Notes
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[1]
« Qui au Panthéon ? », France Inter, 13 septembre 2013.
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[2]
« Pas de H et deux C », France Inter, 18 octobre 2013.
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[3]
« L’honneur de ne pas te demander ta main … pour tous », France Inter, 18 janvier 2013.
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[4]
« Papa », France Inter, 27 avril 2012.
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[5]
« Bon week-end », France Inter, 2009.
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[6]
« À quoi ils pensent ? », France Inter, 25 novembre 2011.
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[7]
Voir « Les aptonymes », France Inter, 5 avril 2013. Un aptonyme est un patronyme pouvant sembler prédestiné car lié au métier ou à l’occupation de celui qui le porte.
1Robert Chaouad, Bastien Alex Et Marc Verzeroli – Nous sommes toujours intéressés par la traditionnelle question du parcours. Comment devient-on un artiste comme François Morel ?
2François Morel – Avec beaucoup de travail (sourire). Je viens d’un petit village de Basse-Normandie, un peu loin de Paris, mais mon père travaillait à la SNCF, on avait donc des billets gratuits pour aller à Paris et d’énormes possibilités pour voyager. De temps en temps, mon père nous emmenait au Salon de l’auto et j’allais voir la Maison de la radio. Une fois, j’avais vu Jean Bardin, l’un des collaborateurs de Pierre Bellemare, qui m’avait épaté alors qu’il n’était pourtant pas d’un charisme fou.
3Fasciné par le monde du spectacle et ayant envie d’être sur scène, j’ai fait une maîtrise de lettres à Caen pour approcher le théâtre, mais d’une façon peut-être un peu théorique. Après l’obtention de la maîtrise, l’angoisse de me dire « je vais être professeur de théâtre ou de français, j’aurai un atelier théâtre entre 12 h 30 et 13 heures et je serai désagréable avec les enfants parce que je n’aurai pas réussi à me faire confiance et à vivre ma passion d’être sur une scène et de faire du spectacle » m’a poussé à passer le concours de la rue Blanche, qui était alors l’une des trois écoles nationales gratuites – j’étais d’un milieu plutôt modeste, donc je n’avais pas du tout la culture des cours privés. Il y avait trois écoles : Strasbourg, qui me paraissait trop loin géographiquement, le Conservatoire national supérieur de Paris, trop prestigieux, et l’école de la rue Blanche, où étaient passés Jean Rochefort, Michel Serrault, Guy Bedos : c’était pour moi.
4J’ai eu le concours, et je semblais sans doute être une personne atypique et intéressante car Brigitte Jacques, qui est metteur en scène, m’a repéré et a eu envie de travailler avec moi. En trois ans rue Blanche, je me fais quelques copains. Nous faisions des spectacles comiques de café-théâtre avec une amie, Marina Tomé. Nous allions aussi jouer à EDF, dans des maisons de la culture, des petits lieux où l’on présentait des sketchs comiques. Je connais aussi une bande : Michel Cerda, Jean-Marie Blin, des gens qui travaillent sur des textes plus exigeants, comme Heinrich von Kleist ou William Faulkner, notamment une très belle adaptation de Tandis que j’agonise.
5C’est avant votre rencontre déterminante avec Jérôme Deschamps ?
