Notes
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[1]
Il s’agit du réseau « Semmering », qui a réalisé un projet de recherche intitulé « Émergence de l’Espace européen de la recherche : politiques scientifiques pour une Europe élargie » avec le concours financier de l’Union européenne dans le cadre du 5e Programme cadre (contrat n° hpse-ct-2001-60026). Je remercie le coordonnateur du projet, l’International Centre for Comparative Research à Vienne, Autriche, de m’avoir autorisé à utiliser des textes initialement présentés lors du Forum Semmering annuel sur la science et la technologie (les articles dans ce numéro de Cappellin et de Pereira). Cet éditorial reprend également des considérations sur le savoir en réseaux du savoir qui avaient été d’abord élaborées dans le cadre du réseau Semmering.
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[2]
Si, par exemple, Y = k C? L(1-?), où Y (la production totale), C (le capital) et L (le travail) sont connus selon des méthodes convenues, alors k (la « productivité ») est connue par définition, mais cela ne signifie pas qu’il y ait la moindre base autre qu’axiomatique pour en prévoir ou en expliquer les changements intertemporels. Cela se rapporte à l’argument important et bien connu de Jon Elster selon lequel l’explication du changement technique représente la lacune la plus significative de l’économie marxiste orthodoxe, partagée d’ailleurs avec ses « adversaires » néo-classiques (Elster, 1983, 1985).
1Les politiques de recherche actuelles souscrivent très largement à l’objectif de promotion de l’« excellence ». À un certain niveau, rien de plus banal. Qui, après tout, proposerait que l’on encourage la médiocrité ou que celle-ci, jugée fréquente, soit néanmoins tolérée. Si une chose mérite d’être faite, dit-on, elle mérite d’être bien faite ; à ce bon sens s’ajoute ici le souci très compréhensible du bon usage de financements publics limités. Pourtant, les choses ne sont pas tout à fait si simples. Ce qui en témoigne le mieux, d’ailleurs, est le caractère plutôt récent du discours de l’excellence dans le cadre universitaire, qui l’envisage encore, de fait, comme transfuge étrange du jargon du management. En réalité, l’« excellence » a deux séries de connotations, dont chacune pose aux sciences sociales des problèmes significatifs. Tout d’abord, le discours de l’excellence présuppose des critères et des procédures d’évaluation. Si les choses ne peuvent pas être au moins classées sur une échelle qualitative, il n’y a guère de sens à essayer de distinguer ce qui est excellent de ce qui est mauvais, passable ou simplement bon. D’où, immédiatement, des difficultés de fond : le numéro 177 de la Revue internationale des sciences sociales a proposé quelques indications sur le fait que l’évaluation de la qualité des recherches en sciences sociales ne peut se fonder ni sur des principes manifestes a priori ni sur un consensus institutionnel fort. De surcroît, au niveau le plus général, il n’est pas évident de savoir ce qui devrait être évalué. Résultats de recherche, chercheurs individuels, équipes de recherche, institutions, disciplines, programmes, voire des pays ou des continents tout entiers – tout cela peut s’évaluer, mais rien ne garantit que les différents niveaux s’emboîtent sans jeu et sans frottement. En outre, à supposer même que ces difficultés se résolvent, une autre surgit aussitôt. Est-il possible en principe – peu importe qu’en pratique ce ne soit guère concevable – pour tous les objets de l’évaluation d’être simultanément excellents ? L’excellence est-elle un attribut « positionnel », c’est-à-dire par essence relatif, ou correspond-elle à un point sur une échelle absolue ? Dans ses usages pratiques actuels d’évaluation de la recherche, l’excellence s’interprète le plus souvent comme positionnelle et sert à promouvoir un modèle spécifique, concurrentiel, de l’organisation de la recherche. Or, on peut s’interroger sur la cohérence de ce modèle dans ses propres termes, sur le statut normatif des termes eux-mêmes, et enfin sur la relation de l’excellence à un tel modèle : en est-elle nécessairement complice, ou leur association est-elle plutôt contingente ?
