Arrêté municipal de mise en demeure de procéder au débranchement d’un logement privé du réseau d’assainissement public.
Compétence du juge administratif pour connaître du litige.
Absence de mise en place de système alternatif d’assainissement par le maire ; multiplication des latrines privées beaucoup plus néfastes pour la salubrité publique.
Annulation de l’arrêté municipal.
Injonction au maire de procéder au branchement du logement de la requérante à un système d’assainissement individuel ou collectif en état de fonctionnement.
Tribunal administratif de Mayotte, 1er juillet 2010, Mme Soifia Soilihi, n˚ 0700156
1Considérant que si le maire de la commune de Mtzamboro soutient que la requête en annulation dirigée contre l’arrêté en date du 5 avril 2007, par lequel il a mis Mme Soilihi en demeure de procéder au débranchement de son appartement du réseau d’assainissement public et de remettre ce réseau dans son état initial, est tardive, il n’établit ni la date de notification dudit arrêté contesté, ni que ce dernier était accompagné de la mention des voies et délais de recours permettant de faire courir le délai à l’intérieur duquel il peut valablement être attaqué ; que, dans ces conditions, la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté de la requête ne peut qu’être écartée ;
2Sur les conclusions à fin d’annulation :
3Considérant qu’aux termes de l’article L. 2212-2 du Code général des collectivités territoriales, applicable à Mayotte : « La police municipale a pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Elle comprend notamment : / (…) 5° Le soin de prévenir, par des précautions convenables, et de faire cesser, par la distribution des secours nécessaires, les accidents et les fléaux calamiteux ainsi que les pollutions de toute nature (…), de pourvoir d’urgence à toutes les mesures d’assistance et de secours et, s’il y a lieu, de provoquer l’intervention de l’administration supérieure (…) » ;
4Considérant que Mme Soilihi demande au Tribunal d’annuler l’arrêté en date du 5 avril 2007 par lequel le maire de la commune de Mtzamboro l’a mise en demeure de procéder au débranchement de son appartement du réseau d’assainissement public et de remettre ce réseau dans son état initial, au motif que le logement social qu’elle occupe lui a régulièrement été attribué par la commune de Mtzamboro et qu’il est depuis sa réception par cette commune branché sur le réseau public d’assainissement ainsi que le permis de construire dont il a fait l’objet l’a autorisé ; que, ce faisant, Mme Soilihi doit être regardée comme contestant la réalité du caractère dangereux du réseau public d’assainissement et du maintien des branchements dont il est l’objet ; qu’en défense, la commune de Mtzamboro ne présente aucun élément de nature à établir le caractère dangereux dudit réseau, susceptible d’entraîner une importante pollution, et donc la nécessité pour le maire de cette commune d’adopter toute mesure nécessaire au maintien de la salubrité publique, en application des dispositions précitées de l’article L. 2212-2 du Code général des collectivités territoriales ; qu’en tout état de cause, la mise en œuvre de tels pouvoirs imposerait, dans le souci de préserver effectivement et efficacement la salubrité publique, qu’une solution alternative au branchement sur le réseau public d’assainissement soit prévue préalablement à l’injonction de se débrancher dudit réseau public ; qu’en effet, l’absence de tout système alternatif organisé et, par suite, le fait de laisser reposer sur chacun des habitants de la commune la contrainte de prévoir son propre système d’évacuation des eaux usées ne permettent pas d’atteindre l’objectif de préservation de la salubrité publique visé ; qu’il ressort des pièces du dossier que, préalablement à l’injonction de se débrancher du système public de traitement des eaux usées, le maire de la commune de Mtzamboro n’a nullement mis en place un tel système alternatif, ce qui a conduit à la multiplication de latrines privées davantage néfastes pour la salubrité publique que le raccordement au système d’assainissement public présenté comme étant défectueux ; que, dans ces conditions, Mme Soilihi est fondée à soutenir que c’est à tort que le maire de la commune de Mtzamboro l’a mise en demeure de procéder au débranchement de son appartement du réseau d’assainissement public et de remettre ce réseau dans son état initial ;
5Sur les conclusions à fin d’injonction :
6Considérant que le présent jugement, qui annule l’arrêté en date du 5 avril 2007 par lequel le maire de la commune de Mtzamboro a mis Mme Soilihi en demeure de procéder au débranchement de son appartement du réseau d’assainissement public et de remettre ce réseau dans son état initial, implique qu’il soit enjoint à ce dernier de procéder au branchement de l’appartement occupé par Mme Soilihi au réseau d’assainissement public ou à tout réseau d’évacuation des eaux usées équivalent au réseau public dont il a été débranché ;
7Sur les conclusions à fin d’indemnisation :
8Considérant qu’il résulte de l’instruction que la décision par laquelle le maire de la commune de Mtzamboro a mis Mme Soilihi en demeure de procéder au débranchement de son appartement du réseau d’assainissement public et l’exécution de cette décision ont entraîné pour Mme Soilihi des troubles, notamment odorants, dans ses conditions d’existence dont il sera fait une juste appréciation en en fixant le montant à 2 000 € ;
9Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du Code de justice administrative :
10Considérant qu’en vertu des dispositions de l’article L. 761-1 du Code de justice administrative, le Tribunal ne peut pas faire bénéficier la partie tenue aux dépens ou la partie perdante du paiement par l’autre partie des frais qu’elle a exposés à l’occasion du litige soumis au juge ; que les conclusions présentées à ce titre par le maire de la commune de Mtzamboro doivent, dès lors, être rejetées ;
11Décide :
12Article premier. – L’arrêté susvisé en date du 5 avril 2007 par lequel le maire de la commune de Mtzamboro a mis Mme Soilihi en demeure de procéder au débranchement de son appartement du réseau d’assainissement public et de remettre ce réseau dans son état initial est annulé.
