Couverture de RISS_183

Article de revue

Le Forum international sur les interfaces entre politiques et sciences sociales

Pages 195 à 198

1Le Forum international sur les interfaces entre politiques et sciences sociales, qui se tiendra en Argentine et en Uruguay du 20 au 24 février 2006, est une manifestation innovante qui vise à offrir un espace d’un genre nouveau pour le dialogue entre recherche et action publique. Largement ouvert à la cyber-participation, le Forum est présent en ligne sur http://www.unesco.org/shs/ifsp.

2La riss est étroitement associée à la préparation du Forum, où elle se soucie particulièrement de favoriser le débat entre professionnels des sciences sociales sur ce qu’implique l’accent sur les « interfaces » entre sciences sociales et action publique. Les cyber-contributions déposées sur le site du Forum seront prises en considération par la rédaction et reflétées non seulement lors de la manifestation elle-même mais aussi dans du futurs numéros de la riss qui s’appuieront sur les travaux présentés en Argentine et en Uruguay. En outre, la rédaction souhaite susciter la discussion critique sur les objectifs du Forum et sur le document qui doit en émaner, reproduit ci-après. Les futures pages « Débats » se feront l’écho de l’accueil que reçoit le projet de Forum. Ce n’est pas la première fois que la riss se penche sur l’idée, défendue ici, selon laquelle il n’existe aucun conflit nécessaire entre qualité et autonomie universitaires et pertinence pour l’action publique (voir, notamment, les éditoriaux des numéros 177, 179 et 180). Ce n’est pas pour autant une idée consensuelle. Il est du ressort de la riss, et plus généralement de l’unesco, de veiller à la vigueur et à l’ouverture du débat.

Un espace innovant pour un dialogue d’un genre nouveau

3Sous l’égide du programme most (Gestion des transformations sociales) de l’unesco, le Forum ouvrira des pistes nouvelles en matière de relations entre recherche en sciences sociales et action publique. Organisé conjointement avec les gouvernements argentin et uruguayen, avec le soutien de nombreux partenaires universitaires, politiques et associatifs, le Forum propose un espace innovant pour un dialogue d’un genre nouveau. Il réunira scientifiques, responsables politiques et représentants de la société civile dans la recherche d’un langage commun et d’une mission partagée.

4Le Forum traitera des transformations contemporaines et des défis qu’elles adressent aux sciences sociales et à l’action publique ; il en couvrira toutes les échelles, du local au global en passant par le national et le régional. Mettant en acte la nécessité de repenser les espaces où se déploie l’interaction entre politiques et sciences sociales, le programme du Forum comportera une large gamme de formats. Aux côtés de séances plénières et de réunions de consultation fermées, des ateliers issus d’un appel à propositions ouvert, ainsi que des contributions en ligne, assureront la participation la plus large aux travaux.

5Les ateliers, groupés en cinq axes thématiques, se tiendront du 21 au 23 février 2006 dans quatre villes : politiques sociales (Buenos Aires), migrations (Córdoba), intégrations régionales (Montevideo), décentralisation et questions urbaines (Rosario) et dynamiques globales (Buenos Aires). Le programme préliminaire regroupe une centaine d’ateliers, avec des conférenciers de 70 pays.

6Le Forum international sur les interfaces entre politiques et sciences sociales entend être plus qu’une manifestation ponctuelle. Comme le montre le projet de déclaration finale (reproduit ci-après), il marque le démarrage d’un processus qui sera relayé par les réseaux et les activités qui en émergent, avec l’objectif ultime de redéfinir le lien entre recherche en sciences sociales et politiques sociales. Car si les défis de la société mondiale débordent de loin les sciences sociales, sans celles-ci, il n’y a aucune chance de les relever.

Rigueur de la recherche, efficacité de l’action

7Le projet de Forum s’appuie sur un constat de fond. La première société véritablement mondiale que l’histoire humaine ait connu se trouve confrontée à des défis majeurs. Ce sont sa nature, son potentiel démocratique, voire sa survie, qui sont en jeu. Pourtant, alors même qu’on a besoin de capacités d’action accrues, la confiance semble faire défaut, tant dans la connaissance des défis, que dans la capacité à y faire face. L’urbanisation sauvage, des pandémies nouvelles, une mondialisation incontrôlée, la pauvreté et la faim à une échelle massive – peut-on simplement les observer avec fatalisme, comme si manquaient à la fois la connaissance des mécanismes et la capacité de les infléchir ?

