Notes
-
[1]
Pierre Py, Le tourisme. Un phénomène économique, Paris, La Documentation française, 2002.
-
[2]
Voir Boris Martin (dir.), Voyager autrement. Vers un tourisme responsable et solidaire, Paris, Éditions Charles Léopold Mayer, 2004 ; Françoise Perriot, Agir pour voyager autrement. Le guide des nouvelles solidarités, Paris, Le Pré aux Clercs, 2005 ; Marie-Andrée Deslisle et Louis Jolin, Un autre tourisme est-il possible ?, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2007 ; Marie-Paule Eskénazi, Le tourisme autrement, Montréal, Béliveau, 2008 ; Jean-Pierre Lamic, Tourisme durable : utopie ou réalité ? Comment identifier les voyageurs et voyagistes écoresponsables ?, Paris, L’Harmattan, 2008 ; et Isabel Babou et Philippe Callot, « L’urgence d’un autre tourisme », Espaces tourisme & loisirs, n° 263, octobre 2008, pp. 14-19.
-
[3]
Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), Changements climatiques 2007. Rapport de synthèse, Genève, 2008.
-
[4]
Interview de Michel Serres, « La fin du pétrole n’est pas l’apocalypse », Le Figaro, 26 septembre 2005.
-
[5]
Voir Jean-Paul Céron et Ghislain Dubois, « Le tourisme dans l’outre-mer français face à la contrainte carbone », in Nathalie Fabry et Sylvain Zeghni (dir.), Mondes en développement, n° 157, 2012/1, pp. 11-28.
-
[6]
Ban Ki-moon, in Comité 21, Agir ensemble pour un tourisme durable. Un guide pour informer, sensibiliser, encourager et passer à l’action, 4 septembre 2008, p. 3.
-
[7]
Jean Viard, Court traité sur les vacances, les voyages et l’hospitalité des lieux, La Tour d’Aigues, Éditions de l’Aube, 2006.
-
[8]
Ibid.
-
[9]
Voir Rodolphe Christin, Manuel de l’antitourisme, Paris, Editions Yago, 2008 ; et Philippe Callot, in François Bost et Sylvie Daviet (dir.), Entreprises et environnement. Quels enjeux pour le développement durable ?, 2011, Presses universitaires de Paris Ouest, pp. 65-84.
-
[10]
Jean-Paul Céron et Ghislain Dubois, Demain le voyage. La mobilité de tourisme et de loisirs des Français face au développement durable. Scénarios à 2050, Rapport d’étude PREDIT, Ministère des Transports, de l’Équipement, du Tourisme et de la Mer, mai 2006, p. 7.
-
[11]
Jean-Pierre Lamic, Tourisme durable : utopie ou réalité ? Comment identifier les voyageurs et voyagistes écoresponsables ?, Paris, L’Harmattan, 2008.
-
[12]
Paul Morand, Le voyage, Paris, Hachette, 1964.
-
[13]
Voir Marc Boyer, Le tourisme de masse, Paris, L’Harmattan, 2007.
-
[14]
Ghislain Dubois, « Le long chemin vers le tourisme lent », Cahier Espaces, n° 100, mars 2009, pp. 80-84.
-
[15]
Voir Daniel Scott, Paul Peeters et Stefan Gössling, « Can tourism deliver its “aspirational” greenhouse gas emission reduction targets? », Journal of Sustainable Tourism, vol. 18, n° 3, avril 2010, pp. 393-408.
-
[16]
Sylvain Allemand, Les nouveaux utopistes de l’économie. Produire, consommer, épargner … différemment, Paris, Autrement, 2005, p. 188.
-
[17]
Jean-Didier Urbain, L’envie du monde, Paris, Bréal, 2011.
-
[18]
Avion développé par Bertrand Piccard et André Borschberg.
-
[19]
À noter le projet d’hôtel de Jean-Marie Massaud pouvant recevoir 50 voyageurs et 25 membres d’équipage (Manned Cloud).
-
[20]
Olivier Razemon, « Les 1 001 manières insolites de voyager », Blog L’interconnexion n’est plus assurée, Le Monde.fr, 12 février 2013.
-
[21]
Carl Honoré, Éloge de la lenteur, et si vous ralentissiez ?, Paris, Marabout, 2007.
-
[22]
Robert Louis Stevenson, Voyage avec un âne dans les Cévennes, Paris, Flammarion, 1878.
