Notes
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[1]
NDLR : Pierre Rosanvallon, Le bon gouvernement, Paris, Seuil, 2015.
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[2]
NDLR : Révélée en mars 2015, l’affaire Petrobras, du nom de la compagnie pétrolière contrôlée par l’État brésilien, est relative à de grands chantiers d’infrastructures, notamment liés à l’exploitation de réserves de pétrole en eaux profondes. De grandes entreprises du secteur du bâtiment sont accusées d’avoir formé un cartel pour surfacturer les marchés avec Petrobras et verser des pots-de-vin aux partis de la coalition gouvernementale.
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[3]
NDLR : En 2008, Siemens accepte de verser 1,3 milliard de dollars pour clore une enquête sur des soupçons de corruption ouverte en Allemagne et aux États-Unis. En Grèce, en 2015, 64 personnes sont poursuivies par la justice pour corruption active et passive ainsi que blanchiment d’argent dans le cadre d’une affaire de pots-de-vin versés en échanges de l’obtention du marché public pour la modernisation du réseau téléphonique grec, à la fin des années 1990. Siemens serait, en outre, impliquée dans une affaire de corruption concernant le système de sécurité des Jeux olympiques d’Athènes de 2004.
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[4]
NDLR : Voir OCDE, Rapport de l’OCDE sur la corruption transnationale. Une analyse de l’infraction de corruption d’agents publics étrangers, Paris, éditions OCDE, 2014.
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[5]
NDLR : Proposition de loi globale relative à la protection des lanceurs d’alerte présentée le 3 décembre 2015 par le député Yann Galut et Transparency France.
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[6]
NDLR : Omar Bongo, Teodoro Obiang et Denis Sassou N’Guesso.
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[7]
NDLR : Une enquête ouverte en 1994 révèle des commissions occultes versées par la compagnie pétrolière française Elf-Aquitaine à différents dirigeants africains, dans le but de sécuriser ses approvisionnements en pétrole. Via des comptes en Suisse et aux États-Unis ainsi que des sociétés domiciliées dans des paradis fiscaux, ces responsables africains versaient, pour leur part, des sommes aux dirigeants de la compagnie, à des proches de François Mitterrand et aux partis politiques français.
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[8]
NDLR : F. Beckenbauer fut président du Comité d’organisation de la Coupe du monde de football 2006 en Allemagne, sur l’attribution de laquelle pèsent des soupçons de corruption.
1Carole Gomez et Marc Verzeroli – Diriez-vous qu’en dépit de son ancienneté historique en tant que phénomène, la corruption n’est pourtant perçue comme un réel problème que depuis relativement peu de temps ? L’investigation de ce champ est, par conséquent, récente. Pourquoi la corruption est-elle devenue un paramètre central du jeu politique ?
2Daniel Lebègue – Au XIe siècle, déjà, des moines que l’on peut rattacher aux bénédictins avaient créé leur ordre et leur monastère en Toscane avec un objectif principal : lutter contre la corruption et en protéger les paysans pauvres de la région. Le phénomène n’est donc pas récent.
3Aujourd’hui, je dirais les choses de la manière suivante : la démocratie française est malade. Il existe entre les gouvernants et les citoyens une crise de confiance inédite dans son intensité et sa gravité. La corruption n’est évidemment pas la seule explication à ce qui s’apparente à une crise de notre vivre ensemble, de notre contrat social, mais elle joue un rôle significatif.
4Si l’on prend le « Baromètre de la confiance politique » du Centre d’étude de la vie politique française (CEVIPOF), une enquête d’opinion considérée comme une référence par les politologues et les sociologues, 80 % des Français considèrent que notre démocratie fonctionne mal, et citent d’emblée la corruption comme facteur explicatif. Plus accablant, un peu plus de 70 % d’entre eux considèrent que les responsables politiques sont corrompus. Si l’on cherche à savoir ce que nos concitoyens veulent dire, il faut toutefois noter qu’ils sont conscients – et c’est aussi notre analyse – que rares sont les responsables qui s’enrichissent dans l’exercice d’un mandat public. En France, on trouve, en effet, beaucoup plus de fonctionnaires intègres que dans d’autres grands pays développés. La corruption prend donc un autre sens.
5Une autre question du CEVIPOF est très éclairante sur les reproches faits aux gouvernants. Premièrement, les sondés constatent l’impuissance du personnel politique à traiter les problèmes les plus importants de la société française, au premier chef le chômage. Deuxièmement, les responsables publics se voient reprocher de ne pas tenir un langage de vérité. Il existe un écart permanent entre ce qu’ils disent et ce qu’ils font, ce qui induit une perte de crédibilité de la parole publique. Troisièmement, ce qui est le facteur le plus important et qui nous concerne plus directement encore, les Français sont 80 % à dire que la responsabilité première de ceux qui exercent des mandats publics est de promouvoir l’intérêt général. Or, nous constatons que ceux-ci agissent principalement pour répondre à des intérêts particuliers, qu’ils soient économiques, financiers, de lobbies, de partis, etc. Quand les Français affirment que nos responsables politiques sont corrompus, ils ne dénoncent donc pas l’enrichissement personnel mais l’oubli de l’intérêt général de la part de ceux qui sont élus ou nommés pour l’assurer.
6Pierre Rosanvallon vient d’ailleurs de publier un ouvrage dans lequel il rejoint ce constat [1]. Il développe très bien la place du trafic d’influence, du favoritisme, du népotisme et autres conflits d’intérêts de la part de ceux qui exercent des charges publiques. Ces phénomènes, qui ne sont pas seulement répandus en France, minent la confiance publique. Qu’attend-on d’un gouvernant aujourd’hui, dans notre société surinformée, éduquée, qui assume une exigence très forte de transparence ? Évidemment, de l’efficacité dans la conduite de l’action publique, du « parler vrai », réconcilier la parole et l’action, mais aussi de la redevabilité, ce qui implique que quiconque exerce une charge publique doit rendre compte de son action à ceux qui l’ont mandaté. Enfin, il ne faut pas oublier la probité dans le comportement et les pratiques.
7Nicola Bonuci – Je suis tout à fait d’accord pour dire que la corruption n’est absolument pas un phénomène nouveau : elle existe depuis toujours. Je pense que ce qui est nouveau depuis une vingtaine d’années, et qui ne rend pas totalement surprenant que la prise en compte du phénomène date de cette période, tient à deux paramètres : les échanges internationaux se sont à la fois globalisés et multipliés, tout comme les transactions financières.
8Nous sommes passés dans un « capitalisme 2.0 » : tandis que le « capitalisme 1.0 » voyait beaucoup d’industries liées aux territoires, celui d’aujourd’hui voit des modèles industriels totalement mondialisés, voire dématérialisés. Les exportations jouent un rôle extrêmement important, les investissements étrangers sont cruciaux – les grands champions de l’industrie française font, aujourd’hui, l’essentiel de leur chiffre d’affaires à l’étranger. Même si elle a toujours été présente, la corruption a donc pris une autre ampleur.
9Comment l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) en est-elle venue à traiter ces questions ?
