1À bien des égards, le concept de mondialisation a été victime de l’imaginaire qu’il a suscité. La notion même de « processus de mondialisation » suggère que des forces toutes-puissantes s’acharnent à créer un monde homogène, comme un voile d’uniformité qui estompe les particularités nationales et locales. Bien entendu, de telles croyances ont été invalidées dès lors qu’elles ont été confrontées aux données empiriques : en dépit de la mondialisation culturelle, le « McWorld » doit céder la place aux hybridités locales et nationales ; en dépit de la mondialisation économique, les tissus économiques locaux restent aussi importants que jamais ; enfin, en dépit de la mondialisation politique, les États-nations restent les institutions les plus puissantes du monde. En d’autres termes, même s’il existe des dynamiques transnationales, souvent de portée mondiale, d’autres dynamiques opèrent concomitamment à d’autres échelles. L’importance relative du ou des « processus de mondialisation » par rapport à d’autres dynamiques n’est pas liée à leur échelle géographique ; elle dépend plutôt des pratiques sociales particulières que l’on envisage. Là où les dynamiques transnationales à grande échelle offrent davantage d’opportunités et de bénéfices, elles se développeront et seront susceptibles de dominer le champ des activités sociales ; là où elles engendrent des coûts et engendrent leurs propres limites, d’autres échelles d’activité seront prépondérantes.
2Ces considérations témoignent du fait que le discours sur la mondialisation a contribué à mettre la dimension géographique au centre de la discussion sur le changement macro-social. Ceci n’est pas sans danger. Les échelles géographiques sont des constructions sociales qui ne devraient pas être réifiées. Il est vain, par exemple, de vouloir appréhender l’espace social uniquement selon des « axes dimensionnels » : une division verticale par échelle et une division horizontale par région ou par lieu. Les activités humaines se déroulent toujours simultanément à différentes échelles et on ne peut quitter une « échelle » comme on quitte une région ou un lieu. Par conséquent, les « processus de mondialisation », à l’exemple des marchés financiers internationaux, ne sont pas uniquement des transactions virtuelles : ils s’ancrent également dans des lieux où des gens travaillent, produisent, interprètent, organisent, volent et empruntent, à savoir : les centres financiers internationaux. Ainsi, la mondialisation est toujours en même temps locale : le terme « glocalisation » a été inventé en partie pour définir cette réalité. D’un point de vue général, toute sphère d’activité sociale se déploie simultanément à plusieurs échelles, selon des combinaisons plus ou moins complexes. L’objectif général de cet article est de dénouer empiriquement cette complexité en mettant en perspective l’importance relative de l’échelle mondiale et de l’échelle « régionale » dans un ensemble spécifique de processus.
3Les processus envisagés ici d’un point de vue empirique sont constitutifs de la formation d’un réseau de villes mondiales. Un tel processus est particulièrement intéressant à étudier car il se déploie entre le local (les villes mondiales en tant que telles) et le non-local (l’insertion de ces villes dans des réseaux d’échange mondialisés). Je m’attache ici à explorer deux résultantes possibles de la constitution du réseau des villes de taille mondiale : la hiérarchie mondiale et l’ordre régional du monde. Ces résultantes peuvent être définies empiriquement comme des structures de relations interurbaines ; la question qui est posée est : ces structures s’organisent-elles selon des schèmes régionaux multiples ou au regard d’un schème hiérarchique unique ? La plupart des ouvrages sur les mégalopoles de taille mondiale mettent en exergue cette dernière dimension. J’insisterai, pour ma part, sur la dimension régionale du réseau des villes de taille mondiale. Puisque la mondialisation est un moteur de fond dans le champ des pratiques sociales, le processus de formation d’un réseau de villes de taille mondiale est un cas d’espèce particulièrement pertinent pour apprécier si la dimension régionale reste une dimension importante de cette « ère de la mondialisation ». Ainsi, le but spécifique de cet article est d’évaluer dans quelle mesure ce processus de formation d’un réseau de villes de taille mondiale obéit à des dynamiques régionales multiples plutôt qu’à un schème hiérarchique unique.
4À l’inverse de la majorité des études empiriques qui se consacrent à l’étude des dynamiques structurantes à l’échelle de la planète, cet article n’utilise pas de données étatiques officielles. Ces données décrivent un « monde mosaïque » ; je m’intéresse à un « monde en réseau ». Ce passage d’une approche centrée sur l’État à une approche centrée sur la ville implique que j’en passe par un long préambule avant de procéder à l’analyse proprement dite ainsi qu’à la présentation des résultats. Cet article est structuré en sept points qui sont autant d’étapes pour la réflexion. (1) Il est tout d’abord nécessaire de rendre compte des ouvrages qui portent sur les mégalopoles mondiales. Il est fait état du privilège accordé par ces ouvrages à une explication centrée sur une structure hiérarchique unique, tandis que, pour ma part, je m’en tiens et justifie une approche sans a priori des « villes dans la mondialisation ». (2) Les notions de hiérarchie et de réseau sont comparées puis mises en perspective. Je souligne combien ces approches concurrentes des relations interurbaines divergent quant à la définition de leur nature. (3) Un réseau de villes de taille mondiale est défini comme une structure imbriquée fondée sur les stratégies mondiales de sociétés financières et de sociétés de services. (4) Cette définition sous-tend la manière dont sont collectées et produites les données qui, à leur tour, donnent forme et contenu à la matrice analytique destinée à caractériser le réseau. À partir de cette matrice, les connectivités du réseau mondial sont calculées de manière à ce que les villes puissent être classées en fonction de leur importance relative dans le réseau. (5) Un bref rappel de conclusions tirées d’analyses antérieures portant sur les données de la matrice est opéré pour informer la comparaison hiérarchie / dimension régionale ; cette synthèse sert de toile de fond à la nouvelle analyse que je présente dans cet article. (6) Le modèle d’analyse par discriminant multivarié est brièvement décrit puis appliqué à l’évaluation par strates de différents groupes de ville et régions mondiales (catégorisation hiérarchique fondée sur les niveaux de connectivité). (7) La dernière partie de l’étude proprement dite présente les résultats tirés d’une analyse par discriminant qui évalue la cohésion des groupes de villes au sein des différentes régions du monde. Pour finir, ces résultats sont mis en perspective avec les interrogations générales exposées en début d’article.
Les villes dans la mondialisation
5Les recherches consacrées aux villes de taille mondiale sont le fruit d’approches pluridisciplinaires. Les disciplines majeures à cet égard sont la géographie et l’urbanisme (les contributions décisives sont celles de Peter Hall, 1966, et John Friedmann, 1986) ainsi que l’économie politique et la sociologie (les apports les plus remarquables étant ceux de Saskia Sassen, 1991, et Manuel Castells, 1996). Ces travaux pionniers ont suscité une multiplication des travaux de recherche sur les villes – rebaptisées « villes mondiales » ou « mégalopoles mondiales » – lesquelles, du fait de leurs échanges croissants avec d’autres villes comparables, sont dépeintes comme s’émancipant de leur ancrage national.
6Deux idées-forces se dégagent de ces recherches. Tout d’abord, les géographes et les urbanistes ont abordé et décrit les principales évolutions urbaines sur la base d’une vision globale de type hiérarchique. Pendant quasiment deux décennies, « la hiérarchie des villes mondiales » de Friedmann (1986) a particulièrement influencé la manière d’appréhender les relations interurbaines contemporaines (Taylor, 2004). Partant de l’influence croissante des sociétés multinationales – qui ont introduit une « nouvelle division internationale du travail » –, Friedmann souligne qu’une nouvelle structure organisationnelle a émergé au sein des grandes mégalopoles et entre elles : elles sont devenues des « centres de contrôle » de l’économie mondiale. Par conséquent, les villes contemporaines de taille mondiale peuvent être identifiées selon le nombre de sièges de sociétés (notamment financières ou bancaires) qu’elles abritent. Friedmann classe ces villes dans une structure hiérarchique sur la base de leur positionnement dans différents secteurs de l’économie mondiale : on peut identifier, par exemple, des « articulations financières mondiales » (comme Londres et New York), des « ensembles multinationaux » (comme Singapour et Miami), d’« importants ensembles nationaux » (comme Paris et São Paulo) ou des « ensembles infranationaux » (comme Chicago et Munich) (Friedmann, 1995, p. 24). Il faut néanmoins souligner que les sièges des entreprises – et les fonctions afférentes – sont de moins en moins concentrés dans les grandes mégalopoles (cf. Lyons et Salmon, 1995).
Der Kuß (Le baiser, 1924), gravure sur bois de Frans Masereel (1889-1972). akg
Der Kuß (Le baiser, 1924), gravure sur bois de Frans Masereel (1889-1972). akg
7En outre, les économistes et les sociologues ont défini la notion de « ville mondiale » au regard de l’importance de ces mégalopoles dans la diffusion de services à haute valeur ajoutée (Sassen, 1991). Ces services financiers et commerciaux (comme l’assurance et la publicité) prennent de plus en plus une ampleur globale à mesure que les prestataires s’efforcent de répondre aux besoins de clients eux-mêmes mondialisés. Les « sociétés de service mondialisées » qui en résultent sont concentrées dans des grandes mégalopoles fonctionnent de plus en plus comme des « centres de services mondiaux ». Pour Sassen (1991), Londres, New York et Tokyo sont par excellence des « mégalopoles mondiales », tant au regard de leurs dynamiques internes (économiques et sociales) que de leurs échanges extérieurs. Sassen ne prétend pas que ces villes sont les seules mégalopoles mondiales mais elle les place au sommet d’une structure hiérarchique urbaine de dimension mondiale. De ce fait, elle adhère à la vision hiérarchique défendue par Friedmann tout en insistant sur d’autres processus. En outre, il est important de souligner que dans l’utilisation que fait Castells (1996) des travaux de Sassen, les villes mondiales sont définies comme des articulations majeures dans un « réseau mondial » (p. 380).
