Notes
-
[1]
L’indice composite des bourses arabes a perdu 56 % de sa valeur entre 2007 et 2008. Voir Fonds monétaire arabe, base de données des indices, http://www.amf.org.ae.
-
[2]
Youssef Courbage et Emmanuel Todd, Le rendez-vous des civilisations, Paris, Seuil, 2007.
-
[3]
Samir Aïta, Les travailleurs arabes hors-la-loi, Paris, L’Harmattan, 2011.
-
[4]
Fonds monétaire arabe, « Les conséquences de la crise financière internationale sur les économies des pays arabes », Rapport économique arabe conjoint, 2011, http://www.amf.org.ae.
-
[5]
Algérie, Soudan, Libye et Yémen.
-
[6]
Jordanie, Tunisie, Syrie, Liban, Égypte, Maroc et Mauritanie.
-
[7]
En particulier l’Arabie Saoudite a lancé un programme public sur 5 ans, totalisant 400 milliards d’euros d’investissement, le plus important pour un pays du G 20.
-
[8]
Fonds monétaire arabe, op. cit., p. 219-220.
-
[9]
Ibid, p. 220.
-
[10]
Fonds monétaire international, “Statement at the Conclusion of the 2010 Article IV consultation mission to Bahrain”, 13 décembre 2011. Il est à cet égard notoire que le FMI ne rend pas public les rapports de ses consultations systématiques pour la plupart des pays du Golfe, contrairement aux autres pays arabes. Ce paramètre ajoute à l’opacité de l’information sur la situation réelle de ces pays.
-
[11]
Fonds monétaire arabe, op. cit., p. 212-213.
-
[12]
Fonds monétaire international, “Morocco : 2009 Article IV consultation”, mars 2010.
-
[13]
Social Safety net, suivant la terminologie de la Banque mondiale.
-
[14]
Adolfo Barajas et al., “The global financial crisis and workers’ remittances to Africa: what’s the damage? ”, IMF working paper, WP/10/24, January 2010.
-
[15]
Maher Hassan et Jemma Dridi, “The effects of the global crisis on Islamic and conventional banks: A comparative study”, IMF working paper, WP/10/201, September 2010.
-
[16]
Rafiq A. Tschannen : “The current economic crisis : Is Islamic banking the solution?”, The Muslim Times, http://www.themuslimtimes.org, May 2011.
-
[17]
Certains pays musulmans, comme la Turquie, l’Algérie, la Tunisie et la Syrie, ont longtemps résisté à l’introduction des banques islamiques, craignant la difficulté de leurs régulations comme de leurs effets idéologiques. Mais, il est intéressant de constater que dans ces pays, des personnes directement liées aux pouvoirs en place ont pris directement le contrôle des nouvelles banques islamiques.
-
[18]
En 2009, l’université de Paris-Dauphine lance un master de finances islamiques. En 2011, l’université Paris I Panthéon-Sorbonne lance une chaire « Éthique et normes de la finance » en collaboration avec l’université saoudienne du roi Abdul Aziz à Jeddah, chaire entièrement financée par l’Arabie Saoudite. Des formations similaires ont été également lancées dans presque tous les pays européens, de l’Allemagne au Luxembourg.
-
[19]
Marc Vignaud, « L’offensive des finances islamiques en France », Le Point, 26 novembre 2009.
-
[20]
Ibrahim Zeyyad, « Développement de la finance islamique en France : les premiers pas de l’administration fiscale », Revue Lamy du Droit des Affaires, Rueil-Malmaison, Édition Lamy, 2009, p. 77 à 81.
-
[21]
L’expérience des banques islamiques en Égypte a connu plusieurs scandales retentissants, dès les années 1970, amenant ce pays, où le discours social s’est largement islamisé et où l’islam politique est devenu une réalité ordinaire, à être très réticent vis-à-vis des finances islamiques.
-
[22]
Dans les dernières réunions du Conseil de l’Europe, peu de cas a ainsi été fait des bouleversements du monde arabe, l’attention est restée centrée sur le problème des dettes publiques européennes.
