1L’inégalité durable entre les groupes est chose commune dans les sociétés socialement ou culturellement diversifiées. Pour y remédier, les gouvernements mènent souvent des politiques de redistribution qui visent tel ou tel groupe. Mais les politiques ciblées se heurtent à un paradoxe puisqu’elles renforcent les distinctions de caste, d’ethnie ou de race et, souvent, favorisent les conflits ethniques, font apparaître des parties ayant intérêt à maintenir les distinctions entre les groupes et discréditent la redistribution dans l’opinion.
2Le gouvernement indien s’est heurté à ce « dilemme de la reconnaissance » lorsqu’il a lancé une politique nationale de discrimination positive vers la fin des années 1940. Avec cette politique, il entendait lutter contre l’inégalité entre les castes, mais désigner des castes comme bénéficiaires de cette politique amenait à reconnaître et à accentuer ces distinctions sociales mêmes que l’on considérait généralement comme à l’origine de l’inégalité à combattre. Le dilemme était très marqué (et le reste) en Inde parce que les divisions en castes sont intimement liées à l’inégalité entre les groupes, mais ce n’est pas un phénomène propre à l’Inde. L’inégalité entre des groupes ethniques peut aussi poser le dilemme de la reconnaissance. Les artisans de la Fédération indépendante du Nigéria à la fin des années 1950 s’y sont heurtés. L’intérêt du fédéralisme était de permettre au gouvernement central de partager les droits politiques entre les principaux groupes ethniques. Pour un grand nombre d’observateurs de l’époque, cette redistribution était une nécessité absolue si l’on voulait que le Nigéria puisse survivre en tant qu’État, mais beaucoup faisaient valoir de leur côté qu’une fédération reposant sur une base ethnolinguistique aurait pour effet de multiplier et d’enraciner les divisions ethniques, ainsi que d’aggraver l’inégalité et les conflits ethniques, constituant ainsi une menace encore plus grave pour la nation. Les études sur la politique de redistribution aux États-Unis d’Amérique montrent que le gouvernement se heurte aux mêmes difficultés puisque les conditions de vie de nombreux Noirs ont empiré au cours des dernières décennies, et qu’elles continuent d’empirer. Bien que l’on s’accorde en général à penser qu’il y a là un problème urgent, « depuis plus de 10 ans aucune initiative véritable et de grande ampleur n’a été lancée pour améliorer les perspectives des Noirs les plus démunis » (Sniderman et al., 1996, p. 34). La raison tient à l’impasse politique où se trouvent les partisans et les adversaires de politiques ciblées sur des critères raciaux (Skocpol, 1991) ou, pour reprendre les termes utilisés dans le présent article, au dilemme non résolu de la reconnaissance.
Acceptation, négation et substitution
3Les gouvernements ont le choix entre trois politiques pour résoudre le dilemme de la reconnaissance : l’acceptation, la négation et la substitution. L’acceptation, c’est-à-dire multiculturalisme, consiste à désigner les bénéficiaires des politiques de redistribution en fonction de leur appartenance à des groupes constitués ou considérés comme tels. Les bénéficiaires de la discrimination positive aux États-Unis, par exemple, sont les minorités raciales et ethniques ; leur identité et leurs effectifs sont déterminés dans le cadre du recensement de par l’« auto-identification » des personnes interrogées (qui déclarent leur « identité » en choisissant sur une liste de catégories raciales et ethniques établie par des fonctionnaires conformément à la conception qu’ils se font des groupes constitutifs de la réalité sociale). À titre d’exemple de la méthode d’acceptation, on peut aussi citer la politique des minorités aux Pays-Bas (au moins jusqu’à la fin des années 1990). Les gouvernements néerlandais successifs avaient fait leur la doctrine selon laquelle le meilleur moyen de favoriser l’intégration était d’encourager les immigrés à « maintenir leur propre culture » (Soysal, 1994), et ils ont facilité ce « maintien » par tout un arsenal de politiques de redistribution qui visaient des « minorités culturelles » reconnues.
4La deuxième ligne d’action envisageable – la négation – consiste à soutenir qu’en dépit de l’inégalité entre les groupes sociaux ou culturels, les politiques de redistribution ne doivent favoriser aucun groupe en particulier. Cette politique est typique de l’État libéral idéal qui privilégie les droits de l’individu et « n’admet l’existence d’aucune structure organique préexistante ou transcendante de la société » (Starr, 1992, p. 171). La philosophie de la citoyenneté républicaine qui inspire officiellement la politique d’intégration en France en offre un bon exemple. Le Gouvernement français ne rassemble pas de données sur la race ou l’appartenance ethnique des citoyens, et l’administration française nie qu’il y ait le moindre rapport entre les interventions publiques et les groupes ou communautés. Selon un rapport du Gouvernement français (Poulter, 1997, p. 53), « la France est un pays sans minorités ». En France, l’intégration est affaire individuelle, et le directeur du Fonds d’action sociale affirme que « le concept de communauté n’a pas de sens dans le système français » (Soysal, 1994, p. 59). Le Haut Conseil à l’intégration, créé par le Président Mitterrand pour conseiller le gouvernement en matière de politique d’intégration, estime que la logique de l’intégration exige « que l’on exclue toute reconnaissance institutionnelle de minorités » (Poulter, 1997, p. 51).
5Ces déclarations témoignent de la tradition civique assimilationniste en matière de nationalité qui domine chez les élites politiques et culturelles françaises (Brubaker, 2000, p. 159 à 164). Il est clair que cette tradition est favorable à la négation comme choix politique, mais elle n’est pas sans susciter de contestation en France. Effectivement, certaines études montrent qu’en réalité ce n’est pas elle qui détermine la politique française. La négation correspond à l’idéal type de l’État libéral, mais en France comme dans la plupart des autres États libéraux, les catégories ethniques et raciales ne sont pas sans peser sur la politique de redistribution (Favell, 1998 ; Soysal, 1994).
6L’une des raisons en est le « pragmatisme administratif ». Les origines de la discrimination positive aux États-Unis sont révélatrices. Il a fallu du temps pour que la politique individualiste et non discriminatoire instituée par la loi de 1964 sur les droits civils aboutisse à une réduction sensible des inégalités raciales (Sabbagh, 2003, p. 30-59 ; Skrentny, 1996, p. 111-145). Les émeutes raciales qui ont éclaté dans de nombreuses villes américaines en 1965-1968 ont contraint les administrations chargées d’appliquer cette loi à obtenir des résultats rapides, et la solution adoptée par pragmatique a consisté à introduire la discrimination positive en acceptant de tenir compte de la race. Comme on l’a répété, cette politique « a été efficace, techniquement nécessaire et a fonctionné » (Skrentny, 1996, p. 111-114). Le pragmatisme administratif « peut supplanter les autres règles culturelles, voire les frontières morales du modèle non discriminatoire », étant donné « qu’il est moins risqué de recommander une discrimination positive que d’être le président d’un organisme dont l’échec est patent » (ibid., p. 112). Le pragmatisme administratif ne débouche toutefois pas nécessairement sur la politique d’acceptation. Il peut aussi imposer la troisième option politique : la substitution.
7La substitution se présente comme un compromis entre la négation et l’acceptation ; un gouvernement procède à une redistribution au profit de castes ou de groupes ethniques ou raciaux, mais selon les catégories sociales qu’il a lui-même construites, qui portent un nom différent et traduisent d’ordinaire davantage une volonté d’insertion que les catégories de population qu’elles remplacent. Il s’agit d’éviter d’avoir à reconnaître officiellement des classifications sociales dont on estime qu’elles sont la cause du problème tout en ayant la possibilité de procéder à une redistribution au profit des groupes défavorisés.
