Notes
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[1]
Cet article se fonde sur un projet de recherche menée à l’université de Fribourg, dont les résultats ont été publiés dans trois ouvrages aux éditions Alphil, Neuchâtel, en 2013 : Matthieu Gillabert, Dans les coulisses de la diplomatie culturelle suisse. Objectifs, réseaux et réalisations (1938-1984) ; Thomas Kadelbach, « Swiss made ». Pro Helvetia et l’image de la Suisse à l’étranger (1945-1990) ; Pauline Milani, Le Diplomate et l’artiste. Construction d’une politique culturelle suisse à l’étranger (1938-1958). Les archives mobilisées pour cette étude proviennent principalement des Archives fédérales suisses (ci-après : AFS).
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[2]
Théorisé notamment par Nicholas J. Cull in « Public Diplomac : Taxonomies and Histories », Annals of the American Academy of Political and Social Sciences, mars 2008, n° 616, pp. 31-36, ce concept, employé dès les années 1960 par les acteurs diplomatiques, permet de relire l’histoire de la diplomatie culturelle en l’intégrant dans un ensemble cohérent de pratiques. N. J. Cull relève cinq composantes de la diplomatie publique : la diplomatie culturelle, les échanges de personnes, les émissions radiodiffusées à destination de publics étrangers, le travail de listening (récolter des données sur l’opinion publique étrangère pour l’influencer en retour) et d’advocacy (promotion des intérêts d’un pays par une politique d’information ciblée).
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[3]
Il existe encore peu d’études sur la Défense spirituelle. On peut toutefois se référer aux ouvrages précités ou à la notice synthétique de Marco Jorio, « Défense spirituelle », in Dictionnaire historique de la Suisse, url : http://www.hls-dhs-dss.ch/textes/f/F17426.php, page consultée le 9 septembre 2010.
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[4]
Claude Altermatt, 1798-1998, deux siècles de représentations extérieures de la Suisse, Berne, DFAE, 1998.
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[5]
Message du Conseil fédéral à l’Assemblée fédérale concernant les moyens de maintenir et de faire connaitre le patrimoine spirituel de la Confédération, 9 décembre 1938.
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[6]
Raphaëlle Ruppen Coutaz, « La Société suisse de radiodiffusion et la promotion du tourisme helvétique (1931-1958) : de la propagande touristique à la diplomatie culturelle », in Cédric Humair, Laurent Tissot (dir.), Le Tourisme suisse et son rayonnement international (XIX e-XX e siècles), Lausanne, Antipodes, 2011, pp. 89-107.
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[7]
AFS, E9510.6, 1991/51/113, Procès-verbal, Groupe 1, Pro Helvetia, 19 février 1943.
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[8]
Pro Helvetia, Politique étrangère d’information et de propagande culturelle. Rapport sur l’organisation des relations culturelles et intellectuelles avec l’étranger, sur la propagande culturelle, la politique d’information et de propagande dans les principaux États de l’Europe occidentale, de l’Amérique, de la Tchécoslovaquie et de la Turquie, Zurich, avril 1947.
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[9]
Arrêté fédéral concernant la fondation « Pro Helvetia », 28 septembre 1949.
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[10]
AFS, E3001(B), 1000/731/52, Programme de Pro Helvetia pour 1946.
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[11]
Ce qui correspondrait actuellement à une somme d’un peu plus de 3 millions de francs. Le budget de Pro Helvetia prévu pour 2017 se monte à 40 millions de francs.
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[12]
Thomas Kadelbach, op. cit.
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[13]
André Siegfried, La Suisse, démocratie-témoin, Neuchâtel, La Baconnière, 1948.
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[14]
Daniel Trachsler, Bundesrat Max Petitpierre. Schweizerische Aussenpolitik im Kalten Krieg 1945-1961, Zurich, NZZ-Libro Verlag, 2011.
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[15]
AFS, E3001(B), 1000/731/56, Georges Perrin, Enquête concernant notre expansion culturelle à l’étranger – Conclusions générales dégagées par Georges Perrin, journaliste, DPF, janvier 1949.
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[16]
AFS, E2001(E), 1968/82/10 « Einige Bemerkungen zur Reorganisation des Politischen Departements, mit besonderes Berücksichtigung der Politischen Sektion », rapport confidentiel, 22 février 1946 ; idem, 1967/113/346, Guido Keel, « Zur Frage der schweizerische Kulturwerbung im Ausland », Conférence des ministres du 10 septembre 1948, http://www.dodis.ch/7451.
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[17]
AFS, E2001(E), 1967/113/346, Bernard Barbey, 17 juillet 1947.
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[18]
La Suisse adhère à cette Convention en 1962. La participation aux débats du Conseil de coopération culturelle aura une influence importante sur certains acteurs à partir de la seconde moitié de la décennie 1970. On manque malheureusement d’études sur la circulation des idées et leur impact sur la politique culturelle et la diplomatie suisse.
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[19]
AFS, E3001(B), 1980/53/124, Maurice Jaccard, rapport confidentiel, 2 décembre 1965.
-
[20]
Herbert Lüthy, « La Suisse à contre-courant », Zurich, s. n., 1962, rééd. in Le Débat, 1995/2, pp. 89-102 ; Max Imboden, Helvetisches Malaise, Zurich, EVZ Verlag, 1964.
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[21]
Thomas Kadelbach, op. cit., p. 239 sq.
-
[22]
On appelle « Cinquième Suisse » les nationaux helvétiques de l’étranger, en référence aux quatre communautés linguistiques présentes dans les frontières nationales : germanophone, francophone, italophone et romanche.
-
[23]
Gérald Arlettaz, « Les Suisses de l’étranger et l’identité nationale », in Études et sources, n° 12, 1986, pp. 5-35 ; « Mère Helvétie jugée avec sévérité », La Gazette de Lausanne, 30 août 1965.
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[24]
AFS, E3001(B), 1980/53/126, PV de la 20e séance de la commission de coordination, 24 août 1967.
