Notes
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[1]
L’auteur remercie Koga Yumi pour l’aide à la traduction des textes japonais. Dans cet article, pour les noms de personnes et auteurs japonais, le patronyme précède le prénom.
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[2]
Les quatre citations sont empruntées respectivement à : Kenneth B. Pyle, Japan Rising: the Resurgence of Japanese Power and Purpose, New York, Public Affairs, 2007, p. 1; Karel Van Wolferen, L’Énigme de la puissance japonaise, Paris, Laffond, 1989 ; Glenn D. Hook et al., Japan’s International Relations, Londres Routledge, 2005, p. 21; Tamamoto Masaru, « Ambiguous Japan: Japanese National Identity at Century’s End », in G. John Ikenbery et Michael Mastanduno (dir), International Relations Theory and the Asia-Pacific, New York, Columbia University Press, 2003, p. 201.
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[3]
Affirmer l’ambiguïté identitaire du Japon peut apparaître comme une proposition tautologique dans la mesure où, en relations internationales, il est impossible de définir catégoriquement l’identité d’un pays, sauf à grands traits et en faisant abstraction de sa recomposition continuelle sous l’effet toujours changeant des rapports de puissance ou des préférences étatiques. Au Japon, en revanche, cette ambiguïté est le résultat de choix politiques historiques qui influencent durablement sa politique étrangère.
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[4]
Alexander Wendt, Social Theory of International Politics, Cambridge, Cambridge University Press, 1999.
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[5]
Abe Hitoshi, Shindo Muneyuki et Kawato Sadafumi, The Government and Politics of Japan, Tokyo, Tokyo University Press, 1994 [1990], pp. 225-226.
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[6]
Fujino Tamotsu, Bakuhan taisei shi no kenkyû: kenryoku kôzô kakuritsu no tenkai [Étude historique du système du bakuhan : établissement et développement de la structure de pouvoir], Tokyo, Yoshikawa Kôbunkan, 1975, p. 21 ; Marius B. Jensen, The Making of Modern Japan, Cambridge, The Belknap Press of the Harvard University Press, 2000, pp. 33 et 43.
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[7]
Par le biais de la loi du sankin kôtai (résidence alternée) selon laquelle les daimyo devaient alterner leur résidence entre leur domaine et Edo, ou bien encore en contrôlant, selon les régions, la production et la vente de certains produits agricoles pour des raisons fiscales ou mercantilistes. Fujino Tamotsu, op. cit., 1975, pp. 336, 363-372.
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[8]
Conrad D. Totman, Politics in the Tokugawa Bakufu, 1600-1843, Cambridge, Harvard University Press, 1967, pp. 115-116.
-
[9]
Ôe Kenzaburô, Moi, d’un Japon ambigu, Paris, Gallimard, 2001 [1995], pp. 16-26.
-
[10]
Ôishi Shinzaburô, « The Bakuhan System », in Nakane Chie et Ôishi S. (dir), Tokugawa Japan: the Social and Economic Antecedents of Modern Japan, Tokyo, University of Tokyo Press, 1991, p. 25; Kate W. Nakai, Shogunal Politics: Arai Hakuseki and the Premises of Tokugawa Rule, Cambridge, Council on East Asian Studies, 1988, p. 204.
-
[11]
Conrad D. Totman, op. cit., p. 236.
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[12]
Ibid., pp. 238-247.
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[13]
Kate W. Nakai, op. cit.
-
[14]
Ibid., pp. 174-177, 205-208.
-
[15]
Kären Wigen, The Making of a Japanese Periphery, 1750-1920, Berkeley, University of California Press, 1995, p. 98.
-
[16]
Sakoku : « pays verrouillé ». Politique de fermeture aux influences étrangères, principalement occidentales.
-
[17]
Ôishi Shinzaburô, op. cit., p. 22.
-
[18]
Cité in Kären Wigen, op. cit., p. 67.
-
[19]
Mary Elizabeth Berry, Hideyoshi, Cambridge, Harvard University Press, 1982, p. 147. L’auteur a tiré le concept de « souveraineté parcellisée » de l’ouvrage de Perry Anderson, L’État absolutiste : ses origines et ses voies, Paris, F. Maspero, 1978 ; Kären Wigen, op. cit., p. 98 ; C. D. Totman, op. cit., p. 254.
-
[20]
Conrad D. Totman, op. cit., p. 251. Ces réseaux offrent une structure d’autorité au fonctionnement interne très stable, à la fois pour les affaires courantes et la gestion des crises, cela quel que soit le pouvoir personnel du shogun. Fujino Tamotsu, op. cit., pp. 417-418.
-
[21]
Marius Jensen, op. cit., p. 38.
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[22]
Il n’y a jamais eu de guerres de succession sous les Tokugawa, ce qui est surprenant compte tenu de la présence, selon les époques, de près de 30 familles issues des lignées cadettes des Tokugawa. Les conflits familiaux ont été nombreux lors des successions shogunales, mais ils perdaient leur caractère familial une fois insérés dans le fonctionnement bureaucratique et néoconfucéen du bakufu. C. D. Totman, op. cit., pp. 110-111.
-
[23]
Marius Jensen, op. cit., p. 35.
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[24]
Fujino Tamotsu, op. cit., pp. 827-833, 850.
-
[25]
Marius Jensen, op. cit., p. 53.
-
[26]
Mary E. Berry, op. cit., pp. 127-128.
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[27]
Fujino Tamotsu, op. cit., pp. 244-250, 259 et 426.
-
[28]
Kate W. Nakai, op. cit., p. 203.
-
[29]
Marius Jensen, op. cit., p. 709.
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[30]
Fujino Tamotsu, op. cit., pp. 259-261.
-
[31]
Maruyama Masao, Thought and Behaviour in Modern Japanese Politics, Londres, Oxford University Press, 1963, pp. 138-140 (traduction libre).
-
[32]
Sugiyama Chuhei, Origins of Economic Thought in Modern Japan, Londres, Routledge, 1994.
-
[33]
Richard J. Samuels, « Rich Nation, Strong Army »: National Security and the Technological Transformation of Japan, Ithaca, Cornell University Press, 1994.
-
[34]
Hirakawa Sukehiro, « Japan’s Turn to the West », in Bob Tadashi Wakabayashi (dir), Modern Japan Thought, Cambridge, Cambridge University Press, 1998, pp. 30-97.
-
[35]
Conrad D. Totman, op. cit., pp.121-122.
-
[36]
Une expression idiomatique utilisée pour la première fois par Guillaume II d’Allemagne pour exprimer sa crainte du Japon après la victoire de ce dernier sur la Chine en 1895. Hirakawa Sukehiro, Japan’s Love-Hate Relationship with the West, Kent (G.-B.), Global Oriental, 2005, pp. 230-231.
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[37]
Marius Jensen, op. cit., p. 523.
-
[38]
Maruyama Masao, op. cit., p. 149. La défaite n’est plus possible, le Japon est protégé par les dieux.
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[39]
Le plan d’attaque de Pearl Harbor présenté à Hirohito fait référence à la célèbre bataille d’Okehazama de 1560 où Oda Nobunaga défait par la ruse un adversaire beaucoup plus fort, ouvrant ainsi la porte à une expansion « nationale » de sa puissance « hégémonique ». Herbert P. Bix, Hirohito and the Making of Modern Japan, New York, Perennial, 2001, p. 421. Pendant la guerre du Pacifique, ajoute cet auteur, les stratèges japonais analysaient les conditions d’une « guerre totale » et les campagnes militaires en se basant sur l’expérience des shoguns (p. 747, note no 84). Sur tout l’épisode : John Keegan, La Deuxième Guerre mondiale, Paris, Perrin, 1989, pp. 235-245.
-
[40]
Maruyama Masao, op. cit., pp. 148-149.
-
[41]
George M. Wilson, Radical Nationalist in Japan: Kitta Ikki, 1883-1937, Cambridge, Harvard University Press, 1969, pp. 81-82.
-
[42]
Maruyama Masao, op. cit., p. 98.