8On en trouve une illustration dans le plaidoyer de William Wilson pour des politiques universelles (et non plus ciblées) censées être le meilleur moyen de venir en aide au « sous prolétariat » des Noirs « véritablement défavorisés » des villes américaines (Wilson, 1987). Selon Wilson, il faut éviter les « politiques ciblées » parce qu’elles jettent le discrédit sur les Noirs, profitent essentiellement aux classes moyennes noires et ne peuvent susciter un soutien politique durable. Pour qu’il y ait redistribution efficace au profit de ceux qui sont « vraiment défavorisés », il faut des politiques universelles au service d’objectifs non dits […] qui consistent à vouloir améliorer les chances […] du quart-monde des ghettos en mettant l’accent sur des initiatives […] qui éveillent un écho positif chez les groupes mieux nantis de toutes les races » (ibid., p. 118-120).
9En France, les politiques d’immigration ont des arrière-pensées similaires. Selon Favell (1998), le discours dominant sur la citoyenneté républicaine et la politique d’assimilation que ce discours officialise recouvre une façon de procéder plus pragmatique. La politique d’immigration repose sur l’insertion socioéconomique, « vague conglomérat de pratiques étroitement ciblées » (ibid., p. 47) qui cherchent à agir sur les facteurs socioéconomiques et non pas sur la culture ou l’ethnicité pour éviter de se trouver placé devant des dilemmes politiques symboliques graves tels que le choix entre citoyenneté républicaine et multiculturalisme. Les politiques d’insertion socioéconomique sont toutefois appliquées là où sont concentrés les nouveaux immigrés (ibid., p. 46-47).
10Daniel Sabbagh (2002) étudie le fonctionnement de la politique d’insertion appliquée à Sciences-po dans une volonté de discrimination positive qui prévoit des examens d’entrée plus faciles pour les élèves de vingt-trois lycées situés dans des zones économiquement défavorisées (Zones d’éducation prioritaire – zep). Officiellement, ce programme de discrimination positive est fondé sur des considérations de classe et de zone et est donc conforme au discours républicain de non-prise en compte des différences raciales. Mais il n’est pas sans arrière-pensées puisque les vingt-trois lycées en question sont situés dans des zones où le pourcentage d’immigrés est élevé dans la population ; aussi ce programme vise-t-il effectivement des groupes ethniques ou raciaux, même si c’est de façon indirecte (ibid., p. 56).
11À la suite de Jon Elster (1992), Sabbagh parle dans ce cas de « stratégie de substitution ». Elle permet à Sciences-po de procéder à un recrutement tenant compte des inégalités raciales sans pour autant contredire ouvertement le discours républicain. Favell, qui veut déboulonner ce discours et en révéler les « arrière-pensées », y voit une « stratégie ouvertement palliative adoptée par l’État pour faire face à un problème social dont il craint qu’il ne devienne explosif » (1998 : 47). J’y vois un compromis entre l’acceptation et la négation, conçu pour résoudre le dilemme de la reconnaissance. Peu d’études ont été faites sur son effet réel.
La substitution est-elle viable ?
12La plupart des gouvernements ressentent la nécessité de réduire l’inégalité entre les groupes, et la négation est une politique qu’il est difficile de maintenir. Elle est impopulaire chez les minorités politiquement organisées, inefficace pour ses bénéficiaires potentiels et par conséquent coûteuse pour les pouvoirs publics (Skocpol, 1991, p. 413-414 ; 1996 ; Sabbagh, 2003, p. 30-45, p. 49-59). Dans la plupart des pays et des organisations politiques internationales, de surcroît, la philosophie politique dominante préconise l’acceptation. Les chercheurs et les gouvernements considèrent souvent que l’acceptation est plus juste, plus économique et plus efficace que la négation ou la substitution, et ses partisans ne veulent pas voir qu’elle peut aggraver les divisions en ethnies et en castes et donc enraciner l’inégalité. Or le danger est réel, et les gouvernements qui admettent qu’il y a un problème cherchent plutôt à essayer la politique de substitution.
13Il reste à savoir si la substitution est efficace. Dans la présente étude, on abordera deux cas exemplaires où des gouvernements ont dû faire face au dilemme de la reconnaissance et ont choisi la substitution plutôt que la négation ou l’acceptation pour le résoudre. La discrimination positive en Inde et les créations d’États au Nigéria se fondent sur des catégories de substitution depuis une cinquantaine d’années. Leur évolution est instructive. La substitution est une opération de construction sociale dans le cadre de laquelle les gouvernements cherchent à instituer de leur propre chef des catégories sociales en en faisant la cible de leurs politiques de redistribution ; mais une construction sociale ainsi échafaudée est difficile à maintenir. Des catégories en place comme les castes en Inde et les groupes ethniques au Nigéria sont aujourd’hui des faits sociaux solidement implantés et il n’est pas si facile de les remplacer.
Acceptation et inégalité
14L’Inde et le Nigéria ont choisi la politique de substitution, mais c’était dans les années 1950, quand les pouvoirs publics étaient surtout préoccupés d’unité et d’égalité individuelle plutôt que de diversité et de droits des groupes. L’Inde a cherché à éviter de reconnaître les castes en faisant de classes désignées comme « sous-développés » (backward) les bénéficiaires de sa politique de discrimination positive. Quant au Nigéria, il s’est efforcé de ne pas faire ressortir les divisions ethniques en se fondant sur des catégories régionales lorsqu’il s’est agi de créer des États à l’intérieur de la fédération. Aujourd’hui, les gouvernements sont davantage préoccupés par la diversité et les droits des groupes ; l’orientation dominante des politiques de redistribution est de ne pas remplacer les clivages sociaux et culturels mais de faire avec (Barry, 2001, p. 292-305).
15Si elle s’inspire des conceptions de la justice que l’on trouve dans la philosophie politique actuelle, la tendance à favoriser l’acceptation sert aussi des objectifs plus prosaïques de gestion des conflits et d’efficacité institutionnelle. Selon Kymlica et Normann (2000, p. 4), les défenseurs des droits des minorités en philosophie politique ont été si persuasifs que de nos jours « rares sont les gens sérieux qui continuent de penser que la justice peut se définir simplement en termes de règles ou d’institutions insensibles aux différences ». Dans la mesure où cette affirmation concerne la vie politique et l’administration, elle n’est pas sans quelque vérité. Dans de nombreux pays, le multiculturalisme a remporté des succès remarquables en tant que doctrine politique (Barry, 2001). Toutefois, les idées de justice et d’égalité ne sont qu’une des raisons de la popularité de la politique d’acceptation. Il faut aussi prendre en compte les raisons pragmatiques, comme la prévention des conflits. Ted Gurr établit l’existence d’une tendance de plus en plus marquée des gouvernements du monde entier depuis les années 1990 à prévenir ou gérer les conflits ethniques par la redistribution des droits des groupes politiques, culturels ou économiques (2000, p. 277-281).
