    Cons. 24.
  • [30]
    Cons. 25.
  • [31]
    M.-C. de Montecler, « L’éolien surgit dans le débat sur la tarification de l’énergie », AJDA 2012, p. 1880.
  • [32]
    Cons. 31.
  • [33]
    Cons. 35.
  • [34]
    Ibid.
  • [35]
    Cons. 40.
  • [36]
    Code de l’urbanisme, article L.146-6, alinéa 3.

1La consolidation du système juridique en faveur de la transition énergétique implique de multiples réformes à l’origine de contentieux. La loi du 15 avril 2013 s’oriente dans cette voie en comportant une mesure phare sur la tarification de l’énergie, domaine particulièrement sujet à la censure constitutionnelle [1]. Elle s’inscrit dans un parcours législatif tourmenté suite à un rejet en première lecture par le Sénat, puis un échec en commission mixte paritaire. Elle a également bénéficié de profondes mutations partant initialement de huit articles pour en compter vingt-neuf au final. Dès lors, en complément des dispositions soumises au contentieux figure une série d’innovations [2].

2Sur le plan institutionnel, la loi modifie la composition de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) passant de cinq à six membres [3]. Une innovation majeure réside dans la précision de leurs spécialités, un premier étant nommé par le président de l’Assemblée nationale en raison de ses qualifications dans la protection des données personnelles, tandis que celui nommé par le président du Sénat sera compétent dans le domaine des services publics locaux de l’énergie. Les membres nommés par décret devront être respectivement qualifiés dans les champs de la protection des consommateurs d’énergie et de la lutte contre la précarité énergétique ; la maîtrise de la demande d’énergie et les énergies renouvelables ; le troisième devant bénéficier d’une connaissance et d’une expérience des zones non interconnectées. La composition du collège doit également respecter la parité entre les femmes et les hommes. La CRE [4], son président [5] et le Comité de règlement des différends et des sanctions (CORDIS) [6] se voient enfin attribuer de nouvelles compétences. Le médiateur national de l’énergie dispose ensuite de prérogatives renforcées pour recommander des solutions aux différends entre les consommateurs et les gestionnaires de réseau de distribution d’électricité ou de gaz naturel, englobant notamment les litiges de raccordement avec ERDF et GRDF [7].

3Sur le plan matériel, le droit à l’énergie est étendu en interdisant dans une résidence principale l’interruption des coupures d’électricité, de chaleur ou de gaz pendant la trêve hivernale, alors que le dispositif antérieur était limité aux personnes bénéficiant ou ayant bénéficié, dans les douze derniers mois, d’une décision favorable d’attribution d’une aide du fonds de solidarité pour le logement [8]. Néanmoins, les fournisseurs d’électricité demeurent en droit de procéder à une réduction de puissance, sauf à l’égard des consommateurs bénéficiant de la tarification spéciale « produit de première nécessité » [9]. Les autorités organisatrices de la distribution d’énergie sont désormais chargées de contrôler la mise en œuvre de la tarification sociale [10]. Enfin, cette mesure devient applicable aux gestionnaires des résidences sociales mentionnées à l’article L. 633-1 du Code de la construction et de l’habitation étendant ainsi son éligibilité auprès de huit millions de personnes.

4Dans le prolongement, les articles 27 et 28 de la loi inaugurent un mécanisme de tarification sociale de l’eau. Celle-ci résulte de la possibilité de prévoir que les occupants d’immeubles à usage principal d’habitation peuvent constituer une catégorie d’usagers [11] et qu’une expérimentation pourra être engagée en leur faveur par les collectivités territoriales organisatrices des services d’eau et d’assainissement, pour une période de cinq années afin de favoriser l’accès à l’eau et mettre en œuvre une tarification sociale dans ce domaine.

5La loi du 15 avril 2013 contient donc des innovations essentielles pour amorcer la transition énergétique. D’autres mesures ont été soumises au Conseil constitutionnel qui devait se prononcer sur trois séries de griefs relatifs au « bonus-malus » sur les consommations domestiques d’énergie, l’activité d’effacement des consommations d’électricité et un allègement du régime juridique applicable aux éoliennes. En vue de prévenir l’inconstitutionnalité du bonus-malus, le Conseil d’Etat avait rendu un avis le 6 décembre 2012 à la demande du ministre de l’Ecologie, du Développement durable et de l’Energie. Cette mesure n’aura pas permis d’éviter la censure (I) contrairement aux instruments relatifs à l’amélioration qualitative de l’énergie qui ont été validés (II).