-
[43]
Igarashi Takeshi, « Peace-Making and Party Politics: the Formation of the Domestic Foreign-Policy System in Postwar Japan », Journal of Japanese Studies, vol. 11, été 1985, no 2, pp. 323-356.
-
[44]
Bruno Desjardins, Le Japon, première superpuissance pacifiste ? Montréal, L’Harmattan, 1997.
-
[45]
André Tosel, « La guerre globale ou la transformation de la guerre à l’époque de la mondialisation », La Pensée, janvier-mars 2005, no 341, p. 141.
-
[46]
Tamamoto Masaru, « How Japan Imagines China and Sees Itself », World Policy Journal, hiver 2005, vol. 22, no 4, pp. 57-58.
-
[47]
Robert Kagan, « Puissance et faiblesse », Commentaire, 2002, vol. 25, no 99, pp. 517-535.
-
[48]
Japan Times, 5 mai 2010.
-
[49]
Hatoyama Yukio, « Japan’s New Commitment to Asia-Toward the Realization of an East Asian Community ». Discours prononcé au sommet de l’APEC, Singapour, 15 novembre 2009. Cabinet du Premier ministre. En ligne : http://www.kantei.go.jp/foreign/hatoyama/statement/200911/15singapore_e.html. Consulté le 5 juin 2012.
-
[50]
Cet asiatisme post-guerre froide, dont il existe plusieurs variantes, est libérateur pour le Japon. Sven Saaler, « Pan-Asianism in Modern Japan History », in S. Saaler et J. Victor Koschmann (dir), Pan-Asianism in Modern Japanese History: Colonialism, Regionalism and Borders, Londres, Routledge, 2007, pp. 1-33; Tessa Morris-Suzuki, « Invisible Countries: Japan and the Asian Dream », Asian Studies Review, mars 1998, vol. 22, no 1, pp. 5-22.
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[51]
Andrei Lankov, « China and a “Confucian” Commonwealth », Asia Time Online, 29 novembre 2005. En ligne : http://www.atimes.com/atimes/Asian_Economy/GK30Dk01.html. Consulté le 13 juin 2012.
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[52]
The Japan Times, 3 octobre 2009.
1L’historien Kenneth Pyle décrit la politique japonaise sous la forme d’un « pendule » oscillant du militarisme au pacifisme ou du culte de l’empereur à la démocratie. Il n’est pas seul à souligner les décalages identitaires du Japon, particulièrement dans les relations internationales. On y traite de ce pays comme d’une « énigme », voire d’un « paradoxe paradigmatique » car son comportement n’est pas conforme à celui des autres pays industrialisés, comme l’indique la persistance de son « pacifisme dans un seul pays [2] ». L’ambiguïté de l’identité nipponne, loin d’être tautologique, est une caractéristique historique de la politique étrangère du Japon et un fait qui influence celle-ci depuis longtemps [3].
2Une réflexion s’impose donc sur l’origine de cette ambiguïté identitaire, alors que le débat actuel sur la réforme de la constitution amène à se demander si le Japon doit abandonner ou non son pacifisme constitutionnel pour affronter la puissance montante de la Chine. La question est d’autant plus complexe qu’elle impose peut-être d’en finir avec ladite ambiguïté, qui fut construite dans le contexte de l’insertion japonaise dans un système international occidento-centré. Comme nous l’explique le courant constructiviste en relations internationales, la coconstitution de l’identité et des intérêts des acteurs étatiques se fait sur la base d’une interaction rendue possible par des « normes partagées » à l’intérieur d’un système international [4]. Nous verrons ici que l’ambiguïté identitaire du Japon vient justement d’une certaine forme de décalage, voire de dissension par rapport à ces normes, notamment en matière de souveraineté, de guerre et de paix. Alors que le centre du système international glisse inexorablement vers la Chine, un pays dont le système d’autorité heurte de plein fouet les valeurs du monde occidental, le Japon est forcé de faire un choix entre son attachement à l’Occident – toujours ambivalent – et un retour à une Asie de nouveau dominée, après un intervalle de plus de cent cinquante ans, par la Chine.
3L’ambiguïté identitaire tire ses origines de la Restauration de Meiji (1868) et de la connexion – continuellement à refaire – de deux visions du monde, l’une occidentale, l’autre japonaise. C’est à travers elle que, depuis l’époque de Meiji, le Japon se cherche une identité dans un système qui lui est foncièrement étranger et qui est continuellement en crise car coercitif, hiérarchique et non pacifique. Les oligarques de Meiji ont compris que les pays les plus riches et les plus puissants étaient tous capitalistes et possédaient d’imposantes capacités militaires et industrielles. Pour assurer sa sécurité et son indépendance dans un monde en crise – bref, pour ne pas subir le même sort que la Chine –, le modèle occidental était en définitive le meilleur moyen pour recevoir le titre de grande puissance à l’égal des pays occidentaux. Cette représentation technique d’une identité moderne ne disait cependant pas aux oligarques comment accéder au sommet de cette hiérarchie et encore moins quel serait le statut de leur pays au sein des puissances existantes. Ils ont alors créé leur propre schéma cognitif du système international et du rôle et du statut du Japon dans celui-ci en puisant dans l’histoire politique et militaire de la période d’Edo (1603-1868) : un type primaire de société internationale et un modèle de paix [5]. Mais dans ce modèle, l’état de crise est un état anormal, alors que dans le système international occidento-centré, la crise fait de la paix une trêve entre deux conflits.
4Dans cet article, nous approfondissons ce schéma cognitif pour nous éclairer sur l’ambiguïté identitaire du Japon dans les relations internationales, de l’époque de Meiji à nos jours, alors qu’il doit à nouveau se redéfinir, au-delà de son identité pacifique, pour affronter la montée en puissance de la Chine.
La paix d’Edo : une société « internationale »
5La société « internationale » d’Edo était fondamentalement hiérarchique, dominée certes par le shogun Tokugawa et le bakufu (gouvernement militaire), mais dans le cadre de rapports de puissance et d’autorité asymétriques et complexes avec les daimyos, seigneurs régnant sur des domaines de plus ou moins grande importance. Les actions centrifuges et les capacités militaires et économiques de ces derniers maintenaient une structure de pouvoir pacifique, sous la forme d’une « souveraineté parcellisée » entre les domaines (han) et le bakufu, d’où l’expression bakuhan pour décrire le système politique d’Edo [6]. Ces acteurs territoriaux avaient des liens étroits avec les marchands et les maisons de commerce dont les activités avaient tendance à déborder les frontières domaniales. Mais une dure concurrence mercantiliste les gardait emmaillés dans une structure politique décentralisée qui, pour échapper aux conflits, devait maintenir l’équilibre des capacités non seulement militaires, mais aussi économiques [7].
6Parmi les daimyos, il y avait les fudai, les seigneurs de « l’intérieur » et les tozama, les seigneurs de « l’extérieur ». La distinction n’a jamais été absolue entre les premiers, alliés militaires de confiance du shogun, et les seconds, anciens ennemis suscitant la méfiance. Par exemple, des branches cadettes du clan Tokugawa n’ont jamais eu le statut de fudai, ni la possibilité d’accéder à des postes d’autorité au sein de l’administration du bakufu, mais elles avaient la confiance du shogun dans la mesure où ces familles avaient fait preuve de « collaboration altruiste » par le passé [8]. Par ailleurs, un tozama faible devenait un allié ad hoc selon les exigences militaires du moment, et on pouvait lui accorder un poste d’autorité pour maintenir l’équilibre dans une région. Malgré ce pragmatisme politique, les tozama étaient des étrangers dans la société d’Edo. Leur système d’autorité particulier les situait à l’extérieur des réseaux de pouvoir, ils étaient des ennemis potentiels avec lesquels on vivait dans une paix froide qui exigeait un constant équilibrage des capacités militaires et économiques entre le shogun, les fudai et les tozama – ces derniers devant rester assez faibles pour qu’ils ne risquent pas de renverser le shogounat, tout en obtenant les moyens de garder à bonne distance leurs propres ennemis. Malgré l’unilatéralisme éventuel de ses décisions et actions, le shogun n’en demeurait pas moins un hégémon qui dépendait des fudai – et de leur respect des règles – pour maintenir la paix.
