Couverture de RIS_049

Article de revue

La coopération entre la France et l'Afrique en matière de sécurité et de défense. Quelles perspectives pour l'avenir ?

Pour un partenariat renforcé

Pages 13 à 16

Notes

  • [1]
    Intervention du général de corps aérien François de Vaissière lors du colloque « Sécurité et défense en Afrique subsaharienne : quel partenariat avec l’Europe ? », organisé par l’Institut de relations internationales et stratégiques, avec le soutien et la collaboration de la Délégation aux affaires stratégiques du ministère de la Défense, les 29 et 30 novembre 2002, à Bamako, au Mali. Les actes complets de ce colloque sont disponibles sur le site Internet du ministère de la Défense à l’adresse suivante : wwwwww. defense. gouv. fr/ das.
English version

1En ce qui concerne l’évolution de la coopération en matière de sécurité et de défense entre la France et l’Afrique, et au regard de l’évocation de notre passé commun, de la période qui a suivi la décolonisation et de la longue période de la guerre froide, on ne peut pas parler de coopération entre la France et l’Afrique, mais plutôt d’une coopération entre la France et quelques pays africains. On peut citer, par exemple, la coopération bilatérale, formalisée par des accords de coopération ou des accords de défense plus ou moins contraignants, entre la République française et la République du Sénégal ou la République de Djibouti. Cette période de notre histoire fait partie d’un passé commun que nous devons assumer les uns et les autres, une époque au cours de laquelle la France est intervenue militairement dans de nombreux conflits, jusqu’à la tragédie du Rwanda.

PRINCIPES ET OBJECTIFS DE LA RÉFORME DE 1998

2L’année 1998 a été une année clé dans l’évolution de la coopération. Elle est l’année de la réforme de la coopération internationale décidée par le gouvernement français, qui a vu la fusion du ministère de la Coopération et du ministère des Affaires étrangères et, à cette occasion, la création, au sein du ministère des Affaires étrangères, d’une Direction de la coopération militaire et de défense. Cette réforme de la coopération internationale, dont la coopération de défense n’est qu’un des aspects, a posé deux grands principes. Tout d’abord, l’abolition de la notion de champ ou de pré-carré. Ainsi, la France respecte ses engagements, en l’occurrence les accords passés avec ses principaux partenaires, mais elle entend désormais développer des relations avec d’autres partenaires sur le continent africain. C’est une question dont nous avons souvent débattu avec nos collègues des pays africains francophones : « Nous sommes vos vrais amis et le soutien que vous apportez à d’autres partenaires se fait à notre détriment », nous disent-ils. La réponse est clairement négative en raison du deuxième grand principe posé par la réforme de 1998.

3En effet, la coopération de substitution doit céder la place au partenariat, de manière progressive mais avec détermination. L’objectif est de responsabiliser nos partenaires et de leur faire acquérir leur autonomie, chacun à son rythme et en fonction de ses possibilités. Les responsabiliser signifie leur demander de fixer eux-mêmes leurs priorités, de bâtir en partenariat avec la France des projets de coopération et, surtout, d’y contribuer.

4Ces deux grands principes étant posés, la France, en concertation avec ses partenaires, privilégie aujourd’hui trois grands objectifs de coopération dans les domaines de la sécurité et de la défense. Le premier objectif concerne la formation des cadres ou, plus précisément, la formation des élites militaires, comme c’est déjà le cas à Thiès, au Sénégal, à l’École des officiers d’active, mais aussi à Koulikoro, au Mali, à l’École d’état-major.

5Le deuxième objectif est de contribuer à la stabilité intérieure des États en aidant nos partenaires à mieux contrôler leur espace territorial. Nous soutenons ainsi un programme d’équipement en moyens de transmissions au Sénégal, la constitution d’une aviation légère d’observation au Mali comme au Niger, ou encore les unités méharistes de la garde nationale malienne. Par ailleurs, la France aide ses partenaires à promouvoir l’État de droit, notamment par la création d’un centre de perfectionnement de la gendarmerie mobile au Sénégal et d’un centre de formation à la police judiciaire au Cameroun.