I – La censure du bonus-malus sur les consommations domestiques d’énergie

6Le législateur a institué un service public de la performance énergétique de l’habitat ayant pour objet d’assurer « l’accompagnement des consommateurs souhaitant diminuer leur consommation énergétique. Il assiste les propriétaires et les locataires dans la réalisation des travaux d’amélioration de la performance énergétique de leur logement et leur fournit des informations et des conseils personnalisés » [12]. Pour garantir sa mise en œuvre, la proposition de loi prévoyait la création d’un « bonus-malus dont l’objectif est d’inciter les consommateurs domestiques à réduire leur consommation d’énergie de réseau » aux articles L. 230-1 et suivants du Code de l’énergie. Saisi de multiples griefs, le Conseil constitutionnel a validé ce dispositif au regard de l’exigence de clarté et de sincérité des débats parlementaires (A), mais l’a censuré au fond car contraire au principe d’égalité devant les charges publiques (B).

A – Un dispositif conforme à l’exigence constitutionnelle de clarté et de sincérité des débats parlementaires

7Les critiques des sénateurs portaient sur l’article 2 de la proposition de loi, dont la rédaction avait été entièrement renouvelée par la Commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale. Ils estimaient que la seule lecture dont ils avaient bénéficié concernant ces dispositions conduisait à méconnaître l’exigence constitutionnelle de clarté et de sincérité des débats parlementaires tirée de l’économie de l’article 45 de la Constitution « du fait de leur technicité et de leur nouveauté ».

8Le Conseil s’est appuyé sur une jurisprudence bien établie dans ce domaine en considérant que « les adjonctions ou modifications qui peuvent être apportées après la première lecture par les membres du Parlement et par le Gouvernement doivent être en relation directe avec une disposition restant en discussion, c’est-à-dire qui n’a pas été adoptée dans les mêmes termes par l’une et l’autre assemblées ; que, toutefois, ne sont pas soumis à cette dernière obligation les amendements destinés à assurer le respect de la Constitution, à opérer une coordination avec des textes en cours d’examen ou à corriger une erreur matérielle » [13]. Faisant application du principe, les sages ont validé ces adjonctions au motif que « cet amendement avait pour objet de modifier une disposition restant en discussion à ce stade de la procédure » [14]. En revanche, l’examen au fond s’est révélé préjudiciable pour les auteurs de la proposition législative.

B – Des dispositions contraires au principe d’égalité devant les charges publiques

9Le bonus-malus avait exclusivement vocation à s’appliquer aux consommations domestiques concernant trois énergies de réseaux : l’électricité, le gaz naturel et la chaleur. Il excluait donc des énergies telles que le pétrole, le charbon, le fioul et le bois. Le système comprenait un barème en trois tranches fondé sur la quantité d’énergie consommée définie par résidence et établissait un « volume de base » pour chaque source. Un bonus était prévu pour des consommations inférieures à cette limite tandis qu’un malus s’appliquait en cas de dépassement. Les montants des bonus et des malus devaient s’équilibrer et un fonds de compensation devait être créé pour corriger les déséquilibres éventuels entre les fournisseurs.

10Des régimes juridiques distincts étaient prévus selon les types de logements. Pour les résidences principales, le volume de base résultait d’une combinaison de trois facteurs reposant sur le nombre de personnes résidant dans le logement, la localisation géographique et le mode de chauffage principal. Un système similaire s’appliquait aux résidences secondaires, excluant toutefois les avantages tirés du nombre de résidants. Un régime spécifique concernait enfin le chauffage collectif.

