Notes
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[1]
Cette étude s’appuie sur notre thèse de doctorat, Les Neuf et la Coopération politique (1973-1980), soutenue à l’université de Strasbourg sous la direction de Marie-Thérèse Bitsch en septembre 2011. Récompensé par le prix Jean-Baptiste Duroselle, ce travail de recherche a été publié chez PIE-Peter Lang en 2012.
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[2]
Pour une liste exhaustive des réunions du Conseil européen et des ministres des Affaires étrangères, Maria G?inar, op. cit., pp. 629-637.
-
[3]
La première rencontre de ce type a lieu au printemps 1974, à l’initiative du ministre allemand des Affaires étrangères, Walter Scheel, au château de Gymnich, dans les alentours de Bonn.
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[4]
Organigramme établi par l’auteur, in Maria G?inar, Aux origines de la diplomatie européenne : Les Neuf et la Coopération politique européenne de 1973 à 1980, Bruxelles, Peter Lang, 2012, p. 91.
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[5]
Entretien avec Étienne Davignon, 6 mars 2009. Entretien avec Philippe de Schoutheete, 23 octobre 2008. Philippe de Schoutheete, La Coopération politique européenne, Paris, Fernand Nathan, 1986, 2e édition, p. 40.
-
[6]
Entretien avec Étienne Davignon, déjà cité.
-
[7]
Entretien avec Philippe de Schoutheete, déjà cité.
-
[8]
Archives historiques de l’Union européenne (ci-après AHUE), Florence, KM 39, « Note de Klaus Meyer à Claude Cheysson », 29 mai 1974. Entretien avec Philippe de Schoutheete, 23 octobre 2008.
-
[9]
Organigramme établi par l’auteur, in Maria G?inar, op. cit., p. 337.
-
[10]
« Rapport des ministres des Affaires étrangères dont les chefs d’État et de gouvernement ont pris acte (Paris, 9-10 décembre 1974) », Coopération politique européenne : coutume, actes, Paris, La Documentation française, 1979, p. 36.
-
[11]
Pour une liste exhaustive des déclarations, Maria G?inar, op. cit., pp. 639-642.
-
[12]
Ibid., pp. 365-367.
-
[13]
Ibid., pp. 368-370.
-
[14]
Pour plus de détails sur les dossiers qui ne seront pas développés dans cet article, Maria G?inar, op. cit., chapitres 4, 7 et 10.
-
[15]
Sophie Huber, Polyphonie sur l’identité européenne : aux origines d’un discours identitaire 1962-1973, thèse de doctorat de l’université de Genève, 2009, pp. 210-241.
-
[16]
Entretien avec Étienne Davignon, déjà cité.
-
[17]
Archives du ministère français des Affaires étrangères, La Courneuve (AMAE-La Courneuve), Europe, 3792, Relevé de conclusions « VIIe réunion ministérielle, Luxembourg, 5 juin 1973 », 28 juin 1973.
-
[18]
AMAE-La Courneuve, Europe, 3795, a/s « Comité politique des Neuf (Helsinki, 5-6 juillet) : Accord soviéto-américain sur la prévention des guerres nucléaires », 10 juillet 1973 ; Ibid., 3792, a/s « Conversation avec M. Ducci : Coopération politique européenne », 11 juillet 1973.
-
[19]
Maria G?inar, op. cit., pp. 267-273.
-
[20]
Daniel Möckli, European Foreign Policy during the Cold War: Heath, Brandt, Pompidou and the Dream of Political Unity, Londres-New York, I.B. Tauris, 2009, pp. 161-162.
-
[21]
Documents on British Policy Overseas (DBPO), The Year of Europe: America, Europe and the Energy Crisis, 1972-1974, série III, vol. IV, 2005 (CD-ROM), document 213, télégramme no 1770 à Copenhague, « Relations transatlantiques », 31 août 1973.
-
[22]
Idem. ; DBPO, The Year of Europe, op. cit., document 191, télégramme no 188 à Copenhague, « Relations Europe/États-Unis », 8 août 1973.
-
[23]
AMAE-La Courneuve, Europe, 3810, a/s « Réunion ministérielle de la Coopération politique (Copenhague, 20 novembre) », 22 novembre 1973.
-
[24]
« Déclaration des Neuf sur l’identité européenne », Bulletin quotidien de l’Agence Europe (par la suite Europe), Documents, no 779, 15 décembre 1973.
-
[25]
Maria G?inar, op. cit., pp. 109-130 et 178-191.
-
[26]
AMAE-La Courneuve, Europe, 3789, a/s « Réactions de la presse américaine au sommet de Copenhague », 17 décembre 1973 ; Idem, a/s « Sommet des Neuf à Copenhague : réactions des pays tiers », 28 décembre 1973.
-
[27]
Directeur politique au ministère belge des Affaires étrangères entre 1970 et 1976, Étienne Davignon préside le Comité politique qui rédige les rapports de Luxembourg (1970) et de Copenhague (1973) sur la Coopération politique, d’où leur nom officieux de rapports Davignon I et II. Il est commissaire européen entre 1977 et 1985 et fait adopter un « plan Davignon » pour le redressement de la sidérurgie européenne.
-
[28]
Entretien avec Étienne Davignon, déjà cité.
-
[29]
Entretien avec Jacques Andréani, 28 octobre 2009. En 1973 et 1974, Jacques Andréani est le chef de la délégation française à la CSCE.
-
[30]
AHUE, Florence, KM 48, Note « Procédure communautaire lors de la deuxième phase de la Conférence sur la sécurité en Europe », 12 juillet 1973. Idem, Note « Présence de la Commission pendant la deuxième phase de la Conférence pour la sécurité et la coopération en Europe », 13 septembre 1973.
-
[31]
Entretiens avec Étienne Davignon et Jacques Andréani, déjà cités.
-
[32]
Entretien avec Jacques Andréani, déjà cité.
-
[33]
Maria G?inar, op. cit., pp. 264-267.
-
[34]
Entretien avec Jacques Andréani, déjà cité.
-
[35]
AHUE, Florence, EN 1990, Note « CSCE Follow-up : Belgrade Meeting », 17 février 1978. AMAE-La Courneuve, Europe, 4154, a/s « Comité politique des 15 et 16 mars 1978 : réunion de Belgrade », 20 mars 1978. Idem, 4208, Note « Factors in the International Political Situation Affecting the CSCE Process at the Time of the Belgrade Meeting 1977 », 18 mai 1978. Idem, 4210, Note « Réunion du groupe de travail sur la CSCE (3-4 avril 1978, Copenhague) », 5 avril 1978.