10Nicola Bonucci – Justement pour les raisons que je viens de citer. La question a essentiellement été mise sur la table par les États-Unis. Jusqu’à la signature de la Convention de l’OCDE sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales, seul ce pays avait adopté une loi considérant comme une infraction la corruption d’agents publics étrangers. Washington se basait alors moins sur des considérations éthiques ou morales que sur des facteurs de libre concurrence, de distorsion des marchés, d’avantages compétitifs dont bénéficiaient ses principaux concurrents – les Européens au milieu des années 1990. Cette lecture explique pourquoi la Convention a été négociée à l’OCDE. Il ne s’agissait pas de rendre la corruption d’un fonctionnaire public étranger criminelle en soit car, en fin de compte, ce qui intéressait les parties prenantes était surtout que les grands concurrents soient soumis aux mêmes règles du jeu.
11Par la suite, le sujet s’est internationalisé avec la Convention des Nations unies contre la corruption, qui définit également comme une infraction la corruption des agents publics étrangers.
12La corruption n’est pas un phénomène uniforme. Quelles sont les différentes sources et formes que vous distinguez ? Quelles sont, selon vous, les plus importantes et les plus dangereuses ?
13Nicola Bonucci – Je me limiterai au champ de la corruption internationale. Mais il est vrai qu’il faut déjà s’entendre sur le terme. Il est intéressant de noter qu’il n’y a de définition de la corruption ni dans la Convention de l’OCDE, ni dans celle des Nations unies, ni dans aucune autre. Je pense qu’il aurait été extrêmement difficile, voire impossible, de s’accorder sur une définition unique. Tous ces textes délaissent donc la corruption per se pour se concentrer sur l’infraction. Si l’on prend cette dernière telle que définie par l’OCDE, elle vise un phénomène particulier, qui est la corruption active.
14À l’époque, le postulat était que la corruption passive, c’est-à-dire le fait pour un fonctionnaire de recevoir un pot-de-vin ou un avantage indu de la part d’un autre acteur de même nationalité, était déjà punie dans tous les pays du monde et qu’il n’y avait donc pas de vide juridique en tant que tel. En revanche, il en existait un concernant la corruption active : le fait de corrompre un fonctionnaire à l’étranger. Jusqu’à la Convention de l’OCDE, si une entreprise française payait, par exemple, un pot-de-vin à un fonctionnaire de la mairie de Marseille, tous deux pouvaient voir leur responsabilité engagée. Mais si la même entreprise payait un pot-de-vin à un fonctionnaire de la mairie de Liège, non seulement aucune poursuite n’était lancée mais cela apparaissait comme une pratique commerciale légitime et déductible fiscalement si l’entreprise pouvait prouver qu’elle était nécessaire pour obtenir un marché. Nous étions alors en 1999 et il existait un vide juridique absolu.
15Cela étant, je ne crois pas que la corruption active soit moins dangereuse que la corruption passive. D’une part, j’ai toujours trouvé que la terminologie « active / passive » était très discutable. Dans un pacte de corruption, il n’est pas du tout évident que ce soit l’entreprise ou le cadre dirigeant qui prenne l’initiative. En fait, le plus souvent, il s’agit d’une réponse à une demande de la part d’agent(s), ce qui rend la notion active / passive trompeuse, donnant l’impression que l’entreprise est toujours le corrupteur initial – même si elle le reste, au final, au sens juridique du terme, puisque c’est elle qui paie. Mais la dialectique est différente, et la corruption passive est tout aussi, sinon plus, dangereuse que la corruption active. Dans un monde idéal, si aucun fonctionnaire n’acceptait de pots-de-vin, la question serait réglée. Il en serait de même si aucune entreprise ne les payait, mais il semblerait plus éthiquement « normal » qu’un agent d’État ne réclame rien. L’un des problèmes auxquels nous sommes actuellement confrontés est d’ailleurs que s’il existe une pression importante sur la corruption active, le panorama est bien moins clair concernant la corruption passive et les punitions appliquées par un pays à ses propres fonctionnaires.
16D’autre part, la corruption a bien évidemment évolué et s’est sophistiquée. Lorsque l’on a commencé à intervenir sur ces questions, les choses se faisaient de façon assez simple, voire simpliste. C’est de moins en moins le cas pour différentes raisons, parmi lesquelles l’utilisation d’écrans divers : des intermédiaires physiques comme les distributaires, avocats, cabinets de conseil, subsidiaires, mais également des sociétés, souvent logées dans des paradis fiscaux, qui permettent d’une part de faire du blanchiment, c’est-à-dire d’avoir des fonds utilisables à cet usage, et d’autre part de scinder la responsabilité en disant « ce n’est pas nous, c’est l’entreprise X basée dans tel pays ». Il s’agit là d’un premier degré de sophistication.
17Apparaissent également des pratiques commerciales dont on ne peut pas dire qu’elles soient de la corruption, mais dont on peut estimer qu’elles entrent dans des zones, sinon grises, du moins dangereuses pour les entreprises. Par exemple, la pratique des offsets, qui s’est beaucoup développée depuis dix ans : le contrat principal est « clean » mais comporte des arrangements accessoires qui, souvent, ne sont pas publics, pour la construction d’infrastructures ou le développement social du pays-hôte. Je n’ai rien contre le fait qu’une société construise des hôpitaux pour compenser l’exploitation minière, je dirais même que c’est une bonne pratique en soi. Mais elle doit être encadrée, transparente. On doit voir qui en bénéficie in fine. Or, on a vu des cas dans lesquels l’entreprise de construction qui, justement, bâtissait des hôpitaux, était dirigée par le beau-frère du ministre des Mines qui avait attribué le contrat…
18Daniel Lebègue – Dans notre mouvement, la définition, très large, du mot « corruption » correspond au détournement à d’autres fins d’un pouvoir reçu en délégation. Évidemment, il existe des formes premières, comme le détournement ou l’usage abusif de pouvoirs de la part d’un acteur public. Je ne sais pas s’il faut dire que c’est plus grave, mais le fait d’ignorer la loi que l’on a soi-même produite, votée, de s’affranchir de règles que l’on a soi-même édictées au niveau du gouvernement ou du Parlement, est devenu intolérable pour les citoyens, surtout que l’on peut spontanément citer, en France, trois grandes affaires récentes : Jérôme Cahuzac, ministre du Budget qui a menti publiquement ; Thomas Thévenoud, député devenu ministre alors qu’on le suspectait d’avoir fraudé le fisc, et qui n’a en tout cas pas respecté les règles qui s’imposent au commun des citoyens ; et Patrick Balkany, dont tout le monde est à peu près convaincu qu’il enfreint les lois fiscales de manière grave et répétée depuis des années. Ensuite, on trouve tout ce qui touche au détournement de fonds publics. Alors que l’on demande à tous, en France et en Europe, de faire des sacrifices, l’idée que certains élus gaspillent ou détournent de l’argent public suscite sans doute davantage de réactions qu’il y a quelques années. Je citerai, enfin, le non-respect de la loi fiscale, le fait de s’affranchir de l’obligation constitutionnelle de participation commune aux charges de la nation. La fraude, l’optimisation – qui n’est pas vraiment délictuelle – fiscales ne sont plus tolérables, surtout de la part d’entreprises ou d’individus qui gagnent déjà beaucoup d’argent.