-
[23]
Isabel Babou et Philippe Callot, Que serait le tourisme sans pétrole ?, Paris, L’Harmattan, 2012.
-
[24]
Voir Isabel Babou et Philippe Callot, « Slowtourism, slow (r)évolution ? », Cahier Espaces, n° 100, mars 2009, pp. 48-54.
-
[25]
Carl Honoré, op. cit.
-
[26]
Jean Viard, op. cit.
-
[27]
Voir Jean-Didier Urbain, Les vacances, Paris, Le Cavalier Bleu, 2002.
-
[28]
« Baisse de la fréquentation du mont Saint-Michel depuis le lancement des navettes », Le Monde.fr, 13 août 2012.
-
[29]
Commission des communautés européennes, Livre vert. Promouvoir un cadre européen pour la responsabilité sociale des entreprises, COM (2001) 306 final, 18 août 2001, p. 4.
-
[30]
Anne-Marie Codur et Jacques Véron, « Les méthodes d’analyse de la relation entre population et environnement : des nombres aux systèmes », XXVe Congrès général de la population, Tours, 18-23 juillet 2005.
1Le nombre d’arrivées de touristes internationaux vient de dépasser le seuil du milliard (1,035 milliard). En un peu plus de soixante ans, le nombre de touristes internationaux a donc été multiplié par 40. Il a crû de 4 % entre 2011 et 2012 selon l’Organisation mondiale du tourisme (OMT), qui prévoit la même croissance pour 2013. Ces données en cachent d’autres, comme celles du tourisme domestique qui, selon Pierre Py [1], correspond à des flux dix fois supérieurs. C’est donc dans un contexte étonnamment dynamique, du fait de la massification du phénomène et de ses impacts, que se pose la question de la durabilité de ce secteur.
2Le secteur touristique se démarque par le fait que les crises financières, géopolitiques ou les catastrophes ponctuelles ne semblent affecter ni les chiffres ni l’optimisme ambiant. La quête d’une soutenabilité faite de responsabilité et d’éthique, ainsi que l’émergence d’autres formes de tourisme en sont également des caractéristiques marquantes. On parle ainsi de tourisme solidaire, équitable, responsable, communautaire, volontaire, alternatif ou plus simplement durable, le terme qui semble faire consensus étant le qualificatif « autre » [2], qui n’est d’ailleurs pas exclusif au secteur. En effet, avec le constat d’un changement climatique sous la pression des activités humaines [3], la question des responsabilités – climatique, environnementale, économique, sociale et sociétale – s’inscrit comme une ligne de rupture avec les habitudes prises. Les pratiques consuméristes et les comportements du xxe siècle doivent évoluer, afin de réduire notre contribution aux émissions de gaz à effet de serre (GES), et de faire face aux enjeux du changement climatique en marche et susceptible de s’accélérer. En ce sens, « la fin du pétrole n’est pas l’apocalypse » [4], elle représente même une opportunité de prendre de nouvelles habitudes citoyennes et de permettre la naissance de nouveaux business models, de valeurs clients renouvelées (liens sociaux enrichis, temps pour soi …), de nouveaux paradigmes (slow tourism, tourisme de proximité).
Tourisme, énergie et transport : un cocktail forcé
Le tourisme est d’abord voyage
3La contribution du tourisme aux émissions globales de CO2 se situe entre 4 et 6 % du total mondial [5], 72 % des émissions du secteur étant dues aux transports aériens et routiers et 21 % à l’hébergement. Selon les propos de Ban Ki-moon, secrétaire général des Nations unies, « nous devons changer nos modes de vie et repenser notre façon de voyager » [6]. Précisons qu’il s’agit avant tout de « nos modes de vie » occidentaux, car là est la question centrale : le tourisme est, selon Jean Viard, un « déplacement dans l’espace, […] la quête d’un temps autre pour se retrouver soi-même [où] les vacances et les voyages demeurent de fantastiques espaces et temps de vie » [7], mais l’est-il pour tous ? L’auteur va plus loin quand il pose la question de la stigmatisation du secteur. « Mais est-il pour autant légitime de faire du tourisme une dimension à part de la réflexion générale ? Nous n’en voyons pas les raisons » [8]. Certes le tourisme ne contribue qu’à hauteur de 5 % des émissions. Mais, bien souvent, la destination touristique oblige le consommateur à voyager (chutes du Niagara, pyramides en Égypte, temples, parcs, sites emblématiques, etc.) pour, in situ, humer, toucher, capter les images. En cela, le tourisme est déjà différent. Alors que les marchandises parviennent au consommateur, c’est la personne qui se rend sur les lieux s’agissant du tourisme. De plus, ce secteur n’est ni global, ni universel ; il demeure élitiste et réservé aux pays fortement développés, même si l’on parle de touristes internationaux.