-
[36]
David Allen, Alfred Pijpers (eds.), European Foreign Policy-making and the Arab-Israeli Conflict, Martinus Nijhoff Publishers, 1984, 245 p.
-
[37]
Henry Kissinger, Les Années orageuses, vol. II, Paris, Fayard, 1982, p. 884. AMAE-La Courneuve, Europe, 3808, « Échanges de vues communautaires : Proche-Orient », 28 octobre 1975. Idem, 4149, Note « Coopération politique. Réunion ministérielle (Londres 31 janvier 1977) », 4 février 1977. Idem, 4170, a/s « Déclarations du président Carter sur une nouvelle initiative européenne au Proche-Orient », 3 juin 1980 ; Idem, 4169, a/s « Réflexions sur les réactions américaines à l’initiative des Neuf au sujet du Proche-Orient », 3 juin 1980.
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[38]
Les huit déclarations sur le Proche-Orient sont les suivantes : la déclaration commune des gouvernements de la CEE sur la situation au Proche-Orient (Bruxelles) du 6 novembre 1973, la déclaration du 9e Conseil européen sur le Proche-Orient (Londres) du 29 juin 1977, la déclaration des neuf ministres des Affaires étrangères sur la situation au Proche-Orient (Bruxelles) du 22 novembre 1977, la déclaration des ministres des Affaires étrangères des Neuf sur les résultats de la conférence de Camp David (Bruxelles) du 19 septembre 1978, la déclaration des Neuf sur le Proche-Orient (Paris) du 26 mars 1979, la déclaration des ministres des Affaires étrangères sur la situation au Proche-Orient (Paris) du 18 juin 1979, la déclaration du Conseil européen sur la situation au Proche-Orient (Venise) du 13 juin 1980, la déclaration du Conseil européen sur la situation au Moyen-Orient (Luxembourg) du 2 décembre 1980.
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[39]
« Déclaration du Conseil européen sur la situation au Proche-Orient (Venise, 12-13 juin) », Europe, 14 juin 1980.
-
[40]
AMAE-La Courneuve, Europe, 4175, Note « Projet allemand de déclaration commune sur la situation au Proche-Orient », 21 janvier 1977.
-
[41]
Ibid., Europe, 4170, « Rapport de Luxembourg concernant les principes de la déclaration de Venise du Moyen-Orient », 20 novembre 1980. AHUE, Florence, EN 1945, Compte rendu « Conseil européen de Luxembourg : Moyen-Orient », 1er décembre 1980.
-
[42]
La fonction de la Commission générale est de prendre en charge la conduite générale du dialogue euro-arabe et le suivi de ses développements dans divers domaines. Elle est composée de fonctionnaires, qui ont rang d’ambassadeurs, et des co-présidents et rapporteurs des groupes de travail du dialogue. La présidence est assurée conjointement et les réunions de la Commission ont lieu à tour de rôle dans une capitale arabe ou dans une capitale européenne.
-
[43]
AMAE-La Courneuve, Europe, 3806, « Compte rendu de la réunion de la Commission générale du dialogue euro-arabe (Luxembourg – 18, 19 et 20 mai 1976) », 1er juin 1976. Idem, 4178, a/s « Première journée de la Commission générale du dialogue euro-arabe », 11 février 1977. Idem, 4179, a/s « Dialogue euro-arabe : 3e session de la Commission générale (Bruxelles, 26-28 octobre 1977) », 3 novembre 1977. Idem, 4179, Note « Dialogue euro-arabe : quatrième session de la Commission générale (Damas, 9-11 décembre 1978) », 4 janvier 1979.
1La mise en place de la Coopération politique européenne (CPE) dans les années 1970 marque un moment clé dans le processus de la construction de l’Europe. Elle permet de franchir une étape importante vers l’union politique qui est considérée depuis toujours comme l’objectif final de l’intégration européenne mais qui semblait jusque-là inaccessible.
2En effet, au cours des années 1950 et 1960, les Européens étaient divisés quant à la forme et au contenu que devait prendre l’union politique. Deux échecs sont enregistrés pendant cette période. En 1954, le projet de Communauté politique européenne, d’inspiration fédéraliste, est abandonné dans la foulée de la Communauté européenne de défense. Huit ans plus tard, le plan Fouchet, qui envisage une union politique de type intergouvernemental, connaît le même sort. La question de l’union politique est ensuite mise en sommeil jusqu’à la fin des années 1960, quand le sommet de La Haye (décembre 1969) permet une nouvelle relance européenne et ouvre la voie à la mise sur les rails de la Coopération politique européenne.
3Entre 1973 et 1980, la CPE se fonde sur un modèle d’intégration a minima, résultat d’un compromis entre les visions intergouvernementale et supranationale des partenaires européens. Elle se développe en dehors du cadre communautaire et n’est pas juridiquement contraignante. S’appuyant sur les rapports de Luxembourg et de Copenhague, adoptés en 1970 et en 1973, elle concerne le domaine de la politique étrangère et se fonde sur un mécanisme de nature intergouvernementale dont les principaux organes sont, à cette époque, les réunions des ministres, le comité politique, le groupe des correspondants et les groupes de travail. Toutefois, des passerelles sont établies entre la Coopération politique et les Communautés européennes.
4Ainsi, issue d’un gentlemen’s agreement entre des acteurs étatiques, la Coopération politique évolue-t-elle comme un « produit original » du projet européen et répond-elle à un double objectif : franchir le premier pas vers l’union politique et se manifester en tant qu’entité sur un échiquier international dominé par les superpuissances. Ce double fondement amène à apprécier l’évolution de la CPE à travers une approche horizontale – l’extension du mécanisme – et une approche verticale – les résultats concrets et la visibilité internationale des Neuf.
Le fonctionnement de la coopération politique européenne
5Le vocable qui caractérise le mieux le fonctionnement de la CPE pendant les années 1970 est sans doute le mot « pragmatisme ». Ce pragmatisme marque, dans un premier temps, la mise en place de la Coopération politique. En effet, les Européens décident en 1970 de mettre de côté leurs querelles dogmatiques et créent un mécanisme en dehors des traités. Celui-ci, dépourvu de structure stable, est centré sur un noyau dur intergouvernemental tout en associant les institutions communautaires. La Coopération politique bénéficie donc dès le départ de la flexibilité nécessaire pour s’adapter à de nouvelles réalités et pour avancer en fonction des circonstances. Le pragmatisme se retrouve ensuite dans l’évolution de la Coopération politique permettant une extension notable du mécanisme.