7À l’aube de la Restauration de Meiji, le Japon a vite compris que le système international était dominé par la Grande-Bretagne, un shogun à sa façon, et quelques pays puissants (France, Hollande, États-Unis), des fudai, dont le système d’autorité était compatible avec celui de Londres. Il y avait également des tozama, comme la Russie, l’Allemagne et la Chine, dont le fonctionnement interne en faisait des étrangers dans le jeu des grandes puissances libérales. Le choix a été rapide : le Japon serait un fudai. Mais le Japon a peut-être opté pour la modernité occidentale, il n’a pas « quitté l’Asie » malgré l’appel du philosophe Fukuzawa Yukichi à rejoindre l’Occident. Au contraire, le slogan « techniques occidentales, valeurs japonaises » domine le discours des dirigeants. Le Japon ne sera jamais un véritable fudai, auquel la Grande-Bretagne, puis les États-Unis pourront accorder leur entière confiance. Il est toujours un tozama, un pays de l’extérieur dont le système d’autorité repose, à la limite, sur ses valeurs traditionnelles. Dans ses rapports avec le monde extérieur, cette ambiguïté identitaire a donné lieu à des tentatives de résolution ou de dépassement qui ont pris la forme de l’impérialisme militaire et de la guerre du Pacifique (refaire l’Asie à son image), mais aussi du « pacifisme dans un seul pays » (accentuer sa différence), dans le système westphalien en crise.
8Le Japon affrontera-t-il la nouvelle puissance chinoise à titre de fudai – en pratiquant la politique de la fraternité (yuai) prônée par l’ancien Premier ministre Hatoyama Yukio – ou de tozama, en devenant un « pays normal » ? Ce choix s’inscrit toujours à l’intérieur d’une problématique identitaire centrée sur l’Occident qui ne peut être dépassée ; une « maladie chronique » de l’âge moderne, écrit Ôe Kenzabûro, qui porte en elle le « spectre » de l’État constitutionnel d’avant 1945 [9]. Face à cette impasse, abandonnera-t-il justement cette ambiguïté identitaire qui le caractérise depuis un siècle et demi pour revenir à sa position traditionnelle d’État tributaire de l’Empire chinois, dont il reconnaît l’autorité morale, mais jamais la domination ? Le Japon aurait alors une identité purement asiatique. Il ne serait plus un étranger, et son ambiguïté ferait place à la familiarité. Sauf que, l’histoire nous l’enseigne, il n’a jamais pu accepter cette domination chinoise.
Le bakufu des Tokugawa : équilibre des puissances et « souveraineté parcellisée »
9Le bakufu des Tokugawa s’étend sur 265 années. Il fait suite à deux périodes historiques importantes pour l’unification du pays : l’époque d’Azuchi Momoyama (1573-1603) et l’époque de Sengoku, celle des « pays en guerre » (1467-1573) durant laquelle le Japon sombre dans le chaos militaire et politique. Nobunaga Oda (1534-1582) et Toyotomi Hideyoshi (1536-1598) réussiront à unifier le Japon et à mettre fin à la « guerre de Cent Ans », mais c’est à Tokugawa Ieyasu (1543-1616) que l’on doit une structure politique capable de garder le Japon nouvellement unifié dans un état de paix durable.
10Pendant la période d’Edo, le bakufu, comme la société japonaise en général, ne cesse jamais d’évoluer et de se transformer. Il suffira à notre démonstration de conceptualiser les rapports d’autorité et de puissance entre le shogun et les daimyos, d’autant que les dirigeants de Meiji ont cherché à comprendre les relations internationales en considérant le bakufu des Tokugawa comme un système construit par ces derniers pour légitimer leur autorité sur les daimyos et achevé vers la fin du xviiie siècle. Nous nous bornerons donc ici à souligner ce qui rapproche la période d’Edo d’une « société internationale », avec ses rapports de force, ses règles et ses principaux acteurs, mais aussi avec ses particularités qui éclairent l’évolution de l’identité japonaise dans les relations internationales.
De la « paix militaire » à la « paix civile » : l’institutionnalisation du bakufu
11La plus grande réussite du bakufu a été de placer sous son autorité les daimyo et de faire de ce rapport de force institutionnalisé l’épine dorsale de la paix « nationale ». Dans ce pays fatigué par la guerre et en l’absence d’une menace extérieure, le gouvernement militaire est graduellement remplacé, en pratique, par un « gouvernement civil », dominé par la « routine bureaucratique » et l’idéologie néoconfucéenne. Le bakufu ne peut plus compter, dès la fin du xviie siècle, sur une force militaire très importante. Depuis l’entrée de Tokugawa Iemitsu à Kyoto à la tête d’une armée de 350 000 hommes pour « intimider l’Empereur », les capacités militaires du shogun n’ont cessé de décliner, mais les daimyos ont toujours l’obligation de mettre leur force militaire au service du bakufu [10].
12Les dirigeants du bakufu ont favorisé l’institutionnalisation du statu quo dès que la paix a été instaurée, parce que ce nouveau climat pacifique favorisait justement la « sécurisation » des « intérêts de la famille Tokugawa [11] ». La gouvernance des Tokugawa s’est constamment ajustée aux changements socioéconomiques, mais les tensions surgissant d’une structure d’autorité décentralisée n’ont jamais été éliminées. À un processus de centralisation étatique à l’européenne, le bakufu lui a préféré une gestion étroite des rapports de force entre les principaux acteurs territoriaux [12]. Les ambiguïtés de l’existence même du shogun n’ont donc jamais été résolues : le bakufu se veut un gouvernement « national » et une entité politique « autonome », mais il limite son rôle à celui de « pouvoir hégémonique » et puise sa légitimité dans ses rapports avec la cour impériale [13].
13Arai Hakuseki (1657-1725), le conseiller du shogun Ienobu, tenta de remettre en question l’équilibre des rapports de force au sein du système politique en faisant du shogun le roi du Japon et des daimyos ses subordonnés au sens strict. Selon Arai, les daimyos tirent leur autorité de la délégation des prérogatives souveraines du shogun, lequel, comme roi, détiendrait la responsabilité d’assurer l’aisance et la quiétude aux domaines seigneuriaux. Ce n’était pas, à ses yeux, la fin du bakufu, mais sa transformation en un État centralisé par la redistribution de la puissance et la « centralisation » de l’autorité souveraine [14]. Ce projet ne verra jamais le jour et les nombreuses réformes entreprises par Arai seront rapidement abandonnées. Le risque de guerre était simplement trop élevé, car ce projet remettait en question le rôle de « médiateur » du shogun dans les affaires inter-daimyos. Dans le cadre de ce rôle, le shogun s’affichait comme le défenseur de la décentralisation – d’où sa légitimité –, par exemple, en contrôlant l’expansion territoriale des domaines [15]. En définitive, la « société internationale » d’Edo assurait la sécurité de la grande majorité des daimyos, d’autant plus que la politique du sakoku isolait le Japon des effets de crise du système international [16].
La gestion des rapports de force et d’autorité
14Le shogounat avait quatre fonctions majeures : la conduite des rapports avec les daimyos ; la « gestion » de la maison impériale ; le contrôle des relations étrangères et la « sacralisation de l’héritage » des Tokugawa [17]. La première fonction intéresse particulièrement notre argumentation. Le système d’autorité mis en place par Tokugawa Ieyasu et perfectionné par ses successeurs reposait sur un processus constant d’équilibre des puissances sur un territoire divisé en de nombreuses entités militaro-politiques. L’ambiguïté de l’autorité shogounale, associée à la présence d’une structure étatique minimale, a fait dire à Philip Brown que le shogounat était un « État flamboyant » connu pour ses « proclamations exhortatives » plutôt que pour ses interventions réelles dans les affaires du pays [18]. Bref, un État qui est incapable d’exercer toute l’autorité à laquelle il aspire, parce qu’il est moins un État qu’un état de « souveraineté parcellisée » où, collectivement, les daimyos exercent un contrepoids et un contrôle sur leurs affaires mutuelles et sur le bakufu, tenant en échec toutes tentatives d’expansion ou de centralisation, voire d’instauration de politiques non conformes à la tradition [19].
