1La question du programme nucléaire iranien est le symbole de la place particulière qu'occupe ce pays, et un élément clé de la stabilisation politique du Moyen-Orient. La situation est aujourd'hui bloquée : on ne parvient pas à sortir de l'alternative entre la possibilité d'un conflit militaire et une tolérance accrue envers la prolifération. L'Iran a adopté une position respectueuse des obligations internationales sur ce sujet, mais par la suite, sa volonté de maîtrise de cette source d'énergie a été contrecarrée par la communauté internationale. Ce notamment après la révolution islamique, lorsqu'il est apparu à la communauté internationale que l'enrichissement nucléaire de l'Iran pouvait avoir un objectif militaire.
2Ainsi, l'Iran a adhéré très tôt au projet d'une Agence internationale pour l'énergie atomique (AIEA), en ratifiant le traité l'instituant dès 1958, soit seulement un an après son entrée en vigueur. De la même manière, le pays a ratifié le traité de non-prolifération en 1970, alors que la France ne l'a fait qu'en 1992. L'Iran satisfaisait l'ensemble des conditions utiles pour le transfert de la technologie nucléaire. En conséquence, Mohammed Reza Chah Pahlavi décida, en 1973, de consacrer une part non négligeable des ressources générées par le choc pétrolier de la même année à la construction de centrales nucléaires civiles. Plusieurs installations furent commandées par l'Iran. Outre les quatre réacteurs commandés à Framatome et Siemens, auxquels s'ajoutait une option pour deux réacteurs supplémentaires, l'Iran passa des contrats avec diverses sociétés, afin de développer l'ensemble des activités liées au cycle du combustible nucléaire. En attendant de disposer de structures nationales d'enrichissement, le pays a cherché à sécuriser son approvisionnement. Il a alors signé un accord en 1975 avec la France. Ce dernier prévoyait que l'Iran recevrait 10 % de l'uranium enrichi à l'usine Eurodif de Pierrelatte. En contrepartie, il s'engageait à verser plus d'un milliard de dollars pour construire le site d'Eurodif.
3La révolution de 1979 est venue bouleverser ces relations. Les partenariats pour la construction des centrales furent interrompus, les accords passés en matière de fourniture de combustible furent rompus. On reprocha d'ailleurs longtemps à la France de ne pas avoir livré d'uranium enrichi à la jeune République islamique, alors même que l'accord Eurodif le prévoyait. Cette situation donna lieu à une aggravation des tensions entre la France et l'Iran. Ce qui eu pour conséquence dramatique des attentats, ainsi que des assassinats et tentatives d'assassinats contre des officiels français. Le règlement définitif du contentieux intervint en 1991 : les droits de l'Iran au titre du contrat Eurodif furent rétablis. La France versa environ un milliard et demi de dollars, en dédommagement des années durant lesquelles l'approvisionnement en uranium enrichi n'avait pu être effectif.
4Il n'y a pas que les relations franco-iraniennes qui furent affectées lors de prise de pouvoir par l'ayatollah Khomeyni en 1979. Celle-ci a poussé la plupart des pays qui coopéraient jusqu'alors avec l'Iran à interrompre les transferts de technologies nucléaires qui lui étaient destinés. À la mort du Guide de la Révolution, en 1989, les États-Unis s'élevèrent contre la volonté de certains États européens de reprendre les échanges suivis jusque là dans le domaine nucléaire. Si les Russes acceptèrent finalement de reprendre la construction de la centrale de Bouchehr, en 1989, le rythme de progression du chantier fut particulièrement lent, et la Russie invoqua de nombreux obstacles pour retarder la mise en œuvre définitive de ses engagements.
5Bien qu'adhérent aux principes internationaux de lutte contre la prolifération, et disposant de ce fait du droit de produire de l'énergie nucléaire à des fins pacifiques, l'Iran s'est efforcé d'acquérir par des voies officieuses la technologie permettant de développer un programme clandestin aux finalités suspectes. À partir du milieu des années 1980, des contacts furent établis avec le réseau dirigé par le docteur pakistanais Abdel Kader Khan, afin de parvenir à fabriquer en Iran du combustible nucléaire. Ce programme s'est développé pendant de longues années. L'usine de Natanz, réunissant de nombreuses centrifugeuses a été construite par le réseau de A. Khan, et tenue secrète par le régime. Par ailleurs, un réacteur à eau lourde, structure développée par les Soviétiques pour produire du plutonium, a été repéré sur le site d'Arak. Et enfin le dernier transfert officieux de technologie : la fabrication de demi-sphères d'uranium sous forme métallique, impropres à l'usage pacifique, mais d'une grande utilité pour la mise au point d'une arme atomique.