6Ainsi, au fur et à mesure que la Coopération politique s’intensifie, les organes se multiplient. Si au départ, le processus s’appuie essentiellement sur les réunions des ministres et celles des directeurs politiques, à la fin de la décennie, le mécanisme devient beaucoup plus complexe. La mise en place du groupe des correspondants, des groupes de travail, de plus en plus nombreux, et des consultations des ambassadeurs dans les pays tiers et les organisations internationales sont autant d’éléments qui montrent la capacité d’adaptation du mécanisme.
7Par ailleurs, la fréquence des réunions augmente à tous les échelons : les séances des ministres passent de deux à huit par an, voire même davantage, et elles n’ont plus seulement lieu dans la capitale de la présidence [2]. Elles se tiennent également en marge des Conseils des ministres des Communautés, des Assemblées générales des Nations unies ou se déroulent dans le cadre de rencontres informelles connues sous le nom de réunions « Gymnich [3] ». La fréquence des rencontres des autres organes augmente aussi, à tel point qu’ils finissent par se réunir en moyenne une fois par mois.
8Les réunions de plus en plus nombreuses créent une véritable communauté de travail au sein de la CPE. De plus, à travers les consultations, les échanges et la recherche de positions communes se développe un sentiment d’appartenance au mécanisme. Les relations personnelles qui se nouent notamment au niveau des directeurs politiques et des correspondants européens déterminent aussi l’émergence d’une certaine synergie au sein de la Coopération politique [5]. Cette synergie est également favorisée par le maintien à leurs postes de ces acteurs pendant de longues périodes [6]. Leur longévité assure une continuité qui se révèle fondamentale pour la bonne marche de la Coopération politique. Ce rapprochement des administrations nationales accroît la dimension européenne dans la politique étrangère des Neuf et par conséquent la Coopération politique gagne progressivement en importance.
9Les passerelles déjà établies par le rapport de Luxembourg entre la Coopération politique et le cadre communautaire permettent aussi à la Commission européenne d’influer sur l’évolution du mécanisme à travers une politique des « petits pas ». Alors que le rôle de la Commission est très réduit au départ, sa volonté de ne pas rester à l’écart, la ténacité de ses représentants et le soutien de la majorité des délégations nationales finissent par venir à bout de l’opposition de la France à l’extension du rôle de la Commission au sein de la CPE [7]. Dès 1973-1974, la Commission participe aux réunions à tous les échelons de la Coopération politique, ce qui lui permet d’œuvrer au décloisonnement des volets économique et politique. En se rendant indispensable dans un certain nombre de dossiers (la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe [CSCE], le dialogue euro-arabe) et en mobilisant à plein sa capacité d’expertise, la Commission parvient à asseoir son rôle dans le cadre de la CPE [8]. Elle contribue ainsi à approfondir le fonctionnement du mécanisme et pèse sur certaines décisions et actions des Neuf.
Le système décisionnel de la CPE en 1980 [9]*
Le système décisionnel de la CPE en 1980 [9]*
* Légende :EMM – Europe méridionale et méditerranéenne
DEA – Dialogue euro-arabe
10Le pragmatisme permet également à la CPE de s’adapter à l’évolution du système institutionnel des Communautés européennes. La création du Conseil européen en décembre 1974 ne rencontre pas au niveau de la CPE les mêmes résistances qu’au niveau communautaire. L’existence du Conseil européen est plutôt perçue comme un atout pour la CPE et non comme un obstacle. Les directeurs politiques réalisent très vite que le Conseil européen peut conférer plus de visibilité et de crédibilité à la CPE dans le monde [10]. Par ailleurs, l’instauration de ces rencontres régulières permet de préciser la place de la Coopération politique dans le processus européen. En chapeautant à la fois la CPE et les Communautés européennes, le Conseil européen assure la cohésion de l’activité des deux volets. Cette impulsion politique favorise un rapprochement par le haut entre l’action de la Coopération politique et celle des Communautés.
11Par ailleurs, la flexibilité du mécanisme permet l’extension du nombre des dossiers traités. À la fin de la décennie, ceux-ci couvrent la quasi-totalité des régions du monde. Aussi, le nombre des groupes d’experts augmente, passant de quatre en 1973 (Moyen-Orient, Méditerranée, sous-comité CSCE, groupe ad hoc CSCE) à neuf en 1980 (Europe méridionale et méditerranéenne, Moyen-Orient, pays de l’Est, Afrique, Asie, Amérique latine, CSCE, ONU, dialogue euro-arabe).
12Le même phénomène peut être constaté au niveau des instruments utilisés par les Neuf. La multiplication des dossiers, la fréquence des rencontres et l’intensification des discussions les amènent à diversifier continuellement les instruments de la CPE et à les adapter en fonction des circonstances. Les déclarations communes sont le principal moyen utilisé par les Neuf pour faire connaître leurs positions sur différentes questions. Elles leur permettent de faire entendre leur voix sur la scène internationale et leur confèrent une visibilité accrue. La valeur intrinsèque de cet instrument conduit les Européens à en faire un usage étendu. Entre 1973 et 1980, 77 déclarations communes peuvent être recensées. Leur nombre augmente d’une manière exponentielle. Si les Neuf publient seulement deux déclarations communes en 1973, ils utilisent cet instrument 23 fois en 1980. Cette augmentation est particulièrement forte après la mise en place du Conseil européen. Il convient de souligner également que ces prises de position représentent le fondement de l’émergence d’une identité des Européens sur les différents sujets traités.
Déclarations des Neuf entre 1973 et 1980 (tableau établi par l’auteur) [11]
Déclarations des Neuf entre 1973 et 1980 (tableau établi par l’auteur) [11]
13En plus des déclarations communes, les Neuf s’appuient sur des instruments moins visibles de l’extérieur, tel que les démarches des ambassadeurs et celles de la présidence. À ces instruments s’ajoute, au cours de la seconde moitié de la décennie, l’utilisation à des fins politiques de l’arme économique, constituée par exemple par le Code de conduite adopté à l’encontre de l’Afrique du Sud en 1977 ou les sanctions imposées au régime iranien en 1980. Enfin, les différentes situations de crise auxquelles les Neuf sont confrontés en 1973 et en 1974 (guerre d’Octobre, crise de Chypre) les amènent à développer une procédure qui leur permet d’agir d’une manière plus efficace. Composée de deux volets, la procédure de crise confère non seulement les moyens nécessaires pour mettre sur pied des actions en urgence mais instaure également un procédé d’analyse en amont des situations de crise éventuelles [12].
