Notes
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[1]
La CNPC avait acquis au tournant de l'année 1997 une participation majoritaire dans les compagnies kazakhes Aktyubinskneft et Uzenmunaïgas. Toujours dans la même logique, elle a pris, en 2005, le contrôle de Petrokazakhstan.
-
[2]
« First Kazakh pipeline crude to arrive », Xinhua, 24 mai 2006.
-
[3]
« Six Desert Oilfields Built in Xinjiang », Xinhua, 27 octobre 2004.
-
[4]
« Xinjiang de lishi yu fazhan » (Histoire et développement du Xinjiang), Cahier blanc du Conseil des affaires d'État de la RPC, 2003, http://www.china.org.cn/ch-book/index.htm.
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[5]
La mouvance anticoloniale appelle la région « Turkestan oriental » (Shärkiy Türkistan en ouïghour) pour signifier son appartenance au monde türk et non au monde chinois. Par analogie avec les ex-républiques soviétiques d'Asie centrale aujourd'hui indépendantes, une partie des militants nationalistes ouïghours tend aussi à promouvoir l'emploi du terme Uyghuristan (pays des Ouïghours).
-
[6]
La République populaire de Chine compte à ce jour environ 20 millions de musulmans, localisés pour la moitié au Xinjiang. Ces derniers représentaient 58,6 % de la population de la province en 2001. Ils ont comme point commun de pratiquer un islam sunnite de rite hanéfite marqué par le soufisme. Seuls les Tadjiks du Pamir dérogent à cette règle. Ils pratiquent un islam se rattachant à la branche ismaélienne du chiisme.
-
[7]
Les minorités nationales bénéficient ainsi de quotas de points leur permettant d'accéder plus facilement à l'université et ont droit à un enfant de plus dans le cadre de la politique de l'enfant unique.
-
[8]
« Xinjiang de lishi yu fazhan », op. cit.
-
[9]
Voir Rémi Castets, « Nationalisme, Islam et opposition politique chez les Ouïghours du Xinjiang », Les Études du CERI, no 110, octobre 2004.
-
[10]
Selon le tribunal militaire américain qui a jugé ces Ouïghours capturés par les Pakistanais contre la promesse d'une récompense, « cinq d'entre eux semblent avoir été au mauvais endroit au mauvais moment ». Les 10 autres ont été déclarés « low-risk detainees », leur ennemi étant le gouvernement chinois et non le gouvernement américain.
-
[11]
« True nature of `East Turkestan' forces », China Daily, 22 janvier 2002.
-
[12]
Ce rapport accuse le MITO d'avoir notamment établi au Xinjiang des cellules de formation au maniement des explosifs.
-
[13]
Voir par exemple Amnesty International, « People's Republic of China : Gross Violations of Human Rights in the Xinjiang Autonomous Region », 1er avril 1999.
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[14]
L'Asie centrale compte une importante diaspora ouïghoure avec au Kazakhstan 180 000 à 500 000 Ouïghours, 50 à 100 000 au Kirghizstan et des effectifs difficiles à évaluer en Ouzbékistan en raison de l'ouzbékisation de ces derniers. Le reste de la diaspora ouïghoure est installé en Turquie (environ 10 000 personnes). L'émigration ouïghoure tend désormais à se diriger de plus en plus vers l'Occident (Allemagne, Canada, États-Unis, Belgique, Australie, Scandinavie).
-
[15]
Les autorités kazakhes avaient ainsi reconnu l'Organisation pour la libération de l'Ouïghouristan (OLO), l'Union des peuples Ouïghours et le Front national uni révolutionnaire du Turkestan oriental. L'OLO (Uyghur Azatliq Täshkilati), qui comptait près de 7 000 membres, était à l'époque la plus importante organisation indépendantiste dans la diaspora.
-
[16]
Nouvelle dénomination du Groupe de Shanghai créé en 1996, l'OCS regroupe la Russie, la Chine, le Kazakhstan, le Kirghizstan, le Tadjikistan et l'Ouzbékistan.
-
[17]
2002 Zhongguo tongji nianjian (Annuaire statistique du Xinjiang), Pékin, Zhongguo tongji chubanshe, 2002, p. 51.
-
[18]
2005 Xinjiang tongji nianjian (Annuaire statistique du Xinjiang), Pékin, Zhongguo tongji chubanshe, 2005, p. 238.
-
[19]
. Ibid., p. 713.