6La révélation de ces activités nucléaires dissimulées a conduit l'AIEA, à se saisir du dossier sur un plan technique en 2003, tandis que les diplomaties allemande, britannique et française engageaient une action sur le plan politique. L'AIEA a considéré que ces installations et le développement de ce programme d'enrichissement constituaient une menace majeure. Elle a notamment mis en lumière la présence dans des centrifugeuses d'uranium hautement enrichi. Ce qui n'était en aucun cas justifié. Elle s'est aussi rendue compte qu'il existait un modèle élaboré de centrifugeuse non déclaré. Parallèlement, dès l'été 2003, la troïka européenne entama des négociations avec l'Iran sur le nucléaire, lesquelles permirent en octobre de la même année la suspension temporaire de l'enrichissement. Ce qui fut confirmé par l'accord de Paris du 15 novembre 2004. Mais le succès des conservateurs aux élections parlementaires de février 2004, puis l'élection en juin 2005 de Mahmoud Ahmadinejad à la présidence iranienne conduisirent à une reprise des activités d'enrichissement. Les ralliements des États-Unis, de la Russie et de la Chine aux efforts européens ne suffirent pas à le stopper. À la demande de l'AIEA, le Conseil de sécurité des Nations unies est alors intervenu pour demander à l'Iran d'interrompre le processus d'enrichissement, par les résolutions 1737 en 2006, 1747 en 2007 et 1803 en mars 2008.
7De telles exigences sont parfaitement légitimes. Ces résolutions ne contredisent pas le droit de l'Iran de bénéficier de l'énergie nucléaire à des fins pacifiques. Cela reste d'ailleurs compréhensible que l'Iran se dote de sources d'énergie nouvelle, en vue d'une diversification, et d'une utilisation d'une technologie plus propre. Contrairement à ce qu'affirme le régime iranien, le TNP ne garantit pas un « droit naturel » à l'enrichissement, mais évoque seulement le droit à « la recherche, la production et l'utilisation de l'énergie nucléaire à des fins pacifiques » et oblige les États à se soumettre aux contrôles de l'Agence. Dans la mesure où la Russie s'est engagée à fournir à l'Iran le combustible nucléaire enrichi nécessaire au fonctionnement de la centrale de Bouchehr, l'Iran, qui ne dispose pas de ressources nationales en uranium, n'a pas besoin de procéder lui-même à cet enrichissement. La position du Conseil de sécurité mérite donc d'être défendue d'autant plus fermement que tant que l'Iran poursuivra son programme d'enrichissement, et ne fournira pas les explications satisfaisantes sur le développement clandestin d'un programme nucléaire, les autres États pourront nourrir des soupçons quant à la finalité prétendument pacifique de ses ambitions nucléaires.
8Si nous ne réussissons pas à ramener l'Iran à la raison, nous prenons le risque de compromettre gravement le processus de désarmement nucléaire en cours depuis plusieurs années dans le monde. Deux États ont renoncé officiellement à la bombe atomique : l'Afrique du Sud, dans les années 1990, et la Libye, en 2003. Ce qui montre que le régime de non-prolifération, malgré ses imperfections, peut aboutir à des résultats tangibles, comme l'indique également la réduction du nombre de têtes nucléaires déployées par les États-Unis et la Russie.
9Certains arguments plaident en faveur d'une plus grande tolérance vis-à-vis du régime iranien. En effet, la détention d'une arme nucléaire aurait pour effet de responsabiliser et de modérer le comportement d'un État sur la scène internationale, comme l'exemple du conflit indo-pakistanais tendrait à le prouver. Sans qu'il soit besoin d'engager de débat théorique sur la question du rôle de la dissuasion nucléaire, force est de constater que, si l'on accepte de céder à l'Iran en se disant qu'un Iran doté de l'arme nucléaire serait un Iran assagi, il sera alors impossible de s'opposer à ce que des États comme l'Égypte, l'Arabie saoudite ou la Turquie mettent eux aussi au point un programme nucléaire à des fins militaires. Le monde ne peut pas se permettre une telle prolifération. Le Conseil de sécurité doit donc maintenir sa position.
