Notes
-
[1]
« China urges broad-bases government in Afghanistan », China Daily, 21 novembre 2001.
-
[2]
Voir « Why China gives huge financial aid to Afghanistan », People’s Daily, 30 janvier 2002.
-
[3]
« Special envoy of China on Afghanistan reconstruction », People’s Daily, 22 janvier 2002.
-
[4]
Chiffres cités dans « Embassy opening date set », China Daily, 30 janvier 2002.
-
[5]
« China aid pledge for Afghans », BBC News, 24 janvier 2002.
-
[6]
PRC, MFA, « President Jiang Zemin met with chairman of Afghan Interim Administration Hamid Karzai », 7 juin 2002 ((((www. fmprc. gov. cn).
-
[7]
T. Kellner, L’Occident de la Chine. Pékin et la nouvelle Asie centrale (1991-2001), Paris, PUF, 2008, 626 p.
-
[8]
« Berlin Declaration on counter-narcotics », 1er avril 2004 ((((http:// wwwww. ag-afghanistan. de/ berlinantidrugs. htm).
-
[9]
« Police in West China battle drug inflow from Golden Crescent », wwwwwww. chinaview. cn,25 juin 2008.
-
[10]
« 49 drug dealers nabbed in Xinjiang », China Daily, 21 janvier 2009.
-
[11]
Par exemple Ahmad Khalid Mowahid, « Afghan police help arresting gang in Beijing », Pajhwok Afghan News, 4 novembre 2008.
-
[12]
Voir hhhhttp:// wwwww. mfa. gov. af/ Documents/ ImportantDoc/ Afghanistan-China %20Frienship %20accord. pdf.
-
[13]
« Chinese companies win contracts in post-war Afghanistan », Interfax, 27 août 2003.
-
[14]
« China donates police equipment to Afghanistan », Xinhua, 12 juin 2006.
-
[15]
« Afghanistan’s imports from China surge 30 percent in 2004 », Asia Pulse, 5 juillet 2005.
-
[16]
« Afghan government to compensate Chinese terror victims », Xinhua, 14 juin 2004.
-
[17]
« Chinese road worker kidnapped in Afghanistan », Reuters, 1er juillet 2008.
-
[18]
« Rebuilding activities to continue in Afghanistan : Chinese ambassador », Xinhua, 10 juin 2004.
-
[19]
Sur l’OCS, M. R. Djalili et T. Kellner, « L’Organisation de coopération de Shanghai : nouveau léviathan eurasiatique ou colosse aux pieds d’argile ? », dans Conflits, sécurité et coopération. Conflicts, Security and Cooperation, Liber Amicorum Victor-Yves Ghebali, édité par Vincent Chetail, Mélanges no 45, Bruxelles, Éd. Bruylant, 2007, p. 193-221.
-
[20]
Amin Tarzi, « Afghan leader talks about China ties », RFE/RL, 14 juin 2006.
-
[21]
« SCO may join Nato in Afghanistan : Musharraf », Pakistan Times, 14 avril 2008.
-
[22]
Yuan-Kang Wang, « China’s Grand Strategy and US Primacy : Is China Balancing American power ? », Center for Northeast Asian policy Studies, The Brooking Institution, juillet 2006, 31 p.
-
[23]
« Vice Foreign minister Wu Dawei meets with Afghan First Vice President Massoud », 5 décembre 2005 ((((www. fmprc. gov. cn).
-
[24]
« China pledges 80 million yuan in aid to Afghanistan », Xinhuanet, 31 janvier 2006.
-
[25]
Syed Anwer, « China suggests deepening friendship, trade with Afghanistan », Pajhwok Afghan News, 18 août 2005.
-
[26]
Danish Karokhel, « Silk Road Revival », IWPR’S Afghan Recovery Report, no 32, 23 octobre 2002.
-
[27]
« Afghanistan expects road link with China », People’s Daily, 10 août 2008.
-
[28]
Ces trois premiers pays envisagent d’ailleurs de construire une ligne commune de chemin de fer. Cette dernière pourrait ouvrir la possibilité de livraisons rapides de marchandises depuis le Tadjikistan et l’Afghanistan vers les ports du golfe Persique et dans la direction inverse (« Tadjikistan, Afghanistan et Iran : vers une liaison ferroviaire commune », Ria Novosti, 15 juillet 2008).
-
[29]
Ahmad Khalid Mowahid, « Beijing to provide Kabul military equipment », Pajhwok Afghan News, 23 octobre 2005.
-
[30]
« Afghanistan-China pledge to deepen ties as leaders meet », AFP, 19 juin 2006.
-
[31]
Ahmad Khalid Mowahid, « China to train Afghan soldiers on logistics », Pajhwok Afghan News, 24 juin 2006.
-
[32]
« China supports Afghanistan in reconstruction, development », Xinhua, 13 juin 2008.
-
[33]
Najib Khelwatbar, « China assures Afghanistan of cooperation », Pajhwok Afghan News, 31 octobre 2006.
-
[34]
IMF, Direction of Trade Statistics Yearbook 2007, Washington (DC), International Monetary Fund, 2008, p. 44.
-
[35]
Chiffres des douanes afghanes pour l’année 1385 (21 mars 2006 / 20 mars 2007), wwwwww. customs. gov. af/ Documents/ Trade-statistics/ pimport1385. pdf.
-
[36]
« China donates unmilitary items to Afghan army », Xinhua, 11 janvier 2007.
-
[37]
« China donates $1,5 million to Afghan refugees », Xinhua, 9 juillet 2007.
-
[38]
« China to provide hospital $2m tools », Pajhwok Report, 6 septembre 2008.
-
[39]
« China offers fresh $11 mln aid to Afghanistan », People’s Daily, 30 décembre 2008.
-
[40]
Matt Waldman, Falling Short. Aid Effectiveness in Afghanistan, ACBAR Advocacy series, mars 2008.
-
[41]
« UAE offers US$550 mn for reconstruction of Afghanistan », Emirates News Agency, 20 novembre 2008.
-
[42]
Nargis Kassenova, « Aide au développement : la percée chinoise au Tadjikistan et au Kirghizstan », Russie. NEI. Visions, no 36, IFRI, janvier 2009, p. 15.
-
[43]
« First Chinese chamber of commerce in Afghanistan inaugurated », People’s Daily, 25 septembre 2007.
-
[44]
« Afghanistan : China’s latest business venture », Reuters, 11 mai 2007.
-
[45]
Chiffres des douanes afghanes pour l’année 1386 (21 mars 2007/20 mars 2008), wwwwww. customs. gov. af/ Documents/ Trade-statistics/ pimport1386. pdf.
-
[46]
Chiffres des douanes afghanes pour l’année 1386 (21 mars 2007/20 mars 2008), wwwwww. customs. gov. af/ Documents/ Trade-statistics/ cranking1386. pdf.
-
[47]
Chiffres des douanes chinoises hhhhhttp:// yzs. mofcom. gov. cn/ aarticle/ g/ date/ i/ 200811/ 20081105912801. html(en chinois).
-
[48]
Mustafa Basharat, « Kabul, Beijing extend trade ties », Pajhwok Afghan News, 19 novembre 2008.
-
[49]
« China eyes Afghan market », Press TV (Iran), 15 mai 2007.
-
[50]
« Jiangxi Copper and MCC to invest $4.39 bln in Afghan copper mine », Interfax, 30 juin 2008.
-
[51]
« China wins Mega Afghan Project », BBC News, 25 novembre 2007.
-
[52]
Mustafa Basharat, « Contract for Logar copper mine inked in Kabul », Pajhwok Afghan News, 25 mai 2008.
-
[53]
« Afghanistan copper deposits worth $88 billion attract Chinese investors », The Times, 15 mai 2008.
-
[54]
Chiffres des douanes chinoises hhhhttp:// ozs. mofcom. gov. cn/ date/ date. html et hhhhhttp:// yzs. mofcom. gov. cn/ date/ date. html(en chinois).
-
[55]
L’Afghanistan possède des réserves de charbon essentiellement dans le nord du pays, entre Hérat et le Badakhshan.
-
[56]
« Mine de cuivre d’Aynak : des experts afghans doivent réexaminer le contrat d’exploitation », Sada-ye Afghanistan, 30 novembre 2007.
-
[57]
« Afghanistan copper deposits worth $88 billion attract Chinese investors », op. cit.
-
[58]
« Afghanistan : une société chinoise va exploiter une mine de cuivre », AFP, 26 mai 2008.
-
[59]
Mustafa Basharat, « Kabul, Beijing extend trade ties », op. cit.
-
[60]
« Afghan government denies China supplies weapons to Taliban », People’s Daily, 7 septembre 2007.
-
[61]
« China main arms supplier to LTTE, Taliban », The Tribune, 21 mai 2008.
-
[62]
Paul Danahar, « Taleban “getting Chinese arms” », BBC News, 3 septembre 2007.
-
[63]
« Iran leader denies arms supplies », BBC News, 14 août 2007.
-
[64]
« Afghanistan : US Worried Iran Sending Chinese Weapons to Taliban », RFE/RL, 14 septembre 2007 et « US Warned China over Weapon Links in Iran, Iraq, Afghanistan », AFP, 16 mai 2008.
-
[65]
Mohammad Jawad Sharifzada, « Imports Threaten Afghan Industries », IWPR’S Afghan Recovery Report, no 158, 20 janvier 2005.
-
[66]
R. D. Fisher, « Chinese arms cost American lives », Far Eastern Economic Review, vol. 171, no 6, juillet-août 2008, p. 50-52.
-
[67]
« Insights from a military commander », Afghanistan Watch, 9 février 2007.
-
[68]
« China could help Afghan mission », Associated Press, 15 novembre 2008.
-
[69]
Cité dans Zhongguo guoji zhanlüe yanjiu wang, « Beijing ziliao : Zhongguo shifou ying pai bing dao Afuhan », wwwwwww. chinaiiss. org,December 2008 (en chinois) ((((http:// wwwww. chinaiiss. org/ pk/ display. asp ? ID= 102).
-
[70]
« China denies sending troops to Afghanistan », Xinhua, 18 novembre 2008.
-
[71]
Melinda Liu, « China and Afghanistan : A job for 008 ? », China calling, 222224 novembre 2008 (http:// blog. newsweek. com/ blogs/ chinacalling/ archive/ 2008/ 11/ 24/ china-and-afghanistan-a-jobfor-008.aspx).
-
[72]
Zhongguo guoji zhanlüe yanjiu wang, « Beijing ziliao : Zhongguo shifou ying pai bing dao Afuhan », op. cit. (en chinois).
-
[73]
Voir les divers commentaires des internautes chinois sur ibid. (en chinois).
-
[74]
La situation pourrait toutefois évoluer. La question ouïgoure a été évoquée par des dirigeants de al-Qaeda à compter de la fin de l’année 2006/début 2007. Jusqu’ici, l’organisation ne s’est pourtant pas attaquée à des cibles ou à des intérêts chinois.
-
[75]
L’ISAF se compose des pays de l’OTAN auxquels s’ajoutent quatorze pays non membres de l’organisation. Voir la liste complète dans hhhhttp:// wwwww. nato. int/ isaf/ structure/ nations/ index. html.
-
[76]
« Muslim troops help win Afghan minds », BBC News, 28 mars 2008.
1Si l’on se réfère aux médias occidentaux, la République populaire de Chine n’a que peu de visibilité sur la scène afghane. Pourtant, sa diplomatie n’est pas restée inactive depuis l’automne 2001. Bien au contraire, Pékin, qui entretient des relations diplomatiques avec l’Afghanistan depuis 1955, est loin d’être absent du théâtre afghan. Dans la période post-11 septembre, il a en fait développé une politique d’engagement pragmatique à destination des nouvelles autorités afghanes. Même si les Occidentaux occupent aujourd’hui le devant de la scène en Afghanistan, l’audience acquise par la Chine dans ce pays depuis 2001 est loin d’être négligeable. Cette tendance ne fera sans doute que s’amplifier et gagner en visibilité à l’avenir.
