INTRODUCTION
1Lors de sa construction, il y a environ soixante ans, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, le bâtiment du quartier général de l’Organisation des Nations Unies (ONU) à New York remplissait toutes les attentes de ceux qui y travaillaient. Il faisait figure de chef-d’œuvre. Son architecture incarnait un style moderne, visionnaire même, reflétant l’architecture d’avant-garde des années 1950. De loin, cet édifice a encore l’air élégant, esthétique et assez moderne. Mais, à y regarder de plus près, on réalise qu’il est quelque peu usé et mériterait quelques réparations. Les toits fuient, les murs menacent de s’effondrer et l’isolation à l’amiante doit être éliminée. Sans doute, les travaux les plus urgents ont été effectués et certaines parties du bâtiment ont été rénovées et redécorées. Le fait même que cet édifice, conçu pour 50 membres, soit toujours au service d’une organisation de 191 membres, témoigne de la qualité de l’ouvrage. Toutefois, il reste beaucoup à faire pour que le bâtiment puisse continuer à remplir sa fonction.
2L’ONU est un bâtiment, un site. Mais c’est aussi, et surtout, une institution. Et, si elle souhaite relever les défis du monde d’aujourd’hui, l’institution a autant besoin d’une rénovation que le bâtiment. Elle n’est, en effet, pas aussi efficace qu’elle devrait l’être parce que son organisation est celle d’une institution conçue il y a quelque soixante ans pour un nombre réduit d’États membres.
3Je commencerai par rappeler très brièvement la situation telle qu’elle était en 1945, pour traiter ensuite de l’état actuel des choses. En conclusion, j’aimerais me tourner vers le futur.
LE PASSÉ
4Quelle était donc la situation en 1945 ? L’ONU a été fondée par les puissances alliées. Cinquante nations ont signé sa Charte à San Francisco. Les forces de l’Axe – l’Allemagne, l’Italie, le Japon et leurs satellites – ainsi que les pays neutres s’en sont vu refuser l’entrée, tout comme les immenses parties du monde qui connaissaient encore le joug colonial. L’objectif principal était de fournir à la communauté des nations des moyens d’action collectifs contre les États mis hors la loi afin d’empêcher un nouveau conflit interétatique semblable à la Seconde Guerre mondiale. Les puissances victorieuses principales considéraient ainsi l’ONU comme une sorte de prolongement de leur alliance.
5Peu après l’entrée en vigueur de la Charte des Nations Unies, la situation politique s’est, bien entendu, modifiée de façon assez dramatique. Les différences entre les États occidentaux et l’Union soviétique ont débouché sur la confrontation de deux blocs d’une puissance à peu près équivalente et sur la guerre froide. Pendant plusieurs décennies, l’ONU allait être marquée par l’immobilisme. La confrontation l’emportera sur la coopération.
LE PRÉSENT
6Le monde a manifestement changé et est différent de ce qu’il était il y a soixante ans. Quelques faits importants méritent d’être mentionnés.
7D’abord, la décolonisation, avec laquelle plus de 80 colonies ont accédé à l’indépendance et sont devenues des États souverains. Ensuite, l’effondrement du communisme et l’implosion de l’Union soviétique qui ont conduit à la fin de la guerre froide, ainsi qu’à l’indépendance de 20 autres États.
8De plus, l’interdépendance entre les États et la globalisation sont devenues de nouvelles réalités. Les moyens de communication et d’information ont subi une révolution. Grâce à Internet, le monde a été réduit à un village global. À l’heure actuelle, nous vivons dans un monde de menaces et de défis interconnectés. D’autre part, la plupart des conflits armés sont de nature intra-étatique, et non interétatique comme c’était le cas auparavant.
9De nouveaux défis sont apparus à l’ordre du jour. Ainsi, la lutte contre la pauvreté est devenue un enjeu majeur. Et beaucoup de ces nouveaux défis, comme, par exemple, les problèmes liés à la criminalité organisée, à la drogue, au terrorisme, au sida, aux réfugiés ou encore à la pollution ne s’arrêtent pas aux frontières nationales.
10Finalement, de nouveaux acteurs sont apparus sur la scène internationale, notamment les organisations non gouvernementales (ONG), les entreprises multinationales, mais aussi des organisations terroristes comme Al-Qaida.
