1Le raisonnement se présente de la manière suivante. Tout d’abord, j’aborde brièvement le conflit qui a surgi dans plus d’un contexte entre ceux pour qui c’est comme processus que le fs est important et ceux qui, à l’instar de la gauche orthodoxe, y voient surtout un événement. Je soutiens que ces derniers partagent des traits importants avec la « pensée unique » néolibérale (le discours « tina », selon lequel « there is no alternative »). Ensuite, m’appuyant sur certaines de mes recherches antérieures, je me penche de manière plus détaillée sur cette pensée unique comme d’articulation du corps social par les marchés disciplinaires capitalistes et comme création hétéronome de normes d’interaction socia-le. Dans la troisième section de l’article, je soutiens que la constitution d’une alternative au mécanisme disciplinaire du marché, tout comme la coordination démocratique de la production sociale, exigent que les normes ne soient pas imposées par un mécanisme aveugle (ou par une agence de planification externe), mais émergent de processus de coopération horizontale et de décision démocratique par les producteurs eux-mêmes. J’en conclus donc que le fs devrait faire un pas vers son auto-définition comme espace de constitution (et non simplement de promotion) d’alternatives, en même temps qu’un espace ouvert de promotion de la défétichisation. Il importe que le Forum social (que ce soit aux niveaux local, régional ou mondial) devienne toujours davantage un espace d’expérimentation pour des processus démocratiques d’inclusion, où soient coordonnées et facilitées les alternatives existantes.
« Aucune autre politique n’est possible » contre « de nombreuses autres politiques sont possibles »
2Pour commencer, quelques réflexions sur le conflit récurrent au sein du mouvement du Forum social entre ceux qui y voient principalement un processus et ceux pour qui c’est avant tout un événement. Il va de soi que le Forum social, qu’on l’envisage à l’échelle locale, régionale ou mondiale, a les deux aspects. Comme processus, il implique des pratiques de coopération et des relations entre organisateurs visant à la production d’un événement. En d’autres termes, des modes particuliers de relations qui donnent lieu à un « produit » déterminé. De même, il s’agit d’un espace où les participants entrent en relation, constituent et renforcent des réseaux et traitent les informations et les savoirs. Toutefois, si processus et produit sont liés, il n’en reste pas moins que la focalisation sur l’un plutôt que sur l’autre débouche sur des conséquences politiques qui diffèrent sur des points importants.
3En considérant le fs surtout comme événement, on applique des méthodes de gestion événementielle, dont le souci principal est qu’un événement répondant à un cahier des charges donné se produise pour une date donnée. Dans ce cas, on ne peut problématiser le processus que dans la limite des contraintes fixées par les paramètres prédéterminées de l’événement. En effet, un événement se planifie : les relations visant à sa production sont, dans une large mesure, subordonnées à la réalisation de cet objectif. On est alors face à des formes d’organisation verticale à finalité politico-institutionnelle.
4Si, au contraire, on se soucie surtout de donner une place centrale aux questions de processus et par conséquent aux modes de relations sociales entre acteurs producteurs, l’événement prend sa forme comme résultat de négociations continues entre les multiples acteurs concernés. En d’autres termes, l’événement est une propriété émergente d’un processus dont les objectifs sont dans une large mesure relationnels et communicationnels (cf. par exemple Waterman, 2004).
5Cette dichotomie conceptuelle entre vertical et horizontale, événement et processus, objectifs politico-institutionnels ou communicationnels se reproduit aux diverses échelles de production du fs. Au niveau mondial, par exemple, Jai Sen, qui fut membre du comité indien du Forum social mondial (fsm) en 2002, première année du processus conduisant au fsm de Bombay en 2004, écrit que « en rétrospective sur la première année, il est clair que la constitution d’un “processus” large dans le pays a été très tôt minée, dès lors que wsf India focalisait toute son attention sur l’événement. Cela a été encore plus vrai la deuxième année, jusqu’à a réunion mondiale à Bombay » (Sen, 2004, p. 296).
6Cet accent gestionnaire sur l’événement est en rapport avec le genre d’« entités politiques » qui ont « manifestement dominé le Forum et ses structures organisationnelles » (Sen, 2004, p. 298), à savoir les partis politiques de la gauche orthodoxe ou les « faux nez » qu’ils ont mis en place pour contourner la règle imposée par le Forum que les partis ne puissent s’y affilier. Le discours politiques de ces « entités » ne suffit même pas à penser les complexités stratégiques, relationnelles et communicationnelles qu’implique un processus politique visant à construire un monde nouveau ici et maintenant. En effet, l’horizon des attentes de ce discours concerne exclusivement l’avenir, « après la révolution », quand – nous dit-on – ces complexités seront traitées. Au présent, un tel discours s’empresse de subordonner telle ou telle lutte, telle ou telle exigence relationnelle d’ouverture, de démocratie et de participation, aux objectifs qu’il se fixe. C’est évident aussi, à titre d’exemple, dans l’expérience du mouvement « horizontal » mobilisé pour la démocratisation du Forum social européen au cours de la préparation de l’édition londonienne de celui-ci en 2004 (Horizontals, 2004a, 2004b, 2004c), tout comme, à un niveau plus local, dans les défis auxquels fut confronté le Forum social de Londres dans le cadre d’une culture politique traditionnelle (De Angelis, 2004a).
7Pour rendre compte de son expérience du processus du fsl de Bombay, Sen désigne l’enjeu essentiel, à savoir un sectarisme qui ne se traduit pas, de la manière traditionnelle, par l’exclusion active. Il existe un autre genre de sectarisme, que l’on pourrait appeler discursif : « l’insistance sur la supériorité d’un discours particulier – ou, plus souvent, les usages linguistiques, le choix des mots, l’approche analytique – joue également un rôle dans l’aliénation des autres, y compris parmi les sympathisants des opinions et des positions de la gauche qui ne se perçoivent pas comme de gauche et ne souhaitent pas s’inscrire dans un discours orthodoxe de gauche » (Sen, 2004, p. 299). D’ailleurs, il ne s’agit pas seulement d’aliénation : les autres sont également enchâssés dans des catégories qui leur affectent d’avance un travail organisationnel : quand elle domine un comité d’organisation, la gauche orthodoxe inclut, mais sur la base exclusive de la représentation d’identités données. Elle n’inclut pas les manières de faire, et donc les modes de production identitaire, parce que ceux-ci menaceraient la prémisse de son propre discours, à savoir qu’un autre monde n’est possible qu’après la révolution, quand de telles organisations de gauche auront pris le pouvoir.