14Par ailleurs, l’esprit pragmatique de la CPE permet aux Neuf de définir et de mettre en place une procédure de consultation avec les pays tiers. La peur du fait accompli ou le désir de développer des échanges avec les Neuf sur des questions internationales amènent certains États et organisations européennes à manifester la volonté d’être associés d’une manière ou d’une autre à la CPE. Très vite, les États-Unis, la Turquie, la Grèce et les pays du Conseil de l’Europe demandent la mise en place de mécanismes d’information avec les Neuf. Preuve est alors faite que les Européens sont rapidement perçus en tant qu’entité. Les procédures d’information sont mises en place entre 1973 et 1975, et elles se déroulent soit de manière informelle, par exemple avec les États-Unis, soit de manière formelle, dans le cadre des accords d’association avec la Turquie et la Grèce ou au sein du Conseil de l’Europe avec les pays membres de cette organisation [13].
15Mis au service de la Coopération politique, le mécanisme doit permettre aux Neuf d’atteindre des objectifs qui sont de plus en plus ambitieux au cours de la décennie. Si dans le rapport de Luxembourg (1970), les buts de la CPE se réduisent à « une harmonisation des points de vue [et à] la concertation des attitudes », le rapport de Copenhague (1973) met l’accent sur « la recherche de lignes communes dans des cas concrets ». Le communiqué final du sommet de Paris (1974) va encore plus loin, les chefs d’État et de gouvernement exprimant la volonté de « mettre en œuvre une diplomatie concertée dans tous les domaines de la politique internationale ». Par la suite, le rapport Tindemans sur l’Union européenne (1975) propose la mise en place d’une « politique extérieure commune », formule reprise une année plus tard par les ministres des Affaires étrangères lors de l’examen de ce document. Cependant, ces objectifs concernent davantage la méthode et les moyens que la finalité politique, c’est-à-dire la volonté des Neuf de peser dans des dossiers précis sur l’échiquier international.
Les neuf sur la scène internationale
16L’action développée au sein de la CPE sur une série de dossiers, entre 1973 et 1980, montre la capacité qu’ont les Neuf à agir. La CSCE, le Proche-Orient, la crise de Chypre, le régime de l’apartheid en Afrique du Sud, les crises iranienne et afghane en sont autant d’exemples. Sur tous ces dossiers, les Neuf échangent leurs points de vue, affirment leurs positions et prennent des initiatives. Cependant, ils pèsent à des degrés différents sur ces questions, et un déséquilibre est perceptible entre la diplomatie « déclaratoire » et la diplomatie « active » qu’ils mettent en place pour intervenir, la première étant nettement plus présente dans leurs activités. Par ailleurs, il faut souligner que l’importance des questions traitées au sein de la CPE au cours des années 1970 varie sensiblement. Ainsi, la crise de Chypre, le régime de l’apartheid en Afrique du Sud ou encore les crises iranienne et afghane s’avèrent secondaires par rapport à d’autres dossiers, comme ceux de la CSCE ou du Proche-Orient [14].
17Afin d’illustrer les moyens et l’action développés par les Neuf pour affirmer la vocation politique de l’Europe dans le monde, trois dossiers marquants seront évoqués : la déclaration sur l’identité européenne, la CSCE et le Proche-Orient. Si l’adoption de la déclaration sur l’identité européenne en décembre 1973 représente l’acte de naissance des Neuf en tant qu’entité politique distincte, la CSCE et le Proche-Orient s’imposent dès le départ comme des dossiers de travail prioritaires et font l’objet, tout au long de la période, d’une diplomatie soutenue de la part des Neuf.
L’affirmation des Neuf dans le monde : la déclaration sur l’identité européenne
18Traditionnellement analysé sous l’angle des tensions euro-américaines qui se sont manifestées courant 1973, le dossier de la déclaration sur l’identité européenne se révèle en fait plus complexe. Si la prise de conscience de l’identité européenne trouve son origine dans les années 1960, le début des années 1970 est marqué par une accélération du processus. Cette évolution est favorisée, d’une part, par la nécessité croissante de l’Europe de se définir par rapport au monde dans le contexte de la préparation du premier élargissement et, d’autre part, par les interpellations de plus en plus nombreuses des pays tiers sur la personnalité de l’Europe. Ces interrogations nourrissent les propos sur l’identité européenne et « acheminent » progressivement les esprits vers la nécessité de définir le rôle de l’Europe dans le monde [15].
19Alors que l’idée de définition de l’identité européenne est dans l’« air du temps [16] », le contexte particulier de l’année 1973 constitue l’élément déclencheur de cette évolution. Trois facteurs y contribuent. Le premier est lié à la question des relations euro-américaines. Ce problème se trouve au cœur des discussions de la Coopération politique à partir du discours d’Henry Kissinger sur l’« Année de l’Europe ». Les travaux des Neuf imposent progressivement l’idée qu’il serait difficile, sinon impossible, de se présenter comme un front uni face aux États-Unis sans définir en amont la place de l’Europe dans le monde [17]. La signature, le 22 juin 1973, de l’accord américano-soviétique sur la guerre nucléaire constitue un deuxième facteur. Cet événement, qui est considéré par la plupart des partenaires européens comme une menace à leur sécurité et leurs intérêts, ne peut qu’encourager les Neuf à s’engager sur le chemin de la définition de leur propre identité face au tête-à-tête américano-soviétique, qui tend à s’imposer depuis la signature de SALT I [18]. Enfin, un ultime élément réside dans le succès remporté par les Européens dans le cadre des négociations de la CSCE et notamment au cours des pourparlers multilatéraux préparatoires [19]. Cette réussite leur confère la confiance nécessaire pour mener rapidement le processus d’affirmation de l’identité européenne.
20C’est dans cette atmosphère propice que le Royaume-Uni propose à ses partenaires fin juin 1973 l’élaboration d’un document sur l’identité européenne [20]. Entre l’initiative britannique et l’achèvement de la rédaction du document, six mois à peine s’écoulent. Plusieurs textes nationaux sont déposés auprès de la présidence danoise à la fin de l’été [21]. Il s’agit des notes britannique, irlandaise et française [22]. C’est sans doute le document français qui change définitivement la donne et permet au texte en préparation de « mener sa propre vie », indépendamment de la question des relations euro-américaines. Alors que les projets britannique et irlandais inscrivent la question de l’identité européenne dans la problématique des relations euro-américaines, le texte préparé par le Quai d’Orsay donne de la hauteur au débat à travers une approche globale et ambitieuse. C’est ainsi sans surprise qu’il obtient très vite l’adhésion des neuf partenaires et qu’il est pris comme point de départ pour la rédaction du document sur l’identité européenne.
