Couverture de RISS_183

Article de revue

La mesure des discriminations raciales : l'usage des statistiques dans les politiques publiques

Pages 13 à 30

Notes

  • [1]
    Ce texte est issu d’un rapport réalisé en septembre 2004 pour la Commission européenne, DG Emploi et Affaires Sociales, et intitulé « Étude comparative de la collecte de données visant à mesurer l’étendue et l’impact de la discrimination aux États-Unis, Canada, Australie, Royaume-Uni et Pays-Bas ». Il est téléchargeable sur le site de la Commission européenne : http:// europa. eu. int/ comm/ employment_social/ fundamental_rights/ pdf/ pubst/ compstud04_fr. pdf. Ce rapport, rédigé par Patrick Simon qui a coordonné l’étude, synthétise les rapports nationaux réalisés pour chacun des cinq pays étudiés : États-Unis par Ann Morning et Daniel Sabbagh, Canada par Maryse Potvin et Sophie Latraverse, Australie par Martin Clément, Grande-Bretagne par Joan Stavo-Debauge et Pays-Bas par Virginie Guiraudon, Karen Phalet et Jessica ter Wal.
  • [2]
    Dans la plupart des cas, ces tests sont limités à une comparaison entre deux proportions, mais ils peuvent faire appel à des méthodes de contrôle de la validité statistique des écarts (?2, test de Fisher, écart-type, test de corrélation…). Sur les méthodes de mesure, nous renvoyons à l’excellent ouvrage récent édité par (Blank, Dabady et Citro, 2004).
  • [3]
    L’ensemble du manuel dépasse les 700 pages. On comprend l’obligation faite aux grandes entreprises de désigner un responsable du programme d’affirmative action : une telle complexité nécessite une véritable spécialisation ! L’investissement requis est du même ordre dans les programmes d’equal opportunities en Grande-Bretagne et d’équité dans l’emploi au Canada.
  • [4]
    Nous ne développerons pas ce point ici, mais nous renvoyons à l’état des lieux particulièrement détaillé réalisé par Holzer et Neumark sur les programmes d’affirmative action pour une illustration de l’utilisation des statistiques pour établir l’efficience des politiques (Holzer et Neumark, 2000).
  • [5]
    Une limite à l’auto-identification tient au remplissage du questionnaire du recensement par un seul membre du ménage. Dans ce cas, les autres membres n’ont pas la faculté de s’« auto-identifier ».
  • [6]
    Pourtant, le cas « Malone » illustre les risques d’abus que comporte la méthode retenue. Dans un jugement de 1989, la cours du Massachusetts a annulé le recrutement dans le corps des pompiers de Boston des deux frères Malone qui, bien que blancs et d’origine italienne se sont déclarés « noirs » dans le formulaire de candidature. Grâce à cette manœuvre, ils ont été recrutés malgré un score à l’examen qui leur était défavorable en tant que blancs, mais pas en tant que noirs. Démasqués, leur cas était tranché en justice de la façon suivante : puisque aucune définition objective n’existe de la race, leur déclaration a été confrontée à 1) une observation visuelle de leur apparence, 2) à des documents mentionnant leur origine, comme le bulletin de naissance, 3) à leur perception raciale et à celle de leur famille dans leur environnement social (Malone v. Harley, No. 88-339 [Sup. Jud. Ct. Suffolk County], Massachussets, 25 juillet, 1989).

1La plupart des « sociétés multiculturelles » dans le monde ont mis la thématique des discriminations raciales sur leur agenda politique et certaines, moins nombreuses, ont adopté des politiques volontaristes de promotion de l’égalité. Par « société multiculturelles », nous faisons référence aussi bien aux États plurinationaux ou comportant des minorités anciennes sur leur territoire qu’aux états-nations plus unifiés qui ont connu une diversification de leur population à la suite des importants mouvements migratoires du xxe siècle. Le contenu des politiques de promotion de l’égalité varie grandement selon les pays considérés, mais celles-ci visent pour l’essentiel à assurer l’égalité d’accès aux principaux domaines de la vie sociale à des groupes protégés par la loi en raison de leur vulnérabilité aux préjugés et aux traitements discriminatoires.

2Il existe un important décalage entre le caractère récent de la sensibilisation des décideurs politiques et des opinions publiques aux discriminations et l’ancienneté des situations d’infériorisation et de domination sur base ethno-raciale. On peut faire remonter les prémices de cette sensibilisation au contexte international après la Seconde Guerre mondiale et à la ratification d’une série de traités et de conventions internationales assurant la promotion des droits de l’Homme. La Déclaration universelle des droits de l’Homme, fondant la Charte internationale des droits de l’homme et les Pactes internationaux relatifs aux droits économiques et culturels, d’une part, et aux droits civils et politiques d’autre part, constituent une source de référence qui a irrigué la plupart des droits nationaux. Ces textes généraux ont ensuite été déclinés en conventions thématiques dont certaines sont plus précisément ciblées sur les discriminations raciales. La Convention 111 de l’Organisation internationale du travail (oit) concernant la discrimination (emploi et profession) – Convention que les États-Unis n’ont pas ratifié – et la Convention internationale pour l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (icerd) ont ainsi été promulguées respectivement en 1958 et en 1965 (Banton, 2001).

3Ces conventions internationales ont suscité la création d’organes dans les instances européennes dédiés à l’éradication du racisme (Gortazar Rotaeche, 1998). La lutte contre les discriminations au niveau européen est entrée dans une nouvelle phase en 2000 avec l’adoption de deux directives, l’une consacrée à « la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique » (Directive n° 2000/43/CE) et l’autre « portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail » (Directive n° 2000/78/CE). Avec ces deux directives et leur transposition dans les textes légaux des États membres, le cadre d’action européen tend à converger avec celui qu’ont mis en place depuis près de trente ans les États-Unis et la Grande-Bretagne ou, depuis vingt ans, le Canada. Cette convergence repose pour l’essentiel dans la reprise du concept juridique de « discrimination indirecte », concept qui est à la source d’une des évolutions majeures en matière de non-discrimination et de promotion de l’égalité. Pour autant, le saut qualitatif tant attendu n’est pas encore complètement achevé, dans la mesure où les équipements politiques et techniques permettant de rendre le droit opérationnel n’ont pas accompagné les transformations juridiques. On avancera ici que les lacunes du système de collecte statistique dans la plupart des pays européens, et notamment l’absence de statistiques « ethniques et raciales », handicapent considérablement la mise en place d’un dispositif cohérent efficace de promotion de l’égalité.

4La définition figurant dans les directives européennes rappelle ainsi qu’une « discrimination indirecte se produit lorsqu’une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre sont susceptibles d’entraîner un désavantage particulier pour des personnes d’une race ou d’une origine ethnique donnée par rapport à d’autres personnes ». Il découle de cette définition que la discrimination ne s’apprécie que dans ses conséquences négatives sur des personnes supposées appartenir à un groupe « ethnique ou racial ». Ces effets sont évalués au moyen d’une comparaison entre la position obtenue par le groupe « ethnique ou racial » et celle d’un groupe de référence. L’évaluation suppose : 1) de définir des groupes constitués à partir des caractéristiques prohibées ; 2) d’enregistrer les caractéristiques individuelles et de les réunir dans des tableaux statistiques comparatifs faisant apparaître les groupes ; 3) d’établir les écarts ou différentiels statistiques ; 4) d’en démontrer le caractère substantiel ou significatif par des indicateurs d’ordre de grandeur appropriés. En réalisant cette opération, les traitements défavorables frappant certains groupes « ethniques et raciaux » sont révélés sans que la question d’une intention particulière soit nécessaire, ni que les mécanismes par lesquels les discriminations se produisent soient identifiés. C’est le différentiel de résultat en tant que tel et son caractère injustifié qui caractérisent la discrimination indirecte. On peut alors dire que la discrimination indirecte ne se perçoit qu’au moyen d’un raisonnement statistique, mobilisant des données collectées au cours des épreuves de sélection et d’allocation. Pour cette raison, les dispositifs d’action mis en place pour répondre aux exigences posées par la politique active d’égalité de traitement utilisent abondamment les données statistiques (Simon, 2004).

5Cependant, ainsi sommairement décrit, les objectifs poursuivis par la mesure des discriminations posent d’importantes questions qui relèvent de différents registres :

6Le cadre juridique de protection des données intervient en amont sur la production de statistiques et interfère tout particulièrement sur la collecte d’informations documentant les discriminations. En effet, puisqu’il s’agit de décrire des catégories de personnes protégées par les dispositions antidiscriminatoires, les statistiques doivent utiliser les marqueurs ou identifiants qui sont mobilisés pour discriminer. L’arbitrage entre les nécessités d’une identification pour documenter les discriminations et la protection de la vie privée nécessite la délivrance de garanties élevées pour éviter tout usage préjudiciable aux victimes potentielles.

