Notes
-
[1]
F. Fukuyama, The End of History and the Last Man, New York, 1992.
-
[2]
M. Bertrand, La fin de l’ordre militaire, Paris, 1996.
-
[3]
B. Buzan, People, States and Fear : The National Security Problem in International Relations, Brighton, 1983.
-
[4]
B. Buzan, People, States and Fear : An Agenda for International Security Studies in the Post-Cold War Era, Boulder, 1991, p. 19.
-
[5]
Les définitions qui suivent sont évidemment à attribuer à Barry Buzan, ibid., p. 19-20.
-
[6]
Ibid., p. 20.
-
[7]
B. Buzan, « Societal security, state security and internationalisation », O. Waever, B. Buzan, M. Kelstrup and P. Lemaitre (ed.), Identity, Migration and the New Security Agenda in Europe, London, 1993, p. 57.
-
[8]
O. Waever, « Societal security : The concept », ibid., p. 24.
-
[9]
Ibid., p. 25.
-
[10]
Ibid., p. 26.
-
[11]
O. Waever, « Securitization and desecuritization », R. D. Lipschutz (ed.), On Security, New York, 1995, p. 54-58.
-
[12]
Ibid.
-
[13]
R. L. Doty, « Immigration and the politics of security », Security Studies, vol. 8, no 2-3, 1998-1999, p. 81.
-
[14]
Ibid.
-
[15]
Ibid., p. 82.
-
[16]
Ibid., p. 81.
-
[17]
Ibid., p. 73.
-
[18]
Ibid.
-
[19]
Ibid., p. 77.
-
[20]
Ibid., p. 81-82.
-
[21]
B. Buzan, People, States and Fear, op. cit., p. 19.
-
[22]
R. Aron, Paix et guerre entre les nations, Paris, 1962.
-
[23]
K. Waltz, Man, the State and War : A Theoretical Analysis, New York, 1959.
1L’effondrement, ou mieux, l’évaporation de l’empire soviétique a laissé bien des armées orphelines d’un ennemi autour duquel tout avait été pensé et organisé. Une disparition soudaine qui ne pouvait laisser les survivants indifférents, puisqu’elle mettait un terme définitif à la cristallisation bipolaire et rendait pour le moins obsolète la hiérarchie des risques et des menaces, une hiérarchie gelée depuis fort longtemps sur les murs matériels et idéologiques qui divisaient – plus ou moins – le monde en deux. Fin de l’ère bipolaire, « fin de l’histoire » [1], fin de l’ère westphalienne, fin de l’État-nation, « fin de l’ordre militaire » [2] ? Voilà le condensé d’un foisonnement d’interrogations dérivant sur un foisonnement d’explications qui enterraient en quelque sorte le vieil « ordre » international – tantôt avec un brin de nostalgie, tantôt avec un enthousiasme démesuré, en suggérant parfois l’avènement d’un nouveau « désordre » international post-bipolaire, parfois celui d’un règne de l’unipolarité régulatrice.
2Nouvel ordre ou nouveau désordre, les postulats du système westphalien se sont mis, quoi qu’il en soit, à vaciller de plus en plus dans la nouvelle ère de l’après- « glaciation bipolaire ». Les catégories paradigmatiques ont progressivement changé de sens, ou l’ont carrément perdu, dans un jeu d’interactions où la transnationalisation des acteurs a souvent mis en crise l’État-nation et ses acquis de l’ère westphalienne. En caricaturant un peu et en simplifiant beaucoup, on pourrait dire que l’on a ainsi transité graduellement de « l’État, c’est moi ! », – une proclamation qui renvoie à la personnification ou à l’identification claire de l’objet étatique en un sujet univoque –, à « l’État, c’est quoi ? » – une interrogation qui trahit la crise d’identité ou l’ère de turbulence dans laquelle les fonctions régaliennes n’ont plus le même sens ou sont contournées et dépassées par d’autres formes d’exercice du pouvoir, qui trouvent leur légitimation à côté de l’État, à l’insu de l’État, malgré l’État ou contre l’État, et qui transcendent in fine l’État sous sa forme « conventionnelle ». Si l’État persiste, il le fait en somme en luttant contre un lent mais inéluctable processus de desquamation qui en altère les défenses immunitaires, les caractéristiques, les aspects et finalement la nature, et qui le transforme de sujet univoque à objet équivoque.
3Et à propos d’équivoque, que reste-t-il de la confrontation Est-Ouest à l’échelle européenne après la réunification de l’Allemagne ? Un Occident qui s’orientalise, un Orient qui s’occidentalise. C’est là, en effet, un des paradoxes saisissants qui émerge en particulier des élargissements successifs de l’OTAN et de l’Union européenne à de nombreux pays d’Europe centrale et orientale. Des pays jadis « Extrême Occident » européen du « bloc » soviétique, qui se retrouvent aujourd’hui être « l’Extrême Orient » d’une communauté de valeurs euro-atlantiques, dont la cohésion n’est, du reste, pas toujours garantie. Les notions bipolaires d’Est ou d’Ouest ont donc perdu leur sens de manière tangible, en termes de confrontation d’abord, en termes d’idéologies ensuite, en termes de géographie enfin.