-
[20]
Elles abritent à elles seules près des trois-quarts de la population ouïghoure de la région.
La Région autonome des Ouïghours du Xinjiang (RAOX) : un territoire stratégique mais potentiellement instable
1Frontalier de la Mongolie, de la Russie, du Kazakhstan, du Kirghizstan, du Tadjikistan, de l'Afghanistan, du Pakistan et de l'Inde, le Xinjiang est redevenu, après de longues années d'isolement, une interface majeure dans le cadre du développement des échanges entre la Chine et les républiques voisines d'ex-URSS d'une part, entre la Chine et le Pakistan d'autre part.
2Son importance stratégique est aujourd'hui renforcée par la croissance rapide de la consommation chinoise d'hydrocarbures. Le Xinjiang occupe en effet une position clé sur les routes destinées à acheminer les hydrocarbures en provenance d'Asie centrale [1] et de Russie. Kazmunaïgaz et la China National Petroleum Corporation (CNPC) ont ainsi inauguré la première section de l'oléoduc reliant le Kazakhstan à Dushanzi au Xinjiang en décembre 2005. Celui-ci devrait atteindre une capacité de 10 millions de tonnes par an, assurant près de 10 % des importations chinoises actuelles [2]. La CNPC et Gazprom ont parallèlement signé en 2006 un accord initial prévoyant la construction vers la Chine de deux gazoducs d'une capacité de 30 milliards de m3. L'un d'entre eux serait raccordé via le Xinjiang au gazoduc ouest-est, le second pénétrerait en Chine via le Heilongjiang. À cela se rajoute le fait que, selon les estimations chinoises, le Xinjiang abrite 25,5 % et 27,9 % des réserves en pétrole et en gaz de Chine. Pékin prévoit d'en faire à ce titre la première base énergétique du pays à l'horizon 2010. Troisième province productrice de pétrole en 2004, il devrait satisfaire, à cette échéance, plus d'un cinquième de la consommation chinoise de pétrole avec une production de 35 millions de tonnes auxquelles se rajouteraient les importations en provenance du Kazakhstan [3]. Alors que les gisements du Nord-Est de la Chine déclinent, les pipelines du Xinjiang sont, dans cette logique, raccordés à la Chine intérieure. L'oléoduc reliant la Chine au Kazakhstan a été étendu à partir de Dushanzi pour alimenter les raffineries d'Urumchi et de Lanzhou au Gansu. Il est prévu qu'il raccorde Luoyang et enfin Pékin et Shanghai à l'horizon de la prochaine décennie. Parallèlement, le gazoduc ouest-est qui devrait relier les vastes champs gaziers du Tarim à Shanghai est lui aussi en cours de réalisation et une bifurcation vers Canton est à l'étude.
3La stabilisation de la Région autonome des Ouïghours du Xinjiang (RAOX) est donc l'un des objectifs prioritaires de Pékin. Pourtant, si dans la doxa nationaliste, le Xinjiang est « depuis les anciens temps » une partie « inséparable » [4] de la nation chinoise, les populations locales tendent à se percevoir comme étrangères au monde chinois. Resté longtemps en marge de ce dernier, le Xinjiang ou Turkestan oriental [5] est originellement peuplé de minorités nationales à dominante turcophone musulmane [6], minorités au sein desquelles les Ouïghours sont largement majoritaires (document 1). Traditionnellement, les populations indigènes se partageaient les différentes niches écologiques. Les oasis du bassin du Tarim, de Turfan et de Qomul (Hami) sont traditionnellement peuplées de sédentaires ouïghours. La chaîne des Tianshan et les steppes au nord sont, elles, le domaine des nomades kazakhs et kirghizes. À ces populations turcophones musulmanes se rajoutent des nomades mongols dans le Nord et l'Est, ainsi que quelques communautés de Tadjiks du Pamir à la frontière avec le Pakistan et l'Afghanistan. Suite à la conquête de la région par les Qing, sont venus s'installer des Hans, des populations de Mandchourie démobilisées ou envoyées sur place pour assurer le contrôle du Nord de la province, ainsi que des musulmans sinophones.
4Or, ces espaces au carrefour entre l'Asie centrale, le monde des steppes, l'Asie du Sud et la Chine ont connu depuis leur intégration à l'empire chinois un passé tumultueux émaillé d'insurrections sur fond d'ingérences extérieures. En effet, alors que Russes et Britanniques rivalisaient pour se tailler des zones d'influence en Asie centrale, la mouvance indépendantiste, dominée jusqu'au XXe siècle par les réseaux soufis puis par des nationalistes d'obédience panturquiste, djadide et prosoviétique, a tenté de profiter de l'affaiblissement de l'État central pour essayer d'émanciper le Turkestan oriental de la tutelle chinoise.
Une région soumise depuis 1949 à un processus d'intégration à marche forcée
5À partir de 1949, la ré-émergence d'un nouveau pouvoir central fort a permis à la Chine de raffermir sa souveraineté sur la région. Les communistes chinois comptent alors notamment sur l'avancée que constitue leur politique des nationalités par rapport à la période républicaine pour stabiliser les marges peuplées de minorités : reconnaissance théorique des particularismes linguistiques, culturels et religieux des minorités nationales, système d'autonomie, gratification d'avantages matériels et statutaires [7]. Cependant, ces garanties inscrites dans la Constitution ont fait l'objet de mises en œuvre venant amoindrir leur portée. Ainsi, l'autonomie formelle accordée à la région contraste avec la véritable autonomie politique ou la république fédérative d'Ouïghouristan que certains espéraient. Le système politique de la région reste en effet contrôlé par le Parti communiste, lui-même tenu par des Hans originaires de Chine intérieure. Nourrissant de fortes frustrations, les carences de ce système ont empêché la retranscription de nombreuses aspirations de la société ouïghoure tout comme la remise en cause de politiques massivement rejetées ; la plus mal vécue étant sans doute la colonisation de la région.
6En effet, au-delà du strict contrôle du Parti communiste chinois (PCC) sur le système politique régional, le régime chinois a appuyé sa politique d'intégration du Xinjiang à la Chine sur une politique de colonisation massive. Dès les années 1950, le régime communiste a encouragé la mise en place de centres de peuplement han pour sécuriser, mieux contrôler et mettre en valeur cette région riche en hydrocarbures, ressources minérales et terres agricoles vierges. La région a connu ainsi un afflux massif d'immigrants hans largement canalisé par les Corps de production et de construction du Xinjiang (CCPX) (Xinjiang shengchan jianshe bingtuan). Leurs effectifs sont passés d'une centaine de milliers de membres dans les années 1950 à plus de 2,4 millions aujourd'hui [8], qui sont à 90 % hans (soit le tiers des Hans du Xinjiang). Via les CCPX, mais aussi à travers des flux migratoires non contrôlés directement par l'État, la population han est passée de 6,7 % de la population régionale en 1949 à environ 40 % aujourd'hui (document 1). Ce processus de colonisation a permis d'affermir le contrôle chinois sur la région, notamment le long des axes de transport stratégiques et dans la zone frontalière avec l'URSS. Cependant, les politiques visant à injecter des capitaux en priorité dans les zones de colonisation ont généré de fortes inégalités socio-économiques s'articulant le long de lignes ethniques. Ces inégalités ainsi que la logique de domination qui régit les rapports entre Pékin et le système politique régional ont renforcé un profond mal-être. Ce dernier a donné naissance à des formes de contestation qui, au cours des deux dernières décennies, ont été déterminées tant par l'évolution du contexte politique en Chine que par les influences qui se sont diffusées à partir des régions musulmanes voisines, c'est-à-dire du pôle pakistano-afghan et de l'Asie centrale ex-soviétique.
Montée du sentiment anticolonial et résurgence du séparatisme ouïghour
7Dans les années 1980, beaucoup d'intellectuels et d'étudiants ouïghours espèrent que les réformateurs qui tentent d'assouplir la politique de l'État vis-à-vis des nationalités seront capables d'ouvrir un dialogue en vue de réformer le système politique local. Après les années noires de la Révolution culturelle, la relative ouverture qui a suivi l'arrivée au pouvoir de Deng Xiaoping laisse la voie ouverte à un vaste mouvement de revitalisation identitaire sur fond de réaction anticoloniale. Peu à peu, les populations turciques tentent de réaffirmer une identité culturelle et islamique qui avait été largement brimée durant la période de la Révolution culturelle. Sans pour autant renoncer à réprimer les idées ou activités remettant en question la souveraineté chinoise sur la région, les autorités laissent émerger de nouveaux espaces d'expression.