7Les stratégies d’intervention. Certaines ont été élaborées pour éviter la collecte de données à grande échelle et permettent de se passer de la production systématisée de catégories ethniques et raciales. Ces stratégies se fondent sur des études monographiques, des observations ponctuelles sur des échantillons limités (Sunshine sreening), voire des études uniquement qualitatives qui, tout en mobilisant une catégorisation ethnique et raciale, ne l’inscrit pas dans les fichiers administratifs, les registres du personnel des entreprises, le recensement ou les grandes enquêtes socio-démographiques. La procédure du testing, les contrôles in situ exercés sur les procédures de sélection et l’analyse ex-post des prises de décisions, la construction provisoire de catégories dans le cadre d’une procédure judiciaire et son extinction une fois l’action terminée constituent des options permettant d’éviter une « racialisation des statistiques ». Elles touchent cependant assez rapidement leurs limites lorsqu’elles sont utilisées seules, indépendamment d’un monitoring qui vient soutenir des politiques volontaristes d’égalité de traitement.

8Les classifications. La réfutation de l’existence de « races » conduit dans de nombreux pays à refuser son enregistrement statistique. La validation des préjugés et des hiérarchisations racistes qu’opère la catégorisation pose effectivement un problème largement débattu dans les milieux scientifiques (Zuberi, 2001 ; Kertzer et Arel, 2002) et des solutions très différentes sont trouvées pour dépasser le paradoxe central à la production de statistiques sur les discriminations : elles doivent nécessairement reprendre des catégorisations qui sont utilisées pour inférioriser, dominer et exclure à des fins de contrôle de l’égalité de traitement et de réparation des torts commis.

9Les méthodes et structures de collecte. Une fois dépassé l’obstacle de la légitimité de l’identification et des garanties de protection de la vie privée, se pose le problème de la méthodologie susceptible de permettre l’enregistrement des informations correspondant aux atteintes discriminatoires. Les méthodes choisies présentent toutes des conséquences sur la qualité des données, mais aussi sur leur signification et l’usage qui peut en être fait dans une perspective de promotion de l’égalité.

10Cet article se propose de revenir sur quelques unes de ces questions à partir de l’expérience de cinq pays ayant développé des dispositifs d’intervention volontaristes contre les discriminations, dispositifs qui ont également la caractéristique de mobiliser très largement les données statistiques [1]. Ces pays sont les États-Unis, le Canada, l’Australie, la Grande-Bretagne et les Pays-Bas. La liste est loin d’être exhaustive et, parmi les plus importants, l’Afrique du Sud, l’Inde ou le Brésil auraient pu également figurer dans l’analyse. Le spectre couvert par les pays entrant dans l’étude est néanmoins suffisamment diversifié pour permettre d’établir quelques constats généraux sur les caractéristiques des dispositifs, leurs logiques plus ou moins explicites et leurs limites actuelles.

La réparation d’un tort historique

11On peut s’interroger sur les déterminants qui ont amené certains pays à se doter de telles lois et politiques alors que d’autres, connaissant sensiblement les mêmes situations de diversité ethno-raciale et de discriminations, en restent à des approches plus formelles. Qu’ont en commun les États-Unis et l’Inde, le Canada et l’Afrique du Sud, l’Australie et la Grande-Bretagne ? En première analyse, les pays ayant développé des dispositifs volontaristes contre les discriminations ont connu un passé de discrimination plus ou moins institutionnalisée (Calvès, 2004). Héritières de cette histoire, ces sociétés partagent la conviction que les stéréotypes et préjugés à la source des discriminations sont secrétés structurellement. Cela signifie que les discriminations ne relèvent pas seulement de comportements individuels, même fortement répandus, mais sont conçues avant tout comme systémique et engagent la responsabilité collective, et notamment celle de l’État. Cette responsabilité s’accompagne également d’une notion de dette à l’égard des « minorités » qui ont fait l’objet de discrimination officielle, inscrite dans la loi, ou de traitements défavorables exercés ou couverts par l’État. Cette pratique historique a produit une situation dont la société, et l’État, sont comptables. Les sociétés concernées se sont alors engagées dans une politique de réparation ou de compensation des torts subis, en étendant le bénéfice de cette politique à l’égard de groupes qui n’ont pas nécessairement connu les mêmes préjudices, ou du moins pas dans les mêmes conditions historiques. La politique de réparation va souvent jouer un rôle de déclencheur pour doter la philosophie de l’égalité des droits d’une visée plus opérationnelle.

12La référence à une dette historique est particulièrement explicite dans l’adoption de la politique d’affirmative action aux États-Unis (Sabbagh, 2003). Le passif formé par l’expérience esclavagiste, prolongé par près d’un siècle de lois et pratiques ségrégationnistes, a nourri la conviction que la seule suppression des dispositions discriminatoires à l’égard des Noirs ne suffirait pas à défaire les effets inégalitaires durables des pratiques antérieures. La liste des bénéficiaires de l’affirmative action comprend des groupes qui ont fait l’objet de pratiques discriminatoires officielles, de nature moins systématisée et durable que pour les Noirs, et, à l’exception des femmes, sont considérés comme des « races » ou, dans le cas des Hispaniques, comme un groupe ethnique. Cette terminologie a reçu une définition biologisante avant son abandon et sa conservation avec une définition sociale et constructiviste : la race comme catégorie résultant du rapport raciste. C’est le cas des Noirs, des Asiatiques et des descendants des peuples autochtones (Native Americans). La situation des Hispaniques est un peu différente et a justifié un traitement séparé en groupes ethniques (Cholsin, 1986). Retenons que ce contexte historique détermine la restriction des dispositifs antidiscrimination, dans leur dimension la plus opérationnelle, à ces seuls groupes. Les autres groupes ethniques se voient appliquer les règles générales de prohibition des discriminations dont la portée est beaucoup moins puissante et effective que l’affirmative action.

13La notion de dette est moins marquante au Canada, bien que la mémoire d’une politique d’immigration sélective sur des critères raciaux jusqu’au début des années 1950 continue à façonner les considérations politiques. Le Canada combine l’empreinte historique de la colonisation et la négation des droits des « premières nations » ou autochtones, avec le conflit originel entre les deux « peuples fondateurs ». La remise en cause de la domination anglophone sur la minorité francophone a servi de point d’entrée à la sensibilisation aux discriminations. L’idée d’un « programme d’action positive » a d’abord été conçue dans le cadre de la Commission royale sur le bilinguisme et le biculturalisme en 1963 pour respecter l’égalité entre les deux peuples fondateurs, tout en élargissant la problématique à une « troisième force » qui deviendra les « minorités ethniques ». Les analyses statistiques des inégalités socio-économiques entre les Français, les Anglais et les minorités d’autres origines démontraient que le Canada constituait une société ethniquement stratifiée, une véritable « mosaïque verticale ». Ce constat amènera le Gouvernement fédéral à traiter, dans un double mouvement, les enjeux linguistiques entre groupes nationaux, puis les enjeux de la polyethnicité, en adoptant d’abord en 1969 la Loi sur les langues officielles afin de donner à tout le Canada un caractère bilingue et de favoriser l’accès des francophones à tous les postes de la fonction publique fédérale. Cette loi sera suivie d’une Politique du multiculturalisme en 1971, visant à aider les groupes à conserver leur langue et leurs traditions dans le cadre du bilinguisme officiel, puis d’une Loi sur le multiculturalisme canadien en 1988, qui reconnaîtra le pluralisme de l’identité nationale et fera de la lutte contre le racisme une priorité politique. Le dispositif est définitivement assuré par la promulgation de la Charte canadienne des droits et libertés (1982) dont l’article 15 interdit la discrimination fondée sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques.

14L’Australie a, comme le Canada, une histoire dramatique avec les autochtones (aborigènes et insulaires du détroit de Torres) qui ont été longtemps opprimés, soumis simultanément à une assimilation extrêmement violente et à une exclusion à la marge de la société. La discrimination légale à l’égard des aborigènes a été supprimée en 1967, date à laquelle ils accèdent à la citoyenneté. Après une reconnaissance progressive de la spécificité du statut des aborigènes dans la société australienne et des inégalités qu’ils continuent à subir, un processus de « réconciliation » a été engagé au début des années 1990. Ce groupe est le seul pour lequel a été reconnue une discrimination systémique et historique, ce qui explique que la politique d’égalité australienne soit relativement clivée entre un multiculturalisme qui poursuit pour l’essentiel la reconnaissance des cultures et une politique d’égalité plus active pour les aborigènes. Par ailleurs, l’Australie a mené une politique d’immigration ouvertement sélective sur des critères raciaux, la White Australia Policy, qu’elle n’abandonnera qu’en 1973. Cette réorientation l’engagera vers une politique de reconnaissance de la diversité et dans l’adoption d’une politique d’égalité qui portera sur les « minorités ethniques » et les personnes n’ayant pas l’anglais comme langue maternelle.

15Dans le texte fondant la « politique des minorités » au Pays-Bas, les groupes bénéficiaires sont identifiés par la responsabilité que le gouvernement éprouve à l’égard de leur présence « en raison du passé colonial ou parce qu’ils ont été recrutés par les autorités » et qu’ils se trouvent en situation de minorité (Minderhedennota, 1983). La responsabilité historique est moins écrasante que dans les autres pays étudiés, mais elle est convoquée pour justifier simultanément la nécessité de la politique et le découpage des publics bénéficiaires (Penninx, 1996). La notion même de minorité sera abandonnée en 1990 au profit de celle de groupes « allochtones », soit l’ensemble des personnes originaires de pays en voie de développement, c’est à dire non occidentaux (niet-westers allochtonen).

16Les raisons qui sont à l’origine du Race Relations Act de 1976 en Grande-Bretagne procèdent d’une multiplicité de facteurs (Bleich, 2003). La législation encadrant l’immigration en Grande-Bretagne s’est durcie au fur à mesure que se modifiaient les flux de population entre l’ancien Empire britannique, devenu le Commonwealth, et la métropole. La montée des discours et conduites racistes à l’encontre des « coloured immigrants » atteint son paroxysme lors d’émeutes raciales (race riots) particulièrement violentes (comme à Camden Town en 1954 ou Notting Hill en 1958). Le Commonwealth Immigrants Act de 1968 institue un barrage efficace à l’entrée des migrants originaires du « nouveau » Commonwealth (à savoir les États africains, asiatiques, américains ou pacifiques ayant accédé à l’indépendance après la Seconde Guerre mondiale) en limitant la libre circulation en Grande-Bretagne aux personnes nées ou dont les parents ou grands-parents sont nés en Grande-Bretagne. Par cette clause l’entrée sur le territoire britannique des descendants des anciens colons restait possible, alors que celle des anciens colonisés, toujours sujets de la Couronne, était contrôlée. L’Immigration Act de 1971 et le British Nationality Act de 1981 renforcent le dispositif. On peut alors interpréter les Race Relations Acts de 1965, 1968 et 1976 comme le pendant de cette politique restrictive sur base raciale. Par ailleurs, le Race Relations Act de 1976, beaucoup plus ambitieux que ses prédécesseurs, vient après le Sex Discrimination Act de 1975 et en reprend en partie la structure. Mais la notion de responsabilité de la société britannique tout entière, dans la permanence des discriminations et du racisme, s’est véritablement imposée après le meurtre de Stephen Lawrence en 1993. L’enquête menée sur les conditions de ce meurtre et le rapport qui a suivi, le rapport Macpherson publié en 1999, ont souligné les responsabilités de la police et rencontré un écho énorme non seulement dans les médias et le public, mais surtout dans les ministères. Le rapport a popularisé la notion de « racisme institutionnel » et a tracé les grandes lignes de la modification du Race Relations Act intervenue en 2000. Au-delà des mises en cause directes des services de police, le rapport Macpherson constitue un tournant dans la lutte contre les discriminations en Grande-Bretagne, dont l’incidence déborde le seul périmètre du Race Relations Act et trouve des implications dans l’ensemble des motifs couverts par des lois antidiscrimination.

La place centrale des statistiques dans la promotion de l’égalité

17Dans sa conception même, la notion de discrimination indirecte conduit à mobiliser un raisonnement statistique. Plus qu’un élargissement du répertoire traditionnel de sanctions juridiques des actes discriminatoires, il s’agit avec la discrimination indirecte d’inspecter l’ensemble des procédures et pratiques apparemment neutres pour repérer leurs éventuelles conséquences discriminatoires et, dans un second temps, de promouvoir activement l’égalité. Le rôle joué par les statistiques devient alors déterminant (Goldston, 2001). En effet, tant que l’on se situait exclusivement dans le cadre de la discrimination directe, la stratégie consistait à obtenir une occultation des caractéristiques personnelles afin d’assurer l’impartialité des procédures au regard des critères prohibés. La référence à l’origine ethnique ou raciale constituait en soi une pratique suspecte et suffisait à faire tomber la procédure sous le coup de la loi. Dans le cadre de la discrimination indirecte, l’action consiste au contraire à révéler les effets négatifs d’un marquage de l’origine ethnique ou raciale, ces effets venant signaler l’absence de neutralité des procédures en dépit des apparences et des règles affichées. L’idée est que les caractéristiques « raciales » sont imputées et prises en compte subrepticement, à l’insu des victimes mais souvent également des acteurs des sélections. Les procédures neutres en apparence ne révèlent leur dimension discriminatoire que dans les effets qu’elles produisent sur les groupes protégés. Or, ces effets ne sont considérés comme discriminatoires qu’à partir du moment où ils sont significatifs, c’est-à-dire qu’ils ne peuvent être imputés au hasard, et non justifiés par des critères pertinents (Blank, Dabady et Citro, 2004). Le caractère significatif des conséquences négatives impliquées par les procédures est évalué par la construction d’indicateurs, auxquels sont appliqués des tests statistiques plus ou moins sophistiqués [2]. Avec les données statistiques, il s’agit de s’attaquer aux formes subtiles et masquées des discriminations, c’est à dire de rendre visible l’invisible.

18La correspondance entre la notion de discrimination indirecte et sa traduction statistique est particulièrement explicite avec les termes de disparate impact et adverse impact employés aux États-Unis. Le manuel édité par l’ofccp (Federal Contract Compliance Manual, fccm[3]) décrit ainsi ces notions : « L’analyse d’un impact disproportionné procède en deux étapes : 1) calculer l’impact négatif de l’application d’un critère et vérifier son caractère statistiquement significatif ; et 2) déterminer si le contractant peut justifier de la pertinence du critère au regard de l’emploi ou des besoins de l’entreprise. […] Un impact négatif désigne le résultat de l’analyse statistique et l’impact disproportionné désigne l’impact négatif que le contractant n’a pas été en mesure de justifier par des besoins de l’entreprise ou de l’emploi. » Ces deux notions sont associées à celle de « sous-utilisation » (underutilization) évaluée par le différentiel entre le potentiel des membres des groupes protégés sur le marché du travail et les positions réellement obtenues dans l’entreprise. Leur sous-représentation dans des positions valorisées qui leur sont normalement accessibles ou, au contraire, leur sur-représentation dans des activités dépréciées constituent des indices d’un traitement défavorable. Une évaluation similaire est conduite dans la politique canadienne d’équité en matière d’emploi.

19L’utilisation de la représentation proportionnelle des groupes protégés comme indicateur de l’impartialité des procédures conduit alors à privilégier une interprétation arithmétique de l’équité. Au sens où le retiennent les politiques canadienne et australienne par exemple, l’équité vise à faire respecter l’égalité d’accès et de réussite indépendamment des origines, du sexe, du handicap, de la religion et de l’orientation sexuelle. De même, l’hypothèse retenue dans la législation aux États-Unis est qu’en absence de discrimination et en tenant compte des compétences, qualifications et mérites, les membres des groupes protégés devraient être présents dans l’emploi conformément à leur potentiel. Pour s’assurer de l’équité des systèmes, la stratégie consiste alors à enregistrer les caractéristiques des personnes pouvant produire des discriminations dans un monitoring continu dans les entreprises et dans les bassins de recrutement.

20La place des statistiques est d’autant plus centrale dans le dispositif antidiscrimination que toutes les épreuves et sélections peuvent être analysées au moyen de techniques statistiques. Dans le domaine de l’emploi par exemple, des tableaux de bord sont constitués pour examiner les recrutements, les promotions, l’accès aux formations, les salaires, les licenciements, les positions professionnelles occupées, la plus grande exposition aux travaux pénibles ou dangereux… Le même constat peut être dressé dans l’éducation ou l’accès au logement, tout en mobilisant des indicateurs pertinents pour décrire les moments de sélection où s’expriment les différentiels. En ce sens, la « mesure des discriminations » dépasse la seule évaluation d’un chiffrage de la quantité des actes discriminatoires, ou d’une appréciation quantitative des conséquences des traitements défavorables. Ce qu’on qualifie ici de « mesure » recouvre en réalité différents usages des statistiques dans la stratégie pour assurer l’égalité de traitement :

  • Pour sensibiliser l’opinion sur le caractère global et généralisé des discriminations et indiquer des pistes d’action aux décideurs politiques. Les ordres de grandeur statistiques fournissent des arguments et des représentations particulièrement parlantes qui renforcent et crédibilisent les témoignages des victimes. La mise sur agenda politique de la thématique des discriminations est rendue plus aisée par l’objectivation des discriminations dans le débat public.
  • Pour établir l’existence d’une discrimination systémique ou indirecte. Les recherches en sciences sociales et l’analyse de cas de discriminations fondés sur un critère prohibé constituent un ensemble de connaissances qui démontrent le caractère structurel des discriminations. Celui-ci est attesté par la permanence des différentiels enregistrés à partir d’enquêtes ou d’exploitation de données du recensement.
  • Un outil d’inspection. La vérification des procédures et pratiques appliquées par les organismes concernés par les politiques d’égalité demanderait un nombre d’inspecteurs considérables s’il fallait les regarder au moment de leur fonctionnement. Avec le monitoring statistique, les systèmes sont inspectés en continu à partir de leurs effets. Les tableaux de bord permettent de situer des différentiels suspects et d’engager une inspection plus approfondie ciblée et appropriée.
  • Fixer des objectifs et les réviser. Les programmes d’égalité établissent des objectifs quantitatifs de représentation des groupes protégés à atteindre sur plusieurs années. Les statistiques permettent de mesurer les progrès accomplis [4]. Leur degré de détail dépend des programmes.
  • Fournir des éléments de preuve juridique. La jurisprudence montre que le recours aux statistiques est utile à deux niveaux dans les procédures : pour constituer un contexte sociologique qui informe le juge de la crédibilité de la plainte ; pour attester de la réalité des situations discriminatoires grâce à la validation statistique.