4Dans un tel contexte de transition paradigmatique et de caducité, par forfait, de la confrontation bipolaire, la conception traditionnelle de la sécurité nationale – à propos de la fin d’un ordre militaire – cède peu à peu sa place à une interprétation élargie et désormais désétatisée de la sécurité, selon laquelle l’État n’est plus nécessairement son unique objet référent. D’une conception associée pratiquement à la seule sécurité de l’appareil étatique, l’on passe en somme à une vision tenant compte « du peuple, des États et de la peur » comme dirait Barry Buzan [3], un des pionniers d’un courant de pensée qui a remodelé la façon de concevoir la sécurité, déjà bien avant la fin de la guerre froide. Une sécurité reconceptualisée qui regardera dès lors non seulement les États et leurs relations respectives, mais aussi les relations entre l’individu, la société et l’État et leurs perceptions croisées de menaces devenues en conséquences multiformes et multidirectionnelles. Dans une telle perspective, la notion traditionnelle de sécurité de l’État s’est progressivement transformée en une notion plus large de « sécurité des collectivités humaines » [4], que Barry Buzan subdivise avec pertinence en cinq secteurs dans lesquels quasiment tous les défis sécuritaires, anciens et nouveaux, trouvent leur place.
5En reprenant sa classification, on peut ainsi distinguer, à côté de la sécurité militaire, la sécurité politique, la sécurité économique, la sécurité sociétale et la sécurité environnementale [5]. La sécurité militaire renvoie à la capacité des États de conduire des offensives armées contre d’autres États, à la capacité de faire face à une offensive armée provenant d’autres États et à la perception que les États ont de leurs intentions respectives. La sécurité politique concerne, quant à elle, la stabilité organisationnelle des États, des systèmes de gouvernement et des idéologies qui les légitiment. La sécurité économique renvoie de son côté à l’accès et au contrôle de ressources matérielles, financières et commerciales nécessaires à la puissance de l’État et au maintien d’un niveau acceptable de bien-être. La sécurité sociétale concerne, pour sa part, la préservation ou le maintien de valeurs centrales – fondant le Nous, pourrait-on dire – comme la langue, la culture, la religion, l’identité nationale, les coutumes et les traditions. La sécurité environnementale renvoie, enfin, à la préservation du milieu naturel ou de l’écosystème comme élément de soutien à toute autre activité humaine. Si l’on suit Barry Buzan, la sécurité serait donc tout cela, du moins si l’on considère les enjeux sécuritaires perçus comme tels dans l’ère post-bipolaire, dans un cadre d’analyse post-westphalien ou dans un contexte post-international.
6Au-delà de la compartimentation, il convient de rappeler, comme le fait Barry Buzan lui-même, que ces cinq secteurs ne sont pas à prendre comme des bacs étanches, mais qu’il faut les considérer en interaction les uns par rapport aux autres [6]. On peut néanmoins opérer une distinction conceptuelle, au sein des catégories buzaniennes, autour d’une bipartition qui reproduit en quelque sorte l’éternelle querelle des Anciens et des Modernes. La sécurité militaire, selon la définition de Barry Buzan, renvoie de toute évidence au postulat réaliste classique, puisqu’elle concerne la capacité de réponse armée des États par rapport aux autres États ; autrement dit, elle renvoie à l’interaction militaire entre États dans un cadre de défense ou d’attaque de la souveraineté étatique ( « notre contre autre » ). Les autres catégories sécuritaires permettent en revanche de pallier ce qui apparaît depuis bien longtemps comme une évidente faiblesse des analyses réalistes classiques, c’est-à-dire qu’elles permettent, d’une part, de mettre un terme au confinement des aspects sécuritaires exclusivement à la sphère de l’État en tant qu’appareil institutionnel « déshumanisé », et, d’autre part, d’élargir l’objet référentiel de la sécurité à la société et à l’ensemble des individus qui la composent ; pour le moins, ces autres catégories rendent de ce fait possible la prise en compte de variables qui vont au-delà de la pure sphère étatique au sens institutionnel ou organisationnel du terme. Ce qui revient à dire qu’une telle vision élargie de la sécurité répond sans doute aussi aux attentes et aux peurs des citoyens, qui perçoivent, depuis longue date également, des menaces à caractère non militaire – menaces réelles ou perçues comme telles – dans leur variété d’expression politique, économique, culturelle, sociétale ou environnementale.
7Barry Buzan nous permet donc de faire « un grand bond en avant » en nous incitant à ne pas réduire la sécurité uniquement à la sécurité de l’État et de l’appareil étatique en soi et pour soi. Mais en réalité, sa vision modernisatrice ne rompt pas complètement avec les conceptions traditionnelles – du moins si l’on en reste aux ouvrages de référence –, puisqu’elle envisage encore la sécurité sous l’angle exclusif de la survie de l’État. En particulier, Barry Buzan conçoit la sécurité sociétale comme une composante de la sécurité étatique [7]. Ce qui signifie que la capacité d’une société de maintenir son identité en termes culturels, linguistiques, religieux, de traditions et de valeurs – ou en d’autres termes que la capacité d’une société de préserver et de maintenir son Nous fondateur et structurant – ne renvoie, pour Barry Buzan, qu’à la sécurité de l’État dans son ensemble et non à la sécurité sociétale en soi et pour soi. Et c’est d’ailleurs le cas également pour tous les autres secteurs, qui, de la même manière, ne représentent que des sous-ensembles d’un objet référentiel unique – l’État – auquel renvoient toutes les questions sécuritaires.