8Répondre par la négative implique un défi aussi bien pour l’action publique que pour les sciences sociales. Seule une analyse rigoureuse des dynamiques sociales peut contribuer à doter les décideurs publics – ou ceux qui, au sein de la société civile, aspirent à influencer l’action publique – des moyens de déterminer pourquoi des réformes bien intentionnées peuvent échouer ; quels pourraient être les effets d’une action envisagée ; comment poursuivre des objectifs socialement désirables. À l’inverse, le déficit de connaissances laisse le champ libre aux préjugés, aux dogmes, au « bon sens » fallacieux…

9Pourtant, le problème n’est pas inextricable. Certes, les chercheurs et les décideurs posent des questions différentes, suivent des calendriers différents, sont évalués selon des critères différents. Ils ne s’en rapportent pas moins à la même société. Les connaissances que cherchent les sciences sociales sont précisément celles dont l’action publique a besoin si elle veut être efficace et démocratiquement comptable.

10L’objectif du programme most de l’unesco est de combler le fossé entre sciences sociales et politique. Il s’agit de donner sens aux préoccupations politiques du point de vue des sciences sociales, tout en mettant les connaissances produites par les sciences sociales à la portée de l’action publique. Cela suppose de nouvelles modalités de traduction, avec, pour les rendre possibles, le genre d’espace novateur dont le Forum est exemplaire.

Le projet de déclaration

11Il s’agit pour le Forum de ne pas être simplement un « colloque de plus ». Idéalement, l’existence de la manifestation, son format et ses contenus devraient définir un ordre du jour auquel puissent se rallier des communautés bien plus larges que celles qui seront représentées en Argentine et en Uruguay. Cela n’arrivera que si l’ordre du jour proposé est à la fois explicite et concis.

12C’est pourquoi le Comité de pilotage du Forum a souhaité que la manifestation se conclue, solennellement, par l’adoption d’une Déclaration. Jusque là, rien que de très traditionnel. Mais à dynamique nouvelle, nouvelle méthode d’élaboration. Ce n’est donc pas dans une salle à l’écart des ateliers et séances plénières que cette Déclaration sera élaborée. Les membres du Comité de pilotage ont en effet souhaité qu’un projet de texte énonçant, de manière concise, des préoccupations, un diagnostic, et un plan d’action consensuels soit largement débattu avant et pendant la rencontre de février 2006. Ce sont la promotion et la mise en œuvre de cette Déclaration qui assureront, en effet, la pérennité de la dynamique du Forum.

13Le Comité de pilotage international invite toutes les parties intéressées à commenter le projet de texte, qui est reproduit ci-après. Le texte intégral est également disponible en ligne, en anglais, en français et en espagnol, et peut être diffusé librement. C’est en s’appuyant sur la synthèse des contributions reçues que le Comité de pilotage adoptera à Buenos Aires le texte définitif et le présentera formellement lors de la séance plénière de clôture du 24 février.


Projet de Déclaration de Buenos Aires plaidant pour une approche nouvelle de l’interface entre sciences sociales et action publique

14Prenant en considération la Déclaration de Copenhague sur le développement social, adoptée en 1995, ainsi que la Déclaration du millénaire des Nations unies et les rapports éminents produits par les agences des Nations unies et par la Commission mondiale sur la dimension sociale de la mondialisation.

15Partageant la préoccupation exprimée par le Secrétaire-général des Nations Unies dans sa préface au Rapport 2005 sur les Objectifs de développement pour le millénaire, qui note que « Si les tendances actuelles se maintiennent, beaucoup des pays les plus pauvres risquent de ne pas […] atteindre beaucoup [des Objectifs de développement pour le millénaire]. Après ce que nous avons déjà fait, un échec de cet ordre serait la preuve tragique que nous avons laissé passer notre chance. Le rapport montre aussi que nous avons bel et bien les moyens de faire que tous les pays du monde ou presque mettent à exécution les promesses qu’expriment les Objectifs du millénaire. Il ne nous reste plus qu’à mettre ces moyens en œuvre. »

16Prenant en considération les Déclarations de Lisbonne et de Vienne sur les sciences sociales, qui soulignent la contribution indispensable des sciences sociales aux objectifs de développement social de la communauté internationale.

17Par la présente déclaration, le Forum international sur les interfaces entre politiques et sciences sociales, réuni dans sa session plénière de clôture à Buenos Aires le 24 février 2006, propose son propre diagnostic des défis contemporains, en ce qu’ils touchent aux relations entre sciences sociales et action publique, et présente et adopte un plan d’action susceptible de redynamiser ces relations.