11Ces changements ont eu un impact sur la dynamique interne de l’ONU. Ainsi, les États ennemis et neutres – l’Allemagne, l’Italie, le Japon, la Suède et l’Autriche – ont pu intégrer l’ONU, suivis par les colonies nouvellement indépendantes. L’ONU a joué un rôle crucial dans le processus de décolonisation en intégrant les États nouvellement indépendants au sein de la communauté des nations et dans un cadre fait de lois et de règles. L’ONU a donc glissé du statut de coalition des nations victorieuses à celui d’organisation universelle, qui est aujourd’hui bien plus représentative qu’elle ne l’était à ses débuts.
12De plus, l’attention n’est plus exclusivement dirigée vers les enjeux concernant « la paix et la sécurité », mais de plus en plus accordée au développement économique et social. Cette tendance s’est notamment manifestée avec la création de la Conférence des Nations Unies pour le commerce et le développement (CNUCED) en 1960, du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) en 1965 et de l’Organisation des Nations Unies pour le développement industriel (ONUDI) en 1966.
13Bien d’autres nouveaux défis ont été relevés. L’ONU a été impliquée dans de nombreux domaines, allant de la non-prolifération nucléaire aux droits de l’homme et à l’assistance humanitaire, en passant par la lutte internationale contre la corruption, le crime organisé et le terrorisme, mais également par les questions liées à la santé et l’éducation.
14L’incapacité du Conseil de sécurité à imposer la paix a débouché sur deux développements majeurs. D’une part, l’imposition de la paix a été exécutée par les États membres de l’ONU à la demande ou sur autorisation du Conseil de sécurité, comme pendant la première guerre du Golfe contre l’Irak. D’autre part, les mesures d’imposition de la paix ont été remplacées ou substituées par le maintien de la paix. De plus, la coopération entre les cinq membres permanents s’est améliorée après la chute du rideau de fer. Entre 1991 et 1993, le Conseil de sécurité a ainsi lancé quinze nouvelles missions de maintien de la paix et d’observation, alors qu’elles n’avaient été que dix-sept durant les quarante-six années précédentes. Aujourd’hui, ce sont quelque 80 000 hommes qui sont déployés, principalement en Afrique. En conséquence, l’ONU a été progressivement appelée à assumer des responsabilités opérationnelles, ce qui n’avait pas été le cas à ses débuts.
15Avec toutes ces activités, l’ONU est devenue universelle d’un point de vue non seulement géographique, mais aussi thématique. L’ONU a donc fleuri, mais cette évolution a également transformé l’organisation en un ensemble sauvage d’institutions, de fonds et de programmes.
Comment cela s’est-il fait ?
16En considérant l’actuelle Organisation des Nations Unies à la lumière des changements intervenus depuis 1945, certaines observations s’imposent.
17D’abord, la Charte ne reflète que partiellement la réalité onusienne d’aujourd’hui. Plusieurs de ses articles sont dépassés, comme par exemple l’article 107 qui fait référence à des actions à l’encontre des ennemis de la Seconde Guerre mondiale [1]. Un autre article requiert de la part des États membres la mise à disposition de contingents militaires nationaux [2]. Puis il y a plusieurs provisions concernant un Comité d’état-major des 5 membres permanents. Aucun de ces articles n’a jamais été appliqué. La Charte comprend aussi plusieurs articles sur le système des tutelles internationales [3] et du Conseil de tutelle [4] qui sont devenus obsolètes avec la disparition des territoires sous tutelle.
18Néanmoins, l’organisation s’est transformée en s’adaptant aux réalités nouvelles de son environnement. L’adaptation, c’est la réforme. Contrairement à ce que l’on lit et entend souvent, l’ONU est une organisation qui a su se réformer, même si, bien sûr, beaucoup de projets de réforme n’ont été réalisés que de façon imparfaite. Cela n’a rien de surprenant, puisque chaque pays a ses propres idées au sujet de ces réformes. Alors que les uns associent la réforme avant tout au problème de la soi-disant mauvaise gestion du secrétariat de l’ONU, les autres se concentrent sur la réforme du Conseil de sécurité et sur la manière dont sont prises les décisions dans les différents organes de l’organisation.
19Pour les pays industrialisés, les problèmes du moment comprennent la lutte contre le terrorisme, le libre-échange, les armes de destruction massive, la protection de l’environnement, ainsi que la nécessité d’empêcher les conflits ethniques, raciaux et religieux. Les États en voie de développement mettent l’accent sur leur pauvreté et leur sous-développement, ainsi que sur le manque de libre accès aux marchés mondiaux pour leurs produits et le fossé dangereusement croissant avec les États industrialisés, mais également sur les menaces à leur souveraineté nationale.