PÉKIN FACE AUX OPÉRATIONS MILITAIRES AMÉRICAINES EN AFGHANISTAN
2Prise au dépourvu par les événements du 11 septembre, la Chine n’a eu d’autre option que de soutenir les opérations militaires contre le régime des talibans décidées à Washington. Pour conserver quelques moyens d’action face à l’initiative unilatérale américaine, elle a cependant insisté sur le rôle de chef que l’ONU devait jouer dans la résolution du problème afghan. La république populaire s’est associée aux décisions du Conseil de sécurité de l’ONU en faveur de l’établissement d’une administration transitoire en Afghanistan et de l’envoi d’une force multinationale (ISAF) à laquelle elle s’est cependant abstenue de participer afin d’éviter les risques d’un engagement. Lors des discussions aux Nations Unies, elle a par ailleurs insisté sur la nécessité de sauvegarder la souveraineté, l’indépendance et l’intégrité territoriale de l’Afghanistan. Pour la Chine, il importe d’éviter l’éclatement de ce pays et d’en préserver l’indépendance. Pékin a soutenu dès octobre 2001 l’idée d’un gouvernement de coalition à Kaboul. Pour lui, le futur gouvernement afghan devait reposer sur une large base et représenter les intérêts de l’ensemble des groupes ethniques du pays [1]. À la différence des Occidentaux, les autorités chinoises n’ont donc pas écarté a priori les talibans des discussions inter-afghanes, une position proche de celle d’Islamabad, son plus proche allié dans le sous-continent indien.
3Pékin souhaitait aussi que la nouvelle administration afghane développe de « bonnes relations » avec l’ensemble de ses voisins, y compris le Pakistan, malgré la proximité récente entre Islamabad et le régime des talibans. Il voulait ainsi éviter la marginalisation de son allié sur la scène afghane au profit du renforcement d’autres acteurs régionaux, notamment de l’Inde, un développement contraire à ses intérêts stratégiques. Il s’agissait également d’assurer un retour rapide à la paix, à la stabilité et à l’indépendance politique de l’Afghanistan. La République populaire veut en effet prévenir le maintien d’un foyer de déstabilisation qui pourrait menacer la sécurité et le développement économique de sa province orientale turcophone musulmane du Xinjiang. Elle est également attentive aux conséquences d’une déstabilisation prolongée de ce pays sur l’Asie centrale, zone qui constitue son arrière-cour. Enfin, la Chine a également intérêt à un retour rapide à la stabilité de l’Afghanistan pour éviter la pérennisation de la présence et de l’influence américaines dans ce pays. Ces dernières sont en effet perçues à la fois comme une menace stratégique pesant sur l’arrière-cour chinoise et comme un risque idéologique pour le pouvoir communiste chinois.
LA RÉPONSE CHINOISE : LE CHOIX DE L’ÉTABLISSEMENT RAPIDE DE RELATIONS BILATÉRALES AVEC KABOUL
4Outre l’accent mis sur le rôle de l’ONU et le multilatéralisme pour régler la situation de l’Afghanistan, pour protéger ses intérêts et pour éviter d’être marginalisé sur la scène afghane face à Washington mais aussi face à d’autres acteurs, notamment New Delhi, Pékin a parallèlement développé une politique discrète mais active en direction des autorités afghanes. Il a d’abord misé sur l’établissement rapide de relations politiques de proximité et sur l’assistance à la reconstruction avant d’ajouter à ces deux dimensions de sa politique le développement du commerce et des liens économiques.
5Dans le domaine politique, en dépit de ses liens avec le régime précédent des talibans, la Chine, toujours très pragmatique, a rapidement noué des relations bilatérales avec le nouveau pouvoir afghan. Dès le début de l’année 2002, les visites officielles et les contacts à haut niveaux se sont multipliés entre représentants politiques des deux pays. En ouvrant en février 2002 son ambassade fermée depuis 1993, la République populaire est un des premiers pays à établir une présence diplomatique officielle à Kaboul. Plusieurs facteurs facilitent le rapprochement rapide avec le pouvoir afghan. Tout d’abord, les élites afghanes ne souhaitent pas s’aliéner ce grand voisin dont l’influence sur le Pakistan n’est de plus pas négligeable. Aussi, accueillent-elles positivement les ouvertures de la Chine. Cette dernière jouit également d’une image favorable auprès de l’opinion publique et des élites politiques afghanes. Pékin semble être considéré comme un des rares voisins à ne pas s’être ingéré dans ses affaires internes. Cette image positive, même si elle est sans doute en partie contrebalancée par la proximité qu’il entretient avec Islamabad, n’en facilite cependant pas moins la mise en place des contacts politiques. Enfin, les rapports bilatéraux ne sont pas grevés par une « mémoire historique négative ». Au contraire, entre 1955 et l’invasion soviétique de 1979, les relations ont été globalement positives.
6Parallèlement à l’établissement rapide des contacts politiques, la Chine a également annoncé son intention de participer activement à la reconstruction de l’Afghanistan. Ses intérêts dans ce domaine sont à la fois politiques et économiques. Sur le plan politique, sa participation au processus de reconstruction facilite le rapprochement en cours entre les deux pays et jette les bases d’une coopération à long terme. En s’engageant en Afghanistan, la Chine souhaite aussi contrebalancer quelque peu l’influence massive de Washington à Kaboul mais aussi celle d’autres acteurs. Les médias chinois citent par exemple l’influence du Japon en Afghanistan et Asie centrale [2]. Par ailleurs, pour confirmer son image de puissance crédible et responsable, en tant que membre du Conseil de sécurité de l’ONU, Pékin doit aussi tenir son rang. Pour des raisons idéologiques, il souhaite par ailleurs apparaître comme un pays solidaire des pays du Sud en développement. À l’échelle géopolitique régionale, pour assurer son influence, la Chine ne peut pas non plus faire moins que l’Inde ou l’Iran. Enfin, à ces facteurs, on doit aussi ajouter les intérêts économiques. La participation à la reconstruction de l’Afghanistan a été perçue comme une opportunité pour favoriser l’essor des liens économiques et commerciaux avec ce pays. Elle doit également permettre de faciliter l’ouverture du marché afghan aux entreprises chinoises. Par ailleurs, certaines d’entre elles vont pouvoir engranger des bénéfices immédiats puisque l’octroi des crédits et de l’assistance chinoise est souvent lié à leur participation – souvent il s’agit des champions nationaux chinois – aux divers projets.
7Concrètement, dès décembre 2001, la Chine octroie une aide humanitaire d’urgence de 3,6 millions de dollars en matériel médical à l’Afghanistan. Elle participe par ailleurs à la conférence ministérielle des pays donateurs organisée à Tokyo en janvier 2002 [3]. L’assistance proposée à ce moment est modeste. Mais elle va croître dans le sillage de la visite de Hamid Karzai à Pékin en janvier 2002. La République populaire s’engage à ce moment à fournir 150 millions de dollars à Kaboul dans les cinq prochaines années [4]. Si cette aide ne peut être comparée en volume à celle allouée par les Occidentaux ou le Japon – ce qui, du point de vue chinois, est tout à fait normal étant donné que la Chine reste « un pays en développement » –, elle est néanmoins substantielle à l’échelle chinoise. Il s’agirait en effet de la plus importante assistance jamais offerte par Pékin à un pays étranger. La Chine s’engage dans des projets concrets – dont certains avaient déjà été lancés avec l’Afghanistan avant 1978 – susceptibles d’apporter rapidement des résultats tangibles pour la population locale, comme la reconstruction de l’hôpital Jamhuriat de Kaboul, la réhabilitation du système d’irrigation hydraulique et de la microcentrale hydroélectrique de Charikar dans la province de Parvan au nord de Kaboul ou la modernisation/reconstruction de routes.
8Lors de la visite de H. Karzai, Pékin n’oublie pas non plus ses intérêts immédiats. La question du « terrorisme », une préoccupation centrale de sa politique afghane en raison de son importance pour la sécurité du Xinjiang, est ainsi évoquée entre les deux parties. La Chine s’inquiète de la possible présence de « séparatistes » ouïgours en Afghanistan. Souhaitant éviter que ce pays ne devienne un sanctuaire, elle demande la coopération de Kaboul contre d’éventuelles organisations ouïgoures réfugiées sur son territoire. Elle obtiendra, semble-t-il, rapidement des assurances de la part de H. Karzai. La médiatisation opportune par les autorités chinoises de l’existence de relations entre des Ouïgours et al-Qaeda a sans doute facilité le choix du nouveau dirigeant afghan. Dans le contexte de l’après-11 septembre, ce dernier promet de livrer à la Chine les séparatistes ouïgours qui pourraient être capturés dans le cadre des opérations militaires menées sur le sol afghan [5]. Cette promesse explique sans doute également en partie pourquoi la Chine a offert à ce moment à Kaboul une aide substantielle à la reconstruction.
PÉKIN ÉTEND SA « POLITIQUE PÉRIPHÉRIQUE » À L’AFGHANISTAN : 2002-2004
9À la suite de la visite de H. Karzai dans la capitale chinoise et de ses assurances concernant les organisations ouïgoures, Pékin franchit une nouvelle étape en décidant d’étendre sa « politique périphérique » (zhoubian zhengce) à son voisin afghan. Cette politique vise à établir des relations normalisées et de « bon voisinage » avec les États adjacents au territoire chinois afin de garantir sa sécurité et de lui assurer un environnement régional stable, nécessaire à sa modernisation économique. Dans ce cadre, la densification des contacts politiques et économiques est encouragée. Le ministre chinois des Affaires étrangères se rend ainsi à Kaboul en mai 2002. Il vient y exposer les préférences de la Chine qui favorise la mise en place dans le pays, à l’issue de la Loya Jirga de juin 2002, d’un gouvernement transitoire, reposant sur une large base ethnique représentative de l’ensemble des Afghans. Signe de l’intérêt de Kaboul pour ses relations avec Pékin, H. Karzai fait le déplacement à Pékin pour expliquer le processus de la Loya Jirga et rassurer les autorités chinoises [6].