8Et c’est précisément sur ce point qu’Ole Waever se montrera plus innovateur en rejetant la conception buzanienne selon laquelle le concept de sécurité en cinq secteurs renverrait toujours à l’État et à sa souveraineté comme unique objet référent [8]. D’où la reconceptualisation qu’il propose en regroupant les cinq secteurs de Barry Buzan autour d’une dualité sécurité étatique/sécurité sociétale, la première renvoyant à l’État et à sa souveraineté, la seconde à la société et à son identité [9]. Et c’est donc là que réside la véritable nouveauté – « un plus grand bond en avant » –, à savoir l’autonomisation de deux objets référentiels, l’État et la société, qui restent néanmoins unis en quelque sorte dans leur finalité vitale, c’est-à-dire la survie. En bref, selon la reconceptualisation proposée par Ole Waever, la sécurité étatique, englobant les secteurs politique, militaire, économique et environnemental, renverrait à l’État, à sa souveraineté et donc à la survie de l’État en termes de souveraineté, alors que la sécurité sociétale renverrait à la société, à son identité et donc à la survie de la société en termes d’identité [10]. Autrement dit, la survie pour un État se résumerait au maintien de sa souveraineté, alors que la survie pour une société résiderait essentiellement dans la préservation de son identité. Voilà, en synthèse, la dualité waevérienne qui structure les menaces perçues autour de deux pôles sécuritaires autonomes : l’un stato-souverainiste, l’autre sociétal-identitaire.
9Est-ce à dire qu’on en arrive, avec l’aide conceptuelle d’Ole Waever, à considérer la sécurité individuelle ? Pas tout à fait, ou du moins pas encore et pas avec lui. Dans la perspective waevérienne, la société est considérée comme autre par rapport à l’État. C’est d’ailleurs cette manière de voir qui l’a amené – et nous avec lui – à différencier deux objets référents en matière de sécurité et à concevoir deux pôles distincts autour desquels s’organisent la sécurité étatique et la sécurité sociétale. Or, comme Ole Waever fonde son analyse sur un concept de sécurité perçu comme une construction sociale [11], son cadre d’analyse ne permet pas vraiment de considérer l’individu en tant qu’objet de sécurité. Ole Waever conceptualise en effet la sécurité comme un acte du discours et donc comme le résultat d’un processus de sécurisation, selon lequel des questions d’abord étrangères au concept de sécurité deviennent telles à travers un processus de construction sociale [12]. Ce qui évidemment l’empêche – et nous avec lui si nous en restons uniquement à ce cadre d’analyse – de considérer l’individu en tant que tel comme objet de sécurité, puisqu’il ne serait en fin de compte qu’une brique dans la construction sociale, c’est-à-dire qu’une pièce individuelle qui n’a plus la même essence, ou du moins la même fonction, si elle est tirée hors de l’ensemble qu’elle sert à construire.
10Et c’est en cela que « la logique de sécurité humaine » [13] de Roxanne Lynn Doty vient compléter à merveille la prolifération limitée des objets référents en matière de sécurité. Prolongeant la reconceptualisation d’Ole Waever, dont elle reprend en partie l’analyse, entre autres avec ses deux objets référents, Roxanne Lynn Doty va plus loin en ajoutant une sorte de niveau collectif des individualités, un niveau destiné à inclure dans le champ conceptuel les problématiques liées à la sécurité de l’individu, pris comme être humain et non seulement comme être social [14]. Une telle logique de sécurité humaine permet donc de répondre aux insuffisances du concept waevérien (ou buzanien) de sécurité sociétale, puisqu’il nous permet d’inclure dans les analyses sécuritaires toutes les questions qui touchent les sociétés ou les collectivités humaines via l’individu.