16Les considérations de survie institutionnelle sont également une bonne raison pratique d’opter pour l’acceptation. Les organisations en harmonie avec leur environnement social et institutionnel acquièrent une légitimité et obtiennent plus facilement les ressources dont elles ont besoin pour survivre (Scott, 2001, p. 151-168). De surcroît, l’acceptation n’est pas coûteuse. Les modèles institutionnels fondés sur des catégories mal connues doivent être inventés, popularisés et parfois imposés alors que la reprise (et non pas le remplacement) de distinctions sociales classiques évite ces frais (Tilly, 1998). La reprise de ces distinctions peut aussi être une conséquence involontaire des modèles refusant l’acceptation. Les exemples présentés ci-dessous illustrent ce fait en détail. C’est ainsi que le Nigéria et l’Inde évitent de désigner officiellement les castes et les groupes ethniques comme bénéficiaires de leur politique de redistribution ; mais les administrateurs n’ont souvent pas les moyens ni la volonté de contourner les organisations en place et les groupes de pression fondés sur la caste et l’appartenance ethnique, pas plus que de chercher ou créer d’autres cibles.
17Les considérations de justice, la gestion des conflits et l’économie administrative semblent toutes avoir à gagner aux politiques d’acceptation. Mais qu’en est-il du dilemme de la reconnaissance ? Les dirigeants indiens et nigérians avaient-ils tort de craindre qu’une politique de redistribution fondée sur les castes ou les groupes ethniques ait pour conséquence inattendue d’encourager ou de prolonger l’inégalité ? Ce n’est pas l’avis de certains théoriciens. La théorie constructiviste, par exemple, confirme le bien-fondé de cette crainte. Elle nous amène à nous demander ce que l’on accepte exactement. Peut-être, pour reprendre une expression de Gellner, les gouvernements, soucieux de définir et d’enregistrer des catégories sociales pour en faire la cible de leurs politiques « fabriquent-ils les mondes qu’ils prétendent observer » (1992, p. 42). Effectivement, selon les études constructivistes, les projets gouvernementaux qui ont abouti à faire des castes indiennes et des tribus africaines des identités plus marquées et plus rigides qu’avant étaient des « politiques d’acceptation ». L’acceptation contribue à la construction sociale d’identités et de groupes et accentue donc le dilemme de la reconnaissance (Brubaker et Cooper, 2000).
18L’explication que Tilly donne de l’inégalité durable (1998) offre une autre théorie pour mettre en évidence le dilemme de la reconnaissance. Selon Tilly, les distinctions de catégories sociales facilitent l’exploitation et aggravent le cumul des avantages, contribuant ainsi à créer de l’inégalité et à la maintenir. L’argument repose sur deux raisons.
19La première est que ceux qui s’engagent sur la voie de l’exploitation et de l’accaparement des chances doivent maintenir la distinction entre « eux » et « nous », veiller à la solidarité, à la loyauté, au contrôle et à la succession, et monopoliser les savoirs lucratifs. Ce sont là des problèmes d’organisation et « la mise en place de limites explicites des catégories » aide à les résoudre (Tilly, 1998, p. 11). La seconde raison a trait à la façon de mettre en place des limites de catégories. Comme on l’a relevé, les organisations peuvent réduire les coûts en reprenant des catégories classiques au lieu d’en inventer de nouvelles, surtout si ces catégories « prévoient des formes d’inégalité qui sont déjà bien en place dans le monde environnant » (ibid.). Tilly appelle cela l’émulation — les distinctions sociales sont reproduites et deviennent applicables en dehors de leur cadre d’origine — et souligne son rôle capital dans la généralisation et le renforcement des limites de catégories. De plus, cette « émulation » entraîne l’acceptation : une fois que les distinctions de catégorie pénètrent dans une organisation, « toutes les parties articulent sur cette limite de catégorie des procédures multiples et ont donc désormais intérêt à ce qu’elle se maintienne », ce qui renforce encore les distinctions catégorielles (p. 97).
20Différents mécanismes peuvent amener les politiques d’acceptation à renforcer l’inégalité au lieu de la réduire. En incluant des catégories sociales instituées dans un plan d’action politique, on rattache des noms, des significations et des procédures relationnelles à ces catégories, ce qui aide à les traiter sur un mode inégal (p. 53-62). De plus le profit que les groupes peuvent tirer des politiques d’acceptation est fonction de leur capacité à se mobiliser (ibid.). Cette capacité n’est pas également répartie entre tous les groupes, et certains tirent plus d’avantages d’une politique donnée que d’autres, comme l’illustrent les exemples ci-après. Enfin, l’inscription des catégories sociales en place dans le droit et dans les plans de politiques de redistribution est profitable à des politiciens ou autres représentants de catégories instituées, qui ont désormais tout intérêt à ce que les limites de catégorie se multiplient et perdurent (Brubaker et Cooper, 2000). L’« émulation » stimule ces mécanismes, et Tilly en conclut que, pour qu’il y ait davantage d’égalité, il faut « qu’une intervention officielle (qu’elle soit sanctionnée démocratiquement ou non) empêche l’identification des catégories intérieures avec les catégories extérieures dans les organisations de distribution de bénéfices » (1998, p. 243).
21Au sens que Tilly donne au mot, l’émulation est de plus en plus au centre des débats sur le multiculturalisme dans les pays européens. Les politiques d’acceptation menées par de nombreux pays ont aggravé le dilemme de la reconnaissance et les problèmes qui en découlent sont une priorité chez la plupart des responsables européens ; l’émulation et la prolifération des catégories sociales encouragées par les politiques gouvernementales sont désormais au cœur du débat. En Inde et au Nigéria, il y a longtemps que c’est le cas. Les gouvernements de ces pays se doutaient bien que la politique d’acceptation amènerait les groupes sociaux à se mobiliser et favoriserait l’inégalité au lieu de la réduire. Pour l’empêcher, ils ont commencé, aussitôt après l’indépendance (dans les années 1940 et 1960), à asseoir leurs politiques de redistribution sur des catégories de substitution ; c’est ce qu’ils continuent de faire. La substitution a-t-elle remédié au dilemme de la reconnaissance ?
Mise en place des politiques de substitution en Inde et au Nigéria
22Le Gouvernement indien a défini les classes sous-développées socialement et sur le plan de l’éducation et les a admises au bénéfice de la discrimination positive. Aujourd’hui, plus de 40 % de la population indienne relève de cette catégorie. Les autorités centrales réservent 27 % des postes de l’administration publique et des places dans les établissements d’enseignement supérieur exclusivement à ces personnes. La plupart des gouvernements des États font de même ; certains ont fixé des quotas encore plus élevés. D’autres catégories peuvent également bénéficier d’un traitement préférentiel – par exemple, les « castes et tribus répertoriées » – mais les classes sous-développées (Backward Classes) constituent un cas à part. En Inde, la formule « castes et tribus répertoriées » (Scheduled Castes and Tribes) n’est qu’une étiquette administrative appliquée à des groupes bien définis et établis ; en revanche, les classes sous-développées constituent une catégorie de substitution. La Constitution garantit la discrimination positive au profit des classes sous-développées mais elle n’énumère pas les groupes qui peuvent en bénéficier. En fait, lorsque la Constitution a été élaborée, personne ne savait qui étaient ces classes sous-développées. C’était une catégorie purement administrative conçue pour résoudre le dilemme de la reconnaissance.
23Les auteurs de la Constitution indienne voulaient réduire l’inégalité entre les castes et se sont gardés de reconnaître dans la Constitution les castes et les distinctions entre castes. La Constitution insiste sur l’égalité des individus comme principe fondamental et envisage, dans son préambule, une « société sans castes ». De plus, plusieurs de ses articles interdisent la discrimination fondée sur la caste. Pour éviter de rétablir les distinctions de castes avec la discrimination positive, les auteurs de la Constitution ont conçu une catégorie de substitution : « les classes sous-développées socialement et sur le plan de l’éducation » (Galanter, 1984, p. 208).