21Le travail proprement dit de ce qui deviendra la déclaration sur l’identité européenne se déroule entre septembre et novembre 1973, date à laquelle elle est approuvée par les ministres des Neuf [23]. Publiée le deuxième jour de la conférence de Copenhague, le 15 décembre 1973, la déclaration reflète l’esprit dans lequel elle a été rédigée, à savoir une forte ambition, détermination et confiance des Neuf, et elle prend ainsi les allures d’un véritable projet de politique étrangère [24]. Composée de trois parties, la déclaration met l’accent dans un premier temps sur la cohésion interne des Neuf, en soulignant les valeurs sur lesquelles se fonde la politique des partenaires européens. La deuxième partie de la déclaration est consacrée à la définition de l’identité européenne par rapport au monde. La présentation programmatique de la politique que les Neuf entendent mener sur la scène internationale en représente l’élément clé. Enfin, dans la troisième partie, les Neuf affirment en guise de conclusion qu’ils s’appliqueront « à définir progressivement leur identité vis-à-vis des autres entités politiques ». Ainsi, confortés dans leurs convictions par les succès remportés au cours de l’année 1973 à la CSCE, au Proche-Orient et face aux États-Unis, les Européens apparaissent décidés à replacer l’Europe au centre du réseau des relations internationales et à renforcer son rôle à travers l’approfondissement du processus européen [25].
22Les attitudes américaines et soviétiques, sceptiques, voire hostiles [26], lors de la publication de la déclaration prouvent que la volonté des Neuf de procéder à une double affirmation face aux États-Unis et à l’Union soviétique n’est pas passée inaperçue. Et ces réactions négatives, prévisibles dans une certaine mesure, révèlent que, fin 1973, les Européens ont atteint leur objectif, tout du moins sur les plans symbolique et déclaratoire.
Les Neuf et la CSCE, naissance et déclin d’une politique étrangère
23La CSCE représente le chantier le plus notable de la Coopération politique au cours des premières années de son activité. De nombreux témoignages attestent non seulement le rôle formateur de la CSCE pour le mécanisme de la CPE mais aussi son importance dans l’affirmation des Neuf en tant qu’entité sur la scène internationale. Selon Étienne Davignon [27], la CSCE est la première photographie qui a été mise dans le « cadre » de la CPE et elle « a eu la conséquence de faire comprendre […] que l’Europe existait » [28]. Ce double mouvement explique que la CSCE soit restée gravée dans les esprits comme le grand succès de la CPE dans la première moitié des années 1970.
24Alors qu’au début de la décennie rien ne laissait présager une place importante des pays de la CPE dans le processus de la CSCE, le travail tenace des instances de la Coopération politique ainsi que la solidarité et la fermeté des États membres pendant les négociations des pourparlers multilatéraux préparatoires (PMP) et de la Conférence proprement dite font des Neuf un acteur incontournable de la CSCE. La précision des objectifs, la clarté de la stratégie et la cohésion sans faille sont les facteurs fondamentaux de la réussite de la CPE dans ce dossier. Il n’est donc pas étonnant que Jacques Andréani affirme que les Neuf ont mené « une véritable politique commune » au cours de la CSCE [29].
25La Commission européenne apporte sans aucun doute sa contribution à ce succès. Son rôle est indéniable sur les questions économiques abordées par la Conférence mais aussi sur le plan politique. C’est sa ténacité qui amène les Neuf à aller de plus en plus loin dans leur affirmation en tant que membres d’une communauté européenne dont l’existence avait été niée jusqu’alors par les pays de l’Europe de l’Est [30]. La signature de l’Acte final par Aldo Moro, dans sa double qualité de président du Conseil des ministres de la République italienne et de président en exercice du Conseil des Communautés européennes, représente à la fois un symbole fort de la reconnaissance de la construction européenne et l’aboutissement d’un processus que certains des Neuf auraient été moins enclins à engager sans la détermination des représentants de la Commission.
26Enfin, un rôle important pendant la CSCE est joué par les hommes : par les ministres qui donnent les impulsions nécessaires et par les diplomates qui, au niveau des directeurs politiques et surtout au niveau des experts présents aux différentes phases des négociations de la CSCE, rendent l’action des Neuf efficace tout au long de la Conférence [31].
27Mais la réussite des Neuf est aussi favorisée par une série de facteurs liés au contexte particulier des pourparlers et aux deux Grands. Se déroulant en vase clos, entre experts, les négociations relèvent principalement « du domaine de la politique internationale abstraite, de l’idéologie [32] ». L’action des Neuf est alors facilitée, parce que les enjeux matériels, tout du moins dans l’immédiat, sont quasiment absents. L’attitude effacée des États-Unis jusqu’en 1974 laisse les Neuf assumer le rôle de leader dans le camp occidental et leur permet de fédérer les autres pays autour de leurs positions [33]. Quant à l’Union soviétique, elle aborde les négociations de la CSCE en position de faiblesse après le succès obtenu par les Neuf lors des PMP. De plus, Moscou qui veut obtenir la reconnaissance du statu quo politico-territorial en Europe finit par faire une série de concessions sur d’autres questions [34]. Le contexte extérieur à la CPE apparaît ainsi tout aussi déterminant pour les succès des Neuf que leur cohésion interne.
28Si la CSCE marque une avancée pour la Coopération politique, les suites du processus dans un contexte international très différent, de reprise des tensions Est-Ouest, sont marquées par plusieurs déceptions. En effet, l’évolution de l’action des Neuf dans le cadre du processus d’Helsinki, entre 1977 et 1980, met en lumière la fragilité de la CPE dans un dossier qui était devenu la marque de son succès au cours de la première moitié de la décennie. C’est d’abord avec une certaine surprise que les Neuf observent ce déclin, mais ils sont finalement amenés à se rendre à l’évidence et à accepter leur échec [35]. Paradoxalement, le mécanisme qui avait fait ses preuves en 1973-1975 essuie un lourd revers à la fin de la décennie, dépassé par une situation qui échappe progressivement à son contrôle. L’expérience de la CPE lors du suivi de la CSCE devient ainsi un cas d’école, en montrant comment les aléas du contexte international peuvent freiner une action a priori solide.