11Les requérants invoquaient une violation de l’égalité devant les charges publiques à double titre. D’une part, le grief portait sur le champ restrictif du dispositif qui opèrerait une différence de traitement entre les usagers selon que l’énergie soit ou non distribuée par des réseaux. En ce sens, le Conseil a rappelé la jurisprudence appliquée concernant la taxe générale sur les activités polluantes aux consommations intermédiaires d’énergie selon laquelle « le principe d’égalité ne fait pas obstacle à ce que soient établies des impositions spécifiques ayant pour objet d’inciter les redevables à adopter des comportements conformes à des objectifs d’intérêt général, pourvu que les règles qu’il fixe à cet effet soient justifiées au regard desdits objectifs » [15]. Le dispositif devait donc éviter les déboires de la « contribution carbone » à l’égard de laquelle le Conseil considérait que « par leur importance, les régimes d’exemption totale institués par l’article 7 de la loi déférée sont contraires à l’objectif de lutte contre le réchauffement climatique et créent une rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques » [16]. En vue de prévenir la censure, l’exposé des motifs de l’amendement modifiant l’article 2 fondait cette différence de traitement sur des coûts d’investissement élevés liés au développement de la distribution des énergies de réseau. Cette exégèse fut validée par le Conseil en se basant sur « les coûts élevés d’investissement nécessaires au développement tant de la distribution de ces énergies que, pour l’électricité, des nouvelles capacités de production et, d’autre part, les modalités particulières selon lesquelles ces énergies sont distribuées » [17]. Ce fondement impliquait alors de retenir une pratique similaire concernant l’ensemble des usagers des énergies de réseaux. Or, en excluant les consommations professionnelles alors que certaines sont soumises aux mêmes règles tarifaires et pèsent tout autant sur les coûts de production et de distribution des énergies de réseaux, les sages ont retenu que la différence de traitement entre les consommations professionnelles et domestiques méconnaissait le principe d’égalité devant les charges publiques [18].

12D’autre part, le Conseil a considéré que le régime juridique applicable aux immeubles collectifs pourvus d’installations communes de chauffage et alimentés par une énergie de réseau violait ce principe. L’exégèse résulte du fait qu’en cas d’impossibilité technique d’installer des compteurs individuels, la répartition du bonus-malus devait s’effectuer au prorata de la participation à la catégorie des charges incluant le chauffage collectif. Or, près de 90 % des logements situés dans des immeubles collectifs équipés de chauffage collectif ne sont actuellement pas dotés d’un dispositif de comptage et nombre d’entre eux ne le seraient vraisemblablement pas au 1er janvier 2015, date à laquelle l’installation des compteurs individuels devait être généralisée sauf impossibilité technique. Dès lors, en se fondant sur un référentiel déconnecté des consommations réelles individuelles, le régime juridique ne répondait pas à l’objectif de responsabiliser les usagers au regard de leur consommation domestique. Les mesures retenues concernant les logements dotés de compteurs individuels n’étaient pas plus satisfaisantes au motif que si le nombre de personnes pris dans chaque foyer était intégré dans un calcul du bonus-malus au niveau de l’immeuble, la répartition de celui-ci entre les copropriétaires était ensuite définie selon une clé de répartition étrangère aux volumes de consommation, cette absence de prise en compte des comportements individuels étant contraire aux objectifs de la loi. De surcroît, cette répartition du bonus-malus s’opérait sans distinguer le caractère principal ou occasionnel du logement. Ces difficultés ont conduit à la censure constitutionnelle pour manquement au respect de l’égalité devant les charges publiques [19].

13En censurant le bonus-malus en se fondant sur une conception très formelle de l’égalité, le Conseil constitutionnel a amputé l’une des mesures phares de la proposition de loi [20]. Néanmoins, les compétences des collectivités territoriales dans la maîtrise de la demande d’énergies de réseau des consommateurs finals [21] et l’instauration d’un plan de rénovation énergétique de l’habitat du 21 mars 2013 démontrent l’existence d’autres mécanismes concourant au service public de la performance énergétique de l’habitat [22]. La remise d’un rapport gouvernemental au Parlement sur les différents volets de ce service dans les neuf mois à compter de la publication de la loi conforte le sentiment d’une consolidation progressive de son régime juridique [23]. Ses moyens pourraient être précisés dans le projet de loi de programmation prévu à l’automne prochain. Dans l’attente, des réalisations pourront intervenir dans le cadre des dispositions législatives validées par le Conseil constitutionnel.