-
[25]
Ibid., 1980/53/124, « Résultats de l’enquête sur la présence de la Suisse à l’étranger : Film », 10 décembre 1973.
-
[26]
La nouvelle commission n’intègre ni les représentant(e)s des Hautes écoles ni de la Commission nationale suisse pour l’Unesco. À leur place sont invités des délégué(e)s de la Chancellerie fédérale, du Département fédéral des transports et de l’énergie, de l’Association de la Presse suisse, de Swissair et de la Centrale pour la distinction d’origine suisse. Les secteurs économique et touristique y jouent donc un rôle prépondérant.
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[27]
AFS, E2003(A), 1984/84/389, Rapport de la Commission de coordination pour la présence de la Suisse à l’étranger, 11 décembre 1974.
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[28]
AFS, E3001(B), 1980/53/125, Notice de Max Altorfer, chef de la section culturelle du DFI, à Hans Hürlimann, chef du DFI, 23 janvier 1975.
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[29]
Entre 1966 et 1967, la section culturelle du DFAE passe de onze à six collaborateurs qui n’ont aucun budget à disposition pour mener des actions indépendantes. Pour le point de vue des diplomates : AFS, E3001(C), 1990/218/11, « Rayonnement culturel de la Suisse : enquête effectuée auprès de nos représentations à l’étranger », 14 août 1978.
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[30]
Éléments pour une politique culturelle en Suisse, rapport de la Commission fédérale d’experts pour l’étude de questions concernant la politique culturelle suisse, Berne, 1975.
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[31]
Ibid., p. 330.
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[32]
Matthieu Gillabert, op. cit.
-
[33]
Sur la Finlande : article de Louis Clerc dans ce numéro. Sur la Suède : Nikolas Glover, National Relations: Public Diplomacy, National Identity & the Swedish Institute 1945-1970, Lund, Nordic academic press, 2011.
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[34]
En 1969, le Département fédéral de justice et police publie un manuel consacré à la défense civile, dans lequel il met en avant l’importance de la défense spirituelle et stigmatise les pacifistes, les féministes, les militant(e)s de gauche, mais aussi les intellectuel(le)s et les journalistes. Leur réaction indignée provoque un débat public qui révèle l’obsolescence de ce modèle. Sur cette décennie : Janick Marina Schaufelbuehl (ed.), 1968-1978, Une décennie mouvementée en Suisse, Zurich, Chronos, 2009 ; Damir Skenderovic, Christina Späti, Les Années 68. Une rupture politique et culturelle, Lausanne, Éditions Antipodes, 2012.
1 Bien que la Suisse ne soit pas vraiment connue pour sa diplomatie culturelle, celle-ci a constitué un axe important de sa politique étrangère durant la Guerre froide et permit son repositionnement dans un monde en profonde mutation [1]. Grâce à la convergence d’acteurs publics comme privés venus des domaines touristique, culturel, économique et diplomatique, la Confédération helvétique s’est dotée progressivement de toutes les composantes de ce qui sera théorisé plus tard sous le concept de diplomatie publique [2].
2 Le développement de ce dispositif est fortement lié à celui de la Défense nationale spirituelle, mouvement qui vise la promotion de l’identité nationale pour en faire un outil de protection face aux mouvements fascistes et communistes dès la fin des années 1930 [3]. Pourtant, malgré ce repli culturel sur une Suisse du passé, repli qui doit lui permettre de faire face à une modernité considérée comme agressive, les instruments de propagande qui apparaissent alors sont aussi inspirés des expériences étrangères, pour constituer un modèle original adapté au fédéralisme helvétique.
La défense spirituelle
3 Avant la Deuxième Guerre mondiale, la Confédération helvétique ne dispose ni d’un réseau diplomatique très développé, ni d’outils de promotion culturelle [4]. Parent pauvre de l’action étatique, la culture reste du domaine des cantons et des villes. Pourtant, le 9 décembre 1938, le Conseil fédéral adresse au Parlement un message sur « les moyens de maintenir et de faire connaître le patrimoine spirituel de la Confédération [5] ». Soulignant la nécessité de se défendre contre la propagande étrangère dans le pays, le conseiller fédéral Philipp Etter, catholique conservateur, pose le premier jalon de ce qui devint plus tard une politique culturelle fédérale. Ce message repose sur un paradoxe : il enjoint à la Confédération d’intervenir pour protéger la culture suisse dont l’originalité résiderait dans un fédéralisme fort qui rejette, quant à lui, toute intervention étatique dans ce domaine. Cette contradiction s’explique par les motivations profondes de ce message, qui répond moins à des considérations d’ordre culturel que politique et économique ; il s’agit en effet de mettre sur pied un appareil de propagande politique et de répondre à un déficit de protection sociale pour les artistes et les intellectuels.
4 Selon lui, la défense spirituelle du pays doit s’appuyer sur deux axes importants : la propagande touristique en faveur de la Patrie, et la propagande culturelle. Pour le premier, le moyen privilégié est la radio, nouveau vecteur de communication de masse dont l’organe directeur, la Société Suisse de radiodiffusion, créée en 1931, se rapprocha institutionnellement de l’Office national suisse du tourisme fondé au début de l’année 1939 [6]. Le Conseil fédéral propose pour le second axe de créer une fondation pour la culture, chargée de son encouragement à l’intérieur du pays et de sa diffusion à l’étranger. L’éclatement de la guerre et la mobilisation de l’armée suisse mettent un terme prématuré au projet. À la place d’une fondation pour la culture, on se contente de nommer une commission de vingt-cinq personnes le 25 octobre 1939. Cette dernière doit encourager les créations culturelles qui favorisent le dialogue entre les diverses régions de Suisse et en magnifient l’identité. Le spectre du « fossé moral », qui avait divisé la population durant le premier conflit mondial, marque encore les esprits et c’est donc dans une perspective de lutte pour l’unité nationale que la nouvelle commission, nommée Pro Helvetia, entame ses travaux.