29Plusieurs facteurs contribuent au déclin de l’influence des Neuf dans le dossier de la CSCE. D’abord, les Européens ne réussissent pas à s’adapter au nouveau cadre du processus d’Helsinki et ne parviennent pas à se manifester comme une force de proposition lors des suites de la CSCE. Par ailleurs, l’action de la CPE est freinée, sur fond de divergences euro-américaines, par l’intérêt croissant de Washington pour le processus. De plus, la détérioration constante du climat entre l’Est et l’Ouest, entre 1977 et 1980, remet en marche la logique des blocs. La marge de manœuvre des Neuf se rétrécit et leur cohésion se dégrade progressivement en raison de leurs divergences concernant l’attitude à adopter face à l’Est. Ainsi, avant l’ouverture de la conférence de Madrid à l’automne 1980, la CPE n’arrive plus à peser dans le camp occidental, l’Alliance atlantique s’imposant désormais comme principal forum de concertation.
De la diplomatie déclaratoire à la diplomatie active : la CPE au Proche-Orient
30Contrairement à la CSCE, la question du Proche-Orient se révèle un dossier difficile dès son inscription à l’ordre du jour des instances de la CPE, fin 1970. Les positions hétérogènes et parfois opposées dont font preuve initialement les pays européens sont l’obstacle fondamental à l’élaboration d’une attitude commune de la Coopération politique [36]. Le principal enjeu pour les Européens est de surmonter cette difficulté qui les accompagne tout au long de la décennie. À celle-ci s’ajoute la position de hors-jeu des Neuf dans la résolution du conflit. Alors que les pays arabes souhaitent voir les Européens agir, Israël ne cache pas son opposition. De plus, les États-Unis, qui s’imposent comme principal interlocuteur des parties en conflit, notamment après la guerre d’Octobre, n’hésitent pas à freiner les velléités des Neuf à peser sur cette question du Proche-Orient et à exercer des pressions pour que les Européens soutiennent la politique américaine dans la région [37].
31Dans ces conditions, même si les Neuf tentent, entre 1973 et 1980, de rapprocher leurs positions sur une question en constante évolution et d’influer sur la résolution du conflit, les résultats obtenus sont mitigés. Huit déclarations sur le Proche-Orient sont rendues publiques par les Neuf entre 1973 et 1980 [38]. Souvent décriée par les pays arabes et par les observateurs, cette diplomatie déclaratoire révèle certes une certaine impuissance de la Coopération politique, mais elle est aussi la preuve du rapprochement progressif des positions des Européens sur la question. C’est grâce à ce processus que les Neuf sont en mesure d’adopter en juin 1980 la déclaration de Venise et d’exprimer une position commune sur la résolution du conflit [39].
32Par ailleurs, l’utilisation de la diplomatie déclaratoire permet de poser les bases du développement de l’identité des Neuf sur le dossier proche-oriental. En effet, le travail constant des instances de la Coopération politique sur cette question favorise une meilleure connaissance mutuelle des attitudes des Neuf et contribue à renforcer l’évolution vers une communauté de vues des Européens. Dans le cadre de ce processus, les Neuf parviennent également à faire valoir l’expérience acquise dans ce dossier par certains d’entre eux, plus particulièrement celle de la France et du Royaume-Uni. De plus, la CPE permet à certains partenaires de mener dans le dossier du Proche-Orient une politique plus affirmée qu’ils ne pourraient le faire au niveau national. C’est le cas de la République fédérale d’Allemagne qui est, sous couvert de la Coopération politique, en état d’échapper aux pressions israéliennes [40]. De leur côté, l’Irlande et le Danemark sont pris dans l’engrenage de la CPE et sont par conséquent amenés à se prononcer sur un dossier qui occupait jusqu’alors une place réduite dans leur politique extérieure. Les Neuf apprennent ainsi à agir en tant qu’entité, même si pour cela ils doivent parfois consentir à moduler certaines convictions.
33Cependant, la diplomatie active est quasiment absente de l’action européenne au Proche-Orient. Certes, le contexte favorable de l’année 1980 permet aux Neuf d’entamer une première mission européenne au Proche-Orient en vue de la recherche d’une solution du conflit. Mais ses résultats mitigés et l’unité fragile des Neuf révèlent les difficultés de la Coopération politique à s’imposer comme acteur dans la résolution de la question proche-orientale [41]. Par ailleurs, le dialogue euro-arabe, dont l’idée est lancée à la suite de la guerre d’Octobre et de l’embargo pétrolier, peine très vite à s’imposer comme un levier politique d’envergure. La forte opposition américaine pousse les Neuf à orienter le dialogue principalement vers une coopération économique. Malgré les insistances arabes, les échanges politiques se limitent, après la mise en place de la Commission générale en 1976 [42], aux déclarations d’ouverture des sessions de cette Commission [43]. Enfin, la suspension du dialogue en 1979 met en veille la coopération euro-arabe dont les résultats ont été jusqu’alors très réduits.
34En guise de conclusion, il faut souligner qu’en faisant entendre leur voix sur différents sujets, les Européens gagnent progressivement en visibilité. Les déclarations communes, les démarches, les initiatives, les votes à l’ONU contribuent à donner aux tiers une image des Neuf unis dans l’action. Ainsi, à la fin de la décennie, les Européens jouissent-ils d’une certaine crédibilité sur la scène internationale. Par ailleurs, même si la diplomatie des Neuf reste souvent déclaratoire, il ne faut pas sous-estimer ses effets positifs. Elle contribue au développement d’une certaine cohésion entre les Neuf et à l’émergence d’une identité commune dans le domaine de la politique étrangère. Cette évolution prépare les développements ultérieurs de la coopération en politique étrangère et, par conséquent aussi, ceux du projet européen : la création du secrétariat de la Coopération politique dans l’Acte unique européen en 1986, la mise en place de la politique extérieure et de sécurité commune (PESC) dans le traité de Maastricht ou du Service européen pour l’action extérieure (SEAE) dans celui de Lisbonne.
35Toutefois, si la diplomatie active n’est pas absente, les résultats obtenus par la CPE entre 1973 et 1980 sont limités. Les divergences de visions ou d’intérêts des Neuf sont le principal obstacle à la mise en place d’une action réelle. Ainsi, l’harmonisation des positions nationales débouche-t-elle souvent soit sur l’adoption du plus petit dénominateur commun, soit sur un constat d’échec. Le caractère pragmatique du mécanisme révèle ses limites dans ces situations. L’adoption des décisions par consensus, tout en garantissant à tous les partenaires le même poids dans la prise des décisions, peut freiner l’action des Neuf dans les cas où l’identité de vues est difficile ou impossible à atteindre. Un autre obstacle réside dans le traitement au cas par cas des différents dossiers. L’absence d’une politique globale dans le domaine des Affaires étrangères pénalise fortement la CPE. Les objectifs arrêtés, même ambitieux, sont flous concernant le but réel de l’entreprise. Le risque est grand dans ces conditions de se limiter au côté déclaratoire de la diplomatie et de ne pas franchir le pas vers une diplomatie active.