10Par ailleurs, les deux parties ouvrent deux domaines de discussion qui intéressent particulièrement la Chine dans ses relations avec l’Afghanistan car ils touchent à la sécurité du Xinjiang. Il s’agit de l’anti-terrorisme, déjà évoqué lors de la visite de H. Karzai à Pékin, et, plus marginalement à ce moment, de la lutte anti-drogue. Grâce à ses discussions avec les autorités afghanes en matière de lutte « anti-terroriste », Pékin a rapidement obtenu que le « cordon sécuritaire » établi autour du Xinjiang grâce à sa coopération avec ses voisins pakistanais, népalais et centre-asiatiques dans les années 1990 soit étendu à l’Afghanistan, isolant encore un peu plus les populations ouïgoures [7]. Dans le domaine de la lutte anti-drogue, l’intérêt chinois reste à ce moment secondaire. Mais il va par la suite se renforcer parallèlement à l’accroissement de la pénétration de stupéfiants afghans sur son territoire via le Pakistan ou les Républiques d’Asie centrale, voire la Russie et la Corée du Nord. C’est ainsi qu’à l’occasion de la seconde conférence des donateurs, organisée à Berlin en mars-avril 2004, Pékin signera la « déclaration de Berlin sur la lutte anti-drogue » pour essayer de renforcer la coordination entre les voisins de l’Afghanistan en matière de lutte contre ce trafic [8]. Mais c’est surtout à partir de 2005, alors que le trafic de la drogue afghane en direction du Xinjiang prend une ampleur plus visible, que la coopération anti-drogue sino-afghane va s’accélérer. Sur le plan bilatéral, les deux pays mettent en place un système d’échanges d’informations et Pékin fournit du matériel divers pour aider Kaboul à lutter contre ce trafic. À la fin de l’année 2006, les deux pays signent également un accord de coopération sur la lutte contre le trafic illicite et l’utilisation de la drogue et des substances psychotropes. Par ailleurs, sur le plan multilatéral, l’Afghanistan est associé à partir de 2004 aux travaux de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS). Un accord de coopération contre le trafic de la drogue sera signé entre les États membres de cette organisation à l’occasion du sommet de Tachkent de 2004 et en 2005, un groupe de contact Afghanistan-OCS est également créé. Cependant, malgré ces progrès, les productions afghanes continuent jusqu’à présent à pénétrer sur le marché chinois. Des saisies de drogue en provenance d’Afghanistan ont ainsi été réalisées par les douanes chinoises au Xinjiang. Selon les médias chinois, au cours des trois dernières années, la police aurait traité dans cette région trente-quatre affaires importantes touchant au trafic illicite de stupéfiants provenant du Croissant d’or, c’est-à-dire essentiellement d’Afghanistan [9]. En 2008, 49 personnes (contre 27 en 2006) dont 16 étrangers ont été arrêtés au Xinjiang pour trafic de drogue en provenance du Croissant d’or [10]. Bien qu’elles ne représentent qu’une fraction des saisies d’héroïne réalisées en Chine, les quantités impliquées sont néanmoins en augmentation. En 2008, grâce à sa coopération avec les services de police de l’Afghanistan [11], mais aussi du Pakistan et de certains États d’Asie centrale, la police chinoise aurait ainsi saisi au Xinjiang 95 kg d’héroïne (contre 53,1 kg en 2006). Cette question risque donc de rester à l’agenda des discussions sino-afghanes dans l’avenir.
11Outre ces deux domaines touchant à la sécurité non traditionnelle, dès la visite de Tang Jiaxuan de mai 2002, la question du développement des liens économiques et commerciaux bilatéraux est mise à l’ordre du jour. Cette perspective ouvre des opportunités fondamentales pour les autorités afghanes qui doivent s’atteler à la reconstruction et au développement économique du pays. La Chine peut en effet offrir les produits de consommation bon marché qui font défaut en Afghanistan. Ses technologies et ses investissements potentiels ne sont pas à négliger non plus. Par ailleurs, la République populaire constitue un marché potentiel proche pour les productions afghanes. De plus, l’Afghanistan est un État enclavé très dépendant du Pakistan pour le transport des marchandises à destination du marché international ou vers son marché propre. Pour des raisons tant politiques qu’économiques, Kaboul a donc tout intérêt à réduire cette dépendance en diversifiant ses partenaires et les voies de désenclavement pour ses productions et son approvisionnement. Les autorités afghanes ne peuvent donc que se réjouir des perspectives offertes par l’essor de liens économiques avec leur voisin chinois.
12Dès le premier semestre 2002, les relations sino-afghanes sont donc mises sur les rails. À la suite de la visite du ministre afghan des Affaires étrangères à Pékin en novembre 2002, les deux pays décident de renforcer les rencontres et les échanges à haut niveau, en organisant des consultations régulières sur les questions de sécurité et en partageant des informations en matière d’antiterrorisme. Les autorités chinoises reçoivent à partir de ce moment le soutien afghan dans deux domaines fondamentaux pour elles : la question de Taiwan et la lutte contre les autonomistes ouïgours. Concernant le premier point, Kaboul a en effet choisi de ne pas développer de relations diplomatiques avec Taipeh. Il s’est aligné sur la politique chinoise d’une « seule Chine ». Cette position a été réaffirmée depuis 2002 à de nombreuses reprises, tant par de hauts responsables afghans que dans un instrument international, le Traité de bon voisinage et de coopération amicale signé en juin 2006 (art. III) [12].
13En ce qui concerne son soutien à Pékin contre le « séparatisme » ouïgour, l’Afghanistan l’a également réaffirmé plusieurs fois. À la fin de l’année 2003, Kaboul a annoncé son intention de coopérer avec la Chine dans la lutte contre quatre groupes ouïgours désignés comme « terroristes » par les autorités chinoises (le Mouvement islamique du Turkestan oriental, l’Organisation de libération du Turkestan oriental, le Congrès mondial de la jeunesse ouïgoure et le Centre d’information du Turkestan oriental). Ce soutien soulève une question. Les analystes occidentaux ont émis des réserves quant à la définition que donne la République populaire du « terrorisme ». Cette dernière est très large. Elle regroupe des organisations dont les modes d’action sont très différents. Actions armées et lobbying non-violent sont mis sur le même plan. En assimilant ces organisations à al-Qaeda, les autorités chinoises ont cherché à discréditer le pôle militant de la diaspora ouïgoure installée dans les pays occidentaux. Toutefois, si la prise de position de l’Afghanistan a constitué un gain politique pour Pékin, les résultats concrets ont été limités. Les « terroristes ouïgours » capturés en Afghanistan (une trentaine) ont été remis entre les mains des forces américaines, qui les ont transférés à Guantanamo. La majeure partie d’entre eux, bien que jugés inoffensifs par les autorités américaines, y sont encore aujourd’hui en raison des pressions chinoises qui ont empêché Washington de leur trouver des États d’accueil. Le soutien afghan à Pékin contre le « séparatisme » ouïgour a également été inscrit dans le Traité de bon voisinage et de coopération amicale (art. V) de 2006.
14En 2003, le nouveau contexte de la guerre d’Irak ne modifie pas la direction prise par la politique chinoise à l’égard de l’Afghanistan. Les autorités chinoises continuent de poursuivre leur rapprochement avec Kaboul. Concrètement, les deux parties signent en mai trois documents, dont un accord de coopération économique et technique portant sur l’octroi par Pékin d’un don de 15 millions de dollars au gouvernement afghan et un échange de note concernant le lancement des travaux du projet d’irrigation dans la région de Parvan. L’association d’amitié sino-afghane est remise sur pied et une coopération interuniversitaire est également lancée. Sur le plan économique, les relations s’élargissent. Selon les statistiques chinoises, les échanges bilatéraux ont atteint en 2003 un montant de 27,06 millions de dollars soit une augmentation de 35 % par rapport à 2002. Des entreprises chinoises recommencent à développer des activités en Afghanistan, par exemple dans le secteur des télécommunications où elles jouissent d’avantages compétitifs très importants et d’une expérience afghane. Ainsi, Huawei et ZTE, déjà actives dans le pays à l’époque des talibans, remportent une offre publique internationale lancée par le ministère afghan des Communications. Dans le cadre du projet financé par la Banque mondiale, les deux compagnies sont chargées d’installer approximativement 86 000 lignes fixes dans neuf villes afghanes, y compris Kaboul [13]. Dès 2004, la moitié de ces lignes sont mises en place.
15Pékin participe aussi à la Conférence internationale de Berlin sur l’Afghanistan, à la fin du mois de mars 2004. Dans le cadre du renforcement des liens entre les deux pays, le ministre chinois des Affaires étrangères annonce le déblocage au cours de l’année de 15 millions de dollars en faveur de l’Afghanistan. Pékin fournira par ailleurs une aide matérielle pour l’organisation des élections afghanes. L’évolution de la situation sécuritaire de l’Afghanistan préoccupe cependant la République populaire qui souhaite la stabilisation rapide du pays. Aussi, la Chine soutient-elle la formation de l’armée et de la police afghane en fournissant de l’équipement et des véhicules. Entre 2001 et 2006, son assistance dans ce domaine aurait atteint 5 millions de dollars [14]. À la conférence de Berlin, Pékin annonce aussi qu’il est prêt à aider Kaboul en matière de formation des policiers et à coopérer avec l’Allemagne sur le projet de reconstruction de la police en Afghanistan. Si son engagement reste modeste, la Chine apporte néanmoins son soutien politique aux opérations de l’ISAF (International Security Assistance Force de l’OTAN) et appuie également le processus de désarmement, de démobilisation et de réintégration des anciens combattants afghans, lancé par les autorités de Kaboul. Elle soutient par ailleurs les initiatives des autorités afghanes en matière de lutte anti-drogue. Pour permettre à l’économie afghane de redémarrer, Pékin se déclare également prêt à fournir davantage de ressources pour aider Kaboul dans le domaine clé des infrastructures. Des entreprises chinoises participent déjà à ce moment comme contractants à des projets de reconstruction dans le secteur des infrastructures de transport, financés par la Banque mondiale ou l’Union européenne. Dans le sillage de la conférence de Berlin, les deux pays rétabliront leurs échanges culturels. La coopération progresse donc à petit pas.
16Sur le plan des échanges, des résultats significatifs sont engrangés par la Chine en 2004. Selon les douanes afghanes, un quart des importations totales de l’Afghanistan proviennent cette année de Chine [15]. Cet essor des liens bilatéraux et le soutien de Pékin à l’administration Karzai ne sont peut-être pas appréciés par tous en Afghanistan. En juin 2004, 11 ouvriers chinois travaillant pour la China Railway Shisiju Group Corporation dans le cadre d’un projet de rénovation d’une route financée par la Banque mondiale sont froidement abattus dans la région de Kunduz pourtant réputée relativement sûre. Il s’agit du plus grave incident auquel la Chine a été confrontée en Afghanistan. Les circonstances de ce massacre restent obscures. Cependant, que son motif ait été politique ou purement crapuleux, la réaction rapide et musclée des autorités afghanes a démontré leur volonté de préserver leurs relations avec Pékin [16]. Par la suite, des ressortissants chinois ont été occasionnellement la cible d’attaques ou d’enlèvements, le plus récent épisode de cette nature datant de juillet 2008 avec la capture d’un ingénieur chinois par les talibans dans la province de Wardak [17], mais ils ont été bien moins visés que les Occidentaux et aucun incident n’a atteint en gravité celui de 2004. De son côté, preuve de l’importance que la République populaire attache également au maintien de ses rapports avec l’Afghanistan, malgré la vive émotion suscitée en Chine par le drame de 2004, les autorités chinoises ont rapidement annoncé la poursuite de la coopération avec Kaboul [18]. Signe de leur soutien politique persistant à l’administration afghane, les autorités chinoises féliciteront Hamid Karzai pour son élection et un représentant spécial de la Chine assistera à son intronisation comme premier président de la république islamique d’Afghanistan en décembre 2004.
L’AFGHANISTAN EST ASSOCIÉ AUX TRAVAUX DE L’ORGANISATION DE COOPÉRATION DE SHANGHAI
17À Tachkent en juin 2004, l’Afghanistan est pour la première fois associé aux rencontres de l’Organisation de coopération de Shanghai, une organisation régionale multilatérale créée sous l’impulsion de la Chine [19]. L’initiative ouzbek d’inviter l’Afghanistan au sommet de l’OCS est avalisée par Pékin. La création d’un groupe de contact Afghanistan-OCS destiné à coordonner les activités spécifiques de coopération entre ce pays et l’organisation en matière de lutte anti-drogue mais dans d’autres domaines comme l’antiterrorisme, le maintien de la paix, la reconstruction, etc. est proposée à cette occasion par le président Poutine. Rien ne se concrétise cependant à ce moment. La possibilité d’accorder à l’Afghanistan le statut d’observateur à l’OCS sera également envisagée au sommet suivant de l’organisation sans toutefois que ce pas ne soit franchi. Le groupe de contact Afghanistan-OCS est finalement créé à Pékin en novembre 2005. Il s’agit du seul groupe de cette nature mis en place par l’organisation. Officiellement, son rôle est d’organiser des consultations régulières afin de formuler des propositions et des recommandations concernant la coopération entre les deux parties sur des questions d’intérêt commun. Sa première réunion s’est tenue en février 2006.