2Dans un éditorial précédent (numéro 177, septembre 2003), la Revue internationale des sciences sociales s’est élevée contre toute idée d’une incompatibilité entre la nature spécifique des sciences sociales et l’application à celles-ci des critères scientifiques de qualité. Au contraire, il s’agissait de défendre l’idée que de tels critères sont compatibles avec – voire, peut-être, requis par – le souci légitime de la pertinence sociale. Le numéro 179 (mars 2004) a élaboré quelque peu les implications, dans ce contexte, de la notion de « pertinence ». Le second dossier de ce numéro prolonge cette réflexion dans la même direction. À première vue, il y a une grande hétérogénéité entre les questions posées dans ces articles. Qu’est-ce qu’être pauvre ? Quelles conditions matérielles constituent-elles la pauvreté ? Comment saurait-on empiriquement si tel individu ou tel groupe est pauvre ? Quelles obligations, à supposer qu’il y en ait, incombent-elles aux « non-pauvres » du fait de l’existence de la pauvreté ? Enfin, quelles politiques anti-pauvreté ont-elles le plus de chances d’être efficaces dans la réduction effective de la pauvreté ? Tout cela est terriblement emmêlé, et il est assez naturel de vouloir « mettre de l’ordre », peut-être en cloisonnant, selon une logique généralement admise, les enjeux de la définition, de l’explication et de la réduction de la pauvreté. Or, pour des raisons épistémologiques générales, il importe de résister à une telle tentation. Il y a en effet une relation nécessaire, du point de vue d’une science du social – et non simplement une relation politique, éthique ou philosophique contingente –, entre définition, explication et réduction. Cela ne signifie pas, bien entendu, que l’on ne saurait s’engager analytiquement dans la recherche sur la pauvreté sans souscrire normativement à l’exigence que celle-ci soit éradiquée. Au contraire, on peut tout à fait mettre une compréhension affinée de la pauvreté au service d’une curiosité impartiale nourrie de détachement olympien, voire au service d’un inégalitarisme assumé et cyniquement habile. Peut-être, d’ailleurs, cette deuxième option est-elle plus vraisemblable. Ce qui est vrai, en revanche, c’est qu’on ne peut donner une analyse pleinement adéquate de la pauvreté comme aspect des sociétés humaines sans qu’y soit nécessairement incluse, fût-ce en germe, une analyse de la reproduction de la pauvreté et donc aussi, par ce fait même, des conditions hypothétiques dans lesquelles elle pourrait ne pas se reproduire. Même l’argument extrême selon lequel la pauvreté constitue une donnée « naturelle » irréductible a des conséquences politiques et des implications éthiques fortes et spécifiques. Dans cette perspective, les articles rassemblés dans le dossier, qui sont issus d’un important projet en cours de l’unesco, s’interrogent sur les implications d’une prise en compte sérieuse du discours normatif établi au niveau international selon lequel la pauvreté – dont, plus particulièrement, l’extrême pauvreté – serait une violation des droits humains. Il se trouve que les implications en ont une vaste portée, et font signe vers une reconceptualisation fondamentale de la pauvreté qui touche à la définition comme à l’explication et aux politiques correctives.
3Pour les besoins de la présente réflexion, les questions de pertinence ne sont pas directement en jeu. Ce qui compte, c’est que l’évaluation y apparaît comme une composante essentielle plutôt que comme un supplément. D’une manière très générale, les bonnes intentions ne préjugent pas du succès. Dans le cas d’espèce, l’adhésion à un programme de recherche novateur sur la pauvreté ne donne aucune garantie que la mise en œuvre en soit compétente, sensible à la dimension humaine irréductible de l’objet – ou tout simplement utile. En fait, une science sociale « politiquement correcte » et dépourvue de rigueur risque au mieux de ne servir à rien et au pire de nuire aux valeurs mêmes auxquelles elle proclame la nécessité de souscrire. Mais qu’est-ce qui compte ici comme une bonne recherche, un bon chercheur, une bonne institution, ou d’ailleurs une bonne politique ? Sans prise en compte de ces questions préalables, et controversées, l’engagement conjoint de qualité et de pertinence risque de rester au stade des vœux pieux.
4Les quatre articles du dossier sur l’excellence n’offrent que quelques indications préliminaires sur un programme de recherche qui pourrait croiser l’analyse des interprétations de l’excellence (et donc aussi des différences entre les conceptions concurrentes qu’on peut en avoir) ; comment l’excellence s’inscrit dans des procédures et des processus d’évaluation, formels ou informels ; et enfin les effets sur les pratiques de recherche et sur l’impact de la recherche sur son environnement social des modalités pratiques de l’excellence et des croyances à son sujet. Différentes contributions à ce programme sont actuellement en cours de développement. D’ailleurs, la Revue internationale des sciences sociales collabore spécifiquement avec un réseau de recherche interdisciplinaire [1], dont proviennent les articles de Cappellin et de Santos Pereira dans ce numéro. Les résultats en seront exploités de manière plus systématique dans un futur numéro.