24Dans les débats du début des années 1950 autour de la Constitution, nombre de parlementaires ont posé des questions sur l’identité des classes sous-développées. Mais ces questions n’ont pas pu recevoir de réponse ; il appartenait à des commissions spéciales d’en définir ultérieurement l’identité. Cela ne signifie pas que les participants aux débats n’avaient aucune idée de ce que regroupaient les classes sous-développées : le ministre de la Justice, B.R. Ambedkar, lui-même un des principaux rédacteurs de la Constitution, a déclaré que « ce que l’on appelle “classes sous-développées” ne sont rien d’autre que le rassemblement de certaines castes » (d’après Galanter, 1984, p. 166). D’autres partageaient probablement cette idée mais la plupart, à commencer par le Premier Ministre Nehru en personne, se gardaient bien d’en parler. Nehru décrivait ces classes comme « des groupes, classes, individus, communautés, etc., qui sont sous-développés » (ibid.). D’autres orateurs peinaient pour trouver des descriptions tout aussi vagues et éviter toute référence à la caste. Ainsi, les « classes sous-développées socialement et sur le plan de l’éducation » allaient permettre au gouvernement de répartir les quotas entre les groupes sans avoir à reconnaître les castes.
25Une tentative comparable pour résoudre le dilemme de la reconnaissance au moyen de catégories de substitution a été faite au Nigéria lorsque le gouvernement, encore dépendant de la Couronne britannique, a mis sur pied un État fédéral. La fédération peut être considérée comme l’équivalent fonctionnel de la discrimination positive puisqu’elle peut encourager la redistribution des chances politiques, éducatives et économiques au profit de catégories sociales désignées par le gouvernement (Hechter, 2000, p. 139-152). La question qui se posait à ce Nigéria fédéral était de savoir s’il fallait prendre en considération les revendications ethniques lors de la création des États. Le Nigéria compte une multitude de groupes ethniques (ou de tribus) et de nombreux dirigeants ou représentants de ces groupes mettaient la fédération à profit pour revendiquer un État qui leur soit propre. Craignant d’aggraver les clivages ethniques et d’amener les revendications à proliférer, le gouvernement a décidé de ne pas opter pour une politique d’acceptation. Quand la Fédération du Nigéria a été créée en 1951, elle reconnaissait trois gouvernements régionaux : le Nord, l’Ouest et l’Est. La Constitution révisée de 1954 a restreint les pouvoirs de l’État central et les trois régions sont devenues quasiment autonomes. Cette structure fédérale à trois États, fondée sur des critères géographiques plus qu’ethniques, a été reprise dans la Constitution de l’indépendance de 1960, pour répondre « à des besoins administratifs plus qu’ethniques » (Akinyele, 1996, p. 73 ; cf. Horowitz, 1985, p. 656).
26Toutefois, les nécessités ethniques n’ont pas été entièrement négligées. Certains groupes avaient trouvé leur place dans la structure à trois États. Par exemple, il y avait dans chaque État une majorité ethnique : 55% de Haoussas-Fulani dans le Nord, 64 % d’Ibos dans l’Est et 76 % de Yoroubas à l’Ouest. Mais ces groupes ne représentaient qu’une petite partie des demandeurs. Les trois régions comptaient des minorités nombreuses qui craignaient que la structure à trois États les exclue des postes de pouvoir et qui se sont donc organisées pour revendiquer leur propre État (Akinyele, p. 75-76 ; Suberu, 2001, p. 82-85). Nombre de responsables politiques de l’époque voulaient que la Constitution repose sur une base beaucoup plus ouverte aux différents regroupements. Pour Azikewe et Awolowo, par exemple, l’organisation territoriale du Nigéria devait être déterminée par « le facteur culturel » (Coleman, 1958, p. 388). Comme Awolowo l’écrivait en 1947, « notre objectif ultime est une véritable constitution fédérale qui réserve à chaque groupe, si réduit soit-il, le même traitement qu’à n’importe quel autre groupe, si important soit-il. […] Chaque groupe doit être autonome en ce qui concerne ses affaires internes. Chacun doit avoir sa propre assemblée régionale » (cité in Coleman, 1958, p. 388 ; voir également Awolowo, 1966).
27Lors de la Conférence constitutionnelle nigériane qui s’est tenue à Londres en 1957, quinze propositions de formation d’États distincts ont été soumises. Pour y répondre, le Gouvernement britannique a créé la Commission Willink, chargée d’examiner le bien-fondé des craintes des minorités et, si nécessaire, de proposer des mesures pour les apaiser. Toutefois, dans le rapport qu’elle publia l’année suivante, la Commission a défendu le statu quo d’une fédération de trois États. Selon elle, la création de nouveaux États n’aurait pour effet que de susciter de nouvelles minorités et « d’accentuer et de souligner des divisions tribales qu’il serait plus sage de réduire petit à petit » (Akinyele, 1996, p. 79). Le gouvernement a poursuivi sa politique de substitution avec une structure géographique fondée sur trois États.
La prolifération des catégories
28Les catégories de substitution sur lesquelles l’Inde a fondé sa politique de discrimination positive et le Nigéria son État fédéral sont toujours en vigueur mais elles n’ont pas rempli leur mission. Les gouvernements n’ont pas pu maintenir les limites qu’ils avaient fixées en créant ces catégories. Les classes sous-développées indiennes, inventées pour remplacer les castes, se sont transformées en une liste de plus en plus longue de castes distinctes, et la structure à trois États fondée sur les régions au Nigéria – conçue pour remplacer les revendications ethniques – est devenue de nos jours une structure de 36 États à base plus ou moins ethnique, sans pour autant que cessent les demandes de création de nouveaux États. Quelle est l’origine de ce dérapage ?
La discrimination positive en Inde
29La discrimination positive au profit des classes sous-développées en Inde a déclenché un processus continu de mobilisation de groupes et de sous-groupes qui revendiquent une partie du quota de 27 % pour eux-mêmes. Les critères officiels d’admissibilité, définis pour remplacer les catégories sociales traditionnelles, ne sont pas assez précis pour empêcher l’apparition de sous-catégories ; or, comme les sous-catégories qui se sont constituées pour revendiquer leur part du quota reposaient sur la caste, l’objectif de la politique de substitution n’a pu être atteint. Aux yeux de la plupart des gens, les catégories de caste ont davantage de sens que la catégorie de « classe » utilisée pour les remplacer. Par conséquent, comme la théorie de « l’émulation » de Tilly permet de le prévoir, la « caste » est plus efficace et plus économique que la « classe sous-développée » pour organiser et mobiliser les populations si l’on veut réclamer efficacement des quotas. De ce fait, les gouvernements indiens successifs se sont trouvés dans l’impossibilité de maintenir leur politique de discrimination positive dans les limites de cette catégorie de substitution que sont les classes sous-développées (sur la logique de ce processus, voir de Zwart, 2000).