20Si une chose est claire, c’est que la réforme est une question politique. Même les détails techniques de la réforme administrative le sont. En effet, il s’agit de gagner ou de perdre de l’influence et du pouvoir.
21Lors de cette adaptation continue de l’ONU aux défis d’un monde en permanente transformation, diverses décisions importantes ont émané de l’Assemblée générale de l’ONU. Ainsi, le PNUD, la CNUCED, l’ONUDI, mais aussi le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) ont été établis sur la base d’une résolution de l’Assemblée générale. Parallèlement, l’Assemblée générale convient périodiquement des conférences des Hautes Parties contractantes. À ces occasions sont négociées des conventions sur des sujets particuliers qui sont ensuite soumises aux États membres pour ratification. Ainsi furent adoptées, par exemple, la Déclaration universelle des droits de l’homme, la Convention relative aux droits de l’enfant, ainsi que la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer. D’autres conférences de l’ONU ont joué un rôle, non pas par des textes juridiques, mais parce qu’elles ont abordé des enjeux potentiellement importants à un stade précoce et favorisé la sensibilisation de la société à ces questions. Cela a été le cas, par exemple, de la Conférence de Stockholm sur l’environnement en 1972 et du Sommet mondial pour le développement social tenu à Copenhague en 1995.
22L’Assemblée générale s’est ainsi, par le passé, constamment adaptée à un environnement politique, social et économique mouvant. Ses décisions ont fait passer les Nations Unies d’une organisation de 50 alliés, avant tout soucieuse d’éviter les guerres interétatiques, à une organisation mondiale qui s’occupe de tous les défis auxquels l’humanité fait face : des défis politiques, mais aussi économiques, sociaux, humanitaires et environnementaux.
23Les agences, les fonds et les programmes de l’ONU contribuent également aux efforts de réforme. La coopération au développement, en tant que concept, découle pour une large mesure du travail effectué par les agences de l’ONU. En 1991, le Human Development Report du PNUD a ainsi mené à un changement paradigmatique en matière de coopération au développement. Jusqu’alors, la croissance économique était envisagée comme étant le seul critère de richesse et de qualité de vie, exprimé en produit national brut par habitant, mais sans aucune indication quant à la distribution de richesse parmi la population d’un pays. Avec le Human Development Index, il est désormais possible de prendre en compte dans l’évaluation du taux de développement l’éducation, la santé ou encore la mortalité.
24Même la position du secrétaire général, en sa qualité de plus haut fonctionnaire de l’organisation [5], a évolué durant les soixante dernières années. En effet, ses activités dépassent le cadre défini par la Charte. Alors que nous attendons du secrétaire général qu’il empêche les conflits et sponsorise des solutions, la Charte ne lui accorde pas un tel mandat. L’on estime également qu’il doit mener la lutte contre la pauvreté, la maladie, la malnutrition et la dégradation de l’écosystème. Là encore, la Charte ne fait pas référence à ces rôles. C’est pourquoi il en va pour beaucoup de son initiative personnelle, comme de sa capacité de persuasion et de son autorité morale. Les secrétaires généraux de l’ONU n’ont pas de pouvoirs institutionnels, mais ils peuvent néanmoins avoir de l’influence.
25Considérons à présent l’organe qui a le plus résisté aux réformes. Il s’agit du Conseil de sécurité qui ne diffère à l’heure actuelle nullement de ce qu’il était il y a soixante ans. Les cinq puissances victorieuses de la Seconde Guerre mondiale continuent de profiter de leur rôle de membres permanents avec droit de veto. Et elles le font sans prendre en considération les modifications qui sont intervenues entre-temps dans la structure du pouvoir entre les États. Certes, il y a eu de modestes changements dans la méthode de travail du Conseil qui ont permis aux États non membres du Conseil de sécurité, aux fournisseurs de contingents, aux chefs d’agence et aux représentants de la société civile d’être écoutés. Le Conseil a même, selon une interprétation étendue de son rôle, élargi son agenda en y portant des sujets comme les conséquences dramatiques de l’épidémie du sida. Parallèlement, le Conseil de sécurité a de plus en plus tendance à agir en tant que législateur. C’est sur cette base qu’il a établi les deux tribunaux pénaux internationaux pour le Rwanda et l’ex-Yougoslavie.