8À l’instar de Friedmann, notre étude propose une vision globale des villes et, à l’instar de Sassen, met l’accent sur les services à forte valeur ajoutée. L’approche de Castells, fondée davantage sur une dynamique de réseau, réunit, quant à elle, les deux concepts. Bien entendu, ces recherches ont suscité un certain nombre de critiques dont les plus récentes ont été soulevées par Soja (2000, chapitre 7) et par Smith (2001, chapitre 6). Mon étude s’articule autour de trois commentaires critiques. Le premier pose la question de la définition des mégalopoles dites mondiales. Friedmann et Sassen restent relativement vagues à ce sujet ; et même si Castells en fait le reproche à Sassen, il n’y apporte pas pour autant de réponse. Dans une synthèse portant sur 16 publications, 79 villes ont été classées mégalopoles mondiales, villes de taille mondiale ou centres financiers internationaux. Parmi ces villes, seules quatre apparaissent dans toutes les catégories : Londres, New York, Paris et Tokyo (Taylor, 2004, p. 40-41). Le désaccord qui persiste à ce sujet a suscité une seconde critique relative à la question de la preuve. De toute évidence, la plupart des approches définitionnelles sont des approches ad hoc sans que les données prises en compte soient vraiment explicitées. Ceci est en partie la résultante de la pénurie de données et d’informations disponibles sur les relations interurbaines, mais cette pénurie est essentiellement liée à l’absence de définition théorique formelle de ces villes de taille mondiale. Mon étude constitue donc une première tentative pour affiner la connaissance qui est la nôtre des villes de taille mondiale.
9Le point de départ est le suivant : faut-il vraiment s’en tenir à une liste limitative de mégalopoles mondiales ? Certes, cela permet a priori de faciliter le travail de recherche et de rédaction en se basant sur un nombre restreint de villes mais visiblement, il n’existe aucun concept théorique qui permette de définir une limite d’inclusion. De ce fait, je m’interroge sur la pertinence d’une approche limitative de ce que pourrait être une mégalopole mondiale. Abordant par privilège les processus de mondialisation sous l’angle de la diffusion des nouvelles technologies de l’information et de la communication (même s’ils sont variables), les études urbaines se contentent de ce critère pour arguer que les villes classées « en deçà » d’un certain seuil de diffusion sont des mégalopoles « non mondiales ». Marcuse et van Kempen (2000) suggèrent pour leur part que, puisque toutes les villes sont touchées à un degré ou à un autre par les conséquences du processus de mondialisation, il ne devrait pas exister de liste limitative ; en d’autres termes, pour ces auteurs, la dynamique de la mondialisation n’affecte pas seulement les plus grandes villes (voir également Warf et Erickson, 1996). De ce point de vue, Marcuse et van Kempen (2000) ont inventé l’expression « villes en voie de mondialisation » (globalizing cities) pour inclure dans un large ensemble toutes les villes participant à ces processus. Poussant plus avant dans cette direction, j’utiliserai moi-même l’expression « villes dans la mondialisation » (cities in globalization). Ainsi, s’il est juste de dire que la mondialisation affecte les dynamiques urbaines dans et entre toutes les villes, il est tout aussi vrai de dire que toutes les villes participent des processus qui, ensemble, constituent la mondialisation. Short et Kim (1999, p. 9) ont fermement appuyé cette position : « La mondialisation a lieu dans les villes et les villes incarnent et reflètent la mondialisation. Les processus de mondialisation conduisent à des changements dans les villes, lesquelles, à leur tour, recomposent et incarnent la mondialisation. Ainsi, la dynamique urbaine contemporaine est l’expression spatiale de la mondialisation, tandis que les changements urbains refaçonnent et redynamisent la mondialisation. »
Hiérarchie et réseau
10Le concept de « mondialisation dans les villes » ne précise en rien la façon dont les villes sont interconnectées. Nous l’avons dit, les travaux de recherche sur les mégalopoles mondiales ont jusqu’alors favorisé le concept de hiérarchie urbaine. Ce modèle de relations interurbaines a d’abord été développé par l’école de recherche sur la « hiérarchie urbaine nationale » dans les années 1960 et 1970, puis il a été reconfiguré de manière à intégrer la dimension mondiale (voir, par exemple, Camagni, 1993). Avant de promouvoir une approche plus globale autour de l’idée de structure hiérarchique des villes de taille mondiale, Friedmann fut l’un des principaux inspirateurs de cette école dite nationale. Pour sa part, Castells (1996) a remis en cause ces approches de type hiérarchique, renversement de perspective auquel j’adhère ici.
11Selon moi, l’approche dite hiérarchique ne peut avoir d’autre usage qu’hypothétique car jamais ses promoteurs n’ont démontré empiriquement l’existence d’une hiérarchie urbaine opérante à l’échelle mondiale. Les données qu’ils ont rassemblées leur permettent de classer les villes par ordre d’importance, par exemple en fonction de la taille des marchés financiers, mais cela ne démontre aucunement l’existence de rapports de type hiérarchique (Taylor, 1997). Dans le classement par taille, l’approche hiérarchique implique l’existence de rapports de domination de type formellement descendants – du haut vers le bas – permettant aux échelons supérieurs de contrôler la marche des choses aux échelons inférieurs. Cependant, force est de constater que les données empiriques à l’appui de telles spéculations font défaut : il est ainsi difficile d’imaginer dans quelle mesure Londres, par exemple, qui est considérée comme la « première mégalopole mondiale » d’Europe, peut dicter la marche à suivre aux autres villes européennes, comme Paris ou Francfort. Les relations entre les villes, organisées partiellement grâce au cyberespace, sont beaucoup plus complexes que ce qui est suggéré dans le modèle hiérarchique.
12Castells (1996) part d’une approche réticulaire de la société, centrée sur les connectivités, flux et reflux entre les villes. Ce changement de perspective amène à considérer autrement la manière dont les villes sont affectées par le processus de mondialisation. La hiérarchie et le réseau participent de processus diamétralement opposés. La hiérarchie est basée sur la domination et s’articule autour d’une dynamique de concurrence tandis que le réseau puise dans les interconnexions et s’articule autour d’une dynamique de coopération (Powell, 1990). Ainsi, l’approche réticulaire invite les chercheurs à découvrir les synergies et les éléments de proximité entre les mégalopoles de taille mondiale. Sassen puise largement dans cette approche, même si elle se réfère aussi au modèle hiérarchique. Ainsi, traitant des centres financiers internationaux, Sassen (1999) souligne qu’il existe une division des fonctions, donc une complémentarité entre New York, Londres et Tokyo. Pour elle, New York fonctionne telle une technopole pour ce qui est des produits financiers, Londres est la plate-forme mondiale où sont lancés ces produits et Tokyo fournit la matière première (l’argent), opérant comme une sorte de « plantation » pour les deux autres villes. De même, dans une étude comparant Londres et Francfort, Beaverstock et al. (2001) ont démontré qu’il existe non une rivalité mais, au contraire, un rapport de solidarité entre ces deux mégalopoles : Francfort est un pôle d’attractivité pour les activités financières à l’échelle de l’Allemagne et de l’Europe centrale, tandis que Londres est le carrefour des activités bancaires à une échelle plus globale. En d’autres termes, ce qui est bon pour Francfort est dans une certaine mesure bon pour Londres et vice versa. Ainsi, l’étude présentée ci-dessous vise à la spécification du réseau des villes de taille mondiale, considéré comme la forme d’articulation des échanges interurbains entre mégalopoles.
13Il est important de souligner qu’en aucune manière cette approche n’entend occulter les dynamiques hiérarchiques au sein du réseau. À cet égard, Thompson (2003, p. 50-52) a récemment mis en évidence qu’en dépit de la nécessité conceptuelle de distinguer entre différents idéaux-types de dynamiques ou de rapports sociaux, les travaux empiriques font communément apparaître des formes hybrides d’interrelations. De toute évidence, le monde est toujours plus complexe en pratique qu’en théorie.
Les villes comme éléments d’un réseau : définition
14La spécification du réseau des villes de taille mondiale ne consiste pas seulement à identifier les villes intégrées à ce réseau. Selon quels processus les villes en viennent-elles à être connectées les unes aux autres jusqu’à créer un réseau ? Pour répondre à cette question, il est nécessaire de ne pas réifier les villes dans la manière dont on conceptualise leurs rapports. Les villes, en tant que telles, ne sont pas des agents essentiels dans la formation du réseau même si des accords formels peuvent être établis entre autorités locales. Toutefois, ces connexions d’ordre politique sont secondaires au regard des échanges économiques, si prégnants dans les développements qu’a connu la mondialisation. En d’autres termes, les principaux agents de la mondialisation sont les entreprises qui, opérant dans une ville, ont établi des liens à l’extérieur de la ville. Selon Sassen (1991), il s’agit particulièrement des entreprises de production de services avancés qui s’attachent à offrir un service homogène à leurs clients quelle que soit la ville dans laquelle sont installés leurs bureaux. Ainsi, le réseau des villes de taille mondiale, tel qu’il est défini ici, est un réseau de centres ou de pôles de services eux-mêmes articulés autour de l’activité de sociétés de services à dimension internationale.
15Une telle approche définit une certaine forme de réseau, appelé réseau imbriqué (Knoke et Kuklinski, 1982). Contrairement à d’autres réseaux qui ont simplement deux niveaux (nodal et en réseau), cette formation comporte trois niveaux, y compris le niveau subnodal. En outre, dans ce modèle spécifique de réseau, l’organisme public se retrouve, exceptionnellement, au niveau subnodal. Par conséquent, il existe un réseau de villes de taille mondiale qui fonctionne à l’échelle de l’économie mondiale grâce à des villes considérées comme des nœuds ; ces nœuds ont été créés par des sociétés de service qui sont installées dans plusieurs villes (Taylor, 2001). En d’autres termes, la formation du réseau des villes de taille mondiale est le fruit de l’activité de sociétés de service qui, opérant dans plusieurs villes de taille mondiale, ont contribué à « imbriquer » ces villes les unes dans les autres Taylor (2001).