15Pour que ces entités ne sombrent pas dans des guerres à répétition, la « société internationale » d’Edo doit satisfaire un ensemble de conditions « géopolitiques » dont l’équilibrage est réservé au shogun. Cet équilibre repose sur trois facteurs : la hiérarchisation des acteurs, la géopolitique des rapports daimyo-shogun et les alliances. La bureaucratisation des affaires politiques et militaires a fait en sorte que le jeu d’équilibre s’insère dans des règles de conduite définies très tôt dans l’existence du bakufu.
Le statut et le rang des daimyos
16Nous ne reviendrons pas sur la distinction entre le statut de fudai et celui de tozama. Notons cependant que les seigneurs tozama n’auront que rarement des postes au sein du bakufu et leurs vassaux à peu près jamais. Les tozama ne sont pas les pairs des Tokugawa. Ils sont à l’extérieur des réseaux des fudai. Ces réseaux de fudai, dont la loyauté personnelle au shogun remonte à la fameuse bataille de Sekigahara en octobre 1600, sont renforcés par des liens filiaux et de servitude et par des obligations administratives et militaires créant une « loyauté abstraite » définie en termes confucianistes par le respect de son rang et de son statut dans la vie politique [20]. Les tozama et leurs vassaux pouvaient bien avoir le même rang que les fudai, mais « ils habitaient un univers différent de relations sociales », un peu comme dans le Japon contemporain où les « étrangers non asiatiques, les gaijin, se déplacent sur une orbite » à jamais différente de la société japonaise [21].
17Le rang des daimyos était défini avec précision selon la taille de leur domaine, la possession d’un château ou de fortifications, leurs revenus évalués en koku (une unité pour mesurer le riz), leurs capacités militaires et leur histoire lignagère. Il détermine le statut du daimyo dans la capitale du bakufu et son influence sur les affaires de l’État. Un daimyo était par définition un seigneur dont le territoire correspondait à 10 000 koku ou plus. Les fudai (incluant les shimpan, familles des fils cadets des Tokugawa [22]) et tozama engrangeaient un revenu agrégé respectif de 9,3 millions et de 9,8 millions de koku. Les terres shogunales rapportaient, quant à elles, plus de 4,2 millions de koku, et la cour impériale, les sanctuaires et les temples réclamaient, en tout, un revenu de 460 000 koku. Maeda, un tozama, était le plus riche daimyo avec un revenu de plus d’un million de koku. Il y a toujours eu plus de daimyos fudai que tozama, mais un grand nombre de fudai ne possédaient que de petits domaines, de la taille, par exemple, de la principauté de Monaco [23]. Au Japon comme ailleurs, la géographie tient toujours un rôle stratégique en situation de guerre ou de paix, d’autant plus que 75 % du territoire est sous le contrôle des daimyos. Les tozama étaient généralement éloignés d’Edo, comme à Kyushu où le shogun s’assurait tout de même que les routes d’accès à la capitale et les villes stratégiques étaient contrôlées par ses alliés ou par ses propres forces [24].
18Plusieurs familles pouvaient se réclamer d’une histoire prestigieuse et d’un rôle important, notamment aux côtés des Tokugawa à Sekigahara. Plusieurs daimyos détenaient ainsi une grande influence dans les affaires du bakufu, même si en termes de revenu, ils n’étaient pas très loin de la pauvreté. Les plus grands domaines comme Tosa, Satsuma ou Maeda, étaient en pratique des « États quasi indépendants ». Ils possédaient leur propre armée, leur propre administration fiscale et judiciaire et, très souvent, leur propre monnaie. Pour leurs vassaux, les frontières de leur « pays » (kuni) se résumaient à celles de leur domaine, et ils pouvaient difficilement envisager une extension des hiérarchies sociales à un niveau « national » plus élevé [25].
Les règles du bakufu
19Stabiliser une distribution aussi complexe des capacités, des statuts et des rangs, sans parler d’acteurs que nous n’avons pas mentionnés comme l’aristocratie ou les shimpan, a exigé beaucoup de temps et d’efforts, mais sa légitimation a été ancrée dans la « sanctification du statu quo ». À la suite d’Hideyoshi qui avait abandonné la « correspondance privée » pour régler les différends et les conflits à la faveur de « règles universelles [26] », Ieyasu et ses successeurs ont créé à l’intention du bakuhan, le buke shohatto, le code des maisons militaires, une sorte de constitution ou un instrument de légitimation du statu quo et de la routinisation de l’autorité du shogun [27]. Sans jamais affirmer l’autorité de ce dernier pour gouverner les daimyos, le code spécifie les règles de conduite sociale, politique, somptuaire et militaire dans le but de limiter, voire de contrôler, le risque qu’ils se lancent dans des séditions ou qu’ils se querellent entre eux [28]. Le buke shohatto limite au strict minimum les contacts entre les daimyos et les expose à l’intervention du shogun dans leurs affaires internes. Enfin, le code les dirige « humblement » vers l’étude des arts de la paix et de la guerre, favorisant les premiers au détriment des seconds [29]. Si les tozama résistaient promptement aux interventions du shogun, quelquefois futilement, les fudai en revanche pouvaient être la cible de ses « attaques », le shogun pouvant alors aller jusqu’à mettre fin à une lignée familiale et disperser leurs biens [30].
20L’époque de Tokugawa représente en quelque sorte, la réalisation d’une paix kantienne, « protégée » par la puissance hégémonique « éclairée » du shogun. L’état de paix est devenu un état normal dans lequel la « constitution républicaine » a fait disparaître ou a atténué tellement les risques d’insécurité que les forces militaires diminuent considérablement avec les années.
L’ambiguïté identitaire du Japon moderne
De la Restauration de Meiji à la guerre du Pacifique
21Le philosophe politique Maruyama Masao a déjà noté que les personnages qui ont conquis l’autorité dans le Japon unifié de Meiji étaient des éléments de l’ancienne élite de la période d’Edo et que leur entendement du monde a été durablement influencé par leur conception des rapports de force à l’intérieur du Japon. « L’idée d’égalité dans les affaires internationales », écrit-il, leur était inconnue :
[Ils] envisageaient les relations internationales à partir de leur statut au sein de la hiérarchie nationale fondée sur la suprématie des supérieurs sur les inférieurs. En conséquence, quand les fondements de la hiérarchie nationale ont été transférés, horizontalement, dans la sphère internationale, les problèmes internationaux furent réduits à une simple alternative : conquérir ou être conquis. En l’absence de standards normatifs supérieurs avec lesquels évaluer les relations internationales, la politique de puissance devenait inévitablement la règle [31].
23Le droit international a été réduit au « droit des plus forts » comme le libre-échange à la politique commerciale des plus riches [32]. Le slogan « armée puissante, économie prospère » (fukoku kyôhei) est devenu le principe directeur de la politique nipponne jusqu’à la fin de la guerre du Pacifique [33]. Dans un système international constamment en situation de crise, Tokyo cherche le statut de fudai et rejette celui de tozama, de peur d’exacerber les tensions avec les pays européens, voire de favoriser l’invasion et la colonisation du territoire nippon.
24Le Japon acquiert alors l’ensemble presque complet des caractéristiques de la modernité occidentale : un État centralisé ; une bureaucratie fondée sur le mérite et les compétences ; un système d’éducation « universel » ; une agriculture commerciale ; un système juridique d’influence allemande ; une force policière d’inspiration française, etc. [34] Son statut de fudai lui offre l’opportunité de participer aux affaires internationales, mais encore plus fondamentalement, le droit d’exister à titre de membre à part entière d’un club très sélect. Ce droit s’acquiert en négociant la fin des traités inégaux, en développant un comportement « à l’européenne » dans ses rapports de plus en plus tendus avec la Chine et la Corée, puis en lançant une guerre contre la principale puissance « révisionniste » de l’époque, la Russie. Avec sa victoire sur les armées du tsar que plusieurs pays accueillent avec sérénité, le Japon crut acquérir, enfin, le statut de fudai ; son alliance avec la Grande-Bretagne (1902) et l’accord « secret » Taft-Katsura (1905) avec les États-Unis sur le respect de leur sphère d’influence respective aux Philippines et en Corée semblent le confirmer.
