Notes
-
[1]
La formulation est le fait du français. En anglais, il est dit : « des femmes ». De même, la commission dont il sera question ci-dessous est appelée en français « de la condition de la femme », alors qu’en anglais il s’agit de la « commission on the status of women ».
-
[2]
On s’en convaincra en consultant la bibliographie établie par les Nations unies, Femmes : bibliographie sélective, 1988-1999, Genève, Bibliothèque des Nations unies, 2000.
-
[3]
Leila J. Rupp, Worlds of Women. The Making of an International Women’s Movement, Princeton, Princeton University Press, 1997. Il s’agit là du principal ouvrage de synthèse sur les femmes dans l’histoire internationale de la fin du XIXe siècle à la Seconde Guerre mondiale.
-
[4]
Voir également les articles 13, 55 et 75 de la charte.
-
[5]
Margaret E. Galey, « Promoting Non-Discrimination Against Women, the UN Commission on the Status of Women », International Studies Quarterly, vol. 23, no 2, juin 1979, p. 273-302.
-
[6]
Roseline Letteron, « Les droits des femmes entre l’égalité et l’apartheid », Mélanges en l’honneur d’Hubert Thierry. Évolution du droit international, Paris, Pedone, 1998, p. 281-302.
-
[7]
Voir sur ce point l’introduction, par Janusz Symonides et Vladimir Volodine, de Droits des femmes. Recueil de textes normatifs internationaux, Paris, Unesco, 2001.
-
[8]
Il est cependant intéressant de noter qu’en France la presse ne lui a donné qu’une très faible audience alors que les mouvements de femmes ont été fortement impliqués.
-
[9]
Giovanna Procacci, Maria Grazia Rosellini, « La construction de l’égalité dans l’action des organisations internationales », in Christine Fauré (sous la dir.), Encyclopédie politique et historique des femmes, Paris, PUF, 1997, p. 832.
-
[10]
R. Letteron, op. cit.
-
[11]
Voir, à ce propos, A. Rehof, « Guide to the “travaux préparatoires” of the UN Convention on the Elimination of the Discrimination Against Women », International Studies of Human Rights, Martinus Nijhoff Publishers, vol. 29, 1993.
-
[12]
Voir André Michel, « Nairobi, Forum international des organisations non gouvernementales, 8-17 juillet 1985 », Nouvelles questions féministes, no 11-12, 1985, p. 142-148.
-
[13]
Dans l’article 18 de la déclaration et du programme d’action adopté à l’issue de la conférence mondiale sur les droits de l’homme, il est dit que « les droits fondamentaux des femmes et des fillettes font inaliénablement, intégralement et indissociablement partie des droits universels de la personne ».
1Les droits de l’homme, formulés dès la fin du XVIIIe siècle, n’ont d’abord concerné que les hommes. C’est l’émergence progressive d’une communauté internationale qui a permis l’affirmation universelle des droits de la personne et qui, en outre, a fait de l’égalité des sexes un principe. Au sein de ce que l’on nomme les droits de l’homme, les « droits de la femme » [1] n’ont, cependant, cessé d’être problématiques. La création d’instances intergouvernementales traitant spécifiquement des femmes a fait débat au sein même des Nations unies, mais aussi entre les organisations non gouvernementales (ONG) spécialisées dans les droits des femmes. La controverse a d’abord été de nature théorique : convenait-il de traiter les droits des femmes dans des instances et des traités particuliers plutôt que dans des enceintes et des textes à vocation générale ? Les conférences thématiques de l’Organisation des Nations unies (ONU) ont, par ailleurs, montré que ces droits ont constitué un lieu de clivage politique qui, au temps de la guerre froide, recoupait ce que l’on appelait les « blocs ». Mais, depuis les années 1990, la configuration du débat a changé, révélant à quel point les femmes constituent un enjeu national dans de nombreux pays.
2Le mouvement féministe des années 1970 a provoqué l’essor des études sur les femmes et, désormais, sur le genre. Celles-ci sont le plus souvent nationales et inégalement développées, dans chaque pays, selon les disciplines. La place de la question des femmes dans les relations internationales et dans le droit international demeure ainsi peu explorée dans le champ académique [2]. Aussi cette contribution constitue-t-elle une ébauche de réflexion en même temps qu’une invitation à la recherche.