8Ce mouvement bénéficie en même temps de l'attitude bienveillante de certains cadres issus des minorités. En effet, durant les années 1980, dans une logique visant à contrebalancer les excès de la Révolution culturelle, les autorités centrales tentent de promouvoir le recrutement de cadres issus des minorités. Cependant, beaucoup d'entre eux, même s'ils font acte d'allégeance aux dogmes du PCC, sont favorables à une décolonisation ou tout du moins à une autonomie renforcée. L'indulgence, voire la collaboration de certains cadres locaux contribue donc à étendre les espaces dans lesquels ce mouvement de revitalisation identitaire sur fond de revendication anticoloniale s'opère. Alors que se multiplient les ouvrages et les recherches universitaires sur l'histoire et la culture ouïghoures, les étudiants et certains intellectuels ouïghours adoptent une attitude plus militante. Après les vagues de manifestations de 1985, 1988 et 1989, la mouvance conservatrice qui a repris les rênes du pouvoir à Pékin se trouve confrontée à un jihad pour la libération du Turkestan oriental lancé à Barin près de Kachgar en avril 1990 par un « Parti islamique du Turkestan oriental » sans doute inspiré par le succès des Afghans.
9En effet, au même moment, les grands événements politiques qui secouent l'Asie centrale amènent de nombreux militants à penser que le temps de la lutte pour la libération est venu. Pour certains, la défaite des Soviétiques en Afghanistan montre que des musulmans aguerris peuvent chasser de leur territoire l'armée d'un empire communiste, aussi puissant soit-il. Parallèlement, la chute du totalitarisme communiste en Europe, l'écroulement de l'URSS et l'indépendance des républiques d'Asie centrale galvanisent un sentiment anticolonial et pro-démocratique qui avait profité du climat politique moins strict des années 1980 pour s'exprimer au Xinjiang. Après 1991, beaucoup de militants voient dans l'émergence d'États nationaux abritant les autres grands peuples türks d'Asie centrale une légitimation de leurs aspirations indépendantistes. Au titre des liens culturels et religieux unissant les Ouïghours au reste de l'Asie centrale, ces événements font naître l'espoir de trouver de nouveaux soutiens de l'autre côté des frontières. La diaspora ouïghoure centre-asiatique abrite en effet de nombreux militants nationalistes. Au tournant des années 1990, alors que, dans la diaspora occidentale, la majorité des organisations commence à se fédérer autour du lobbying pour la protection des droits fondamentaux des Ouïghours, au Xinjiang, des groupuscules à l'espérance de vie parfois réduite adoptent des modes d'actions plus radicaux. Ils multiplient les actes de guérilla (sabotages, incendies, attaques de casernes de police, de bases militaires), voire procèdent à des actes terroristes (assassinats d'officiels hans, de collaborateurs ouïghours, attentats à la bombe) [9].
Revitalisation de l'islam et développement de l'islam antigouvernemental
10Cette montée des formes de contestation du pouvoir vient se greffer sur un mouvement de revitalisation de l'islam général en Chine. En effet, avec la période des réformes, le principe de liberté religieuse est à nouveau affirmé et inscrit dans la Constitution de 1982. La pratique religieuse reprend, les mosquées sont reconstruites et se multiplient notamment grâce aux fonds des fidèles mais aussi grâce aux financements des pays étrangers. Le mouvement prend néanmoins un tour qui, à partir de la fin des années 1980, inquiète les autorités communistes. Alors que se multiplient des mädrässä souvent non enregistrées, un islam traditionnel teinté d'anti-communisme se revivifie, en particulier dans le Sud du Xinjiang. D'autre part, les populations entrent en contact avec les courants qui se sont développés dans le reste du monde islamique. En effet, au même moment, des marchands en provenance du monde musulman, des membres de familles en exil profitent de l'ouverture des frontières chinoises. Les marchands pakistanais qui se rendent en nombre important dans le Sud du Xinjiang et à Urumchi après l'ouverture de la route du Karakhoram ont une aura importante auprès d'Ouïghours ayant le sentiment d'avoir été coupés de l'Ummah pendant des décennies. La soif d'apprendre de ces derniers les amène à s'intéresser aux courants de pensée que propagent les visiteurs étrangers. D'autre part, un nombre croissant d'Ouïghours profite de l'ouverture des frontières pour se rendre en pèlerinage ou étudier l'islam à l'étranger.