11Gardons tout de même à l’esprit que Roxanne Lynn Doty associe la sécurité humaine essentiellement au « bien-être des collectivités » [15], vu qu’elle rappelle elle-même que sa logique de sécurité humaine n’est pas à considérer de prime abord comme un concept au niveau individuel [16]. On pourra néanmoins observer qu’il s’agit ici d’un autre « grand bond en avant » dans notre approche conceptuelle, puisque le ou les objets de sécurité s’affinent encore. La reconceptualisation proposée par Roxanne Lynn Doty nous permet en effet de percevoir et d’analyser la sécurité à travers « trois modes de sécurisations » [17], qui s’organisent autour de trois pôles distincts allant de l’État à l’être humain en passant par la société. Dans cette triade typologique, la sécurité nationale se place dans le registre classique de la sécurité de l’État-nation en termes politico-militaires de défense des frontières et de l’intégrité territoriale, avec comme but ultime celui de garantir la survie de l’État dans un contexte international – ou inter-stato-national devrait-on dire ici – d’anarchie et de lutte pour la survie [18]. La sécurité sociétale renvoie, quant à elle, à la capacité d’une société de maintenir ses caractéristiques essentielles dans un contexte évolutif [19] ; en d’autres termes, elle renvoie à la capacité d’une société de reproduire son Nous fondateur et structurant à travers le temps, sans l’altérer ou du moins sans trop le dénaturer (une perspective qui reprend évidemment le concept waeverien de survie de la société en termes identitaires). La sécurité humaine permet enfin de répondre aux insuffisances conceptuelles de la sécurité sociétale, en insérant dans l’analyse les questions qui affectent le bien-être des collectivités humaines sans forcément atteindre directement les sociétés en termes de sécurité sociétale. Autrement dit, la sécurité humaine renvoie au bien-être des collectivités humaines à travers des dimensions qui ne sont pas incluses dans les notions de sécurité nationale ou de sécurité sociétale, et donc elle concerne la sécurité de l’individu comme être humain et non seulement comme être social, en termes de dignité humaine ou de bien-être de la personne, sans conduire pour autant à une confusion entre sécurité humaine et sécurité individuelle [20].
12Différence ou non, cela permet d’envisager, dans les analyses sécuritaires, l’être humain en tant que personne, en tant que membre d’une unique collectivité humaine, l’Humanité. En conséquence, une telle perspective nous permet de considérer l’être humain en tant qu’entité indépendante d’un territoire, d’une souveraineté, d’une nationalité ou d’une collectivité donnée. En termes sécuritaires, cela ne signifiera pas nécessairement privatisation ou individualisation systématique, puisque la déconstruction paradigmatique – dénationalisation, désétatisation, déterritorialisation – cède sa place précisément à une reconstruction paradigmatique autour de l’individu. Plus concrètement, le paradigme sécuritaire se reconstruit autour de l’individu en termes de sécurité humaine ou en termes de sécurité des collectivités humaines comme la santé publique se construit autour de l’individu. Autrement dit, la sécurité humaine ou la sécurité des collectivités humaines sont à l’individu ce que la santé publique est à l’individu : un bien – ou un bien-être – collectif que l’on garantit à travers un bien – ou un bien-être – individuel.
13Roxanne Lynn Doty nous a donc emmenés encore plus loin, au-delà du modèle monoréférentiel élargi de Barry Buzan et au-delà du binôme sécuritaire waevérien État/société. Mais si elle nous a emmenés plus loin, elle l’a fait « avec Barry Buzan dans sa valise », puisqu’en fin de compte elle clôt la parabole conceptuelle en nous ramenant à la « sécurité des collectivités humaines » [21], dont l’objet référentiel est considéré cette fois-ci en soi et non plus comme sous-ensemble d’un unique objet référentiel étatique. Si, au départ de notre réflexion, toute question sécuritaire renvoyait irrémédiablement à l’État et à sa survie, nous arrivons donc en fin de voyage avec deux objets référentiels en plus qui, additionnés au premier, nous permettent d’inclure dans le champ conceptuel les problématiques sécuritaires concernant, à la fois ou distinctement, l’État, la société ou les collectivités humaines via l’individu. Dès lors que l’on a « tué le père », avec l’aide des deux auteurs de l’École de Copenhague, en désacralisant l’objet unique de révérence en matière de sécurité, et que l’on a par la suite « ressuscité le fils », avec l’aide de Roxanne Lynn Doty, en introduisant la variable humaine dans les conceptions sécuritaires, on est passé en somme d’une sécurité étatique monoréférentielle à une sécurité humaine multiréférentielle, qui renvoie à l’être humain, à son environnement, à ses activités et aux vulnérabilités multidimensionnelles, variées et variables, les caractérisant.
14L’approche buzanienne et ses dérivations nous offrent ainsi des moyens conceptuels permettant d’affranchir les études de sécurité des études stratégiques, et la sécurité de l’individu de celle de l’État. Elles nous amènent, par ailleurs, à insérer, à travers les « peurs du peuple », la variable perception appliquée aux définitions et aux logiques sécuritaires. Autrement dit, une telle approche nous permet, entre autres, d’envisager la société et l’individu comme objets de sécurité ou comme enjeux de sécurité, et donc elle nous permet, vice versa, de concevoir la sécurité comme un enjeu de société ou comme un enjeu de l’individu. En bref, à travers l’approche par objets multiples et par perceptions variables, la sécurité peut devenir tour à tour ou en même temps un bien individuel, un bien collectif, un bien public, un bien privé, et non seulement un bien étatique.