Les données permettant de caractériser le réseau des villes de taille mondiale
16Le principal bénéfice que l’on peut tirer d’une caractérisation précise du réseau des villes de taille mondiale est de mieux ordonnancer la collecte des données : à cet effet, l’on doit créer une matrice établissant la valeur du service. Autrement dit, il faut caractériser les sociétés de service mondiales, délinéer le réseau formé par leurs bureaux à travers le monde, et allouer à chaque implantation une valeur de service. Établi grâce essentiellement aux sites Web des principales sociétés financières et de service, cet exercice de mesure est présenté de façon plus précise dans Taylor et al. (2002a). En voici un bref aperçu.
17L’étude a porté sur des sociétés représentatives des six principaux secteurs de services (comptabilité, publicité, banque/finance, assurance, droit et conseil en management). Un premier classement en fonction de la taille des sociétés a été établi à l’échelle mondiale dans chaque secteur d’activité et après vérification de la qualité des informations disponibles (essentiellement liées à la qualité des sites Web des sociétés). Les sociétés ont été classées au rang de sociétés de service de taille mondiale dès lors qu’elles possédaient des bureaux dans au moins quinze villes, dont au moins une ville d’Amérique du Nord, d’Europe occidentale et d’Asie Pacifique. De telles sociétés ont de toute évidence une stratégie mondiale de prestation de service auprès de leurs clients. Ces sociétés se répartissent de la façon suivante : dix-huit dans la comptabilité, quinze dans la publicité, vingt-trois dans la banque/ finance, onze dans les assurances, seize dans le droit, et dix-sept dans le conseil. Les villes qui accueillent les bureaux de ces entreprises sont au nombre de trois cent quinze. Le choix des villes a été fait de manière très pragmatique, en tablant sur l’expérience acquise dans les recherches précédemment conduites dans ce domaine, de façon à n’omettre aucune ville importante tout en s’en tenant à un nombre qui reste gérable.
18La méthode principale consiste à codifier les bureaux des sociétés dans chaque ville sous forme de valeurs de services. À cet effet, deux types d’informations ont été collectées dans chaque ville pour rendre compte de la présence des entreprises. D’abord, la taille, comme par exemple le nombre d’associés dans un cabinet d’avocats ou le nombre de bureaux affiliés à une agence de publicité. Ensuite, les bureaux dont les activités s’étendent au-delà de la ville ont été identifiés, à l’exemple des centres administratifs (sièges nationaux, sièges régionaux) ou des pôles de spécialisation (comme par exemple le centre de gestion du patrimoine d’une banque). À l’aide de ces informations, la présence de chaque société dans chaque ville a été notée entre zéro (aucune présence) et cinq (siège). Le bureau « type » d’une société a été noté deux. Cette valeur a ensuite été utilisée comme valeur pivot, ce qui signifie qu’on ne pouvait allouer une autre valeur de service à un bureau que pour un motif bien précis lié aux caractéristiques de l’implantation. Pour ce qui est des valeurs supérieures, les villes qui hébergeaient de vastes bureaux ont été notées trois ; les villes dont les activités s’étendent au-delà de la ville ont été notées quatre ; les villes ayant des bureaux très modestes ont été notées seulement un (par exemple un cabinet d’avocat sans associé). Les règles étaient appliquées de façon distincte pour chaque société, au vu de la diversité des sources de données.
19Cet exercice a finalement abouti à une matrice de valeurs de services qui compte cent sociétés multipliées par trois cent quinze villes, représentée sous forme d’un tableau de valeurs s’échelonnant entre 0 et 5. Comment interpréter cette matrice ? C’est très simple : chaque colonne rend compte de la stratégie mondiale d’implantation d’une société dans trois cent quinze villes et indique ses points forts et faibles. De même, chaque ligne présente la combinaison spécifique des services de niveau mondial au sein d’une ville, indiquant ainsi ses forces et ses faiblesses sectorielles. Par exemple, l’on peut s’attendre à ce que Londres et New York connaissent des valeurs de services élevées (5, 4 et 3) dans tous les secteurs de services ; en revanche, si la ville de Luxembourg est susceptible de connaître des valeurs de services élevées dans le secteur de la banque/finance, a contrario, ces valeurs sont certainement faibles, voire souvent nulles, dans les autres secteurs.
Régions et strates : conclusions préliminaires
20Les connectivités du réseau des villes de taille mondiale (Taylor, 2001) ont été mesurées sur la base de cette matrice de valeurs de services, ce qui a permis d’apprécier l’importance relative des villes au sein du réseau. Eu égard à l’extrême dispersion des valeurs, les connectivités sont déterminées proportionnellement à la connectivité de la ville dotée des valeurs les plus élevées (Londres). Le tableau 1 présente les résultats d’un certain nombre de villes sélectionnées. Il faut noter les positions dominantes de Londres et de New York dans le réseau, après quoi le niveau de connectivité décroît brusquement. La distribution des valeurs de connectivité au niveau du réseau des villes de taille mondiale décline d’abord lentement, puis plus rapidement à partir de ce point (Taylor et al., 2002a, Figure 1) : seules dix-sept villes sont dotées d’une valeur de connectivité au moins égale à 50 % de celle de Londres.