-
[23]
Pour « stabiliser les démocraties » dans les pays de l’Europe de l’Ouest de l’après-guerre, face au danger soviétique, les États-Unis ont lancé le plan Marshall en 1947. Alors que le pays était très endetté, ce plan a été conçu dès avant la fin de la Seconde Guerre mondiale, essentiellement comme un plan de relance de l’économie américaine, compensant le ralentissement de la production industrielle avec le retour de la paix. Il a conduit aux « Trente glorieuses ».
1Les pays arabes connaissent un moment unique de leur histoire, celui que l’on appelle communément le « Printemps arabe ». Sa concomitance avec l’une des crises les plus graves qu’ait connue l’économie mondiale depuis 1929 est marquante. Il est vrai que les bourses arabes ont accusé le choc de 2008, et ont perdu comme les bourses internationales plus de la moitié de leurs valeurs à la fin de cette même année, pour récupérer graduellement ultérieurement leurs pertes [1]. Mais cet aspect ne concerne que les pays du Golfe dont les marchés financiers sont les plus importants et les plus intégrés dans les marchés financiers internationaux, et non les pays arabes à forte population qui subissent actuellement le « tsunami de la jeunesse » et les soulèvements populaires.
2En effet, l’une des principales causes des soulèvements que certains pays arabes ont vécus en 2011 a été identifiée comme liée aux effets de la transition démographique [2]. Ces pays ont connu il y a vingt ans des taux de croissance démographique significatifs – jusqu’à 3,5 % par an dans certains cas – et la génération de ce baby boom est arrivée ces dernières années à l’âge du travail et de la conscience, réclamant « liberté et dignité ». On se trouve donc dans des conditions similaires à celles connues en Europe et aux États-Unis dans les années soixante, sauf que les dernières décennies ne ressemblent d’aucune façon aux « Trente glorieuses ». Alors même que les taux de croissances y sont modérés mais bien réels, les taux de chômage y ont accusé des taux très élevés, au-delà des 10 % de la population active. Un chômage qui frappe essentiellement les jeunes et les femmes, tandis que le travail reste surtout informel [3], loin des conceptions classiques de « salariat ». Hors du secteur public et de l’agriculture, les deux tiers des employés sont sans contrat, sans protection sociale et sans perspective.
Dans quelle mesure la crise mondiale a-t-elle influencé l’émergence du « Printemps arabe » ?
3En 2011, un rapport [4] du Fonds monétaire arabe (FMA) a tenté d’analyser les effets de la crise sur les économies des pays arabes. Il classa ces pays en trois catégories : la première est celle du Conseil de coopération des États arabes du Golfe (CCEAG), très ouverte aux systèmes financiers et commerciaux mondiaux, notamment à travers l’industrie du pétrole et du gaz. La seconde est celle des pays où les marchés financiers sont assez cloisonnés, mais dont les économies dépendent fortement des prix de l’énergie [5]. La troisième regroupe enfin les pays dont les économies sont quant à elles moins tributaires des mécanismes financiers et énergétiques internationaux [6].
4Dans la première catégorie, les mécanismes de transmission de la crise ont été essentiellement financiers : baisse des recettes des hydrocarbures, baisse de liquidités dans les banques, fuite des capitaux spéculatifs, éclatement de la bulle immobilière, perte de confiance en l’avenir et effondrement du crédit au secteur privé. La crise des dettes souveraines de l’État de Dubaï en a été l’aspect le plus marquant. Les États concernés ont dû intervenir pour sauver et renflouer les banques locales, d’une façon similaire aux économies les plus avancées. Ils ont également mis en place des plans de relance et de soutien à la consommation [7].
5Selon le FMA, la crise a fait éclater la bulle immobilière dans les pays du Golfe, et a révélé les « risques de l’augmentation rapide, et parfois excessive, du crédit bancaire les années des excédents pétroliers (…) ainsi que la dépendance trop importante vis-à-vis des flux financiers internationaux, et la fragilité de l’exposition des actifs de nombreuses banques du Golfe aux secteurs immobiliers et aux instruments financiers. Des dépôts à très court terme ont été utilisés pour financer des projets et crédits long terme [8]». Ce constat amène le FMA à critiquer la régulation des banques centrales des pays du Golfe, « qui n’a pas pu accompagner les évolutions rapides des marchés financiers et bancaires locaux, à cause de leurs imbrications avec les marchés mondiaux [9] ». Ces banques sont donc amenées à se restructurer graduellement afin d’absorber les pertes causées par des prises de risque excessives. Elles doivent dans le même temps contribuer à dynamiser le crédit au secteur privé, pour réduire la trop grande dépendance des économies concernées vis-à-vis du secteur pétrolier et éviter dans certains cas la propagation des effets du « Printemps arabe ».
6Vue des pays du Golfe, la crise mondiale a donc essentiellement des implications financières et immobilières. Cependant, les aspects sociaux sont loin d’être négligeables. Ainsi, le Fonds monétaire international (FMI) note dans son rapport de 2010 sur le Bahreïn, que « le grand nombre de nouveaux entrants sur le marché du travail attendu dans la prochaine décennie place une priorité dans la création de nouvelles opportunités d’emploi, d’autant que la croissance économique anticipée serait bien en dessous des moyennes historiques [10] ». On connaît la suite pour le Bahreïn, plateforme bancaire par excellence des pays du CCEAG. Des soulèvements y ont éclaté au printemps 2011, déclenchant une intervention militaire, essentiellement saoudienne, qui jusqu’alors n’a pu rétablir le calme dans le pays.
7Pour la seconde catégorie de pays, l’influence de la crise sur les marchés et le secteur bancaire intérieur a été limitée. Par contre, ces pays ont dû baisser leur production d’hydrocarbures d’une façon significative pour éviter la chute des cours. Ceci a conduit à une baisse momentanée du rythme de croissance du produit intérieur brut (PIB) non-pétrolier (de 7 % annuellement en 2007 à 5,5 % en 2008 en Algérie), du fait des difficultés budgétaires. Mais la croissance a repris de plus belle en 2009 (8 %) [11]. La Libye, qui appartient à ce groupe, n’a pu bénéficier de cette relance, frappée par une « révolution », suivie d’une guerre civile et d’une intervention des forces de l’Alliance atlantique, aux conséquences toujours incertaines.
8La troisième catégorie de pays a connu pour sa part une baisse sensible de ses exportations vers l’Europe et les États-Unis, ainsi que des transferts des travailleurs immigrés et des investissements directs étrangers (IDE). Les recettes du tourisme sont restées stables en Tunisie – les touristes du Golfe cherchant des lieux de villégiature moins onéreux ont remplacé ceux venant d’Europe – mais se sont légèrement dégradées dans le cas du Maroc. Le secteur bancaire, peu ouvert sur les marchés internationaux, est également resté stable. Dans ces pays arabes à forte population, et au sein desquels les ressources en hydrocarbures sont moins prégnantes, l’impact social et économique de la crise internationale a été plus brutal. Ainsi entre 2008 et 2009, le Maroc a vu ses exportations diminuer de 34 %, les recettes du tourisme de 14 %, les transferts des immigrés de 12 %, et les IDE de 34 % [12]. L’ensemble de ces revenus comptent pour 30 à 40 % du PIB. Deux ans plus tard, ils n’ont toujours pas repris leurs niveaux et leurs rythmes de croissance d’avant la crise.
9C’est probablement la baisse du montant des transferts des immigrés qui a eu l’effet le plus immédiat et le plus sensible pour la population. Leur montant avoisinant souvent les 10 % du PIB pour ces pays, ils constituent le réel « filet de sécurité sociale » [13], puisqu’ils affectent directement les niveaux de revenu et de consommation des populations les plus pauvres. Ainsi, la seule chute de ces transferts à cause de la crise de 2008 a eu un impact estimé à deux points de PIB pour le Maroc [14].
10L’influence de ces transferts ne doit pas être sous-estimée. Avant la crise, que ce soit par leur montant ou par leur vitalité, elles favorisaient une croissance soutenue de la consommation et des importations. Avec la crise, cette dynamique fut brisée, assombrissant les perspectives d’avenir et de progrès pour les ménages pauvres et les classes moyennes. Il est notoire que c’est en Tunisie, en Égypte puis en Syrie que le « Printemps » s’est déclenché, pays où les effets de la crise se sont essentiellement concentrés sur les transferts des immigrés.
11En réponse, les gouvernements respectifs ont tenté de juguler les effets de la crise en arrêtant les programmes « d’ajustements structurels » promis aux institutions financières internationales, en augmentant les dépenses publiques, et en activant des programmes de relance. Mais ces mesures n’ont pas eu partout des effets significatifs. Les mécanismes de distribution, ou plutôt de redistribution, étant souvent inefficaces. Les aides distribuées aux ménages se sont souvent évaporées dans les circuits.
12En 2011, au moment où l’Europe et les États-Unis plongent profondément dans une crise des dettes publiques, l’horizon s’éclaircit pour les pays arabes. Mais le « Printemps arabe » surgit, symbolisant une rupture avec le modèle jusque-là dominant, et apportant ses propres problématiques.
Quelles ont été les conséquences de la crise sur les perceptions et les politiques dans le monde arabe ?
13Une conséquence inattendue à une crise mondiale touchant essentiellement les mécanismes financiers, s’est exprimée au niveau de l’idéologie.
14Les banques ont été les principaux acteurs de la crise, que ce soit en 2008 avec les dérivés financiers ou en 2011 avec les dettes souveraines. Dans un premier temps, elles ont poussé les États à voler à leur secours, mais ont peiné ensuite à leur rendre la faveur.
15Dans ce contexte, les banques islamiques, soumises à l’application de la charia (normes islamiques) qui interdit les prêts et investissements non basés sur un actif tangible, ont été relativement épargnées par les péripéties des subprimes et autres dérivés financiers. Un fervent débat s’est alors développé sur les vertus des finances islamiques, et au-delà de l’islam.
16Poussées par les excédents financiers des pays du Golfe et de la Malaisie, ces banques islamiques ont constitué l’un des secteurs de la finance internationale qui a connu les plus hauts rythmes de croissance. Leurs parts de marchés en développement constant, et leur capacité de résilience aux effets de la crise financière internationale [15] ont conduit certains à s’interroger si elles ne constituaient pas LA « solution à la crise économique mondiale [16] ». Et de là, pourquoi pas « l’Islam est la solution », comme le scandent les Frères musulmans en Égypte.
17Bien que la question demeure sans réponse, il en résulte un engouement certain pour les banques et produits bancaires islamiques, qui se développent non seulement dans les pays à population musulmane [17], mais également en Europe. Des universités réputées [18] y introduisent un enseignement des finances islamiques, souvent en coopération avec les gouvernements des pays du Golfe. Dans ce domaine, Londres, place financière par excellence, a rapidement pris le leadership, ouvrant le champ à toute forme de finances islamiques. Mais une résistance s’observe, en France [19] notamment, par crainte que les banques de détail (comptes de particuliers) islamiques ne puissent capter la population immigrée musulmane. À la place, les autorités françaises ont préféré s’orienter vers l’émission d’instruments financiers islamiques spécifiques (les « sukuk » ou obligations islamiques).
18La crise met ainsi à l’ordre du jour non seulement un nouveau modèle des finances internationales, mais induit également des conséquences idéologiques et pratiques sur le contrat social dans certains pays européens. En France, par exemple, c’est au Conseil constitutionnel de trancher sur le caractère des bénéfices des banques islamiques, qui ne constituent pas en principe des intérêts bancaires, et de décider de la manière de les taxer [20]. On en oublie trop rapidement les difficultés de régulation, dans un système de dogme musulman non figé, et les crises qu’ont connues ici et ailleurs les finances islamiques, trop dépendantes du secteur immobilier [21].
Comment la crise influence-t-elle l’avenir du « Printemps arabe » ?
19Si certains pays arabes ont subi de plein fouet les effets de la crise, son aggravation causée par les dettes publiques en Europe du Sud, toute proche, accompagne les bouleversements du « Printemps arabe » et redéfinit de fond en comble les enjeux régionaux.
20La chute rapide des dictatures en Tunisie et en Égypte, n’a pas permis l’émergence de systèmes politiques démocratiques stables. Aussi, ces derniers pays ne sont pas à l’abri d’une « contre révolution » générée par l’islam politique, et d’un nouvel épisode de soulèvements. Dans l’attente de nouvelles constitutions et de nouveaux contrats sociaux, leurs économies se sont ralenties et ont engendré une insécurité grandissante avec son lot de perturbations des circuits et infrastructures économiques et financiers.
21Dans un climat des finances mondiales déjà très frileux vis-à-vis des dettes publiques, ces pays peinent alors à financer leurs dettes extérieures. Aucune aide internationale sérieuse ne se profile à l’horizon, malgré la sympathie exprimée en Europe et aux États-Unis pour le « Printemps » et la volonté affichée de « stabiliser les démocraties » naissantes. Ce constat risque d’aggraver la situation économique et sociale qui a déjà été aux sources des soulèvements populaires, et ouvre surtout la perspective d’une instabilité chronique et d’une vulnérabilité plus importante vis-à-vis de l’extérieur. Le chaos en Lybie, au Yémen et très certainement en Syrie dans un avenir proche, nous le prouve. Même le Maroc et la Jordanie, qui ont géré d’une façon adroite les premiers chocs sociaux, connaissent des difficultés de financement de leurs dettes extérieures, et des effets économiques combinés de la crise internationale et du « Printemps arabe ».
22Dans ce contexte, les pays du CCEAG se distinguent par leurs excédents financiers qui restent significatifs. L’Europe les appelle pour sauver ses banques et ses sociétés en difficulté. Mais pour quelle contrepartie ? Que celle-ci les aide à asseoir une influence politique, voire une domination sur les pays arabes, plus peuplés, touchés par les soulèvements ? On voit ainsi le Qatar s’immiscer dans les affaires politiques de la Lybie et de la Tunisie, et être en première ligne dans les transformations de l’Égypte, du Yémen et de la Syrie, au même titre que l’Arabie Saoudite.
23D’autres puissances moyennes émergentes, telles que l’Iran et la Turquie, acquièrent également un nouveau rôle sur les destinées des pays arabes en transition, en accord ou en opposition avec les pays du CCEAG ; les grandes puissances (États-Unis, Russie et Chine) agissant à leur tour pour appuyer les uns et contrer les autres.
24C’est un bouleversement historique qui montre que les conséquences de la crise ne sont pas seulement économiques, financières ou sociales. Elles sont essentiellement géopolitiques.
25L’Europe et les États-Unis peuvent-ils continuer à se concentrer sur leurs problèmes économiques, sans se soucier de ce qui se passe sur la rive Sud de la Méditerranée [22] ? Ces événements montrent toute l’inefficience des politiques européennes de partenariat et de voisinage, et l’incongruité des accords américains de libre-échange. Le processus de Barcelone comme les politiques américaines ont contribué à creuser le fossé entre les pays arabes les plus peuplés et les pays du Golfe. Le « tsunami de la jeunesse » et ses conséquences dramatiques étaient déjà prévisibles en 1995, pourtant le Nord, trop occupé par l’intégration de l’Europe de l’Est, ne s’est pas préoccupé du monde arabe, ni même du processus de paix israélo-palestinien, abcès de la région.
26Dans cette situation, le fossé entre les deux rives de la Méditerranée va se creuser encore plus. À l’inégalité du développement et à l’immigration, vont s’ajouter les révolutions et les guerres.
27Peut-on imaginer un sursaut de l’Europe pour aider à stabiliser [23] l’émergence de la démocratie sur son Sud ? Pour cela il faudrait un réel éveil des sociétés européennes (et américaines) dont on a du mal à voir aujourd’hui les perspectives.
28Comment l’Europe va-t-elle s’associer avec les pays du CCEAG, tous non démocratiques, et la Turquie pour circonvenir les effets des « révolutions » arabes, en cours ou à venir ? La question est ouverte, et s’inscrit dans l’actualité.
29La crise mondiale a donc contribué à générer un retournement historique pour les pays arabes : une refonte troublée du contrat social intérieur et un rééquilibrage régional aux conséquences incertaines. On le voit déjà, ce retournement est accompagné de son lot de malheurs humains. Mais l’appel à la liberté et à la dignité n’a pas de prix. ?
Notes
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[1]
L’indice composite des bourses arabes a perdu 56 % de sa valeur entre 2007 et 2008. Voir Fonds monétaire arabe, base de données des indices, http://www.amf.org.ae.
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[2]
Youssef Courbage et Emmanuel Todd, Le rendez-vous des civilisations, Paris, Seuil, 2007.