25Mais le Japon ne fut jamais un véritable fudai, un peu à l’image des « trois familles » (sanke), lignées prestigieuses des fils cadets de Tokugawa Ieyasu dont le shogun cherchait à minimiser l’influence tout en les couvrant d’honneurs [35]. Dans la même optique, la confiance ne régna jamais entre les pays occidentaux et le Japon, les premiers étant toujours prudents face au « péril jaune » et aux intentions impérialistes de Tokyo [36]. En fait, le Japon moderne ne s’est jamais détaché de ses origines asiatiques. Adaptée et modifiée, la modernité n’a pas transformé les rapports d’autorité traditionnels.
26Le Japon de Meiji et de Taishô (1912-1926) est demeuré un étranger dans un système international euro-centré. Il n’est pas, dans l’absolu, un tozama, mais son statut de fudai demeure limité à son rang de grande puissance moderne. Alors que, dans l’Europe du xixe siècle, des rapports de confiance surgissent (temporairement) entre les grandes puissances, le doute et l’incertitude assombrissent les rapports politiques toujours difficiles entre l’Europe, le Japon et l’Asie en général. Le Japon embrasse alors graduellement les caractéristiques d’un tozama, selon un concours de circonstances qui accentue ces deux facteurs de démarcation identitaire : la méfiance occidentale et son statut de pays asiatique. Après la Première Guerre mondiale, les États-Unis deviennent son principal interlocuteur et les différends sociopolitiques font place à des différends militaires beaucoup plus sérieux qui incitent des nationalistes, comme Ôkawa Shûmei, à voir dans le jeune shogun américain, « l’ennemi naturel » du Japon et de l’Asie. La conférence de Washington de 1922 contraint le Japon à se retirer des anciennes possessions allemandes en Chine et à limiter ses capacités navales dans le Pacifique. En soi, ces exigences visent à maintenir le statu quo et ne remettent pas en question la suprématie navale de l’archipel ; elles sont comparables aux actions d’un shogun équilibrant les capacités toujours changeantes des daimyos. Pourtants le Japon se sent toujours plus isolé. La Société des Nations refuse de reconnaître « l’égalité des races », principe cher au Japon, qui signifiait la reconnaissance ultime de son titre de fudai dans le système international.
27La radicalisation de sa politique étrangère éloigne le Japon du camp des fudai. Il refuse, par exemple, de participer aux mesures punitives contre les nationalistes de Thiang Kai-chek après leur attaque contre les consulats étrangers à Nankin en 1927, alors qu’auparavant, de telles actions conjointes rehaussaient son sentiment d’appartenir au camp occidental [37]. Finalement, il a rejoint le camp des tozama, aux côtés de l’Allemagne et de l’Italie. Ce renversement radical de son identité ne doit pas seulement être attribué à la méfiance et à l’isolement, mais également à des causes internes liées à son ambiguïté identitaire de quasi-fudai possédant la puissance mais pas l’autorité, autrement dit possédant le rang, mais pas le statut d’allié. Cette ambiguïté identitaire s’est transformée en une crise sociale et politique intense qui a mené à Pearl Harbor, à la conquête de l’Asie orientale et à la guerre du Pacifique. La résolution de cette crise a exigé que soit affirmé le caractère purement nippon du système politique, voire sa dimension divine [38] ; la modernité est soit cantonnée à son caractère purement technique, soit promise, comme l’a fait l’école de Kyoto, à être dépassée par une « fusion parfaite » de l’Orient et de l’Occident.
1941, Pearl Harbor
28Sans jamais disparaître, l’ambiguïté identitaire est atténuée par le rapprochement politique et militaire avec l’Axe et l’attaque surprise sur Pearl Harbor en décembre 1941, assimilable, fondamentalement, à la rébellion ouverte du seigneur tozama contre le shogun. Jusqu’à sa capitulation en août 1945, le Japon s’accorde sciemment le statut de tozama dans le système international et agit en conséquence.
29Un tozama, à l’époque des Tokugawa, est toujours un ennemi potentiel du shogun ; il a été pacifié, mais la frustration liée à son étroite muselière militaire ne laisse pas de doute sur ses intentions. En revanche, s’il renforce ses capacités militaires, accroît ses ressources économiques et étend son réseau d’alliances, il apparaît comme une « puissance révisionniste » attendant le moment propice pour attaquer ses ennemis. Dans cette perspective, le Japon s’est comporté, bien avant Pearl Harbor, à l’image d’un tozama face au « jeune shogun » américain qui, malgré son autorité relativement faible, redéfinit les règles du jeu en sa faveur. Dans la mesure où les États-Unis n’ont pas toute la légitimité requise pour intervenir en Asie et remettre en question le statu quo des puissances européennes et japonaise, l’attaque de Pearl Harbor est un acte rationnel contre un « shogun » qui ne génère pas la paix, mais l’insatisfaction et l’incertitude [39].
30Le Japon quitte la Société des Nations en 1933 à la suite des événements entourant l’invasion de la Mandchourie. Il radicalise son discours et ses actions qui s’opposent à l’ordre anglo-américain et favorisent la méfiance et les blocages diplomatiques. L’intégration de la Corée et de Taïwan à l’Empire, la création de l’État du Mandchoukouo, son expansion impérialiste en Chine et en Asie du Sud-Est puis son adhésion au Pacte tripartite l’assimilent à un seigneur qui agrandit son fief pour ramener un ordre temporel et territorial de type pré-Tokugawa (donc non pacifique) à défaut de pouvoir devenir un shogun « universel » à l’image des Britanniques ou des Américains. Le Pacte tripartite de septembre 1940 rejette l’ordre établi, mais aussi l’intégrité du système international qui devient divisible et ouvert à la présence de plusieurs « shoguns régionaux », donc propice à une « guerre civile » permanente.
31La militarisation de la société japonaise indique un renversement des rapports de force en faveur des militaires, lesquels envisagent la création d’un nouvel ordre régional dont la stabilité dépendra d’un système international durablement divisé. Le référent cognitif de ce nouvel ordre régional est le néoconfucianisme ; sous ce jour, le discours « bienveillant » d’un Japon libérant l’Asie du joug impérialiste occidental ne propose pas en réalité une « égalité dans le droit », mais une « égalité dans la similitude » écrit Maruyama Masao. Les pays asiatiques sont égaux dans la mesure où ils sont modernes à la japonaise, mais à l’intérieur d’une hiérarchie implacable à la Tokugawa où les hiérarchies principales sont complétées par des hiérarchies de statuts et de rangs secondaires, tertiaires, etc., mais tous soumis en définitive à la seule autorité de l’Empire [40].
32Pour les nationalistes les plus radicaux comme Kitta Ikki, de cette guerre civile mondiale devait émerger une « paix féodale » appuyée sur l’État le plus fort. Il croyait, écrit George Wilson, que, dans la paix féodale à venir, « le Japon devait émerger comme le “shogun de Tokugawa”, au-dessus de toutes les nations » et que cette nouvelle structure internationale serait organisée « sous la forme du système du bakuhan [41] ». L’erreur de Kitta Ikki n’était pas de prêter au Japon des prétentions hégémoniques universelles, alors qu’il n’en a jamais eu, mais de croire qu’un Japon tozama avait comme objectif ultime l’établissement d’un ordre pacifique ; il cherchait en réalité à survivre à un ordre international en état de crise permanent en proposant comme modèle non pas le bakufu d’Edo, mais l’ordre politique pré-Tokugawa sans autorité supérieure à celle des daimyos. C’est le cœur de l’ambiguïté identitaire japonaise de 1868 à 1945 : étranger dans un système international euro-centré, il doit pour survivre le (dé) construire selon ses propres intérêts, ce qu’il ne peut d’ailleurs faire sans s’appuyer sur l’Asie avec un contrôle autonome de l’autorité et de la puissance, donc en l’absence d’une force supérieure pouvant le contraindre d’une manière ou d’une autre. L’ambiguïté identitaire le mena, on le sait, à la catastrophe.