30La première Commission nationale sur les classes sous-développées chargée d’étudier « le sous-développement » et de définir les classes sous-développées a commencé ses travaux en 1953. Au bout de deux années – et après s’être déplacée dans tout le pays, avoir reçu plus de 3 000 communications et organisé près de 6 000 entretiens – elle a dressé une liste de 2 399 castes remplissant les conditions requises. Dans son rapport, elle faisait état de ses doutes et de ses regrets et insistait sur le fait qu’elle avait cherché à éviter de reconnaître les castes mais avait échoué parce qu’elle ne pouvait pas donner d’autre sens à la catégorie des classes sous-développées. « Nous voudrions qu’il soit dit clairement que nous souhaitons vivement faire disparaître les méfaits du système des castes, et que nous ne voulons pas perpétuer un système qui fonctionne au détriment du bien commun de la nation. Nous avons cherché à éviter la référence à la caste mais il nous a paru difficile de ne pas en tenir compte dans les conditions actuelles » (Government of India, 1956, p. 41). Même les musulmans et les chrétiens affirmaient être divisés en castes, au grand regret du Président de la Commission (ibid., vi).
31Le foisonnement des distinctions de castes que cette Commission a stimulé persiste encore de nos jours. Une deuxième Commission nationale sur les classes sous-développées a été créée en 1979, dans le but de faire mieux que la première. Toutefois, comme celle-ci, elle n’a trouvé que des castes. « Nous n’avons pas cherché la caste, c’est la caste qui nous a poursuivis » a déclaré le Secrétaire de la Commission pour justifier ce résultat (Gill, 1991, p. 34). La deuxième liste nationale de classes sous-développées représentait le même pourcentage de l’ensemble de la population de l’Inde que la première liste – soit près de 50 % – mais le nombre de castes bénéficiaires spécifiées s’élevait à 3 734. Il avait donc pratiquement doublé. De nombreuses commissions de ce type ont abordé le même problème au niveau de chaque État pour définir qui étaient les classes sous-développées. Mais on trouve sur leurs listes de classes sous-développées davantage encore de castes et de sous-castes. Dans les années 1980 par exemple, les Vanniyars du Tamil Nadu, important groupe de castes agricoles, ont formé un mouvement qui a mobilisé des populations mécontentes de ce que rien ne soit fait pour ceux qui étaient « réellement » sous-développés (Radahkrishnan, 1996, p. 125). Maintenant, les Vanniyars représentent 53 % des « classes les plus sous-développées », auxquels sont réservés 20 % des postes de la fonction publique et des places dans les établissements d’enseignement supérieur (Srinivas, 1996, xviii). Dans l’État de Karnataka, un groupe de castes, les Vokkalingas, représente une proportion importante des classes sous-développées. En leur sein, les sous-castes inférieures prétendent que les Gangadikar et les Morasu, sous-castes supérieures au sein des Vokkalingas, ont monopolisé tous les avantages. Les Lingayat, autre groupe important de castes sous-développées du Karnataka, connaissent des revendications semblables dans leurs rangs. Selon les autres sous-castes, les Sadar Lingayat auraient accaparé tous les avantages accordés à la caste Lingayat (Thimmaiah, 1993, p. 157-158).
32Au nord de l’Inde, on observe une même tendance à la division des classes sous-développées en castes et sous-castes (Srinivas, 1996). Dans l’État du Bihar, du temps du Premier Ministre Laloo Prasad Yadav, au début des années 1990, une scission s’est produite entre les divers groupes de castes favorables au parti au pouvoir Janata Dal, qui prônait une politique vigoureuse de discrimination positive. En réaction contre ce qu’ils appelaient la « yadavisation » et pour s’opposer à l’accaparement des avantages par les Yadavs, un important groupe de castes sous-développées mais relativement aisées, les Kurmi et les Koerie (sous-castes qui affirment être bien plus sous-développées que les Yadavs) ont fait scission pour constituer le parti Samata. En 1992, la Atyant Pichhra Varg Mahasang (Association des castes les plus sous-développées) du Bihar a réclamé 15 % du quota de 27 % recommandé par la seconde Commission sur les classes sous-développées (Panini, 1996, p. 57-60).
La création d’États au Nigéria
33Toute entité qui est reconnue comme État au Nigéria a droit à un appareil administratif, à une infrastructure (bâtiments, routes) et à une part du revenu fédéral égale à celle de n’importe quel autre État de la Fédération (Suberu, 2001, p. 47-77). En outre, la Constitution règle la répartition entre États des postes politiques et des emplois dans l’administration fédérale et les forces armées. Au niveau des États, l’accès à ces postes et à ces quotas représente pour les élites une ressource importante ; les États n’ont pas d’autonomie fiscale et sont économiquement tributaires du centre, qui a la haute main sur les revenus du pétrole et les redistribue (Suberu, 2001).
34Par sa logique même, cette situation fait de la création d’États au Nigéria « l’enjeu d’une lutte généralisée où divers groupes s’affrontent pour obtenir une répartition manifestement plus équitable de l’aide nationale au développement, au lieu de répondre au souci de communautés culturelles distinctes de jouir d’une autonomie politique plus grande » (Suberu, 2001, p. 80). La question qui se pose est de savoir quels sont les groupes qui ont émergé de cette lutte et comment le système officiel des catégories, créé pour mener une politique de substitution, en a influencé l’issue. Entre la structure à trois États créée dans les années 1950 et la structure actuelle à trente-six États, il y a eu une brève période de création d’États sur la base de critères ethniques pour protéger les minorités. La structure à trois États a été revue en 1967, quand le colonel Yakubu Gowon a accepté de reconnaître davantage de groupes ethniques pour atténuer les tensions entre ethnies. La guerre civile du Biafra l’avait convaincu que, pour rétablir la paix et la stabilité, il fallait séparer les minorités ethniques des majorités (Akinyele, 1996, p. 75). Le Nigéria devint alors une fédération de douze États.
35En 1976, le général Murtala Mohammed relança le processus de substitution par la création d’États. L’année précédente, il avait nommé une commission placée sous la direction du Président de la Cour suprême, M. Ayo Irifeke, et qui était chargée d’étudier la création éventuelle de nouveaux États. Dans son rapport, la Commission Irifeke a noté que la population était favorable à la création de nouveaux États fédéraux, évoquant l’intensité de « la loyauté ethnique, de la méfiance mutuelle voire de la haine entre les différents peuples qui constituent le Nigéria » (cité in Suberu, 2001, p. 90). Dans ces circonstances, la stabilité politique exigeait la création de nouveaux États. Il était hors de question d’opter pour une politique de « négation ». Mais en dépit de l’accent qu’elle mettait sur les dissensions ethniques – ou pour cette raison même – la Commission était d’avis que la création d’États ne devait pas reposer sur des critères ethniques. Comme la Commission Willink une vingtaine d’années auparavant, elle faisait valoir que le groupe ethnique était le moins important des critères en matière de création d’États (ibid.). Il fallait créer des catégories de substitution.
36La solution indienne avait consisté à remplacer les castes par des « classes sous-développées », mais la Commission Irifeke a déconseillé de retenir des critères économiques compte tenu de la faiblesse des ressources économiques de la plupart des États du Nigéria ; en revanche, la Fédération constituait un système économique unique et le gouvernement fédéral veillait à la viabilité économique des États par la redistribution. La Commission Irifeke a donc proposé de faire reposer la création d’États sur des critères « démographiques » et « territoriaux » (ibid.). Murtala Mohammed suivit ces recommandations et modifia les principes de base de la création d’États fédéraux, qui n’étaient plus le souci de protéger des minorités ethniques mais des critères démographiques et géographiques, ce qui revenait à « dévaloriser totalement le principe ethnolinguistique […] en matière de création d’États au Nigéria » (Suberu, 1991, p. 502).