LA LENTE RECONNAISSANCE DES FEMMES COMME LES ÉGALES DES HOMMES DANS LE DROIT INTERNATIONAL
3Les femmes ont commencé à s’organiser de façon transnationale dès la fin du XIXe siècle. Dans l’entre-deux guerres, des féministes ont misé sur la Société des Nations (SDN) pour que soit affirmée, dans un traité, l’égalité des femmes et des hommes [3]. Elles ont échoué, mais leurs efforts n’ont pas été vains. Sous la pression des mouvements de femmes, la charte de San Francisco inclut, en 1945, la référence au sexe des personnes. Dans son préambule, il est dit que les nations qui s’unissent se déclarent résolues « à proclamer à nouveau leur foi dans les droits fondamentaux de l’homme, dans la dignité et la valeur de la personne humaine, dans l’égalité des droits des hommes et des femmes ». Dès son article premier, la charte dispose que le but des Nations unies est de « réaliser la coopération internationale en développant et en encourageant le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion » [4]. L’introduction des mots « femmes » et « sexe » permettait de sortir de l’ambiguïté qui avait jusque-là régné. Les mots « homme » ou « humain » englobaient les femmes dans un texte de portée générale. La mention du sexe fut répétée dans la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948.
4Encore fallait-il que cette égalité proclamée se traduise dans les faits. Parmi les femmes qui s’étaient démenées pour cette rédaction de la charte, beaucoup doutaient d’une prise en considération spontanée des intérêts du deuxième sexe dans le droit des nations et, surtout, dans la pratique. Selon elles, un mécanisme devait être mis en place pour en traiter spécifiquement. Elles se sont alors appuyées sur l’article 55 de la charte de San Francisco, aux termes duquel le Conseil économique et social est chargé de favoriser le respect « universel et effectif » des droits de l’homme et des libertés fondamentales, là encore, est-il rappelé, « sans distinction de sexe ». Lors de sa première réunion, en février 1946, ledit Conseil créa des organes « subsidiaires » chargés de la mise en œuvre des droits énoncés dans la charte. L’un d’entre eux est la Commission des droits de l’homme (qui fut, lors de sa naissance, présidée par Eleanor Roosevelt). Sous la pression des mouvements féministes, elle fut dotée d’une « sous-commission de la condition de la femme » [5]. Or la création de celle-ci a suscité de vifs débats. La Commission des droits de l’homme ne pouvait-elle être habilitée à traiter des questions concernant les femmes sans un tel appendice ? Tel était le point de vue non seulement de la Commission des droits de l’homme et de sa présidente, mais également d’autres organes des Nations unies. L’Organisation internationale du travail (OIT) qui, dès l’entre-deux-guerres, s’était saisie de la question de la condition des femmes dans l’emploi salarié, vit ainsi d’un mauvais œil l’émergence d’un organe, fût-il une sous-commission, qui se saisirait de questions empiétant sur son domaine. L’enjeu n’était pas seulement de compétence mais de fond. Ne risquait-on pas, en instaurant un organe « spécifique » chargé de « la condition de la femme », de rompre avec l’universalisme et, au bout du compte, de marginaliser les femmes en les plaçant à nouveau dans une « catégorie » à part, et de constituer ainsi un « ghetto » ? La « sous-commission » a cependant été dotée dès 1947 d’un statut autonome. Un tel organe représentait une victoire pour des féministes persuadées de sa nécessité. Mais il n’allait pas de soi. Outre le débat théorique que soulevait sa constitution, et les conflits de compétence qu’il risquait de provoquer avec la Commission des droits de l’homme, ses adversaires n’ont pas manqué de dénoncer et sa marginalisation, et le risque de constitution de normes contraires au principe de l’universalité des droits de la personne [6].
5À regarder l’œuvre de la Commission de la condition de la femme, on peut pourtant constater que son rôle a été, dans de nombreux domaines, décisif pour l’élaboration de normes en matière d’égalité juridique entre les femmes et les hommes, qui, autrement, n’auraient peut-être pas vu le jour, en tout cas pas aussi rapidement. Sans doute faut-il voir dans la première convention élaborée par la commission, portant sur les droits politiques des femmes, et adoptée en 1952, le résultat de la mobilisation des mouvements féministes depuis les années 1880, sur le droit de suffrage et d’éligibilité. Quoique très générale et limitée dans son objet, elle a constitué un instrument majeur dans le progrès des droits civiques à travers le monde. La seconde convention issue des travaux de la commission concerne la nationalité de la femme mariée. Elle est également l’aboutissement d’un vieux combat des femmes. À la suite de la conférence de La Haye, en 1933, la double nationalité avait été prohibée. Cette clause allait conduire, dans de nombreux pays, à ce que l’épouse perde sa nationalité en se mariant avec un étranger, et ne puisse donc la transmettre à ses enfants. La Convention de 1957 spécifie, notamment, que ni la célébration, ni la dissolution du mariage entre ressortissants étrangers, ni le changement de la nationalité du mari ne peuvent avoir d’effet sur la nationalité de la femme. Une troisième convention fut soumise pour approbation à l’Assemblée générale des Nations unies en 1967. Elle concerne le consentement au mariage, l’âge minimal des mariés et l’enregistrement des mariages.