5 Présidée par un ancien conseiller fédéral défendant une politique autoritaire et militaire, Heinrich Häberlin, la commission réunit une élite proche du pouvoir, représentant les quatre régions linguistiques suisses. Seules deux femmes y sont nommées, mais on y trouve des représentants des milieux libéraux, conservateurs et socialistes, soit une composition qui résume l’étrange alliance que forme la défense spirituelle, que la commission Pro Helvetia institutionnalise. Son activité de propagande à l’étranger reste extrêmement limitée, mais Pro Helvetia devient rapidement un lieu de réflexion sur l’image du pays. Des représentants de l’économie privée, du secteur touristique et des Suisses de l’étranger sont régulièrement invités à participer aux séances de travail. Il s’agit alors moins de promouvoir des relations culturelles que de propager une image positive du pays à l’extérieur.
6 Les discussions tournent autour de la possibilité pour un petit pays entouré de belligérants de défendre ses positions politiques, et en premier lieu sa neutralité. Très vite, les membres de Pro Helvetia se rendent compte que leurs moyens d’action dans une Europe en guerre sont limités et consacrent les deux tiers du budget dévolu à la propagande au Secrétariat des Suisses de l’étranger, qui l’emploie jusqu’à la fin de l’année 1943 à envoyer des livres et des revues aux Suisses établis en Allemagne et en Italie [7]. Dès le début 1944 toutefois, la commission reprend la direction des opérations pour préparer ce qui apparait comme de plus en plus probable : un après-guerre où les Américains vont jouer un rôle essentiel.
Le rapport Lüthy
7 Dès l’année 1944 donc, les membres de Pro Helvetia préparent la sortie de guerre de leur commission, promise selon le projet initial à être transformée en fondation pour la culture. Mais un petit État neutre peut-il mener une politique de propagande ? La diplomatie culturelle n’est-elle réservée qu’aux seules grandes puissances ? Et comment, dans un monde encore aux prises avec la guerre, faire accepter une position de neutralité ? Ces questions taraudent les membres de Pro Helvetia, mais également les diplomates et les politiciens. Il faut pourtant attendre le printemps 1946 pour qu’un jeune historien et journaliste, Herbert Lüthy, soit mandaté par la commission pour étudier l’organisation des diplomaties culturelles étrangères.
8 Le rapport, présenté en avril 1947, ne prend en compte qu’un choix limité de pays occidentaux [8]. L’auteur justifie l’absence de l’URSS et des pays de l’Est de son étude par la trop grande proximité entre les propagandes culturelle et étatique au sein de ces États. Herbert Lüthy légitime l’intervention étatique dans les relations culturelles internationales en revenant sur l’attitude agressive de l’URSS et de l’Axe qui a amené les démocraties à développer une « contre-propagande ». Depuis lors, les officines qui ont en charge ces relations sont considérées comme faisant « naturellement » partie des administrations nationales et la tendance est donc à leur pérennisation. Mais l’expert avance avec prudence. Si la propagande culturelle doit être introduite dans l’appareil diplomatique des démocraties, et en particulier des petits États comme la Suisse, pour lesquels la considération internationale reste un gage de respect pour leur intégrité territoriale, il faut toutefois veiller à ne pas développer une culture dirigée, soumise à l’État. Contrairement aux grandes puissances, qui peuvent pratiquer une politique d’expansion culturelle, les petits pays doivent se contenter de mener des politiques de présence mettant en valeur avant tout leurs caractéristiques identitaires et cherchant à créer un fond de sympathie le plus stable possible.
9 Herbert Lüthy dresse alors un catalogue des différents modèles possibles et en retient un qui lui semble particulièrement adapté aux États libéraux et décentralisés comme la Suisse : celui dans lequel le gouvernement subventionne une association non officielle pour organiser les relations culturelles en dehors des structures diplomatiques. De cette façon, l’organisme en question bénéficie d’une marge de manœuvre beaucoup plus large qu’un organisme gouvernemental et suscite moins de méfiance de la part des publics ciblés. H. Lüthy met ainsi en avant le British Council, l’Alliance française ou encore le Svenska Institutet, preuve que ces différents modèles peuvent se combiner.
10 H. Lüthy envisage en outre plusieurs moyens pour améliorer la présence culturelle du pays à l’étranger. Une politique centrée sur les élites intellectuelles et scientifiques lui semble à la fois plus constructive et plus économique : inviter des personnalités influentes à visiter le pays, s’assurer qu’elles en repartent favorablement impressionnées et les laisser ensuite propager le message dans leur pays d’origine. En revanche, pour toucher un public plus vaste, il faut mettre sur pied des manifestations de grande ampleur, qu’il s’agisse d’expositions, de concerts ou de tournées de conférences. Cibler les efforts sur la presse en diffusant des articles favorables au pays lui semble être une démarche superficielle. Il rejette également l’emploi de l’audiovisuel, à réserver selon lui aux États qui en ont les moyens. L’expert insiste finalement sur le risque de se reposer uniquement sur les propagandes commerciale et touristique, dont il reconnaît l’importance à court terme, mais qui ne sauraient remplacer une politique de promotion culturelle.
11 Le rapport Lüthy reste confidentiel et sa réception malaisée à mesurer. Toutefois, il révèle la prise en compte des expériences étrangères dans la construction de la diplomatie culturelle. Il s’agit pourtant moins d’emprunter un modèle extérieur que de réfléchir aux éléments qui pourraient permettre de constituer un modèle adapté à la situation helvétique.