15Ainsi conçue et ainsi perçue, la sécurité ne serait donc pas simplement une question de « paix et guerre entre les nations » [22]. On pourrait d’ailleurs aller jusqu’à dire qu’elle n’est même plus une affaire d’État puisque l’État et son appareil ont progressivement perdu le monopole de la définition de la menace. Du reste l’État n’est plus le monopole de la menace sur la scène internationale – mais l’a-t-il jamais été réellement ? – et donc, en fin de compte, la sécurité, et corollaire, l’insécurité, ne sont plus le monopole de l’État, comme c’est d’ailleurs le cas également quant aux moyens mis en œuvre pour sécuriser ou désécuriser. Ce qui revient à dire que l’État, producteur et consommateur de sécurité et d’insécurité selon les points de vue, a perdu son monopole de production et de consommation de sécurité ou d’insécurité. Et c’est là une perte qui privatise entre autres la demande de sécurité et l’offre d’insécurité jusqu’au niveau individuel, et qui nous force par là même à concevoir et à percevoir la sécurité également à travers le binôme public/privé, c’est-à-dire à travers le binôme production/consommation publique ou privée d’une sécurité à envisager comme un bien public ou comme un bien privé. En conséquence, les enjeux sécuritaires pourront être étatiques ou non étatiques, l’ennemi pourra être public ou privé, individuel ou collectif, les menaces pourront provenir d’acteurs étatiques ou non étatiques, individuels ou collectifs et pourront être perçues comme telles par des acteurs, allant de l’individu à l’État en passant par les collectivités humaines, les réponses sécuritaires pourront émaner d’acteurs étatiques ou non étatiques, individuels ou collectifs, publics ou privés. Ce qui signifie, au-delà de la complication, qu’il n’y a pas forcément toujours coïncidence entre l’objet et le sujet de la sécurité, entre l’objet et le sujet de l’insécurité, entre celui qui subit et celui qui agit. Toutes les combinaisons restent donc possibles entre l’individu, l’État et la société à travers les prismes sécuritaires et insécuritaires.
16Lorsqu’on se demande ainsi ce qu’est la sécurité, ou lorsqu’on se demande à qui ou à quoi elle renvoie, on se rend bien compte que tout n’est pas si simple. D’autant plus que les trois niveaux d’analyse de Kenneth Waltz, l’homme, l’État et le système international [23] – ou interétatique devrait-on dire dans ce cas – ne nous aident pas à expliquer ce qu’est ou n’est pas la sécurité, étant donné que ces trois niveaux ont plutôt tendance à se confondre, dès que l’on conçoit la sécurité et l’insécurité au niveau de l’individu ou des collectivités humaines, qui peuvent se structurer précisément par-delà les États et par-delà le système interétatique. À partir de ce constat, il apparaît donc peu utile, pour ne pas dire inutile, de concevoir l’international exclusivement à travers l’interétatique ou l’intergouvernemental, puisqu’il se révèle pour le moins réducteur de percevoir et de comprendre l’international uniquement à l’aide de récipients étanches, à travers des grilles de lecture s’échafaudant exclusivement autour des territoires, des frontières, des souverainetés, comme s’il s’agissait là de catégories données parfaitement hermétiques et immuables, ou à travers des prismes d’analyse s’articulant autour de l’État en tant qu’entité unitaire et univoque qu’on symboliserait par une boule de billard, en oubliant de prendre en compte les espaces à densité variable ou les espaces vides à son intérieur, et les creux ou les orifices à sa surface. Ce qui, au passage, peut déplacer le centre de gravité de la boule de billard, en modifier la rotation ou permettre des infiltrations solides ou liquides pouvant combler les espaces vides et en déplacer encore le centre de gravité.
17Le terme international au sens strict signifiera donc certes inter-stato-national, interétatique, voire intergouvernemental, mais il faudra également l’envisager comme transnational en le prenant au sens large, même si cela fait rouler moins bien les boules de billard. C’est là, en effet, une distorsion sémantique qu’il convient d’accepter afin d’appréhender l’international comme un ensemble complexe où se nouent des relations interétatiques de même que des relations transnationales entre des acteurs subétatiques ou non étatiques. Des acteurs infra-étatiques ou intra-étatiques, qui opèrent à l’intérieur des règles du jeu définies par l’État, comme les formations de l’opposition politique légitime, les individualités ou les collectivités émanant des institutions locales ou de la société civile, les opérateurs commerciaux ou économiques, les opérateurs de l’humanitaire et tant d’autres encore ; ou des acteurs extra-étatiques ou contre-étatiques, qui refusent les règles du jeu étatique ou qui les combattent, comme ceux émergeant du crime, des mafias ou du terrorisme, mais aussi de la dissidence politique dans des contextes totalitaires ou autoritaires. Ce qui revient à dire que les relations entre les États doivent souffrir, ou du moins s’accommoder de relations entre acteurs infra-étatiques, intra-étatiques, extra-étatiques ou contre-étatiques, qui tissent des réseaux transnationaux pouvant mettre en difficulté les États « par le haut » – en attaquant directement les fondements de leur souveraineté, de leur légitimité ou de leur domaine réservé – ou « par le bas » – au cœur des effets de la souveraineté ou de ses devoirs, en contournant les pouvoirs régaliens sans nécessairement les remettre en cause ouvertement, en créant de facto des souverainetés parallèles, voire concurrentes, en agissant là où les pouvoirs étatiques laissent des espaces vides ou renoncent à leurs compétences, ou en générant une multitude de complications d’origine extra-étatique que les États doivent finalement affronter eux-mêmes.