6Le travail de la commission ne s’est pas limité à l’élaboration de conventions, dont le point d’orgue fut celle sur l’élimination de toutes les discriminations à l’égard des femmes (Convention on the Elimination of All Forms of Discrimination against Women, CEDAW), adoptée par l’Assemblée générale de l’ONU, en 1979. La commission a également permis de sensibiliser la communauté internationale aux questions d’égalité face à l’éducation, en liaison avec l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), et à la situation des femmes face à l’emploi, en liaison avec l’OIT. Ses travaux, facilités par l’existence, auprès du secrétariat des Nations unies, de la division de la promotion de la femme, ont enfin conduit la communauté internationale à prendre en considération le sort des femmes dans le monde à l’occasion de toutes les grandes conférences thématiques, en intégrant la dimension du genre dans les réflexions et documents finaux [7]. Sans cet organe et la mobilisation des mouvements qu’elle a suscités, ce que l’on appelle la « question des femmes » aurait-elle été intégrée dans les débats ?
DU DROIT À LA PRATIQUE, L’AFFRONTEMENT DES « BLOCS »
7Les succès de la commission semblent avoir été liés au fait que, au moins à ses débuts, les représentants des États (essentiellement des femmes) n’étaient pas majoritairement des diplomates mais des représentants de la société civile, sensibles aux droits des femmes, nommés par les États, et qui travaillaient en liaison avec les ONG féminines. Sur les droits civils et politiques, la commission a agi avec célérité, ce qui ne veut pas dire que des tensions ne se soient pas manifestées en son sein. C’est à partir du début des années 1970 que l’on sent celles-ci se dessiner davantage.
8En 1972, la commission fêta son 25e anniversaire. À la même époque, un nouveau mouvement féministe émergeait. La commission proposa que l’année 1975 soit proclamée « année internationale de la femme » et que se tienne une conférence internationale thématique sur les femmes qui ouvre la « décennie de la femme ». Quel fut le thème de la conférence ? La logique de l’affrontement entre l’Est et l’Ouest, et l’émergence d’un regroupement des pays en développement, au sein de l’ONU, dans le « groupe des 77 », détermina dans une large mesure celui-ci. Les pays du bloc soviétique considéraient que l’égalité dans les États communistes ne constituait plus un problème, mais que la paix devait être mise à l’ordre du jour, car seule la guerre maintenait les femmes dans une telle situation. Les pays de l’Ouest souhaitaient, pour leur part, que la conférence se penchât sur les questions d’égalité, notamment d’égalité formelle. Quant aux pays en développement, ils avançaient, appuyés par les pays communistes, que la pauvreté était l’obstacle majeur à l’égalité entre les femmes et les hommes. Une synthèse fut opérée : la conférence eut, pour thème : « Égalité, paix et développement. » Elle se déroula à Mexico, du 19 juin au 2 juillet 1975.
9En dépit des tensions qui sont apparues – celles qui traversaient alors le monde (d’ores et déjà la question palestinienne), mais aussi celles qui divisaient les femmes dont les approches étaient différentes –, la conférence connut, lors de sa préparation, une forte mobilisation des mouvements féminins et féministes dans de nombreux pays [8]. Elle a, en outre, inauguré la présence de la société civile en marge d’une conférence intergouvernementale. Quelque 2 000 femmes sont, en effet, venues à Mexico pour faire pression sur les États. Le succès de la conférence fut d’autant plus notable que ce n’était plus la Commission de la condition de la femme qui maîtrisait les débats, mais, cette fois, les représentants, à Mexico (généralement des hommes), des quelque 130 États. Un plan d’action mondial y fut adopté. Il portait en particulier sur les domaines où les États et la communauté internationale se devaient d’agir : la coopération internationale et la paix, la participation politique des femmes, l’enseignement et la formation, l’emploi, la santé et la nutrition. Des rendez-vous furent arrêtés afin de vérifier l’application du plan. Le premier se tint à Copenhague, du 14 au 30 juillet 1980, cinq ans après la conférence de Mexico, et le second, clôturant cette « décennie de la femme », à Nairobi, du 15 au 26 juillet 1985.