33Analysant le tribunal militaire de Tokyo (1946), Maruyama Masao relate comment le ministre japonais des Affaires étrangères, Tôgô Shigenori, rencontrant l’ambassadeur américain Joseph Grew, omit de lui dire que son Gouvernement s’apprêtait, dans les minutes suivantes, à attaquer Pearl Harbor. Au procureur, étonné de cette omission, l’ancien ministre répondit que l’ambassadeur étant devenu une « bonne connaissance », il répugnait à lui en parler, mais que, malgré tout, il lui avait présenté ses « profonds regrets » quant à l’état désastreux des rapports bilatéraux [42]. De fait, l’étiquette et les normes sociales confucéennes interdisaient au fudai qui mettait fin à sa loyauté au shogun et à sa légitimité politique d’en parler à ce dernier, car cela aurait fait perdre la face publiquement à son interlocuteur. Le ministre n’avait pas voulu dépasser cette limite. L’épisode indique à quel point le système d’autorité japonais différait de celui des Américains qui n’ont jamais digéré cette attaque surprise alors qu’elle était, pour les Japonais, dans l’ordre des choses.
L’après-guerre et l’hégémon américain
34Après la guerre du Pacifique, le Japon détruit et vaincu peut-il enfin envisager d’accéder à un véritable statut de fudai auquel les puissances occidentales puissent accorder leur confiance ? Il a abandonné son régime autoritaire pour accepter les valeurs occidentales de démocratie et de justice. Sa constitution en fait un acteur pacifique, et sa modernisation a été poursuivie en dehors de tout programme militaire et par l’adhésion aux principales organisations internationales. Il a signé un traité de sécurité avec les États-Unis, devenant ainsi l’un de leurs alliés les plus importants du « monde libre ». Les anciens criminels de guerre réhabilités après l’occupation américaine, comme le futur Premier ministre Kishi Nobusuke (1957-1960) et les futurs ministres des Affaires étrangères Shigemitsu Mamoru (1954-1956) et de la Justice Kaya Okinori (1957-1960) – des anticommunistes notoires –, ont prêté allégeance à la nouvelle puissance hégémonique américaine. Le Japon signifie ainsi sa volonté réelle de se débarrasser de ses derniers relents de tozama, et de ne pas remettre en question son statut retrouvé de fudai.
35Certes, la guerre froide, loin d’être un état de paix, est simplement un état de non guerre entre les deux superpuissances, une trêve malgré tout assez longue et stable pour permettre au Japon de se rapprocher d’un véritable statut de fudai, consentant, par son refus d’entretenir des forces militaires offensives, une perte importante de souveraineté et laissant aux États-Unis la responsabilité d’assurer sa sécurité nationale. Il n’est plus une menace au statu quo ; la confiance qu’il inspire est quasi complète. Si le général MacArthur, « le dernier shogun », avait atteint son objectif de faire du Japon une démocratie agraire, chrétienne et sans capacité militaire, le pays aurait alors été un véritable fudai dépendant entièrement des États-Unis pour son existence. Cependant, ce statut n’a pas été choisi mais imposé, sous peine de voir l’Empereur condamné pour crimes de guerre, et la dynastie prendre probablement fin. Le pays est toujours dirigé par l’ancienne élite purgée de ses éléments les plus radicaux, mais pas de ses idéaux. Si la modernité libérale devient l’un des fondements de la société, son système d’autorité et de commandement demeure typiquement nippon, relativement obscur et fermé à l’observateur étranger. Mais le Japon n’est plus le tozama d’avant 1945 dans la mesure où il ne remet pas en question la légitimité de la puissance hégémonique américaine, ni celle du droit international et des règles et des principes d’organisation de la société internationale. De plus, le Japon reconnaît aux États-Unis un rôle de « médiateur » dans les conflits entre les États du camp occidental.
36Dans les années 1980, la stratégie de l’ancien Premier ministre Yoshida Shigeru de faire du Japon une superpuissance économique sous la protection militaire des États-Unis se réalise. Mais un daimyo peut-il être plus riche que le shogun ? C’est chose impossible sans créer un état de méfiance propice aux conflits militaires. Le « péril jaune » reprend du service sous la forme du Japan Bashing (dénigrement du Japon). Le pacifisme dans une seule nation, la présence d’une force étrangère sur son territoire et sa grande puissance économique représentent un nid de contradictions. Le Japon est ni complètement fudai ni complètement tozama. Lié aux États-Unis, il ne peut envisager, d’une part, de prendre des responsabilités militaires, ce qui l’oblige à choisir la « diplomatie du chéquier », et il ne peut donc exister à titre de puissance souveraine ; d’autre part, son pacifisme lui est propre dans un monde en crise, confronté à la coercition, à la violence et à la hiérarchie. Dès lors, Tokyo est incapable de faire du Japon un « État de paix » promouvant, par exemple, une coexistence pacifique globale avec ses anciens ennemis et les pays non alignés, comme le désiraient les forces de gauche nipponnes après la Seconde Guerre mondiale [43]. L’ambiguïté est totale.
L’après-guerre froide
37La fin de la guerre froide a offert pour la première fois la possibilité bien réelle de mettre fin à l’état de crise dans les relations internationales et, par ce fait même, d’orienter l’identité japonaise vers le statut de « superpuissance pacifique [44] » en accord, enfin, avec la nature du système international. La disparition du dernier grand tozama, l’URSS, et la promesse d’une direction collégiale des affaires internationales symbolisée par la guerre du Golfe (1990-1991) ouvrent la porte à la fin de l’ambiguïté identitaire du Japon. Son pacifisme constitutionnel – inspiré des idéaux du libéralisme classique mais aussi de l’expérience d’Edo – peut devenir une véritable politique étrangère mondiale dans la mesure où une « paix démocratique » était enfin envisageable. À la différence des époques de Meiji et de Taishô, il était possible d’imaginer un statut réel et complet de fudai. À l’image de la paix des Tokugawa, le système international tendait à une baisse réelle des capacités militaires, cela en l’absence d’une menace sérieuse contre la stabilité mondiale. Au début des années 1990, il n’était question d’Axe du mal que dans les livres traitant de la Seconde Guerre mondiale, al-Qaida n’était qu’un groupuscule de moudjahidine abandonné par la CIA et l’avenir de la Corée du Nord était dans le modèle chinois de transition vers une économie de marché.
38La fin de la guerre froide n’a cependant pas « donné naissance à un pacifisme effectif à la fois mondial et cosmopolite [45] ». Au contraire, l’état de crise s’est accentué sous les effets déstabilisateurs de la mondialisation et la multiplication des sources d’insécurité et de violence. Les événements du 11 septembre 2001 et la guerre contre le terrorisme viendront confirmer au peuple japonais que la politique de puissance ne laisse toujours guère de place à son pacifisme constitutionnel. Les appels de plusieurs à faire du Japon un « pays normal » – en renonçant aux restrictions constitutionnelles à l’utilisation de la force – sont restés vains [46]. Ce n’est guère surprenant. Un tel changement exigerait du Japon qu’il abandonne son identité pacifique, qu’il accepte un comportement militaire similaire à celui des pays occidentaux, donc qu’il transforme son système d’autorité interne pour qu’il puisse reconnaître, à titre de fudai, ses amis et ses ennemis, lesquels seront ceux des États-Unis et de l’Occident. En somme, le Japon devrait abandonner son identité orientale et devenir une société occidentale, ce qui en soi est inconcevable. C’est le paradoxe de l’identité japonaise : l’archipel ne peut agir comme les autres pays occidentaux que s’il est différent, que s’il est un tozama, mais il deviendrait alors une menace à l’ordre existant.