11Les plus aisés et ceux qui disposent de bourses partent vers les pays arabes, les plus pauvres vont au Pakistan jusqu'en 1997, date à partir de laquelle les autorités chinoises commencent à mettre la pression sur les autorités pakistanaises pour qu'elles renvoient les étudiants ouïghours. Des experts chinois ont avancé qu'une dizaine de milliers d'Ouïghours se seraient rendus au Pakistan afin de recevoir un enseignement religieux, un chiffre difficilement vérifiable. L'une des conséquences de ce phénomène a été la projection d'un certain nombre d'Ouïghours sur le théâtre afghan ou cachemiri via certaines écoles coraniques fondamentalistes. Pour d'autres, l'engagement sur le terrain du jihad est plus la conséquence des nouvelles contraintes qu'a entraînées le rapprochement de la Chine avec les voisins centre-asiatiques et pakistanais. Certains d'entre eux, après s'être livrés à des activités politiques ou religieuses susceptibles d'être durement sanctionnées en Chine, se sont réfugiés de l'autre côté de la frontière sans titre de séjour valide. Au cours de la seconde moitié des années 1990, les pressions chinoises réclamant leur extradition ont commencé à être relayées par les gouvernements locaux. Certains ont réussi à passer en Occident, d'autres ont rejoint les différents sanctuaires afghans et pakistanais ou le maquis avec le Mouvement islamique d'Ouzbékistan (MIO), avant de se retrouver projetés dans le jihad afghan.
12À la fin des années 1990, l'Alliance du Nord, rassemblement de groupes armés musulmans s'opposant aux Talibans, avait fait état de quelques individus capturés dans les rangs du MIO, des Talibans et du Hezb-e-islami. Pour les autorités chinoises, cet engagement aurait été plus important. Selon Wang Lequan, Secrétaire général du Parti communiste chinois de la Région autonome des Ouïghours du Xinjiang, 300 Ouïghours auraient été capturés par les forces américaines, 20 auraient été tués, 600 auraient fui au Pakistan et 110, de retour en Chine, auraient été faits prisonniers. Néanmoins, le nombre de prisonniers ouïghours capturés par les différentes forces en présence semble indiquer un engagement plutôt marginal. Jusqu'à il y a peu, les camps de Guantanamo comptaient 22 Ouïghours, pour la plupart capturés par les autorités pakistanaises lors de leur fuite vers les zones tribales. Récemment, les tribunaux militaires américains ont jugé la plupart d'entre eux et les ont décrits comme des éléments projetés dans un conflit aux enjeux les dépassant. La plupart de ces Ouïghours étaient des recrues du Mouvement islamique du Turkestan oriental (MITO). Cantonnés dans leur camp, ils ne participaient pas aux opérations menées contre l'Alliance du Nord. Quinze d'entre eux ont été déclarés libérables en mars 2004 [10] et cinq ont été accueillis par l'Albanie faute de pays désirant leur accorder l'asile politique. Seuls 7 de ces 22 Ouïghours ont été reconnus comme « combattants ennemis ». En fait, la présence de ces éléments sur le théâtre afghan a surtout été utilisée depuis les événements du 11 septembre 2001 par le gouvernement chinois pour insérer la lutte qu'il mène contre les réseaux d'opposition ouïghours dans la dynamique de lutte contre les réseaux jihadistes internationaux.
13Un rapport du Conseil des affaires d'État en janvier 2002 [11] s'est notamment attaché à « mettre en lumière » les connections étroites entre Al-Qaïda et le MITO (Shärqiy Türkistan Islam Herikiti en ouïghour). Certains de ses membres auraient rencontré Oussama Ben Laden au début 1999 et en février 2001, ce dernier acceptant, selon les autorités chinoises, de leur fournir « des sommes fabuleuses » [12]. Cependant, ce discours contraste avec le silence d'Oussama Ben Laden sur le Turkestan oriental, voire même avec les appels de ce dernier pour que les Talibans se rapprochent de Pékin. Il ressort aujourd'hui qu'à la veille de l'intervention américaine, les cadres du MITO contrôlaient un camp en Afghanistan entraînant, avec semble t-il peu de moyens, une petite vingtaine d'Ouïghours en transit depuis le Pakistan ou l'Asie centrale. Si des liens, notamment avec le Mouvement islamique d'Ouzbékistan (MIO) ne sont pas à exclure, Hasan Makhsum, leader du MITO, a quant à lui, avant sa mort en 2003, dénié ces accusations et affirmé que son mouvement, qui visait avant tout à libérer le Turkestan oriental, n'avait jamais eu de contacts organiques avec Al-Qaïda.