Les programmes d’égalité dans l’emploi et le monitoring

21Les politiques d’égalité sont les plus développées dans le domaine de l’emploi qui représente un domaine stratégique pour agir contre les discriminations. Partant du constat que le contrôle de la neutralité apparente des procédures de recrutement et des pratiques dans l’entreprise ne garantissait pas l’accès à l’emploi, la promotion et l’égalité de rémunération des membres des groupes protégés, les politiques sont entrées dans une logique de représentation équitable (ou équivalente) des groupes protégés dans les entreprises, en comparaison avec le poids de ces groupes dans la population active. L’objectif est de faire coïncider à terme les répartitions dans les entreprises et dans les zones de recrutement, de telle sorte que les groupes protégés accèdent aux places compatibles avec leurs compétences et qualifications. Ces politiques combinent donc une visée volontariste d’augmentation de la représentation des groupes protégés avec un critère méritocratique, puisque le niveau de qualification et de compétence reste un critère décisif dans l’appréciation de la représentation des groupes protégés. Ce critère n’est ignoré, en partie, que par certaines dispositions de l’affirmative action qui attribue une prime aux membres de groupes protégés de telle sorte qu’à compétence égale, leur probabilité d’obtenir un poste sera supérieure à celle des membres des autres groupes.

22La Loi sur l’équité dans l’emploi au Canada (1986 et 1996), les Equal Opportunities Policies développées en Grande-Bretagne (1984), l’Equal Employment Opportunity Act de 1972 promulgué dans le prolongement du Civil Rights Act aux États-Unis, la loi samen (1998-2003) sur l’égale participation au marché du travail aux Pays-Bas et les programmes d’Equal Employment Opportunities mis en place en Australie procèdent de manière relativement comparable. Leur objectif est d’assurer l’égalité des chances de groupes dont la liste est souvent limitative.

23Les programmes portent sur des entreprises comportant un nombre minimal d’employés (autour de 100 employés). Les entreprises concernées appartiennent parfois au secteur privé, mais la plupart des programmes touchent essentiellement les entreprises du secteur public ou en contrat avec l’État. La capacité à mettre en œuvre des pressions ou des sanctions à l’égard des entreprises qui ne rempliraient pas les obligations du programme est conditionnée par la dépendance à des crédits ou des contrôles exercés par l’État. Les programmes consistent le plus souvent à mettre en œuvre une série d’actions visant à sensibiliser le personnel, organiser l’entreprise pour faciliter l’application des plans pour l’égalité, assurer l’accessibilité à l’emploi des groupes protégés, à inspecter les procédures et pratiques lorsque des obstacles sont identifiés et à fixer des objectifs d’augmentation de représentation des groupes protégés dans l’entreprise. Or, la plupart des actions nécessitent le recours à des données statistiques qui concernent aussi bien le personnel de l’entreprise que la main d’œuvre comparable résidant dans l’environnement de l’entreprise.

  • Pour identifier les obstacles et traitements défavorables qui touchent les membres des groupes protégés, il importe de dresser un état initial de la force de travail distribuée par catégories de groupes protégés et par poste professionnel dans l’entreprise (certains plans retiennent également une distribution par tranches de salaire). Les carrières des employés des groupes protégés sont comparées à celles suivies par les autres employés, ou par l’ensemble des employés, de même que leur évolution salariale.
  • La représentation globale des groupes protégés est comparée à la main d’œuvre « disponible » (pour reprendre la terminologie canadienne) de même niveau de qualification dans les zones de références. Ces comparaisons permettent d’une part de diagnostiquer le niveau de sous-représentation des groupes protégés et leur éventuelle concentration dans des postes professionnels d’exécution, ou en tout cas en bas de la hiérarchie de l’entreprise.
  • Ensuite, un plan d’action est dressé, comprenant des objectifs quantifiés (targets and goals) de rectification de la représentation et de la distribution des groupes protégés. Les plans sont en général à échéance de 3 à 5 ans. La satisfaction des objectifs n’est pas impérative, sauf dans le cas de quotas (États-Unis), mais l’engagement dans un plan est contrôlé et les entreprises qui ne respecteraient pas cet engagement se voient appliquer des sanctions (amendes et pénalités, ou perte des contrats avec l’État).
  • L’évaluation des plans est effectuée chaque année, grâce au monitoring de la force de travail consigné dans des rapports que doivent remettre les entreprises. Ces rapports contiennent des tableaux de bord qui compilent les informations dont le contenu est défini par les plans. Ils sont adressés aux organismes chargés de vérifier la réalisation des plans et d’en définir les objectifs avec les entreprises. Les tableaux statistiques sont analysés par les organismes qui délivrent ensuite des instructions aux entreprises. Au Canada et aux États-Unis, des notations précises et quantifiées sont établies sur la base des rapports et servent aux entreprises à se situer dans la réalisation de leur plan.
  • Les évaluations permettent également de réviser les plans, revoir les objectifs et, pour les entreprises, inspecter les procédures à l’origine des blocages identifiés. Par exemple, la forte sous-représentation de membres d’un groupe protégé dans les embauches plusieurs années consécutives amène à suspecter des épreuves de sélection biaisées. Avec cette information, l’entreprise engagera une expertise des épreuves de recrutement, portant par exemple sur la sélection des candidats sur cv, les modalités de diffusion des annonces de recrutement…
L’utilisation de données statistiques recueillies par le monitoring ou fournies par le recensement ou les registres de population intervient à toutes les étapes des opérations effectuées dans les programmes, que ce soit pour appuyer des actions quantifiées ou servir de diagnostic à des actions qualitatives. Il est indispensable que ces données statistiques décrivent les groupes protégés en utilisant les mêmes catégories que celles fournies par le recensement. Le système de monitoring est donc fortement intégré entre les données produites par les opérateurs et celles disponibles pour servir de référence. C’est pourquoi les programmes comportent des instructions précises adressées aux opérateurs pour leur expliquer les motivations du monitoring et les modalités de son fonctionnement.

Identifier des écarts, définir des discriminations

24Les données collectées dans le cadre du monitoring servent fondamentalement à établir des comparaisons, ce qui suppose de disposer d’informations sur plusieurs groupes et sur plusieurs échelles territoriales. La première condition pour réaliser cette comparaison est de disposer de données construites selon les mêmes catégories pour l’ensemble des sources. La seconde est de disposer de données dont le contenu est suffisamment simple pour qu’elles soient faciles à collecter, tout en délivrant les informations nécessaires pour situer les individus dans les structures étudiées. S’agissant de l’emploi, la qualification et la position professionnelle occupée sont les deux informations indispensables pour mettre en relation les données sur les zones d’emploi et les entreprises.

25La simplicité des données présente l’avantage de permettre la mise en œuvre d’une méthodologie de collecte accessible à tous les opérateurs. Il n’est pas envisageable de demander à des entreprises de procéder à des enquêtes lourdes et détaillées, du type des enquêtes sur l’emploi (Labour Force Surveys) qui sont conduites par les instituts statistiques nationaux. L’intérêt du monitoring est de produire des données actualisées, adaptées aux usages des tableaux de bord et exploitables directement dans le cadre des programmes d’égalité. Sa limite évidente est de reposer sur une interprétation mécaniste des discriminations. Celles-ci s’apprécient uniquement comme une disproportion, dont on sait qu’elle peut résulter de multiples causes. La multiplicité des facteurs conduisant à des écarts dans l’accès à l’emploi signifie que les paramètres discriminatoires n’interviennent pas uniquement au niveau de l’entreprise. La prise en compte du niveau de qualification permet de neutraliser une partie des effets acquis (comme les différences dans la formation reçue), mais moins le nombre de variables prises en compte dans l’analyse est élevé, et plus les effets inobservés subsistent.

26Cette critique de l’aspect rudimentaire de l’information délivrée par le monitoring doit cependant être nuancée par la stratégie adoptée dans les dispositifs étudiés. La plupart du temps, les écarts statistiques entre deux distributions ne sont pas interprétés comme une preuve irréfutable de discrimination, mais comme un indice invitant à analyser de manière plus approfondie la situation de tel secteur d’activité ou d’une entreprise précise. Leur objectif consiste moins à établir la réalité et l’ampleur des discriminations, qu’à alerter les opérateurs sur une situation jugée anormale. La philosophie des programmes développés au Canada et en Grande-Bretagne vise à développer la sensibilité (awareness) des employeurs à l’existence des discriminations en les rendant responsables (accountability) de l’entrée dans leur force de travail de groupes réputés discriminés et qui y sont sous-représentés. Pour cette perspective, l’utilisation d’objectifs quantitatifs visant à égaliser dans un terme qui n’est pas véritablement fixé la représentation des groupes minoritaires semble tout à fait pragmatique.

27La pertinence des indicateurs mobilisés pour mettre en évidence les écarts pouvant être interprétés comme des discriminations soulève également des questions méthodologiques importantes. La sous-représentation des membres d’un groupe dans la force de travail d’une entreprise par rapport à son poids démographique dans la zone d’emploi de référence, même corrigée du niveau de qualification, n’est jamais que la condensation d’une multiplicité de paramètres, dont certains révèlent clairement des discriminations et d’autres sont le produit d’inégalités de ressources ou de capacités variables de mobilisation de ressources. Les différences de salaires à qualification, poste occupé et ancienneté égale peuvent directement s’interpréter comme une discrimination au sens d’un traitement négatif fondé sur la prise en compte d’un critère prohibé et non pertinent (âge, sexe, origine ethnique ou raciale, religion, orientation sexuelle, handicap…). Mais ce cas de figure est compliqué à identifier d’un point de vue empirique et il ne caractérise qu’une des modalités possibles de la discrimination. Pour les autres indicateurs, la correspondance entre les phénomènes qu’ils mesurent et les discriminations s’effectue au moyen d’intermédiaires qui en réduisent la valeur probatoire. Que ce soit le taux de chômage, le nombre moyen de promotions au cours de la carrière, l’exposition aux accidents de travail, ou encore l’accès aux formations en cours d’emploi, ces indicateurs fournissent des indices d’un traitement différencié sans apporter de conclusions indiscutables d’une discrimination, ni d’ailleurs proposer des éléments d’analyse des mécanismes par lesquels les discriminations se produisent.

28À l’examen de l’utilisation du monitoring dans les dispositifs des pays étudiés, ces critiques et réserves méthodologiques ne remettent pas vraiment en cause le système. En effet, si le monitoring cherchait à prouver les discriminations dans des lieux et situations précises, son caractère rudimentaire serait effectivement préjudiciable. Mais cet usage n’est valable que dans les recours juridiques, qui ne constituent pas l’objectif central des dispositifs. Même dans ce dernier cas, la précision des analyses statistiques est rarement nécessaire, le juge fondant sa décision sur un faisceau d’éléments auquel participent, souvent à une place décisive, les statistiques construites de manière rudimentaire. La collecte de données constitue plutôt un but en soi, avant même leur usage à des fins d’analyse.

L’usage des classifications ethniques et raciales

29Sous des formes différentes, les cinq pays étudiés ont élaboré des catégories que l’on peut qualifier d’« ethniques » et, parfois, de « raciales ». Cette situation ne provient pas nécessairement d’une longue tradition de collecte de ce type de données ou d’une « ethnicisation » ou « racialisation » ordinaire de la société. Pour certains d’entre eux, l’élaboration de ces catégories s’est effectuée en dehors de tout précédent historique et avec pour principal objectif de répondre aux besoins du dispositif antidiscrimination. De fait, les catégories sont fréquemment définies soit directement par les lois et politiques en même temps que celles-ci précisent le champ d’application et les modalités d’exécution du dispositif, soit par des règlements ou circulaires complémentaires qui précisent les définitions des catégories et les conditions de leur collecte. Pour assurer la cohérence du dispositif, il est apparu nécessaire aux législateurs de prévoir une liste de bénéficiaires plus précise que les catégories génériques de « race » ou « origine ethnique », sujettes à de nombreuses interprétations. L’élaboration d’une classification standardisée, utilisable par l’ensemble des acteurs, constitue la stratégie la plus efficace pour obtenir des données comparables, renseignant sur les mêmes objets et pouvant être agrégées dans des tableaux de bord.

30Depuis leurs premiers recensements, les États-Unis (1790) et le Canada (1871) enregistrent des données caractérisant la « race » ou l’« origine ethnique ». Les nomenclatures et les définitions ont évolué en fonction des transformations juridiques et politiques (abolition de l’esclavage aux États-Unis, disqualification des catégories raciales au Canada), mais leur recueil à des fins de lutte contre les discriminations n’a pas constitué une rupture dans la tradition statistique (Simon, 1997). À l’inverse, l’introduction de l’ethnic question dans le recensement en 1991 constitue une véritable invention dans la statistique britannique. Une telle catégorisation combinant l’origine ethnique et raciale n’avait jamais eu de précédent et n’a été validée qu’après plusieurs tentatives et des controverses très vives sur son opportunité et ses conséquences en termes d’inscription des divisions ethniques et raciales dans la société.

31La continuité apparente des classifications ethniques et raciales dans les pays qui les pratiquent de longue date est trompeuse. Aux États-Unis, le maintien des catégories raciales après le Civil Rights Act de 1964 n’a pas vraiment fait l’objet de débat, bien qu’une interprétation des exigences posées par la politique de color-blindness aurait pu justifier l’abandon de toute identification raciale dans les statistiques. Mais cette permanence masque un renversement complet des usages qui sont faits de ces statistiques raciales. Autrefois destinées à affermir le système ségrégationniste du « separate but equal », elles servent aujourd’hui à réparer les préjudices antérieurs et à promouvoir l’égalité sans discrimination (Nobles, 2000, p. 76-7). Ainsi, le cas des États-Unis nous enseigne que les mêmes catégories peuvent fournir les moyens d’une entreprise de domination et d’exclusion, ou s’avérer tout aussi indispensables à défaire ce qui a été produit par des décennies de discriminations institutionnelles et promouvoir l’égalité (Rallu, Piché et Simon, 2004).

32Le Canada connaît une situation en partie comparable, bien que les catégories « raciales » en tant que telles aient été abandonnées au début des années 1950. L’intérêt pour l’origine ethnique des habitants est lié à la rivalité originelle entre les « peuples fondateurs » britannique et français, tandis que les « autochtones » seront toujours traités, que ce soit négativement ou positivement, en marge de cette matrice duale. L’élargissement aux « minorités ethniques » s’effectuera dans les prolongements de la charte sur le bilinguisme (1971), introduisant de fait une « troisième force ». La classification des immigrés venus dans les années d’après-guerre suivra en définitive un format assez proche de la division initiale, la liste des origines s’agrandissant au fur à mesure des arrivées. Dans ce contexte fortement marqué par la sensibilité à la « diversité ethnique », comme en témoigne la politique officielle du multiculturalisme, l’introduction de la catégorie des « minorités visibles » dans le recensement en 1996 est une nouveauté qui ne constitue pas non plus une rupture marquante. Si la terminologie est innovante pour éviter la référence à la « race », le modèle de la question sur l’appartenance à une minorité visible est très proche de celui utilisé pour enregistrer l’origine ethnique (White et al., 1993).

33Le recours à une catégorisation faisant référence à l’ethnicité dans le cas de l’Australie reste peu stabilisé. La notion de « race » a été utilisée pour identifier les aborigènes pendant deux recensements (1971 et 1976) et a été abandonnée par la suite. L’approche suivie privilégie une construction « objectiviste » fondée sur des critères de pays de naissance, élargie à celui des parents en 1971, et de langue pratiquée. Jusqu’en 1999, la catégorie officielle utilisée pour identifier les groupes souffrant de désavantages (terme préféré à la discrimination dans les textes australiens) faisait référence à la langue : Non English Speaking Background (nesb). Cette catégorie a été fortement critiquée pour sa conception stigmatisante et réductrice et s’est avérée inadaptée à fournir les données adéquates pour les services et politiques d’égalité. Elle a été remplacée en 1999 par une série de variables et d’indicateurs faisant référence à la « culture », l’origine, et la langue pratiquée. Parallèlement à cette rénovation de l’indicateur utilisé pour décrire et agir sur les désavantages, une réflexion s’est engagée dans le cadre du multiculturalisme sur la production de statistiques adéquates pour représenter la diversité des origines des Australiens. Dans la perspective du recensement de 1986, un comité a préconisé d’introduire une question sur l’ascendance (ancestry), sur un modèle proche de celui utilisé au Canada et aux États-Unis. Cette question a ensuite été supprimée jusqu’au recensement de 2001 où elle a été de nouveau reprise. Les deux objectifs – lutte contre les désavantages et promotion de la diversité – convergent aujourd’hui dans la définition de standards statistiques.

34Bien qu’ayant adopté une politique des « minorités ethniques », les Pays-Bas ont toujours utilisé une catégorisation fondée sur le pays de naissance des immigrés, à laquelle s’est ajouté le pays de naissance des parents (Alders, 2001). Le passage à la catégorie des « allochtones » n’a pas modifié les modalités de repérage statistique des populations. L’utilisation de la terminologie « ethnique » sert à distinguer les catégories des statuts légaux de la citoyenneté : les minorités ethniques sont transversales au découpage opéré par la citoyenneté et regroupent aussi bien des nouveaux immigrés étrangers que des descendants d’immigrés (seconde génération) ou des originaires des anciennes colonies (Surinam, Indonésie, Iles Moluques…) qui, pour ces deux derniers groupes, sont de citoyenneté néerlandaise. En revanche, la terminologie raciale ou la référence à la couleur ne sont pas utilisées dans la statistique et ne sont pas évoquées directement dans les programmes d’égalité.

35La « racialisation des statistiques » est d’apparition récente en Grande-Bretagne, en dépit de l’ancienneté de la tradition des Racial and Ethnic Studies. La première question profilée pour répondre aux besoins de la lutte contre les discriminations définis par le Race Relations Act a été introduite dans le recensement de 1971 : une question sur le pays de naissance des parents, du même modèle que celle figurant dans le recensement américain jusqu’en 1970. Cependant, l’information ainsi collectée ne donnait pas satisfaction et, dans la perspective du recensement de 1981, une réflexion sur la prise en compte de l’ethnicité et de la couleur est engagée (Bulmer, 1980). Il faut rappeler que le Race Relations Act prohibe les discriminations fondées sur les « racial grounds » en les définissant ainsi : « colour, race, nationality (including citizenship) or ethnic or national origin ». Les critères évoqués ne figuraient pas dans le recensement et aucune statistique ne pouvait être mobilisée pour aider la cre dans sa tâche (Ni Brochlain, 1990). Une polémique virulente a opposé les partisans d’un repérage de l’origine ethnique et raciale des individus et ceux pour qui une telle opération était non seulement attentatoire aux libertés individuelles, mais relevait d’une supercherie scientifique (Ballard, 1988). Il faudra attendre le recensement de 1991 pour qu’une ethnic question soit finalement introduite dans le recensement (Bulmer, 1996). Après une modification importante, elle a été reconduite en 2001. En l’espace de dix ans, l’usage des catégories ethniques dans la statistique britannique a connu une spectaculaire banalisation. Le rôle joué par la politique de lutte contre les discriminations est déterminant dans cette évolution. L’objectif de promotion de l’égalité a légitimé le recours à des classifications ethniques dont on considérait jusqu’ici qu’elles contribuaient à l’aggravation du racisme. Les besoins en statistiques ethniques suscités par l’engagement concret dans une politique d’égalité ont achevé de convaincre du caractère incontournable du monitoring.

Des logiques contradictoires de catégorisation

36Plusieurs logiques se combinent, et parfois s’opposent, dans l’élaboration des classifications ethniques et raciales. Le registre politique vise à l’adéquation entre les catégories statistiques et les publics désignés par les dispositifs d’intervention. Cette exigence pragmatique se double également d’un objectif supplémentaire dans le cadre des politiques de la diversité ou multiculturalistes, comme c’est le cas au Canada, en Australie et dans une moindre mesure en Grande-Bretagne. La recherche d’une reconnaissance de la diversité pousse à enregistrer les identités individuelles, dans leur subjectivité, et à privilégier l’auto-déclaration avec des choix multiples possibles pour laisser la possibilité de transcrire les effets des brassages intervenus dans les générations précédentes. La complexité qui en résulte, si elle reflète bien les constructions identitaires, rend l’utilisation du monitoring plus compliquée et en partie inefficace.

37Le registre statistique (qui coïncide parfois avec le registre scientifique) cherchera plutôt à construire des catégories pertinentes, solides, cohérentes et stables dans le temps pour alimenter les séries longues nécessaires aux comparaisons et à l’analyse des évolutions. La statistique n’apprécie que modérément les définitions subjectives et privilégie les déterminations « objectivistes » de l’origine (par la généalogie). Elle se préoccupe également de l’acceptabilité des questions posées et de la qualité de leur compréhension. Rien n’est plus contre-productif qu’une question que les répondants boycottent parce qu’ils y sont opposés, ou à laquelle ils répondent de façon très différente de l’intention initiale des statisticiens. Les registres administratif et juridique ont besoin, comme la statistique, de catégories aux contours bien définis et exclusifs. Chaque individu doit se situer dans l’une ou l’autre des réponses pour établir ses droits à bénéficier de la protection de la loi ou d’un service ou accès spécifique.

38La collecte de données mobilisant des catégories utilisées pour discriminer ne provoque pas seulement des réticences de la part des pouvoirs publics, des associations représentant la société civile ou des institutions statistiques. Elle heurte fréquemment la sensibilité et les convictions des répondants, qu’ils soient membres des minorités concernées ou pas. Les tests menés par les institutions statistiques avant d’introduire des questions sensibles dans les enquêtes ou le recensement montrent que des réactions de rejet sont fréquentes à l’encontre d’investigations perçues comme intrusives. Ces inquiétudes et réactions de rejet sont efficacement surmontées par des campagnes d’explication des objectifs de la collecte de données, de leurs conditions de recueil et d’utilisation, des garanties d’anonymat et de protection de la vie privée. Cependant, l’acceptation des enregistrements statistiques de caractéristiques personnelles pouvant alimenter des discriminations est conditionnée à l’existence d’une conviction partagée de la gravité des phénomènes de discrimination et de la nécessité d’intervenir pour modifier les structures de la société, autant que les préjugés individuels. Si cette conviction fait défaut, ou n’est partagée que par les victimes de discriminations qui ont développé une conscience du caractère systémique des traitements défavorable, l’exposition qu’entraîne l’enregistrement statistique est rarement tolérée.

39Une fois accepté le principe d’une collecte de données, le contenu des catégories utilisées par la statistique constitue également un enjeu de controverse et de débat. Les membres des minorités qui doivent se situer dans des rubriques dont les dénominations sont censées représenter leur identité participeront d’autant plus volontairement au système de monitoring qu’ils se reconnaîtront dans les catégories choisies. Cela est aussi valable pour les membres de la majorité qui peuvent refuser de répondre aux questions sur l’origine ethnique ou raciale s’ils considèrent que les catégories proposées ne correspondent pas à leur façon de se définir. Les tests réalisés pour élaborer l’ethnic question dans le recensement britannique ont ainsi essayé plusieurs grilles, l’une fondée sur des origines géographiques (English, West Indian, Pakistani, …), l’autre fournissant des labels combinant l’ethnicité et la « race » (White, Black, Asian). La seconde s’est montrée plus pertinente du point de vue de la lutte contre les discriminations, et plus recevable par les répondants. Mais entre 1991 et 2001, le groupe des Whites s’est montré insatisfait du caractère englobant de la catégorie et a demandé à ce que des subdivisions soient proposées afin de refléter toute la palette de la diversité culturelle de la population britannique. Du strict point de vue des besoins du dispositif antidiscrimination, ces subdivisions sont inutiles, mais l’acceptabilité de l’ethnic question nécessite des compromis entre l’horizon multiculturaliste ouvert par la politique de reconnaissance engagée dans les années 1980 et la politique d’égalité.

40La triangulation de ces trois registres pour élaborer les catégories produit souvent des conflits et nécessite des médiations ou des interventions d’autorité dont on peut donner ici quelques exemples. L’inclusion d’une catégorie « hispanique » dans le recensement aux États-Unis en 1970 a été réalisée contre l’avis des instances statistiques et, après un lobbying couronné de succès par des cercles d’influence de la communauté hispanique, imposée par le gouvernement. Plus récemment, la catégorie Asian and Pacific Islander a été subdivisée en deux groupes, le second s’appelant Native Hawaiian and Other Pacific Islander. De même l’ajout du label Latino au libellé de la catégorie hispanique, et surtout l’opportunité de déclarer plus d’une race sont des concessions faites pour préserver l’acceptabilité des questions (Hirschman et al., 2000). Dans le cas des « mixed race », il est certain que son enregistrement n’apporte rien à l’architecture de l’affirmative action. Le choix multiple pour la race a ouvert la boîte de pandore de la fiabilité des déclarations et, en définitive, fragilisé le socle du système de monitoring. Si certains considèrent que le faible taux de mixité raciale déclaré renforce la pertinence de l’action positive, d’autres prédisent une remise en cause de la convention que représente l’auto-identification raciale (Goldstein et Morning, 2002 ; Perlemann et Waters, 2002).

Les méthodes de classement

41La collecte des données suit des procédures qui diffèrent dans leur protocole. Le choix répond à des critères de faisabilité du recueil et de respect de la confidentialité (privacy). Chaque méthode présente des avantages et des inconvénients du point de vue de la fiabilité et de la solidité des données, de leur adéquation avec les buts poursuivis par les dispositifs d’action ou, de façon en partie contradictoire, au regard des objectifs de reconnaissance des identités minoritaires.

L’auto-déclaration ou auto-identification (self-reporting or self-identification)

42L’auto-déclaration est la méthode la plus souvent employée dans les différents modes de collecte. Elle consiste à fournir une liste de modalités préétablie que les répondants sont invités à sélectionner. Une dernière modalité ouverte est laissée pour accueillir les réponses qui n’entrent pas dans la nomenclature. Celle-ci est néanmoins conçue pour minimiser les réponses « autre » en proposant les principales modalités qui constituent la liste des groupes protégés. Il ne s’agit pas d’enregistrer des « identités », avec le risque de voir se multiplier les catégories au risque de compromettre la répartition dans les groupes de base. Des définitions sont proposées pour aider les répondants à interpréter la question et se classer dans une modalité.

43Cette méthode est la plus respectueuse de la sensibilité personnelle, ce qui est important dans le cadre d’un enregistrement effectué par des administrations, des institutions ou des entreprises qui disposent d’un pouvoir normatif et peuvent donc fortement influencer les personnes à classer. Cependant, cette méthode présente plusieurs limites qui ont une incidence non négligeable sur les usages potentiels des données ainsi collectées. Elle est en effet sensible aux variations de déclaration dans le temps et d’une source à l’autre. Des évaluations montrent que le volume de personnes se déclarant d’une origine tend à fluctuer en fonction de sa visibilité médiatique, de sa valorisation ou de sa stigmatisation, de la formulation de la question (présence ou non de la mention de cette origine dans les réponses proposées, ou les exemple fournis, et rang d’apparition dans les exemples). Elle ne peut être pratiquée dans toutes les situations. L’exemple évident est celui des bulletins de décès, nécessairement remplis par un tiers. Mais d’autres situations conduisent à préférer un enregistrement par un tiers, la plupart du temps par test visuel, pour éviter la lourdeur d’une procédure de questionnaire auto-administré : registres tenus par les employeurs, fichiers de fréquentation de services… Enfin, elle ne coïncide pas nécessairement avec le classement établi par un tiers. Ce n’est pas parce qu’un individu se considère comme hispanique qu’il sera perçu comme tel par les personnes qu’il rencontre.

44Cette disjonction pose deux sortes de problèmes. Lorsque des sources constituées au moyen de deux méthodes différentes (auto-identification et test visuel) sont rapportées à des fins de comparaison, les écarts produits par les enregistrements fragilisent la fiabilité statistique des analyses (voir ci-dessous). Par ailleurs, le classement effectué par un tiers est bien mieux adapté à la problématique des discriminations qui se fondent justement sur des identifications, pas sur des identités. Si une proportion importante de répondants se classe parmi les minorités alors qu’ils ne sont pas perçus comme tels dans leur vie quotidienne, l’inférence statistique d’un désavantage lié à la « race » est biaisée.

45Les recensements procèdent tous par auto-identification [5], et il en va de même pour de nombreux enregistrements administratifs. Dans les entreprises au Canada, en Grande-Bretagne et en Australie, l’enregistrement de l’appartenance à un groupe protégé est obtenu par distribution d’un questionnaire auto-administré à tous les employés. Le remplissage étant volontaire, le risque de non-réponse est important et peut compromettre le système de monitoring. Pour autant, aucune instance d’évaluation ne produit de statistiques sur les pertes d’information dans le remplissage des formulaires dans les programmes d’égalité.

Identification par observation

46Cette méthode est essentiellement utilisée aux États-Unis par les entreprises dans le cadre des programmes d’Equal Employment Opportunity, par les écoles et les services de police. La classification est effectuée par un tiers, le plus souvent un agent d’encadrement de l’entreprise ou par le personnel administratif des écoles. Le classement est réalisé à partir d’une simple épreuve visuelle. Les indices de perception sont mobilisés à cet effet. Par construction, cette méthode ne permet de classer que les catégories fondées sur des critères apparents : couleur de peau, sexe, handicap visible. Elle est préférée car elle évite d’avoir à poser directement une question considérée comme trop sensible. Cette réserve à l’égard de l’aspect intrusif de l’enregistrement de la race des employés et des élèves étonne dans un contexte où la catégorisation raciale est omniprésente.

47Le premier avantage de cette méthode est qu’elle permet d’assurer une couverture exhaustive en évitant les non-réponses. Son second avantage, mais qui constitue également sa principale limite, est que la classification reproduit l’application de stéréotypes (stereotyping) qui est à l’œuvre dans les discriminations. Même si la classification effectuée par un tiers n’est pas fidèle à l’identité auto-déclarée de l’individu, elle correspond bien à la façon dont il est perçu. Or, cette identification est plus opératoire pour comprendre les éventuels traitements défavorables dont il sera l’objet.

48Cependant, la méthode oblige à ne retenir que des caractéristiques visuellement perceptibles, ce qui restreint considérablement le nombre de catégories possibles. Pour qu’un tiers puisse effectuer le classement, il importe que les caractéristiques des individus soient apparentes et plus ou moins indiscutables, c’est-à-dire perçues de la même façon par un grand nombre d’observateurs. Cette contrainte conduit à abandonner les catégories qui, au regard des objectifs du monitoring et du programme d’égalité, auraient été pertinentes. Aux États-Unis, l’extension de l’affirmative action à des groupes religieux ou à d’autres groupes ethniques (Grecs, Irlandais, Polonais…) a été envisagée en 1973 et n’a été abandonnée qu’en raison de l’impossibilité d’enregistrer la religion ou les classifications ethniques autrement que par auto-déclaration. En conséquence, il aurait fallu demander aux employés de se classer en groupes religieux et ethniques, ce que l’administration considérait alors comme incompatible avec le respect de la vie privée.

49L’autre problème soulevé par la méthode est qu’elle conduit à utiliser dans le monitoring des données obtenues de manière différente. La mise en correspondance des données recueillies par observer identification avec celles provenant du recensement (benchmarking) est, d’un point de vue méthodologique, plutôt discutable. Des distorsions sont prévisibles, dues aux écarts entre l’auto- et l’hétéro-perception. Ces distorsions produisent des effets statistiques peu étudiés et, en tout état de cause, non évalués.

50A contrario, l’inscription dans un programme d’affirmative action (lors de la candidature pour un emploi ou à l’entrée à l’université) est fondée sur l’auto-identification. La « race » est déclarative. Il n’y a donc pas de « certificat » de race à présenter pour pouvoir bénéficier de l’affirmative action. Le système repose sur l’assertion que les personnes se classant parmi les minorités raciales ne trichent pas [6].

La reconnaissance par le groupe

51Cette méthode spécifique est utilisée aux États-Unis pour enregistrer les American Indians dans des « tribus reconnues par le [gouvernement] fédéral » (federally recognized tribes). Elle est également pratiquée en Australie pour établir la « certification » de l’aboriginalité. Dans les deux cas, l’objectif est d’attester du statut des individus, statut qui leur donne droit à des aides spécifiques ou accès à des dispositifs réservés. L’appartenance au groupe s’effectue par cooptation des membres déjà enregistrés qui certifient la qualité d’American Indian de la personne à identifier.

Classification par variables indirectes

52Contrairement aux autres méthodes qui renseignent directement les catégories utilisées dans les classifications, celle-ci consiste à recueillir des informations indirectes qui seront combinées par les opérateurs statistiques pour fournir les classifications. L’opérateur qui produit les statistiques garde ainsi la maîtrise de la définition de la catégorie. Les variables qui entrent dans la classification sont « objectives », dans le sens où elles renseignent sur des lieux, des pratiques ou des statuts : pays de naissance, nationalité, langue parlée et degré de maîtrise… Les systèmes de classification aux Pays-Bas et en Australie ont recours à cette méthode. Son avantage tient à la cohérence et la stabilité des catégories, puisqu’elles sont renseignées à partir de variables qui, pour la plupart, ne changent pas au cours de l’existence et ne sont pas susceptibles d’interprétation. Leur limite, relativement rédhibitoire du point de vue des dispositifs antidiscrimination, est que les catégories ne correspondent qu’indirectement aux motifs prohibés. Leur équivalence n’est qu’approximative, et les groupes de population identifiés avec les variables composites peuvent s’avérer très différents de ceux obtenus par les méthodes précédentes. En définitive, le recours à des variables indirectes s’effectue par défaut et se justifie difficilement du strict point de vue méthodologique.