10Une des conséquences de la conférence de Mexico a été l’adoption, en 1979, de la CEDAW. Celle-ci n’est pas seulement la synthèse des trois conventions précédentes. Elle constitue « une véritable synthèse des politiques de trois décennies : elle envisage la promotion de l’égalité en ce qui concerne chacun des droits humains, civils, politiques, sociaux, économiques et de nationalité. Elle prévoit surtout des engagements concrets de la part des gouvernements nationaux pour en garantir l’exercice » [9]. Cette convention, en effet, ne se contente pas d’être une déclaration des droits des femmes. Elle énonce un programme d’action pour que les États parties garantissent l’exercice de ces droits. Le programme couvre trois aspects fondamentaux de la situation des femmes : les droits civils et sociaux, la procréation (les États parties doivent, en particulier, assurer aux femmes l’accès « aux informations, conseils et services en matière de planification de la famille, les femmes doivent décider librement du nombre des naissances », et la maternité est définie comme une fonction sociale) et les incidences des facteurs culturels sur les relations hommes/femmes.
11L’examen de la CEDAW montre comment la commission est parvenue à concilier les points de vue des « blocs » au sein des Nations unies, mais aussi les différentes tendances du féminisme. On peut d’ailleurs s’étonner que ce texte ait pu être adopté, et ensuite largement ratifié (aujourd’hui par 169 États), dans la mesure où il se révèle particulièrement progressiste sur des questions pourtant très controversées. Certes, en ratifiant ce traité, les États peuvent émettre des « réserves », ce que nombre d’entre eux n’ont pas manqué de faire. Celles-ci mériteraient une étude particulière qui serait révélatrice de la conception que les États se font de l’égalité entre les femmes et les hommes. Il n’empêche que ce texte, qui fit réapparaître la querelle théorique sur un droit « particulariste », existe bel et bien. Les organisations de la société civile peuvent s’en emparer, et ne manquent pas de le faire, en présentant devant le comité qui veille à l’application de la convention des rapports alternatifs à ceux que doivent présenter les États tous les quatre ans. L’adoption, en 1999, d’un protocole additionnel facultatif a enfin judiciarisé les droits énoncés dans la convention. Il est désormais possible, pour une personne ou une ONG, de saisir le comité de violation des droits de l’homme dont les femmes peuvent être victimes.
LES FEMMES COMME OBJET D’AFFRONTEMENTS INTERÉTATIQUES
12Il ne faudrait certainement pas considérer que la reconnaissance progressive, depuis 1945 et jusque dans les années 1980, de l’égalité entre les hommes et les femmes dans le droit international a été facile à obtenir. L’adoption de normes ne fut pas exempte de tensions, non seulement entre les « blocs », mais encore entre les États. On constate, cependant, que la fin de l’affrontement Est-Ouest a marqué un tournant décisif et que, désormais, les droits des femmes et leur mise en œuvre constituent un champ politique à part entière.
13Dans les années 1970, les débats qui ont présidé à l’élaboration de la commission CEDAW avaient commencé à révéler que le passage de l’affirmation du principe de l’égalité entre les femmes et les hommes à des textes normatifs bousculait les clivages habituels entre l’Est et l’Ouest, et entre les pays en développement et les pays développés. « L’idée d’une approche séparée des droits des femmes n’a rencontré, à l’origine, qu’un faible écho parmi les États », écrivait la juriste Roseline Letteron [10]. On put d’ailleurs penser qu’un organe spécifique constituait une concession accordée aux mouvements de femmes, et qu’il aurait été possible de bloquer ses propositions, qui devaient obtenir l’aval du Conseil économique et social pour aboutir. Certes, en 1967, sous l’impulsion de la commission, une déclaration sur l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes fut adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies. Mais il ne s’agissait pas d’un texte normatif. Une convention condamnant les discriminations et, par conséquent, obligeant à définir celles dont les femmes peuvent être victimes, constituait une autre affaire, davantage susceptible de conflits dans ses formulations que les conventions antérieures qui traitaient de questions limitées. Les travaux de la Commission de la condition de la femme cessaient, pour de nombreux États, d’être marginaux. Les traditionnelles oppositions entre « blocs » allaient, dès lors, commencer à se révéler inopérantes. La rédaction de l’article premier de la CEDAW, qui pose le principe de l’égalité des femmes et des hommes, a ainsi suscité de longs débats que l’on aurait pu croire réglés par la charte à laquelle adhèrent les États qui siègent à l’ONU et par la Déclaration universelle des droits de l’homme. Le représentant du Pakistan s’y opposa, arguant qu’une telle disposition « viole les principes de l’Islam » [11]. La reconnaissance de la diversité culturelle comme étant susceptible de s’opposer légitimement à une égalité des sexes fut introduite dans le débat. Elle ne cessa, par la suite, d’être invoquée, et ne concerna pas seulement des pays de culture musulmane.