La mise en œuvre
26Il ne suffit bien évidemment pas de légiférer, d’adopter de nouvelles règles multilatérales ou de voter sur une résolution de l’Assemblée générale. Encore faut-il mettre en œuvre ce que l’on couche sur le papier. Beaucoup de décisions et de recommandations prises par les États membres de l’ONU, y compris celles postulant des réformes, nécessitent une ratification par les parlements nationaux afin d’avoir un effet. D’autres requièrent un suivi de nature différente, comme les résolutions requérant plus de ressources pour l’aide au développement. Et c’est là que se manifeste l’essentiel du problème. Une grande partie de ce qui a été décidé dans les conférences et les réunions et de ce que l’on trouve dans les résolutions solennelles se limite au papier. Le véritable problème, dans ce cas, tient à ce que la plupart des gouvernements promettent, au sein de l’ONU, plus qu’ils ne sont capables de fournir. En outre, beaucoup de gouvernements ne mettent en œuvre leurs engagements politiques que très sélectivement.
27Un autre problème répandu tient au dédoublement des mandats entre les différents organes faisant partie du système onusien. L’ONU, dans son ensemble, est composée d’une jungle d’institutions spécialisées, de fonds et de programmes. Derrière cette croissance effrénée, il est difficile d’apercevoir une logique quelconque. Par conséquent, il y a un besoin gigantesque de coordination à tous les niveaux. Et le secrétaire général n’a pas le pouvoir de corriger ces incohérences.
Bilan
28Si l’on recherche les problèmes principaux de la réforme, l’ONU a, avant tout, échoué dans deux domaines – à savoir, le maintien de la paix et de la sécurité et le désarmement. En d’autres termes, cela veut dire que l’ONU a rencontré le moins de succès dans les domaines auxquels les pères fondateurs avaient dédié toute leur attention. Elle a, par contre, accompli bien plus dans des domaines qui, en 1945, étaient considérés comme moins urgents ou d’importance secondaire. C’est le cas notamment de la contribution à la décolonisation, de l’assistance économique, des droits de l’homme ou encore de la codification du droit international.
29La force de l’ONU réside dans un travail peu spectaculaire de long terme, plus que dans des accomplissements visibles de court terme. Bien sûr, ce sont ces derniers qui dominent le débat public, ainsi que le travail du Conseil de sécurité. Toutefois, les différentes institutions et les organes de l’ONU sont actifs dans bien d’autres domaines fondamentaux pour notre vie quotidienne, tels la coordination du service postal international et les fréquences des téléphones portables ou la définition des normes pour les trafics aérien et maritime. Elles touchent également au brevetage d’inventions et aux marques déposées, à la protection mondiale de l’artisanat ou des biens historiques et culturels et à bien d’autres domaines. Nous sommes si habitués à ces services dans nos vies quotidiennes que nous les prenons pour acquis. En effet, les activités dans ces domaines sont souvent basées sur un travail effectué dans le passé et se limitent de nos jours à des questions surtout techniques. Ils ne constituent donc pas de bons sujets médiatiques. Au-delà de ces domaines techniques, l’ONU s’occupe aussi de problèmes majeurs qui risquent de menacer notre planète, notamment la dégradation de l’écosystème, les armes de destruction massive, les inégalités économiques entre le Nord et le Sud, les violations des droits de l’homme, les urgences humanitaires ou encore le sida.
30Là encore, ce faisceau de problèmes figure rarement en première page des journaux, et cela bien que, pour la plupart d’entre nous, nous soyons conscients qu’il s’agit d’enjeux cruciaux pour notre futur. Cela tient sans doute au fait que chacun sait qu’ils ne pourront pas être résolus du jour au lendemain. Quand, au contraire, il s’agit d’une crise politique telles qu’elles se sont récemment manifestées en Iran, en Irak ou en Afghanistan, et lorsque des vies humaines sont en jeu, nous nous attendons à une action immédiate et probablement à un succès immédiat. Sans cela, le public est déçu et tend à parler d’échec.
31Il faut donc clarifier sur quelle base l’on évalue l’action de l’ONU. Si l’on juge son rôle et son impact en fonction de son efficacité à résoudre les conflits armés aujourd’hui, demain ou après-demain, alors son bilan n’est pas très bon. Si, en revanche, l’on prend comme point de référence une période de plusieurs années et si l’on évalue la contribution de l’ONU à l’amélioration des conditions de vie des peuples du monde, alors le bilan de l’ONU a bien meilleure allure.