Des militants de Friends of the Earth en tenue « d’affaires » manifestent devant la réunion annuelle à Davos du Forum économique mondial, janvier 2001
Des militants de Friends of the Earth en tenue « d’affaires » manifestent devant la réunion annuelle à Davos du Forum économique mondial, janvier 2001
8Il ne s’agit pas seulement ici de la supériorité d’un discours. Il faut aussi se demander si ces discours (dont on n’oubliera pas qu’ils font écho à des façons de voir, et donc d’agir sur le monde et notamment d’en faire un autre) sont ou non perméables à d’autres discours. Sont-ils programmés pour échanger de manière constructive avec d’autres discours, ou est-ce qu’au contraire la seule éventualité d’un tel échange menacerait l’identité du « parti », son centralisme démocratique, le discours lui-même ? De tels discours s’opposent aux espoirs de Boaventura de Sousa Santos (2004b), pour qui le fsm devrait créer « au sein de chaque mouvement ou ong, de chaque pratique ou stratégie, de chaque discours ou savoir, une zone de contact qui le rende perméable à d’autres ong, pratiques, stratégies, discours et savoirs (Santos, 2004b, p. 342). Imperméables, ces discours semblent au contraire reproduire au sein même du Forum les mêmes sujets sociaux que produisent dans le monde en général « la rationalité et l’épistémologie hégémoniques », qui soustraient à la visibilité les sujets avec leurs besoins, leurs désirs et leurs manières de faire. Ces sujets sont « les ignorants, les résiduels, les inférieurs, les locaux et les improductifs » (Santos, 2004a, p. 239).
9Dès lors, le fsm – comme événement et comme processus – se trouve confronté à un paradoxe fondamental. D’un côté, sa Charte des principes le proclame espace, processus et cadre, au sein desquels non seulement la résistance au néolibéralisme se renforce et les luttes circulent, mais de surcroît les options autres sont activement promues. Parmi ces options, on devrait logiquement en trouver qui rompent avec les cultures usuelles du politique. Cependant, le fsm comporte une culture politique profondément enracinée, qui tend à le dominer, au point que malgré l’exclusion formelle des partis politiques, le Forum reproduit le discours partisan qui est partout traditionnel. Entre ces deux extrêmes, bien entendu, le fsm est traversé par une lutte continuelle qui oppose en dernière analyse deux cultures. Il s’agit selon moi de deux conceptions politiques des modes d’articulation de la coopération sociale qui correspondent à des pensées respectivement unique et plurielle ; s’il fallait un acronyme anglophone pour faire pendant à tina, ce pourrait être tama : « there are many alternatives ». D’ailleurs, on retrouve cette opposition à la fois dans la relation des mouvements sociaux au capital et dans la relation entre processus et événement dans le mouvement du Forum social.
10Soulignons que tina et tama n’ont pas le même référent. tina – expression associée à Margaret Thatcher au début des années 1980 – proclame qu’on ne saurait sortir d’un mode d’articulation entre pratiques et sujets sociaux, c’est-à-dire des marchés capitalistes comme modes d’articulation de la différence (produits, modes de production, localités… différents). En d’autres termes, tina représente le projet néo-libéral d’une intégration disciplinaire à l’échelle du corps social tout entier. On n’échappe pas au centre de gravité des marchés capitalistes, qui doivent nécessairement coordonner toute action humaine. Toutefois, le néolibéralisme n’est pas le seul lieu où tina se déploie. Le discours de gauche orthodoxe et sectaire ne relève pas moins de tina dans la mesure où il n’admet aucune alternative au mode d’articulation qu’il représente et manifeste, ni à sa façon de préfigurer la transformation sociale.
11La gauche orthodoxe se félicite de la diversité des participants, mais seulement pour autant qu’ils soient rassemblés par un processus défini d’une manière déterminée – verticale – et ordonné par un certain discours. En d’autres termes, cette gauche est fermée à l’émergence d’autres modes d’articulation et de production, parce que sa culture politique inclut une croyance profondément enracinée quant à la nature de l’autre monde (à venir) et à la façon d’y parvenir. Sans doute différentes sectes peuvent-elles s’opposer sur les détails de ce savoir et de cette vision, mais elles ont en commun leur certitude quant aux croyances qu’elles considèrent évidentes. D’où une réaction caractéristique à la confrontation avec des mouvements sociaux divers, c’est-à-dire avec des forces porteuses de pratiques de transformation sociale ici et maintenant. La gauche orthodoxe agit de manière à rassembler les forces créatrices de la diversité, à les brider et à les canaliser par des « événements » qui peuvent ensuite servir à nourrir des fantaisies de transformation sociale. L’effort organisationnel de la gauche orthodoxe est ainsi gestionnaire, événementiel, culturellement fermé à la participation démocratique et à l’expérimentation de pratiques de démocratie par le bas indispensables au processus de constitution d’un monde nouveau ici et maintenant. Une telle méthodologie n’a pas retenu la leçon du proverbe africain « C’est par autrui que je suis qui je suis » (cité par Waterman, 2004, p. 154).
12Dans la section suivante, je traiterai de manière plus détaillée du sens de tina s’agissant des marchés capitalistes. Cela permettra de mieux sentir pourquoi le Forum social doit être un espace et un processus ouverts, dans lesquels s’articulent horizontalement et démocratiquement les multiples alternatives de tama, et doit rejeter le tina du « discours sectaire ».
Le fonctionnement de tina : les marchés disciplinaires mondiaux
13Afin de mieux saisir l’importance que prend la promotion d’un discours politique qui rejette tina comme mode d’articulation de la diversité au sein du fs, il convient de réfléchir au rôle des marchés capitalistes comme mode d’articulation de la coopération sociale. Car s’opposer au discours tina au sein du fs, c’est également s’opposer à tout ce qui produit ou reproduit tina : il importe de reconnaître que l’opposition à tina concerne la société au sens le plus large.
14La présente section s’intéresse aux marchés capitalistes actuels pour problématiser le genre de relations sociales qui en résultent, et non pas simplement pour en apprécier les effets directs. Ce faisant, il ne faut évidemment pas sousestimer les nombreuses « horreurs » qui naissent des processus contemporains d’intégration mondiale néolibérale, dont traitent nombre de critiques et de militants altermondialistes. Cependant, du point de vue d’une analyse des processus et des relations sociaux, je voudrais suggérer que le problème essentiel des marchés capitalistes n’est pas qu’ils créent des « perdants », mais plutôt qu’ils suscitent un mode d’articulation des « nœuds » productifs à l’échelle du corps social qui désigne constamment des « gagnants » et des « perdants ». De fait, la distribution incessante de « récompenses » et de « punitions » caractérise toute la constitution social des marchés capitalistes.
15C’est qui compte, c’est que ce fait enferme apologistes et adversaires dans un discours déterminé. Dans cette logique, qu’on soit idéologiquement « pour » ou « contre » les marchés capitalistes, il est aisé de choisir les résultats qui esquissent une histoire à l’appui de nos prétentions. Les critiques des marchés capitalistes racontent des histories de restructurations, de bas salaires, de pauvreté, de dégradations environnementales, de migrations forcées et de chômage, que l’on peut facilement rattacher aux processus marchands. Au contraire, ceux qui souscrivent idéologiquement à telle ou telle variante du néolibéralisme choisiront des histoires de gagnants, de salaires accrus, d’indicateurs sociaux ou environnementaux plus localisés, et ainsi de suite. Or, toutes ces histoires sont vraies : quand on envisage les marchés capitalistes comme processus plutôt que comme résultat, ce sont les deux faces inséparables d’une même pièce.
16Le sens relationnel des marchés capitalistes est souvent obscurci par les pratiques quotidiennes que Marx avait appelées « fétichisme de la marchandise » (Marx, 1867 ; De Angelis, 1996 ; Holloway, 2002). Preuve en est, par exemple, l’interprétation convenue de la mondialisation comme « interdépendance croissante entre les personnes, les régions ou les pays à l’échelle mondiale ». L’interdépendance signifie que nous dépendons les uns des autres, mais elle implique aussi que nos actions ont des effets pour d’autres, ailleurs dans le monde.
17De fait, le double sens de l’interdépendance – « dépendre les uns des autres », « s’affecter mutuellement » – est aujourd’hui de plus en plus évident dans nombre de domaines de la vie, et il a une implication précise. Interdépendants, vous et moi sommes pris dans la même itération, dont la forme – les règles et méthodes qui lui permettent d’articuler la dépendance de nos actes et nos influences mutuelles – constitue le fil invisible qui gouverne nos vies. Ce genre de règne est indépendant de nos positions et de nos perspectives, de nos pulsions et de nos passions, de nos calculs et de notre raison, de nos affects, de nos sentiments, de nos émotions ; et, pourtant, c’est cette règle qui articule l’ensemble de ces positions. Ce genre de règne aime tant la différence – différence géographique, différences de puissance – qu’il repose sur des sujets englués dans leurs différences, qui jamais ne se rencontrent hors de la médiation du marché.
18Ainsi, par exemple, la construction d’un barrage dans un pays du Sud peut être financé par les futurs retraités européens, dont les gestionnaires des fonds de pension placent leur argent dans des sociétés de construction de barrage qui offrent des rentabilités marchandes élevées, alors même que le projet implique le déracinement de millions de personnes dans des communautés traditionnelles, contribuant ainsi, directement ou indirectement, aux flot de réfugiés économiques qui se déversent dans les pays européens. Ce n’est pas simplement que, comme le dit Giddens (1990, p. 64), « les événements locaux sont modelés par des événements qui se produisent très loin, et vice versa ». Quand la valeur de ma retraite dépend du déracinement efficace de communautés dans certaines parties du monde (Schmid, Harris et Sexton, 2003), nous avons affaire à une forme d’interdépendance qui est pour le moins problématique. Cela offre un exemple clair de la manière par laquelle les marches capitalistes articulent les besoins de subsistance de différentes communautés (celle des travailleurs contraints d’adhérer à des fonds de pension privés et celle des villageois dépossédés de leur terre) de telle sorte qu’elles s’opposent.
19Les formes d’interdépendance mondiale qui présupposent les marchés capitalistes ont toutes ce caractère : il s’agit d’une interdépendance entre être humains dont les stratégies de survie sont articulées par un mécanisme global qui les place en opposition mutuelle. L’interdépendance mondiale sous l’égide du capital signifie que le fait pour moi d’aller travailler aujourd’hui en me conformant avec enthousiasme à toutes les exigences d’une société et d’une économie de concurrence implique que mes actes ont un effet sur quelqu’un d’autre ailleurs. Pour être direct : de la logique concurrentielle du marché résultent trois possibilités : soit « nous » sommes plus efficaces qu’« eux », contribuant ainsi à « leur » ruine ; soit « ils » sont plus efficaces que « nous », contribuant ainsi à « notre » ruine ; soit enfin les deux contraires sont vrais, et alternent dans une concurrence sans fin qui ruine à la fois « leurs » vies et les « nôtres ».
20C’est cette forme d’interdépendance qui sous-tend le caractère dangereux et omniprésent de la mondialisation telle qu’on la conteste si largement aujourd’hui. Ce n’est pas l’interdépendance en tant que telle qui pose problème, fût-elle mondiale. Que davantage de personnes se rapprochent, puissent pieux partager des ressources, des savoirs, des manières de faire, des formes culturelles, des expériences, des traditions musicales et ainsi de suite – voilà qui signifie dans bien des cas enrichissement des vies des personnes et des communautés, ce qui ouvre de nouveaux horizons de créativité et approfondit les solidarités et les entraides. Qui plus est, les sociétés humaines, dès lors qu’on les entend à juste titre comme réseaux d’individus qui coopèrent et donc inter-agissent pour reproduire leurs vies, ne peuvent se comprendre qu’en termes de degrés et de formes d’interdépendance. Ce qui pose problème avec les marches capitalistes, ce sont la forme de cette interdépendance et le genre de processus de mondialisation. La question qui se pose, dès lors, porte sur comment une telle intégration se réalise – comment, en d’autres termes, les marchés se créent – et comment fonctionne cette intégration une fois établie.
21Il n’est pas possible ici d’analyser les processus de création de marchés. Tout au plus peut-on noter qu’on peut les théoriser en termes d’« enclôtures » (enclosures, cf. Caffentzis, 1995 ; De Angelis, 2004b). Pour faire simple, on entend par enclôture la stratégie promue par les élites politiques et économiques qui consiste à transformer les choses en « marchandises ». La marchandisation consiste en général en la transformation de ressources détenues en commun au sein de communautés, ou échangées gracieusement au sein d’une communauté ou entre communautés, ou administrées et distribuées par des institutions centrales (Polanyi, 1944), en choses qui s’achètent et se vendent sur un marché : en marchandises. Les « choses » transformées en marchandises constituent souvent des ressources importantes qui sont indispensables pour la reproduction du mode de subsistance communautaire ; leur « enclôture » représente à la fois la destruction de ces communautés et leur dépendance accrue à l’égard des marchés, qui dans le contexte actuel sont toujours plus liés à des chaînes de marchandises mondialisées. La consolidation, le développement, l’approfondissement du capitalisme dans nos vies dépend étroitement des enclôtures. En fait, comme d’autres avec moi l’ont soutenu, l’enclôture est une donnée persistante du mode capitaliste de production (Caffenzis, 1995 ; De Angelis, 2004b ; Parelman, 2000).
22Les enclôtures d’aujourd’hui, par lesquelles sont marchandisées les ressources dont les gens dépendent pour leur subsistance, portent de nombreux noms. Elles peuvent passer par la dépossession de milliers de communautés agricoles de leurs ressources en eau et en terre suite au financement bancaire international de constructions de barrages, à l’instar du projet de barrage de la vallée de Narmada en Inde ou du Plan Puebla Panama en Amérique latine. Elles peuvent également passer par la réduction des dépenses sociales consacrées aux hôpitaux, aux médicaments et aux écoles ou encore, notamment dans les pays du Sud, par la réduction des subventions alimentaires afin de permettre le règlement des intérêts dus au titre d’une dette internationale en accroissement constant. Dans tous ces cas, les réductions, les expropriations, l’austérité – autant de formes d’enclôture – s’imposent au nom de l’« efficacité », de la rationalisation et de la « compétitivité mondiale ». Constitue donc une enclôture toute stratégie qui pousse les gens à dépendre du marché pour leur subsistance.
23Les enclôtures n’engendrent qu’un contexte dans lequel l’interaction sociale marchande peut se déployer. Si les enclôtures poussent les gens à accroître leur dépendance à l’égard des marchés pour la reproduction de leur subsistance, alors les marchés intègrent les activités dans un système qui confronte chacun à tous. L’intensification toujours plus forte de l’interdépendance planétaire que suscitent les marchés mondialisés implique que tout « nœud » de production sociale, quelle qu’en soit l’échelle – un individu sur le marché du travail, une société dans un secteur donné, une ville ou un pays en concurrence avec d’autres ville sou pays pour attirer des capitaux et des investissements –, fait face à une force externe qui lui impose de s’adapter à certaines normes d’action, d’adopter certaines formes de coopération sociale, afin de battre la concurrence – sous peine de voir sa subsistance menacée. Mais « battre la concurrence », cela veut dire aussi, et simultanément, menacer la subsistance d’autres communautés concurrentes, dans la mesure où elles aussi dépendent des marchés pour la reproduction de leur propre subsistance. Plus nous dépendons de l’argent et des marches pour répondre à nos besoins et à nos désirs, plus nous nous exposons à un cercle vicieux de dépendance où s’affrontent les capacités de subsistance. D’aucuns y gagnent ; d’autres y perdent. Mais dans les deux cas, nous contribuons conjointement à la mise en œuvre du système qui nous amène à reproduire la pénurie alors que nous pourrions en fait célébrer l’abondance.
24Il importe de noter que la concurrence qui irrigue le corps social mondial ne ressemble pas aux jeux compétitifs auxquels nous jouons avec des amis. Quand je joue au baby foot avec des amis, c’est pour gagner. Mais que je gagne ou que je perde, je finis par partager nourriture et rires avec mes amis, qu’ils aient gagné ou qu’ils aient perdu. La concurrence dans ce domaine est bénigne : c’est une pratique qui peut même renforcer la puissance ludique des communautés au lieu de la détruire. Au contraire, la concurrence économique – qu’elle soit « parfaite » ou « imparfaite », réelle ou simplement simulée (ce dernier cas est de plus en plus fréquent dans les services publics où, faute de marché, les instances gouvernementales en simulent la dynamique en définissant de nouveaux critères de performance) – trouve son énergie, en dernière analyse, dans la menace qu’elle adresse aux capacités de survie. La concurrence constitue un mode de relation sociale qui se fonde sur l’affrontement mutuel des modes de subsistance. Ce faisant, elle reproduit continuellement la pénurie et la destruction communautaire.
25Du point de vue d’un « nœud » quelconque, ce mode d’articulation du corps social est disciplinaire dans la mesure où, pour emprunter l’analyse que propose Foucault (1975) du modèle carcéral « panoptique » de Bentham, le marché est également un mécanisme où se créent des normes à travers un processus social qui distribue récompenses et punitions (cf. De Angelis, 2002). Par normes de production, j’entends ici les divers principes de répartition de ressources et de distribution associés à la production sociale humaine, de même que les manières de faire, les rythmes et les formes de coopération : autant de logiques que les marchés capitalistes synthétisent par les prix. Les normes de production, qui sont des façons d’entrer en relation, répondent à des questions fondamentales telles que : ce que nous produirons, comment nous le produirons, combien nous en produirons, combien de temps nous passerons à le produire, qui le produira. Toutes ces questions très concrètes définissent des enjeux processuels et relationnels qui portent sur la reproduction de notre corps social et sur nos manières de nous rapporter les uns aux autres et à la nature.
26Les réponses ne proviennent pas de personnes qui prennent le contrôle de leur propre vie et de leurs relations ; il s’ensuit que, de même, les normes de production sociale et de relations entre personnes ne sont pas définies collectivement. Elles résultent plutôt d’un mécanisme abstrait que nous avons créé (en fait que les États créèrent par la force de l’épée et du fusil : pour des analyses classiques à cet égard on peut se référer à Polanyi, 1944, et à Marx, 1867) et que nous considérons comme « naturel » dans nos pratiques quotidiennes de vie. C’est le processus abstrait des marchés disciplinaires qui articule le corps social de manière à constituer des normes sociales de production, et non pas la négociation entre acteurs sociaux individuels des normes propres de leur libre coopération. Dans ce mécanisme marchand, les acteurs individuels doivent répondre à des normes existantes, hétéronomes, imposées par le mécanisme aveugle du marché : répondre, en l’occurrence, en se conformant aux performances requises par le marché ou en les excédant (fût-ce la performance simulée imposée par les instances étatiques néolibérales). Cette activité réagit en retour sur la norme marchande elle-même. Dans cette boucle de rétroaction sans fin, les modes de vie s’opposent les uns aux autres. La répétition systémique des récompenses et des punitions crée des normes. Friedrich von Hayek, le thuriféraire de la liberté marchande, le comprenait fort bien, tout en négligeant l’enjeu du pouvoir et la contribution des processus d’enclôture à l’explication de l’émergence des marchés capitalistes. Pour Hayek, le mécanisme abstrait du marché constitue un système de liberté qui émerge spontanément (De Angelis, 2002).
27Ainsi, pour qu’un autre monde soit possible, la condition minimale est que l’action sociale soit coordonnée d’une manière différente : les normes d’interaction entre coopérateurs de la production sociale doivent être définies directement par ceux-ci, plutôt que par un mécanisme aveugle et abstrait qui confronte les survivances les unes aux autres.
Alter-politique, fétichisme de la marchandise et Forum social
28Le tina néolibéral proclame qu’on ne peut sortir de la coordination disciplinaire marchande de notre action sociale, de nos puissances multiples d’action et de création. Nous répondons « foutaise ». Les autres options ne manquent pas, si l’on entend par là non pas un système, mais un processus ouvert aux objectifs relationnels et communciationnels. On se rend compte alors que pour sortir du mécanisme disciplinaire du marché, pour assurer une coordination démocratique de la production sociale, il faut des normes qui ne soient pas imposées par un mécanisme aveugle (ou une instance de planification externe), mais émergent de processus de coopération horizontale et de décision démocratique par les producteurs eux-mêmes. Ces mécanismes de décision porteraient par exemple sur ces critères d’allocation et de rémunération, les modalités d’autogestion et de production sociale que discute une longue tradition d’écrits écologistes, socialistes, communistes et anarchistes et qui sont utilement synthétisés par le paradigme contemporain de l’économie participative (Albert, 2003). Il faut reconnaître, toutefois, que ces intuitions et ces visions ne sont pas de simples indications pour une société à venir, mais une pratique actuelle dans nombre d’occasions de production sociale qui rejettent la discipline capitaliste et les autres processus hétéronome de création normative. Ainsi, tous les processus politiques qui se déclarent « pour un autre monde », ou en faveur d’une alternative au capitalisme, en tant que ce sont, au sens large, des processus de production, non seulement doivent eux-mêmes donner l’exemple de telles modalités autres de relation entre sujets sociaux, mais encore se constituer en forces sociales qui facilitent, approfondissent, consolident et étendent au-delà du capitalisme le champ des processus de production sociale.
29Cette perspective suppose deux choses. Tout d’abord, j’interprète très largement la notion de production sociale, en y incluant les activités reproductives aussi bien salariées que non salariées. Ensuite, comme je le préciserai davantage ci-après, cette prétention se fonde dans une approche selon laquelle la constitution de nouvelles relations sociales ne peut attendre « après la révolution » : en effet, c’est précisément ce processus de mise en place d’une articulation alternative de « oui » multiples, comme problématique centrale de la transformation sociale, de l’élaboration d’un « autre monde », qui constitue la révolution.
30Cette problématique d’articulation alternative de « oui » multiples s’ouvre largement au discours que le mouvement fs a opposé à tina : tama, « il y a de nombreuses autres options ». De fait, tama constitue la contre-proposition spécifique à tina qu’avancent les critiques du néolibéralisme et les participants aux mouvements nombreux qui composent le Forum social. C’est peut-être à l’occasion du deuxième Encuentro pour l’humanité contre le néolibéralisme de tina, promue par les zapatistes et organisé en Espagne en 1997, que cette vision a émergé avec la plus grande clarté. Le slogan final est en effet devenu « un non, de nombreux oui » : un « non » à la promotion néolibérale des marchés dans toutes les sphères de la vie ; de « nombreux oui » qui expriment la pluralité des besoins, des désirs, des aspirations et des manières de faire qui caractérise un corps social divers. Ce discours est manifeste dans le principe d’inclusion de la Charte des principes, et se traduit par le carnaval d’identités divers et coloré qui marque toute grande manifestation fs.
31À la différence de tina, qui exclut de sortir du marché, tama donne voix à la diversité des oui, des besoins et des aspirations que le marché néglige, ou ne satisfait qu’au prix de la mise en péril de la survie d’autrui. Si pour le discours tina tout est possible pour autant qu’une modalité donnée nous le fournisse (les marchés disciplinaires pour ce qui est du capital, la décision verticale « représentative » pour la gauche orthodoxe), tama envisage de nombreuses autres manières de faire, qui se distinguent à la fois des marchés disciplinaires, qui opposent chacun à tous, et de la démocratie représentative, qui est au fondement de la politique de puissance. On notera que ce que tama laisse ouvert se ferme du point de vue de tina : il s’agit des manières, en droit multiples, d’articuler sur l’ensemble des sujets la multiplicité des besoins et des désirs. L’ouverture du mode d’articulation des « oui » multiples dans tama présuppose que son émergence ne puisse résulter que d’interactions et de relations incessantes entre ceux qui mettent en pratique les alternatives, du besoin continuel d’échange, d’apprendre et d’enseigner, de créer des affects et des communautés trans-locales, et ainsi de suite. Cela constitue le champ, vaste, des processus démocratiques horizontaux.
32Quel est donc le rôle du fs s’agissant de tama ? Il en a d’ores et déjà trois, qui se rattachent aux principes de tama, quoiqu’à des degrés divers. Tout d’abord, le fs est un espace d’éducation et de sensibilisation pour ceux qui ne sont pas habitués à des campagnes, à des luttes ou à des enjeux particuliers, ou qui sont peu familiers des pratiques des mouvements sociaux. Ensuite, le fs constitue aussi un espace de circulation de luttes et de réseautage, qui facilite l’intensification des relations de solidarité trans-locales de même que la diffusion de l’information. Enfin, le fs offre un espace pour la promotion d’alternatives concrètes.
33Quand on réfléchit à ces trois fonctions du fs, qui d’ailleurs se recoupent, et qu’on les distingue des fonctions des marchés disciplinaires analysées dans la section précédente, on se rend compte que les trois instances sont autant de moments de conscientisation et de développement de nos puissances actives (powers-to). C’est de ce processus en dotation en puissance (empowerment) – qui dote non pas de simples individus, mais des individus comme articulations conscientes de communautés et de réseaux, c’est-à-dire des individus sociaux (Marx, 1844) – que doivent devenir réflexivement conscients les promoteurs et les producteurs du fs et ceux qui y participent. J’ajouterais que c’est là qu’ils doivent trouver leur centre comme mouvement politique.
34Dire que le fs est l’espace dans lequel nous prenons conscience de nos pouvoirs, voilà qui revient à dire que l’« autre monde » dont nous proclamons la possibilité est en même temps un autre monde que nous contribuons à créer. Il ne s’agit donc plus seulement de rompre avec la clôture discursive du néolibéralisme en ouvrant l’horizon de l’espoir, mais aussi de promouvoir une pratique discursive qui transforme l’espoir en force matérielle pour la constitution d’un monde nouveau. Après tout, ce monde dépend précisément de la capacité du corps social de devenir conscient de ses multiples pouvoirs, d’agir sur la base de cette conscience, et enfin de trouver les formes d’organisation correspondantes qui lui permettent d’ériger du neuf.
35Cette perspective suppose évidemment une conception de l’émancipation sociale qui s’écarte nettement de la traditionnelle « conquête du pouvoir » comme condition sine qua non de transformation du monde dans lequel nous vivons. Dans cette conception, le pouvoir n’est pas quelque chose dont on puisse « s’emparer », mais plutôt qui peut et doit s’exercer. La meilleure présentation d’ensemble de cette conception est sans doute la critique que propose John Holloway (2002) des notions traditionnelles de pouvoir. L’argument de Holloway peut se résumer de la façon suivante. Les relations capitalistes sont partout ; elles sont notamment enchâssées dans l’État lui-même. Dès lors le vieux débat entre tenants d’une conquête réformiste ou révolutionnaire du pouvoir étatique constitue une dichotomie fausse. Dans les deux cas, la problématique de la « conquête du pouvoir » conduit à la reproduction des hiérarchies du capitalisme. Le pouvoir conquis est celui de la domination (power-over) ; ce dont on s’empare, c’est la structure des hiérarchies et des pouvoirs qui s’exercent sur le corps social. Pourtant, la révolution est bel et bien autre chose : elle consiste à abolir la pouvoir de domination sur les personnes au profit de relations vécues de que Holloway appelle l’« anti-pouvoir ». Ainsi, le capitalisme n’est pas une donnée externe ; en tant que fondé essentiellement sur la séparation entre le faire et ce qui est fait, entre l’objet et le sujet, le capitalisme est partout.
36Pour les besoins de cette analyse, Holloway revient à la critique marxienne du fétichisme de la marchandise, dont il fait un élément central de la compréhension, de la critique et du dépassement du capitalisme. Une telle critique nous montre que les relations humaines (telles les relations marchandes) prennent la forme de relations entre choses. Il en résulte en dernière analyse que l’objet domine le sujet et que la chose faite domine le faire. Pour reprendre la présentation adoptée ici des marchés disciplinaires, c’est donc un mécanisme abstrait qui dicte aux sujets humains les normes et les modes de leur interaction. Le pouvoir omniprésent qui nous domine, selon Holloway, ne nous est pas extérieur, à l’instar d’une classe capitaliste, d’un État ou d’une armée. C’est plutôt au pouvoir comme domination, qui se subordonne la puissance active, que la révolution doit aujourd’hui s’attaquer. Il s’agit donc d’une révolution qui prenne la forme d’une lutte d’anti-pouvoir visant à libérer la puissance active de la domination. « La lutte pour libérer la puissance active (power-to) n’est pas une lutte pour ériger un contre-pouvoir, mais plutôt un anti-pouvoir, quelque chose qui se différencie radicalement du pouvoir comme domination (power-over) » (Holloway, 2002, p. 37).