14La conférence de Pékin, en 1995, et les débats onusiens qui l’ont suivie sont ainsi révélateurs de l’expression de nouvelles formes de résistance aux droits des femmes dès lors qu’il ne s’agit plus seulement de l’affirmation de grands principes. L’affrontement Est-Ouest est dépassé. Les polémiques Nord-Sud, qui avaient marqué la conférence mondiale de Nairobi, où quelque 10 000 femmes s’étaient rendues, et alimenté le débat des ONG [12], le sont également, même si le développement demeure plus que jamais d’actualité. La question des « droits procréatifs » – selon les termes de l’ONU –, qui concerne en premier lieu les femmes, et qui se situe au fondement même de leur possible autonomie, est désormais particulièrement conflictuelle. Avant la conférence de Pékin, elle fut au centre des débats de la conférence mondiale sur la famille, qui s’est tenue au Caire, en 1994, où des avancées concernant le droit des femmes de choisir le moment de la maternité ont été actées. À Pékin, le front des pays traditionalistes qui estimait avoir perdu une bataille au Caire se reconstitua et n’eut de cesse, depuis, de s’affirmer. Il rassemble des pays musulmans, conduits par l’Iran, le Soudan, le Pakistan et l’Algérie, et des pays catholiques, comme la Pologne, la République dominicaine ou le Mexique. Le Saint-Siège, qui dispose d’un poste d’observateur à l’Assemblée générale des Nations unies, partage leurs positions et s’exprime sur ce sujet de manière offensive. Dès lors, dans les réunions de la commission chargée de préparer le bilan de la situation des femmes dans le monde, cinq ans après la conférence de Pékin s’affrontent les États qui autorisent la contraception ainsi que l’interruption médicalisée de la grossesse et les autres qui, catholiques ou musulmans, s’opposent à la liberté de choix des femmes en matière de procréation.
15D’autres sujets ont été et demeurent conflictuels, même si les « droits procréatifs » ont été et restent centraux dans la mesure où ils permettent l’autonomie des femmes, point crucial de leur égalité avec les hommes... Nous n’évoquerons pas ici, parmi les discussions difficiles entre États, le débat, qui n’est pas seulement de nature sémantique, autour des concepts d’égalité et d’équité, qui a été au centre des négociations gouvernementales lors de la conférence de Pékin. Là encore, on aurait pu croire au vu des termes de la charte des Nations unies, de la Déclaration universelle des droits de l’homme, mais aussi de la conférence de Vienne sur les droits de l’homme de 1993 [13], que les États membres de l’organisation internationale avaient intégré l’idée d’égalité des sexes. Les résistances qui se sont manifestées sur l’égalité devant l’héritage, en particulier, ont montré que tel n’était pas le cas. Traiter « équitablement » les femmes ne signifie pas, dans de nombreux pays, les reconnaître comme les égales des hommes.
16La pression que les ONG exercent sur les gouvernements n’est pas sans résultats. Ceux-ci portent essentiellement sur les avancées en termes de droits civil et pénal. Que, dans le statut de la Cour pénale internationale (CPI), aient été intégrés les violences sexuelles et le viol dans la définition des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité tient à la pression exercée par un réseau de femmes, juristes pour la plupart. Que 16 pays africains aient, depuis la conférence mondiale de Nairobi, en 1985, criminalisé les mutilations génitales est incontestablement lié aux débats internationaux et à la pression que les ONG ont pu exercer sur les gouvernements. Que, depuis la conférence de Pékin, des lois soient adoptées pour favoriser une représentation accrue des femmes dans la sphère politique et publique l’est également. Que le Conseil de sécurité ait adopté, le 8 mars 2000, une déclaration portant sur la nécessité de l’implication des femmes dans la résolution des conflits est aussi l’un des résultats de ces mobilisations.