18En juin suivant, le président Karzai a rencontré le secrétaire de l’OCS. Il a souligné à cette occasion l’importance pour l’Afghanistan du développement de liens avec cette organisation. H. Karzai a en effet déclaré que son pays « belongs to the region where also lies the SCO. Afghanistan has no other ways, and can’t be outside the region » [20]. Le président afghan a donc reconnu le rôle régional de l’organisation, ce que Pékin ne peut qu’apprécier. Pratiquement cependant, les réalisations ne sont pourtant pas spectaculaires. L’année 2007 ne semble pas avoir été très active pour le groupe de contact Afghanistan-OCS. Pourtant, la détérioration de la situation sécuritaire constatée en Afghanistan inquiète de manière croissante certains membres de l’organisation. Mais l’OCS hésite à s’engager trop directement sur le terrain afghan. On peut aussi se demander si elle en a véritablement les moyens ? En avril 2008, pour la première fois, le président Moucharraf en visite en Chine a néanmoins évoqué la possibilité pour l’OCS de participer directement à la stabilisation de l’Afghanistan et de coopérer directement avec l’OTAN et les États-Unis [21]. Une proposition qui ne semble pas avoir eu beaucoup d’échos concrets par la suite.
19Il n’empêche que, vu depuis Pékin, la reconnaissance par Kaboul de l’importance régionale de l’OCS ainsi que le rapprochement en cours avec l’organisation, même s’il demeure limité jusqu’à présent sur le plan pratique, n’en constituent pas moins un succès diplomatique et une promesse pour l’avenir. À travers l’OCS, la Chine multiplie les occasions d’interactions avec l’Afghanistan dans un cadre multilatéral rassurant, tout en associant ce pays à la dynamique régionale panasiatique qu’elle promeut et qui exclut les acteurs extrarégionaux, au premier rang desquels figurent les États-Unis. Ainsi, malgré sa proximité avec les Occidentaux, Kaboul est associé à une organisation dont la vocation est de limiter et de contrebalancer pacifiquement (soft-balancing strategy) l’influence américaine en Eurasie [22]. Ceci étant dit, il ne faut pas non plus exagérer cette réussite de la diplomatie chinoise. Les interactions Afghanistan-OCS restent limitées. Par ailleurs, le développement de liens avec l’OCS n’est qu’un aspect de la politique afghane à l’égard des organisations régionales qui l’entourent. Kaboul est en effet membre de l’Organisation de coopération économique (ECO en anglais) et de l’Association de l’Asie du Sud pour la coopération régionale (SAARC en anglais), ce qui lui ouvre autant d’options.
2005 : UNE ANNÉE DE TRANSITION DANS LES RELATIONS SINO-AFGHANES ?
20Au début de 2005, les deux pays fêtent le cinquantenaire de l’établissement de leurs relations diplomatiques. Malgré la rhétorique, cette année n’est pas vraiment marquée par des avancées spectaculaires. Lors des visites réciproques de hauts responsables politiques, l’accent est surtout mis sur le développement des relations économiques bilatérales. L’Afghanistan souhaite que les deux pays accentuent leur coopération dans les domaines de l’agriculture, des transports, de l’énergie et de l’exploitation des ressources naturelles [23] alors que Pékin encourage ses industries à participer aux projets de reconstruction de l’Afghanistan et à investir dans ce pays dans le domaine des infrastructures, de l’électricité, des ressources minérales et du transport [24].
21Cette mise en avant des relations économiques bilatérales à ce moment est explicable par plusieurs éléments. Tout d’abord, étant donné la proximité existante entre l’administration afghane et Washington, le climat politique tendu en Asie centrale entre les États-Unis et les Républiques centre-asiatiques (notamment l’Ouzbékistan), mais aussi entre la Russie et la Chine en raison de la vague des « révolutions colorées » et de ses conséquences dans cette région (« Révolution tulipe » en République kirghize et massacre d’Andijan en Ouzbékistan), n’est pas vraiment propice à la poursuite du rapprochement politique entre Kaboul et Pékin. Dans ce contexte délicat, mettre l’accent sur l’économie permet tout de même aux deux pays de poursuivre leurs contacts. Par ailleurs, la focalisation sur les liens économiques répond également à une réalité : le commerce bilatéral reste en deçà des potentialités existantes. L’état de l’économie afghane ainsi que l’insécurité persistante en Afghanistan constituent bien évidemment des éléments d’explications fondamentaux à ce phénomène. Mais ce ne sont pas les seuls obstacles à l’essor du commerce. L’ambassadeur de Chine à Kaboul citera par exemple dans une interview la nécessité de mettre en place un système de crédit bancaire entre les deux pays pour réduire les risques liés au commerce [25]. Une autre difficulté majeure à laquelle se heurte de manière chronique l’essor des échanges bilatéraux doit cependant être particulièrement soulignée : il s’agit de l’absence de voies de communication directe entre les deux pays. Malgré leur frontière commune, il n’existe en effet ni point de passage frontalier ni route directe entre eux. La création d’un port transfrontalier à Tuokemansu (Tok Man Su Daban) à la frontière sino-afghane prévu par Pékin dans le IXe plan quinquennal (1996-2000) ne s’est pas concrétisée jusqu’à présent, sans doute en raison des craintes de la Chine en matière de sécurité au regard du Xinjiang (risques liés au trafic de la drogue, des armes, mais aussi à la circulation des idées radicales islamistes depuis l’Afghanistan).
22Dans le contexte post-11 septembre, les deux pays ont caressé l’idée de construire une route pour relier directement le corridor afghan du Wakhan au Xinjiang. Des fonctionnaires du gouvernement afghan et des experts chinois ont conjointement examiné le terrain entre Faizabad, la capitale de la province afghane de Badakhshan, et la frontière chinoise en 2002 [26], mais aucune réalisation n’a suivi ce repérage. Il faut dire à la décharge de Pékin que cette région est très montagneuse et que la mise en place d’infrastructures dans cette zone risque d’être coûteuse. Le président Karzai ne semble cependant pas avoir renoncé. En visite à Pékin en août 2008 à l’occasion des Jeux olympiques, il a réaffirmé l’intérêt de l’Afghanistan de voir se mettre en place une route dans cette région frontalière afin de stimuler les échanges économiques et commerciaux notamment avec le Xinjiang [27]. Les marchandises transportées entre les deux pays peuvent certes emprunter le territoire du Pakistan depuis ou vers le Xinjiang, mais les autorités afghanes préféreraient une solution alternative afin de ne pas renforcer davantage leur dépendance à l’égard de leur voisin pakistanais en matière de transport. Pour sa part, à défaut de s’engager jusqu’à présent dans la mise en place d’une telle route directe, Pékin a suggéré à Kaboul d’ouvrir des discussions avec le Tadjikistan afin de conclure un accord trilatéral sur le transit des marchandises. Depuis 2004, le port transfrontalier de Kalasu ainsi qu’une route relient en effet le territoire tadjik au Xinjiang. Le Tadjikistan est par ailleurs le pays d’Asie centrale où Pékin est le plus engagé en matière de réfection des infrastructures de transports. Grâce aux réalisations de la période post-11 septembre, des marchandises peuvent théoriquement commencer à circuler entre les territoires chinois et afghan via le Tadjikistan. Cette solution ouvre une importante perspective de désenclavement pour le transport des marchandises afghanes et lancerait une dynamique régionale Chine-Tadjikistan-Afghanistan pouvant être étendue en direction de l’Iran (axe Iran-Afghanistan-Tadjikistan-Chine) [28]. Pour Kaboul, les opportunités de commerce s’en trouvent renforcées et sa dépendance à l’égard du Pakistan réduite en proportion. Mais il faudra attendre mai 2007 pour que les infrastructures douanières du point de passage de Sher Khan Bandar à la frontière avec le Tadjikistan, mises en place avec l’aide de l’Union européenne, soient inaugurées. En août suivant, un pont routier enjambant le fleuve Piandj construit avec l’assistance américaine sera à son tour mis en circulation, ouvrant à ce moment réellement cette possibilité à Kaboul. Il reste désormais à voir si elle se matérialisera dans les années à venir.
23En 2005, contrairement à l’année précédente, le président Karzai ne participe pas au sommet de l’OCS. Cependant, signe de l’importance que les deux pays accordent au maintien de leurs rapports bilatéraux, le ton anti-occidental de cette réunion ne remet pas en cause les contacts politiques entre Pékin et Kaboul. En septembre 2005, le vice-ministre des Affaires étrangères afghan se rend en Chine et en octobre suivant, le vice-ministre de la Défense de l’Afghanistan, y effectue un déplacement de huit jours. À cette occasion, il rencontre le ministre chinois de la Défense. Selon les médias afghans, Pékin promet de fournir l’armée afghane en équipements pour un montant de 2 millions de dollars. La Chine promet aussi d’assister Kaboul en matière de formation et d’éducation de son personnel militaire [29]. Par ailleurs, une visite prochaine du ministre afghan de la Défense est annoncée. Elle aura lieu l’année suivante. Les contacts militaires entre la Chine et l’Afghanistan vont donc être lancés, ouvrant une nouvelle page des relations bilatérales.
L’APPROFONDISSEMENT DES RELATIONS POLITIQUES EN 2006
24L’année 2006 marque une accélération nette des relations bilatérales sino-afghanes. Le président Karzai est accueilli en juin au sommet de l’OCS à Shanghai en tant qu’invité d’honneur avant d’être reçu à Pékin quelques jours plus tard puis de se rendre dans la région autonome du Xinjiang. Lors de cette visite, les deux pays établissent un « partenariat global ». La coopération tous azimuts est mise à l’ordre du jour. Ce développement dans leurs relations bilatérales doit être replacé dans le contexte de la signature du « partenariat stratégique » américano-afghan conclu en mai 2005 et renforcé en mars 2006 auquel, vu de Pékin, il semble répondre.
25Pékin et Kaboul signent à l’occasion de ce déplacement un important Traité de bon voisinage et de coopération amicale symbolisant l’établissement de relations amicales normalisées entre les deux pays et couronnant le rapprochement en cours depuis 2001. Ce document, entré en vigueur en août 2008, offre aux deux parties des garanties concernant leur sécurité mutuelle. Elles s’engagent en effet à ne pas entrer dans une alliance ou dans un bloc qui menacerait la souveraineté, la sécurité ou l’intégrité territoriale de l’autre partie. Leur territoire ne pourra pas non plus être utilisé par une partie tierce pour remettre en cause la souveraineté, la sécurité ou l’intégrité territoriale de l’autre partie. Pékin cherche ici à se prémunir contre un trop grand rapprochement de l’Afghanistan avec une grande puissance du système international qui pourrait être « hostile » à ses intérêts. Il s’agit d’un aspect fondamental de sa politique régionale en Asie centrale puisque ce type de disposition apparaît également dans les traités signés avec les Républiques centre-asiatiques. La Chine veut ainsi assurer la sécurité complète de son « arrière-cour » pour pouvoir concentrer ses forces sur sa façade Pacifique. Pékin s’assure également contre les autonomistes ouïgours puisque le traité dispose que les deux parties interdiront sur leur sol la création ou l’établissement d’organisations ou d’institutions qui pourraient menacer la souveraineté, la sécurité ou l’intégrité territoriale de l’autre partie (art. IV). De son côté, Pékin rassure Kaboul en ce qui concerne leurs frontières communes. Les deux parties réitèrent en effet leur attachement au traité frontalier de 1963 (art. II). La Chine répète par ailleurs son soutien à la souveraineté, à l’indépendance et à l’intégrité territoriale de l’Afghanistan et s’oppose à toute tentative de mettre en danger sa stabilité (art. III). L’article VI dispose que les deux pays développeront leur confiance mutuelle et la coopération dans les domaines militaire et de la sécurité. Les articles VIII et IX énoncent les nombreux domaines de coopération que les parties chercheront à développer : économie, commerce, agriculture, science, technologies, éducation, transports, finances, énergie, développement des ressources naturelles, investissements, douanes, technologies de l’information, télécommunications, mais aussi culture, médias, sports, santé publique, sécurité sociale, contacts entre populations. Il s’agit donc de lancer des coopérations tous azimuts entre les deux pays.