37En posant la question de la fétichisation de la marchandise, on s’efforce ainsi de refonder la révolution sur les sujets et sur la problématisation de leur relations plutôt que sur des catégories fétichisées (classe, État, marché et ainsi de suite). Pourtant, le fétichisme de la marchandise n’a rien d’une illusion, dans la mesure où les relations entre personnes prennent réellement la forme de relations entre choses (Marx, 1867, p. 166). Comment, dès lors, s’en défaire ?
38La réponse de Holloway est claire : le dépassement du fétichisme de la marchandise passe par la résistance, par la lutte, par « le cri non ! » (2002, p. 56). Mais cette solution aussi pose problème. On peut crier en réaction à la domination de l’objet, de l’acte, sur son propre pouvoir explosif, mais les relations fétichisées du marché ne sont pas pour autant dépassées. Peut-être le cri – dont Holloway fait une catégorie théorique – ouvre-t-il une voie, dégage-t-il un horizon. En fin de compte, le cri, le non, le refus posent une limite, tracent une ligne dans le sable, à l’encontre des puissances de la fétichisation. Toutefois, cela ne vaut pas encore création de relations sociales au-delà du capital.
39Le cri résulte du choc entre le sujet qui se pose comme tel et la frustration qu’il rencontre ; le cri est une tension entre le non et les oui multiples et frustrés. Pour briser le charme du fétichisme de la marchandise, il faut non seulement reconnaître les relations entre choses comme des relations entre personnes, mais aussi agir sur elles. Défétichiser, c’est reconnaître que la seule force sociale constitutive de ces multiples oui est l’articulation avec autrui : une danse relationnelle dont jaillit la vie.
40Comment, alors, sortir du règne fétichisé des marchés disciplinaires ? Dans la continuité d’une longue tradition d’interprétation, Peter Hudis (2004) note que, dans le Capital, Marx a présenté le fétichisme de la marchandise comme omniprésent : la mer, pourrait-on dire, dans laquelle nous nageons tous dans nos actions quotidiennes. Un poisson ne peut certainement pas voir la mer puisque, pour autant que nous sachions, les poissons ne sauraient imaginer ou construire une réalité mentale différente de celle qui les entoure (McMurtry, 1998). C’est ainsi que Marx traite le problème « comment pouvons-nous en sortir ? » par une pichenette discursive : « imaginons, pour changer, une association d’[individus] libres », comme il le dit de façon abrupte dans le chapitre 1 (Marx, 1867, p. 171). Pour Peter Hudis, la défé-tichisation est ainsi affaire d’imagination à propos des relations humaines de l’avenir, une projection sur une société différente, une réponse à la question « que se passe-t-il après la révolution ? », comme dans l’économie participative d’Albert. Or l’imagination est une posture positive, affirmative, et non pas négative. En d’autres termes, Hudis (2004) soutient que, pour Marx, « le voile n’est pas retiré du visage du processus de la vie sociale […] tant qu’elle n’est pas devenue production par des [individus] librement associés ».
41C’est tout à fait correct, mais il n’est pas exact de penser, comme dans l’interprétation que Hudis propose de Marx, que notre être-au-monde consiste en l’omniprésence du capital et de son fétichisme. C’est comme si nous n’avions pas surpassé le fétichisme dans une multitude de processus relationnels de production au cours desquels nous agissons comme individus librement associés et négocions entre nous nos normes d’interaction. Comme si des communautés à travers le monde ne luttaient pas pour s’organiser autour de l’imagination et de la diversité des rêves. Comme si nous ne construisions pas déjà des domaines d’action et de communications sociales où nous nous efforçons de nous reconnaître mutuellement dans la dignité ; comme si nous n’étions pas constamment en train de « nier la négation » à chaque fois que nous posons du neuf et l’actons dans notre organisation ; comme si nous n’apprenions pas de nos erreurs en écoutant les voix que nous avions coutume d’exclure à travers nos modes de pensée et nos discours rassis. Comme si Seattle en 1999, les Chiapas en 1995, l’Argentine en 2001, Londres en 2003 et des millions d’autres « révoltes » – grandes ou petites – n’étaient pas aussi des percées constitutives, des moments d’un processus social long et complexe où se font des relations, des visions du monde, des choses, des questions, des réponses, de la défétichisation, des visions, des affects. Sans doute ces moments sont-ils pétris de contradictions, de limites et de paradoxes ; pourtant ce sont des moments révolutionnaires parce qu’ils rompent avec l’ancien et posent du neuf. Comme si le temps n’était pas venu de se demander comment on se rapporte l’un à l’autre sur cette planète.
42À ce point de rencontre entre le caractère central de la posture d’affirmation dans la lutte contre le fétichisme et le refus de voir le fétichisme comme omniprésent – il s’agit plutôt, comme Holloway le signale à juste titre, d’un processus de fétichisation –, s’ouvre un espace où puisse se poser une question stratégique et organisationnelle qui manque chez Holloway comme chez nombre de ses critiques : comment articuler les nombreux moi qui « hurlent », les nombreuses luttes, de telle sorte qu’on ne dise pas simplement « non » au fétichisme et à la domination du capital ? Il faut en effet aussi articuler les nombreux « oui » qui constituent un autre monde.
43Il va sans dire que cela revient à redéfinir les questions « que se passe-t-il après la révolution ? » (Hudis 2004) et que devient « la vie après le capitalisme » (Albert 2003). Bien plutôt, on se demande ce que se passe ici et maintenant, c’est-à-dire pendant la révolution et en dépit du capitalisme ; en d’autres termes « quel genre de relations humaines » on crée afin de transcender le capital.
44En dernière analyse, ces questions désignent une problématique d’organisation, de mise en relation, d’apprentissage, de défétichisation de nos rapports à autrui, de main tendue et d’ouverture, de partage de ressources et de création de biens communs, de réinvention de communautés locales et trans-locales, d’articulation des flux réciproques entre mouvement et société. Qu’est-ce en effet que la défétichisation sinon une pratique relationnelle: un « comment » qui réfléchit sur le comment ? C’est pourquoi la question organisationnelle prend une telle importance. C’est dans la danse relationnelle de l’organiser que re rejoignent le traçage des limites, le « non » hurlé qui borne le capital, et la constitution d’une force sociale qui apprend à articuler des oui multiples en assumant la responsabilité de produire de nouvelles relations sociales.
45Avec cette formulation, on voit clairement qu’il n’est pas simplement possible de changer le monde sans prendre le pouvoir. Il devient évident, de surcroît, que l’exercice de la multiplicité des puissances actives (powers-to) constitue l’enjeu véritable, la matière vivante et quotidienne de la révolution. Cependant, ces puissances s’exercent toujours dans un contexte et à une échelle donnés : elles s’exercent toujours pour quelque chose. À certaines échelles d’action critiques, quand on exerce le pouvoir, « ils » envoient la police et l’armée. Ainsi, s’il faut incontestablement exercer le pouvoir plutôt que s’en emparer, il serait illusoire de ne pas reconnaître, et donc problématiser, le fait que certaines modalités d’exercice des puissances actives entrent en conflit : par exemple le pouvoir des sans terre de reprendre la terre, de construire des écoles, des logements, des hôpitaux, des communautés, d’une part ; et d’autre part le pouvoir de l’armée de tirer, de tuer, de dégager la terre et de la restituer à son propriétaire multinational « légal ».