Une politique d'éradication des forces de contestation
14La multiplication des troubles sur fond de montée en puissance des réseaux islamistes transnationaux en Asie centrale et dans les régions pakistano-afghanes a cependant alimenté les inquiétudes de Pékin concernant une possible déstabilisation de son autorité sur la Région autonome des Ouïghours du Xinjiang. Certes, les sources officielles chinoises ont tendance à surévaluer la menace constituée par l'islam radical ou le terrorisme au Xinjiang. Cette rhétorique, qui s'appuie parallèlement sur la diabolisation de toute forme de contestation, vise notamment à légitimer une politique de « tolérance zéro » dont le volet répressif est dénoncé par les organisations occidentales de défense des droits de l'homme [13].
15En effet, sur le plan intérieur, un volet répressif particulièrement rude vise à éradiquer toute forme de subversion au Xinjiang. Ce tournant, amorcé au début des années 1990, s'est durci suite à la grande campagne nationale « frapper fort » (yanda) et à l'insurrection de large ampleur qui a secoué Ghulja (Yining) en février 1997. La liste de directives fixée lors de la réunion spéciale du Politburo du Parti communiste chinois (PCC) sur le maintien de la stabilité du Xinjiang dans le cadre de la campagne yanda en mars 1996 est révélatrice des principaux axes que suit cette politique. Elle insiste sur la nécessité d'épurer le PCC et l'administration locale de leurs éléments les moins fiables, de renforcer la propagande contre le séparatisme et le contrôle sur les populations du Xinjiang, de réguler sévèrement la construction de nouvelles mosquées, de donner les positions dirigeantes dans les mosquées ou les organisations religieuses à des personnes qui aiment la « mère-patrie », d'enregistrer toutes les personnes qui ont suivi des formations dans des écoles religieuses ne disposant pas d'autorisation et de les surveiller, et de prendre des « mesures fortes » pour éviter que la religion n'intervienne dans les affaires sociales et politiques.
16Parallèlement, le Politburo a souligné la nécessité d'encourager l'afflux de cadres et de colons han dans le cadre des CCPX afin de mieux contrôler la région. En matière de contrôle des activités religieuses, les règlements ont été amendés par des mesures encore plus strictes en 2001. Dans les faits, les membres de l'administration, les enseignants et les étudiants sont dissuadés de pratiquer l'islam. La plupart des écoles religieuses non enregistrées ont été fermées et l'enseignement est strictement encadré dans celles qui ont conservé leur accréditation. Alors que, dans le reste de la Chine, les imams peuvent former assez librement un nombre indéfini d'étudiants en religion dans les écoles rattachées aux mosquées, au Xinjiang, ils ne peuvent former plus d'un ou deux élèves. Les imams déjà placés sous l'étroite surveillance des bureaux locaux des Affaires religieuses doivent suivre en parallèle des cours d'éducation patriotique pour tester leur loyauté.
17Sur le plan extérieur, Pékin s'est employé à couper les militants de leurs soutiens extérieurs et des influences subversives étrangères. En jouant sur le règlement des contentieux frontaliers avec les républiques voisines d'Asie centrale, sur les perspectives de coopération économique, mais aussi en soutenant fermement les régimes en place, la diplomatie chinoise a su vaincre les réticences issues du conflit sino-soviétique et tisser des liens particuliers avec ses nouveaux voisins centre-asiatiques [14]. Elle a réussi à affaiblir les réseaux séparatistes ouïghours en obtenant l'extradition des militants en fuite et la désactivation des réseaux indépendantistes implantés sur place. Elle a notamment obtenu du Kazakhstan, qui avait reconnu officiellement des organisations indépendantistes implantées sur son territoire [15], de les interdire en 1995. Subissant la pression des autorités du Kazakhstan, du Kirghizstan et d'Ouzbékistan, les réseaux souterrains apportant un soutien à d'autres militants actifs au Xinjiang ont pour la plupart cessé leurs activités. La Chine tente aujourd'hui de pérenniser cette dynamique à travers la promotion d'une coopération sécuritaire et économique multilatérale dans le cadre de l'Organisation de la coopération de Shanghai (OCS) [16]. Cette coopération reprend la terminologie chinoise de lutte contre les « trois forces » (san gu shili), le séparatisme, l'extrémisme et le terrorisme. En dépit de la mise en place d'un centre anti-terroriste à Tachkent et de la tenue de manœuvres conjointes, cette dynamique sécuritaire multilatérale reste embryonnaire. Elle est avant tout l'émanation de la volonté chinoise de soutenir un « ordre centre-asiatique sain », épuré de toute force séparatiste, islamiste, mais également pro-occidentale qui pourrait déstabiliser la Chine.