4La massification du tourisme, avec ses impacts [9], peut-elle devenir vertueuse ? Au rythme de 4 % l’an, le secteur se démocratise. Ainsi, « l’accès progressif de la majorité des populations des pays industrialisés aux vacances et au tourisme, le développement de la mobilité dans les pays en développement, de même que l’intensification du contenu en transport du tourisme (plus vite, plus souvent, plus loin, moins longtemps) doit être évalué par rapport aux contraintes environnementales globales et aux engagements internationaux » [10]. Pour certains, « œuvrer pour un tourisme durable, c’est avant tout partir moins souvent, plus longtemps, utiliser le moins possible des modes de transport polluants, pour au final émettre autant de CO2 en moins » [11]. Émerge ici toute la problématique : voyage, tourisme, impacts, égoïsme, responsabilité, etc.
5Pour Paul Morand, dès 1927, la question ne se pose pas : « c’est le voyage qui compte, pas l’endroit où l’on va » [12]. Hermann Löns, en 1908, avançait l’idée qu’à l’avenir, notre principale préoccupation ne sera plus de savoir si nous pourrons voyager dans le monde entier, mais de savoir si cela vaut la peine d’y aller.
6Le voyage est-il tourisme ? Suppose-t-il déplacement ? La lenteur peut-elle supplanter la vitesse ? Le voyageur exprime la détestation de la vitesse qui ôte la joie du voyage [13]. Le « progrès », issu d’une énergie fossile non renouvelable, a permis la vitesse mettant ainsi toutes les destinations à notre portée. Comment continuer nos escapades aux antipodes, habitués, voire drogués, au tourisme que nous sommes, nous occidentaux, qui pis est, avec un pétrole se raréfiant ?
Hypermobilité et raréfaction du pétrole
7Un autre facteur-clé est l’importance de l’hypermobilité. Si le tourisme concentre environ 5 % des émissions de GES, les « 5 % des individus hypermobiles les plus polluants » concentrent, eux, 50 % des émissions touristiques françaises [14]. La courbe de Pareto fonctionne parfaitement, puisque 20 % des touristes émettraient 80 % des émissions dues au tourisme (graphique ci-dessous). L’hypermobilité, si typique des modes de vies des xxe et xxie siècles, a-t-elle vraiment un sens dans un contexte de raréfaction du pétrole et / ou de pénurie prochaine des gisements d’extraction facile ? Il n’existe pas de données similaires pour l’international, mais si le tourisme était un pays, il serait classé au 5e rang derrière les États-Unis, la Chine, l’Union européenne et la Russie [15].
L’hyper-concentration des comportements les plus polluants
L’hyper-concentration des comportements les plus polluants
8« Quand je voyage, je suis touriste ou voyageur mais pas citoyen » [16]. La responsabilité environnementale citoyenne semble s’arrêter lors de la réservation du billet pour une expédition hors domicile, d’autant plus que les tarifs sont très incitatifs. Les professionnels du tourisme ont ici leur part de responsabilité : ils sont les premiers à pousser le touriste au voyage rapide et lointain et semblent ignorer – ou en profitent tant qu’ils le peuvent encore – le contexte de manque imminent de ressources pétrolières.
9Selon Jean-Didier Urbain [17], les transports plus rares et les séjours plus courts répondent à une stratégie de pénurie. La question soulevée est, finalement, de savoir à quelle fréquence, à quel rythme nous partirons, pour quelles distances au total (vingt fois par an à 125 kilomètres ou une fois tous les deux ans à 5 000 kilomètres ?), et avec quel moyen de transport ?
Alternatives et perspectives
10Deux voies se dessinent pour le tourisme de demain : celle d’un tourisme de distinction pour « l’élite » ou les classes très aisées de la planète, où l’ego l’emportera sur la notion de responsabilité environnementale ; celle d’un tourisme reflétant la sensibilité des voyageurs au changement climatique, au respect de la biodiversité et des écosystèmes.