13Art. 2. – Il est enjoint au maire de la commune de Mtzamboro de procéder au branchement de l’appartement occupé par Mme Soilihi à tout réseau d’évacuation des eaux usées équivalent au réseau public dont il a été débranché.
14Art. 3. – La commune de Mtzamboro est condamnée à verser à Mme Soilihi la somme de 2 000 € en réparation du préjudice moral subi.
15Art. 4. – Les conclusions du maire de la commune de Mtzamboro tendant à la condamnation de Mme Soilihi au paiement des frais exposés et non compris dans les dépens sont rejetées.
16Mme Florence Duenas, rapp. ; Mme Isabelle Legrand, rapp. public.
Conclusions
17Par un arrêté en date du 5 avril 2007, le maire de la commune de Mtzamboro a mis en demeure Mme Soifia Soilihi de procéder au débranchement de son logement social du réseau d’assainissement public et de remettre ce réseau dans son état initial.
18Par une requête enregistrée le 16 juillet 2007, Mme Soilihi vous demande d’annuler cet arrêté, d’enjoindre au maire de la commune de Mtzamboro de procéder au branchement de son logement sur un système d’évacuation des eaux usées décent et de condamner la commune à lui verser la somme de 18 000 € en réparation du préjudice moral et des troubles dans les conditions d’existence subis du fait de la décision contestée.
19– Il vous faut d’abord vous assurer de votre compétence pour juger du présent litige.
20La 8e Chambre civile de la cour d’appel de Douai a précisé dans un arrêt du 23 décembre 1991, Ville de Lens (Juridata 1991.052468), que : « Si l’exercice des fonctions de police des maires relève normalement de la compétence des tribunaux de l’ordre administratif, exceptionnellement il passe à celle des tribunaux de l’ordre judiciaire, dès lors qu’il existe une voie de fait, à savoir, une atteinte manifeste, c’est-à-dire grave et évidente, à une liberté fondamentale ». Elle a toutefois jugé que seules les juridictions de l’ordre administratif peuvent examiner le litige concernant le débranchement des installations électriques installées par les industriels forains sur le réseau de la ville, car, ce faisant, l’exécutif municipal n’a pas abusé de manière évidente de ses droits de police, ne prenant pas une mesure détachable de ces pouvoirs, et n’a pas fait procéder à une exécution forcée irrégulière.
21En l’espèce, le maire de la commune de Mtzamboro a mis en demeure Mme Soifia Soilihi de procéder au débranchement de son logement social du réseau d’assainissement public. Cet arrêté a été pris dans le cadre des pouvoirs de police municipale qui lui sont conférés par l’article L. 2212-2 du Code général des collectivités territoriales rendu applicable à Mayotte par l’article L. 2572-18 du même code.
22En vertu de cet article, le maire a la charge d’assurer notamment la salubrité publique et en particulier a le soin de prévenir par des précautions convenables et de faire cesser les pollutions de toute nature.
23La jurisprudence administrative a ainsi reconnu qu’il appartenait au maire de mettre en demeure un propriétaire de faire cesser la cause d’insalubrité résultant du fait que le logement occupé par une de ses locataires n’avait plus d’eau et de rétablir le branchement qu’il avait coupé à la suite d’un différend avec ladite locataire (CE, 28 avril 1961, Commune de Cormeilles-en-Parisis, Leb. p. 265).
24De manière symétrique, il nous paraît relever de la compétence du maire de mettre en demeure un habitant d’interrompre un branchement à un réseau public devenu insalubre.
25Vous êtes donc bien compétent pour traiter du présent litige.
26– La recevabilité de la requête est contestée en défense par la commune de Mtzamboro qui oppose une fin de non-recevoir tirée de la tardiveté de la requête, mais le délai de recours contentieux de trois mois (qui a cours à Mayotte en vertu de l’application combinée des articles R. 421-1 et R. 421-6 du Code de justice administrative) doit être regardé comme respecté dans la mesure où aucune pièce du dossier ne permet de connaître la date de notification de l’arrêté contesté.
27Vérifications faites, les autres conditions de recevabilité sont satisfaites en l’espèce et la requête doit être déclarée recevable.
28– A l’appui de sa demande d’annulation, Mme Soilihi invoque trois moyens :
29Elle soutient tout d’abord que le logement social qu’elle occupe lui a régulièrement été attribué par la commune de Mtzamboro et qu’il est depuis sa réception par cette commune branché sur le réseau public d’assainissement ainsi que le permis de construire dont il a fait l’objet l’a autorisé.