II – La validation des instruments sur l’amélioration qualitative de l’énergie

14Deux mesures essentielles concernant la transition énergétique ont été validées par les sages. La première concerne l’activité d’effacement des consommations d’électricité (A) et la seconde se réfère à un allègement du régime juridique applicable aux éoliennes (B).

A – La constitutionnalité de l’activité d’effacement des consommations d’électricité

15L’effacement s’inscrit dans la mission confiée au gestionnaire du réseau public de transport d’électricité consistant à assurer un équilibre entre la production et la consommation pour garantir l’approvisionnement [24]. Cette activité vise à éviter une surcharge du réseau et implique la signature de « contrats de réservation de puissance » avec des opérateurs économiques qui s’engagent à réduire leur consommation d’électricité moyennant rémunération. Alors que ce dispositif avait été validé par le Conseil constitutionnel pour les gros consommateurs [25], il fut ensuite enrichi par des effacements diffus concernant une multitude de sites de consommation. Afin d’encadrer cette spécificité, la CRE avait adopté une délibération prévoyant une rémunération des fournisseurs d’électricité par l’opérateur d’effacement, censurée par le Conseil d’Etat pour violation de la loi [26]. De son côté, l’Autorité de la concurrence émettait des doutes sérieux quant à la légalité d’un agrément préalable des opérateurs d’effacement diffus par des responsables d’équilibre [27]. Le législateur est donc intervenu pour sécuriser ce régime juridique, se heurtant à trois griefs des parlementaires.

16Le premier concernait l’incompétence négative du législateur à propos de l’article L. 271-1 du Code de l’énergie renvoyant à un décret en Conseil d’Etat pris sur proposition de la CRE, la détermination de la « méthodologie utilisée pour établir les règles permettant la valorisation des effacements de consommation d’électricité ». Le moyen fut écarté par les sages, considérant qu’en définissant l’activité et en prévoyant les mécanismes financiers pour garantir la rémunération des fournisseurs d’électricité, le législateur n’avait pas méconnu l’étendue de sa compétence [28].

17Dans un deuxième grief, les députés estimaient que la possibilité pour les opérateurs d’effacer les consommations entraînait une privation du droit de propriété au sens de l’article 17 de la Déclaration de 1789, ou à tout le moins une atteinte à celui-ci sur le fondement de l’article 2. Le mécanisme fut légitimé dans le fait que « l’électricité est un bien d’une nature particulière, non stockable et dont les flux acheminés sur le réseau doivent être en permanence à l’équilibre » et la prétention rejetée au motif que l’effacement « n’a pas pour effet de faire obstacle à la consommation effective d’électricité par les clients des fournisseurs d’électricité des sites concernés mais uniquement d’éviter une consommation plus importante (…) ni pour effet de priver un fournisseur d’électricité de rémunération au titre de l’électricité qu’il a injectée sur le réseau et qui a été consommée » [29]. Eu égard à cette analyse, l’activité d’effacement fut déclarée conforme au droit de propriété.

18En troisième lieu, les requérants prétendaient que les prérogatives des opérateurs d’effacement constituaient un pouvoir de police de l’alimentation en électricité sans qu’intervienne une personne publique, méconnaissant alors l’article 12 de la Déclaration de 1789. Le grief n’ayant pas été retenu, le régime juridique de l’effacement fut déclaré conforme à la Constitution [30].

19Ce dispositif favorise l’orientation vers un système énergétique sobre impliquant une plus grande flexibilité dans les capacités d’effacement pour intégrer l’intermittence de la production d’électricité d’origine renouvelable amenée à se développer en raison de la validation de l’allègement du régime juridique applicable aux éoliennes.

B – L’allègement du régime juridique applicable aux éoliennes

20La proposition de loi s’est enrichie de dispositions visant à réduire les contraintes environnementales applicables à l’implantation des éoliennes [31]. Formellement, la question touchait à la recevabilité des amendements au regard de l’article 45 de la Constitution qui doivent présenter un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis. Bien qu’absentes à l’origine, le Conseil a considéré que ces dispositions tendent à accélérer « la transition vers un système énergétique sobre » dans un contexte de « hausse inéluctable des prix de l’énergie », qu’elles présentent ainsi un lien avec la proposition de loi initiale et ont dès lors été adoptées selon une procédure conforme à la Constitution [32].

21Sur le fond, une interrogation portait sur la validité de la suppression des zones de développement de l’éolien par l’article 24 de la loi déferrée. Selon les requérants, cette disposition porterait atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales au motif qu’elle affecterait les recettes des communes et établirait une « quasi-tutelle » des conseils régionaux sur les conseils communautaires et les conseils municipaux, l’implantation des éoliennes devant tenir compte « des parties du territoire régional favorables au développement de l’énergie éolienne définies par le schéma régional ». La prétention fut écartée en référence à l’article 34 de la Constitution réservant au législateur la détermination des principes fondamentaux de la libre administration des collectivités territoriales, de leurs compétences et de leurs ressources, le Conseil rappelant que si celles-ci « s’administrent librement par des conseils élus » et « bénéficient de ressources dont elles peuvent disposer librement », elles doivent le faire « dans les conditions prévues par la loi » [33]. Il conforte l’exégèse en précisant la possibilité d’implanter des éoliennes en dehors des zones définies par le schéma régional éolien [34].

22Le Conseil était enfin amené à se prononcer sur la validité de l’allègement procédural au regard de l’article 6 de la Charte de l’environnement aux termes duquel : « Les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. A cet effet, elles concilient la protection et la mise en valeur de l’environnement, le développement économique et le progrès social ». Les griefs portaient sur le « mitage visuel » du territoire que pourraient engendrer les dérogations au principe de l’extension de l’urbanisation en continuité dans les communes littorales de Guadeloupe, Guyane, Martinique, La Réunion et Mayotte lorsque ces installations seraient incompatibles avec le voisinage des zones habitées, ainsi que la suppression de la règle dite des « cinq mâts » sur l’ensemble du territoire national. La solution retenue prolonge les décisions nos 2005-514 DC du 28 avril 2005 et 2005-516 DC du 7 juillet 2005 déduisant un principe de conciliation de l’article 6 dont les modalités de mise en œuvre reviennent au législateur. Le Conseil conclut à la constitutionnalité des dispositions considérant que l’implantation d’éoliennes demeure suffisamment encadrée par le Code de l’urbanisme et la législation des installations classées pour la protection de l’environnement [35].

23Ces mesures complètent la possibilité d’autoriser dans les espaces remarquables des communes littorales, après enquête publique, des canalisations du réseau public de transport ou de distribution d’électricité visant à promouvoir l’utilisation des énergies renouvelables, sous réserve de ne pas porter atteinte à l’environnement ou aux sites et paysages remarquables [36]. Elles rappellent également que le développement des sources d’énergie renouvelable peut conduire à une dégradation paysagère, dont l’arbitrage revient en priorité au législateur sous le contrôle du juge constitutionnel. Cet effort de conciliation, au cœur du développement énergétique, se manifeste particulièrement dans cette décision et les échecs répétés dans l’établissement d’une fiscalité incitative sur l’énergie témoignent de la difficulté de l’entreprise. Ce thème fut au cœur des débats sur la transition énergétique dont l’accomplissement implique : la prudence et la persévérance.