32Idéaliser l’ONU, ce que d’aucuns font avec les meilleures intentions, ne rend pas service à l’organisation. D’autant plus que l’on se trouve face à d’importantes disparités entre des ambitions élevées et de faibles ressources, ainsi qu’entre d’énormes défis – il a été fait référence à la pauvreté extrême, au terrorisme ou aux armes de destruction massive – et de modestes résultats. L’image de l’organisation souffre de ces attentes trop élevées. Cela n’est pas sans conséquence, puisque cela facilite l’argumentation des opposants de la coopération multilatérale, en leur permettant d’accuser l’ONU de ne pas être à la hauteur des attentes. Il s’ensuit qu’il est important d’être franc au sujet des limites réelles de l’organisation.
LE FUTUR
33Cela nous mène à nous tourner vers le futur. J’aimerais mentionner quelques défis majeurs auxquels les Nations Unies seront sans doute confrontées dans les années à venir.
34D’abord, il y a la croissance de la misère et de la pauvreté. Nous vivons dans un ordre économique global injuste, ce qui crée un fort potentiel de révolte sociale. Plus d’un milliard de personnes vivent avec moins de 1 $ par jour. Et, chaque année, 3 millions de personnes meurent du VIH/sida. Tous ces éléments constituent une bombe à retardement dans ce qui est devenu un « village global ».
35Il s’ensuit qu’il est nécessaire d’adopter une vision large de la sécurité collective. À notre époque, les menaces à la paix et à la sécurité n’incluent pas seulement la guerre et les conflits internationaux, mais également le terrorisme, les armes de destruction massive, le crime organisé et la violence civile ou encore la pauvreté, les maladies infectieuses et la dégradation de l’écosystème.
36D’autre part, il est essentiel de progresser en matière de désarmement et de non-prolifération d’armes nucléaires, chimiques et biologiques. Il devient de plus en plus difficile de justifier une société nucléaire à deux vitesses. Ceux qui possèdent des armes nucléaires se doivent de désarmer (comme ils s’y sont engagés), si les autres acceptent l’obligation de ne pas en développer.
37Il est généralement accepté que la politique devrait viser à éliminer les tensions politiques avant qu’elles ne dégénèrent en conflits armés. Ainsi, il existe beaucoup d’écrits sur l’utilité de la médiation et d’autres instruments non militaires comme les sanctions et le maintien de la paix. On peut et on doit toutefois en faire plus. L’usage de la force doit être réglementé par une résolution du Conseil de sécurité, définissant clairement les principes fondamentaux à appliquer. En particulier, il est essentiel de clarifier la différence entre préemption et prévention.
38Pour finir, de grands efforts sont requis pour mettre en œuvre une meilleure cohérence systémique et une plus grande efficacité de l’ONU, particulièrement en matière de développement, d’assistance humanitaire et de problèmes environnementaux.
39Afin d’aborder ces défis, il est nécessaire d’engager une discussion générale et fondamentale quant au rôle de l’ONU dans le monde dans lequel nous vivons. J’aimerais, là encore, relever quelques questions majeures auxquelles nous sommes confrontés.
40D’abord, il est important de trouver un accord quant à la nature de l’organisation que nous recherchons. L’ONU, telle que nous la voyons actuellement, reflète deux aspirations contradictoires. D’un côté, il y a certains principes et idéaux de la Charte, tels « les droits de l’homme » ou « le respect du droit international », que les membres, qui doivent, selon la Charte, être « des nations pacifiques », se sont engagés à accomplir. De l’autre côté, l’organisation tâche d’être universelle. Dans le monde d’aujourd’hui, nous ne pouvons avoir les deux à la fois. Que cela nous plaise ou non, ce n’est pas une vision réaliste. Il serait en effet naïf de croire que tous les pays du monde sont « pacifiques » et respectent « les droits de l’homme » et « le droit international », pour ne mentionner que quelques-uns des idéaux que l’ONU tâche d’accomplir. Une organisation, dont la vocation est universelle, se doit d’accepter la présence de quelques « méchants », de quelques bêtes noires. L’alternative consiste à avoir une organisation sélectionnant scrupuleusement les « bons » en excluant les « fauteurs de troubles ». Et une telle organisation ne pourrait, en toute probabilité, pas être efficace dans son rôle de maintien de la paix et de la sécurité.