21Ces connectivités ont été utilisées pour sélectionner les villes supports des analyses multivariées conduites à partir de la matrice de valeurs. Cette démarche est nécessaire car, comme le montrent les résultats du tableau 1, la matrice est relativement éparse et beaucoup de valeurs de services sont égales à zéro. Les deux principales techniques utilisées jusque-là ont été l’analyse par classification floue (fuzzy set analysis), appliquée à une matrice de valeurs de services répertoriant 234 villes (Derudder et al., 2003), ainsi que l’analyse en composantes principales (Taylor et al., 2002b, 2004), appliquée, quant à elle, à une matrice répertoriant les cent vingt-trois premières villes (toutes celles dont les connectivités correspondent au moins à un cinquième de la valeur de connectivité de Londres). Ces deux techniques visent à mettre en évidence des traits communs à partir de l’analyse des données ; elles ont accouché de résultats similaires, lesquels ont servi de support à de nouvelles analyses, présentées ci-dessous.
Connectivité des villes sélectionnées dans le réseau mondial
Connectivité des villes sélectionnées dans le réseau mondial
22Les principaux éléments tirés des premières analyses indiquent que le réseau des villes mondiales est organisé selon une combinaison de régions et de strates. En réalité, les résultats montrent que la plupart des villes qui proposent des services à l’échelle mondiale sont très similaires aux villes voisines situées dans la même région du monde. Cela signifie que les villes d’une même région se caractérisent par des combinaisons de services similaires les unes aux autres, lesquelles sont différentes de celles des villes d’autres régions. Bien qu’on ne doive affirmer qu’avec une certaine prudence que l’ensemble des firmes sélectionnées pour les besoins de cette étude développent effectivement des stratégies mondiales, il en ressort néanmoins qu’il existe des disparités régionales très marquées dans la manière dont se déploient de telles stratégies. De même que certaines firmes ont tendance à concentrer leurs bureaux dans leur région d’origine, certains secteurs d’activités sont surreprésentés dans certaines aires géographiques. Par exemple, les sociétés du secteur bancaire/financier sont surreprésentées en Asie Pacifique ; les cabinets d’avocats se concentrent davantage dans les principales arènes de la mondialisation (Amérique du Nord, Europe occidentale et Asie Pacifique) ; les sociétés de conseil restent principalement implantées aux États-Unis, tandis que les experts-comptables et les agences de publicité se répartissent à peu près équitablement entre les différentes aires géographiques. Ces particularités géographiques tiennent à la nature du service offert, à la taille des sociétés selon les secteurs, et à la période où tel ou tel secteur a connu sa période d’expansion initiale (Taylor et al., 2004). Elles rendent compte de la dimension régionale du réseau des villes mondiales, au sein duquel les villes américaines et d’Asie Pacifique forment des groupes particulièrement cohérents. Il faut noter, néanmoins, l’existence d’un groupe particulièrement atypique, qui ne correspond à aucune région en particulier, à savoir les villes de l’ancien Commonwealth (à l’exception de la Grande-Bretagne), en particulier en Australie, au Canada et en Nouvelle Zélande, qui forment un groupe particulier. Ce témoignage d’une époque antérieure montre que la mondialisation de certaines entreprises britanniques, surtout dans les domaines de la comptabilité et de l’assurance, s’est construite sur la base de liens historiques à l’échelle mondiale.
23Une étude serrée de ces groupes de villes au niveau régional fait apparaître un point essentiel : les villes leaders au sein d’une région donnée pour ce qui a trait aux échanges interrégionaux ne jouent pas forcément un rôle prééminent pour ce qui a trait aux échanges intra-régionaux. On remarque ainsi que ce sont des villes généralement faiblement connectées avec le réseau mondial qui sont le plus actives au sein de chaque espace régional pris isolément. Aussi, Londres apparaît-elle comme une ville relativement « non-européenne », New York se distingue des autres villes américaines, Hong Kong n’est pas représentative des autres villes d’Asie Pacifique, et ainsi de suite. Des analyses antérieures font état d’autres groupements de villes où prédominent les villes les mieux connectées au réseau mondial : les groupes de villes trans-régionaux. Ici, les villes sont stratifiées en fonction des combinaisons de services qu’elles offrent à l’échelle mondiale : de ce point de vue, New York, par exemple, ressemblerait davantage à Londres qu’à Boston, Francfort serait plus proche de Tokyo que de Stuttgart, et Paris ressemblerait davantage à Milan qu’à Lyon. En d’autres termes, ces analyses font état d’un système de stratification du réseau des villes mondiales qui participe davantage d’une approche hiérarchique de ce réseau que d’une approche régionale.