10Reste à résoudre la question des moyens à utiliser pour convaincre l'Iran de mettre un terme à son programme nucléaire. Actuellement, les effets des sanctions internationales décidées à la fois par les États-Unis et par le Conseil de sécurité des Nations unies, se font fortement sentir sur l'économie iranienne. Les résolutions 1737 et 1747 ralentissent le développement des activités nucléaires et le commerce des armes. Pour leur part, les sanctions américaines, datant de 1995 et 1996, ont contribué à asphyxier le système financier iranien, et à geler le développement de son industrie de transformation des hydrocarbures. Prévu par une annexe à la résolution 1747, le gel des avoirs de la banque Sepah a contribué à paralyser les circuits destinés à financer l'économie iranienne. La résolution 1803 prive aussi l'Iran de la fourniture de crédits à l'export. Contraint de compenser ces difficultés et confronté à une réduction progressive de sa production causée par ce sous investissement, le régime iranien est tenu d'importer près de la moitié des produits raffinés consommés dans le pays et s'est engagé dans une politique de subventions très généreuses du prix des carburants, certaines sources évoquant un coût d'environ 40 milliards de dollars. Mais ces mesures ont en grande partie échoué. Non seulement la population apparaît de plus en plus hostile au pouvoir en place mais encore, certaines voix se sont élevées au sein même des institutions iraniennes pour mettre en garde contre la poursuite d'une politique aux conséquences massivement inflationnistes. L'efficacité de ces sanctions est amplifiée par l'attitude des acteurs privés étrangers qui, par prudence, ont adopté un comportement encore plus strict que ce que les textes internationaux exigeaient.
11La tentation est grande d'accentuer encore la pression en élargissant les sanctions à l'encontre de l'Iran. Une telle logique risque cependant d'avoir des effets inverses à ceux espérés, en créant entre le pouvoir et la population, excédée par les pressions extérieures, une solidarité qui n'existe pas actuellement. L'option militaire devant être écartée, même si des voix se sont prononcées en ce sens, il convient d'accorder la priorité à un règlement politique du dossier. La nouvelle donne issue des élections présidentielles américaine et iranienne pourrait créer les conditions d'une nouvelle offre globale qui, sans faire perdre la face à l'Iran, lui permettrait d'accepter de modifier radicalement sa position.
12L'élection d'un nouveau président des États-Unis, pourra marquer un tournant dans la politique menée à l'heure actuelle vis-à-vis de l'Iran. Un revirement radical n'est sans doute pas à attendre, mais une inflexion significative en faveur de la reprise d'un dialogue politique entre les États-Unis et l'Iran, le renoncement à la menace de l'emploi de la force armée, seraient de nature à faire évoluer notablement la situation et auraient des conséquences extrêmement importantes sur l'équilibre politique et géostratégique de la région.
13Mais rien d'essentiel ne pourra avoir lieu avant la deuxième échéance déterminante que constitue l'élection présidentielle iranienne, prévue en juin 2009. Son importance ne tient pas au rôle du président de la République, aux pouvoirs finalement assez limités dans un système politique qui se caractérise par la multiplicité des pouvoirs de blocage, rendant toute prise de décision très complexe. En revanche, il est possible que ce scrutin fasse émerger une personnalité moins radicale et moins conservatrice que Mahmoud Ahmadinejad, dont la rhétorique provocatrice et les prises de position choquantes ont contribué sans conteste à aviver les tensions.
14L'attentisme n'étant pas une politique, il convient dès à présent de prendre des initiatives. D'abord, il est souhaitable que des liens soient rétablis avec les pays de la région qui apparaissent comme bases de repli et de soutien logistique pour le régime iranien. À cet égard, une attitude plus ouverte envers la Syrie s'impose comme une nécessité. Il est regrettable que la France ne se soit pas plus nettement engagée sur la voie de la reprise du dialogue avec un partenaire pourtant incontournable. En second lieu, les démocraties occidentales ne peuvent pas se contenter de relations officielles avec l'Iran, et doivent s'adresser également à la partie la plus libérale de l'opinion du pays et la soutenir dans ses aspirations à la démocratisation du régime. L'Iran a vocation à retrouver le rôle de puissance stabilisatrice régionale qu'il a joué par le passé. Un dialogue soutenu et constructif doit être mené dans cette perspective. Peut-être ne suffira-t-il pas à éviter toute confrontation directe, mais il permettra au moins de préparer positivement la réintégration de l'Iran dans la communauté internationale, souhait qu'il appartient à l'administration américaine de ne pas gâcher, et aux Iraniens de réaliser.