37Murtala Mohammed suivit également l’avis de la Commission, qui avait recommandé de constituer sept États supplémentaires, et créa ainsi une structure à dix-neuf États. Mais cette décision n’eut pas pour effet de réduire la pression populaire en faveur de la création de nouveaux États. Au sein des groupes et sous-groupes ethniques, elle laissait beaucoup plus de mécontents que de satisfaits, et les demandeurs eurent tôt fait d’adapter leurs revendications aux nouveaux critères. « L’agitation en faveur de la création d’États » se poursuivit sous Mohammed et s’accrut sous le gouvernement civil qui lui succéda en 1979. La Constitution accordait à tous les États une part comparable du budget fédéral, ce qui déclencha un nouveau fractionnement du fait que les grands groupes ethniques capables de dominer plus d’un État, pouvaient ainsi accroître leur part de la richesse nationale. C’est ce qui amena de nombreux sous-groupes ethniques à revendiquer la création de nouveaux États (Akinyele, 1993, p. 293-300).
38La création d’États marqua une pause temporaire sous la deuxième République, mais l’agitation en ce sens finit par aboutir en dépit des efforts déployés par les gouvernements successifs pour y mettre un terme. Babangida créa deux États supplémentaires en 1987, annonçant en même temps que c’étaient les deux seuls ajouts que son gouvernement ferait. Il n’en ajouta pas moins neuf autres États en 1991, au motif que la justice sociale, voire le développement et l’équilibre interethnique, l’exigeaient (Suberu, 2001, p. 100). En 1996, le général Abacha ajouta six autres États, portant ainsi le nombre total d’États à trente-six. La raison en était, déclara-t-il, qu’il fallait assurer l’équilibre entre les zones géopolitiques, et les critères utilisés étaient notamment « la population et le territoire » (Suberu, 2001, p. 103). Selon lui, le gouvernement avait consenti à six demandes de création d’État sur les soixante-douze qu’il avait reçues. L’ennui c’est que « les réorganisations de l’État fédéral risquent de ne pas avoir d’autre résultat que de créer de nouvelles minorités ou sous-groupes ethniques, de susciter de nouvelles animosités politiques et des pressions renouvelées pour accroître la redistribution, entraînant une agitation perpétuelle en faveur de la création d’entités territoriales de plus en plus nombreuses (États et collectivités locales) » (Suberu, 2001, p. 110).
39En Inde, les membres de la classe sous-développée qui réclament des parts de quota s’organisent en castes ; au Nigéria ceux qui réclament de nouveaux États le font sur la base de l’appartenance ethnique. Dans un cas comme dans l’autre, la politique de substitution a cédé devant la politique de reconnaissance et d’acceptation, et les rapports officiels ont déploré l’échec des catégories de substitution. La première commission indienne sur les classes sous-développées se plaignait d’être soumise à la pression des chefs de castes, qui exigeaient que leur groupe soit inscrit sur la liste des bénéficiaires. Selon elle, « bien que Shri Jawaharlal Nehru ait été partisan de la suppression du système des castes, la Commission n’a malheureusement pas remarqué que la même ferveur inspirait les initiatives de nombreux responsables politiques ». Selon le Président, « l’enquête a montré que la conscience de caste, les loyautés de caste et les aspirations des castes s’étaient accrues dans l’ensemble du pays » (Government of India, 1956, p. 101, xiii). Encore une fois, même les musulmans et les chrétiens soutenaient que la caste s’était maintenue chez eux et les commissions successives qui ont eu à traiter de la question des classes sous-développées à New Delhi et dans les États ont constaté que des sous-castes et sous-sous-castes de plus en plus petites se mobilisaient pour obtenir une part des quotas attribués aux classes sous-développées.
40Au Nigéria, la Commission Irifeke a relevé dans son rapport que « dans certaines zones, l’histoire a été déformée par des gens qui, de l’avis général, appartenaient à la même souche linguistique ou au même groupe ethnique pour convaincre la Commission qu’ils n’étaient pas ethniquement identiques dans l’espoir d’obtenir un État à eux » (Akinyele, 1993 : 304). Le mouvement de création d’États au Nigéria porte à revenir sur les « regroupements » opérés à l’époque coloniale. Des ethnies actuelles comme les Yoroubas, les Haoussas-Fulani et les Ibos sont le fruit de la fusion de groupes qui avaient auparavant des identités et des noms différents. Le nom de « Yorouba », par exemple, ne désignait au départ que les Oyos, pas les Ekitis, les Ijesjas, les Akokos et les Ifes – qui sont pourtant tous des « Yoroubas » aujourd’hui. Or l’indépendance passée sert de preuve aux revendications des sous-groupes ethniques pour obtenir dans le présent une part des ressources en créant des États (ibid., 305). Comme en Inde, en cédant à ce type de revendication, les gouvernements nigérians successifs ont transformé la politique de substitution en politique d’acceptation extrême.
Mise en œuvre de la politique de substitution
41On explique généralement la prolifération des catégories décrites ci-dessus par le fait que les catégories de substitution servent à des fins symboliques, en ce sens que les pouvoirs publics n’ont jamais véritablement eu l’intention d’y donner suite. Mais, en fait, les pouvoirs publics et les tribunaux des deux pays ont maintes fois essayé de faire reconnaître le bien-fondé du principe selon lequel les catégories bénéficiaires doivent être définies selon des critères extérieurs à la caste et au groupe ethnique (voir par exemple Akinyele, 1996, p. 85-87 ; Dhavan, 1997, p. 272, 311 ; Galanter, 1984, p. 167-179, p. 542-544 ; Government of India, 1956 ; Lincoln, 2000, p. 137). Aujourd’hui encore, l’Inde a toujours pour doctrine officielle qu’il n’y a pas de discrimination positive en faveur des castes, et le Nigéria ne reconnaît pas les critères ethniques comme justification officielle pour constituer un État. Ces gouvernements ont voulu, mais n’ont pas pu, s’en tenir aux catégories de substitution. Le réalisme politique les a amenés à apaiser les manifestations violentes des castes en Inde et « l’agitation en faveur de la création d’États » au Nigéria en accordant de nouveaux droits à des groupes sans toucher aux droits acquis. Les catégories de substitution n’ont pas empêché l’apparition de nombreuses revendications énergiquement mises en avant par des groupes ethniques et des castes bien organisés. Au contraire, elles les ont favorisées. Les catégories de substitution exigent des définitions floues – elles font allusion à des différences entre des groupes, mais sont incapables de nommer ces groupes. Les inégalités entre les castes sont noyées dans les indicateurs sociaux, éducatifs et économiques, et les divisions ethniques dans les critères géographiques, démographiques et développementaux. Les catégories de substitution permettent donc à toutes sortes de gens de revendiquer des avantages pour des raisons économiques, démographiques ou développementales et d’utiliser la perspective d’une victoire à venir pour mobiliser des partisans. De plus, les administrateurs sont mal armés face aux catégories de substitution : le flou qui entoure la définition des objectifs rend les intervenants plus tributaires de l’apport « de la base » dans la mise en œuvre des politiques. Les commissions et administrateurs doivent étendre leur rayon d’action pour que leur système de catégories soit en prise avec la vie sociale, mais les collectivités qui sont sorties de ce processus sont précisément celles que l’on voulait remplacer. « Nous n’avons pas cherché la caste, c’est la caste qui nous a poursuivis », pour reprendre encore une fois la formule judicieuse du Secrétaire de la deuxième Commission indienne sur les classes sous-développées.