26Concrètement, onze accords sont signés lors de la visite de H. Karzai. Outre le Traité de bon voisinage et de coopération amicale, un protocole sur l’institutionnalisation des consultations entre fonctionnaires de leurs ministères des Affaires étrangères est également conclu. Dans le domaine économique, les deux pays signent un accord sur la coopération commerciale et économique, un accord sur la coopération économique et technique, un accord de service aérien, un protocole d’accord sur la coopération en matière agricole, un protocole d’accord entre l’agence de soutien à l’investissement de l’Afghanistan et le Conseil chinois pour la promotion du commerce international et enfin un protocole d’accord entre la Chambre de Commerce et d’Industrie de l’Afghanistan et le Conseil chinois déjà mentionné. Un comité conjoint sino-afghan sur l’économie et le commerce est créé. Pour aider l’Afghanistan à accroître ses exportations en direction du marché chinois, Pékin annonce que 278 sortes de marchandises afghanes seront exonérées de droits de douanes à partir du 1er juillet 2006. Les deux parties s’accordent également pour intensifier la coopération en matière de développement des ressources naturelles, de production d’électricité et de construction de routes. Pékin va aussi former 200 professionnels afghans dans différents domaines et offrir annuellement une trentaine de bourses d’étude pour des fonctionnaires gouvernementaux afghans. Enfin, un protocole d’accord sur la coopération en matière de protection du patrimoine culturel est aussi conclu.
27Dans le domaine sécuritaire, outre la signature d’un accord de coopération portant sur la lutte contre le crime transfrontalier, Pékin et Kaboul réitèrent leur volonté de coopérer dans le domaine du contrôle de la frontière, de la lutte contre le terrorisme, de lutte contre le trafic de la drogue, le commerce illicite des armes mais aussi l’immigration illégale. En matière militaire, le ministre chinois de la Défense rencontre son homologue afghan et fait part des intentions de la Chine d’intensifier ses contacts avec l’Afghanistan, déclaration bien accueillie du côté afghan [30]. Cette volonté mutuelle d’approfondir les relations dans ce domaine va au.delà de la simple rhétorique puisqu’elle va se matérialiser par la signature d’un protocole d’accord portant sur la formation logistique de 30 000 militaires de l’armée nationale afghane entre 2006 et 2010 [31]. Cet accord – qui doit encore il est vrai se matérialiser, ce qui semble être le cas [32] – est loin d’être négligeable lorsque l’on sait que, conformément au processus de Bonn, l’armée afghane devrait compter 70 000 hommes (chiffre porté récemment à 80 000 pour 2010). Ce protocole d’accord pourrait ainsi ouvrir la voie à un accroissement spectaculaire du rôle de Pékin en Afghanistan en matière de formation militaire. Par ailleurs, bien que les informations à ce sujet soient rares, on peut aussi penser que Kaboul s’est intéressé aux possibilités de coopération avec Pékin en matière de fourniture d’armement et de munitions. Le matériel chinois est en effet très répandu en Afghanistan depuis des décennies. C’est un des moins chers du marché. Officiellement, l’armée américaine ne peut pas fournir à ses alliés afghans en armements ou en munitions fabriquées en Chine malgré les stocks auxquels elle a accès dans les ex-pays communistes (comme l’Albanie), sous peine de violation de la législation des États-Unis. Kaboul s’est donc peut-être adressé directement à Pékin à ce moment ou peu après. L’information fait cependant défaut sur ce point pour donner une réponse claire. Quoi qu’il en soit, les contacts militaires se sont poursuivis par la suite. En novembre 2007, à l’invitation du ministre chinois de la Défense, son homologue afghan a fait le déplacement à Pékin [33]. Des discussions sur les possibilités d’extension de la coopération militaire bilatérale ont été organisées entre les représentants des deux pays.
28À la suite du déplacement de H. Karzai, les contacts à haut niveau se poursuivent au cours de l’année 2006, au sein de l’OCS, des Nations Unies, et à l’occasion de la seconde conférence régionale sur la reconstruction de l’Afghanistan organisée à New Delhi en novembre 2006. Dans le cadre de la coopération bilatérale dans le domaine de la sécurité non traditionnelle, une étape importante est franchie en novembre avec la visite du ministre afghan de l’Intérieur à Pékin et la signature de l’accord sino-afghan de coopération en matière de lutte contre le trafic illicite de la drogue et des substances psychotropes. En matière d’assistance, Pékin continue à apporter de l’aide à Kaboul. Les travaux du bâtiment médical principal de l’hôpital Jamhuriat de Kaboul sont ainsi lancés en novembre 2006. Une fois réalisé, cet hôpital pourrait être un des meilleurs du pays. Pourtant, malgré sa visibilité et son importance pour la population locale, cette assistance chinoise doit être replacée en contexte. En 2007, l’Afghanistan compte en effet 103 hôpitaux et 878 centres de santé...
29En matière économique, le ministre afghan des mines effectue un déplacement en Chine pour informer les milieux d’affaires chinois des opportunités offertes par le secteur minier de son pays. Il y reçoit un accueil très attentif. Des résultats concrets vont suivre en 2007. Les entreprises chinoises continuent quant à elles à renforcer leur présence, notamment dans le secteur des télécommunications. Globalement, la Chine occupe désormais une place non négligeable dans le commerce de l’Afghanistan. Selon les statistiques du FMI, les échanges sino-afghans représentent en 2006 2,67 % de l’ensemble du commerce de ce pays. C’est surtout en matière d’importations que le rôle de la Chine n’est pas négligeable pour Kaboul. Pékin occupe alors la cinquième place parmi les fournisseurs de l’Afghanistan derrière le Pakistan, l’Allemagne, l’Inde et le Turkménistan [34]. On sera cependant attentif au fait que l’annuaire du FMI ne donne pas le chiffre des importations afghanes provenant d’Iran. Or, ces dernières pourraient être importantes. Par ailleurs, les chiffres fournis par les douanes afghanes offrent un tableau très différent de celui du FMI. En effet, selon l’administration de Kaboul, pour l’année 1385 soit 21 mars 2006 / 20 mars 2007, la Chine serait en fait le second partenaire de l’Afghanistan en matière d’importations avec 22,18 % du total des importations afghanes [35] !
2007-2009 : VERS UNE INTENSIFICATION DE LA PÉNÉTRATION ÉCONOMIQUE CHINOISE
30La nouvelle période qui s’ouvre après les avancées de 2006 est marquée par la poursuite des contacts diplomatiques et de l’assistance chinoise à Kaboul, et surtout, par le renforcement substantiel du poids de la Chine dans l’économie afghane. En ce qui concerne les relations politiques, les contacts sont désormais réguliers et nombreux. En février 2007, le ministre adjoint chinois des Affaires étrangères participe à Kaboul aux secondes consultations sino-afghanes en matière de politique étrangère et en avril, le ministre afghan de la Santé fait le déplacement à Pékin. En août 2007, à l’invitation de son homologue chinois, le nouveau ministre afghan des Affaires étrangères se déplace en Chine pour la première fois. En novembre 2007, c’est au tour du ministre chinois des Affaires étrangères de rendre la politesse à Kaboul. Les deux partenaires soulignent à cette occasion que le renforcement de la coopération dans les domaines de la défense nationale, de la sécurité et de la police constitue une partie importante de leur relation bilatérale. Pékin et Kaboul se prononcent aussi pour le renforcement des contacts Chine-Afghanistan-OTAN afin de mieux assurer la sécurité des citoyens chinois travaillant en Afghanistan. Sur le plan diplomatique régional, Pékin soutient l’initiative en faveur de l’établissement d’une « Jirga régionale de la paix » destinée à accroître la confiance mutuelle entre l’Afghanistan et le Pakistan en matière de lutte antiterroriste. Si la Chine apporte ici son soutien à cette initiative diplomatique, il faut cependant noter qu’elle reste prudente en ce qui concerne les relations pakistano-afghanes. Même si elle a tout intérêt à favoriser la stabilisation de l’Afghanistan et qu’elle encourage dans cette optique l’établissement de bonnes relations entre Islamabad et Kaboul, ses initiatives dans ce sens restent discrètes. Pékin semble vouloir éviter de mettre à mal ses relations avec l’un de ces deux pays en s’immisçant trop ouvertement dans leurs rapports complexes. Dans cet ensemble de relations, fondamentalement, le Pakistan reste son partenaire principal. Pour en terminer avec les échanges politiques désormais bien établis entre les deux pays, il faut encore mentionner la participation du ministre chinois des affaires étrangères à la Conférence internationale de soutien à l’Afghanistan, organisée en juin 2008 à Paris, et la rencontre entre le président afghan et son homologue chinois à l’occasion des Jeux olympiques de Pékin en août 2008.
31Sur le plan de l’assistance, Pékin continue à aider Kaboul dans divers secteurs. En janvier 2007, l’armée afghane réceptionne ainsi 2 millions de dollars de matériels divers (véhicules, ordinateurs, photocopieuses, etc.) [36]. Plus tard, en juillet 2007, Pékin transfère 1,5 million de dollars de matériels pour assister les réfugiés dans les zones défavorisés du pays [37]. Au cours de l’année 2008, il livrera aussi du blé aux autorités afghanes ainsi que du matériel médical pour l’hôpital Jamhuriat de Kaboul [38]. Enfin, en décembre 2008, Pékin et Kaboul signent deux nouveaux accords aux termes desquels la Chine fournira 11 millions de dollars afin de financer l’évaluation de projets entre les deux pays et l’acquisition de blé pour la population afghane [39]. Néanmoins, en dépit de la rhétorique du pouvoir et des médias chinois sur l’importance de l’assistance fournie à l’Afghanistan, il faut cependant la replacer à sa juste mesure. Selon le ministère afghan des Finances, depuis 2001 et jusqu’en 2011, l’ensemble de la communauté internationale a promis à l’Afghanistan 39 milliards de dollars. Globalement, moins de 40 % de ces promesses ont été honorées. Si on tient compte de l’assistance effectivement déboursée entre 2002 et 2008, les États-Unis sont de loin le donateur le plus important. Toujours selon le ministère afghan des Finances, la Chine s’est engagée à aider Kaboul à hauteur de 145,5 millions de dollars entre 2002 et 2011. Début 2008, elle n’avait honoré qu’environ 28 % de ses promesses, soit 41 millions de dollars. L’assistance chinoise, si elle n’est pas négligeable, n’en reste donc pas moins modeste. Pékin se classe en fait au 25e rang des donateurs internationaux de l’Afghanistan, très loin des principaux contributeurs (États-Unis, UE, Japon, etc.) [40]. L’assistance chinoise réellement apportée à Kaboul est même inférieure à celles d’acteurs régionaux comme l’Iran (214 millions de dollars d’aide déboursée), l’Inde (204 millions de dollars d’aide déboursée) ou même les petits Émirats arabes unis (550 millions de dollars offerts entre 2002 et octobre 2008 [41]). Elle ne peut pas non plus être comparée à celle que Pékin a accordée au Tadjikistan ces dernières années. Ce pays s’est en effet vu attribuer 600 millions de dollars d’aides chinoises sur les 900 millions d’assistance aux Républiques d’Asie centrale annoncés par le président chinois en 2004 dans le cadre de l’Organisation de coopération de Shanghai. Il faut, par ailleurs, ajouter à ce montant 30 millions de dollars de subventions reçues par Douchanbé (chiffres jusqu’en janvier 2007) [42]. À la lumière de ces chiffres, l’assistance à l’Afghanistan n’apparaît pas comme une priorité aux yeux des autorités chinoises.