18En termes identitaires, le paradigme transnational annule ainsi ou du moins atténue sérieusement la dialectique structurante Nous/Autres fondée à travers le prisme des territoires, des frontières, des nationalités ou des souverainetés, en particulier et à plus forte raison si l’on considère les démocraties libérales ou les sociétés ouvertes, et donc en particulier et à plus forte raison lorsque l’on considère des sociétés à identités multiples et des individus à identités multiples. Corollaire, la double dialectique ou la triade structurante Moi/Nous/Eux s’organise différemment puisqu’elle ne passe plus forcément par une approche dichotomique entre l’interne et l’externe, entre les in et les out. Par la transnationalisation des relations internationales, pour ainsi dire, ou par la transnationalisation des acteurs internationaux voire nationaux, le Nous devient moins nous et les Autres deviennent moins autres, ou du moins ils se structurent différemment. Et donc l’ami devient « moins ami », et l’ennemi « moins ennemi », ou du moins la structuration ami/ennemi advient autrement qu’à travers la dialectique interne/externe. En d’autres termes, l’individu « déstructuré » – et à identités multiples – ne peut plus se fondre dans un Nous unique par antithèse à des Autres univoques, et les collectivités humaines – également « déstructurées » par le paradigme transnational et englobant tout autant des identités multiples – ne peuvent plus s’agréger simplement autour d’un Nous étanche par rapport à des Autres. Bref, l’Autre, ou l’ennemi potentiel, n’a plus de territoire ni de nationalité puisqu’il est transnational, et la dichotomie ami/ennemi se fonde autour d’un Nous qui s’oppose à un Autre que l’on perçoit comme tel, que l’on construit comme tel ou que l’on choisit tour à tour et n’importe où, y compris donc à l’intérieur du territoire ou de la collectivité. Cet Autre n’a d’ailleurs pas nécessairement une personnalité, ou du moins il ne se prête pas toujours à une personnification ou à une matérialisation, l’ennemi potentiel pouvant être par exemple une idéologie, une valeur « déviante », un concept ou un spectre, comme l’ont été ou le sont encore le communisme, le terrorisme, l’immigration clandestine ou l’immigration tout court, avant que l’on y colle des visages ou des pays. Autrement dit, la dialectique qui a fondé et nourri les États-nations à travers l’objectivation d’un ennemi – d’abord subjectif ou transcendant – est à reconstruire en permanence. Corollaire, le discriminant entre le Moi et l’Autre et le discriminant entre le Nous et les Autres sont à réviser – pour ne pas dire à réinventer – en permanence. Et tout cela traduit au moins deux réalités : d’une part, l’ennemi subjectif devient objectif à travers un mécanisme d’identification et de qualification répondant à un système d’évaluation – donc subjectif et variable – qui rend en conséquence l’ennemi objectif « moins objectif » ; d’autre part, l’ennemi privé peut devenir ennemi public comme l’ennemi public peut devenir ennemi privé à travers ce même mécanisme d’identification et de qualification au niveau collectif ou au niveau individuel.
19En termes sécuritaires, le paradigme transnational rend ainsi pratiquement vaine la distinction entre la sécurité intérieure et la sécurité extérieure, vu que la définition et la perception des menaces ne passent plus nécessairement par la distinction entre l’interne et l’externe, entre les in et les out, entre le Nous à l’intérieur et les Autres à l’extérieur. Le paradigme transnational et ses effets compliquent donc ultérieurement le processus définitoire à travers le prisme des structurations individuelles ou collectives, qui structurent à leur tour la définition et la perception des menaces contre lesquelles on estime devoir se prémunir. Quoi qu’il en soit, si l’on tient compte du paradigme transnational, des déstructurations identitaires, des complications découlant de l’élargissement du concept de sécurité, des perceptions individuelles, collectives ou « collectivisables » qui identifient et définissent les risques et les menaces, et si l’on tient compte également des processus sociaux ou étatisés qui construisent la menace, on pourrait appréhender la sécurité comme l’absence de risques ou de menaces réels, perçus comme tels ou effectifs, qui peuvent représenter, présager ou laisser présager un danger 1 / pour l’individu en tant qu’être humain ou en tant que partie d’une communauté de valeurs fondatrices autour desquelles se structure la collectivité humaine à laquelle il appartient ; 2 / pour la collectivité humaine prise comme ensemble d’individus s’identifiant et se structurant autour de valeurs fondatrices communément partagées qu’ils défendent ou qui les cimentent ; ou 3 / pour l’État en tant qu’appareil institutionnel « déshumanisé » ou en tant qu’institution destinée à protéger la personne, les collectivités humaines et les valeurs fondatrices et structurantes sur lesquelles ou en fonction desquelles elle légitime son essence ou son existence. Ce qui revient à dire, plus simplement, que la sécurité est toujours relative, qu’elle est là où l’insécurité n’est pas, c’est-à-dire qu’elle n’est jamais absolue et qu’elle n’est définie qu’en antithèse par rapport aux insécurités perçues, conjurées, imaginées ou identifiées à travers une multiplicité de processus de construction psychologique, sociale ou politique où s’entremêlent et s’entrecroisent les individus, les collectivités humaines et les États, ainsi que leurs différentes manières de voir et de percevoir et leurs intérêts respectifs tout autant différents.