19Voilà au moins trois registres sur lesquels l’opinion publique est devenue très sévère. Et personnellement, je pense qu’elle a raison. Il existe évidemment d’autres délits, comportements ou pratiques condamnables. Le lobbying et l’influence exercés sur les décideurs publics par exemple, même s’il s’agit d’un phénomène moins grave en France que dans d’autres grandes démocraties. Là aussi, on note une exigence de comportement vertueux de ceux qui exercent une responsabilité. Les parlementaires s’offusquent lorsqu’on leur demande d’être plus transparents que les autres citoyens, et ils ont totalement tort : quand on accepte d’exercer un mandat public, on accepte la redevabilité vis-à-vis des citoyens. Personne n’est obligé de se présenter à une élection : un mandat implique des devoirs, notamment d’exemplarité.
20Nicola Bonuci – Je ne crois pas que l’on puisse entrer dans une hiérarchisation des différentes formes de corruption. Toutes ces pratiques sont dangereuses. Encore une fois, même s’il y avait alors une logique institutionnelle évidente, je pense que si l’on devait renégocier la Convention OCDE aujourd’hui, on ne se focaliserait pas uniquement sur la corruption active. Si l’on ne traite pas de la même manière les deux formes de corruption, on envoie un message incohérent. Il faut adopter une perspective davantage holistique.
21En outre, il faut prendre conscience que les frontières sont perméables non seulement entre corruption interne et internationale, mais aussi avec d’autres formes de criminalité. Avec l’affaire Petrobras [2], vous avez, à mon avis, l’affaire parfaite du XXIe siècle : corruption interne, corruption internationale, blanchiment d’argent, pratiques anti-concurrentielles et non-respect des marchés publics, enrichissement personnel, évasion fiscale et, in fine, financement de partis politiques. Une seule entreprise était utilisée comme plaque tournante pour toute une série d’infractions, ce qui rend très difficile leur découplage car toutes sont liées dans un seul ensemble. L’une des leçons est donc qu’il ne faut pas perdre de vue que la corruption internationale s’encastre dans un ensemble de pratiques discutables, voire illégales, qui minent ensuite, et c’est le fond du problème, la notion même d’État de droit et la confiance que le citoyen peut avoir en les institutions.
22Daniel Lebègue – Le diagnostic que pose Transparency International consiste en quelque sorte à revivifier notre démocratie. Nous ne sommes pas du tout sur le registre « tous pourris ». Toute notre action est tournée vers l’objectif de recréer la confiance entre citoyens, élus et institutions. Pour atteindre cet objectif, il faut essayer de traiter ce qui est au cœur de cette désaffection. Depuis environ cinq ans, nous avons ainsi beaucoup travaillé sur les thématiques des conflits d’intérêts, du lobbying – qui n’est pas condamnable en soi mais qui, jusqu’à une date récente, ne connaissait ni règles ni déontologie. Quand Transparency International a ouvert ce dossier voilà deux ans, il n’y avait absolument rien, que ce soit à l’Assemblée nationale, au Sénat ou au niveau du secrétariat général du gouvernement. L’objectif principal reste de recréer une culture d’intégrité, de probité et de service de l’intérêt général au niveau des responsables de l’action publique.
23Peut-on établir, dans une certaine mesure, des comparaisons entre la corruption dans le secteur public et dans le secteur privé ?
24Nicola Bonucci – Bien sûr, car les pratiques sont les mêmes. La grande différence est qu’une attention bien moindre est portée à la corruption privée comparée à celle des agents publics. Concernant la corruption publique, on estime que l’État et donc les citoyens sont lésés par un pacte de corruption incluant un fonctionnaire. Mais ils le sont également par la corruption privée car, d’une certaine manière, elle peut avoir des conséquences sur les revenus déclarés par cette entreprise ou sur la qualité des produits, par exemple.
25Le problème principal – c’est le juriste qui parle – est que le droit pénal n’a pas suffisamment évolué pour prendre en compte le droit pénal des affaires, qui reste une notion assez compliquée à gérer pour les pénalistes. Le droit pénal a, en effet, été développé au XVIIIe siècle sur le principe de l’individualisation des peines et de la responsabilité personnelle. Il visait les meurtres, les vols, les atteintes aux biens publics classiques, mais clairement pas le sujet qui nous intéresse. La grille de lecture était donc, à l’époque, de considérer qu’une atteinte aux biens publics était très grave et qu’une affaire entre particuliers l’était moins. En conséquence, il existe des pays où l’infraction de corruption commerciale n’existe même pas en tant que telle.
26Or quand on entre dans une logique corruptive, on s’engage sur une pente qui fait qu’il est extrêmement difficile de s’arrêter. Les deux se nourrissent l’une de l’autre et utilisent souvent des méthodologies semblables, mais l’attention de la communauté internationale est, probablement à tort, beaucoup plus portée sur la corruption publique que sur la corruption privée et commerciale.
27Daniel Lebègue – Jusqu’en 2005, date de signature de la Convention des Nations unies contre la corruption, seule la corruption d’agents publics était sanctionnée comme un délit par le droit international et européen. La Convention de l’OCDE sanctionnait ce type de pratiques d’un pays à l’autre, notamment dans le cadre du commerce international. Mais l’on ne visait pas la corruption dans le secteur privé de manière juridiquement organisée.
28Elle y existe pourtant. Siemens est un cas emblématique [3] : fournisseurs, sous-traitants, représentants du personnel touchaient de l’argent dans le cadre d’un système aux proportions incroyables. Entre le trafic d’influence et les relations coupables entre acheteurs et fournisseurs, il y a peu de différence de nature, mais le second cas n’était absolument pas sanctionné jusqu’à la Convention de l’ONU, qui l’assimile à un délit.
29Si les tenants de charges publiques ont un devoir d’exemplarité et de défense de l’intérêt général – qui est la colonne vertébrale de toute action publique –, ce critère n’est évidemment pas applicable au secteur privé. Les sanctions visent donc le non-respect de l’intérêt social, défini comme l’intérêt collectif de l’entreprise et de toutes ses parties prenantes : salariés, actionnaires, etc. Désormais, les entreprises peuvent être poursuivies et l’échelle des sanctions est à peu près la même entre public et privé, en dehors du fait que les élus peuvent être frappés d’inéligibilité ou de privation des droits civiques.
30De très nombreuses condamnations ont aussi été prononcées à l’encontre de grandes banques internationales depuis 2007. Il ne s’agit pas que de corruption, on trouve également du blanchiment, des délits d’initiés, le non-respect du droit fiscal, etc. Il peut y avoir des mises en cause, des chefs d’inculpation pénaux et civils quelque peu différents entre le public et le privé, mais, là encore, le niveau d’exigence de l’opinion est plus fort qu’il ne l’était voilà vingt ans. Par exemple, il est pratiquement impossible pour un dirigeant de demeurer en place si son entreprise est condamnée pour motif avéré de corruption ou de fraude : Siemens, British Petroleum, etc. Avec la crise, tous les dirigeants des grandes banques, à part HSBC, ont été remerciés à la suite de mises en cause ou de condamnations pour des faits de délinquance financière.