42Ce dernier point tranche avec les autres recherches sur les relations entre les catégorisations officielles et la constitution de groupes. Selon Anthony Marx (1995), par exemple, ce sont les catégories officielles utilisées du temps de l’apartheid et de la législation raciste aux États-Unis qui ont conduit les groupes qui se sont mobilisés contre ces systèmes à s’identifier à elles. C’est pour élaborer et appliquer des lois qui faisaient de certaines catégories de population des citoyens de seconde zone que le Gouvernement sud-africain et les autorités des États du sud des États-Unis ont dû donner des définitions des catégories concernées. Ils ont défini des catégories raciales bien précises qui figurent dans des textes juridiques et des documents politiques et, avec le temps, ces catégories ont constitué le fondement d’identités subalternes qui se sont mobilisées pour lutter contre ces gouvernements (Marx, 1995 : 159-165). Paradoxalement, « l’exclusion catégorielle désavantage à court terme les exclus mais, à long terme, leur fournit les éléments essentiels d’une mobilisation visant à changer les choses » (ibid., p. 165).
43À la différence des castes et groupes ethniques qui ont fait échec aux catégories imposées par le gouvernement en Inde et au Nigéria, les identités raciales mises en avant dans les mouvements d’opposition à l’apartheid et en faveur des droits civils avaient en fait été mises en place par les gouvernements même auxquels elles se sont opposées. Comment expliquer cette différence ? On relèvera que les catégories officielles élaborées dans l’apartheid et la législation raciste étaient conçues dans un but d’exclusion, pour empêcher ces catégories d’accéder à une citoyenneté pleine et entière alors que les catégories de substitution en Inde et au Nigéria tendaient à l’insertion de personnes qui étaient déjà des citoyens à part entière. Marx gomme cette distinction quand il écrit par exemple que « les États fabriquent souvent des identités […] par des politiques explicites d’exclusion mais aussi d’insertion et, ce faisant, établissent le périmètre de l’action collective et incitent à celle-ci » (1995, p. 183). Les exemples de l’Inde et du Nigéria confirment effectivement que l’existence de « catégories constituées dans un but d’insertion » pousse à l’action collective, mais ils donnent également à penser que cette catégorisation est beaucoup moins efficace que celle visant à l’exclusion en matière « d’établissement des limites de catégorie ».
44Il faut constituer un front uni pour vaincre un gouvernement qui refuse à une partie de la population le droit d’être des citoyens à part entière, ce qui aide à comprendre pourquoi les catégories raciales officielles sont devenues des identités réelles et cohérentes dans les mouvements d’opposition à l’apartheid et en faveur des droits civils. Toutefois, si un front uni remporte la victoire et finit par pouvoir bénéficier de mesures de redistribution, la logique de situation qui s’instaure est différente : ceux qui peuvent bénéficier des systèmes de redistribution ont tendance à définir qui est qui avec plus de précision que ne le prévoient les catégories officielles, en particulier les catégories de substitution (voir de Zwart, 2000, p. 242-244). En Afrique du Sud, ce processus vient de se mettre en marche. Effectivement, Marx écrit (dans un autre passage) que les hommes politiques dans l’Afrique du Sud actuelle s’appuient de plus en plus sur les identités ethniques pour mobiliser l’opinion (1995, p. 169).
45Le Gouvernement indien a lancé une politique de discrimination positive (dans les provinces du sud du temps des Britanniques dans les années 1920, et à l’échelle nationale après l’indépendance) pour désamorcer le mouvement des Non-Brahmanes. Ce mouvement social, qui bénéficiait de l’aide d’une aile politique du Parti de la justice (Justice Party), réussit à unir un grand nombre de castes contre la quasi-monopolisation des postes administratifs par les brahmanes (Irshick, 1969). Les Britanniques avaient laissé ce monopole se mettre en place mais dans les années 1920 le mouvement des Non-Brahmanes les obligea à mettre en œuvre une politique de discrimination positive pour tous à l’exception des brahmanes, compensant ainsi la politique d’exclusion précédente. Ce même problème – à savoir le monopole des brahmanes sur les postes administratifs – est à l’origine des pressions qui furent exercées sur le Gouvernement de l’Inde indépendante pour que d’autres groupes sociaux intègrent la fonction publique et il est à la base de la catégorie institutionnelle des « classes sous-développées » (de Zwart, 2000, p. 240). Le fractionnement en castes et sous-castes commença lorsque l’exclusion catégorielle fut abolie et que l’adoption d’une politique de discrimination positive favorisa l’insertion des Non-Brahmanes et des classes sous-développées dans l’administration. Cela tient au fait que l’inégalité entre les groupes est souvent perçue comme un problème de caste auquel les catégories de substitution telles que Non-Brahmanes ou classes sous-développées ont du mal à remédier.
46Il en va de même pour le Nigéria, avec ses centaines de divisions tribales. Les critères régionaux et démographiques sur lesquels se fondent les catégories de substitution sont trop flous pour répondre au sentiment d’inégalité entre les groupes et au besoin de redistribution que ressent la population ; ces critères sont donc difficiles à appliquer. Le Gouvernement colonial du Nigéria se heurta à ce problème dès qu’il chercha à mettre en place des divisions administratives. Entre 1900 et 1954, les communautés tribales, appliquant une politique d’agitation, de pétitions et de boycotts, ont exigé du Gouvernement britannique que les circonscriptions administratives soient redessinées conformément à « l’intérêt des communautés ». Elles considéraient l’impôt comme une sorte de tribut et donc comme un signe extérieur de subordination politique. La question était particulièrement délicate quand le siège administratif où le versement devait s’effectuer était situé en dehors du territoire tribal. Dans une note de 1935, le résident d’Ilorin dit : « L’Olobo avait refusé d’autoriser les percepteurs d’Ilorin à entrer dans son village pour percevoir l’impôt annuel et avait déclaré qu’en aucun cas il ne paierait d’impôt à l’émir d’Ilorin » (Akinyele, 1993, p. 6).
47Une fois les politiques d’insertion mises en place, les catégories sociales classiques comme la caste et le groupe ethnique sont le critère le plus efficace pour se mobiliser et revendiquer. Ces catégories n’ont pas à être conçues, popularisées, maintenues ou imposées parce que ce sont déjà des catégories qui, dans l’esprit des gens, sont synonymes d’inégalité entre les groupes et de redistribution par groupe. Cela ne signifie pas que les catégories traditionnelles ne peuvent être en soi des constructions sociales ; cela veut dire que ce sont des constructions réussies que les politiciens peuvent utiliser pour mobiliser des partisans et rejeter les politiques de substitution.
Conclusion : acceptation, négation ou substitution ?
48Les politiques de redistribution en Inde et au Nigéria posent deux problèmes graves. D’abord, elles créent des inégalités nouvelles et ont donc tendance à se perpétuer naturellement : les groupes qui ont la meilleure capacité de mobilisation sont les premiers à pouvoir bénéficier d’avantages. De nouvelles inégalités apparaissent, qui poussent d’autres groupes à s’organiser pour revendiquer leur part des avantages. Deuxièmement, les catégories sociales qui apparaissent sont exactement celles que la politique de substitution vise à supprimer. Cela se passe non pas « malgré » le recours à des catégories de substitution mais en raison de ce recours. Les catégories de substitution sont nécessairement définies de manière floue – les catégories sociales concernées ne sont pas nommées et les entités administratives visées peu claires. Le contrôle de la mise en œuvre des politiques est ainsi entravé et les politiciens y trouvent donc plus qu’il ne leur en faut pour mobiliser les collectivités et pousser le gouvernement à faire droit à leurs revendications. En fait, la politique de substitution abandonne le système des catégories utilisé aux fins de la politique de redistribution aux mains des dirigeants des castes, des groupes ethniques, etc., qui mettent en place une diversité plus complexe que celle que le gouvernement le plus multiculturel qui soit pourrait concevoir. Ils mobilisent les populations sur la base des limites sociales classiques et non pas en fonction des schémas des pouvoirs publics, redonnant ainsi vie à ce que l’on entendait remplacer.