12 En 1949, la Commission Pro Helvetia est transformée en fondation de droit public, dans le sens préconisé par H. Lüthy : le nouvel organisme est financé par l’État fédéral, qui s’arroge le droit d’en nommer les membres et de se prononcer sur le budget et le programme, mais elle fonctionne de manière autonome [9]. Le programme de travail de la nouvelle fondation propose une action ciblée de propagande dans les régions anglophones, hispanophones et francophones d’Europe et d’Amérique du Nord, sans oublier les voisins directs de la Suisse [10]. Mais avec un budget de 700 000 francs [11], les actions sont restreintes : envois de livres et de journaux, encouragement à des représentations théâtrales et musicales, organisation de conférences et d’exposition, et aussi invitations de personnalités étrangères en Suisse. Discrétion, pondération, retenue et élitisme seront les lignes directrices de la propagande menée désormais par Pro Helvetia.
13 À partir de 1952, la fondation développe son propre service de presse, chargé d’observer les journaux étrangers et de diffuser des articles favorables à la Suisse. Sous la direction du journaliste catholique conservateur Carl Doka, le service de presse prend une place importante dans la structure même de la fondation, et dans son travail diplomatique en faveur du pays, notamment en invitant régulièrement des personnalités étrangères à visiter la Suisse [12].
Rester neutre et s’ouvrir au monde
14 Pro Helvetia devient donc l’instrument par excellence de la promotion culturelle, que ce soit en Suisse ou à l’étranger. Ce cumul des deux volets d’action devient par ailleurs l’une de ses caractéristiques distinctives face à ses homologues étrangères. Mais la fondation ne saurait suffire, seule, à répondre aux besoins de la diplomatie culturelle. La Confédération développe parallèlement d’autres outils.
15 Durant la guerre, des attachés de presse, issus du monde journalistique, sont nommés dans les représentations diplomatiques de Londres, Rome et Berlin. Ils sont chargés de suivre la presse des belligérants et d’essayer de corriger l’image du pays en cultivant de bons contacts avec les médias locaux. Après 1945, ces postes sont réorganisés et attribués aux légations de Washington, Londres et Paris. Extérieurs à la carrière diplomatique, ces nouveaux attachés ont été choisis pour leurs réseaux et doivent permettre de diffuser l’image d’une Suisse résolument engagée au côté des Alliés de l’Ouest, mais fidèle à sa neutralité. Ils vont travailler également à renforcer les échanges culturels.
16 À Berne, la section Information et Presse du Département politique fédéral (DPF, actuellement Département des Affaires étrangères) gère la question de la diplomatie culturelle. Les diplomates scrutent la presse étrangère, diffusent des articles favorables à la Suisse et organisent, souvent en collaboration avec Pro Helvetia, des voyages de journalistes en Suisse. La volonté commune de réhabiliter la Suisse, accusée par les Alliés d’avoir tiré profit de son commerce avec l’Axe pendant la guerre, permet en effet des actions conjointes, par exemple celle d’inviter l’intellectuel français André Siegfried à visiter le pays pour rédiger ensuite un plaidoyer en sa faveur. Le livre, sorti sous le nom de La Suisse, démocratie-témoin, en 1948, est un véritable outil de propagande qui sera largement distribué par les légations et la fondation [13].
17 Depuis 1945, le DPF est géré par Max Petitpierre, qui a pour tâche de briser l’isolement diplomatique dont la Suisse est menacée à la fin de la guerre. Il faut donc diffuser une image positive du pays et justifier sa position de neutralité pendant le conflit, tout en la présentant comme un élément indispensable à la reconstruction spirituelle de l’Europe et en affirmant son appartenance au bloc de l’Ouest. Le chef de la diplomatie développe la doctrine « neutralité et solidarité », qui consiste à préserver la neutralité au prix d’une certaine distance avec l’Europe en construction, tout en augmentant l’implication de la Suisse dans la coopération technique et en développant les « bons offices » [14]. Cette politique a contribué à donner plus de visibilité au pays sur la scène internationale. En 1949, la Confédération adhère à l’Unesco, ce qui lui permet d’intégrer une organisation onusienne tout en restant en marge de l’ONU, considérée comme incompatible avec la neutralité.
18 La volonté affichée de Max Petitpierre de conférer plus d’importance aux questions culturelles en politique étrangère a généré des tensions avec Pro Helvetia et son ministère de tutelle, le Département fédéral de l’Intérieur (DFI). Deux conceptions de l’action culturelle s’affrontent en effet. Pour les Affaires étrangères, la culture doit être au service de la diplomatie pour affirmer la présence du pays sur la scène internationale, son indépendance et sa neutralité [15]. Pour Pro Helvetia, il s’agit de faire rayonner la culture suisse et d’en montrer toute la richesse à l’étranger. Toutefois, les dirigeants de la fondation comme les diplomates se rejoignent dans leur volonté de développer des outils de promotion nationale légers. Alors que dans l’immédiat après-guerre, le chef de la section Information et Presse du DPF, Guido Keel, plaidait encore pour une politique de propagande, en 1948 son discours s’infléchit pour soutenir un rayonnement culturel discret [16].
19 La concurrence entre les deux départements pour s’arroger la direction de la politique de promotion de la Suisse à l’étranger ne permet pas l’élaboration de lignes directrices communes pour leurs actions culturelles. Néanmoins, les acteurs se rejoignent sur bien des points, car il règne encore un fort consensus autour de la nécessité de présenter à l’étranger une image nationale cohérente.
Convergences des intérêts
20 L’alliance idéologique de la défense spirituelle, qui vise originellement à promouvoir l’indépendance du pays en cultivant des valeurs dites traditionnelles, marque la classe politique suisse durant de nombreuses années encore après 1945. Dans l’immédiat après-guerre, les élites économiques, culturelles et politiques partagent ainsi un fort consensus autour de la volonté de réintégrer le pays dans la nouvelle configuration des relations internationales, ce qui va faciliter la convergence de leurs efforts pour développer des outils de propagande. L’accent est mis alors sur la présentation de la neutralité comme facteur de paix et de stabilité en Europe. Les acteurs convergent également autour des enjeux économiques, puisque le pays vit de ses exportations. En juillet 1947, l’attaché de presse à Paris, Bernard Barbey, souligne que les manifestations culturelles permettent de maintenir, voire d’élargir la clientèle des entreprises suisses [17]. Rien d’étonnant à ce que les dirigeants de Pro Helvetia comme les diplomates du DPF travaillent en étroite collaboration avec les organismes privés de promotion de l’économie et du tourisme.
21 À partir de 1951, une Commission de coordination pour les relations culturelles avec l’étranger réunit régulièrement des représentants non seulement de Pro Helvetia, du DPF et du DFI, mais aussi de l’Office suisse d’expansion commerciale, de l’Office national suisse du tourisme, du Secrétariat des Suisses de l’étranger, de la Société suisse de radiodiffusion, de la Commission nationale suisse pour l’Unesco ainsi que des représentants des universités. Bien que cette commission n’ait aucun pouvoir décisionnel, elle forme un lieu de rencontre important pour les acteurs qui, une fois par an, y échangent leurs vues sur la promotion d’une image nationale à l’étranger. Il s’agit moins, en effet, d’organiser les relations culturelles malgré l’appellation de la commission que de coordonner ce qui pourrait aujourd’hui être qualifié de diplomatie publique. Les réunions sont l’occasion de parler de problèmes de fond qu’aucun autre organisme n’aborde sur le long terme. La commission se fait donc lieu de réflexion, qu’il s’agisse d’aborder la question des accords culturels (largement rejetés par tous les participants), d’organiser la diffusion des films suisses, ou de réfléchir à l’adhésion du pays à la Convention culturelle européenne [18]. Pourtant, ses effets restent limités car la commission n’apporte aucun moyen financier à la diplomatie culturelle, et ni les buts ni les conditions matérielles de cette politique de promotion du pays ne furent jamais formulés en un ensemble cohérent.
22 Tant que les membres des milieux culturels, politiques, économiques et touristiques ont des intérêts convergents, ce qui est facilité par la taille du pays et l’interconnexion de ses élites, les lacunes de la coordination ne sont pas prises au sérieux. Le besoin d’une professionnalisation de la communication de l’image nationale se fait en revanche sentir dès que le consensus faiblit.
Le consensus se fissure
23 Dès le début des années 1960, plusieurs enquêtes du DPF révèlent que l’image nationale à l’étranger n’est pas aussi bonne qu’il le souhaiterait. Les diplomates eux-mêmes se permettent de plus en plus de remettre en question les moyens mis à leur disposition alors que plusieurs enquêtes d’opinion sonnent l’alerte sur les difficultés à faire accepter la neutralité de la Suisse aux publics étrangers.
24 En décembre 1965, le ministre Maurice Jaccard, chef de section au DPF, souligne dans un rapport confidentiel que la Suisse souffre d’une mauvaise réputation : on lui reproche de ne pas participer suffisamment à la vie internationale et de mener une politique égoïste [19]. Comme il le souligne, le pays a déjà connu des périodes de remise en question plus vigoureuses encore, notamment dans l’immédiat après-guerre, mais cette fois-ci, ces critiques se conjuguent à une remise en question de l’identité nationale à l’intérieur même du pays. En effet, dès le début de la décennie 1960, des interrogations quant à la place de la Suisse dans le monde se multiplient dans l’espace public, venant de milieux variés.
25 Alors que régnait jusque-là un fort consensus autour d’une vision passéiste et mythifiée de la Suisse, de plus en plus de plus en plus d’artistes, d’intellectuel(le)s et de jeunes se tournent vers l’avenir et s’interrogent sur la place du pays dans un monde en profonde mutation. Herbert Lüthy qui, en 1946, officiait comme expert pour Pro Helvetia, parle dès 1962 du « malaise helvétique » face, notamment, au processus de construction européenne et y voit plus généralement « une peur de l’avenir » [20]. L’organisation des Suisses de l’étranger, quant à elle, critique le dispositif de rayonnement culturel du pays. En 1963, elle publie un ouvrage au titre évocateur, La Suisse face à l’avenir : interrogations d’un petit pays. Dans le comité de rédaction, on retrouve Max Petitpierre, qui a quitté le Conseil fédéral deux ans auparavant, et d’autres intellectuels proches du pouvoir, signe que la crise identitaire que traverse le pays touche les plus hauts échelons du pouvoir [21].
26 Organisés en multiples sociétés de par le monde, les délégué(e)s de la « Cinquième Suisse » débattent lors de leur congrès annuel de 1965 à Soleure de la présence de la Suisse dans le monde [22]. Les participant(e)s dénoncent la dégradation de l’image du pays, jugé immoral, présomptueux, matérialiste et archaïque, principalement en raison de sa politique à l’égard des femmes (qui n’obtinrent le droit de vote qu’en 1971) et des étrangers [23]. Les ambassades suisses ont aussi alerté le DPF dont les actions de promotion culturelle sont également remises en question par les membres de la Commission de coordination pour les relations culturelles. Selon eux, le DPF fait fausse route en refusant de planifier une politique de rayonnement culturel cohérente [24].
27 En 1971, le Département politique fédéral entreprend d’évaluer l’action de la Suisse par rapport aux autres pays au moyen de sondages auprès de ses représentations diplomatiques. Les rapports, rendus en 1973, constatent tous le retard du pays en ce qui concerne les technologies de communication : la télévision, qui permet de toucher un large public, est encore trop peu utilisée. Pro Helvetia continue en effet à favoriser la communication vers les élites et se désintéresse du grand public. L’enquête souligne l’écart entre la Suisse et d’autres pays, comme le Canada par exemple, dont l’ambassade à Varsovie ne possède pas moins de cinq cents films pour promouvoir son image nationale [25].
28 L’année suivante, la Commission de coordination pour la présence de la Suisse à l’étranger qui a remplacé celle dévolue aux relations culturelles envoie à son tour un volumineux rapport au Conseil fédéral [26]. C’est la première fois qu’une réflexion de fond est menée par un ensemble d’institutions sur la définition d’une politique globale de promotion de la Suisse [27]. Le rapport souligne que l’image de la Suisse à l’étranger n’est pas aussi mauvaise qu’on le pense à Berne, mais relève aussi le manque de moyens à disposition pour influencer l’opinion publique. Il est temps d’entreprendre des actions plus efficaces.