18De même, pour parer à toute contagion islamiste, la Chine a obtenu du Pakistan qu'il ferme ses mosquées aux étudiants ouïghours. D'autre part, peu avant l'intervention américaine, Pékin s'était rapproché des Talibans puis, après 2002, du gouvernement d'Hamid Karzaï, dans l'espoir d'éviter tout soutien de Kaboul aux militants ouïghours.
Un développement économique qui ne réussit pas à gommer de fortes inégalités ethniques
19Un second axe de stabilisation du Xinjiang vise à promouvoir le développement économique de la région, notamment via la politique de développement du Grand Ouest (xibu dakaifa). En augmentant le niveau de vie des populations locales, Pékin espère rendre l'intégration à la Chine moins questionnable.
20Aujourd'hui, la promotion du développement économique régional est évoquée comme la panacée dans les discours officiels consacrés au renforcement de l'unité nationale (minzu tuanjie). Depuis 1949, la Région autonome des Ouïghours du Xinjiang a bénéficié d'importants transferts sous forme de subventions fiscales, de dotations aux entreprises d'État, de prêts ou d'allocations budgétaires. Elle est dans le peloton de tête des provinces ayant le plus bénéficié des transferts du gouvernement central. Le maintien d'un puissant secteur d'entreprises d'État au Xinjiang, en dépit de la libéralisation de l'économie chinoise, et la prévalence de l'investissement en construction de capital fixe financé par l'État sont révélateurs de ce rôle moteur de l'État central. Cette région autrefois parmi les plus pauvres de Chine est aujourd'hui, au sein des provinces du « Grand Ouest », celle qui dispose du PIB par habitant le plus élevé, et elle se classe au 12e rang des 31 provinces chinoises [17]. Au tournant de l'année 2000, la région autonome des Ouïghours du Xinjiang a donc été intégrée dans le « plan de développement du Grand Ouest » dont l'objectif, extrêmement médiatisé, est de réduire l'écart de développement entre l'Est et l'Ouest de la Chine.
21Le gouvernement central a continué d'accroître ses allocations aux budgets provinciaux concernés. Au Xinjiang, celles-ci ont augmenté de près de 22 % entre 2003 et 2004, représentant plus de 60,7 % du budget régional [18]. Cependant, les investissements étrangers censés constituer le deuxième moteur de ce plan de développement ne sont pas au rendez-vous. Les investisseurs sont souvent effrayés par une corruption rampante, un environnement juridique encore moins sûr que dans le reste de la Chine et une main-d'œuvre peu qualifiée. Ainsi au Xinjiang, après avoir doublé entre 2001 et 2002, le montant des investissements étrangers a continué de stagner entre 40 et 45 millions de dollars entre 2002 et 2004, la région ne se classant qu'au 28e rang des provinces chinoises en termes d'investissement étranger direct [19].
22Enfin au-delà du financement du plan de développement, la question de la répartition des richesses générées par ce dernier continue de se poser. Certes, les minorités ethniques et notamment les Ouïghours bénéficient de l'amélioration générale des infrastructures de transport, sanitaires, et éducatives et dans les zones urbaines. Néanmoins, la croissance que connaît le Xinjiang continue de bénéficier principalement aux zones à majorité han. Ainsi, en 2004, dans les préfectures de Tacheng, Bayangol et Changji, toutes trois à forte majorité han et avec une forte proportion de membres des CCPX, le revenu moyen des ménages ruraux est respectivement de 5 268, 5 968 et 6 225 Rmb (yuans). Dans les préfectures à majorité ouïghoure d'Aksu, Kachgar et Khotan [20], il tombe respectivement à 3 508, 1 707 et 1 167 Rmb.
23Comme dans le reste de la Chine, les inégalités de revenus se creusent de plus en plus au Xinjiang. Toutefois, dans cette région, elles s'approfondissent le long de lignes ethniques sous l'effet de politiques d'investissement destinées à encourager la colonisation de la région. Tant que Pékin et le gouvernement régional ne prendront pas en compte ce phénomène, la stratégie de stabilisation, basée sur un contrôle politique étroit et une croissance forte, risque au contraire d'exacerber les tensions ethniques au Xinjiang.