Mise en ligne 13/08/2015

Notes

  • [1]
    Loi n° 2013-312 du 15 avril 2013 visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre et portant diverses dispositions sur la tarification de l’eau et sur les éoliennes, JORF, n° 0089 du 16 avril 2013, p. 6208 ; M.-C. de Montecler, « Adoption définitive de la proposition de loi Brottes sur la transition énergétique », AJDA 2013 p. 550 ; Cons. const., déc. n° 2000-441 DC du 28 décembre 2000, Loi de finances rectificative pour 2000 ; Cons. const., déc. n° 2009-599 DC du 29 décembre 2009, Loi de finances pour 2010 ; Cons. const., 4 février 2011, n° 2010-97 QPC.
  • [2]
    Cons. const., déc. n° 2013-666 DC du 11 avril 2013, note M.-C de Montecler, AJDA 2013, p. 771 ; JCP E, n° 16, 18 avril 2013, act. 290 ; JCP A, n° 17, 22 avril 2013, act. 365 ; T. Garancher et J.-N. Clément, BDEI, 2013, n° 45, « Rubrique de jurisprudence de droit de l’énergie » (Oct. 2012 – Mars 2013).
  • [3]
    Code de l’énergie, article L. 132-2.
  • [4]
    Code de l’énergie, article L. 131-2.
  • [5]
    Code de l’énergie, articles L. 134-25 et L. 134-29.
  • [6]
    Code de l’énergie, article L. 134-25.
  • [7]
    Code de l’énergie, article L. 122-1.
  • [8]
    Code de l’action sociale et des familles (CASF), article L. 115-3.
  • [9]
    Ibid.
  • [10]
    CGCT, article L. 2224-31.
  • [11]
    CGCT, article L. 2224-12-1.
  • [12]
    Code de l’énergie, article L. 232-1.
  • [13]
    Cons. const., déc. n° 2008-564 DC du 19 juin 2008, Loi relative aux organismes génétiquement modifiés (OGM), cons. 10 ; Cons. const., déc. n° 2011-625 DC du 10 mars 2011, Loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, cons. 81 ; Cons. const., déc. n° 2011-629 DC du 12 mai 2011, Loi de simplification et d’amélioration de la qualité du droit, cons. 9.
  • [14]
    Cons. 4.
  • [15]
    Cons. const., déc. n° 2000-441 DC du 28 décembre 2000, Loi de finances rectificative pour 2000, cons. 34 ; S. Caudal, « Un nouvel obstacle pour l’écotaxe sur l’énergie, commentaire de l’extrait de la décision du Conseil constitutionnel n° 2000-411 DC du 28 décembre 2000, concernant l’extension de la taxe générale sur les activités polluantes à l’énergie », RJE, n° 2/2001, p. 215-230.
  • [16]
    Cons. const., déc. n° 2009-599 DC du 29 décembre 2009, Loi de finances pour 2010, cons. 82 ; P. Thieffry, « La taxe carbone contraire à l’objectif de lutte contre le changement climatique », AJDA 2010, p. 1 ; W. Mastor, « La contribution carbone à la lumière de la décision du Conseil constitutionnel du 29 décembre 2009 : chronique d’une mort - et d’une renaissance ? - annoncées », AJDA 2010, p. 277 ; Ph. Billet, « Trop d’exonérations tuent la taxe », Env., n° 2, alerte 14, février 2010 ; dans le même sens, concernant la taxe communale sur l’électricité : Cons. const., 4 février 2011, n° 2010-97 QPC ; AJDA, 2011, p. 246 ; AJCT 2011, p. 193, note Scanvic ; JCP A 2011, n° 10, p. 27, note Fleury et Schaeffer; JCP 2012, n° 27, p. 1344, chron. Mathieu et Verpeaux ; LPA, 2012, n° 152, p. 23, note Baghastani.
  • [17]
    Cons. 12.
  • [18]
    Cons. 13.
  • [19]
    Cons. 17.
  • [20]
    M. Lombard, S. Nicinski et E. Glaser, « Actualité du droit de la concurrence et de la régulation », AJDA 2013, p. 1260.
  • [21]
    CGCT, article L. 2224-34.
  • [22]
    F. Tesson et O. Bonneau, « Vers un droit public de l’économie d’énergie ? Les collectivités territoriales face à leurs nouvelles obligations », AJDA 2012, p. 2256.
  • [23]
    Code de l’énergie, article L.232-1-II.
  • [24]
    Code de l’énergie, article L. 321-10.
  • [25]
    Cons. const., déc. n° 2004-501 DC du 5 août 2004, Loi relative au service public de l’électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières.
  • [26]
    CE, 3 mai 2011, SA Voltalis, n° 331858.
  • [27]
    Autorité de la concurrence, Avis n° 12-A-19 du 26 juillet 2012 concernant l’effacement de consommation dans le secteur de l’électricité.
  • [28]
    Cons. 20.
  • [29]
    Cons. 24.
  • [30]
    Cons. 25.
  • [31]
    M.-C. de Montecler, « L’éolien surgit dans le débat sur la tarification de l’énergie », AJDA 2012, p. 1880.
  • [32]
    Cons. 31.
  • [33]
    Cons. 35.
  • [34]
    Ibid.
  • [35]
    Cons. 40.
  • [36]
    Code de l’urbanisme, article L.146-6, alinéa 3.
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