29 La Commission de travail devient donc permanente avec son inscription dans une loi au début de l’année 1976. Dotée d’un budget de 700 000 francs, elle peut désormais mener ses propres projets pour améliorer l’image de la Suisse à l’étranger. Pour la première fois, la Confédération se dote d’un organe spécifique qui regroupe des représentants de l’économie, du tourisme, de la culture, de la diplomatie, pour créer une propagande nationale. Les milieux culturels, Pro Helvetia en tête, qui sont pourtant partie prenante de la Commission, désapprouvent cette ingérence : l’État doit soutenir les relations culturelles internationales, non les diriger [28]. Comme souvent, la réponse institutionnelle accuse un temps de retard, puisque la création de la Commission intervient dix ans après le début du débat public relatif à l’image de la Suisse à l’étranger. Elle est également révélatrice du changement de perspective concernant la propagande. L’ex-DFP, devenue en 1979 le Département fédéral des Affaires étrangères (DFAE) réduit drastiquement le personnel dévolu aux questions culturelles alors même que les diplomates déplorent le manque de moyens à leur disposition pour encourager les échanges artistiques [29]. La diplomatie culturelle est de plus en plus considérée comme un élément transversal de la politique étrangère : la culture entrant dans tous les types d’échanges, il n’est plus nécessaire d’avoir des attachés culturels spécifiques. La prise en compte du culturel passe ainsi paradoxalement par sa dissolution au sein du DFAE.
30 Les diplomates ne sont pas les seuls à appeler à reconsidérer les efforts en faveur de la culture et le malaise est bien général. En 1969, une commission fédérale est nommée pour satisfaire aux demandes répétées des représentant(e)s des milieux culturels. Sa mission : dresser un inventaire des ressources culturelles du pays et proposer une politique d’encouragement à la culture. Le rapport, dévoilé en 1976, souligne qu’il n’y a pas de conception générale de la politique culturelle à l’étranger [30]. En s’appuyant sur l’analyse des cas de l’Allemagne de l’Ouest, de la France, de l’Italie, de la Grande-Bretagne et de la Suède, il signale le retard et le déficit de la Suisse et appelle à engager davantage de moyens en faveur du rayonnement culturel. Une fois de plus, la comparaison avec l’étranger n’est pas utilisée pour prôner l’adoption d’un modèle étranger, mais pour justifier une politique proactive d’échanges culturels et renforcer l’image et la présence du pays à l’étranger. Certains éléments du modèle suédois séduisent la Commission, comme la nomination d’attachés culturels dépendant de la fondation pour la culture pour favoriser les échanges [31]. Le rapport est ambitieux ; outre le fait qu’il s’agit du premier et dernier recensement des biens culturels du pays, il avance des propositions vigoureuses pour renforcer le rayonnement culturel à l’étranger : plus de moyens financiers pour Pro Helvetia, la conclusion d’accords culturels, l’ouverture de centres culturels helvétiques, voire européens.
31 Et pourtant, il reste lettre morte. Les diplomates du DPF accueillent mal ses conclusions qui font de Pro Helvetia la pierre angulaire de la diplomatie culturelle tout en reconnaissant l’importance de la culture pour la politique étrangère. De plus, le conflit entre la fondation et le DPF, jusque-là concentré sur des questions de leadership, se double progressivement d’un conflit de fond sur l’usage de la culture. Pro Helvetia souhaite s’ouvrir plus au monde et notamment entamer des échanges culturels avec les pays de l’Est, alors que l’administration fédérale reste très crispée face à l’Union soviétique et ses satellites [32].
32 En essayant de coordonner une politique de communication qui tienne compte conjointement des intérêts économiques, touristiques et culturels, le DFAE marque sa distance avec Pro Helvetia qui représente des milieux culturels qui, moins que par le passé, acceptent d’être de simples porte-parole du pays et désirent plus d’autonomie. L’érosion de l’idéologie de la défense spirituelle explique ces dissensions.
Le modèle helvétique
33 Dans ce processus de mise en place d’une diplomatie culturelle, l’État fédéral joue un rôle qui relève plus de la coordination que de la direction. Malgré leur concurrence affichée pour prendre la direction du rayonnement culturel, la cohésion des divers acteurs rassemblés autour de l’idéologie de la défense spirituelle facilite en effet la mise en commun de leurs efforts et permet de diffuser une image cohérente du pays à l’étranger. La diplomatie culturelle élaborée à l’aube de la Guerre froide se fait donc à relativement peu de frais pour la Confédération.
34 Mais la faiblesse de ce modèle est révélée par l’érosion de la défense spirituelle. En effet, alors que dans un premier temps, un large consensus intégrait les forces libérales, conservatrices et socialistes autour de la défense de la Patrie dans une Europe en guerre, le climat se durcit dès les années 1950 et la défense spirituelle prend une tournure nettement anticommuniste, passéiste et isolationniste. Certains acteurs du rayonnement culturel adhèrent à cette conception de la culture réduite à une fonction de bouclier, d’autres se contentent de s’en accommoder tant que ce modèle permet de développer leurs activités. Cette dernière posture est celle de Pro Helvetia, dont les dirigeants plaident pourtant, dès 1956 au moins, pour une ouverture des activités culturelles à l’Est. Les divergences éclatent entre les divers acteurs avec la mise en place de la Commission de coordination pour la présence de la Suisse à l’étranger, qui consacre la prééminence des secteurs économique et touristique sur le secteur culturel. Cela se traduit notamment par une prise d’indépendance des membres de Pro Helvetia face au gouvernement fédéral et à son administration. En 1985, la fondation ouvre ainsi à Paris son premier centre culturel, contre l’avis du Conseil fédéral, pour mettre en œuvre une politique d’échanges culturels et dépasser celle du rayonnement unilatéral.
35 Acteurs privés et publics ont mis ainsi en place un modèle de diplomatie culturelle décentralisée, fondé sur l’empirisme et la complémentarité entre leurs diverses initiatives. Le modèle de diplomatie culturelle tel que mis en place par la Suisse constitue-t-il pour autant un cas particulier (Sonderfall) ? On retrouve dans la configuration helvétique de nombreuses similitudes avec d’autres cas nationaux, dont les plus proches sont sans aucun doute ceux de la Finlande et de la Suède [33]. Pour ces deux pays comme pour la Suisse, la neutralité explique en partie le besoin d’organiser une politique culturelle passant à la fois par des canaux privés et publics et ciblant avant tout l’information, considérée comme un moyen légitime de renseigner les opinions étrangères sur le statut particulier de leur positionnement politique. Néanmoins, si la référence aux expériences étrangères est constante, la comparaison avec des modèles alternatifs sert ici avant tout d’argument pour créer un modèle qui respecte les spécificités nationales ou pour plaider en faveur d’un renforcement des moyens dévolus à la diplomatie culturelle, que celle-ci soit fondée sur une base uniquement étatique (agents diplomatiques) ou para-étatique (Pro Helvetia).
36 La spécificité de la construction de la diplomatie culturelle suisse réside avant tout dans sa superposition temporelle avec le développement du mouvement de défense spirituelle. Développé dès la fin des années 1930, ce mouvement politique et culturel est entretenu par le climat de Guerre froide, qui fait de la propagande et des idées des armes indispensables pour les puissances. Dans le conflit idéologique qui oppose les deux blocs, la Suisse se positionne en tant que « neutre de l’Ouest » en mobilisant les intellectuel(le)s et les diplomates pour la promotion de son image à l’étranger.
37 Entre 1938 et 1969, années qui marquent publiquement une rupture dans l’influence de la défense spirituelle [34], plusieurs outils de diplomatie publique sont ainsi mis en place, sans que les acteurs aient forcément conscience de participer à la création d’un volet important de la politique étrangère. Toutes les composantes décrites par N. J. Cull comme constituant la diplomatie publique – du service de radio internationale (le service des ondes courtes) aux enquêtes d’opinion du DPF/DFAE, en passant par les attachés de presse, les échanges de journalistes ou d’étudiant(e)s, et les actions de diplomatie culturelle proprement dites – ont alors leur apparition pour soutenir la politique étrangère suisse. L’autonomisation des milieux culturels a permis cette diversification des moyens d’action. Bien que les divers acteurs impliqués déplorent leurs divergences d’intérêts et le manque de coordination entre leurs efforts, on constate finalement leur convergence sur la diffusion à l’étranger d’une image qui ancre le pays dans le monde, convergence facilitée par le climat politique imprégné de la défense spirituelle.
38 Ces outils diplomatiques ont été développés pour relever des défis de politique extérieure, bien qu’il reste difficile d’évaluer précisément l’impact de cette diplomatie publique sur le positionnement de la Suisse dans les relations internationales durant la Guerre froide. Ils ont participé également à la discussion et à la constante redéfinition de l’identité helvétique à l’intérieur du pays, par un jeu d’aller et retour entre le soutien à la création culturelle et sa diffusion à l’étranger.
Notes
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[1]
Cet article se fonde sur un projet de recherche menée à l’université de Fribourg, dont les résultats ont été publiés dans trois ouvrages aux éditions Alphil, Neuchâtel, en 2013 : Matthieu Gillabert, Dans les coulisses de la diplomatie culturelle suisse. Objectifs, réseaux et réalisations (1938-1984) ; Thomas Kadelbach, « Swiss made ». Pro Helvetia et l’image de la Suisse à l’étranger (1945-1990) ; Pauline Milani, Le Diplomate et l’artiste. Construction d’une politique culturelle suisse à l’étranger (1938-1958). Les archives mobilisées pour cette étude proviennent principalement des Archives fédérales suisses (ci-après : AFS).
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[2]
Théorisé notamment par Nicholas J. Cull in « Public Diplomac : Taxonomies and Histories », Annals of the American Academy of Political and Social Sciences, mars 2008, n° 616, pp. 31-36, ce concept, employé dès les années 1960 par les acteurs diplomatiques, permet de relire l’histoire de la diplomatie culturelle en l’intégrant dans un ensemble cohérent de pratiques. N. J. Cull relève cinq composantes de la diplomatie publique : la diplomatie culturelle, les échanges de personnes, les émissions radiodiffusées à destination de publics étrangers, le travail de listening (récolter des données sur l’opinion publique étrangère pour l’influencer en retour) et d’advocacy (promotion des intérêts d’un pays par une politique d’information ciblée).
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[3]
Il existe encore peu d’études sur la Défense spirituelle. On peut toutefois se référer aux ouvrages précités ou à la notice synthétique de Marco Jorio, « Défense spirituelle », in Dictionnaire historique de la Suisse, url : http://www.hls-dhs-dss.ch/textes/f/F17426.php, page consultée le 9 septembre 2010.
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[4]
Claude Altermatt, 1798-1998, deux siècles de représentations extérieures de la Suisse, Berne, DFAE, 1998.
-
[5]
Message du Conseil fédéral à l’Assemblée fédérale concernant les moyens de maintenir et de faire connaitre le patrimoine spirituel de la Confédération, 9 décembre 1938.
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[6]
Raphaëlle Ruppen Coutaz, « La Société suisse de radiodiffusion et la promotion du tourisme helvétique (1931-1958) : de la propagande touristique à la diplomatie culturelle », in Cédric Humair, Laurent Tissot (dir.), Le Tourisme suisse et son rayonnement international (XIX e-XX e siècles), Lausanne, Antipodes, 2011, pp. 89-107.
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[7]
AFS, E9510.6, 1991/51/113, Procès-verbal, Groupe 1, Pro Helvetia, 19 février 1943.
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[8]
Pro Helvetia, Politique étrangère d’information et de propagande culturelle. Rapport sur l’organisation des relations culturelles et intellectuelles avec l’étranger, sur la propagande culturelle, la politique d’information et de propagande dans les principaux États de l’Europe occidentale, de l’Amérique, de la Tchécoslovaquie et de la Turquie, Zurich, avril 1947.
-
[9]
Arrêté fédéral concernant la fondation « Pro Helvetia », 28 septembre 1949.
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[10]
AFS, E3001(B), 1000/731/52, Programme de Pro Helvetia pour 1946.
-
[11]
Ce qui correspondrait actuellement à une somme d’un peu plus de 3 millions de francs. Le budget de Pro Helvetia prévu pour 2017 se monte à 40 millions de francs.
-
[12]
Thomas Kadelbach, op. cit.
-
[13]
André Siegfried, La Suisse, démocratie-témoin, Neuchâtel, La Baconnière, 1948.
-
[14]
Daniel Trachsler, Bundesrat Max Petitpierre. Schweizerische Aussenpolitik im Kalten Krieg 1945-1961, Zurich, NZZ-Libro Verlag, 2011.
-
[15]
AFS, E3001(B), 1000/731/56, Georges Perrin, Enquête concernant notre expansion culturelle à l’étranger – Conclusions générales dégagées par Georges Perrin, journaliste, DPF, janvier 1949.
-
[16]
AFS, E2001(E), 1968/82/10 « Einige Bemerkungen zur Reorganisation des Politischen Departements, mit besonderes Berücksichtigung der Politischen Sektion », rapport confidentiel, 22 février 1946 ; idem, 1967/113/346, Guido Keel, « Zur Frage der schweizerische Kulturwerbung im Ausland », Conférence des ministres du 10 septembre 1948, http://www.dodis.ch/7451.
-
[17]
AFS, E2001(E), 1967/113/346, Bernard Barbey, 17 juillet 1947.
-
[18]
La Suisse adhère à cette Convention en 1962. La participation aux débats du Conseil de coopération culturelle aura une influence importante sur certains acteurs à partir de la seconde moitié de la décennie 1970. On manque malheureusement d’études sur la circulation des idées et leur impact sur la politique culturelle et la diplomatie suisse.
-
[19]
AFS, E3001(B), 1980/53/124, Maurice Jaccard, rapport confidentiel, 2 décembre 1965.
-
[20]
Herbert Lüthy, « La Suisse à contre-courant », Zurich, s. n., 1962, rééd. in Le Débat, 1995/2, pp. 89-102 ; Max Imboden, Helvetisches Malaise, Zurich, EVZ Verlag, 1964.
-
[21]
Thomas Kadelbach, op. cit., p. 239 sq.
-
[22]
On appelle « Cinquième Suisse » les nationaux helvétiques de l’étranger, en référence aux quatre communautés linguistiques présentes dans les frontières nationales : germanophone, francophone, italophone et romanche.
-
[23]
Gérald Arlettaz, « Les Suisses de l’étranger et l’identité nationale », in Études et sources, n° 12, 1986, pp. 5-35 ; « Mère Helvétie jugée avec sévérité », La Gazette de Lausanne, 30 août 1965.
-
[24]
AFS, E3001(B), 1980/53/126, PV de la 20e séance de la commission de coordination, 24 août 1967.
-
[25]
Ibid., 1980/53/124, « Résultats de l’enquête sur la présence de la Suisse à l’étranger : Film », 10 décembre 1973.
-
[26]
La nouvelle commission n’intègre ni les représentant(e)s des Hautes écoles ni de la Commission nationale suisse pour l’Unesco. À leur place sont invités des délégué(e)s de la Chancellerie fédérale, du Département fédéral des transports et de l’énergie, de l’Association de la Presse suisse, de Swissair et de la Centrale pour la distinction d’origine suisse. Les secteurs économique et touristique y jouent donc un rôle prépondérant.
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[27]
AFS, E2003(A), 1984/84/389, Rapport de la Commission de coordination pour la présence de la Suisse à l’étranger, 11 décembre 1974.
-
[28]
AFS, E3001(B), 1980/53/125, Notice de Max Altorfer, chef de la section culturelle du DFI, à Hans Hürlimann, chef du DFI, 23 janvier 1975.
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[29]
Entre 1966 et 1967, la section culturelle du DFAE passe de onze à six collaborateurs qui n’ont aucun budget à disposition pour mener des actions indépendantes. Pour le point de vue des diplomates : AFS, E3001(C), 1990/218/11, « Rayonnement culturel de la Suisse : enquête effectuée auprès de nos représentations à l’étranger », 14 août 1978.
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[30]
Éléments pour une politique culturelle en Suisse, rapport de la Commission fédérale d’experts pour l’étude de questions concernant la politique culturelle suisse, Berne, 1975.
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[31]
Ibid., p. 330.
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[32]
Matthieu Gillabert, op. cit.
-
[33]
Sur la Finlande : article de Louis Clerc dans ce numéro. Sur la Suède : Nikolas Glover, National Relations: Public Diplomacy, National Identity & the Swedish Institute 1945-1970, Lund, Nordic academic press, 2011.
-
[34]
En 1969, le Département fédéral de justice et police publie un manuel consacré à la défense civile, dans lequel il met en avant l’importance de la défense spirituelle et stigmatise les pacifistes, les féministes, les militant(e)s de gauche, mais aussi les intellectuel(le)s et les journalistes. Leur réaction indignée provoque un débat public qui révèle l’obsolescence de ce modèle. Sur cette décennie : Janick Marina Schaufelbuehl (ed.), 1968-1978, Une décennie mouvementée en Suisse, Zurich, Chronos, 2009 ; Damir Skenderovic, Christina Späti, Les Années 68. Une rupture politique et culturelle, Lausanne, Éditions Antipodes, 2012.