20On l’aura compris, une telle définition complique peut-être plus qu’elle ne simplifie, mais elle aura au moins la vertu de ne pas offrir une représentation manichéenne d’un monde surréaliste où chacun peut y voir ce qu’il veut. Et c’est précisément là l’intérêt d’insérer la variable perception dans les définitions sécuritaires, puisque « se sentir en sécurité » ne signifie pas nécessairement « être en sécurité », ou « se sentir menacé » ne signifie pas fatalement « être menacé », et vice versa dans les deux cas. Par ailleurs, la distinction entre l’objet et le sujet de sécurité ou d’insécurité – ou entre le consommateur et le producteur de sécurité ou d’insécurité – s’avère également nécessaire dans la mesure où un « objet » peut être ou se sentir en insécurité, mais un « sujet » le protège, ou un « objet » peut être ou se sentir en sécurité, mais un « sujet » le menace. En bref, les combinaisons possibles entre individu, société et État à travers la dialectique sécurité/insécurité peuvent quasiment proliférer à l’infini, comme les acteurs ou les agents sécuritaires ou insécuritaires, à plus forte raison si la notion de sécurité s’élargit à l’infini et si la triade structurante Moi/Nous/Eux s’organise à travers des dialectiques qui varient selon les perceptions et les moments. Une telle démarcation omnivore de la sécurité permet donc d’inclure dans les problématiques sécuritaires tout ce qui touche l’individu, l’État, la société ou les collectivités humaines à travers les insécurités réelles ou perçues comme telles, ce qui offre un champ d’analyse multidimensionnel et multidirectionnel pouvant aller des conflits interétatiques aux manifestations de rue, des guerres civiles aux émeutes, en passant par le terrorisme, l’insécurité urbaine, l’insécurité routière, l’insécurité alimentaire, les catastrophes naturelles, les questions environnementales, les questions migratoires, la criminalité transnationale, les réseaux mafieux, les questions liées à la privatisation de la sécurité, et bien d’autres « sujets » ou « objets » encore que l’on pourra découvrir dans les répertoires du passé, du présent ou du futur.
21En fin de compte, la définition de ce qu’est ou n’est pas la sécurité découle de la rencontre de perceptions, individuelles, collectives ou « collectivisables », de valeurs structurantes et fondatrices, de processus sociaux et de leur éventuelle politisation ou institutionnalisation. La définition de la sécurité émerge donc de la résultante de plusieurs variables, et corollaire, plusieurs variables émergent de la définition de la sécurité. En particulier, les données spatiales et temporelles offrent des points de vue qui peuvent faire varier la définition de la sécurité en fonction de l’époque et de ses valeurs dominantes, en fonction du lieu et de ses valeurs dominantes ou en fonction de la variation combinée du temps et du lieu de référence et des valeurs dominantes qu’ils engendrent respectivement. Dans une telle perspective, la définition de ce qu’est la sécurité ne serait qu’un rendez-vous de sujets objectivant des valeurs – filles d’une époque et d’un lieu – qui les structurent, individuellement ou collectivement, et qu’ils estiment devoir protéger et défendre. Mais que l’on ne s’y trompe pas, cela n’empêche pas la permanence de certaines données objectives ou de certaines logiques, vivant en quelque sorte indépendamment des sujets et du contexte spatial et temporel dans lequel ils se situent. L’histoire a suffisamment démontré à ce propos que les perceptions, les valeurs structurantes, les processus sociaux et leur éventuelle politisation ne diffèrent pas nécessairement d’une époque à une autre ou d’un lieu à un autre, même si les sujets qui perçoivent ou qui définissent varient. Héraclite d’Éphèse partagerait à coup sûr cette interprétation, lui qui nous faisait remarquer, il y a plus de deux millénaires, que l’eau du fleuve n’est jamais la même, bien que le fleuve soit toujours le même.
22Où serait donc l’eau et où serait le fleuve en matière de sécurité ? Autrement dit, comme dirait un philosophe de l’école présocratique, où est la permanence et où est le changement ? Ce qui ne changera jamais en matière de sécurité, c’est, à coup sûr, l’irrationnel. Un irrationnel qui se traduit par un sentiment vieux comme le monde, la peur. La peur comme sentiment certes, mais la peur également comme réflexe – donc inné et non réfléchi – qui a permis la survie de l’espèce animale, y inclus le genre humain : un genre humain qui a survécu précisément à travers ses peurs, pour ne pas dire grâce à ses peurs. Bref, la peur, ou les peurs, structurantes et fondatrices mais également déstructurantes et destructrices, ont accompagné et accompagneront toujours l’humanité dans les distinctions entre sécurité et insécurité et dans les logiques ou les mécanismes d’agrégation et de désagrégation selon la dialectique ami/ennemi. On peut d’ailleurs affirmer sans risques qu’il s’agit là d’un système de sécurité naturel qui existait probablement avant même que l’être humain ne se différencie de l’animal – si l’on adhère aux théories évolutionnistes –, et qui ne variera jamais.