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[3]
Samir Aïta, Les travailleurs arabes hors-la-loi, Paris, L’Harmattan, 2011.
-
[4]
Fonds monétaire arabe, « Les conséquences de la crise financière internationale sur les économies des pays arabes », Rapport économique arabe conjoint, 2011, http://www.amf.org.ae.
-
[5]
Algérie, Soudan, Libye et Yémen.
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[6]
Jordanie, Tunisie, Syrie, Liban, Égypte, Maroc et Mauritanie.
-
[7]
En particulier l’Arabie Saoudite a lancé un programme public sur 5 ans, totalisant 400 milliards d’euros d’investissement, le plus important pour un pays du G 20.
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[8]
Fonds monétaire arabe, op. cit., p. 219-220.
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[9]
Ibid, p. 220.
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[10]
Fonds monétaire international, “Statement at the Conclusion of the 2010 Article IV consultation mission to Bahrain”, 13 décembre 2011. Il est à cet égard notoire que le FMI ne rend pas public les rapports de ses consultations systématiques pour la plupart des pays du Golfe, contrairement aux autres pays arabes. Ce paramètre ajoute à l’opacité de l’information sur la situation réelle de ces pays.
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[11]
Fonds monétaire arabe, op. cit., p. 212-213.
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[12]
Fonds monétaire international, “Morocco : 2009 Article IV consultation”, mars 2010.
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[13]
Social Safety net, suivant la terminologie de la Banque mondiale.
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[14]
Adolfo Barajas et al., “The global financial crisis and workers’ remittances to Africa: what’s the damage? ”, IMF working paper, WP/10/24, January 2010.
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[15]
Maher Hassan et Jemma Dridi, “The effects of the global crisis on Islamic and conventional banks: A comparative study”, IMF working paper, WP/10/201, September 2010.
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[16]
Rafiq A. Tschannen : “The current economic crisis : Is Islamic banking the solution?”, The Muslim Times, http://www.themuslimtimes.org, May 2011.
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[17]
Certains pays musulmans, comme la Turquie, l’Algérie, la Tunisie et la Syrie, ont longtemps résisté à l’introduction des banques islamiques, craignant la difficulté de leurs régulations comme de leurs effets idéologiques. Mais, il est intéressant de constater que dans ces pays, des personnes directement liées aux pouvoirs en place ont pris directement le contrôle des nouvelles banques islamiques.
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[18]
En 2009, l’université de Paris-Dauphine lance un master de finances islamiques. En 2011, l’université Paris I Panthéon-Sorbonne lance une chaire « Éthique et normes de la finance » en collaboration avec l’université saoudienne du roi Abdul Aziz à Jeddah, chaire entièrement financée par l’Arabie Saoudite. Des formations similaires ont été également lancées dans presque tous les pays européens, de l’Allemagne au Luxembourg.
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[19]
Marc Vignaud, « L’offensive des finances islamiques en France », Le Point, 26 novembre 2009.
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[20]
Ibrahim Zeyyad, « Développement de la finance islamique en France : les premiers pas de l’administration fiscale », Revue Lamy du Droit des Affaires, Rueil-Malmaison, Édition Lamy, 2009, p. 77 à 81.
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[21]
L’expérience des banques islamiques en Égypte a connu plusieurs scandales retentissants, dès les années 1970, amenant ce pays, où le discours social s’est largement islamisé et où l’islam politique est devenu une réalité ordinaire, à être très réticent vis-à-vis des finances islamiques.
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[22]
Dans les dernières réunions du Conseil de l’Europe, peu de cas a ainsi été fait des bouleversements du monde arabe, l’attention est restée centrée sur le problème des dettes publiques européennes.
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[23]
Pour « stabiliser les démocraties » dans les pays de l’Europe de l’Ouest de l’après-guerre, face au danger soviétique, les États-Unis ont lancé le plan Marshall en 1947. Alors que le pays était très endetté, ce plan a été conçu dès avant la fin de la Seconde Guerre mondiale, essentiellement comme un plan de relance de l’économie américaine, compensant le ralentissement de la production industrielle avec le retour de la paix. Il a conduit aux « Trente glorieuses ».