46C’est ici, me semble-t-il, que se situe le problème de l’analyse par Holloway de le relation entre domination (power-over) et puissance active (power-to). Convenons avec lui que « la domination peut sortir du canon d’un fusil, mais non la puissance active » (Holloway, 2002, p. 36). Mais n’en oublions pas pour autant qu’en appuyant sur la détente (tout comme en produisant l’arme, en la distribuant par l’armée, en mettant en place une logistique opératoire et efficace, en lavant les cerveaux des soldats pour qu’ils acceptent des ordres, en inculquant le patriotisme aux populations…), on exerce aussi la puissance active de… tirer. C’est, me semble-t-il, par la résultante de puissances actives, d’objectifs et d’aspirations différents et conflictuels que se définit la domination.
47La domination est ainsi une certaine relation entre puissances actives ; elle est constituée par cette relation. Sans doute, dans notre rapport au capital, exerçons-nous nos puissances actives sous « la modalité de la privation » (« the mode of being denied ») – mais par quoi sommes-nous privés ? Par la domination ? Non, par d’autres puissances actives, qui visent à la constitution d’une autre réalité, qui sont dotes d’une force d’organisation en mesure de défaire la force d’organisation des besoins et des désirs qui dépassent le capital.
48En d’autres termes, la puissance active est une propriété émergente, qui spécifie notre degré d’aliénation du corps social, le point auquel nous devons nous soumettre aux mécanismes d’un monde qui oppose chacun à tous, sous l’empire des marchés disciplinaires. Cette formulation oriente notre regard vers l’efficacité de la portée organisationnelle, contre celle du capital, d’une force sociale qui vise à dépasser le capital du point de vue de la multiplicité des puissances actives exercées par le discours, les pratiques, les réseaux, la culture, les affects… C’est également une formulation qui défait les prophéties auto-réalisatrices du cynisme. Car si la domination ne s’oppose pas à la puissance active, mais résulte du choc de puissances actives opposées, alors une réflexion stratégique auto-réflexive sur nos puissances actives constitue un moment de notre propre montée en puissance (empowerment).
49Selon moi, c’est en cela que consiste le Forum social. C’est pourquoi il nous faut l’envisager comme espace ouvert émergent de ce processus de potentialisation (empowerment).
« Un autre monde est en chantier »
50De l’analyse menée jusqu’ici, on peut dégager quelques coordonnées stratégiques utiles à la cartographie de l’horizon vers lequel voyage la constitution d’un autre monde, riche de mondes multiples. En particulier, je souhaite définir ces coordonnées depuis la problématique des « espaces ouverts », que mon analyse permet de formuler comme ceci : 1) l’espace ouvert comme espace de tama ; 2) l’espace ouvert comme espace de défétichisation, de potentialisation (empowerment) et de création horizontale de normes ; 3) l’espace ouvert comme espace de biens communs. Suivant ces trois coordonnées, l’« exploration dans l’espace ouvert » que propose ce numéro de la riss se présente comme exploration des pratiques constitutives de relations sociales, et des manières correspondantes d’agir, qui soient nouvelles. Voyons cela de manière plus détaillée.
511. L’espace ouvert comme espace de tama, à savoir l’ouverture à d’autres manières d’agir et d’articuler la coopération sociale, à toutes les échelles de l’action sociale. Cela s’oppose directement au tina des marches capitalistes comme au tina de la gauche orthodoxe ou à toute autre approche autoritaire.
52Nous avons vu ci-dessus que, à travers ce que Hayek appelle « le mécanisme abstrait du marché », nous créons et recréons les normes de notre interaction, sans même nous rendre compte que c’est cela que nous faisons, et nous fixons les valeurs que nous attribuons aux personnes et aux choses, sans nous rendre compte que nos achats quotidiens de marchandises impliquent des rapports à d’autres personnes. En un mot, c’est le règne du fétichisme de la marchandise. Pour le tina marchand, l’articulation de la diversité résulte d’un mode de création de normes d’interaction à travers un système abstrait qui se présente comme mode d’articulation de la diversité et qui agit comme force externe et aliénante sur les nœuds individuels qui constituent l’interaction. Pour la perspective critique de tama, au contraire, c’est un problème ouvert que de savoir comment articuler les oui multiples, les autres options qu’on croît possibles au-delà de la logique du profit des marchés disciplinaires : la solution ne peut être découverte que par les « nœuds » en interaction eux-mêmes. Ce processus ouvert de découverte est relationnel. Partant, la liberté prend ici un sens plus profond qui s’étend à la liberté de choisir en commun les normes d’interaction qui régissent le corps social. Dans le cadre marchand, au contraire, la liberté se limite au choix d’un produit dans le cadre d’un mode de production donné.
53Ainsi, à la différence des tina du marché, de la planification ou de la gauche orthodoxe, qui définissent a priori un mode d’articulation fermé par construction aux alternatives, tama pose une question ouverte, qui ne se ferme que de manière contingente par telle ou telle solution concrète, sous forme d’un mode d’articulation provisoire. Or, une solution contingente n’est pas un a priori, mais constitue le résultat émergent d’un processus de négociation. D’où, dans cette perspective, l’attention portée aux dimensions qualitatives du processus relationnel d’articulation et l’accent sur l’horizontalité, l’inclusion, l’ouverture, la démocratie. Il s’agit là de valeurs générales qui, en tant que telles, ne déterminent pas le caractère spécifique du résultat, à savoir la clôture opérationnelle qui définit quel mode d’articulation est adopté. Ces valeurs orientent plutôt le contexte dans lequel les sujets aux-mêmes, dans des circonstances spécifiques et des conditions matérielles données, conçoivent la clôture opérationnelle du mode d’articulation de leur agir collectif.
542. L’espace ouvert comme espace de défétichisation, de potentialisation (empowerment) et de création horizontale de normes. Nous avons vu dans la section précédente que tama ouvre une problématique de potentialisation et de défétichisation des relations sociales ; ce sont là les deux éléments requis pour la constitution d’une force sociale qui aille au-delà du capital. Toutefois, la potentialisation et la défétichisation ne sont rien dans reconnaissance de l’« autre ». Au sein de nos mouvements, nous devons devenir toujours plus sensibles au fait que la reconquête de nos pouvoirs multiples d’action, de pensée, de rêve, d’imagination, de relation, ainsi que la transformation de ces pouvoirs en force matérielle porteuse d’un monde nouveau, sont essentiellement des processus qui nous amènent à regarder les autres comme des sujets dotés de dignité. C’est l’enseignement des luttes des sujets les plus « dévalorisés » par l’accumulation du capital : les peuples autochtones, les migrants, les femmes. On sait que ce sont les zapatistes qui, ces derniers temps, ont donné à la problématique de la dignité la voix la plus cohérente et la plus articulée. Ce qu’ils nous apprennent, c’est que la dignité est la valeur commune que nous devons reconnaître chez tous les sujets, le centre de gravité autour duquel tous les sujets puissent trouver des modes d’articulation de leur diversité d’expérience, de savoir-faire, d’imaginaires, d’idéologies, de croyances religieuses, d’accès aux ressources, de besoins et d’aspirations. Un espace ouvert reconnaît donc la dignité comme valeur constitutive. À travers la reconnaissance de la dignité, nous défétichisons nos rapports à autrui, et reconnaissons chez les autres ce dont attendons que les autres le reconnaissent chez nous : la qualité de sujet humain. La dignité est ainsi la valeur fondatrice d’une horizontalité relationnelle qui articule la diversité.