Le tourisme de distinction
11Avec la disparition du pétrole, le voyage aérien risque de (re)devenir un luxe. En effet, qu’ils fonctionnent à l’énergie solaire (dirigeable Sol’r ou Solar Impulse [18]) ou à l’hélium (Zeppelin [19]), les nouveaux transports aériens seront confrontés à une limite : la rareté des places. Les capacités d’emport seront limitées et les vitesses plus réduites que celles des avions ou hélicoptères que nous connaissons. Il s’agit d’un retour au luxe, le tourisme de la distinction du xixe siècle, avec l’exclusivité de pouvoir survoler, encore, des espaces dans un cadre confortable.
12La pile à combustible, sans être vulgarisée, permettra sans doute des vols de ce standing. En 2008, Boeing a réalisé le premier vol à la force d’un moteur électrique alimenté par une pile à hydrogène. Ce vol expérimental, d’une durée de vingt minutes, à une altitude de 1 000 mètres et à une vitesse limite de 100 km/h, ouvre de réelles perspectives. Mais, là encore, la capacité d’emport et l’autonomie sont les principaux freins à une démocratisation de cette pratique pour des vols commerciaux. Par ailleurs, une pile à combustible coûte cher (catalyseur en platine) et la méthode alternative pour obtenir l’hydrogène, l’électrolyse de l’eau, nécessiterait, à parc automobile équivalent, de nombreuses nouvelles centrales.
13Cette limite d’emport se retrouve également dans l’Astrium, le projet de tourisme spatial d’EADS : seules trois ou quatre personnes, dans un premier temps, pourront accéder, financièrement et du fait du nombre de places, à ce vaisseau des temps modernes. Tels sont les traits de ce futur tourisme d’exception : rareté et prix élevé pour y accéder.
14Sur mer, pour accéder aux paradis convoités, les grands voiliers seront – et sont pour certains déjà – une alternative judicieuse aux croisières classiques. En effet, les paquebots, de plus en plus immenses, fonctionnent, eux, à l’énergie fossile. C’est le cas de l’Oasis of the Seas : 3,7 litres/100 km de carburant par personne, avec une capacité d’emport de 8 800 passagers. Le projet d’un multicoque baptisé Eossas (cinq mâts, 305 mètres de long et 60 de large) représente une alternative à ces villes flottantes trop dépendantes de l’or noir. Les Star Clipper, Belem, Sedov, Kruzenshtern et autres Ponant seront les références des nouveaux accès à ces îles et archipels lointains, mais, là encore, pour quelques-uns. Au-delà du vent, le soleil est une énergie renouvelable déjà opérationnelle pour de nombreux bateaux de tous gabarits. Le Planet Solar et ses 470 m² de panneaux solaires ou les Aquabus fabriqués par la société Grove Boats sont des concepts matérialisant ce futur proche.
15Cette mobilité – plus vertueuse – s’effectuera sans doute dans un arrangement harmonieux entre distance, durée, fréquence et un panachage des modes de locomotion. L’ensemble pourra se faire selon un mode alternatif de compensation. Il faut penser le renouveau du tourisme dans de nouveaux paradigmes.
La massification vertueuse
16Le monde aborde sa transition énergétique. Les alternatives existent déjà (agro-carburants, énergie nucléaire, hydrogène, éolien, etc.) mais de nombreuses questions subsistent (les investissements pour la distribution, le stockage de ces énergies, l’éthique pour les agro-carburants, la capacité d’emport, etc.). Cette transition risque donc d’être longue. C’est surtout dans notre aptitude à changer d’attitude, d’habitudes qu’il faut trouver les réponses pour les décennies à venir.
17Le slow tourism ou l’avènement de la lenteur. Comme le propose avec humour Olivier Razemon [20], on peut se lancer dans le « similitourisme » (visiter Vienne en Isère ou Barcelone dans le Doubs) ou envisager de faire du « T.E.R.isme », qui consiste à « entreprendre une longue odyssée ferroviaire par les transports express régionaux » (TER). La détestation de la vitesse, courante au xixe siècle, semble revenir à grands pas. La vitesse limitée sur les routes encourage le touriste à sortir des autoroutes pour se perdre dans des villages pittoresques. La mode de la lenteur est aussi l’incarnation d’une nostalgie du passé caractérisée à son tour par une forme de détestation du présent. La lenteur du voyage ne sera pas une fatalité mais un choix. Cependant, le TGV, qui n’est pas particulièrement lent (360 km/h), fait partie pour nous de cette lenteur du voyage : aller à la gare de départ, trouver un mode de transport à celle d’arrivée, prendre en compte les temps de transit sont les raisons de cette posture. C’est un autre rapport au temps qui se profile. L’antithèse de l’agressivité mentionnée par Carl Honoré [21]. Quant aux trains mythiques (le Glacier Express, l’Orient-Express), ils appartiennent encore au tourisme de distinction : la lenteur y côtoie le luxe, il en est même l’un des plus forts attributs. Le train reliant Moscou et Nice en une cinquantaine d’heures, lancé en septembre 2010, semble l’attester.
18Oserions-nous tenter un voyage comme celui que fit Stevenson, qui traversa les Cévennes à pied avec un âne pour seul compagnon [22] ? Cette lenteur permet(trait) tous les raffinements possibles. La « philosophie de vie » arrive au premier plan de ceux-ci. C’est la maxime de Saint-Augustin : « se vider de tout ce dont on est plein, se remplir de tout ce dont on est vide ». Se débarrasser du stress ambiant, des tensions physiologiques, psychologiques en se donnant du temps, en découvrant l’autre, son hospitalité, en échangeant, car marcher c’est habiter l’instant présent.
19Le slow tourism (tourisme lent), « c’est pratiquer le tourisme à un rythme lent garant d’un ressourcement de l’être (physiologique et psychologique). Il est peu émetteur de GES, synonyme de patience, de sérénité, de découvertes approfondies, d’améliorations des connaissances et des acquis culturels » [23]. La lenteur crée de la valeur [24]. La délicatesse en est une qu’il est agréable de rappeler : « Un jour viendra où, par la banalité de la vitesse et la facilité de la surenchère en ce qui la concerne, la lenteur apparaîtra comme le mode le plus naturel pour exprimer une certaine délicatesse » [25].
20En couplant les transports multimodaux (voiture électrique, tramway, train, vélo, marche, bateau solaire, etc.), la lenteur devra nous faire accepter la durée du voyage. Elle supposera d’intégrer celle-ci comme base du temps touristique. C’est l’émergence d’une nouvelle approche du tourisme, moins boulimique de vitesse, de superficialité. Aller moins loin est une autre voie possible.
21Le tourisme de proximité. Le tourisme de voisinage « est un élément extrêmement important à intégrer dans les politiques publiques, qui ont souvent fait comme s’il n’y avait de touristes que venant du lointain » [26]. En 2011, TNS Sofres a mené une étude sur le tourisme responsable, qui met en lumière l’attrait de la proximité pour 81 % des sondés. Mais leur a-t-il été précisé ce que signifie proximité, ou demandé ce qu’ils entendent par proximité ? Cent kilomètres en TER, huit à pieds, cinquante à vélo, cinquante-cinq minutes en TGV, trois heures avec plusieurs modes ? Le mouvement « locavore », apparu aux États-Unis, suggère de se nourrir de produits récoltés localement dans un périmètre inférieur à 200 kilomètres. C’est justement ce que définit le terme d’isochrone. Les voitures électriques ont ainsi une faible autonomie. Mais devons-nous exprimer cette proximité en temps, en kilomètres ou en CO2 émis ? La réponse se trouve certainement dans une conjonction de ces indicateurs.
22Les relais de poste redeviendront-ils à la mode ? Nouvelles auberges des temps modernes avec tout le confort pour se relaxer, se reposer, se ressourcer, ces endroits serviront surtout de base au rechargement des batteries (la nouvelle avoine du xxie siècle) pour véhicules électriques et cela en attendant que la recherche améliore le rendement et donc l’autonomie des auto-éco-mobiles.
Le rôle des pouvoirs publics
23Rien ne sera possible, dans cette phase de transition, sans l’action de toutes les parties prenantes. Les pouvoirs publics, en premier lieu, devront amplifier l’attractivité des transports collectifs et inciter à leur usage sur les lieux touristiques. Pour beaucoup de destinations d’accueil [27], le tourisme – et les touristes qui le pratiquent – est à l’origine de développement, de confort, de créations d’emplois, de progrès social, etc. On comprend donc que la perspective de devoir renoncer à cette manne leur pose problème.
24En avril 2012, la mairie du Mont-Saint-Michel a relocalisé ses parkings à trois kilomètres du site et achemine désormais les touristes en navette. Effet immédiat, la fréquentation du mont a diminué de 16 % en juin et de 9 % en juillet [28]. Les distances pédestres – une demi-heure de marche – ont été jugées « trop longues », notamment au regard du vieillissement de la population européenne. Celles-ci ont fait fuir les visiteurs, mécontentant ceux qui vivent de leur présence.
25De nouvelles pratiques, naissantes aujourd’hui, se mettront en place. Il faudra cependant du temps pour les faire admettre par les visiteurs comme par les professionnels du tourisme. Vulgarisation du covoiturage, attractivité des transports publics (trains, bateaux, tramways) tant par le prix que le confort associé, mise en place de taxis électriques, optimisation des horaires des différents modes de transport (multimodalité des moyens), création d’événements autour du voyage, soutien aux nouvelles formes de mobilité sont des pistes à travailler, le plus souvent de front. Il appartient aux pouvoirs publics non seulement de montrer la voie de soutenabilité, mais aussi d’initier le « mouvement ».
26?
27« Bien que leur responsabilité première soit de générer des profits, les entreprises peuvent en même temps contribuer à des objectifs sociaux et à la protection de l’environnement, en intégrant la responsabilité sociale comme investissement stratégique au cœur de leur stratégie commerciale » [29]. Mais les entreprises ne sont pas les seules et toutes les parties prenantes doivent jouer ce rôle : États, collectivités, organisations, citoyens, entreprises, associations, etc.
28Une question se pose : « Comment le touriste voudra-t-il vivre son tourisme ? ». Les possibilités seront nombreuses. L’offre touristique présente un vaste éventail s’agissant des destinations, de l’éloignement, des activités, etc. Les mobilités devront continuer de s’adapter, comme elles ont commencé à le faire, à cette transition énergétique inévitable. L’offre devra évoluer pour maintenir la pratique touristique, même privée de sa principale énergie. La parcimonie et le discernement étant d’ailleurs nécessaires à la transformation impérieuse des mobilités.
29Une autre lui succède : elle n’est plus « combien peut-on nourrir de gens, mais combien de gens peuvent-ils maintenir leurs modes de vie et de consommation de manière écologiquement soutenable ? » [30]. Le changement, souhaitable, ne pourra s’effectuer sans la volonté de tous. Accepter la lenteur – et ses bienfaits thérapeutiques, modifier notre vision du voyage – partie intégrante de l’expérience, repenser les transports (multi-modalité, doux, peu émetteurs de GES, accessibles), sont les nouvelles voies de notre futur touristique, si nous voulons le préserver.
30« Partir, partir, parole de vivant », disait Saint-John Perse. C’est peut-être la raison de l’attachement à la pratique touristique. Mais l’hypocrisie n’est-elle pas d’aller si loin, si vite, pour pratiquer ce qui est accessible au bout de la rue ? À combien de lieues est l’ailleurs ? Ces lieux, d’ailleurs, ne sont-ils pas en nous ?
Notes
-
[1]
Pierre Py, Le tourisme. Un phénomène économique, Paris, La Documentation française, 2002.
-
[2]
Voir Boris Martin (dir.), Voyager autrement. Vers un tourisme responsable et solidaire, Paris, Éditions Charles Léopold Mayer, 2004 ; Françoise Perriot, Agir pour voyager autrement. Le guide des nouvelles solidarités, Paris, Le Pré aux Clercs, 2005 ; Marie-Andrée Deslisle et Louis Jolin, Un autre tourisme est-il possible ?, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2007 ; Marie-Paule Eskénazi, Le tourisme autrement, Montréal, Béliveau, 2008 ; Jean-Pierre Lamic, Tourisme durable : utopie ou réalité ? Comment identifier les voyageurs et voyagistes écoresponsables ?, Paris, L’Harmattan, 2008 ; et Isabel Babou et Philippe Callot, « L’urgence d’un autre tourisme », Espaces tourisme & loisirs, n° 263, octobre 2008, pp. 14-19.
-
[3]
Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), Changements climatiques 2007. Rapport de synthèse, Genève, 2008.