18C’est un souci urgent que la portée universelle des droits humains, de la dignité humaine, de la justice soit érodée sous la pression des transformations sociales et économiques contemporaines. En effet, les Objectifs de développement pour le millénaire et d’autres objectifs de développement convenus au niveau international ne constituent pas l’expression ambitieuse d’une éthique rénovée. Il s’agit plutôt du socle minimal qui soit compatible avec les valeurs proclamées de la communauté internationale. Faute d’avancées sérieuses vers la réalisation de ces objectifs, ce sont à la fois la faillite morale et le désastre pratique qui se profilent.

19Pour relever ces défis, on ne saurait se passer de vision morale et de volonté politique. Il y a plus, toutefois : ce Forum exprime sa conviction que, face aux défis contemporains, il est nécessaire de disposer de savoirs nouveaux déployés de manière innovante tout en mieux utilisant les savoirs qui existent. À cet égard, les sciences sociales ont une contribution essentielle à apporter.

20La faim et la pauvreté, l’éducation, la santé, l’environnement, le développement – soit les cinq domaines auxquels se rapportent les huit Objectifs de développement pour le millénaire – constituent des dynamiques sociales. Aucune ne relève exclusivement des sciences sociales ; mais sans celles-ci, aucune n’est pleinement intelligible. Pourtant, la recherche rigoureuse en sciences sociales est trop souvent évincée de l’élaboration de l’action publique par les préjugés, les dogmes et le bon sens fallacieux. Cela débouche sur des politiques qui échouent, y compris dans leurs propres termes, et prolongent de ce fait une souffrance humaine qui pourrait s’éviter.

21Ce Forum exprime sa conviction qu’un meilleur usage de sciences sociales rigoureuses peut conduire à des politiques plus efficaces. Pour ce faire, il s’agit d’aborder autrement les relations entre sciences sociales et politiques en faveur du développement social. Car les connaissances que cherchent les sciences sociales sont précisément celles dont l’action publique a besoin.

22C’est au vu de ces préoccupations urgentes et de ce diagnostic que ce Forum adopte le plan d’action présenté ci-après et le recommande à l’attention de la communauté internationale.

231. Ce Forum encourage la création de nouveaux réseaux qui rassemblent décideurs, chercheurs et sociétés civiles autour de leur souci commun des exigences urgentes du développement social mondial.

242. Les réseaux ainsi créés devraient favoriser la coopération et l’échange d’informations, de résultats de recherche et de bonnes pratiques s’agissant de l’inscription de la pertinence politique dans la conception des projets. À cette fin, il importera de promouvoir l’élaboration de cadres institutionnels et d’outils innovants qui facilitent les interfaces entre chercheurs et décideurs.

253. Au vu du besoin d’une recherche en sciences sociales qui soit véritablement internationale et interdisciplinaire, tout en étant sensibilisée aux enjeux politiques, les réseaux devraient favoriser les coopérations visant à améliorer les programmes existants de financement de la recherche internationale en sciences sociales et à mettre en place de nouvelles modalités de travail productif au-delà des frontières, qu’elles soient nationales ou disciplinaires.

264. Tenant compte de la nécessité pour les décideurs politiques d’être sensibles aux recherches qui remettent en cause les habitudes de pensée, les réseaux qui se mettent en place en réponse au présent appel devraient promouvoir la sensibilité des décideurs aux recherches critiques et alternatives en sciences sociales.

275. Les réseaux devraient se soucier tout particulièrement d’aider les institutions des pays en développement, notamment en Afrique, à répondre à leurs besoins de recherche et à rétablir – et à terme, à accroître – leur propre capacité à mettre en œuvre leurs priorités de politique sociale.

286. Afin de répondre à leur mission, les réseaux devraient s’équiper de secrétariats adéquats, tirant leurs ressources de toutes les institutions qui souscrivent à l’esprit de la présente Déclaration. Les réseaux devraient envisager, parmi d’autres actions possibles, des manifestations ultérieures analogues à ce Forum ainsi que la publication de rapports sur les sciences sociales pour les politiques de développement social. Il s’agirait d’offrir une référence et un cadre aux débats dans la durée sur les paradigmes, les outils et les pratiques, tout en rassemblant toute la palette des activités à l’interface entre chercheurs et décideurs.

297. Le Forum recommande le présent plan d’action à l’attention de toutes les agences compétentes des Nations unies ; il exhorte ces dernières, au même titre que les gouvernements nationaux et autres entités pertinentes, à souscrire au plan d’action et à lui apporter tout soutien et encouragement qui serait jugé approprié.

bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Avec le soutien de

Retrouvez Cairn.info sur

18.97.9.170

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions