L’ histoire est passée à la postérité : à la suite d’interminables fouilles entamées en 1868 pour mettre au jour la mythique cité de Troie, l’artefact principal qu’Heinrich Schliemann finira par découvrir sous le mont Hissarlik est… un mur. Cet épisode a le mérite de faire affleurer un des invariants apparents de l’histoire humaine. L’existence même d’une communauté politique n’a-t-elle pas, après tout, toujours reposé sur la distinction qu’elle opère entre elle-même et l’extérieur ? Sur un limes matérialisé ici par une poterne, là un poste-frontière ? C’est l’un des archétypes les plus anciens du politique : la souveraineté d’une population sur un territoire donné a toujours paru se définir au regard d’un environnement externe dépeint comme hostile, barbare, à civiliser ou à soumettre. Chez certains auteurs, cet archétype est fondateur. La distinction entre ami et ennemi, chez Carl Schmitt, est moins un attribut du politique que son critère et son principe.
Comme le suggère Luuk van Middelaar ici dans sa réflexion liminaire, l’idée européenne fut pourtant fondée précisément sur le postulat inverse :
« L’Union européenne, par ses origines – et c’est bien compréhensible –, a été pensée et construite pour surmonter, abolir les frontières, qui étaient considérées comme des reliques d’un passé douloureux de guerres et d’États souverains. Elle en a même tiré son énergie mobilisatrice. L’idée d’une Europe sans frontières est ainsi très profonde dans l’imaginaire du projet économique et civilisationnel européen…