Notes
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[1]
Résolution 288(X) du Conseil économique et social des Nations unies du 27 février 1950.
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[2]
Résolution 43/131 de l’Assemblée générale des Nations unies du 8 décembre 1988, A/RES/43/131.
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[3]
Voir Direction générale de la coopération au développement (DGCD), ACODEV et COPROGRAM, « Groupe de pilotage DGCD-ONG », Bruxelles, 3 avril 2009.
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[4]
Sylvie Brunel, La coopération Nord-Sud, Paris, Presses universitaires de France, 1997.
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[5]
Référence aux méthodes « sphère » ou « compas », développées pour l’optimisation économique des entreprises et utilisées par les ONG dans leur gestion.
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[6]
Voir Gérard Perroulaz, « Le rôle des ONG dans la politique de développement : forces et limites, légitimité et contrôle », Annuaire suisse de politique de développement, vol. 23, n° 2, 2004, pp. 9-24.
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[7]
Voir Jean-Christophe Rufin, Le piège humanitaire. Quand l’humanitaire remplace la guerre, Paris, JC Lattès, 1986.
-
[8]
Voir Henri Rouillé d’Orfeuil (Coordination Sud) et Jorge Eduardo Durão (ABONG), « Rôle des ONG dans le débat public et les négociations internationales. Éléments pour la définition d’une diplomatie non gouvernementale », septembre 2003.
1Pendant longtemps, les organisations non gouvernementales (ONG) du Nord étaient considérées comme les seules capables de porter des enjeux de développement, de les structurer dans un projet et de les mettre en œuvre. Elles étaient les interlocutrices privilégiées des bailleurs de fonds et des donateurs du Nord. L’aide au développement était plutôt orientée vers l’humanitaire et la lutte contre la pauvreté, et très souvent déclenchée par des situations d’urgence. Les sans-frontiéristes, les altermondialistes, les environnementalistes, les droits de l’hommistes, ont densifié cette présence des ONG du Nord au Sud, agissant souvent à la place des acteurs locaux. Progressivement, les difficultés d’accéder à leurs bénéficiaires, le souci de légitimation de leurs démarches et la raréfaction des ressources ont poussé les acteurs du Nord à innover dans leurs modalités d’action à l’international. Parmi les instruments développés, la création de « filiale » ou de « représentation » au Sud figure en bonne place. Ainsi, la culture ONG s’est, peu à peu, aussi diffusée au Sud, donnant naissance à des organisations issues complètement de ces régions, même si elles restent liées à celles du Nord, notamment sur le plan des ressources financières et matérielles.
2Dans un contexte de fortes mutations économiques et de transformation progressive des bases de la coopération Nord / Sud vers l’émergence au Sud de sociétés civiles de plus en plus actives, il importe de s’interroger sur la place et le rôle des ONG, notamment du Sud, dans ce processus. La donne aurait-elle ainsi changé avec l’émergence des ONG au Sud ? Comment ces dernières fonctionnent-elles ? Reproduisent-elles les méthodes d’actions des ONG du Nord ? Comment peuvent-elles relever le défi sociétal de leurs territoires sans affaiblir les relations avec leurs homologues du Nord ? En somme, quels doivent être leurs rôles ?
Émergence et développement des ONG du Sud
3Au Nord, la question de l’intervention humanitaire s’est structurée dès le Ve siècle avec la charité chrétienne. Le Sud va subir les interventions pensées au Nord jusque dans les années 1980, qui ont vu se tourner la page de la neutralité et se concrétiser la naissance du droit d’ingérence, lancé dès 1968 avec les atrocités de la guerre du Biafra. Si le terme ONG fut développé pour la première fois dans les années 1940 avec la disparition de la Société des nations, il fallut attendre presque encore quarante ans pour que de telles organisations commencent à se développer timidement au Sud, en s’appuyant sur la première définition du terme, donnée en 1950 par le Conseil économique et social des Nations unies : « Toute organisation internationale qui n’est pas créée par voie d’accords intergouvernementaux » [1].
4Les humanitaires qui interviennent alors dans certains théâtres de guerre (Biafra 1968-1970, Bangladesh 1970-1971) sont pris pour cibles et ne peuvent faire part des atrocités dont ils sont témoins du fait de l’exigence de neutralité. L’indignation venant du Nord, avec des mouvements comme les French doctors, va attirer l’attention de la communauté internationale et sonner le glas de l’omerta. Ainsi, dans les années 1980, la fin de la période dite de « neutralité » a fait émerger des ONG au Sud dans des pays traversés par des phénomènes de grande pauvreté. En Afrique subsaharienne, les sécheresses successives au cours des années 1970 vont installer durablement la pauvreté et la famine dans certaines régions, notamment au Sahel. Au regard de l’ampleur de la tâche et des difficultés d’accès aux victimes, il était devenu impératif d’impliquer les acteurs du Sud. La résolution des Nations unies du 8 décembre 1988, portant « Assistance humanitaire aux victimes des catastrophes naturelles et situations d’urgence du même ordre », qui promeut « la neutralité et l’impartialité » des ONG et le principe de la liberté d’accès aux victimes [2], va alors favoriser l’initiative du Sud. Cette dernière, du fait de la faiblesse des structures étatiques, est acceptée par les États dès l’instant où elle ne dérange pas les intérêts du pouvoir central.
5Le développement des ONG du Sud s’avère néanmoins irrégulier et inégalement réparti, en ce qu’il suit la carte des crises et des conflits. Du fait de leur activité liée essentiellement à une question très localisée, ces organisations n’ont souvent aucune activité transnationale, ce qui reste l’apanage des ONG du Nord. Dès la fin de la guerre froide, la professionnalisation de celles-ci va de nouveau soulever des questions sur le rapport entre les acteurs du Nord et du Sud. En 2003, l’ONG française Santé Sud, basée à Marseille, pose la question de la nature du nouveau partenariat à construire. Face à l’ampleur de la tâche, aux échecs des interventions internationales, notamment de l’aide aux pays en voie de développement, à la faiblesse des États, aggravée par les programmes d’ajustement structurel et autres bouleversements politiques internationaux, surgit la question de renforcer les acteurs du Sud tout en posant la question de leur rapport à l’État.
Le rapport à l’État
6Le processus de construction des jeunes États africains va de pair avec le développement de l’action de la société civile. En effet, la décolonisation conduit les ONG à ne plus se focaliser seulement sur les victimes de guerre mais à participer au développement des sociétés du tiers-monde : c’est la naissance de l’aide au développement.
Les ONG comme substitut au service public
7L’aide au développement par le biais des ONG du Nord répond très souvent à des problèmes auxquels l’État ne peut faire face seul, non seulement en raison d’un manque de ressources, mais surtout du fait de la faiblesse de son organisation et de l’absence de politiques publiques efficaces. Les ONG développementalistes appuient ainsi, pour beaucoup, les acteurs du Sud à la prise en charge de leurs initiatives, sans pour autant jamais leur laisser la liberté d’initiative – a contrario, certaines ONG du Sud préfèrent l’assistanat à la liberté d’initiative, sous l’effet inhibant du manque de ressources financières et matérielles. Nées de cette approche, les organisations développementalistes vont agir à l’échelle des territoires, en se substituant petit à petit à l’État. Les institutions des pays du Sud, notamment d’Afrique subsaharienne, se complaisent dans cette situation car, pensent-ils, cela ne leur coûte pas. Les dirigeants, très présents dans les inaugurations ou réceptions d’ouvrages, ne se gênent pas, par ailleurs, pour capitaliser politiquement à des fins souvent électoralistes. Dans le même temps, la situation empire pour les pays, qui deviennent de plus en plus désorganisés. Dans certains d’entre eux, le peu d’organisation hérité de l’administration coloniale n’était pas orienté vers le développement du territoire et d’institutions locales, mais visait surtout à maintenir la domination de l’ancienne puissance. Après les indépendances, il aurait donc fallu des réformes structurelles des États et de leur fonctionnement. Cependant, le cercle vicieux créé par la dette et le comportement de certaines ONG ou entreprises mandatées depuis le Nord finissent par enchaîner les pays du Sud dans l’assistanat, ensuite renforcé par l’action des ONG du Sud, qui se sont inscrites dans le temps du Nord. La question de l’aide alimentaire d’urgence est une des illustrations les plus graves. De tout temps, le Nord semble préférer fournir une aide d’urgence plutôt que d’aider à développer et à préserver les bases productives des pays du Sud concernés. Cela se fait également avec la complicité de certaines organisations du Sud, en lien avec des lobbies privés pour entretenir cette situation qui fait marcher leur activité d’importation des denrées de première nécessité, au premier rang desquelles les produits agricoles.
La prégnance des ONG peut affaiblir l’État
8Si cet état de fait semble arranger tout le monde, il dessert profondément les États du Sud. Cette situation déresponsabilise ainsi complètement les autorités locales, qui ne prennent plus la peine de réfléchir à des stratégies endogènes de développement national. Les ONG deviennent de plus en plus les bras de l’État, qui ne se soucie plus de créer de la richesse afin de produire un service public de qualité et accessible partout sur le territoire. La floraison des ONG thématiques est une illustration de ce processus, qui perdure de nos jours et favorise des actions tous azimuts. Les effets néfastes se ressentent particulièrement au niveau de la planification économique, inexistante dans la plupart des pays du Sud. Un exemple récent est celui, financé par la coopération espagnole, qui vise à élaborer un schéma spécifique de développement économique et territorial dans le Sud du Sénégal. Il s’agit d’un projet entre le Sénégal et la Guinée-Bissau, d’une part, et entre la Gambie et le Sénégal, d’autre part, qui répond à un véritable enjeu de coopération territoriale transfrontalière. Si ce projet a le mérite d’exister du fait de la pertinence de la question abordée, il empiète cependant sur les prérogatives des États.
9Les grands bailleurs internationaux, comme le service d’aide humanitaire et de protection civile de la Commission européenne (ECHO), les Nations unies ou la Banque mondiale aggravent la situation, en confiant souvent la responsabilité de la réalisation de leurs projets aux ONG du Nord, en association avec celles du Sud, voire de l’« Est ». Ils justifient leur démarche de contournement des États par un souci de bonne gouvernance, au lieu, justement, d’appuyer l’amélioration de cette même gouvernance au niveau des institutions. Rares sont ainsi les programmes dont les États bénéficient directement pour soutenir leur organisation territoriale et l’efficacité des politiques publiques. Les dirigeants africains, qui ont choisi lors du sommet Africités de 2012 le concept de « construire l’Afrique à partir de ses territoires », ont en partie saisi la question du développement endogène, mais ne se sont pas encore suffisamment penchés sur la nécessité de développer, de manière pragmatique, des stratégies internes qui permettent à l’État et aux ONG de travailler de concert dans la définition des priorités et des modalités d’action. Le Maroc et l’Afrique du Sud sont les rares pays africains à commencer à mettre en œuvre cette logique interne, selon des démarches individuelles. Les ONG du Sud doivent donc dialoguer avec leurs États, même si elles considèrent que les politiques qui sont menées ne le sont pas toujours dans l’intérêt des bénéficiaires, sans affaiblir les pouvoirs publics (principe « do not harm »). Elles peuvent jouer un rôle tout aussi important en étant force de proposition et accompagner l’État dans la définition des politiques publiques de développement des territoires [3].
Véritables acteurs du développement ou supplétifs des acteurs du Nord ?
10Les financements du Nord favorisent-ils une domiciliation du pouvoir des ONG au Nord ? Contribuent-ils à une continuité de la domination du Nord sur le Sud ? Ces interrogations sont légitimes, car celui qui donne manifeste symboliquement le fait qu’il détient le pouvoir, en premier lieu celui de donner. Bien évidemment, cette situation ne peut perdurer, car l’action d’une ONG du Nord est limitée dans le temps et dans l’espace. Elle est idéale si le projet épouse une logique de développement et d’autonomisation. L’inscription d’un projet humanitaire dans la durabilité suppose, dès l’idée du projet, d’impliquer tous les acteurs concernés qui devront assurer la pérennisation de ce dernier, de s’inscrire dans une démarche de co-construction afin que chacun apprenne de l’autre, mais également que les acteurs du Sud puissent prendre les choses en main à un moment donné de la vie du projet. Certaines ONG du Nord ont intégré cette démarche dans leur stratégie. C’est ce qui fait dire à Sylvie Brunel que les ONG du Sud sont devenues des interlocutrices incontournables des bailleurs [4]. Cela pose néanmoins problème s’il s’agit de permettre aux acteurs du Nord d’avoir des structures organisées, dont certaines ont essentiellement pour but de capter des fonds, « et servant de paravent destiné à rassurer le financier occidental ». Si la « sphéritude » [5] est intéressante, elle n’est donc pas une condition suffisante : il ne suffit pas de recruter des salariés au Sud pour régler le problème. Cette obsession d’avoir des rapports, notamment financiers, répondant aux critères des bailleurs du Nord introduit également des lourdeurs importantes pour les acteurs du Sud [6].
11Dans les situations d’urgence, les ONG sont considérées comme indispensables et le « label Sud » permet une acceptabilité du projet associatif, même si la méfiance des populations est de plus en plus importante. Une méfiance légitime, qui part du constat que même si les acteurs sont souvent issus du Sud, très peu de financements sont mobilisés dans ces mêmes régions. Selon un adage africain, « celui qui vous prête ses yeux, vous fait regarder là où il souhaite diriger son regard ». Avec cette perfusion financière du Nord, il est tout aussi autorisé de se poser la question de savoir si les ONG du Sud sont libres des choix qu’elles font pour développer leurs territoires. Elles peuvent, en effet, jouer un rôle important dans des situations d’immédiateté humanitaire, mais pour s’inscrire dans la durabilité et opter pour un véritable développement, il est nécessaire de disposer de fonds dédiés émanant du Sud. À défaut, les ONG du Sud n’auront qu’un rôle marginal dans les stratégies de développement de leurs pays. Ce qui confirmerait l’affirmation que les ONG ne doivent de toute façon pas être considérées comme un facteur décisif du développement des pays du tiers-monde. Cela est d’autant plus vrai que ces organisations, fussent-elles du Sud, ne font que très peu participer les populations à la conception et à la réalisation des projets, ce qui ne favorise pas la confiance mutuelle, facteur essentiel d’une action de développement qui se veut un processus de long terme, inclusif et participatif. Nous assistons alors au remplacement du colon blanc par le colon « bounty ». Ce comportement, prolongé aujourd’hui par certaines ONG du Sud, crée un sentiment d’humiliation et peut être source de violences, ainsi que cela a été remarqué dans certains théâtres de guerre [7]. Il ne s’agit pas de revenir au « tout État développeur », avec ses dérives dans les années 1970, qui postulait que seul l’État pouvait développer un pays. Mais l’État doit être « stratège » : définir la stratégie conjointement avec les parties prenantes et coordonner la complémentarité des divers acteurs, dont l’intervention et les moyens humains, techniques et financiers lui sont indispensables.
12Les relations entre les ONG du Sud et celles du Nord sont, de ce fait, très variables. L’on aurait pu croire que l’absence de cadre harmonisé serait l’opportunité pour innover et adapter l’action de chaque ONG aux réalités de son territoire. À l’inverse, les ONG du Sud continuent, dans nombre de cas, de subir le diktat du Nord et parfois même le déni de l’initiative démocratique, au mépris de tous les cadres de partenariat et déclarations d’intention qui existent entre les États.
Évolutions à venir, équilibres à construire
13Même si les relations entre les donateurs du Nord et les ONG du Sud tendent à se normaliser avec la professionnalisation accrue des ONG, une translation de la relation de dominant à dominé est observable entre les ONG du Nord et leurs partenaires et homologues du Sud. Le discours des ONG du Nord évoque, pour légitimer sa démarche, le partenariat avec les institutions ou les acteurs du Sud, mais ce sont elles qui, in fine, choisissent les projets à financer et les modalités de contrôle, imposant ainsi leur pouvoir sur leurs homologues du Sud.
14L’humanitaire est devenu un métier et s’engager dans une ONG est considéré comme une voie professionnelle comme une autre, ce qui est assurément positif. Cependant, cela est également à l’origine de dérives autoritaires de la part des ONG du Nord, qui ne veulent pas perdre leur monopole, mettant en permanence les ONG du Sud dans une situation d’assistées. Cela explique, entre autres, l’engouement des ONG du Nord pour les cadres de discussion et de décision internationaux ainsi que la faiblesse de la présence des ONG du Sud dans ces mêmes cadres. Ces dernières doivent être exigeantes vis-à-vis de leurs homologues du Nord et réclamer ce qui leur appartient. À défaut, elles peuvent mettre en péril leur action, leur existence, voire même, dans certains cas, l’équilibre des démocraties balbutiantes. Il est donc nécessaire de revoir les modes opératoires, les modalités d’actions et de financements. Si l’injustice ressentie au Sud n’explique pas tout, elle aggrave les défiances vis-à-vis de l’État de droit et les violations des droits humains, alimente les haines et accentue les déchirures civilisationnelles entre les peuples. Il n’y a pas meilleur terreau pour la radicalisation idéologique, religieuse ou autre base du terrorisme.
15De ce point de vue, de nouveaux équilibres sont à construire entre le Nord et le Sud afin de permettre aux ONG du Sud de jouer leur véritable rôle, d’être efficaces et efficientes. Bien évidemment, le rôle positif des ONG doit être considéré avec humilité, car leur seule action ne saurait être facteur de développement. Il faut que cette action s’inscrive dans un contexte national ou territorial et un système d’acteurs collectifs porteur. Ces nouveaux équilibres doivent s’appuyer sur des indicateurs pertinents de représentativité et d’efficacité. Dans les organisations internationales non gouvernementales, les forums et les réseaux, les ONG du Nord sont surreprésentées. C’est un déni de démocratie, qui reproduit ce qui se passe dans les relations entre les États. À ceci près qu’il est encore plus grave dans le cas des ONG, dans la mesure où il n’y a aucune règle [8].
16Le renforcement du rôle et de la place des acteurs du Sud doit nécessairement s’accompagner d’une stratégie de renforcement des capacités de ces mêmes acteurs. Si l’on considère leur montée en puissance comme gage de durabilité des projets et de développement des territoires, il est important que ceux qui agissent au quotidien soient outillés non seulement pour appliquer des process qui ont fait leurs preuves, au Nord ou ailleurs, en les adaptant à leur propre contexte d’action. Les acteurs renforcés doivent aussi être en capacité d’innover et de construire une nouvelle relation à leur territoire, partagée et répondant de manière singulière aux besoins identifiés. Les réponses doivent être co-construites avec l’ensemble des acteurs. Dans ce contexte, il est d’une importance capitale d’avoir une approche par les compétences – techniques, interculturelles, sectorielles et analytiques.
17La première ressource pour le développement des pays du Sud n’est pas l’aide internationale, qui asservit et annihile l’initiative nationale quand elle n’est pas conçue avec les acteurs locaux dans la perspective de développement à long terme. Le renforcement des capacités des acteurs du Sud doit se faire dans une logique d’autonomisation. L’autonomie des acteurs du Sud est la seule issue qui puisse permettre de coopérer à égalité et de faire vivre le principe de subsidiarité, qui doit être la règle dans les relations entre les ONG du Nord et du Sud – sauf exceptions pouvant relever de l’urgence. Dans le cas d’une urgence humanitaire et d’une incapacité des acteurs du Sud à faire face, les acteurs du Nord doivent agir dans une démarche de co-action, apprenante, qui permette aux acteurs locaux de prendre le relais et d’assurer la suite afin que des solutions durables soient mises en œuvre.
18Le renforcement des capacités des acteurs du Sud permet aux acteurs du Nord de se remettre en cause et d’ajuster leurs modes d’action. C’est cette capacité de renouveler sans cesse ses pratiques en fonction de l’évolution des contextes qui permet de s’adapter de manière permanente. Le renforcement des capacités d’un acteur du Sud lui permet de maîtriser des modes opératoires, mais fait également naître de nouveaux besoins. Le partenaire du Nord ou du Sud doit s’adapter pour répondre à ceux-ci. Ainsi, les relations entre ONG se renouvellent sans cesse pour créer un partenariat plus équitable et plus durable.
19* * *
20Les ONG du Nord doivent revoir leurs modalités d’action pour permettre à celles du Sud de prendre leurs responsabilités et d’agir de manière durable sur leurs territoires. Il ne s’agit pas de dire que les ONG du Sud seules peuvent réussir à relever les défis, mais surtout d’affirmer que la survie de l’action des ONG du Nord et du Sud est liée. Ainsi les secondes, renforcées, doivent prendre leurs responsabilités. Une expression wolof signifie « ce qui t’appartient, ce que tu partages avec d’autres, et ce à quoi on t’a associé ». Trois modalités d’action qui doivent être le fil conducteur de tout partenariat. D’abord, sans organiser ce qui nous appartient, il est impossible de le valoriser ni de le proposer de manière efficace dans un partenariat. Il faut le prendre en charge, sans attendre personne. Ensuite, il est nécessaire de réclamer sa part dans ce qui est partagé et de s’en occuper. Enfin, lorsque l’on est associé, il faut attendre que la part nous soit confiée pour s’en occuper. Les ONG du Sud ne doivent plus attendre pour agir durablement dans les territoires projets ou d’action. Les acteurs du Sud doivent rompre avec la stratégie de la main tendue et promouvoir des solutions endogènes, facteurs de développement durable. Elles doivent donner le tempo et organiser le récit qui guide l’action des territoires pour les rendre plus lisibles, plus accessibles, sans jamais insulter la mémoire de ces dernières, construites avec leurs homologues du Nord.
Notes
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[1]
Résolution 288(X) du Conseil économique et social des Nations unies du 27 février 1950.
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[2]
Résolution 43/131 de l’Assemblée générale des Nations unies du 8 décembre 1988, A/RES/43/131.
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[3]
Voir Direction générale de la coopération au développement (DGCD), ACODEV et COPROGRAM, « Groupe de pilotage DGCD-ONG », Bruxelles, 3 avril 2009.
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[4]
Sylvie Brunel, La coopération Nord-Sud, Paris, Presses universitaires de France, 1997.
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[5]
Référence aux méthodes « sphère » ou « compas », développées pour l’optimisation économique des entreprises et utilisées par les ONG dans leur gestion.
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[6]
Voir Gérard Perroulaz, « Le rôle des ONG dans la politique de développement : forces et limites, légitimité et contrôle », Annuaire suisse de politique de développement, vol. 23, n° 2, 2004, pp. 9-24.
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[7]
Voir Jean-Christophe Rufin, Le piège humanitaire. Quand l’humanitaire remplace la guerre, Paris, JC Lattès, 1986.
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[8]
Voir Henri Rouillé d’Orfeuil (Coordination Sud) et Jorge Eduardo Durão (ABONG), « Rôle des ONG dans le débat public et les négociations internationales. Éléments pour la définition d’une diplomatie non gouvernementale », septembre 2003.