55Le fs est d’ores et déjà devenu un espace de potentialisation et de défétichisation, au sens où, à travers la participation à l’« événement » et à sa production, des individus relevant d’organisations, de mouvements et de réseaux nombreux et divers se fécondent et se contaminent réciproquement. Ils se sensibilisent ainsi à des luttes très diverses (et donc à des besoins, à des aspirations et à des « oui » multiples), à leur capacité de changer le monde, et à la médiation marchande de leurs relations à travers le corps social. Ce faisant, ils contribuent donc à la production d’un autre monde, par l’élaboration de stratégies, de visions et de tactiques, par la partage de ressources et de compétences, et par la mise en place et le renforcement de réseaux d’entraide, de solidarité et de soutien. De ce point de vue, donc, le « résultat » du fs est déjà l’émergence d’une constitution sociale. Toutefois, pour que cela conduise à un cycle vertueux, le fs doit avancer d’un pas et devenir un espace conscient de lui-même, et auto-proclamé tel, de constitution, en non de simple promotion, d’autres modes d’articulation du corps social.
56Tout comme les marchés disciplinaires capitalistes créent des normes d’interaction, le fs devrait devenir un espace de création normative. Sa propre production peut devenir un terreau pour l’apprentissage et pour la démonstration ad hominem que la création normative au sein d’un ensemble diversifié d’acteurs et d’une complexe coopération productive socialisée, quelle que soit l’échelle de ladite création, peut se réaliser sans les méthodes verticales de la politique gestionnaire ou les mécanismes disciplinaires du marché, qui imposent aux sujets des normes hétéronomes. La création normative doit passer par des processus horizontaux participatifs qui respectent pleinement la dignité des sujets.
57Plus il y aura de participation et d’inclusion dans les décisions de la phase de production, plus il nous sera possible d’honorer notre valeur fondamentale de dignité, plus il y aura d’espoir de motiver à participer des segments de la société qui sont aux marges de nos mouvements. L’ouverture pratique du mouvement à la société commencerait alors par le constat que les différences entre mouvement et société ne sont pas d’ordre idéologique, culturel, religieux, cosmologique… Il faut plutôt considérer que, en tant qu’individus prenant part à des mouvements d’émancipation, nous prenons également part à la société en général ; nous partageons avec une grande part de la société le besoin et l’aspiration de survivance dans la dignité et dans le respect, entre nous et par rapport à la nature. Nos mouvements ne se distinguent donc de la société que par des modalités d’organisation du corps social qui s’opposent frontalement à celles dans lesquelles nous sommes tous tacitement impliqués quand nous agissons dans les marchés capitalistes, sans savoir comment nous faisons, comment nous envisageons les relations sociales et comment nous exprimons nos visions. En tant qu’espace centré sur la conscience réflexive de nos relations, le fs offre une « preuve » concrète de l’existence d’autres manières de faire ; nous pouvons inviter les autres à se joindre au processus en respectant pleinement leurs compétences, leurs savoirs, leurs besoins, leurs désirs, leurs aspirations. Seuls les processus horizontaux offrent de telles possibilités.
583. L’espace ouvert comme un espace de biens communs. Tout comme les enclôtures du capital créent un contexte pour la création de relations sociales fétchisées dans lesquelles les normes de coopération sociale dont définies par les mécanismes abstraits du marché, un espace ouvert tel que le Forum social peut chercher à élaborer un contexte tout à fait autre d’échange humain, un espace commun où, à des degrés divers selon les puissances actives des participants, des ressources se partagent, des besoins se satisfont et des dons s’échangent (cf. par exemple l’idée d’une assemblée de dons et de besoins décrit par McLeish, 2003, à propos du Forum social européen). Le Forum social peut également prendre un rôle pro-actif dans la facilitation et la coordination de modalités alternatives d’échange de ressources et de renforcement de réseaux d’entraide et de solidarité.
59En envisageant un espace ouvert comme espace de biens communs, et en le présentant publiquement comme tel, on peut aider à recomposer politiquement les luttes nombreuses et diverses pour le bien commun qui se déploient déjà, et contribuer à les consolider et à les étendre à d’autres domaines. Les biens communs offrent une forme d’accès direct à la richesse sociale, sans la médiation de relations marchandes concurrentielles. Les biens communs prennent de nombreuses formes ; c’est souvent en luttant contre leur enclôture et leur marchandisation qu’on en prend conscience. Ainsi, les luttes contre les droits de propriété intellectuelle posent la question du savoir comme bien commun. Les luttes contre la privatisation de l’eau, de l’éducation et de la santé posent la question de l’eau, de l’éducation et de la santé comme biens communs. Les luttes des sans terre posent la question de la propriété commune de la terre. Les luttes contre la destruction environnementale posent la question de l’environnement comme bien commun. En un mot, toute lutte contre une enclôture effective ou menaçante pose la question du bien commun.
60Les biens communs font donc signe vers une manière alternative, non marchandisée, de satisfaction des besoins sociaux, c’est-à-dire de produire de la richesse sociale et d’organiser la production sociale. Cependant, il ne faudrait pas penser le bien commun comme espace déréglé. Certains économistes font précisément ce raisonnement quand ils évoquent les biens communs dans le souci de les privatiser, de les enclore. Selon eux, la détention commune des ressources débouche sur la « tragédie des communes », l’utilisation maximale par chacun de la ressource commune conduisant in fine à son épuisement pour tous. Ce que ces auteurs oublient, c’est que, dès qu’il y a bien commun, il y a communauté d’individus qui définissent des normes, des conventions et des relations mutuelles. Ce point a déjà été largement couvert dans ce qui précède.
61La capacité d’ouvrir un espace du commun, présenté comme tel à la face du monde, permettrait à nos multiples mouvements d’opposer fermement aux enclôtures du capital un discours politique nouveau qui ne soit pas simplement d’opposition, mais aussi de proposition et de constitution. D’un point de vue politique, les biens communs constituent une rupture sacrilège avec l’appropriation privée des ressources sociales et avec le dogme capitaliste marchand selon lequel nous ne pouvons assurer notre survivance qu’au prix de celle d’autrui. Il s’agit au contraire de reconnaître autrui comme sujet doté de dignité, au service d’un projet politique visant à explorer comment, dans l’espace ouvert de biens communs que nous constituons, on peut reconquérir la communauté avec autrui dans notre définition normative et dans l’accès aux choses dont nous avons besoin. Par cette exploration, on peut faire reculer, dans nos vies, la domination des marchés capitalistes. L’espace ouvert est donc celui où « l’autre monde riche de mondes multiples » est en chantier.
62Traduit de l’anglais
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