32En matière économique, les progrès ont été plus marqués. En septembre 2007, une Association des commerçants chinois en Afghanistan (ACBA) a été créée. Il s’agit de la première chambre de commerce sino-afghane [43]. Elle rassemble plus de 400 membres provenant d’une vingtaine de sociétés privées chinoises présentes en Afghanistan. Des entreprises chinoises sont désormais actives dans le pays dans des secteurs comme la construction et le bâtiment, les télécoms, le commerce, l’hôtellerie/restauration, etc. [44]. Selon un diplomate chinois, environ 1 000 hommes d’affaires chinois étaient présents sur le territoire afghan à la mi-2007. Cette présence s’est traduite par un accroissement des échanges bilatéraux. Depuis 2001, leur progression est impressionnante. Les chiffres ont été multipliés par dix passant de 17 à 171 millions de dollars entre 2001 et 2007 selon les statistiques des douanes chinoises. Si le marché chinois reste jusqu’à présent négligeable pour l’Afghanistan qui exporte principalement ses marchandises vers le Pakistan et l’Inde, Pékin est néanmoins devenu un de ses principaux fournisseurs. Selon les statistiques afghanes, en 2007/2008, 21,09 % des importations afghanes proviennent de Chine. Seul le Pakistan fait mieux cette année [45]. Au total, la Chine est en 2007-2008 le second partenaire économique de Kaboul juste derrière le Pakistan, mais loin devant l’Ouzbékistan, l’Iran, la Russie, le Japon et l’Inde [46]. Une place qui reste à confirmer pour l’avenir. De son côté, conscient du déséquilibre existant dans le commerce avec son voisin, on se souvient que Pékin a exonéré de droits de douanes plus de deux cents produits afghans à partir de juillet 2006. Cette mesure ne semble pas encore avoir réellement aidé Kaboul à accroître ses exportations en direction du marché chinois. Ces dernières ont à peine atteint 2 millions de dollars en 2007/2008 soit 0,26 % du total des exportations afghanes. Pour les dix premiers mois de 2008, selon les chiffres chinois, les importations en provenance d’Afghanistan ont néanmoins atteint 2 millions de dollars (soit une augmentation de 6,8 %) par rapport à l’année précédente. La tendance est à la hausse, mais les volumes impliqués restent faibles [47], les deux parties continuant de chercher les moyens d’améliorer les conditions du commerce et de renforcer encore davantage leurs relations économiques. C’était en tout cas l’objectif de la visite récente du président de la chambre du commerce du Xinjiang à Kaboul [48].
33En matière d’investissements directs étrangers (IDE), jusqu’au début de l’année 2007, la Turquie était le premier investisseur en Afghanistan, avec environ 25 % de l’ensemble des IDE enregistrés dans ce pays. Elle était suivie des États-Unis (17 %), de la Chine et des Émirats arabes unis (moins de 10 %), puis du Pakistan et de l’Iran avec environ 5 % [49]. Mais, en novembre 2007, Pékin a spectaculairement accru ses investissements en Afghanistan. En effet, le China Metallurgical Group, associé à Jiangxi Copper et à Zijin Mining Group ont été choisis par Kaboul pour développer et exploiter la mine de cuivre de Aynak située dans la province du Logar à 30 km au sud de la capitale afghane. Il s’agit du plus important gisement de cuivre du pays et du second plus grand gisement de cuivre inexploité du monde. Les compagnies chinoises pourraient investir jusqu’à 4,39 milliards de dollars dans cet énorme projet [50] qui prévoit par ailleurs la construction d’une centrale thermique au charbon de 400 MW et d’une ligne ferroviaire pour le transport de la production. Il s’agit de l’un des plus importants investissements étrangers de l’histoire de l’Afghanistan. Il équivaut à lui seul quasiment à la totalité des IDE consentis dans le pays depuis 2001, soit environ 4 milliards de dollars [51]. Il doit ouvrir plusieurs milliers d’emplois (2 400 emplois directs et 6 000 emplois indirects, et peut-être même davantage selon la presse afghane, qui évoque 10 000 emplois directs et jusqu’à 20 000 emplois indirects [52]). Les redevances annuelles versées par la partie chinoise, soit 400 millions de dollars selon certains, pourraient équivaloir à 45 % du budget actuel de l’État afghan [53]. Par cet investissement qui fait de lui le premier investisseur en Afghanistan (comme il l’est déjà d’ailleurs au Pakistan), Pékin se positionne donc comme un acteur majeur sur la scène économique afghane.
34Selon les médias, ce projet devrait être opérationnel dans les cinq à six ans. D’importants obstacles devront cependant être levés pour que ce gisement soit effectivement exploité. L’électricité et les moyens de communication font totalement défaut. Outre la mise en place d’une ligne de chemin de fer entre le port d’Hairatan sur le fleuve Amou-Daria au nord de l’Afghanistan et la frontière pakistanaise à Turkham pour le transport de la production, la compagnie chinoise doit aussi au préalable construire une centrale électrique pour fournir les installations minières. Elle devra aussi trouver du charbon pour alimenter cette centrale [55]. À ces difficultés, il faut encore ajouter des attentes locales et des incertitudes liées à la question de la sécurité. Sur le plan local, les attentes de la population sont considérables. Un député de la province du Logar a souligné, par exemple, les garanties que la compagnie chinoise devra fournir en matière environnementale et d’emploi. Selon lui, la main-d’œuvre devra être recrutée au sein de la population locale. Les sommes qui seront dues par la partie chinoise à l’État afghan devront transiter par la banque du Logar. Toutes les routes de la province devront être reconstruites ou réparées. Il a également insisté sur la création d’un aéroport international dans la province et a averti que « si le gouvernement ne tient pas compte des exigences des habitants du Logar, ils bloqueront l’exploitation de la mine » [56]. D’autres sources évoquent aussi le fait que la compagnie chinoise devra construire des mosquées, des écoles, des hôpitaux, des marchés et de petits bazars [57]. Pékin pourrait donc avoir quelques surprises de ce côté. Sur le plan de la sécurité, la région où est située la mine de Aynak est considérée comme relativement calme. Néanmoins, les compagnies chinoises sont vulnérables aux activités potentielles des talibans même si on peut penser que les relations de Pékin avec le Pakistan pourront les aider sur ce point. Rien n’est cependant garanti. Il n’empêche, l’Afghanistan a signé le contrat définitif cédant pour trente ans les droits d’exploitation de la mine de Aynak avec le China Metallurgical Group (75 % du projet) et Jiangxi Copper (25 %) le 25 mai 2008 [58]. Les opérations chinoises sur le site ont, semble-t-il, débuté [59]. Cet engagement massif de la Chine dans le secteur minier afghan constitue un signe supplémentaire de l’importance de relations économiques tissées avec Kaboul depuis l’automne 2001. Il offre un aperçu édifiant de l’importance de sa capacité d’action et du poids qu’elle pourrait rapidement acquérir dans l’économie afghane. Il symbolise aussi son influence montante dans ce pays et dans la région en général.
DES RELATIONS SANS NUAGES ?
35En dépit des réalisations de la diplomatie chinoise en Afghanistan depuis 2001, il existe un certain nombre de limites, voire de problèmes ou de difficultés potentielles dans les relations entre les deux pays. Sur le plan politique, étant donné l’état des relations afghano-pakistanaises, la proximité de la Chine avec le Pakistan, tout en lui étant utile dans ses relations avec l’Afghanistan, constitue en même temps une limite à l’approfondissement de ses rapports avec Kaboul. En cas de détérioration des liens entre ces deux pays, la Chine pourrait avoir des difficultés à maintenir des relations équilibrées avec ces deux partenaires. Pékin accordant la priorité à Islamabad en raison de son importance dans sa stratégie à l’égard de l’Inde et du sous-continent indien en général, Kaboul pourrait à son tour décider de revoir ses liens avec la République populaire. Dans une autre perspective, les relations étroites de l’administration afghane avec Washington et les Occidentaux mais aussi avec New Delhi, de même que l’influence que Tokyo pourrait acquérir dans ce pays, peuvent aussi avoir des conséquences sur les liens bilatéraux sino-afghans en fonction du contexte des rapports entre la Chine et ces pays.
36Bien qu’elle s’abstienne de critiques ouvertes, le faible niveau d’engagement actif de la Chine en Afghanistan en matière de rétablissement de la sécurité n’est sans doute pas non plus très apprécié par l’administration afghane. Ce choix de Pékin pourrait avoir à terme des conséquences sur les liens entre les deux pays, surtout si la situation sécuritaire continue de se dégrader dans ce pays. Par ailleurs, les talibans sont approvisionnés en armement d’origine chinoise, y compris des équipements récents et sophistiqués. Si des livraisons directes en provenance de la Chine semblent devoir être écartées jusqu’à preuve du contraire – tant le gouvernement chinois que le gouvernement afghan ont rejeté cette hypothèse [60] mais des initiatives individuelles ou celles d’un groupe au sein du complexe militaro-industriel chinois sont toujours possibles –, il n’en demeure pas moins que la présence d’armements chinois récents en Afghanistan est un fait [61]. Les canaux d’approvisionnement sont sans doute indirects. Les observateurs désignent soit le marché noir, soit l’Iran comme origines de cet équipement. Pékin livre en effet de l’armement à Téhéran. Selon certaines analyses, c’est une partie de cet équipement qui a été fourni aux talibans [62]. Dans ce cas également, il est difficile de savoir si les autorités iraniennes sont directement impliquées – elles l’ont officiellement nié [63] – ou s’il s’agit d’initiatives émanant d’une partie de l’appareil de la République islamique. Quoi qu’il en soit, ce phénomène pourrait créer des difficultés à la Chine, non seulement dans ses relations avec Kaboul, mais aussi avec les États-Unis et l’OTAN dont les troupes sont confrontées à cet armement sur le terrain. Washington et Londres se sont déjà officiellement plaints à ce sujet à plusieurs reprises auprès des autorités chinoises [64]. Paradoxalement, si Pékin est amené à s’engager militairement sur le terrain afghan, il pourrait être lui aussi confronté à son propre armement.
37En matière économique, tout n’est pas idyllique non plus dans les relations sino-afghanes. Si l’importation de marchandises chinoises à bas coût permet à une population afghane appauvrie d’accéder à des produits de consommation, ce qui est positif à court terme pour l’Afghanistan, elle pourrait à terme avoir des effets négatifs sur le développement économique du pays en portant préjudice aux industries locales existantes, voire en empêchant le décollage industriel afghan dans de nombreux secteurs [65]. De même, l’intérêt chinois pour les ressources minérales afghanes n’est pas sans danger pour l’économie de ce pays. Si la pénétration chinoise s’intensifie dans ce secteur, Kaboul pourrait se retrouver placé dans la position de simple fournisseur de matières premières de la Chine, une position qui n’est pas nécessairement avantageuse pour le pays et son développement économique. Par ailleurs, les retombées réelles de la pénétration chinoise dans le secteur minier afghan pour la population locale restent encore à démontrer. Rien ne dit qu’elles seront substantielles – les sociétés chinoises utilisent très souvent leur main-d’œuvre et leurs experts, les transferts de technologies sont aussi rares – même si on peut penser que Pékin, mis en garde par certaines expériences récentes notamment en Afrique ou en Asie centrale, sera peut-être attentif à cette question afin d’éviter les difficultés. Vus du côté de Kaboul, dans la situation actuelle du pays, les bénéfices économiques de ses relations avec Pékin dépassent cependant encore les désavantages futurs. Les autorités de Kaboul ne sont pas non plus insensibles au fait, que le renforcement des intérêts économiques chinois sur le territoire afghan pourrait leur procurer des bénéfices politiques, en incitant Pékin à s’engager davantage et à participer plus activement au rétablissement de la sécurité et de la stabilité du pays pour protéger ses investissements. La Chine pourrait ainsi être amenée à exercer davantage d’influence et de pressions sur le Pakistan, voire sur l’Iran, désignés comme une source possible pour la fourniture d’armements sophistiqués d’origine chinoise aux talibans [66]. Autant de pressions dont les autorités afghanes seraient les principales bénéficiaires.