39Par ailleurs, si les Occidentaux peinent à comprendre les hésitations japonaises en politique internationale, les Asiatiques saisissent parfaitement que la « normalisation » du Japon – heureuse du point de vue américain – fait de celui-ci un danger pour la région. Et pourtant, l’Asie n’est pas engagée dans une course aux armements, les capacités militaires japonaises sont relativement stables et les plans pour un bouclier antimissile sont toujours trop peu avancés pour susciter un sentiment d’insécurité profond dans la région. Peu importe, les Asiatiques dénoncent la montée du nationalisme nippon et l’expansion des activités de ses forces d’autodéfense dans l’Océan indien. La dernière fois que le Japon a été un « pays normal », l’Asie a été sa première cible. Si le Gouvernement chinois dénonce toujours le renforcement de la coopération entre le Japon et les États-Unis dans le cadre du Traité de sécurité, il y voit aussi le moyen de garder le Japon dans son rôle « anormal » de bénéficiaire de la protection américaine.
40Dans l’hypothèse toujours bien réelle où le Japon abandonnerait sa constitution pacifique et transformerait ses forces d’autodéfense en une armée régulière, il est impossible de prévoir comment alors, sans limites constitutionnells, ses dirigeants réagiraient à une provocation chinoise, russe ou nord-coréenne. La résolution d’un état de crise appartient, selon Robert Kagan, aux pays qui ont choisi la puissance et qui vivent selon les règles sociales d’un monde hobbésien [47]. Si le Japon choisissait la puissance pour régler une crise régionale, il mettrait le pied dans un engrenage qui le mènerait inévitablement à normaliser son statut et à renforcer son système d’autorité interne et donc ses différences sociales et politiques.
41La paix démocratique en Occident, la guerre contre le terrorisme, la montée en puissance de la Chine et les tensions politiques et militaires avec la Corée du Nord n’ont fait qu’accentuer l’ambiguïté de l’identité japonaise. Le Japon est un fudai incertain de son rôle et des intentions des autres grandes puissances comme les États-Unis et la Chine. Les relations amicales de l’ancien Premier ministre Koizumi Junichiro avec l’ancien président George W. Bush n’ont pas changé la donne. Le Japon ne sera jamais la « Grande-Bretagne de l’Asie ». D’ailleurs, ses maigres responsabilités dans la guerre contre le terrorisme ou le rejet catégorique par les grandes puissances de son plan de réforme du Conseil de Sécurité le rapprochent du statut de faible tozama, pion stratégique peu menaçant dans le jeu d’équilibre des forces en présence en Asie. Même sa forte compétitivité économique n’est plus un sujet de tension avec les pays occidentaux. Pour contrer ce sentiment d’exclusion, voire d’inutilité diplomatique, il accorde un grand prix au maintien de bases américaines sur son territoire, plus de 65 ans après sa défaite militaire. Le Premier ministre Hatoyama Yukio a démissionné brusquement en juin 2010, car il ne pouvait tenir sa promesse de relocaliser la base de Futenma à l’extérieur d’Okinawa, associant, pour justifier sa volte-face, le statu quo à l’avenir de la sécurité en Asie, rien de moins [48].
Conclusion
42Face à la Chine, le Japon contemporain a cependant toujours été certain d’être le premier pays asiatique, et pendant longtemps le seul, à avoir réussi sa modernisation, ce qui a fait de lui un modèle à suivre. Il est révélateur d’entendre les dirigeants actuels affirmer que les problèmes socioéconomiques vécus par le Japon depuis le milieu des années 1990 seront ceux de l’Asie dans les prochaines décennies [49]. L’expertise japonaise est donc une compétence à exporter parce qu’à la base, les pays asiatiques, Chine incluse, sont des versions retardataires de l’expérience japonaise. La forte identité économique du Japon face à l’Asie a toujours eu un effet stabilisateur sur les rapports régionaux, malgré la dureté des rapports politiques.
43Mais la montée en puissance de la Chine vient brouiller les cartes du nouvel asiatisme libérateur et culturel dont le Japon fait activement la promotion [50]. Le discours chinois cherche à montrer que sa politique étrangère n’est pas une menace, martelant des expressions comme « ascendance pacifique » et « soft power ». Mais serait-ce un leurre ? Car la nouvelle puissance de la Chine ramène à la case départ : une grande Chine hégémonique et un Japon tributaire de ce centre d’autorité, qu’il respecte et craint mais duquel il veut constamment s’affranchir. Meiji a consacré cet affranchissement, et ses politiques impérialistes et colonialistes vinrent résoudre les contradictions issues de la modernisation. Si la montée en puissance de la Chine se poursuit, le Japon acceptera-t-il d’abandonner son statut de première puissance asiatique ? Doit-il craindre son inclusion dans un « commonwealth confucéen [51] » au sein duquel un Japon démographiquement affaibli deviendrait, aux côtés de la péninsule coréenne et de l’Indochine, un dominion d’une grande Chine ?
44Cette problématique explique pourquoi le Japon a fait un choix stratégique, voire un pari, il y a un peu plus d’une décennie, en misant son avenir sur une communauté composée de l’Asie du Nord-Est et du Sud-Est. Cette communauté asiatique – à la configuration encore incertaine, mais fondée sur un ensemble de valeurs communes – n’en demeure pas moins un outil pour enchâsser la puissance chinoise dans un regroupement auquel le Gouvernement japonais actuel envisage de conférer une forme similaire à celle de l’Union européenne et son idéal de paix kantienne [52]. Il apparaît évident que le Japon, à l’instar des alliés de l’Allemagne, cherche à apprivoiser le dragon chinois. Mais l’Allemagne avait un lourd passé à faire oublier, alors que la Chine n’a rien à se reprocher en politique étrangère – au contraire, sa conscience historique dénonce à répétition l’impérialisme et le colonialisme japonais –, et elle a l’entière liberté de renforcer son potentiel militaire, économique et politique. Elle peut donc envisager de dominer un jour le système international. Mais avant d’y parvenir, la Chine devra imposer son hégémonie sur l’Asie et affronter le Japon, qui devra alors abandonner toute ambiguïté identitaire.
Notes
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[1]
L’auteur remercie Koga Yumi pour l’aide à la traduction des textes japonais. Dans cet article, pour les noms de personnes et auteurs japonais, le patronyme précède le prénom.
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[2]
Les quatre citations sont empruntées respectivement à : Kenneth B. Pyle, Japan Rising: the Resurgence of Japanese Power and Purpose, New York, Public Affairs, 2007, p. 1; Karel Van Wolferen, L’Énigme de la puissance japonaise, Paris, Laffond, 1989 ; Glenn D. Hook et al., Japan’s International Relations, Londres Routledge, 2005, p. 21; Tamamoto Masaru, « Ambiguous Japan: Japanese National Identity at Century’s End », in G. John Ikenbery et Michael Mastanduno (dir), International Relations Theory and the Asia-Pacific, New York, Columbia University Press, 2003, p. 201.
-
[3]
Affirmer l’ambiguïté identitaire du Japon peut apparaître comme une proposition tautologique dans la mesure où, en relations internationales, il est impossible de définir catégoriquement l’identité d’un pays, sauf à grands traits et en faisant abstraction de sa recomposition continuelle sous l’effet toujours changeant des rapports de puissance ou des préférences étatiques. Au Japon, en revanche, cette ambiguïté est le résultat de choix politiques historiques qui influencent durablement sa politique étrangère.
-
[4]
Alexander Wendt, Social Theory of International Politics, Cambridge, Cambridge University Press, 1999.
-
[5]
Abe Hitoshi, Shindo Muneyuki et Kawato Sadafumi, The Government and Politics of Japan, Tokyo, Tokyo University Press, 1994 [1990], pp. 225-226.
-
[6]
Fujino Tamotsu, Bakuhan taisei shi no kenkyû: kenryoku kôzô kakuritsu no tenkai [Étude historique du système du bakuhan : établissement et développement de la structure de pouvoir], Tokyo, Yoshikawa Kôbunkan, 1975, p. 21 ; Marius B. Jensen, The Making of Modern Japan, Cambridge, The Belknap Press of the Harvard University Press, 2000, pp. 33 et 43.