Les conditions au recueil des données : privacy et protection des libertés

53Tous les pays étudiés ont connu une actualisation récente des lois de protections des données à la suite de l’évolution des pratiques d’informatisation. Celles-ci offrent un haut niveau de protection et ne diffèrent pas beaucoup entre elles. À l’exception des États-Unis, elles définissent toutes des « données sensibles » dont le recueil est subordonné à certaines conditions. Cependant, la question d’un danger particulier attaché au recueil de l’information sur des caractéristiques fondant des discriminations n’est pas centrale dans ces lois. Celles-ci se montrent plutôt attentives à définir et contrôler les modalités de leur diffusion et de leur utilisation. Les protections visent donc à restreindre l’accès aux données et à protéger les données individuelles. Elles ne stipulent pas d’interdiction de collecte, sauf dans le cas de la Grande-Bretagne et des Pays-Bas qui suivent ici le cadre de la Directive européenne 95/46/CE « relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données ». De nombreuses exemptions aux restrictions et contrôles sont prévues, en vue notamment de promouvoir des objectifs d’intérêt public ou pour se conformer à des obligations légales. Une des clauses fréquemment avancées pour autoriser la collecte de données sensibles est celle du « consentement explicite des répondants ». Cette clause conduit à préférer des modes d’enregistrement fondés sur l’auto-déclaration qui, du point de vue de l’interprétation légale, vaut pour un libre consentement.

54Dans tous les pays étudiés, la latitude laissée au monitoring de données sensibles en dépit des contraintes légales posées par les lois de protection des données repose in fine sur la confiance mise dans les institutions statistiques. Leur rôle dans la collecte des données, notamment à travers les recensements, les rend garantes de la sécurité et de la confidentialité des opérations. La plupart des lois en matière de secret statistique confèrent des responsabilités spéciales aux organismes statistiques étatiques. Compte tenu de la quantité de lieux et de situations parmi lesquels sont collectés des données sensibles renseignant sur les groupes protégés, la supervision par des agents des organismes soumis au secret statistique est une condition indispensable à la légalité du système de monitoring et une protection face aux abus potentiels.

55L’utilisation des données dans une intervention individualisée soulève une difficulté particulière dans l’application des règles de confidentialité et le respect de l’anonymat. En effet, la stratégie principale adoptée pour lutter contre les discriminations à raison de la religion et du handicap consiste à adapter les structures et les organisations à des besoins spécifiques. L’accommodement raisonnable nécessite de traiter des données individuelles et donc de rompre la règle de l’anonymat. De même, la confection de tableaux fondés sur les registres faisant apparaître les caractéristiques des employés par grades, fonctions, niveaux de rémunérations… conduit rapidement à l’identification individuelle, y compris dans les entreprises de plus de 100 employés. Dans l’immédiat, ces atteintes ne remettent pas en question les dispositifs d’intervention. Elles stimulent une adaptation des « principes de confidentialité » pour articuler garanties et mobilisation de données informatisées pour remédier aux discriminations. On ajoutera qu’il convient de distinguer données informatisées et statistiques. Même fondés sur l’agrégation de données individuelles, les tableaux statistiques n’ont pas vocation à renseigner sur la situation des individus et ne se prêtent qu’à une analyse de groupes.

Conclusion

56Le débat sur les actions à mener contre les discriminations montre un paradoxe. Alors que les indicateurs statistiques manquent souvent pour évaluer l’ampleur des discriminations, la conviction de leur forte diffusion et de la nécessité de mobiliser l’ensemble des institutions et acteurs sociaux pour les réduire est largement partagée. Pourtant, la collecte de statistiques concernant l’origine ethnique ou raciale soulève de fortes réticences. L’expérience des pays étudiés dans ce texte montre que l’absence de statistiques adéquates pour décrire et évaluer les discriminations est contradictoire avec la mise en place d’un dispositif opérationnel dont la principale caractéristique est d’utiliser intensivement les données statistiques. Il semble nécessaire, et possible, de dépasser le hiatus qui oppose la lutte contre les discriminations et la production de statistiques « sensibles ». C’est une condition sine qua non pour rendre les dispositifs antidiscrimination cohérents et opérationnels.

57Ces dispositifs sont souvent critiqués parce qu’ils ne produisent pas de résultats facilement visibles et indiscutables. L’amélioration de la situation des « minorités » est en effet relativement lente, malgré les investissements réalisés. Les bilans quantifiés des politiques engagées montrent des évolutions positives pour certains groupes, mais également des formes de recomposition des mécanismes discriminatoires qui limitent les avancées et maintiennent les inégalités. Il faut cependant prendre en compte la nature des politiques antidiscrimination et la profondeur des structures qu’elles s’emploient à modifier. Ce type d’intervention ne s’évalue pas uniquement par une balance entre coûts et bénéfices à partir d’indicateurs statistiques sur un court ou un moyen terme. Le premier résultat des politiques antidiscrimination, et singulièrement du monitoring, consiste à faire prendre conscience des inégalités de traitement et de leur caractère structurel. La transformation des structures sociales et des mentalités passe par cette prise de conscience et ne peut s’envisager sans l’appui d’une évaluation continue de l’impartialité (fairness) des pratiques. Cette évaluation doit non seulement être effectuée par des organismes indépendants, mais surtout être assumée par l’ensemble des acteurs qui deviennent alors les coproducteurs de la non-discrimination. Dans cette perspective, l’action antidiscriminatoire s’inscrit donc dans un processus historique de très longue durée.

Bibliographie

Références

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Notes

  • [1]
    Ce texte est issu d’un rapport réalisé en septembre 2004 pour la Commission européenne, DG Emploi et Affaires Sociales, et intitulé « Étude comparative de la collecte de données visant à mesurer l’étendue et l’impact de la discrimination aux États-Unis, Canada, Australie, Royaume-Uni et Pays-Bas ». Il est téléchargeable sur le site de la Commission européenne : http:// europa. eu. int/ comm/ employment_social/ fundamental_rights/ pdf/ pubst/ compstud04_fr. pdf. Ce rapport, rédigé par Patrick Simon qui a coordonné l’étude, synthétise les rapports nationaux réalisés pour chacun des cinq pays étudiés : États-Unis par Ann Morning et Daniel Sabbagh, Canada par Maryse Potvin et Sophie Latraverse, Australie par Martin Clément, Grande-Bretagne par Joan Stavo-Debauge et Pays-Bas par Virginie Guiraudon, Karen Phalet et Jessica ter Wal.
  • [2]
    Dans la plupart des cas, ces tests sont limités à une comparaison entre deux proportions, mais ils peuvent faire appel à des méthodes de contrôle de la validité statistique des écarts (?2, test de Fisher, écart-type, test de corrélation…). Sur les méthodes de mesure, nous renvoyons à l’excellent ouvrage récent édité par (Blank, Dabady et Citro, 2004).
  • [3]
    L’ensemble du manuel dépasse les 700 pages. On comprend l’obligation faite aux grandes entreprises de désigner un responsable du programme d’affirmative action : une telle complexité nécessite une véritable spécialisation ! L’investissement requis est du même ordre dans les programmes d’equal opportunities en Grande-Bretagne et d’équité dans l’emploi au Canada.
  • [4]
    Nous ne développerons pas ce point ici, mais nous renvoyons à l’état des lieux particulièrement détaillé réalisé par Holzer et Neumark sur les programmes d’affirmative action pour une illustration de l’utilisation des statistiques pour établir l’efficience des politiques (Holzer et Neumark, 2000).
  • [5]
    Une limite à l’auto-identification tient au remplissage du questionnaire du recensement par un seul membre du ménage. Dans ce cas, les autres membres n’ont pas la faculté de s’« auto-identifier ».
  • [6]
    Pourtant, le cas « Malone » illustre les risques d’abus que comporte la méthode retenue. Dans un jugement de 1989, la cours du Massachusetts a annulé le recrutement dans le corps des pompiers de Boston des deux frères Malone qui, bien que blancs et d’origine italienne se sont déclarés « noirs » dans le formulaire de candidature. Grâce à cette manœuvre, ils ont été recrutés malgré un score à l’examen qui leur était défavorable en tant que blancs, mais pas en tant que noirs. Démasqués, leur cas était tranché en justice de la façon suivante : puisque aucune définition objective n’existe de la race, leur déclaration a été confrontée à 1) une observation visuelle de leur apparence, 2) à des documents mentionnant leur origine, comme le bulletin de naissance, 3) à leur perception raciale et à celle de leur famille dans leur environnement social (Malone v. Harley, No. 88-339 [Sup. Jud. Ct. Suffolk County], Massachussets, 25 juillet, 1989).
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