VERS UNE PARTICIPATION DE LA CHINE AUX OPÉRATIONS MILITAIRES EN AFGHANISTAN ?
38On se souvient que, jusqu’ici, Pékin s’est abstenu de participer à l’ISAF. Plus ouvertement que Kaboul, les Occidentaux ont fait état de leur désappointement face à l’absence de soutien actif de la Chine aux opérations militaires sur le terrain. Comme le remarquait un militaire américain : « Beijing should see that helping in Afghanistan is in their interest both as a resident of the neighborhood and also to show they can engage constructively on the international stage » [67], un message qui longtemps n’a pas été entendu à Pékin. Malgré l’absence de réaction chinoise, les Occidentaux n’ont cependant pas renoncé à amener la République populaire à s’engager davantage. Ainsi, le Premier ministre britannique a-t-il laissé entendre en novembre 2008, que cette dernière pourrait à l’avenir accepter de participer à la coalition en Afghanistan [68]. Face à l’évocation de cette possibilité, la réaction des autorités chinoises a laissé apparaître des divergences de vue au sein de l’appareil d’État. Alors que le porte-parole du ministère chinois de la Défense, Huang Xueping, avait laissé entendre que la Chine pourrait finalement donner une réponse favorable à l’envoi de troupes en Afghanistan [69], son homologue du ministère des Affaires étrangères a adopté, quelques jours plus tard, une position contraire, en opposant une fin de non-recevoir diplomatique à la déclaration britannique. Selon Xinhua, la Chine n’a pas l’intention d’envoyer de troupes en Afghanistan. Pékin n’envoie d’ailleurs jamais « de troupes à l’étranger sauf dans le cadre des opérations de maintien de la paix approuvées par le Conseil de sécurité des Nations Unies » [70]. Malgré ce refus officiel, la porte n’est semble-t-il pas tout à fait close. Certains observateurs chinois pensent en effet, que la République populaire pourrait revoir sa position, si le Conseil de sécurité des Nations Unies adopte une résolution spécifique destinée à envoyer des forces de maintien de la paix en Afghanistan [71]. Mais rien ne s’est cependant dessiné dans ce sens jusqu’à présent.
39Face à la question de l’envoi de troupes, certains s’interrogent en tout cas en Chine. L’opinion chinoise, pour peu que l’on puisse en tout cas juger via l’Internet, est partagée. Un vote sur la question de l’envoi de troupes en Afghanistan organisé par le site web du Zhongguo guoji zhanlüe yanjiu a donné pour résultat 1 570 « pour » contre 3 169 « contre ». Selon les défenseurs de l’envoi de forces en Afghanistan, les bénéfices d’une telle opération pour la Chine seraient importants. Les internautes citent pêle-mêle la consolidation de l’image de « puissance responsable » de la République populaire dans l’opinion publique mondiale, l’intérêt d’une telle opération pour l’APL en termes d’expérience sur le terrain, la contribution d’une telle opération à la défense des intérêts économiques de la Chine en Afghanistan, le renforcement du contrôle sur les indépendantistes ouïgours et le trafic de la drogue à partir de ce pays, l’action positive que ce déploiement pourrait avoir sur les relations Afghanistan-Pakistan qui restent tendues, mais aussi sur les relations indo-pakistanaises et sino-iraniennes, et enfin le renforcement du leadership de Pékin au sein de l’OCS. Certains rappellent aussi que l’Afghanistan est un voisin de la Chine et qu’elle a donc un intérêt majeur à aider à sa stabilisation et au-delà, à celle de l’ensemble de l’Asie centrale, en combattant le radicalisme islamique. Pourquoi les autorités hésitent-elles à envoyer des forces en Afghanistan alors qu’elles ont dépêché des troupes, en l’occurrence la marine, dans le lointain golfe d’Aden en décembre 2008, pour combattre la piraterie ? s’interroge-t-on sur le site [72].
40Les opposants, plus nombreux, soulignent pour leur part le fait que les intérêts économiques de la Chine dans ce pays sont insuffisants pour justifier un engagement en Afghanistan. D’autres internautes notent que la République populaire reste un pays pauvre, qui n’est pas assez puissant militairement et économiquement pour se permettre ce type d’opération. Elle ferait mieux, selon eux, de se concentrer sur ses problèmes internes de nature économique et politique encore non résolus, comme la question de Taiwan, du Tibet et du Xinjiang. Certains rappellent aussi l’importance du principe de non-ingérence, car la Chine, selon eux historiquement victime de l’intervention de puissances extérieures, ne doit pas reproduire ce schéma. Pour d’autres, la difficulté de voir des troupes chinoises placées sous commandement de l’OTAN semble constituer un obstacle majeur. Un internaute souligne pour sa part que les États-Unis, étant les seuls responsables de la situation en Afghanistan, n’ont qu’à « se débrouiller seuls » [73]. Quoi qu’il en soit, si les autorités chinoises choisissent l’inaction dans ce domaine alors que la situation afghane continue de se dégrader, elles risquent de finir par sérieusement irriter les Occidentaux, d’autant que, bénéficiant du parapluie de l’ISAF, des entreprises chinoises ont commencé à engranger des profits économiques substantiels en Afghanistan au détriment parfois de leurs concurrents, notamment occidentaux...
41Jusqu’ici, vu ses choix, il semble que pour Pékin, les bénéfices d’une absence d’engagement sur le terrain militaire afghan continuent de surpasser ceux de l’intervention. Aux commentaires des internautes chinois qui éclairent ce choix, on peut peut-être ajouter quelques éléments supplémentaires. En effet, en ne participant pas aux opérations contre les talibans et al-Qaeda, la Chine s’épargne les coûts, les risques et les déconvenues liés au conflit et protège sa tranquillité. Ces groupes se focalisent sur les Occidentaux et se sont abstenus d’attaquer des intérêts chinois. Pékin n’est pas une cible prioritaire pour les talibans. Il ne l’est pas non plus pour les mouvements radicaux islamistes liés à al-Qaeda, ni en Afghanistan ni ailleurs dans le monde malgré sa politique à l’égard des turcophones musulmans du Xinjiang (essentiellement les Ouïgours) [74] et le fait que d’un point de vue islamiste, le Turkestan oriental reste un des derniers territoires musulmans sous « domination étrangère ». Un engagement militaire de sa part en Afghanistan pourrait changer cette donne et lui créer des difficultés réelles sur le terrain afghan mais aussi au Xinjiang où la propagande et l’action de mouvements radicaux islamistes trouveraient un terreau favorable pour se développer étant donné la politique répressive de la Chine à l’égard de toute revendication – même légitime – des Ouïgours. Ailleurs dans le monde, Pékin pourrait également être exposé, notamment au Pakistan où sa présence et ses intérêts sont importants. Jusqu’ici, la Chine qui a toujours été perçue comme un allié du Pakistan, y compris par les mouvements radicaux islamistes pakistanais, n’a été visée dans ce pays que très occasionnellement et à petite échelle. Un engagement en Afghanistan pourrait changer cette donne.
42D’autres bénéfices peuvent encore être relevés. Les Occidentaux, qui supportent essentiellement le poids des opérations militaires [75], restent focalisés sur ce théâtre, ce qui constitue un gain en soi pour Pékin. Ils y émoussent leurs forces dans une guerre asymétrique, par définition longue et difficile à gagner, et qui ne bénéficie pas forcément de la sympathie des opinions publiques dans les pays musulmans. Seuls l’Albanie, la Turquie, l’Azerbaïdjan et la Jordanie participent aux opérations de l’ISAF. Plus discrètement, des troupes des Émirats arabes unis combattent aussi aux côtés des Américains [76]. En termes d’image, dans le monde musulman en tout cas, le choix de l’abstention est plutôt positif pour Pékin. Il lui permet d’apparaître comme une puissance « indépendante » et « bienveillante », d’accroître son capital de sympathie et de préserver l’avenir. Du côté occidental, on doit aussi reconnaître que l’absence d’engagement de la Chine sur le terrain afghan ne fait guère les titres de la presse. L’opinion publique ignore généralement cette problématique, aussi Pékin échappe-t-il largement à la critique sur ce point. Son image de « puissance crédible et responsable » n’en souffre donc guère jusqu’ici, à son plus grand soulagement sans doute. De plus, en évitant de s’engager militairement en Afghanistan, même si elle soutient politiquement l’administration Karzai, la Chine cultive aussi son image de puissance « neutre » et « bienveillante » auprès des talibans et préserve l’avenir quelle que soit la configuration future que prendra la situation afghane. Ce n’est que récemment que l’OCS a commencé à envisager de s’engager davantage en Afghanistan, mais sans que rien de concret ne se soit encore dessiné.
CONCLUSIONS
43Depuis 2001, grâce à sa politique de « bon voisinage », à son assistance à la reconstruction et à l’essor des liens économiques et commerciaux, la Chine a réussi à faire valoir ses intérêts à Kaboul tout en s’imposant tranquillement comme un acteur important sur la scène afghane. Pékin mise aujourd’hui sur son poids politique international et régional, la poursuite de son assistance inconditionnelle, son commerce et depuis peu ses investissements pour continuer à renforcer sa position et son audience en Afghanistan. Ceci étant dit, il existe de sérieuses limites à son influence dans ce pays. Si cette dernière ne doit pas être sous-estimée, on se gardera aussi de la surestimer. La Chine doit compter avec d’autres acteurs et non des moindres. La proximité qui existe entre Kaboul et les États-Unis et d’autres États occidentaux ne doit ainsi pas être sous-estimée. De même, la volonté afghane d’entretenir des rapports équilibrés avec les trois puissances régionales majeures de son voisinage que sont l’Inde, la Chine et la Russie (dans cet ordre pour la diplomatie afghane) doit être soulignée. Enfin, les liens mis en place par Kaboul avec le Japon, la Turquie, l’Iran, le Pakistan, l’Arabie Saoudite, les Émirats arabes unis, etc. élargissent encore ses possibilités de choix et les espaces de respiration de sa politique étrangère. Pour résumer, la politique multidirectionnelle menée par les autorités afghanes leur offre une large marge de manœuvre.
44Sur le plan économique, vu du côté chinois, l’Afghanistan va demeurer à l’avenir un marché proche pour ses exportations. Ce pays offre aussi de nouvelles possibilités pour le commerce de la région du Xinjiang et au-delà des provinces de l’ouest de la Chine dont Pékin favorise le développement économique (programme d’ouverture du « Grand Ouest » xibu dakaifa) depuis 2000. Le renforcement en cours des infrastructures de transports devrait aider à stimuler le commerce entre cette partie du territoire chinois, le Tadjikistan et le nord de l’Afghanistan, voire même à terme l’Iran. La mise en place d’une dynamique régionale couvrant un espace s’étendant de l’Iran au Nord-Ouest chinois via l’Asie centrale devient ainsi possible. En cas de stabilisation de la situation sécuritaire, la position géographique de l’Afghanistan ouvrira d’importantes opportunités de transit pour les marchandises chinoises ou en direction du marché chinois vers ou depuis l’Iran, le golfe Persique ou l’océan Indien. Il existe par ailleurs une complémentarité entre l’Afghanistan et la Chine dans de nombreux secteurs. L’importance et la diversité des ressources minérales que renferment l’Afghanistan et son potentiel non négligeable en hydrocarbures devraient continuer à intéresser Pékin. Tous ces facteurs contribueront à porter à l’avenir la coopération économique entre les deux pays à un niveau supérieur, à asseoir davantage le rapprochement sino-afghan et l’audience chinoise à Kaboul, à condition bien sûr qu’une stabilisation de la situation sécuritaire afghane se réalise et que la crise économique mondiale actuelle se résorbe rapidement. De manière générale, la proximité géographique de la Chine, son statut de grande puissance en devenir, son poids politique et économique, la complémentarité entre son économie et celle de l’Afghanistan, et enfin le renforcement progressif des voies de transports et de communications devraient faire de ce pays un acteur majeur sur la scène afghane.