6François Morel – Oui, je fais un peu mon trou, puis j’écris une lettre à Jérôme Deschamps parce que je trouve ses spectacles formidables. J’avais un tempérament comique, mais pas vraiment envie de jouer dans des boulevards ou des vaudevilles. Ses spectacles me paraissaient à la fois drôles, intéressants et bouleversants. J’adorais son univers, que je trouvais original, j’avais envie d’être là. Il me convoque pour un stage et je raconte une histoire : je fais le type très velléitaire, je lui dis que mes parents sont en instance de divorce, que mon père a une fromagerie qu’il voudrait que je reprenne – la fromagerie Morel apparaît à ce moment-là –, que ma mère est chanteuse dans des cabarets et voudrait que je devienne artiste, et que j’essaie donc de rencontrer des artistes. Je fais le type passionné par rien et je dois être très crédible parce que tout le monde pense que c’est ma vraie histoire. Certains sont un peu consternés et se disent « tant de gens ont envie de travailler avec J. Deschamps et c’est finalement cet imbécile, qui vient de nulle part et hésite entre la fromagerie et les métiers artistiques ». Je rencontre donc J. Deschamps, ainsi que M. Makeïeff. Quelques années plus tard, il m’appelle pour faire un spectacle, Lapin chasseur. Entre temps, Jean-Michel Ribes me propose un rôle dans Palace, et même de participer à l’écriture de mon personnage, ce qui est très agréable parce qu’il m’a tout de suite fait confiance. Ensuite, j’enchaîne les spectacles avec J. Deschamps : Les Frères Zénith, Les Pieds dans l’eau, C’est magnifique. Cela fait dix ans de ma vie.
7Trois ou quatre ans plus tard, on commence à travailler devant une caméra et nos petits films sont repérés par Antoine de Caunes, Philippe Gildas et Pierre Lescure. Les Deschiens commencent à être un peu connus. Puis, le parcours continue. Après dix ans, on a envie de faire autre chose, de ne pas être enfermé, de ne pas jouer un seul personnage qui serait le Monsieur Morel des Deschiens, ce type un peu perdu et atrabilaire que j’incarne en m’inspirant sans doute de certains membres de ma famille, de gens que j’ai rencontrés quand j’étais petit. L’envie aussi de raconter mes propres spectacles, avec l’incertitude de savoir le faire ou de pouvoir en écrire. Je fais Les habits du dimanche, qui marche plutôt bien, qui a bonne presse, qui se joue même pas mal de temps au théâtre de la Renaissance. Je l’arrête à 300 représentations, j’aurais pu le jouer encore mais je me dis qu’il faut que j’arrête parce que sinon, je n’aurais été capable de faire qu’un seul spectacle. Je m’oblige donc à en faire d’autres. À ce moment-là, j’angoissais et je me disais « seras-tu capable de faire plusieurs spectacles ? » Ensuite, je me suis plutôt demandé si j’aurais le temps de faire tous les spectacles que j’ai envie de faire.
8Étiez-vous déjà attiré par l’écriture avant d’arriver à l’École de la rue Blanche ? De manière générale, est-ce un exercice qui vous semble difficile ? Vous avez récemment fait une chronique assez amusante sur le Panthéon [1], vous amusez-vous vraiment en les écrivant ?
9François Morel – Je m’y intéressais avant. À l’école, je ne faisais d’efforts que sur ce qui m’intéressait, donc peu sur les mathématiques, la physique, la chimie, où j’étais vraiment très mauvais. Mais j’aimais bien le français et écrire. Quand j’ai débuté les spectacles en amateur, j’ai commencé à écrire des sketchs et d’autres choses.
10Parfois, cela vient assez rapidement, comme la chronique sur le Panthéon : c’était presque un jeu d’écriture, avec des allitérations. D’ailleurs, un ami m’a dit qu’on pourrait en faire une chanson. Il fallait que j’écrive deux chroniques pour le lendemain parce je tournais la semaine suivante. Il y a des moments où l’on est dans les starting-blocks : si je dois écrire, j’écris et quelque chose peut se mettre en place. Mais, à chaque fois que je pars sur un sujet, je me dis « qu’est-ce que j’ai à raconter là-dessus ? » En même temps, je crois qu’il est mieux de ne pas avoir trop de recettes, justement pour avoir un peu de fraîcheur et ne pas reproduire toujours la même chose.
11Vous êtes aujourd’hui un artiste multicarte : comédien, acteur, metteur en scène, écrivain, chroniqueur de radio, chanteur. Accordez-vous une fonction sociale particulière à l’artiste ?
12François Morel – Je pense que l’on est assez importants, en tout cas pour les gens qui viennent nous voir. Je crois que parfois, on donne un peu de courage, de pêche, de consolation, d’humour. Ce sont les spectacles que j’ai envie de faire à présent : apporter vraiment quelque chose aux gens. Je trouve l’actualité et le monde assez anxiogènes, donc on apporte quelques petites respirations, des choses un peu positives pour recharger les gens et leur donner du courage. Et à nous aussi en même temps, parce que c’est un rapport, un échange. Je ne sais pas si c’est une fonction, mais je fais ce que je peux.
13Avoir pour ambition de donner du courage aux gens ne relève-t-il pas d’un engagement ?
14François Morel – Forcément, c’est un engagement. Si des gens sont attachés à ce que je fais, c’est parce qu’ils sentent que je suis sincère dans ma démarche. Même s’il y a différentes activités, je pense que l’on peut retrouver la même personne et qu’on le ressent entre les chansons ou les chroniques, les spectacles ou les mises en scène. Il y a quelque chose d’assez cohérent dans tout ça. Mais je ne suis pas « touche-à-tout » ; après tout, il y a beaucoup d’activités que je ne fais pas : je n’ai pas encore fait de lancer de nain, de braquage à main armée ou encore de basket (sourire).
15Comment la réalité du monde vous influence-t-elle ?
16François Morel – Le fait d’écrire des chroniques m’oblige à me brancher encore plus sur l’actualité. J’écoute encore plus la radio qu’avant, je lis plus de journaux, parce que je suis toujours à la recherche d’une idée à partir de laquelle je pourrais un peu raconter le monde à ma façon.
17J’essaie de distiller de petites surprises et que l’on ait envie de m’écouter jusqu’au bout quand je commence ma chronique. Certaines sont complètement dans la fantaisie, dans l’humour, d’autres peut-être un peu plus branchées sur la réalité sociale, dans lesquelles j’imagine la vie de gens dans leur quotidien avec la violence actuelle du monde social.
18Ce n’est pas une obligation, mais j’aime quand le monde apparaît un peu à travers mes chroniques. Ce matin, par exemple, c’était un truc complètement déconnant, amusant, un jeu avec Natalie Dessay [2]. Elle est chanteuse et je suis comédien, rien de plus. En tout cas, j’essaie de faire en sorte qu’il y ait toujours un respect du public, je ne me moque pas des gens. Mais, finalement, ma fonction, c’est juste de bien faire mon travail.
19La qualité de l’écriture est-elle une manière de montrer ce respect ?
20François Morel – Oui, et il y a parfois des ruptures. « Ferme ta gueule, Nadine Morano » n’est pas la plus belle phrase de la littérature, mais a un effet de surprise parce que, justement, ce n’est pas là où l’on m’attend, ce qui permet d’attirer l’attention de l’auditeur. J’essaie d’être sincère, et aussi, par exemple, de ne pas insulter ouvertement Nadine Morano, parce que c’est un peu se réconforter avec des gens qui pensent de la même façon. En plus, à la radio, à 8 h 55, je parle à des gens de droite, de gauche, d’extrême droite, d’extrême gauche, et j’essaie de faire en sorte que tous puissent avoir envie de m’écouter jusqu’au bout. Je ne pense pas à l’extrême droite, jamais, mais j’aurais envie que quelqu’un qui ne pense pas comme moi, qui pense même le contraire, ait envie de m’écouter jusqu’au bout parce que c’est encore à cela que sert la parole, la communication : à ce que l’on se parle et s’écoute un peu.
21J’avais fait une chronique au moment de la polémique sur le mariage pour tous, où j’imaginais la situation dans trente ou quarante ans, quand cela serait complètement rentré dans les mœurs [3]. Je pense qu’elle peut faire réfléchir des gens qui y sont fondamentalement opposés, parce que même une dame catholique très à droite a peut-être un petit neveu homosexuel pour qui elle a quand même de la tendresse. Mettre cela en valeur peut faire que l’on s’écoute un peu, que l’on se comprenne. J’ai récemment discuté avec le maire de mon village, qui est dupont-aignaniste, donc fondamentalement contre le mariage pour tous. Il me dit qu’il a marié deux femmes, puis discuté avec elles, leur disant qu’il est fondamentalement opposé au mariage homosexuel, mais qu’il le fait car il est républicain et respecte la loi. Il leur demande pourquoi elles se marient ; elles lui répondent qu’elles sont ensemble depuis vingt ans, qu’elles se sont entraidées tout ce temps et que si l’une disparaissait, l’autre n’avait rien. Ce maire de droite, anti-mariage pour tous, comprenait alors tout à fait les raisons de ces deux femmes et avait peut-être évolué dans sa pensée. Je trouve que c’est un peu à cela que sert une chronique : à mettre un peu d’humanité dans nos réflexions.
22De l’artiste à humoriste, quel regard portez-vous sur la manière dont on fait de l’humour aujourd’hui ?
23François Morel – J’avoue que je regarde assez peu la télévision. Il y a des choses qui me font rire mais ce que j’aime chez les artistes, ce sont leurs spécificités, le fait que chacun soit différent. Or, il y a parfois quelque chose d’un peu commun, où l’on a l’ironie facile ou méchante. Beaucoup de gens reproduisent mal certains engagements de grands humoristes comme Raymond Devos ou Pierre Desproges. Il y a quelque chose d’un peu convenu, méchant, systématiquement cynique et sans personnalité. Mais il y a des gens qui ont du talent et qui font bien leur travail, qui écrivent bien et qui sont drôles, par exemple Walter. L’humour ne doit pas être convenu mais surprenant. Il y a parfois une sorte de robinet d’eau tiède d’humour et c’est un peu ennuyeux, mais on n’est jamais à l’abri de tomber soi-même dans ces travers.
24Quelles sont vos références, des gens, des lectures ou des comédiens qui ont compté et vous ont donné envie de faire ce travail ?
25François Morel – Ceux que j’ai cités : Pierre Desproges, Guy Bedos, Raymond Devos. R. Devos, pour l’exigence, pour le goût du spectacle, pour quelque chose d’hyper chaleureux qui transpirait du spectacle, dont on sortait assez heureux. Je n’aime pas forcément les spectacles où l’on entend des blagues pendant une heure et demie. On peut rire, mais s’il n’y a que de la blague, on n’est pas très fier d’avoir rigolé. Je vais plutôt au théâtre pour grandir, pour être grandi, je n’ai pas envie que l’on me parle pendant une heure et demie de Jean-François Copé, Nadine Morano ou je ne sais qui, parce qu’on les voit déjà tellement à la télévision, ils occupent déjà tellement les conversations, les journaux que l’on a parfois envie de s’élever un peu. C’est un peu contradictoire avec, par exemple, le bonheur que j’avais eu d’être à Bobino en avril 1981 et de voir G. Bedos détruire Valéry Giscard d’Estaing avec un appétit, une cruauté, une drôlerie et une élégance formidables. Peut-être que le monde évolue : on a eu l’impression de pouvoir tout dire à une époque, ce qui n’est pas forcément vrai, mais il faut dire les choses au bon moment, d’une façon juste et proche de soi. L’un des spectacles qui m’a le plus ému, c’est peut-être Zouc, une comédienne suisse dont les spectacles, qu’elle faisait seule, étaient d’une drôlerie incroyable et nous faisaient rire avec une sincérité inouïe. Elle parlait de la maladie, de la mort, de la vieillesse, de sujets très lourds et nous faisait rire. Elle nous rendait peut-être plus humains, plus profonds, nous chargeait d’une belle émotion humaine, et cela me manque parfois. Si je vais voir des spectacles de gens doués, mais qui ne font que des imitations, c’est rigolo sur le coup, mais je les oublie aussitôt. Alors que j’apprécie de voir un spectacle qui me charge pour les jours suivants.
26On le retrouve dans votre travail : il y a quelque chose de poétique dans votre écriture qui participe au fait de s’élever, d’être grandi, de se sentir grandi.
27François Morel – Je me méfie du mot. Peut-être y en a-t-il, tant mieux s’il y a un peu d’humour et, de temps en temps, un peu de poésie, de légèreté. J’aimerais bien qu’il y en ait davantage, parce que le monde est lourd, alors si le matin entre 7 et 9 heures, il y a un peu de sourires, de réconfort, ce n’est pas si grave. Je ne cherche pas la poésie, mais cela fait écho à des choses. J’ai, par exemple, écrit un texte sur mon père dans lequel je parlais de toutes les élections présidentielles à partir de 1965 [4]. En 1965, il est fondamentalement pour François Mitterrand. Un soir, il rentre, peut-être a-t-il pris plusieurs apéritifs, et met l’affiche de F. Mitterrand sur le mur de la maison, j’ai honte. Des souvenirs personnels qui doivent faire écho à beaucoup de gens qui ont eu un père un peu de gauche dans un petit village de droite catholique. C’est la grande histoire qui rejoint la petite histoire des gens. En 1969, il est écœuré qu’Alain Poher se retrouve face à Georges Pompidou et qu’il n’y ait pas un représentant de la gauche au deuxième tour. En 1974, il n’est pas pour V. Giscard d’Estaing mais trouve qu’il est quand même intelligent ; il est né la même année, alors cela crée des liens. En 1981, il est content quand F. Mitterrand est élu. Je racontais donc cela, la vie des gens pendant des dizaines d’années à travers les élections présidentielles, qui renvoient un peu aux souvenirs de chacun même si on les a vécu autrement, le temps qui passe. Je ne sais pas si c’est poétique mais je crois que c’est humain. Beaucoup de gens m’ont dit qu’au contraire, leur papa gaulliste ne supportait pas F. Mitterrand. Ce sont presque des fables ; à partir d’un petit truc particulier, j’ai fait une chronique dont j’étais assez content, peut-être poétique. Mais ce qui est formidable, c’est que j’ai une liberté totale à France Inter. Si je veux être pénible, je le suis, si je veux être profond, triste, mélancolique, j’ai le droit : je fais exactement ce que je veux.
28J’ai aussi souvenir d’un type qui, quand je rentrais chez moi le vendredi, était sur un pont sur l’A15 avec un grand panneau « bon weekend à tous » [5]. Je m’imaginais la vie de ce type, complètement en dehors de l’efficacité que l’on réclame aux gens, qui sort pour écrire un petit mot de gentillesse. À partir de cet exemple, je racontais un peu ce qui était angoissant dans nos sociétés, et j’en étais assez fier. Même si elle ne provoque pas d’éclats de rire, il y a toujours un point de vue. On aurait pu, avec cynisme et méchanceté, facilement détruire ce type, mais cela me touche plus d’en faire plutôt un héros contemporain, un héros de l’inutile.
29Vous êtes souvent en empathie avec les gens et les parcours que vous décrivez. Est-ce une manière de changer le regard sur les choses, de surplomber pour porter un jugement ?
30François Morel – Oui. Par exemple, j’ai fait une chronique sur les ouvriers licenciés de Condé-sur-Noireau [6]. J’essayais de raconter la vie d’une famille, avec la petite fille qui a mal au ventre parce qu’elle sent ses parents terriblement angoissés, le père qui se remet à fumer, toutes les difficultés humaines qu’on ne lit pas forcément quand on voit « 500 licenciements chez … », qu’on ne lit pas dans les chiffres de l’économie.
31Même quand je suis sur une scène de théâtre, je sens que je suis l’un des spectateurs, je suis dans la salle et puis je monte parce que j’ai préparé quelque chose, mais je reviens ensuite dans la salle, je ne suis pas au-dessus. Je suis aussi un acteur de proximité, comme il y a des commerces de proximité (sourire).
32Pour prendre un peu le large, utilisez-vous beaucoup l’actualité internationale dans vos différents travaux ? Vos chroniques, replacées dans d’autres pays, pourraient s’apparenter à quelque chose d’universel.
33François Morel – Je suis très franco-français. J’ai du mal avec les langues étrangères. Mes chroniques n’ont jamais été traduites, mais mon livre Hyacinthe et Rose l’a été en italien et va bientôt paraître au Brésil. Je suis très content parce que c’est une histoire vraiment rurale d’un enfant avec ses grands-parents, avec un côté très terroir, qui se situe au-dessus de la Loire : c’est l’enfance à la campagne d’une certaine génération. C’est amusant que cela puisse se déplacer, mais pour les chroniques, il faudrait faire un choix : certaines le pourraient, d’autres sont trop sur l’actualité française. Je ne me suis jamais posé la question. Je pense que cela peut marcher quand il y a un côté fable, notamment le monsieur du week-end ou l’histoire de Condé-sur-Noireau, qui pourrait aussi être une petite ville d’Allemagne ou d’ailleurs.
34Quant à l’actualité internationale, je ne l’ai pas suffisamment intégrée pour en parler. Mais cela m’intéresse, par exemple j’aime beaucoup écouter Bernard Guetta et, souvent, ce qu’il dit me touche. Il a récemment fait un papier formidable sur l’Afrique du Sud. Il m’apprend beaucoup de choses. Je ne pourrais pas faire cette chronique parce que je n’ai pas une culture politique internationale suffisamment développée pour avoir des choses à dire.
35Jouez-vous vos spectacles à l’étranger ?
36François Morel – Oui, en Suisse et en Belgique (sourire), mais c’est à peu près tout. Ils sont tout de même basés sur la parole. À l’époque de J. Deschamps, certains spectacles tournaient beaucoup à l’international parce que c’était très burlesque, ce n’était pas basé sur la parole. On a joué Les Frères Zénith en Amérique du Sud et dans tous les pays d’Europe de l’Est. C’était assez amusant d’ailleurs : quand on jouait en Hongrie, les gens nous disaient « c’est incroyable, c’est exactement la Roumanie », et quand on jouait en République tchèque « ne cherchez pas, c’est la Hongrie », etc. C’était rigolo, chacun reconnaissait son voisin, comme souvent d’ailleurs dans l’humour.
37Qu’avez-vous envie de traiter à travers votre spectacle La fin du monde est pour dimanche ?
38François Morel – L’existence. Faire un spectacle drôle et existentiel parce que cela rejoint ce que je disais tout à l’heure : on a envie de sortir d’un spectacle avec du courage. J’ai toujours pensé que quand on va au théâtre, on se rassemble parce que l’on a peur de mourir. Finalement, l’idée de la mort, de la fin fait que l’on se réunit dans des églises, dans des théâtres pour se donner un peu de courage. Dans les plus belles émotions que j’ai eues au théâtre, que ce soit Zouc, les Petits pas de J. Deschamps ou la Cerisaie d’Anton Tchekhov montée par Peter Brook, il y a à chaque fois l’idée de la fin, de la mort. J’avais justement envie de parler de cela, avec une métaphore qui était « la fin du monde est pour dimanche ». On a tous une semaine dans la vie, avec un dimanche à la fin. Un grand-père parle à son petit-fils et lui dit qu’il est à lundi. De son côté, il ne sait pas si c’est vendredi soir ou samedi matin, mais il sent que c’est plutôt la fin de la semaine. Il dit au petit que son père est à mercredi, que sa mère également mais qu’elle veut faire croire qu’elle est à mardi. C’est une métaphore sur le temps qui passe, sur le vieillissement, l’âge et l’issue fatale, mais avec un peu de légèreté et un peu de courage, j’espère.
39Y a-t-il justement des thèmes que vous ne voulez pas traiter dans vos chroniques, parce que vous les savez trop lourds ?
40François Morel – J’essaie toujours, je me lance des idées, puis je me dis « celle-ci n’est pas bonne » ou « c’est tellement plombant qu’on va arrêter ». En même temps, ce n’est pas le sujet qui est plombant, mais plutôt mon regard. À chaque fois, la question de l’angle se pose : il s’agit d’être un peu drôle et intéressant pendant trois minutes trente, c’est le petit pari. Mais je n’exclus aucun thème d’emblée. J’essaie d’avoir une petite conscience de ce que je fais et de ce que cela peut provoquer. J’ai lu récemment un article de François Reynaert dans Le Nouvel observateur qui m’a intéressé et que je trouvais assez juste, traitant du fait qu’il fallait arrêter de dire « cela fait le jeu de Marine Le Pen » à chaque problème, parce que c’est aussi une façon de la mettre au centre de toutes les préoccupations alors qu’on lui donne peut-être une importance un peu énorme puisque si elle était aux affaires, on se rendrait assez vite compte que son système ne fonctionne pas. J’essaie donc toujours de faire que ce soit intéressant et d’essayer d’être proche de ce que je suis, de ce que je peux penser. J’essaie aussi de ne pas être contre-productif. Je pense que si l’on est trop violent, on fait parfois le jeu des gens que l’on n’aime pas, en victimisant certaines personnes à qui l’on donne trop d’importance.
41Vous n’avez pas cité Manuel Valls dans votre chronique sur les aptonymes [7].
42François Morel – Ce n’est pas exactement un danseur mondain, je vous fais remarquer (sourire). Sur les Roms, il y a un prêt-à-penser de gauche qui, parfois, peut m’agacer. Récemment, en Bretagne, j’ai vu une communauté de Roms occuper un terrain de foot, c’est anormal, bien sûr. Il faudrait savoir où se trouve le plus proche terrain destiné aux gens du voyage. Il faudrait aussi que les jeunes footballeurs de la commune puissent jouir de leur terrain. Un lieu pour les Roms dans chaque commune est peut-être exagéré. En prévoir au niveau des communautés de communes serait peut-être suffisant. Définir les règles de la République et exiger que chacun les respecte. J’avoue que c’est plus facile à dire qu’à faire. C’est plus facile d’en faire une chronique !
43Pour revenir sur ce que vous avez évoqué à plusieurs reprises, qu’est-ce qui vous angoisse dans le monde et dans la société d’aujourd’hui ?
44François Morel – D’une manière générale, je sens que les rapports sont violents, que l’on est de plus en plus exigeant vis-à-vis des gens et qu’on les traite de plus en plus mal. On les oblige à vivre des choses assez difficiles. Quand on voit les gens dans le RER, dans le métro, on sent quelque chose de pas très gai. Ce sont des banalités totales, mais il y a des gens pour qui ça va de mieux en mieux et d’autres pour qui c’est de pire en pire, qui sont de plus en plus méprisés, écrasés. Je fais partie de la France qui va bien, mais cela me choque un peu. On fait croire aux gens que la solution est de travailler le dimanche, on leur demande toujours plus, il y a là une réelle violence. Prenez le mariage pour tous : on donnait des droits à des gens mais on n’en retirait à personne, pourquoi ne pas laisser vivre les gens comme ils veulent s’ils sont respectueux des autres ?
45le 18 octobre 2013.
Notes
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[1]
« Qui au Panthéon ? », France Inter, 13 septembre 2013.
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[2]
« Pas de H et deux C », France Inter, 18 octobre 2013.
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[3]
« L’honneur de ne pas te demander ta main … pour tous », France Inter, 18 janvier 2013.
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[4]
« Papa », France Inter, 27 avril 2012.
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[5]
« Bon week-end », France Inter, 2009.
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[6]
« À quoi ils pensent ? », France Inter, 25 novembre 2011.
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[7]
Voir « Les aptonymes », France Inter, 5 avril 2013. Un aptonyme est un patronyme pouvant sembler prédestiné car lié au métier ou à l’occupation de celui qui le porte.