6Le troisième objectif vise la stabilité régionale, en apportant un soutien au processus d’intégration régionale grâce à trois vecteurs. Tout d’abord, les écoles nationales à vocation régionale, telles que l’école du maintien de la paix de Zambakro en Côte d’Ivoire, le pôle aéronautique de Garoua au Cameroun ou l’école de déminage de Ouidah au Bénin, qui devrait ouvrir ses portes au mois de février 2003. Ensuite, grâce aux séminaires comme le forum annuel de l’Institut des hautes études de défense nationale pour le continent africain ou le séminaire politico-militaire qui s’est tenu à Dar Es-Salaam en 2002, en préambule au grand exercice organisé conjointement avec la Tanzanie. Enfin, la France souhaite apporter son soutien aux organisations régionales comme la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), qui ont vocation à s’impliquer davantage dans la prévention et la résolution des conflits et à maîtriser les processus de planification et de conduite d’une opération de maintien de la paix. Au-delà de la stabilité de telle ou telle région d’Afrique, c’est la stabilité du continent tout entier qui nous préoccupe. Le concept français de Renforcement des capacités africaines de maintien de la paix (RECAMP) témoigne de notre volonté de permettre aux Africains de prendre davantage en charge leur propre sécurité. En aucun cas, ce concept n’est l’expression d’une volonté de renforcer ou d’étendre notre influence en Afrique.

7Enfin, le quatrième objectif de la coopération militaire est d’inscrire l’action de la France dans une logique d’association avec ses partenaires européens, notamment les Britanniques – pour des raisons évidentes –, mais aussi avec les Américains. Dans cette perspective, il sera nécessaire d’européaniser le programme RECAMP ; de développer des synergies entre les écoles de maintien de la paix ; et d’apporter un soutien coordonné aux organisations régionales.

DE L’ASSISTANCE MILITAIRE AU PARTENARIAT

8Quelques réflexions sur l’évolution de cette coopération viennent compléter ces objectifs, afin d’enrichir ou de susciter le débat. Tout d’abord, la nature de notre coopération a profondément changé. De l’assistance militaire, qui a consisté à équiper et entraîner les armées des pays rangés dans notre camp pendant la guerre froide, nous sommes passés au partenariat. Cette évolution, qui a été considérée à tort par nos partenaires comme un désengagement de la France, n’était en réalité que la conséquence d’une décision politique prise dans un contexte stratégique nouveau. À cette époque, la forte réduction du nombre de coopérants a été une conséquence de cette décision, mais en aucun cas la manifestation d’un désintérêt.

9Par ailleurs, un partenariat se définit comme l’engagement de deux partenaires à bâtir quelque chose ensemble. En l’occurrence, au travers de conventions signées par les deux parties et fixant les responsabilités de chacun, notamment en termes de financement. Or il n’est pas aisé d’établir un partenariat avec un pays qui consacre plus des trois quarts du budget de sa défense au paiement des soldes des militaires. Certes, les armées sont des institutions nationales souvent parmi les plus efficaces, participant au développement du pays, mais ce rôle ne peut pas justifier leur surdimensionnement, lequel fait bien souvent obstacle à tout renouvellement des équipements, limite l’entraînement des forces et favorise donc l’oisiveté. Toutefois, la France a conscience des problèmes liés au désarmement et à la reconversion des combattants dans une situation postconflictuelle. Le partenariat signifie également d’accepter de partager les efforts dans le domaine de la formation des cadres. À cet égard, les écoles nationales à vocation régionale en sont la parfaite illustration. Elles ne sont pas des écoles françaises de deuxième catégorie, qui proposeraient des formations au rabais. Elle sont l’expression de la prise en charge, par les Africains eux-mêmes, de la formation de leurs cadres, avec le soutien de la France. La France n’a pas fermé les portes de ses écoles aux Africains pour faire de la place aux Européens de l’Est. Ce serait lui faire un mauvais procès que de le lui reprocher.