49On entend souvent dire que les catégories sociales officielles simplifient la vie sociale réelle et fige une situation propre à un moment donné en un système rigide et formel (Scott, 1998). De plus, les politiques d’acceptation favorisent la formation de groupes en fonction de critères culturels et, de la sorte, fondent ce qu’elles affirment refléter. Il va de même de la substitution, qui laisse encore plus de possibilités aux chefs de castes et de groupes ethniques d’influencer le système de catégories officiel. Comme ce dernier incite les groupes à se mobiliser en fonction de limites tacites qui ont un sens aux yeux des populations, on voit apparaître un système de catégories moins simple et foisonnant.
50La substitution n’est pas une solution viable au dilemme de la reconnaissance dans des sociétés socialement ou culturellement diversifiées. L’acceptation ne règle pas le problème, mais la substitution l’aggrave. La négation est la meilleure solution mais, s’il n’est pas possible d’opter pour elle, mieux vaut l’acceptation qui délimite plus strictement les groupes que la substitution.
51Les travaux de recherche en vue de la présente étude ont été financés en partie par une bourse de l’Institut international d’études asiatiques de Leyde et Amsterdam. Je tiens à remercier David Lowery, Rosanne Rutten et Charles Tilly pour les observations très utiles qu’ils ont faites sur les premières versions de ce travail. Je remercie particulièrement Rod Aya et Odile Verhaar pour leur soutien constant et leurs critiques constructives.
52Traduit de l’anglais
Bibliographie
Références
- Akinyele, R.T. 1996. States creation in Nigeria : The Willink Report in retrospect, African Studies Review, 39(2), p. 71-94.
- Akinyele, R.T. 1993. Growth pole theory, marginals, and minorities: states creation in Nigeria in a period of military transition, Asian and African Studies, 27, p. 293-312.
- Awolowo, Chief, 1966. Thoughts on the Nigerian Constitution, Oxford, Oxford University Press.
- Barry, B. 2001. Culture and Equality, Cambridge, Polity.
- Brubaker, R. et Cooper, F. 2000. Beyond identity, Theory and Society, 29, p. 1-47.
- Brubaker, R. 2000. Citoyenneté et nationalité en France et en Allemagne, Paris, Belin.
- Coleman, J.S. 1958. Nigeria : Background to Nationalism. Berkeley et Los Angeles, University of California Press.
- Elster, J. 1992. Local Justice. How Institutions Allocate Scarce Goods and Necessary Burdens, Cambridge, Cambridge University Press.
- Favell, A. 1998. Philosophies of Integration : Immigration and the Idea of Citizenship in France and Britain, New York, Palgrave Macmillan.
- Galanter, M. 1984. Competing Equalities. Law and the Backward Classes in India, Berkeley, University of California Press.
- Gellner, E. 1992. Postmodernism, Reason and Religion, London, Routledge.
- Gill, S S. 1991. Caste versus class. India Today, May 31, p. 34.
- Government of India, 1956. Report of the Backward Classes Commission, New Delhi, Government of India Press.
- Gurr, T.R. 2000. People Versus States : Minorities at Risk in the New Century, Washington, United States Institute of Peace Press.
- Hechter, M. 2000. Containing Nationalism, Oxford, Oxford University Press.
- Horowitz, D.L. 1985. Ethnic Groups in Conflict. Berkeley et Los Angeles, University of California Press.
- Irshick, E.F. 1969. Politics and Social Conflict in South India : The Non-Brahman Movement and Tamil Separatism, 1916-1929, Berkeley et Los Angeles, University of California Press.
- Kymlica, W. ; Norman, W. (sous la dir. de), 2000. Citizenship in Diverse Societies, Oxford, Oxford University Press.
- Lincoln, J. 2000. The Effect of Federalism on Intergroup Relations in Multiethnic States : Evidence from Nigeria and Ethiopia, 1960-1998, thèse de doctorat. Fletcher School of Law and Diplomacy, Tufts University.
- Marx, A.W. 1995. Contested citizenship: the dynamics of racial identity and social movements, dans C. Tilly (sous la dir. de) Citizenship, Identity and Social History. International Review of Social History, Supplement 3, Cambridge, Cambridge University Press, p. 159-183.
- Panini, M.N. 1996. The political economy of caste, dans Srinivas (1996), p. 28-69.
- Poulter, S. 1997. Muslim headscarves in school : contrasting legal approaches in England and France, Oxford Journal of Legal Studies, 17(1), p. 43-74.
- Radhakrishnan, P. 1996. Backward class movements in Tamil Nadu, in Srinivas (1996), p. 110-135.
- Sabbagh, D., 2003. L’Égalité par le droit : les paradoxes de la discrimination positive aux États-Unis, Paris, Economica.
- Sabbagh, D. 2002. Affirmative action at Sciences Po, French Politics, Culture & Society, 20(3), p. 52-64.
- Skrentny, J.D. 1996. The Ironies of Affirmative Action : Politics, Culture, and Justice in America. Chicago, The University of Chicago Press.
- Scott, R.W. 2001. Institutions and Organizations, Thousand Oaks, Sage.
- Scott, J.C. 1998. Seeing Like a State. How Certain Schemes to Improve the Human Condition Have Failed. New Haven, Yale University Press.
- Skocpol, T. 1991. Targeting within universalism : politically viable policies to combat poverty in the United States. In Jencks, C. et Peterson, P.E. (sous la dir. de) The Urban Underclass. Washington, The Brookings Institution, p. 411-437.
- Sniderman, P.M. ; Carmines, E.G. ; Layman, G.C. ; Carter M. 1996. Beyond race: social justice as a race neutral ideal, American Journal of Political Science, 40(1), p. 33-55.
- Srinivas, M.N. (sous la dir. de), 1996. Caste : Its Twentieth Century Avatar, New Delhi, Viking.
- Soysal, Y. 1994. Limits of Citizenship. Migrants and Postnational Membership in Europe, Chicago, University of Chicago Press.
- Starr, P. 1992. Social categories and claims in the liberal state, in Douglas, M. et Hull, D. (sous la dir. de) How Classification Works, Édimbourg: Edinburgh University Press.
- Suberu, R. 2001. Federalism and Ethnic Conflict in Nigeria, Washington, United States Institute of Peace Press.
- Suberu, R. 1991. The struggle for new states in Nigeria, 1976-1990, African Affairs, 90, p. 499-522.
- Thimmaiah, G. 1993. Power Politics and Social Justice : Backward Castes in Karnataka, New Delhi, Sage.
- Tilly, C. 1998. Durable Inequality. Berkeley et Los Angeles, University of California Press.
- Wilson, W.J. 1987. The Truly Disadvantaged : The Inner City, The Underclass, and Public Policy, Chicago, University of Chicago Press.
- De Zwart, F. 2000. The logic of affirmative action : caste, class and quotas in India, Acta Sociologica, 43(3), p. 235-251.