-
[4]
Interview de Michel Serres, « La fin du pétrole n’est pas l’apocalypse », Le Figaro, 26 septembre 2005.
-
[5]
Voir Jean-Paul Céron et Ghislain Dubois, « Le tourisme dans l’outre-mer français face à la contrainte carbone », in Nathalie Fabry et Sylvain Zeghni (dir.), Mondes en développement, n° 157, 2012/1, pp. 11-28.
-
[6]
Ban Ki-moon, in Comité 21, Agir ensemble pour un tourisme durable. Un guide pour informer, sensibiliser, encourager et passer à l’action, 4 septembre 2008, p. 3.
-
[7]
Jean Viard, Court traité sur les vacances, les voyages et l’hospitalité des lieux, La Tour d’Aigues, Éditions de l’Aube, 2006.
-
[8]
Ibid.
-
[9]
Voir Rodolphe Christin, Manuel de l’antitourisme, Paris, Editions Yago, 2008 ; et Philippe Callot, in François Bost et Sylvie Daviet (dir.), Entreprises et environnement. Quels enjeux pour le développement durable ?, 2011, Presses universitaires de Paris Ouest, pp. 65-84.
-
[10]
Jean-Paul Céron et Ghislain Dubois, Demain le voyage. La mobilité de tourisme et de loisirs des Français face au développement durable. Scénarios à 2050, Rapport d’étude PREDIT, Ministère des Transports, de l’Équipement, du Tourisme et de la Mer, mai 2006, p. 7.
-
[11]
Jean-Pierre Lamic, Tourisme durable : utopie ou réalité ? Comment identifier les voyageurs et voyagistes écoresponsables ?, Paris, L’Harmattan, 2008.
-
[12]
Paul Morand, Le voyage, Paris, Hachette, 1964.
-
[13]
Voir Marc Boyer, Le tourisme de masse, Paris, L’Harmattan, 2007.
-
[14]
Ghislain Dubois, « Le long chemin vers le tourisme lent », Cahier Espaces, n° 100, mars 2009, pp. 80-84.
-
[15]
Voir Daniel Scott, Paul Peeters et Stefan Gössling, « Can tourism deliver its “aspirational” greenhouse gas emission reduction targets? », Journal of Sustainable Tourism, vol. 18, n° 3, avril 2010, pp. 393-408.
-
[16]
Sylvain Allemand, Les nouveaux utopistes de l’économie. Produire, consommer, épargner … différemment, Paris, Autrement, 2005, p. 188.
-
[17]
Jean-Didier Urbain, L’envie du monde, Paris, Bréal, 2011.
-
[18]
Avion développé par Bertrand Piccard et André Borschberg.
-
[19]
À noter le projet d’hôtel de Jean-Marie Massaud pouvant recevoir 50 voyageurs et 25 membres d’équipage (Manned Cloud).
-
[20]
Olivier Razemon, « Les 1 001 manières insolites de voyager », Blog L’interconnexion n’est plus assurée, Le Monde.fr, 12 février 2013.
-
[21]
Carl Honoré, Éloge de la lenteur, et si vous ralentissiez ?, Paris, Marabout, 2007.
-
[22]
Robert Louis Stevenson, Voyage avec un âne dans les Cévennes, Paris, Flammarion, 1878.
-
[23]
Isabel Babou et Philippe Callot, Que serait le tourisme sans pétrole ?, Paris, L’Harmattan, 2012.
-
[24]
Voir Isabel Babou et Philippe Callot, « Slowtourism, slow (r)évolution ? », Cahier Espaces, n° 100, mars 2009, pp. 48-54.
-
[25]
Carl Honoré, op. cit.
-
[26]
Jean Viard, op. cit.
-
[27]
Voir Jean-Didier Urbain, Les vacances, Paris, Le Cavalier Bleu, 2002.
-
[28]
« Baisse de la fréquentation du mont Saint-Michel depuis le lancement des navettes », Le Monde.fr, 13 août 2012.
-
[29]
Commission des communautés européennes, Livre vert. Promouvoir un cadre européen pour la responsabilité sociale des entreprises, COM (2001) 306 final, 18 août 2001, p. 4.
-
[30]
Anne-Marie Codur et Jacques Véron, « Les méthodes d’analyse de la relation entre population et environnement : des nombres aux systèmes », XXVe Congrès général de la population, Tours, 18-23 juillet 2005.