10En ce qui concerne l’objectif évoqué précédemment – le renforcement de la stabilité régionale et le soutien au processus d’intégration régionale –, se pose ici la question du cadre bilatéral ou multilatéral de la coopération. Le second doit-il peu à peu prendre le pas sur le premier ? Ce serait, nous semble-t-il, une erreur, car la coopération bilatérale doit demeurer le fondement de notre politique de coopération, et ce, parce que la France entend respecter ses engagements, mais également et surtout parce que cette coopération bilatérale est le meilleur témoignage de notre fidélité et de notre solidarité. Sans doute devons-nous accorder une priorité à ceux de nos partenaires dont les systèmes de sécurité ont été disloqués par des années de guerre. La France doit certainement entreprendre des efforts afin d’être plus réactive dans de telles situations. Néanmoins, il est clair qu’il nous faut aujourd’hui dépasser ce cadre bilatéral pour donner les moyens aux Africains de prendre en charge leur sécurité et donner les moyens aux organisations régionales comme la CEDEAO ou l’Union africaine d’assumer leurs responsabilités. Les efforts que la France entend déployer pour faire de RECAMP autre chose qu’un concept, et autre chose qu’un programme français, vont dans ce sens. La situation en Côte d’Ivoire et en République Centrafricaine (RCA) montrent que nous avons encore un long chemin à parcourir.

11Enfin, dire que sans développement il n’y a pas de sécurité est une banalité. À cet égard, on évoque souvent l’aide publique au développement, et la France devrait augmenter cette aide de 50 % dans les cinq ans à venir. Cependant, on parle moins d’aide à la sécurité, ce qui est regrettable, car la réforme ou la reconstruction d’un système de sécurité est un travail de longue haleine. Elle implique de multiples acteurs : les armées, la gendarmerie, la police, les appareils judiciaire et pénitentiaire, et les gouvernements. C’est un processus global qui doit permettre de faire face à un problème global en Afrique, dans la mesure où sécurité extérieure et sécurité intérieure, menaces extérieures et menaces intérieures ne se distinguent pas toujours clairement.

12Ce message est celui que nous essayons de transmettre, afin de convaincre ceux qui pensent que le développement suffit à générer de la sécurité et que la coopération en matière de défense et de sécurité n’est pas une priorité. La sensibilité de cette forme de coopération explique sans doute cette position. Il est clair que, lorsque des militaires, des soldats ou des gendarmes formés par des Français se rendent coupables d’exactions, c’est toute la coopération militaire entre la France et l’Afrique qui est montrée du doigt.

13Notre conviction est qu’il ne faut pas s’attarder sur ces échecs et poursuivre notre travail avec détermination, car la route est encore très longue, aussi longue qu’elle l’a été en Europe pour établir un espace de sécurité. En effet, il ne faut pas oublier que, au cours du XXe siècle, les Européens ont été à l’origine de deux guerres mondiales. Gardons-nous donc de donner des leçons à nos amis africains et gardons-nous de reprocher à des pays indépendants depuis quarante ans de ne pas adopter du jour au lendemain des formes d’organisation que nos nations européennes ont mis des siècles à élaborer.


Date de mise en ligne : 01/03/2008

https://doi.org/10.3917/ris.049.0013

Notes

  • [1]
    Intervention du général de corps aérien François de Vaissière lors du colloque « Sécurité et défense en Afrique subsaharienne : quel partenariat avec l’Europe ? », organisé par l’Institut de relations internationales et stratégiques, avec le soutien et la collaboration de la Délégation aux affaires stratégiques du ministère de la Défense, les 29 et 30 novembre 2002, à Bamako, au Mali. Les actes complets de ce colloque sont disponibles sur le site Internet du ministère de la Défense à l’adresse suivante : wwwwww. defense. gouv. fr/ das.

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