17Si des femmes sont parvenues à introduire dans les débats internationaux la question de l’égalité entre les femmes et les hommes, c’est d’abord grâce à leurs combats et à leur confiance dans la constitution d’un ordre international susceptible de promouvoir les droits de la personne humaine. Les instruments mis en place et les traités qui ont été adoptés ont parfois été dénoncés comme de nature à rompre avec l’universalisme. Cette critique serait opérante si les textes traitant des droits de l’homme et leurs organes conventionnels avaient, à eux seuls, permis de condamner les discriminations dont les femmes ont été et demeurent les victimes dans de nombreuses régions du monde. L’histoire des dernières décennies montre que l’intégration de la dimension du genre dans les politiques nationales comme internationales ne s’opère pas spontanément. L’existence d’organes spécialement chargés d’y veiller est indispensable pour que puisse s’effectuer ce que l’on appelle aujourd’hui le mainstreaming. Et force est de constater aussi – d’où l’importance que revêt le concept de parité entre les femmes et les hommes dans la prise de décision – que ces institutions spécialisées dans les droits des femmes ont été, dès l’origine, majoritairement composées de femmes, alors que dans les organes généraux elles ne constituaient et ne constituent toujours qu’une infime minorité.
18L’éclatement des « blocs » tels qu’ils existaient jusqu’à la fin des années 1980 a, enfin, permis de mettre à l’épreuve, sous un jour nouveau, l’application du principe d’égalité des sexes dans le droit et dans les pratiques. Il paraît désormais clair, dans les débats internationaux, que si les droits des femmes constituent un enjeu, c’est d’abord parce que celles-ci demeurent, dans de nombreux pays, un enjeu des politiques nationales dès lors qu’il s’agit de donner des gages aux forces les plus conservatrices.
Notes
-
[1]
La formulation est le fait du français. En anglais, il est dit : « des femmes ». De même, la commission dont il sera question ci-dessous est appelée en français « de la condition de la femme », alors qu’en anglais il s’agit de la « commission on the status of women ».
-
[2]
On s’en convaincra en consultant la bibliographie établie par les Nations unies, Femmes : bibliographie sélective, 1988-1999, Genève, Bibliothèque des Nations unies, 2000.
-
[3]
Leila J. Rupp, Worlds of Women. The Making of an International Women’s Movement, Princeton, Princeton University Press, 1997. Il s’agit là du principal ouvrage de synthèse sur les femmes dans l’histoire internationale de la fin du XIXe siècle à la Seconde Guerre mondiale.
-
[4]
Voir également les articles 13, 55 et 75 de la charte.
-
[5]
Margaret E. Galey, « Promoting Non-Discrimination Against Women, the UN Commission on the Status of Women », International Studies Quarterly, vol. 23, no 2, juin 1979, p. 273-302.
-
[6]
Roseline Letteron, « Les droits des femmes entre l’égalité et l’apartheid », Mélanges en l’honneur d’Hubert Thierry. Évolution du droit international, Paris, Pedone, 1998, p. 281-302.
-
[7]
Voir sur ce point l’introduction, par Janusz Symonides et Vladimir Volodine, de Droits des femmes. Recueil de textes normatifs internationaux, Paris, Unesco, 2001.
-
[8]
Il est cependant intéressant de noter qu’en France la presse ne lui a donné qu’une très faible audience alors que les mouvements de femmes ont été fortement impliqués.
-
[9]
Giovanna Procacci, Maria Grazia Rosellini, « La construction de l’égalité dans l’action des organisations internationales », in Christine Fauré (sous la dir.), Encyclopédie politique et historique des femmes, Paris, PUF, 1997, p. 832.
-
[10]
R. Letteron, op. cit.
-
[11]
Voir, à ce propos, A. Rehof, « Guide to the “travaux préparatoires” of the UN Convention on the Elimination of the Discrimination Against Women », International Studies of Human Rights, Martinus Nijhoff Publishers, vol. 29, 1993.
-
[12]
Voir André Michel, « Nairobi, Forum international des organisations non gouvernementales, 8-17 juillet 1985 », Nouvelles questions féministes, no 11-12, 1985, p. 142-148.
-
[13]
Dans l’article 18 de la déclaration et du programme d’action adopté à l’issue de la conférence mondiale sur les droits de l’homme, il est dit que « les droits fondamentaux des femmes et des fillettes font inaliénablement, intégralement et indissociablement partie des droits universels de la personne ».