31L’exigence de l’opinion publique vis-à-vis des dirigeants du secteur privé est désormais très élevée et, d’une certaine manière, le système en est devenu plus réactif. Les manquements se voient plus rapidement sanctionnés qu’auparavant.
32Par ailleurs, dans le monde de l’entreprise, la corruption est considérée comme faussant les règles du jeu. 90 à 95 % des chefs d’entreprise, s’ils avaient le choix, préfèreraient qu’elle soit rendue impossible ou sévèrement sanctionnée. Les entreprises ont pris la mesure des risques financiers, mais aussi de non-conformité, de réputation, de responsabilité sociale et environnementale. Et elles n’ont plus envie de les courir, même pour gagner un marché, car cela peut désormais être mortel pour elles et leurs dirigeants.
33Cette prise de conscience a eu lieu à la suite de la signature de la Convention de l’OCDE, en 1997, puis de celle de l’ONU, même si sa mise en œuvre reste en grande partie à réaliser. D’ailleurs, il s’agit de l’un des premiers sujets dont s’est saisi le G20, en 2007. Il a, par la suite, créé un groupe de travail sur la corruption, qui se réunit régulièrement et produit beaucoup de recommandations, les dernières traitant de la fraude et de l’optimisation fiscales. L’existence de ce groupe, sa longévité, l’importance de son activité montrent bien l’enjeu que représente aujourd’hui la corruption. Et cela même pour des États qui, encore récemment, suscitaient des interrogations, comme la Chine, le Brésil, les pays du Golfe, le Liban, quelques pays d’Afrique, etc. Tous ces acteurs, qui semblaient rester en dehors des règles du jeu, ont fini par adopter une législation nouvelle et des outils de contrôle car, pour eux aussi, la lutte contre la corruption est importante pour le bon fonctionnement de la coopération internationale.
34Y a-t-il justement des formes de corruption qui vous apparaissent universelles et d’autres qui vous semblent davantage liées à un contexte particulier dans une société donnée ?
35Nicola Bonucci – La corruption, comme tout phénomène humain depuis vingt ans, s’est globalisée. Les montants et le degré de sophistication peuvent varier, mais les formes sont essentiellement les mêmes. Aucun État n’est totalement immunisé. Et il existe clairement une possibilité de découplage, avec certains pays qui peuvent être vertueux sur le plan interne mais dont les entreprises se comportent comme toutes les autres lorsqu’elles opèrent sur les marchés étrangers, en se basant sur un argumentaire tout à fait rationnel qui est de dire qu’elles s’adaptent aux réalités locales.
36De ce point de vue, des différences existent, dans le sens où certaines sociétés n’acceptent pas la corruption au niveau interne et que d’autres vivent avec, même si je pense qu’au final, personne ne l’accepte vraiment. Si vous pouvez avoir accès à quelque chose en payant 10, pourquoi voudriez-vous avoir à payer 12 ? Toutefois, il existe des cadres qui font que, dans certaines sociétés, les gens se résignent car ils savent que c’est la seule façon d’avoir accès aux services publics. Mais cela ne vaut pas acceptation.
37Daniel Lebègue – Notre mouvement réunit plus d’une centaine de nationalités. Ce qui me frappe à chaque assemblée générale, c’est que tous, pays du Nord ou du Sud, démocratiques ou moins démocratiques, ressentent la corruption comme un véritable fléau qu’il faut attaquer à tous les niveaux. Nulle part n’existe un sentiment de tolérance, d’acceptation ou de résignation, même dans les pays où elle est endémique, où elle touche la plupart des domaines de la vie économique et sociale, où les citoyens y sont confrontés au quotidien.
38Cela dit, l’intensité et les formes du phénomène varient d’une région et d’un pays à l’autre. Tous les ans, notre indice classe plus de 150 pays selon le niveau de corruption perçu par des responsables d’entreprises, des journalistes, des analystes en risque pays, etc. Il en ressort que l’on agit plus efficacement contre la corruption dans les vieilles démocraties – pays nordiques, Royaume-Uni, Allemagne, Pays-Bas –, où les valeurs de transparence et de probité occupent une place très importante dans la vie collective. Certains, comme la Suède, ont même inscrit la transparence dans leur Constitution.
39Le phénomène varie-t-il en nature ou en intensité selon le degré de développement ?
40Daniel Lebègue – À l’autre extrême de notre classement, on trouve des pays très pauvres, mais ce n’est pas le seul critère. En effet, l’indice de développement de la Banque mondiale coïncide de moins en moins avec notre propre classement. On peut trouver des pays comme Haïti, où la corruption est endémique depuis des années, mais aussi d’autres souffrant d’une grande instabilité – Syrie, Irak, Érythrée –, où le niveau de corruption était déjà élevé et progresse en raison des dérèglements de la vie politique et sociale.
41Ensuite, parmi les pays riches ou ayant une base économique solide, on trouve des situations très diverses. Certains, dotés de vastes ressources naturelles, subissent la « malédiction de la rente », situation dans laquelle un pays gagne énormément grâce à l’une de ses productions et où la tentation de capter une partie de cette richesse devient très forte pour les dirigeants. La corruption y est endémique et l’exemple vient du haut – je ne développerai pas, mais citons par exemple les familles régnantes du Golfe. Parmi les pays riches, certains succombent donc à la corruption ; d’autres, en raison de leur culture, de leur histoire, de leurs valeurs, résistent. Mais de très fortes distinctions existent au sein d’une même région. Par exemple, des pays comme le Kenya, la Tanzanie et le Ghana sont vus comme relativement intègres. Pourtant, ils sont géographiquement proches des deux Congo ou de l’Éthiopie, qui sont tout en bas du classement. La ligne de partage se situe donc de moins en moins entre riches et pauvres, entre Nord et Sud.
42Dans la période récente, il est également intéressant de noter de brusques changements de catégorie. Ainsi, le gouvernement chinois a fait de la lutte contre la corruption sa deuxième priorité. Évidemment, on peut considérer qu’il s’agit d’un moyen d’asseoir le pouvoir, mais il faut voir aussi que, dans une société qui s’affirme et dont le niveau d’éducation progresse constamment, subir au quotidien la corruption au bénéfice d’apparatchiks devient intolérable. La Chine s’engage donc sur une trajectoire qui devrait la conduire, si elle maintient l’effort dans la durée, à se rapprocher des meilleures démocraties. À l’inverse, la Russie a perdu 40 places dans notre classement depuis quatre ans. La chute est effrayante mais, pour l’instant, la lutte contre la corruption ne fait pas partie des priorités des autorités. Enfin, le Brésil était il y a seulement quelques années porté par une dynamique formidable. Regardez dans quel état il se trouve aujourd’hui, avec notamment le scandale Petrobras. Il y a donc des mouvements, dans un sens ou dans l’autre.
43Nicola Bonucci – Je ne crois pas, en effet, que l’on puisse dire que certaines sociétés sont plus enclines que d’autres à la corruption. Le marché est global, difficile, compétitif. Certaines entreprises ont des politiques claires, mais ce ne sont pas celles d’un État. Par exemple, des entreprises venant de pays vertueux, comme les pays scandinaves, se sont trouvées mêlées à des affaires de corruption très importantes. Ce fut le cas récemment pour une société norvégienne ; pourtant, la Norvège n’est pas vue comme le plus grand pourvoyeur de corruption internationale.
44Je ne crois donc pas que l’on puisse dire que tel type de corruption domine dans tel type de pays. Il existe effectivement différents niveaux de corruption. Il y a celle du quotidien, par exemple au niveau des douanes. Nous avons fait des statistiques très intéressantes qui se basent sur les cas de corruption avérés entre l’entrée en vigueur de la Convention OCDE et la fin de l’année 2014. Ce ne sont pas des questionnaires mais du hard data. L’un des tableaux les plus intéressants – il y en a beaucoup, qui cassent d’ailleurs un certain nombre de mythes – est celui sur la proportion des pots-de-vin versés. Les agents de douane sont impliqués dans 10 % des cas, mais en termes monétaires, ils ne reçoivent que 1 % du total parce qu’on leur glisse un billet de 20 euros, de 5 dollars, etc. : ce n’est pas de la grosse corruption, il y en a certes beaucoup mais cela concerne de petites sommes. En revanche, les salariés des entreprises publiques représentent 25 % des personnes et presque 80 % des montants. Pourquoi ? Parce que les entreprises publiques, que l’on retrouve aussi dans les entreprises extractives, de défense – tous les gros marchés, les gros contrats –, voient passer beaucoup d’argent. Au final, il existe une corruption internationale qui est de la petite corruption et une autre qui est de la grande corruption, mais les méthodologies ne varient pas selon le pays ou la région [4].
45Comment l’OCDE s’y prend-elle, de son côté, pour mesurer la corruption ?
46Nicola Bonucci – Il s’agit d’une énorme difficulté. D’ailleurs, nous ne la mesurons pas. Nous n’avons pas d’index comme Transparency International. Ce que nous faisons consiste à identifier et à tenter de comprendre ce que sont – c’est la terminologie du moment – les « drivers of corruption ».
47Comme d’autres, nous avons un tableau sur la mise en œuvre enquêtes-poursuites-sanctions. Il est utile, mais ne dit pas toute la réalité. Par exemple, on peut imaginer qu’une affaire de corruption en France soit traitée par le magistrat sous le chapitre d’abus de biens sociaux (ABS), parce qu’il est plus simple pour un procureur ou un juge d’instruction de faire une enquête en matière d’ABS qu’en matière de lutte contre la corruption. Cela n’apparaîtra alors pas forcément dans nos statistiques. Dans l’affaire « pétrole contre nourriture » – nous verrons ce que décideront les tribunaux français –, par exemple, pratiquement aucun pays n’a lancé de procédure sous le chapitre de la corruption internationale. La corruption serait donc limitée à un agent étranger : s’il s’agit d’un gouvernement, les choses deviennent évanescentes, ce qui est de mon point de vue incroyable. Se baser uniquement sur les cas reconnus peut constituer un indicateur, mais guère plus car cela ne mesure rien.
48On peut également essayer de mesurer la surcharge du coût des marchés publics. Cela donne une mesure additionnelle, mais ne comprend pas que la corruption. Et surtout, cela ne mesure pas ce qui est le plus dommageable, c’est-à-dire la perte de confiance en les institutions.
49Or, et encore une fois, l’une des choses les plus frappantes dans les pays où le phénomène est endémique, c’est cette perte totale de confiance en les institutions, quelles qu’elles soient : démocratie représentative, personnel politique, entreprises, etc. On touche là à l’essentiel : quelles sont les vraies valeurs qui fondent une société, qui permettent la cohésion et la confiance ? Si ce moteur du vivre-ensemble s’arrête, la société se délite. Mais ce facteur est, lui aussi, presque impossible à mesurer. Il y a divers indicateurs, mais l’une des raisons principales qui grippe la machine reste le populisme et le mythe du « tous pourris », probablement exagéré.
50Depuis quelques années, la lutte contre la corruption est une préoccupation qui a pris de l’importance dans de nombreux pays émergents. Ce constat est frappant, par exemple, en Amérique latine. S’agit-il d’une simple exigence des populations ou d’une lutte politique d’ores et déjà institutionnalisée ? Y a-t-il un pays moteur dans cette dynamique ?
51Nicola Bonucci – Il est évident que le niveau de tolérance envers la corruption dans tous les pays, qu’ils soient développés ou en voie de développement, est bien moins élevé qu’auparavant. D’abord parce que le niveau d’éducation a progressé. Ensuite grâce au niveau d’information, notamment à travers les réseaux sociaux : ces questions, qui restaient relativement confidentielles, le sont de moins en moins. Souvenez-vous, il y a quelques années, de l’initiative « I Paid A Bribe » : les Indiens étaient invités à lister sur un site Internet les pots-de-vin qu’ils devaient payer au quotidien. Elle a connu des millions d’entrées. C’est cela que permet la technologie aujourd’hui. Toutefois, beaucoup de choses négatives peuvent aussi circuler, parfois de façon pas très correcte, sous la forme de rumeurs. La perception du niveau de corruption peut ainsi être amplifiée et ne pas toujours reposer sur la réalité. Il existe, du coup, une hypersensibilisation de l’opinion publique, quel que soit le pays.
52Pour ma part, je suis d’origine italienne et quand je suis arrivé en France, en 1993, les Français avaient la conviction que l’Italie était totalement corrompue et que la France ne l’était pas vraiment. Aujourd’hui, ils se rendent compte que les choses ne sont peut-être pas si simples. C’est un phénomène vraiment difficile à appréhender, avec les limites que j’ai indiquées, à savoir, parfois, une surexposition et une sur-perception de la chose : si la France n’était sûrement pas immaculée en 1993, elle n’est certainement pas totalement corrompue aujourd’hui. Plus que le niveau de corruption, ce qui a changé, ce sont les sommes en jeu, les techniques et surtout l’idée que l’on se fait des réalités.
53En Amérique latine, le phénomène est particulier car il est aussi lié au fait que le continent s’est démocratisé – il n’y a presque plus de régimes militaires, alors qu’ils étaient majoritaires dans les années 1980 –, qu’une certaine classe moyenne se développe, paie des impôts et demande des comptes. Il ne faut toutefois pas être totalement naïf : les questions de corruption sont parfois utilisées à des fins politiques, notamment dans les pays émergents. Mais je crois que la tendance générale conduit les dirigeants de tous ces pays à essayer, sinon d’éradiquer, du moins de combattre le phénomène dans ses formes les plus extrêmes.
54Le meilleur exemple est la Chine. Je n’ai aucun doute sur sa volonté réelle de combattre la corruption. Pas forcément pour des raisons éthiques ou morales, mais pour la survie même du régime. Cela signifie-t-il que les récentes affaires de corruption en Chine sont dénuées d’intérêt politique ? Certainement pas. Mais globalement, la classe dirigeante chinoise a pris conscience que le phénomène prenait de telles proportions que cela mettait en cause le système et que ce n’était donc plus tolérable. Rappelons-nous que la corruption a contribué à l’effondrement de la classe politique italienne dans les années 1990 : les démocrates-chrétiens, qui ont gouverné le pays pendant quarante ans, ont disparu. Avant le printemps arabe, avant l’Ukraine, avant le Brésil, le pouvoir a basculé, dans un pays de l’OCDE, à la suite de l’affaire « mani pulite ». C’est un phénomène dont la classe dirigeante a peur, pour une série de raisons, parmi lesquelles un réflexe d’autodéfense. Je pense donc que la volonté de combattre la corruption est réelle.
55Au final, on constate ainsi une forte pression par le bas qui pousse à une réponse par le haut de peur que tout le système ne se trouve ébranlé.
56Quelle vous apparaît être la plus-value de la société civile et des organisations non gouvernementales (ONG) ? Comment leurs activités peuvent-elles s’articuler avec celles d’autres organismes ?
57Nicola Bonucci – Il est important que chaque acteur ait un rôle précis : la société civile n’est pas l’OCDE, l’OCDE n’est pas la société civile. Nous n’allons pas travailler de la même manière, ce qui est normal, mais il nous faut être complémentaires. La société civile doit être la « mouche du coche » d’une organisation comme l’OCDE et des gouvernements. Elle doit exercer un devoir de vigilance et pouvoir nous critiquer : être alerte fait partie du jeu. Mais il faut veiller à ce que cette critique, et c’est le défaut de certaines approches, ne conduise pas à « jeter le bébé avec l’eau du bain ». En effet, la critique est parfois si virulente qu’elle laisse penser que rien ne sert à rien, ce qui délégitime les actions des autorités, affaiblit la confiance des citoyens dans leur action et ne favorise pas la lutte contre la corruption.
58L’OCDE entretient des rapports étroits et quotidiens avec la société civile. Nous avons des rapports institutionnels via des consultations. Dans toutes les missions réalisées dans le cadre du monitoring et de la mise en œuvre de la Convention, il y a toujours des panels dédiés à la société civile. À l’époque où la Convention fut rédigée, des questions avaient été soulevées quant à savoir s’il fallait même l’associer aux discussions. À titre personnel, je pense que ce pourrait être utile, au moins durant certaines phases, pendant lesquelles il serait pertinent de considérer son point vue regardant la mise en œuvre par le pays dont elle est issue. Mais les États demeurent pour le moment réticents.
59Daniel Lebègue – L’intérêt d’une ONG comme la nôtre est effectivement d’apporter ce regard, ce benchmarking, grâce à des outils d’analyse, d’observation et de contrôle au niveau international. En 2012, nous avions interpellé les candidats à la présidentielle française pour leur soumettre des propositions très précises : prévention des conflits d’intérêts, transparence des revenus et des patrimoines, mise en place d’autorités de contrôle indépendantes, renforcement des moyens d’action de la justice financière, encadrement des relations entre lobbies et décideurs publics, etc. Nous avions aussi abordé le sujet de l’alerte éthique et de la protection des lanceurs d’alertes. Nous arrivions donc avec un benchmarking international, basé sur l’étude des 28 pays de l’UE. Il ressortait de cette étude, que nous avions rendue publique, que la France avait, avec la Slovénie, la plus mauvaise note en matière de transparence de la vie publique. Les conseillers de Bercy étaient sidérés par ces résultats : ils n’avaient pas ces éléments comparatifs permettant de situer nos pratiques par rapport à l’UE ou même à d’autres démocraties dans le monde.
60Ensuite, nous avons fait le même travail pour le lobbying et avons constaté, par exemple, que le Canada disposait de commissaires généraux aux conflits d’intérêts et au lobbying, indépendants et disposant de moyens d’action formidables. Donc, au moment de l’affaire Cahuzac, quand il a été nécessaire de légiférer et d’adapter notre législation – figée depuis le gouvernement Bérégovoy –, le président de la République a répondu point par point à toutes nos propositions.
61L’expertise et le rayon d’action international sont donc, à mon sens, les principaux apports d’un acteur de la société civile. D’ailleurs, en France, un parlementaire devrait prochainement présenter, avec l’accord du gouvernement, une proposition de loi sur la protection des lanceurs d’alerte : nous avons rédigé le texte article par article [5]. Notre atout est aussi d’agir de manière désintéressée. De ce fait, nous bénéficions de la confiance de l’opinion, que beaucoup de décideurs publics ont, hélas, perdue.
62De quels leviers d’actions disposez-vous en ce sens ?
63Daniel Lebègue – Notre mouvement est présent dans quelque 110 pays à travers le monde, avec l’un des rayons d’action les plus larges pour une ONG. Comme beaucoup, nous utilisons quatre leviers. Tout d’abord, le plaidoyer, c’est-à-dire convaincre des décideurs d’adopter de bonnes règles lorsqu’ils font la loi et, surtout, de bons comportements. Au niveau international, nous travaillons de façon continue avec le G20, l’OCDE, le Groupe d’action financière (GAFI), la Banque mondiale et l’Union européenne. En coulisse, nous assistons aux réunions ministérielles, à celles des directeurs du Trésor, des chefs d’État et de gouvernement, etc. Nous alimentons en permanence les décideurs en analyse et en propositions sur différents sujets allant de la corruption internationale au flux financiers illicites. Nous avions mis en avant le principe de l’échange d’informations entre pays en matière fiscale pour la première fois au début des années 2000, tout comme le reporting pays par pays des entreprises internationales, afin qu’elles déclarent leur chiffre d’affaires, les impôts qu’elles paient, etc. Nous travaillons actuellement sur le thème du beneficial ownership : comment ouvrir des boîtes noires du type trust qui permettent à des personnes ou à des sociétés de se dissimuler dans des paradis fiscaux pour échapper à l’impôt ou à la loi. Sur tous ces sujets, nous sommes très investis, mais nous n’édictons évidemment pas de règles.
64La démarche est la même en France. Nous avons des relations très étroites avec la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) et le monde de la magistrature. Il n’y a plus un texte traitant d’une question de conformité, de déontologie sur lequel nous ne sommes pas consultés, notamment au niveau du Parlement. Nous avons aussi un partenariat très étroit avec la mairie de Paris, à qui nous avons recommandé la création d’un code et d’une commission indépendante de déontologie ainsi que d’une déclaration de patrimoine pour tous les élus.
65Le deuxième axe consiste en une action éducative, à travers nos indices, nos baromètres, nos rapports. Nous contribuons à diffuser information et connaissance sur un phénomène qui n’est pas appréhendé par les statistiques officielles. Nous tentons aussi, avec nos moyens limités, de porter ces sujets auprès des universités et grandes écoles. Nous avons fait quelques tentatives dans des lycées et collèges, mais les ressources humaines nous manquent pour aller plus loin.
66Troisième axe, les partenariats. J’ai cité la ville de Paris, mais nous avons aussi travaillé avec des entreprises : Lafarge, Suez Environnement, SNCF, Aéroports de Paris, Renault. Il s’agit de les accompagner dans la prévention des risques de corruption. Nous travaillons aussi avec d’autres ONG, notamment dans le cadre de coalitions. Par exemple, il existe une plate-forme « paradis judiciaires et fiscaux », qui réunit une dizaine d’ONG très actives.
67Le dernier axe, que nous développons beaucoup depuis deux ans, concerne tout ce qui vise à favoriser la mobilisation des citoyens et à leur donner des moyens d’action. L’an dernier, nous avons ouvert un portail Internet pour permettre à des personnes de signaler des manquements, des faits de corruption dont ils seraient témoins ou de poser des questions. Nous voudrions, même si nous avançons sur la pointe des pieds, accompagner et accueillir les lanceurs d’alerte agissant de bonne foi. En décembre 2015, nous présentons un nouvel outil, « Integrity Watch » : en faisant appel à des informations publiques, nous avons exploité toutes les déclarations d’intérêt, de patrimoine et de revenus des élus, principalement des parlementaires. Nous n’allons pas faire du deputy bashing, mais plutôt identifier des situations de cumul de mandats, d’activités publiques et privées – par exemple, les parlementaires qui tirent plus de revenus de leur métier originel que de leur mandat électif –, des situations de proximité familiale évidentes dans l’entourage professionnel, de cumul d’activités d’assistant parlementaire et de lobbyiste, etc. Pour ce faire, nous travaillons beaucoup sur l’open data, qui offre des opportunités formidables à une association comme la nôtre.
68Si l’on veut vraiment provoquer une sorte de sursaut dans notre vie démocratique, il faut donner aux citoyens les moyens d’être acteurs de la vie publique. La loi permet beaucoup de choses, mais les gens connaissent souvent mal leurs droits et craignent des représailles s’ils sont seuls. Notre rôle est donc aussi de conseiller, d’accompagner.
69Par ailleurs, nous ne nous interdisons pas d’agir en justice lorsque nous l’estimons justifié : nous nous sommes portés partie civile, en France, contre des chefs d’État africains [6] et leur entourage concernant ce que nous considérons être des détournements de fonds publics. Nous ne multiplions pas ce type d’actions, notamment parce que cela nécessite beaucoup de moyens, mais la loi a reconnu, en 2013, qu’une association anticorruption comme la nôtre avait la légitimité d’agir en justice.
70Dès lors, et plus largement, comment l’ensemble de ces acteurs intervenant sur les questions de lutte contre la corruption peuvent-ils coordonner leur action ?
71Nicola Bonucci – Le problème de la coordination concerne la corruption internationale, la fiscalité et tous les autres sujets d’importance. Le vrai défi du monde contemporain est qu’il s’est mondialisé, mais que les réponses restent essentiellement territoriales.
72Si la coordination entre États est un problème, la coordination à l’intérieur des États en est un autre. J’en reviens à ce que je disais : la corruption doit être considérée de façon holistique. Or, l’appareil d’État est vertical, divisé en plusieurs branches. Si vous voulez mener une politique publique générale de lutte contre la corruption, vous devez associer et assurer la même orientation pour tous les ministères. Admettons que l’effort soit mis sur le secteur de la santé : vous avez besoin du ministère concerné, mais aussi de celui de la Justice, de celui de l’Éducation car il faut former les jeunes générations à ne pas payer abusivement le personnel médical, des entreprises du secteur, etc. Les problèmes se sont complexifiés mais, là encore, les réponses restent verticales.
73En tout cas, il ne peut y avoir de lutte efficace contre la corruption si la classe dirigeante ne suscite pas la confiance. Si elle constitue le problème sans représenter au moins une partie de la solution, aucun progrès réel ne peut avoir lieu. Notamment parce que cela dédouane toute une série de corrupteurs. Souvenez-vous de l’affaire Elf [7] : il était fabuleux de voir les gens déclarer sincèrement qu’ils pensaient n’avoir rien fait de mal. Plus près de nous, Franz Beckenbauer [8], à la question de savoir si les limites n’avaient pas été franchies : « Quelles sont les limites ? Il n’y avait pas de Commission d’éthique, on pouvait contacter directement les membres du Comité exécutif [de la FIFA]. On est toujours allé à la limite. C’était un autre temps ». En fait, une des difficultés liées à la corruption réside dans cette idée, dangereuse mais largement partagée, qu’il ne s’agit que d’une simple infraction « monétaire et financière » et qu’il n’y a pas mort d’homme. Ce qui est faux, car la corruption, par voie de conséquence, nourrit d’autres activités criminelles et peut aussi in fine conduire à des morts, comme avec l’effondrement du Rana Plaza au Bangladesh.
74Donc, si vous n’avez pas un message couplé à une action cohérente au niveau de la tête, vous n’arrivez à rien. Mais il faut avouer que cela ne suffit pas. Très souvent, il y a une volonté affichée – notamment en Amérique latine, au niveau de l’appareil fédéral –, mais ensuite, la corruption se niche surtout aux niveaux local et régional. Il faut donc maintenir la pression en haut et en bas. Pour que la manœuvre aboutisse, il faut resserrer les deux le plus possible.
75Peu de pays y parviennent de façon totalement satisfaisante : il y a ce que fait la classe politique, ce que fait la société civile, ce que font les organisations internationales, mais la coordination de tous dans un ensemble cohérent reste une difficulté significative. Chacun a son rôle et sa vision des choses ; il manque un élément fédérateur. Chaque institution revendique sa propre autonomie, son propre rôle. Par exemple, très peu de pays sont dotés d’un plan national d’action contre la corruption. Beaucoup d’initiatives se font au quotidien, mais peu de pays ont un plan unique et cohérent. Le seul qui me vient à l’esprit est le Royaume-Uni, dont la démarche est très intéressante – il faudra voir si elle porte ou non ses fruits, mais elle reste le premier plan global à mes yeux. Toutefois, il faut préciser que ce plan a été établi à la suite d’un scandale d’ampleur inédite, ce qui m’amène à penser que, parfois, pour sortir d’une crise par le haut, il faut un électrochoc suffisamment fort. En France, cela n’est pas encore arrivé.
76Qu’en est-il de la France, que ce soit vis-à-vis de la corruption qui peut exister dans le pays lui-même et de son engagement international sur cette question ?
77Daniel Lebègue – Nous sommes le seul pays au monde à connaître une situation de cumul de mandats aussi extravagante. Le responsable public élu en France, en particulier le parlementaire, exerce en moyenne trois mandats et demi. Nous y sommes habitués, mais cela constitue une situation très atypique dans une démocratie. Il est donc fréquent qu’il y ait des conflits d’intérêts entre l’intérêt national – et l’on attend d’un ministre, député, haut fonctionnaire, magistrat qu’il agisse au nom du seul intérêt général – et d’autres plus spécifiques, attachés à une ville, une région, etc. Toutefois, il faut noter que les réformes entreprises depuis deux ans vont dans le bon sens.
78En parallèle, pour faire condamner un élu français pour des faits de corruption, la durée moyenne de la procédure est de dix ans. Cette lenteur contribue aussi à nourrir la défiance. Pour ne citer qu’un exemple, Charles Pasqua faisait l’objet de cinq procédures pour faits de corruption et n’a été définitivement condamné qu’au bout de vingt-deux années.