Notes
-
[1]
« China urges broad-bases government in Afghanistan », China Daily, 21 novembre 2001.
-
[2]
Voir « Why China gives huge financial aid to Afghanistan », People’s Daily, 30 janvier 2002.
-
[3]
« Special envoy of China on Afghanistan reconstruction », People’s Daily, 22 janvier 2002.
-
[4]
Chiffres cités dans « Embassy opening date set », China Daily, 30 janvier 2002.
-
[5]
« China aid pledge for Afghans », BBC News, 24 janvier 2002.
-
[6]
PRC, MFA, « President Jiang Zemin met with chairman of Afghan Interim Administration Hamid Karzai », 7 juin 2002 ((((www. fmprc. gov. cn).
-
[7]
T. Kellner, L’Occident de la Chine. Pékin et la nouvelle Asie centrale (1991-2001), Paris, PUF, 2008, 626 p.
-
[8]
« Berlin Declaration on counter-narcotics », 1er avril 2004 ((((http:// wwwww. ag-afghanistan. de/ berlinantidrugs. htm).
-
[9]
« Police in West China battle drug inflow from Golden Crescent », wwwwwww. chinaview. cn,25 juin 2008.
-
[10]
« 49 drug dealers nabbed in Xinjiang », China Daily, 21 janvier 2009.
-
[11]
Par exemple Ahmad Khalid Mowahid, « Afghan police help arresting gang in Beijing », Pajhwok Afghan News, 4 novembre 2008.
-
[12]
Voir hhhhttp:// wwwww. mfa. gov. af/ Documents/ ImportantDoc/ Afghanistan-China %20Frienship %20accord. pdf.
-
[13]
« Chinese companies win contracts in post-war Afghanistan », Interfax, 27 août 2003.
-
[14]
« China donates police equipment to Afghanistan », Xinhua, 12 juin 2006.
-
[15]
« Afghanistan’s imports from China surge 30 percent in 2004 », Asia Pulse, 5 juillet 2005.
-
[16]
« Afghan government to compensate Chinese terror victims », Xinhua, 14 juin 2004.
-
[17]
« Chinese road worker kidnapped in Afghanistan », Reuters, 1er juillet 2008.
-
[18]
« Rebuilding activities to continue in Afghanistan : Chinese ambassador », Xinhua, 10 juin 2004.
-
[19]
Sur l’OCS, M. R. Djalili et T. Kellner, « L’Organisation de coopération de Shanghai : nouveau léviathan eurasiatique ou colosse aux pieds d’argile ? », dans Conflits, sécurité et coopération. Conflicts, Security and Cooperation, Liber Amicorum Victor-Yves Ghebali, édité par Vincent Chetail, Mélanges no 45, Bruxelles, Éd. Bruylant, 2007, p. 193-221.
-
[20]
Amin Tarzi, « Afghan leader talks about China ties », RFE/RL, 14 juin 2006.
-
[21]
« SCO may join Nato in Afghanistan : Musharraf », Pakistan Times, 14 avril 2008.
-
[22]
Yuan-Kang Wang, « China’s Grand Strategy and US Primacy : Is China Balancing American power ? », Center for Northeast Asian policy Studies, The Brooking Institution, juillet 2006, 31 p.
-
[23]
« Vice Foreign minister Wu Dawei meets with Afghan First Vice President Massoud », 5 décembre 2005 ((((www. fmprc. gov. cn).
-
[24]
« China pledges 80 million yuan in aid to Afghanistan », Xinhuanet, 31 janvier 2006.
-
[25]
Syed Anwer, « China suggests deepening friendship, trade with Afghanistan », Pajhwok Afghan News, 18 août 2005.
-
[26]
Danish Karokhel, « Silk Road Revival », IWPR’S Afghan Recovery Report, no 32, 23 octobre 2002.
-
[27]
« Afghanistan expects road link with China », People’s Daily, 10 août 2008.
-
[28]
Ces trois premiers pays envisagent d’ailleurs de construire une ligne commune de chemin de fer. Cette dernière pourrait ouvrir la possibilité de livraisons rapides de marchandises depuis le Tadjikistan et l’Afghanistan vers les ports du golfe Persique et dans la direction inverse (« Tadjikistan, Afghanistan et Iran : vers une liaison ferroviaire commune », Ria Novosti, 15 juillet 2008).
-
[29]
Ahmad Khalid Mowahid, « Beijing to provide Kabul military equipment », Pajhwok Afghan News, 23 octobre 2005.
-
[30]
« Afghanistan-China pledge to deepen ties as leaders meet », AFP, 19 juin 2006.
-
[31]
Ahmad Khalid Mowahid, « China to train Afghan soldiers on logistics », Pajhwok Afghan News, 24 juin 2006.
-
[32]
« China supports Afghanistan in reconstruction, development », Xinhua, 13 juin 2008.
-
[33]
Najib Khelwatbar, « China assures Afghanistan of cooperation », Pajhwok Afghan News, 31 octobre 2006.
-
[34]
IMF, Direction of Trade Statistics Yearbook 2007, Washington (DC), International Monetary Fund, 2008, p. 44.
-
[35]
Chiffres des douanes afghanes pour l’année 1385 (21 mars 2006 / 20 mars 2007), wwwwww. customs. gov. af/ Documents/ Trade-statistics/ pimport1385. pdf.
-
[36]
« China donates unmilitary items to Afghan army », Xinhua, 11 janvier 2007.
-
[37]
« China donates $1,5 million to Afghan refugees », Xinhua, 9 juillet 2007.
-
[38]
« China to provide hospital $2m tools », Pajhwok Report, 6 septembre 2008.
-
[39]
« China offers fresh $11 mln aid to Afghanistan », People’s Daily, 30 décembre 2008.
-
[40]
Matt Waldman, Falling Short. Aid Effectiveness in Afghanistan, ACBAR Advocacy series, mars 2008.
-
[41]
« UAE offers US$550 mn for reconstruction of Afghanistan », Emirates News Agency, 20 novembre 2008.
-
[42]
Nargis Kassenova, « Aide au développement : la percée chinoise au Tadjikistan et au Kirghizstan », Russie. NEI. Visions, no 36, IFRI, janvier 2009, p. 15.
-
[43]
« First Chinese chamber of commerce in Afghanistan inaugurated », People’s Daily, 25 septembre 2007.
-
[44]
« Afghanistan : China’s latest business venture », Reuters, 11 mai 2007.
-
[45]
Chiffres des douanes afghanes pour l’année 1386 (21 mars 2007/20 mars 2008), wwwwww. customs. gov. af/ Documents/ Trade-statistics/ pimport1386. pdf.
-
[46]
Chiffres des douanes afghanes pour l’année 1386 (21 mars 2007/20 mars 2008), wwwwww. customs. gov. af/ Documents/ Trade-statistics/ cranking1386. pdf.
-
[47]
Chiffres des douanes chinoises hhhhhttp:// yzs. mofcom. gov. cn/ aarticle/ g/ date/ i/ 200811/ 20081105912801. html(en chinois).
-
[48]
Mustafa Basharat, « Kabul, Beijing extend trade ties », Pajhwok Afghan News, 19 novembre 2008.
-
[49]
« China eyes Afghan market », Press TV (Iran), 15 mai 2007.
-
[50]
« Jiangxi Copper and MCC to invest $4.39 bln in Afghan copper mine », Interfax, 30 juin 2008.
-
[51]
« China wins Mega Afghan Project », BBC News, 25 novembre 2007.
-
[52]
Mustafa Basharat, « Contract for Logar copper mine inked in Kabul », Pajhwok Afghan News, 25 mai 2008.
-
[53]
« Afghanistan copper deposits worth $88 billion attract Chinese investors », The Times, 15 mai 2008.
-
[54]
Chiffres des douanes chinoises hhhhttp:// ozs. mofcom. gov. cn/ date/ date. html et hhhhhttp:// yzs. mofcom. gov. cn/ date/ date. html(en chinois).
-
[55]
L’Afghanistan possède des réserves de charbon essentiellement dans le nord du pays, entre Hérat et le Badakhshan.
-
[56]
« Mine de cuivre d’Aynak : des experts afghans doivent réexaminer le contrat d’exploitation », Sada-ye Afghanistan, 30 novembre 2007.
-
[57]
« Afghanistan copper deposits worth $88 billion attract Chinese investors », op. cit.
-
[58]
« Afghanistan : une société chinoise va exploiter une mine de cuivre », AFP, 26 mai 2008.
-
[59]
Mustafa Basharat, « Kabul, Beijing extend trade ties », op. cit.
-
[60]
« Afghan government denies China supplies weapons to Taliban », People’s Daily, 7 septembre 2007.
-
[61]
« China main arms supplier to LTTE, Taliban », The Tribune, 21 mai 2008.
-
[62]
Paul Danahar, « Taleban “getting Chinese arms” », BBC News, 3 septembre 2007.
-
[63]
« Iran leader denies arms supplies », BBC News, 14 août 2007.
-
[64]
« Afghanistan : US Worried Iran Sending Chinese Weapons to Taliban », RFE/RL, 14 septembre 2007 et « US Warned China over Weapon Links in Iran, Iraq, Afghanistan », AFP, 16 mai 2008.
-
[65]
Mohammad Jawad Sharifzada, « Imports Threaten Afghan Industries », IWPR’S Afghan Recovery Report, no 158, 20 janvier 2005.
-
[66]
R. D. Fisher, « Chinese arms cost American lives », Far Eastern Economic Review, vol. 171, no 6, juillet-août 2008, p. 50-52.
-
[67]
« Insights from a military commander », Afghanistan Watch, 9 février 2007.
-
[68]
« China could help Afghan mission », Associated Press, 15 novembre 2008.
-
[69]
Cité dans Zhongguo guoji zhanlüe yanjiu wang, « Beijing ziliao : Zhongguo shifou ying pai bing dao Afuhan », wwwwwww. chinaiiss. org,December 2008 (en chinois) ((((http:// wwwww. chinaiiss. org/ pk/ display. asp ? ID= 102).
-
[70]
« China denies sending troops to Afghanistan », Xinhua, 18 novembre 2008.
-
[71]
Melinda Liu, « China and Afghanistan : A job for 008 ? », China calling, 222224 novembre 2008 (http:// blog. newsweek. com/ blogs/ chinacalling/ archive/ 2008/ 11/ 24/ china-and-afghanistan-a-jobfor-008.aspx).
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[72]
Zhongguo guoji zhanlüe yanjiu wang, « Beijing ziliao : Zhongguo shifou ying pai bing dao Afuhan », op. cit. (en chinois).
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[73]
Voir les divers commentaires des internautes chinois sur ibid. (en chinois).
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[74]
La situation pourrait toutefois évoluer. La question ouïgoure a été évoquée par des dirigeants de al-Qaeda à compter de la fin de l’année 2006/début 2007. Jusqu’ici, l’organisation ne s’est pourtant pas attaquée à des cibles ou à des intérêts chinois.
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[75]
L’ISAF se compose des pays de l’OTAN auxquels s’ajoutent quatorze pays non membres de l’organisation. Voir la liste complète dans hhhhttp:// wwwww. nato. int/ isaf/ structure/ nations/ index. html.
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[76]
« Muslim troops help win Afghan minds », BBC News, 28 mars 2008.