41Un autre problème épineux réside dans le rôle de l’ONU dans sa relation avec la seule superpuissance actuelle, les États-Unis. Il existe une contradiction évidente dans la position d’un État qui est à la fois l’unique superpuissance, mais qui appartient également à un système multilatéral de sécurité. En effet, une superpuissance n’aime pas, presque par définition, qu’on lui dise ce qu’elle doit faire, alors que le multilatéralisme est basé sur l’idée que tous les membres sont prêts à céder et à faire des concessions. Certains considèrent que le rôle primordial de l’ONU est de créer un contrepoids afin de réduire (ou tout du moins de contrôler) le pouvoir américain. D’autres pensent qu’il s’agit au contraire d’accepter et d’appuyer le pouvoir américain. Ces deux positions sont aussi erronées l’une que l’autre. L’ONU est un instrument de coopération à la recherche de la paix et de la sécurité. Il est essentiel de reconnaître que les États-Unis peuvent dans ce contexte, plus qu’aucun autre pays, jouer un rôle très positif, mais également un rôle très négatif. Il importe donc de trouver un accord pour réconcilier leurs intérêts avec ceux, tout aussi importants, du reste du monde.
42Dans ce contexte, la réforme du Conseil de sécurité est cruciale. Le Conseil de sécurité doit devenir plus représentatif, en prenant en considération l’importance politique croissante de pays tels que l’Inde et le Brésil. Il ne peut pas non plus négliger le continent africain. En même temps, les grands pays qui contribuent le plus à l’ONU sur les plans financier, militaire et diplomatique doivent nécessairement être impliqués dans le processus de prise de décision du Conseil de sécurité. Toutefois, l’élargissement du Conseil de sécurité se révèle extrêmement difficile. C’est pourquoi, en guise de premier pas, des mesures doivent être prises concernant les méthodes de travail du Conseil de sécurité qui sont souvent obscures et doivent devenir plus transparentes et coopératives.
43Quatrièmement, le préambule de la Charte des Nations Unies commence par les mots « Nous, Peuples ». Le secrétaire général Kofi Annan a, à plusieurs reprises, souligné que cela implique l’obligation pour l’ONU de prêter attention aux peurs, aux besoins et aux soucis de tous les êtres humains, où qu’ils soient. Les États ont, par conséquent, l’obligation de protéger leurs citoyens et la communauté internationale devrait embrasser le concept de « devoir de protection » comme base de l’action collective contre le génocide, le nettoyage ethnique et d’autres crimes contre l’humanité. Beaucoup de pays, plus particulièrement les États qui ont dû se battre pour leur indépendance et leur souveraineté nationale, craignent toutefois que cela ne constitue un prétexte à une politique d’interférence extérieure dans leurs affaires internes. Mais ce qui se déroule à l’intérieur des frontières d’une nation peut clairement concerner l’échelon international et justifier des exceptions à la souveraineté. La situation au Darfour, au Soudan, en est un cas d’école.
44J’aimerais enfin mentionner l’importance croissante des ONG, des médias, des entreprises et d’autres acteurs non étatiques, y compris des groupes terroristes comme Al-Qaida. Nous devons faire face à leur influence, qu’elle soit positive ou négative, tout comme aux difficultés qu’ils peuvent engendrer pour l’ONU. Il s’agit d’un défi qui ne se résoudra pas tout seul. En conséquence, autant commencer à y réfléchir sérieusement.
CONCLUSIONS
45Cette réflexion partait du constat que le bâtiment du quartier général de l’ONU à Manhattan avait besoin d’être rénové. Bien que des réparations aient été entreprises de par le passé, il est nécessaire d’en effectuer davantage afin de permettre au bâtiment de remplir ses fonctions. Ce qui est vrai pour le bâtiment s’applique également à l’institution en tant que telle. Il n’y a, par contre, aucune raison de démolir tout l’édifice.
46L’ONU est le miroir du monde dans lequel nous vivons. Elle le réfléchit tel qu’il est. Lorsque l’on regarde dans un miroir, ce que l’on y voit ne nous plaît pas nécessairement. Toutefois, il ne sert à rien d’accuser le miroir, ni d’en acheter un neuf, et encore moins de le casser.
47Churchill a dit que la démocratie est la pire des formes de gouvernement, tout en étant supérieure à toutes les alternatives. Il en va de même pour les Nations Unies. L’ONU a beau être imparfaite, et il va sans dire qu’il reste bien des choses à améliorer. Toutefois, lorsqu’on pense aux alternatives, l’on ne peut qu’être reconnaissant que l’organisation existe. En effet, il n’y a, à l’heure actuelle, pas d’alternative réaliste pour nous assister dans nos efforts pour rendre le monde un peu plus paisible, un peu plus juste et un peu plus humain.