23Si les réflexes, l’inné, l’irréfléchi, l’irrationnel restent, l’acquis, le réfléchi, le rationnel peuvent en revanche changer en fonction du temps et en fonction du lieu. En matière de sécurité, cela revient à dire que la hiérarchie ou le système des valeurs centrales à protéger et à défendre peuvent varier selon les époques et selon les endroits comme pourront d’ailleurs varier les connaissances et les moyens mis en œuvre pour protéger ces valeurs. Logiquement, les définitions et les perceptions de ce qu’est ou n’est pas la sécurité pourront changer en fonction des valeurs structurantes et plus généralement en fonction de l’environnement culturel qui les encadre ou qui les engendre. On peut du reste continuer sur cette lancée en affirmant, sans embarras, que les possibilités de variation iront même jusqu’à faire s’échanger le rationnel et l’irrationnel : c’est-à-dire que le rationnel pour certains peut devenir irrationnel pour d’autres, et vice versa, en fonction des points de vue, des époques ou des endroits. Dans ce contexte de mouvance, la raison et le capital culturel formeront ainsi, juste derrière la première ligne des sentiments ou des sensations brutes, un système de sécurité rationnel qui pourra varier selon les manières de voir, de savoir et de percevoir.
24On l’aura compris, le rationnel et l’irrationnel finissent par se côtoyer dans les perceptions et les définitions de ce qu’est ou n’est pas la sécurité. Or l’être humain, animal raisonnable, peut répondre à l’irrationnel précisément par le rationnel – l’inverse étant d’ailleurs également vrai –, ce qui signifie que le rationnel et l’irrationnel peuvent se rejoindre en matière de sécurité humaine ou de sécurité des collectivités humaines. En particulier, le rationnel et l’irrationnel se rejoignent lorsque le rationnel, acquis et réfléchi, élabore des mécanismes de défense ou de protection face à l’irrationnel, inné et non réfléchi. Et face à l’irrationnel, aux peurs et aux insécurités, l’individu, les collectivités humaines ou les États, du moins ceux et celles qui ne font pas preuve d’insanité, répondent toujours dans leur réflexe de survie ou de bien-être – et c’est là la constante –, mais ils le feront à leur manière en fonction des valeurs qui les structurent et qu’ils défendent et en fonction des connaissances et des moyens dont ils disposent – et c’est là le changement.
25Si l’on ramène tout cela à la distinction entre être et paraître en matière de sécurité, et plus précisément à la distinction entre être menacé et se sentir menacé, on comprend mieux alors la complexité des relations qui peuvent se tisser entre le rationnel et l’irrationnel, entre la sécurité et l’insécurité. Dans cette complexité, la part d’irrationnel demeurera à coup sûr, mais c’est la manière de l’affronter qui pourra varier, de même que la manière d’affronter les rationalités hostiles – « autres » – ou les rationalités menaçantes – « autres ou nôtres ». Dans le meilleur des cas, la sécurité se résumerait ainsi à une affaire de gestion rationnelle de l’irrationnel, et de gestion rationnelle des rationalités hostiles ou menaçantes ; dans le pire des cas – si l’on omet les combinaisons intermédiaires –, la sécurité serait plutôt une affaire de gestion irrationnelle de l’irrationnel, et de gestion irrationnelle des irrationalités hostiles ou menaçantes. Mais dans ce dernier cas, ce qui est sûr, c’est que la notion même de sécurité aura perdu son sens, l’animal raisonnable sa raison et l’être humain son temps puisqu’il n’aura rien retenu de son évolution.
Notes
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[1]
F. Fukuyama, The End of History and the Last Man, New York, 1992.
-
[2]
M. Bertrand, La fin de l’ordre militaire, Paris, 1996.
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[3]
B. Buzan, People, States and Fear : The National Security Problem in International Relations, Brighton, 1983.
-
[4]
B. Buzan, People, States and Fear : An Agenda for International Security Studies in the Post-Cold War Era, Boulder, 1991, p. 19.
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[5]
Les définitions qui suivent sont évidemment à attribuer à Barry Buzan, ibid., p. 19-20.
-
[6]
Ibid., p. 20.
-
[7]
B. Buzan, « Societal security, state security and internationalisation », O. Waever, B. Buzan, M. Kelstrup and P. Lemaitre (ed.), Identity, Migration and the New Security Agenda in Europe, London, 1993, p. 57.
-
[8]
O. Waever, « Societal security : The concept », ibid., p. 24.
-
[9]
Ibid., p. 25.
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[10]
Ibid., p. 26.
-
[11]
O. Waever, « Securitization and desecuritization », R. D. Lipschutz (ed.), On Security, New York, 1995, p. 54-58.
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[12]
Ibid.
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[13]
R. L. Doty, « Immigration and the politics of security », Security Studies, vol. 8, no 2-3, 1998-1999, p. 81.
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[14]
Ibid.
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[15]
Ibid., p. 82.
-
[16]
Ibid., p. 81.
-
[17]
Ibid., p. 73.
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[18]
Ibid.
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[19]
Ibid., p. 77.
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[20]
Ibid., p. 81-82.
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[21]
B. Buzan, People, States and Fear, op. cit., p. 19.
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[22]
R. Aron, Paix et guerre entre les nations, Paris, 1962.
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[23]
K. Waltz, Man, the State and War : A Theoretical Analysis, New York, 1959.