Population du Xinjiang par nationalité en 2004
Population du Xinjiang par nationalité en 2004
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[1]
La CNPC avait acquis au tournant de l'année 1997 une participation majoritaire dans les compagnies kazakhes Aktyubinskneft et Uzenmunaïgas. Toujours dans la même logique, elle a pris, en 2005, le contrôle de Petrokazakhstan.
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[2]
« First Kazakh pipeline crude to arrive », Xinhua, 24 mai 2006.
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[3]
« Six Desert Oilfields Built in Xinjiang », Xinhua, 27 octobre 2004.
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[4]
« Xinjiang de lishi yu fazhan » (Histoire et développement du Xinjiang), Cahier blanc du Conseil des affaires d'État de la RPC, 2003, http://www.china.org.cn/ch-book/index.htm.
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[5]
La mouvance anticoloniale appelle la région « Turkestan oriental » (Shärkiy Türkistan en ouïghour) pour signifier son appartenance au monde türk et non au monde chinois. Par analogie avec les ex-républiques soviétiques d'Asie centrale aujourd'hui indépendantes, une partie des militants nationalistes ouïghours tend aussi à promouvoir l'emploi du terme Uyghuristan (pays des Ouïghours).
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[6]
La République populaire de Chine compte à ce jour environ 20 millions de musulmans, localisés pour la moitié au Xinjiang. Ces derniers représentaient 58,6 % de la population de la province en 2001. Ils ont comme point commun de pratiquer un islam sunnite de rite hanéfite marqué par le soufisme. Seuls les Tadjiks du Pamir dérogent à cette règle. Ils pratiquent un islam se rattachant à la branche ismaélienne du chiisme.
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[7]
Les minorités nationales bénéficient ainsi de quotas de points leur permettant d'accéder plus facilement à l'université et ont droit à un enfant de plus dans le cadre de la politique de l'enfant unique.
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[8]
« Xinjiang de lishi yu fazhan », op. cit.
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[9]
Voir Rémi Castets, « Nationalisme, Islam et opposition politique chez les Ouïghours du Xinjiang », Les Études du CERI, no 110, octobre 2004.
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[10]
Selon le tribunal militaire américain qui a jugé ces Ouïghours capturés par les Pakistanais contre la promesse d'une récompense, « cinq d'entre eux semblent avoir été au mauvais endroit au mauvais moment ». Les 10 autres ont été déclarés « low-risk detainees », leur ennemi étant le gouvernement chinois et non le gouvernement américain.
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[11]
« True nature of `East Turkestan' forces », China Daily, 22 janvier 2002.
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[12]
Ce rapport accuse le MITO d'avoir notamment établi au Xinjiang des cellules de formation au maniement des explosifs.
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[13]
Voir par exemple Amnesty International, « People's Republic of China : Gross Violations of Human Rights in the Xinjiang Autonomous Region », 1er avril 1999.
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[14]
L'Asie centrale compte une importante diaspora ouïghoure avec au Kazakhstan 180 000 à 500 000 Ouïghours, 50 à 100 000 au Kirghizstan et des effectifs difficiles à évaluer en Ouzbékistan en raison de l'ouzbékisation de ces derniers. Le reste de la diaspora ouïghoure est installé en Turquie (environ 10 000 personnes). L'émigration ouïghoure tend désormais à se diriger de plus en plus vers l'Occident (Allemagne, Canada, États-Unis, Belgique, Australie, Scandinavie).
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[15]
Les autorités kazakhes avaient ainsi reconnu l'Organisation pour la libération de l'Ouïghouristan (OLO), l'Union des peuples Ouïghours et le Front national uni révolutionnaire du Turkestan oriental. L'OLO (Uyghur Azatliq Täshkilati), qui comptait près de 7 000 membres, était à l'époque la plus importante organisation indépendantiste dans la diaspora.
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[16]
Nouvelle dénomination du Groupe de Shanghai créé en 1996, l'OCS regroupe la Russie, la Chine, le Kazakhstan, le Kirghizstan, le Tadjikistan et l'Ouzbékistan.
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[17]
2002 Zhongguo tongji nianjian (Annuaire statistique du Xinjiang), Pékin, Zhongguo tongji chubanshe, 2002, p. 51.
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[18]
2005 Xinjiang tongji nianjian (Annuaire statistique du Xinjiang), Pékin, Zhongguo tongji chubanshe, 2005, p. 238.
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[19]
. Ibid., p. 713.
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[20]
Elles abritent à elles seules près des trois-quarts de la population ouïghoure de la région.