-
[7]
Par le biais de la loi du sankin kôtai (résidence alternée) selon laquelle les daimyo devaient alterner leur résidence entre leur domaine et Edo, ou bien encore en contrôlant, selon les régions, la production et la vente de certains produits agricoles pour des raisons fiscales ou mercantilistes. Fujino Tamotsu, op. cit., 1975, pp. 336, 363-372.
-
[8]
Conrad D. Totman, Politics in the Tokugawa Bakufu, 1600-1843, Cambridge, Harvard University Press, 1967, pp. 115-116.
-
[9]
Ôe Kenzaburô, Moi, d’un Japon ambigu, Paris, Gallimard, 2001 [1995], pp. 16-26.
-
[10]
Ôishi Shinzaburô, « The Bakuhan System », in Nakane Chie et Ôishi S. (dir), Tokugawa Japan: the Social and Economic Antecedents of Modern Japan, Tokyo, University of Tokyo Press, 1991, p. 25; Kate W. Nakai, Shogunal Politics: Arai Hakuseki and the Premises of Tokugawa Rule, Cambridge, Council on East Asian Studies, 1988, p. 204.
-
[11]
Conrad D. Totman, op. cit., p. 236.
-
[12]
Ibid., pp. 238-247.
-
[13]
Kate W. Nakai, op. cit.
-
[14]
Ibid., pp. 174-177, 205-208.
-
[15]
Kären Wigen, The Making of a Japanese Periphery, 1750-1920, Berkeley, University of California Press, 1995, p. 98.
-
[16]
Sakoku : « pays verrouillé ». Politique de fermeture aux influences étrangères, principalement occidentales.
-
[17]
Ôishi Shinzaburô, op. cit., p. 22.
-
[18]
Cité in Kären Wigen, op. cit., p. 67.
-
[19]
Mary Elizabeth Berry, Hideyoshi, Cambridge, Harvard University Press, 1982, p. 147. L’auteur a tiré le concept de « souveraineté parcellisée » de l’ouvrage de Perry Anderson, L’État absolutiste : ses origines et ses voies, Paris, F. Maspero, 1978 ; Kären Wigen, op. cit., p. 98 ; C. D. Totman, op. cit., p. 254.
-
[20]
Conrad D. Totman, op. cit., p. 251. Ces réseaux offrent une structure d’autorité au fonctionnement interne très stable, à la fois pour les affaires courantes et la gestion des crises, cela quel que soit le pouvoir personnel du shogun. Fujino Tamotsu, op. cit., pp. 417-418.
-
[21]
Marius Jensen, op. cit., p. 38.
-
[22]
Il n’y a jamais eu de guerres de succession sous les Tokugawa, ce qui est surprenant compte tenu de la présence, selon les époques, de près de 30 familles issues des lignées cadettes des Tokugawa. Les conflits familiaux ont été nombreux lors des successions shogunales, mais ils perdaient leur caractère familial une fois insérés dans le fonctionnement bureaucratique et néoconfucéen du bakufu. C. D. Totman, op. cit., pp. 110-111.
-
[23]
Marius Jensen, op. cit., p. 35.
-
[24]
Fujino Tamotsu, op. cit., pp. 827-833, 850.
-
[25]
Marius Jensen, op. cit., p. 53.
-
[26]
Mary E. Berry, op. cit., pp. 127-128.
-
[27]
Fujino Tamotsu, op. cit., pp. 244-250, 259 et 426.
-
[28]
Kate W. Nakai, op. cit., p. 203.
-
[29]
Marius Jensen, op. cit., p. 709.
-
[30]
Fujino Tamotsu, op. cit., pp. 259-261.
-
[31]
Maruyama Masao, Thought and Behaviour in Modern Japanese Politics, Londres, Oxford University Press, 1963, pp. 138-140 (traduction libre).
-
[32]
Sugiyama Chuhei, Origins of Economic Thought in Modern Japan, Londres, Routledge, 1994.
-
[33]
Richard J. Samuels, « Rich Nation, Strong Army »: National Security and the Technological Transformation of Japan, Ithaca, Cornell University Press, 1994.
-
[34]
Hirakawa Sukehiro, « Japan’s Turn to the West », in Bob Tadashi Wakabayashi (dir), Modern Japan Thought, Cambridge, Cambridge University Press, 1998, pp. 30-97.
-
[35]
Conrad D. Totman, op. cit., pp.121-122.
-
[36]
Une expression idiomatique utilisée pour la première fois par Guillaume II d’Allemagne pour exprimer sa crainte du Japon après la victoire de ce dernier sur la Chine en 1895. Hirakawa Sukehiro, Japan’s Love-Hate Relationship with the West, Kent (G.-B.), Global Oriental, 2005, pp. 230-231.
-
[37]
Marius Jensen, op. cit., p. 523.
-
[38]
Maruyama Masao, op. cit., p. 149. La défaite n’est plus possible, le Japon est protégé par les dieux.
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[39]
Le plan d’attaque de Pearl Harbor présenté à Hirohito fait référence à la célèbre bataille d’Okehazama de 1560 où Oda Nobunaga défait par la ruse un adversaire beaucoup plus fort, ouvrant ainsi la porte à une expansion « nationale » de sa puissance « hégémonique ». Herbert P. Bix, Hirohito and the Making of Modern Japan, New York, Perennial, 2001, p. 421. Pendant la guerre du Pacifique, ajoute cet auteur, les stratèges japonais analysaient les conditions d’une « guerre totale » et les campagnes militaires en se basant sur l’expérience des shoguns (p. 747, note no 84). Sur tout l’épisode : John Keegan, La Deuxième Guerre mondiale, Paris, Perrin, 1989, pp. 235-245.
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[40]
Maruyama Masao, op. cit., pp. 148-149.
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[41]
George M. Wilson, Radical Nationalist in Japan: Kitta Ikki, 1883-1937, Cambridge, Harvard University Press, 1969, pp. 81-82.
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[42]
Maruyama Masao, op. cit., p. 98.
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[43]
Igarashi Takeshi, « Peace-Making and Party Politics: the Formation of the Domestic Foreign-Policy System in Postwar Japan », Journal of Japanese Studies, vol. 11, été 1985, no 2, pp. 323-356.
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[44]
Bruno Desjardins, Le Japon, première superpuissance pacifiste ? Montréal, L’Harmattan, 1997.
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[45]
André Tosel, « La guerre globale ou la transformation de la guerre à l’époque de la mondialisation », La Pensée, janvier-mars 2005, no 341, p. 141.
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[46]
Tamamoto Masaru, « How Japan Imagines China and Sees Itself », World Policy Journal, hiver 2005, vol. 22, no 4, pp. 57-58.
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[47]
Robert Kagan, « Puissance et faiblesse », Commentaire, 2002, vol. 25, no 99, pp. 517-535.
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[48]
Japan Times, 5 mai 2010.
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[49]
Hatoyama Yukio, « Japan’s New Commitment to Asia-Toward the Realization of an East Asian Community ». Discours prononcé au sommet de l’APEC, Singapour, 15 novembre 2009. Cabinet du Premier ministre. En ligne : http://www.kantei.go.jp/foreign/hatoyama/statement/200911/15singapore_e.html. Consulté le 5 juin 2012.
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[50]
Cet asiatisme post-guerre froide, dont il existe plusieurs variantes, est libérateur pour le Japon. Sven Saaler, « Pan-Asianism in Modern Japan History », in S. Saaler et J. Victor Koschmann (dir), Pan-Asianism in Modern Japanese History: Colonialism, Regionalism and Borders, Londres, Routledge, 2007, pp. 1-33; Tessa Morris-Suzuki, « Invisible Countries: Japan and the Asian Dream », Asian Studies Review, mars 1998, vol. 22, no 1, pp. 5-22.
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[51]
Andrei Lankov, « China and a “Confucian” Commonwealth », Asia Time Online, 29 novembre 2005. En ligne : http://www.atimes.com/atimes/Asian_Economy/GK30Dk01.html. Consulté le 13 juin 2012.
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[52]
The Japan Times, 3 octobre 2009.