36Enfin, la CPE demeure dépendante du contexte international et des agissements des deux Grands. Indéniablement, l’évolution positive de la CPE jusqu’en 1977 est fortement favorisée par le climat de la détente. La libération des forces centrifuges au sein de l’Alliance atlantique donne aux Européens plus de marge de manœuvre. Leur volonté de se démarquer de l’allié américain et d’instaurer un dialogue propre avec Moscou, notamment dans le dossier de la CSCE, peut être concrétisée. Il convient par ailleurs de souligner que l’essor connu par la CPE est aussi favorisé par l’entente qui s’établit entre Londres, Paris et Bonn au temps d’Edward Heath, Georges Pompidou et Willy Brandt. En plus de ses effets immédiats (Proche-Orient, CSCE), l’impulsion venue des trois grands, à ce moment-là, a des répercussions à moyen terme. Les succès obtenus face à Washington et à Moscou en 1973 et 1974 agissent comme un catalyseur au sein des Neuf et favorisent l’approfondissement de la CPE, encore à ses débuts. La reprise progressive des tensions Est-Ouest, à partir de 1977, fragilise la cohésion des Neuf. L’Union soviétique devient un interlocuteur de plus en plus difficile, mettant à mal l’action des Neuf dans les suites de la CSCE. Les États-Unis, qui entrent dans une phase de perte de leadership, accentuent les pressions sur les Neuf pour les amener à suivre la politique américaine. L’attitude de Washington a un effet de paralysie sur l’action de la CPE, les différentes politiques des Neuf à l’égard des États-Unis refaisant alors surface. Ainsi, sur fond de tensions Est-Ouest, les Neuf se divisent-ils sur l’attitude à avoir face au changement du contexte international.
37Force est de constater qu’à la fin de la décennie, la CPE n’a pas la même robustesse qu’à l’époque de la détente. Les difficultés éprouvées par les Neuf provoquent une stagnation du mécanisme. Malgré la multiplication des échanges et des rapports rédigés par les échelons inférieurs de la CPE, les Européens ont du mal à agir. Paradoxalement, alors que le mécanisme est en état de fonctionner, la capacité des Neuf d’en faire usage est de plus en plus réduite. Il apparaît que les limites du pragmatisme sont atteintes par la CPE dès la fin des années 1970 et qu’un renouveau semble alors nécessaire pour lui donner une nouvelle impulsion.
Notes
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[1]
Cette étude s’appuie sur notre thèse de doctorat, Les Neuf et la Coopération politique (1973-1980), soutenue à l’université de Strasbourg sous la direction de Marie-Thérèse Bitsch en septembre 2011. Récompensé par le prix Jean-Baptiste Duroselle, ce travail de recherche a été publié chez PIE-Peter Lang en 2012.
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[2]
Pour une liste exhaustive des réunions du Conseil européen et des ministres des Affaires étrangères, Maria G?inar, op. cit., pp. 629-637.
-
[3]
La première rencontre de ce type a lieu au printemps 1974, à l’initiative du ministre allemand des Affaires étrangères, Walter Scheel, au château de Gymnich, dans les alentours de Bonn.
-
[4]
Organigramme établi par l’auteur, in Maria G?inar, Aux origines de la diplomatie européenne : Les Neuf et la Coopération politique européenne de 1973 à 1980, Bruxelles, Peter Lang, 2012, p. 91.
-
[5]
Entretien avec Étienne Davignon, 6 mars 2009. Entretien avec Philippe de Schoutheete, 23 octobre 2008. Philippe de Schoutheete, La Coopération politique européenne, Paris, Fernand Nathan, 1986, 2e édition, p. 40.
-
[6]
Entretien avec Étienne Davignon, déjà cité.
-
[7]
Entretien avec Philippe de Schoutheete, déjà cité.
-
[8]
Archives historiques de l’Union européenne (ci-après AHUE), Florence, KM 39, « Note de Klaus Meyer à Claude Cheysson », 29 mai 1974. Entretien avec Philippe de Schoutheete, 23 octobre 2008.
-
[9]
Organigramme établi par l’auteur, in Maria G?inar, op. cit., p. 337.
-
[10]
« Rapport des ministres des Affaires étrangères dont les chefs d’État et de gouvernement ont pris acte (Paris, 9-10 décembre 1974) », Coopération politique européenne : coutume, actes, Paris, La Documentation française, 1979, p. 36.
-
[11]
Pour une liste exhaustive des déclarations, Maria G?inar, op. cit., pp. 639-642.
-
[12]
Ibid., pp. 365-367.
-
[13]
Ibid., pp. 368-370.
-
[14]
Pour plus de détails sur les dossiers qui ne seront pas développés dans cet article, Maria G?inar, op. cit., chapitres 4, 7 et 10.
-
[15]
Sophie Huber, Polyphonie sur l’identité européenne : aux origines d’un discours identitaire 1962-1973, thèse de doctorat de l’université de Genève, 2009, pp. 210-241.
-
[16]
Entretien avec Étienne Davignon, déjà cité.
-
[17]
Archives du ministère français des Affaires étrangères, La Courneuve (AMAE-La Courneuve), Europe, 3792, Relevé de conclusions « VIIe réunion ministérielle, Luxembourg, 5 juin 1973 », 28 juin 1973.
-
[18]
AMAE-La Courneuve, Europe, 3795, a/s « Comité politique des Neuf (Helsinki, 5-6 juillet) : Accord soviéto-américain sur la prévention des guerres nucléaires », 10 juillet 1973 ; Ibid., 3792, a/s « Conversation avec M. Ducci : Coopération politique européenne », 11 juillet 1973.
-
[19]
Maria G?inar, op. cit., pp. 267-273.
-
[20]
Daniel Möckli, European Foreign Policy during the Cold War: Heath, Brandt, Pompidou and the Dream of Political Unity, Londres-New York, I.B. Tauris, 2009, pp. 161-162.
-
[21]
Documents on British Policy Overseas (DBPO), The Year of Europe: America, Europe and the Energy Crisis, 1972-1974, série III, vol. IV, 2005 (CD-ROM), document 213, télégramme no 1770 à Copenhague, « Relations transatlantiques », 31 août 1973.
-
[22]
Idem. ; DBPO, The Year of Europe, op. cit., document 191, télégramme no 188 à Copenhague, « Relations Europe/États-Unis », 8 août 1973.
-
[23]
AMAE-La Courneuve, Europe, 3810, a/s « Réunion ministérielle de la Coopération politique (Copenhague, 20 novembre) », 22 novembre 1973.
-
[24]
« Déclaration des Neuf sur l’identité européenne », Bulletin quotidien de l’Agence Europe (par la suite Europe), Documents, no 779, 15 décembre 1973.
-
[25]
Maria G?inar, op. cit., pp. 109-130 et 178-191.
-
[26]
AMAE-La Courneuve, Europe, 3789, a/s « Réactions de la presse américaine au sommet de Copenhague », 17 décembre 1973 ; Idem, a/s « Sommet des Neuf à Copenhague : réactions des pays tiers », 28 décembre 1973.
-
[27]
Directeur politique au ministère belge des Affaires étrangères entre 1970 et 1976, Étienne Davignon préside le Comité politique qui rédige les rapports de Luxembourg (1970) et de Copenhague (1973) sur la Coopération politique, d’où leur nom officieux de rapports Davignon I et II. Il est commissaire européen entre 1977 et 1985 et fait adopter un « plan Davignon » pour le redressement de la sidérurgie européenne.
-
[28]
Entretien avec Étienne Davignon, déjà cité.
-
[29]
Entretien avec Jacques Andréani, 28 octobre 2009. En 1973 et 1974, Jacques Andréani est le chef de la délégation française à la CSCE.
-
[30]
AHUE, Florence, KM 48, Note « Procédure communautaire lors de la deuxième phase de la Conférence sur la sécurité en Europe », 12 juillet 1973. Idem, Note « Présence de la Commission pendant la deuxième phase de la Conférence pour la sécurité et la coopération en Europe », 13 septembre 1973.
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[31]
Entretiens avec Étienne Davignon et Jacques Andréani, déjà cités.
-
[32]
Entretien avec Jacques Andréani, déjà cité.
-
[33]
Maria G?inar, op. cit., pp. 264-267.
-
[34]
Entretien avec Jacques Andréani, déjà cité.
-
[35]
AHUE, Florence, EN 1990, Note « CSCE Follow-up : Belgrade Meeting », 17 février 1978. AMAE-La Courneuve, Europe, 4154, a/s « Comité politique des 15 et 16 mars 1978 : réunion de Belgrade », 20 mars 1978. Idem, 4208, Note « Factors in the International Political Situation Affecting the CSCE Process at the Time of the Belgrade Meeting 1977 », 18 mai 1978. Idem, 4210, Note « Réunion du groupe de travail sur la CSCE (3-4 avril 1978, Copenhague) », 5 avril 1978.
-
[36]
David Allen, Alfred Pijpers (eds.), European Foreign Policy-making and the Arab-Israeli Conflict, Martinus Nijhoff Publishers, 1984, 245 p.
-
[37]
Henry Kissinger, Les Années orageuses, vol. II, Paris, Fayard, 1982, p. 884. AMAE-La Courneuve, Europe, 3808, « Échanges de vues communautaires : Proche-Orient », 28 octobre 1975. Idem, 4149, Note « Coopération politique. Réunion ministérielle (Londres 31 janvier 1977) », 4 février 1977. Idem, 4170, a/s « Déclarations du président Carter sur une nouvelle initiative européenne au Proche-Orient », 3 juin 1980 ; Idem, 4169, a/s « Réflexions sur les réactions américaines à l’initiative des Neuf au sujet du Proche-Orient », 3 juin 1980.
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[38]
Les huit déclarations sur le Proche-Orient sont les suivantes : la déclaration commune des gouvernements de la CEE sur la situation au Proche-Orient (Bruxelles) du 6 novembre 1973, la déclaration du 9e Conseil européen sur le Proche-Orient (Londres) du 29 juin 1977, la déclaration des neuf ministres des Affaires étrangères sur la situation au Proche-Orient (Bruxelles) du 22 novembre 1977, la déclaration des ministres des Affaires étrangères des Neuf sur les résultats de la conférence de Camp David (Bruxelles) du 19 septembre 1978, la déclaration des Neuf sur le Proche-Orient (Paris) du 26 mars 1979, la déclaration des ministres des Affaires étrangères sur la situation au Proche-Orient (Paris) du 18 juin 1979, la déclaration du Conseil européen sur la situation au Proche-Orient (Venise) du 13 juin 1980, la déclaration du Conseil européen sur la situation au Moyen-Orient (Luxembourg) du 2 décembre 1980.
-
[39]
« Déclaration du Conseil européen sur la situation au Proche-Orient (Venise, 12-13 juin) », Europe, 14 juin 1980.
-
[40]
AMAE-La Courneuve, Europe, 4175, Note « Projet allemand de déclaration commune sur la situation au Proche-Orient », 21 janvier 1977.
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[41]
Ibid., Europe, 4170, « Rapport de Luxembourg concernant les principes de la déclaration de Venise du Moyen-Orient », 20 novembre 1980. AHUE, Florence, EN 1945, Compte rendu « Conseil européen de Luxembourg : Moyen-Orient », 1er décembre 1980.
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[42]
La fonction de la Commission générale est de prendre en charge la conduite générale du dialogue euro-arabe et le suivi de ses développements dans divers domaines. Elle est composée de fonctionnaires, qui ont rang d’ambassadeurs, et des co-présidents et rapporteurs des groupes de travail du dialogue. La présidence est assurée conjointement et les réunions de la Commission ont lieu à tour de rôle dans une capitale arabe ou dans une capitale européenne.
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[43]
AMAE-La Courneuve, Europe, 3806, « Compte rendu de la réunion de la Commission générale du dialogue euro-arabe (Luxembourg – 18, 19 et 20 mai 1976) », 1er juin 1976. Idem, 4178, a/s « Première journée de la Commission générale du dialogue euro-arabe », 11 février 1977. Idem, 4179, a/s « Dialogue euro-arabe : 3e session de la Commission générale (Bruxelles, 26-28 octobre 1977) », 3 novembre 1977. Idem, 4179, Note « Dialogue euro-arabe : quatrième session de la Commission générale (Damas, 9-11 décembre 1978) », 4 janvier 1979.