79Au niveau international, la France a toujours été à l’avant-garde pour faire adopter des conventions et affirmer des valeurs. Elle a été l’un des premiers pays à ratifier la Convention de l’OCDE, puis celle des Nations unies. Mais les organisations internationales, dont l’OCDE ou le Conseil de l’Europe, disent que notre pays pêche souvent quand il s’agit de se donner des moyens d’action. La Convention de l’OCDE en est un bon exemple : la France l’a signée voilà environ quinze ans ; depuis, la justice française n’a pas condamné une seule entreprise pour des faits de corruption internationale, quand la justice américaine en a condamné près d’une centaine, les Allemands une cinquantaine, les Britanniques une trentaine. Quelque chose ne fonctionne donc pas dans l’application des règles auxquelles nous souscrivons : il faut renforcer les procédures et les moyens d’action.
80En 2015, Transparency International a proposé de développer et de mettre à disposition du système judiciaire l’instrument juridique qu’est la transaction : il s’agit de permettre à un procureur qui a identifié une mauvaise pratique de la part d’une entreprise de négocier avec elle, plutôt que de la poursuivre, les pénalités dont elle devra s’acquitter et les mesures préventives qu’elle devra mettre en place. C’est ainsi que travaillent d’autres grands pays, mais pour l’instant, la France ne sait pas faire. Il en résulte que nos entreprises sont rattrapées par des juges américains ou anglais et paient des amendes considérables. Ce n’est gratifiant ni pour elles ni pour nos magistrats.
81Nicola Bonucci – La corruption existe en France comme partout, c’est une évidence. Y en a-t-il davantage aujourd’hui qu’il y a vingt-cinq ou cinquante ans ? Je n’en suis pas du tout certain. Les montants ont probablement évolué, mais cela est dû au fait que le pays s’est aussi enrichi sur la même période. On peut peut-être s’interroger – et je n’ai pas de réponse – sur la décentralisation et ses effets induits, qui n’ont peut-être pas totalement été pris en compte. Tant qu’on avait un système de marchés publics très centralisé, il y avait moins d’interlocuteurs. Donc peut-être – et je compare cela avec le fonctionnement italien au niveau local et régional – y a-t-il eu un manque de vigilance. Depuis quelques années, on voit néanmoins une prise de conscience. Mais il est dommage de constater qu’il n’existe aucun processus impliquant que l’on se réunisse, que l’on réfléchisse tous ensemble pour arriver à un plan d’action global et cohérent – à défaut d’une solution idéale, qui ne peut pas exister. Cet exercice pourrait, je crois, être entrepris par la France.
82Sur le plan international, la France est un pays important, membre du G7 et du G20. Le message qu’elle délivre en la matière est attendu et entendu, mais au-delà du message, l’action compte, ainsi que le note Daniel Lebègue, et c’est là où le bât blesse. En fait, il y a parfois un décalage entre ce que la France dit et ce qu’elle fait. Elle n’est pas la seule dans ce cas, mais cela n’est pas une excuse. Certaines prises de position me surprennent parfois, comme par exemple les articles que j’ai lus dans la presse française sur l’affaire Alstom. Laisser entendre, comme j’ai pu le lire çà et là, que General Electrics aurait « fabriqué » une affaire de corruption pour affaiblir Alstom et pour plomber un champion français n’est pas sérieux. Le groupe traînait derrière lui un passif lié à de nombreux pays et ce, depuis longtemps. Il a été incapable de les régler et s’est retrouvé en position de faiblesse. General Electrics n’a eu aucun état d’âme, mais ne peut être tenue pour responsable. Il y a donc une certaine victimisation de la part des entreprises françaises, promptes à accuser leurs concurrents de manipulation. Si l’on ne sort pas de cette logique, on n’abordera pas franchement la problématique de la corruption et des errements associés. La réalité est que les entreprises françaises sont importantes, qu’elles travaillent dans des secteurs et des pays à risques, et qu’elles font face comme toutes à ces questions. Ce n’est pas porter atteinte à leur intégrité que de dire que, parfois, elles tombent, comme d’autres, dans le piège qui leur est tendu.
83Au final, il est important de reconnaître que la France a un message à délivrer, particulièrement en Afrique. C’est en tout cas la priorité au niveau international. Au niveau national, encore une fois, il faut un message global et cohérent qui dépasse les carcans habituels. Tout ne peut pas être réglé par la voie purement législative : elle ne peut pas changer les états d’esprit ou certaines pratiques. Il faut travailler avec la société civile, avec le local, développer de nouvelles approches et, surtout, être cohérent et constant. Cela fait partie de l’arsenal de la lutte contre la corruption : il faut éduquer, expliquer et agir au quotidien. La France a beaucoup de forces : son administration, par exemple, laisse énormément de pays rêveurs malgré ce que beaucoup peuvent penser. Il ne faut pas laisser se répandre le populisme du « tous pourris ».
84Les 25 et 26 novembre 2015.
Notes
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[1]
NDLR : Pierre Rosanvallon, Le bon gouvernement, Paris, Seuil, 2015.
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[2]
NDLR : Révélée en mars 2015, l’affaire Petrobras, du nom de la compagnie pétrolière contrôlée par l’État brésilien, est relative à de grands chantiers d’infrastructures, notamment liés à l’exploitation de réserves de pétrole en eaux profondes. De grandes entreprises du secteur du bâtiment sont accusées d’avoir formé un cartel pour surfacturer les marchés avec Petrobras et verser des pots-de-vin aux partis de la coalition gouvernementale.
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[3]
NDLR : En 2008, Siemens accepte de verser 1,3 milliard de dollars pour clore une enquête sur des soupçons de corruption ouverte en Allemagne et aux États-Unis. En Grèce, en 2015, 64 personnes sont poursuivies par la justice pour corruption active et passive ainsi que blanchiment d’argent dans le cadre d’une affaire de pots-de-vin versés en échanges de l’obtention du marché public pour la modernisation du réseau téléphonique grec, à la fin des années 1990. Siemens serait, en outre, impliquée dans une affaire de corruption concernant le système de sécurité des Jeux olympiques d’Athènes de 2004.
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[4]
NDLR : Voir OCDE, Rapport de l’OCDE sur la corruption transnationale. Une analyse de l’infraction de corruption d’agents publics étrangers, Paris, éditions OCDE, 2014.
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[5]
NDLR : Proposition de loi globale relative à la protection des lanceurs d’alerte présentée le 3 décembre 2015 par le député Yann Galut et Transparency France.
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[6]
NDLR : Omar Bongo, Teodoro Obiang et Denis Sassou N’Guesso.
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[7]
NDLR : Une enquête ouverte en 1994 révèle des commissions occultes versées par la compagnie pétrolière française Elf-Aquitaine à différents dirigeants africains, dans le but de sécuriser ses approvisionnements en pétrole. Via des comptes en Suisse et aux États-Unis ainsi que des sociétés domiciliées dans des paradis fiscaux, ces responsables africains versaient, pour leur part, des sommes aux dirigeants de la compagnie, à des proches de François Mitterrand et aux partis politiques français.
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[8]
NDLR : F. Beckenbauer fut président du Comité d’organisation de la Coupe du monde de football 2006 en Allemagne, sur l’attribution de laquelle pèsent des soupçons de corruption.