24Bien qu’offrant de précieuses informations générales, ces études ne répondent pas aux deux questions suivantes. Tout d’abord, quelle est l’importance des régions et autres strates dans la structuration du réseau des villes mondiales ? Ensuite, dans quelle mesure les divers groupes de villes régionaux (et autres) différent-ils les uns des autres ou, à l’inverse, sont-ils similaires ? Pour répondre à ces questions, il est nécessaire de faire appel à un autre modèle d’analyse multivariée.
Analyses discriminantes comparatives : régions contre strates
25L’analyse discriminante est une technique qui permet de corréler une variable nominale (non-métrique) et des variables numériques (métriques). Ainsi, dans le cas d’une variable nominale (laquelle réfère à des groupes ou classes d’objets), cette technique permet d’apprécier la composition des groupes et la distribution des objets. En tant que technique statistique, cette méthode permet d’étudier les écarts entre groupes (variable dépendante) au regard de plusieurs variables indépendantes (Klecka, 1980).
26Les résultats varient en fonction du nombre de catégories. Mon analyse s’articule autour du regroupement des 62 villes les mieux connectées en sept strates et en sept régions. Ce nombre a été fixé au regard des analyses antérieures, lesquelles s’accordent pour mettre en exergue sept grandes régions dans le monde. Celles-ci sont significatives de la géographie du processus de mondialisation économique, qui a pour origine première la région de l’Atlantique Nord, puis qui s’est consolidé dans les pays de la zone Pacifique. Les régions retenues sont les États-Unis, l’Europe occidentale, l’Asie Pacifique, l’Amérique Latine, l’Europe de l’Est et l’Afro-Asie, ainsi que le « vieux » Commonwealth (Canada, Australie, Nouvelle-Zélande, Afrique du Sud) comme région résiduelle. S’agissant de la distribution analogue des villes classées non plus par régions mais par strates, il a de nouveau été fait appel à un type de classement par degré de connectivité des villes au réseau mondial. Ce classement laisse apparaître six divisions qui sont autant de points de rupture dans la distribution (voir cette distribution en annexe). Dans cette comparaison strates/ régions, les résultats sont inversés : la région semble être de loin le groupe le plus important pour refléter les stratégies mondiales de localisation des sociétés. L’analyse par strates fait apparaître une seule racine caractéristique importante (3,929, avec une corrélation canonique de 0,893) qui explique 44 % de la variance, tandis que l’analyse par régions fait apparaître 4 racines caractéristiques importantes (la première est égale à 7,091 avec une corrélation canonique de 0,936) qui expliquent 98,8 % de la variance. Le résultat en est que les regroupements par strates participent d’une classification correcte des villes dans seulement 38,7 % des cas contre 85,5 % s’agissant des regroupements par régions. Les classifications erronées apparaissent dans le tableau 2. Parmi les neuf classifications erronées dans le cas des regroupements par régions, les cas les plus significatifs sont le renvoi de Miami au groupe latino-américain (cette ville héberge effectivement beaucoup d’antennes régionales latino-américaines) et de Buenos Aires au groupe du Commonwealth (Buenos Aires était la principale ville de l’ancien « empire informel » de la Grande-Bretagne). Par ailleurs, certaines villes d’Europe occidentale situées en périphérie sont affectées au groupe d’Europe de l’Est, et deux autres villes du sud des États-Unis sont, quant à elles, renvoyées au groupe du Commonwealth. On observe, en revanche, trente-huit classifications erronées dans le cas des regroupements par strates et ce nombre – plus de la moitié des villes observées – se passe d’une analyse détaillée et signifie d’évidence, à ce niveau de catégorisation, que les strates ne reflètent pas la manière dont la plupart des sociétés définissent leurs stratégies mondiales d’implantation.
Classification erronées dans les analyses en 7 groupes
Classification erronées dans les analyses en 7 groupes
27Le premier enseignement que l’on peut tirer de l’application d’une telle méthodologie est qu’il apparaît nécessaire d’affiner et de nuancer les analyses antérieures qui ont défini les strates et les régions comme étant les structures fondamentales du réseau des villes mondiales : si les strates jouent un rôle important dans la structuration du réseau, les régions comptent largement plus.
Analyse discriminante par région
28L’analyse discriminante permet également de mesurer la cohérence des régions en tant que groupes de villes. Dans cette section, il s’agira de considérer chacune des sept régions précédemment étudiées, non comme un ensemble de regroupements combinatoires mais comme des entités séparées. On aboutit à sept nouvelles analyses dichotomiques où chaque région s’oppose au reste du monde.
29Les résultats de cette analyse par régions sont présentés dans le tableau 3. L’Amérique latine se distingue des autres régions : ne comportant aucune classification erronée, elle est également dotée de la racine caractéristique et de la corrélation canonique les plus élevées. Deux autres régions ne comportent aucune classification erronée : les États-Unis et les villes du Commonwealth mais elles sont dotées de racines caractéristiques inférieures à celles de l’Europe occidentale et de la région Asie Pacifique, qui apparaissent comme les régions les plus cohérentes après l’Amérique latine. Les erreurs de classification dans ces deux analyses sont intéressantes et somme toute plausibles : Athènes quitte l’Europe occidentale mais Prague la rejoint ; Manille, la ville la plus singulière d’Asie Pacifique, ne fait plus partie de cette région. L’Europe de l’Est est la sixième région la moins cohérente mais possède encore une racine caractéristique et une corrélation canonique relativement élevées. Cette région compte un parfait « partant » (Istanbul) et un parfait « arrivant » (Athènes). Ces deux villes posaient problème dans le classement initial : Athènes était placée en Europe occidentale en raison de l’appartenance de la Grèce à l’ue tandis qu’Istanbul est placée en Europe mais fait partie d’un État largement asiatique. C’est cependant le dernier groupe, l’Afro-Asie, qui témoigne de la plus faible cohérence régionale avec une racine caractéristique très basse et une faible corrélation canonique. Les dix-sept classifications erronées concernent des villes situées dans la région afro-asiatique. Les quatre villes précédemment classées de manière erronée réapparaissent dans cette liste et se distinguent clairement de leurs régions respectives. Cette liste n’obéit à aucune configuration nette même si les villes qui la composent ont quelque similitude avec les villes situées dans les régions du monde les plus périphériques. Il ne s’agit pourtant pas d’une nouvelle « région du tiers monde », aucune ville latino-américaine n’étant indexée dans cette liste à la différence de certaines villes d’Europe occidentale. Cependant, on retrouve ici à la fois un « effet de strate », dans la mesure où cette liste ne contient pas de métropole mondiale majeure (Bruxelles, en dix-septième position, est la ville la mieux classée), et un « effet de périphérie », dans la mesure où cette liste ne comporte aucune ville américaine.
Analyses par régions
Analyses par régions
30Cette approche suggère un second constat qui est celui de la relative singularité des diverses régions. À la différence des analyses antérieures (qui avaient tendance à mettre en exergue les États-Unis et l’Asie Pacifique), c’est le groupe des villes latino-américaines qui apparaît ici comme le plus cohérent. Peut-être est-ce dû à une dynamique d’entrée dans le processus de mondialisation qui participe à la fois de la diffusion précoce de services vers l’extérieur et de l’émergence actuelle de nouveaux marchés. Sans surprise, en revanche, les villes afro-asiatiques sont les moins cohérentes et, conformément aux analyses antérieures, apparaissent être les maillons d’un réseau lâche de villes peu connectées entre elles et avec les autres.
Conclusion : la dimension régionale dans la mondialisation
31La formation du réseau des villes mondiales comprend à la fois une dimension régionale et une dimension hiérarchique. Cette réalité a des implications à deux niveaux : sur les mégalopoles mondiales elles-mêmes tout d’abord, et plus généralement sur le processus de mondialisation.
32L’accent étant traditionnellement mis sur la « dimension hiérarchique » dans l’approche conceptuelle des relations interurbaines, la dimension régionale a été souvent ignorée dans les études portant sur les mégalopoles mondiales. Des notions telles que celle de « hiérarchie mondiale » ont tendance à aplanir l’espace des relations interurbaines dans le monde pour en faire un espace unidimensionnel dans lequel chaque ville est située dans une structure hiérarchique dominée par Londres et New York. Cela revient à transposer au niveau urbain la rivalité caractéristique des relations internationales selon le paradigme « réaliste », en substituant aux relations entre États les relations entre villes. Dans un tel cadre, le monde reste une fabrique de vainqueurs et de perdants ; simplement, les villes promeuvent un autre type de compétition. Le modèle alternatif de type réticulaire qui a été présenté dans cette étude considère les relations entre les villes à la fois comme un espace de collaboration et de compétition, alliant ainsi la dimension régionale et la dimension hiérarchique. Par conséquent, le premier enseignement de cet article est la nécessité pour les chercheurs de contrebalancer l’approche hiérarchique traditionnelle par une plus grande attention portée à la dimension régionale du réseau des villes mondiales.
33Dans la mesure où le réseau des villes mondiales a été défini par cette étude en fonction des activités des sociétés de service mondiales, ses conclusions sont particulièrement pertinentes pour appréhender la façon dont la mondialisation devrait être plus généralement perçue. Si les recherches afférentes à l’espace de diffusion et de commercialisation des services à l’échelle mondiale dépeignent cet espace comme distinct et particulièrement hétérogène, il en découle que les enseignements qui résultent de ces recherches ne peuvent être appliqués à d’autres sphères d’activités. Mais j’irai plus loin encore pour caractériser le second enseignement de cet article : il ne s’agit pas de dire que les dynamiques variées à l’œuvre dans la mondialisation contemporaine sont, d’une certaine manière, trop faibles pour englober l’ensemble des pratiques sociales dans le monde, mais plutôt que le processus de mondialisation se déroule simultanément à plusieurs échelles. Par conséquent, quelle que soit la puissance des forces de la mondialisation, elles contribueront toujours à créer et à reproduire une échelle d’activités qui ne saurait être simplement mondiale.
34Traduit de l’anglais
Groupes de villes analysées1
Groupes de villes analysées1
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