30Ce point n’est pas contesté.
31Cela explique que contrairement à des affaires que vous avez pu connaître à la Réunion (TA Saint-Denis de la Réunion, 5 avril 2006, SARL Côtes Ouest et SARL Copacabana plage, req. nos 05808-810 et 05862-863), ce n’est pas sur le fondement de l’application combinée des articles L. 111-6, L. 421-21 et L. 421-21-1 du Code de l’urbanisme (qui grosso modo subordonnent le raccordement définitif aux réseaux notamment électriques des constructions à la condition qu’elles soient autorisées ou agréées) que le maire a enjoint d’interrompre le raccordement aux réseaux.
32Cette mise en demeure, ainsi que nous l’avons dit, est fondée sur le souci de prévenir et faire cesser l’insalubrité du réseau d’assainissement.
33Mme Soilihi doit donc être regardée comme contestant la réalité de la dangerosité du réseau public d’assainissement et des branchements dont il est l’objet.
34Si le maire affirme que « le système d’assainissement des eaux usées était devenu insalubre, des odeurs pestilentielles se dégageant des différentes bouches d’égouts », il ne verse aucune pièce au dossier pour appuyer ses allégations qui sont contredites par la requérante.
35La commune de Mtzamboro n’établit donc pas le risque d’importante pollution qui résulterait du maintien en fonctionnement du réseau public d’assainissement.
36Le premier moyen doit donc être retenu.
37Mme Soilihi se plaint ensuite que le maire n’a fourni aucune solution décente, même provisoire, en attendant de faire réparer le système de façon durable.
38Dans son mémoire en défense, le maire écrit qu’il « a pris toutes les mesures qu’il estimait nécessaires notamment en bouchant tous les systèmes et en invitant les habitants, dans l’attente, à se doter de latrines traditionnelles ».
39Or, une telle proposition aboutit à remplacer une « insalubrité générale » par des « insalubrités particulières » et la décision prise par le maire, au nom de la police de salubrité, ne remplit pas l’objectif qu’elle s’est assignée.
40Il nous semble que le maire aurait dû prévoir un système alternatif d’assainissement, par le biais de fosses septiques individuelles notamment, ou circonscrire la coupure du réseau à quelques jours et horaires précis.
41En débranchant totalement et définitivement Mme Soilihi du réseau public d’assainissement, le maire de Mtzamboro a pris une mesure de police excessive par rapport aux buts qu’elle poursuit – sans d’ailleurs les atteindre, comme nous venons de le dire.
42Ce deuxième moyen nous paraît également fondé.
43Mme Soilihi se plaint enfin qu’après l’arrêté du maire, des agents de la mairie sont venus débrancher son logement du réseau d’assainissement et qu’elle s’est alors trouvée dans des conditions d’insalubrité indescriptibles – qu’aucun autre de ses voisins n’aurait eu à subir.
44Ces circonstances sont postérieures à la date d’édiction de l’arrêté contesté et donc sans influence sur sa légalité qui s’apprécie à cette seule date.
45Par ailleurs, la requérante n’établit pas être victime d’une discrimination de traitement par rapport à ses voisins. En effet, dans son mémoire en défense, le maire soutient sans être contesté que tout le monde a adopté sa solution consistant à fermer le réseau public des eaux usées et à procéder aux débranchements des différentes habitations qui y étaient reliées et à mettre en place des latrines traditionnelles – le temps que la station d’épuration envisagée soit terminée.
46Ce troisième moyen doit donc être écarté.
47Toutefois, sous le bénéfice de l’ensemble de ces remarques, Mme Soilihi nous paraît fondée à poursuivre l’annulation de l’arrêté en date du 5 avril 2007 par lequel le maire de la commune de Mtzamboro l’a mise en demeure de procéder au débranchement de son logement social du réseau d’assainissement public et de remettre ce réseau dans son état initial.
48– Votre jugement, si vous nous suivez pour annuler la décision attaquée, impliquera que vous répondiez favorablement aux conclusions injonctives de la requérante, en enjoignant au maire de la commune de Mtzamboro de procéder dans les meilleurs délais au branchement de l’appartement occupé par Mme Soilihi à un système d’assainissement individuel ou collectif en état de fonctionnement.
49– Mme Soilihi formule en outre des conclusions indemnitaires tendant à ce que vous condamniez la commune de Mtzamboro à lui verser la somme de 18 000 € de dommages et intérêts « pour le préjudice moral et le malaise salubre et sanitaire qu’elle subit ».
50Il ne fait guère de doute que la décision prise par le maire et son exécution ont entraîné pour la requérante des troubles dans ses conditions d’existence, dont il sera fait une juste appréciation en condamnant la commune à lui verser une indemnité de 5 000 €.
51– Il ne vous reste plus qu’à statuer sur les conclusions présentées en application de l’article L. 761-1 du Code de justice administrative.
52Partie perdante à la présente instance, la commune de Mtzamboro verra sa demande de remboursement de frais de procès rejetée.
53Tel est le sens de nos conclusions.
Date de mise en ligne : 13/08/2015