5À ce stade préliminaire, aucune conclusion d’ensemble n’est envisageable, mais on peut néanmoins proposer quelques indications utiles. Pour les besoins de cette réflexion, il est particulièrement important de noter que, si la mécanique pratique de l’évaluation concerne principalement – et pour de très bonnes raisons – les chercheurs individuels et les produits spécifiques (articles, livres, etc.), les questions de l’excellence doivent avant tout se penser en termes institutionnels. Les chercheurs, leurs articles, livres, projets, colloques, dépendent de multiples manières du cadre institutionnel où ils prennent place. Bien entendu, les institutions de rattachement des chercheurs – universités, centres de recherche indépendants, conseils nationaux de recherche… – sont d’une importance décisive à cet égard. Ce sont elles qui fournissent – ou non – les bibliothèques, les postes de travail, les technologies de l’information, les crédits de mission, et ainsi de suite, sans lesquels la capacité de recherche pourrait se réduire à la somme des cerveaux individuels. Toutefois, par leur nature, ces institutions ne sont pas dotées d’une capacité de survie autonome ; de surcroît, leur position relative au sein de la dynamique de recherche dans son ensemble est actuellement remise en question. Il n’est guère besoin d’insister sur le fait, plutôt évident, que les institutions qui emploient les chercheurs n’ont pas de capacité de survie autonome. Au minimum, elles existent en symbiose avec les disciplines qui reflètent la tradition intellectuelle et encadrent l’apprentissage intellectuel, ainsi qu’avec la communauté scientifique au sens large et les sociétés dont elles font partie. En revanche, si les études spécialisées insistent couramment sur l’évolution, voire la réduction, du rôle de ces institutions, le fait est peut-être moins bien apprécié du public plus large. Une question essentielle – c’est précisément celle qui est traitée dans la suite de cet éditorial – est celle de l’éventuel dépassement des institutions traditionnelles par des réseaux plus flexibles. À supposer qu’une telle évolution soit effectivement en cours, il faudrait également se demander si elle a des conséquences pour le genre de recherche qui se réalise. Une autre question en découle directement : la recherche en réseau est-elle plus ou moins performante que d’autres modes d’organisation ? À moins, bien entendu, que les structures et les dynamiques en réseau exigent la mise en œuvre de notions d’excellence entièrement neuves.
6Si les réseaux sont actuellement mis en avant dans nombre de disciplines des sciences sociales, dont l’analyse des systèmes de recherche et d’innovation, c’est pour de bonnes raisons. En outre, il y a de bonnes raisons d’accorder aux réseaux une attention normativement favorable. C’est pourquoi, avant de proposer quelques réflexions détaillées sur certaines difficultés, notamment à la lumière de l’expérience de tentatives visant à promouvoir et à utiliser les réseaux, il convient de résumer les arguments positifs.
7Tout d’abord, l’idée du « réseau », qui relie des nœuds nombreux par l’intermédiaire de chemins encore plus nombreux, offre une métaphore puissante pour un modèle de recherche qui tient compte de deux principes banals : d’une part que la production du savoir est, à un degré très significatif, un processus aléatoire génériquement markovien (au sens assez strict où la dépendance de trajectoire ne joue qu’à une courte échelle et ne permet aucune prévision des résultats quelle que soit la précision avec laquelle les intrants sont modélisés) ; d’autre part que le fond du processus de recherche ne peut être enfermé dans une structure hiérarchique de commandement. Certes, les chercheurs peuvent recevoir des ordres de leurs supérieurs – ces derniers fussent-ils sans compétence universitaire – et leur activité quotidienne peut être étroitement surveillée. Toutefois, si une telle surveillance peut être efficace à certains égards (par exemple en assurant la conformité idéologique ou la protection de la confidentialité), il n’y aucune raison forte de penser que des résultats de recherche puissent être obtenus, ou même significativement promus, de cette manière. Bien au contraire, il existe de nombreuses preuves familières à l’appui de la thèse inverse.
8En d’autres termes, ce dont le réseau offre un modèle, c’est d’un processus d’innovation dans lequel la localisation exacte, le moment et la teneur des découvertes sont, par essence, imprévisibles, mais dans lequel, néanmoins, la probabilité de celles-ci croît avec la densité et la qualité des connexions en réseau. Si ce modèle est valable, au moins en termes généraux, alors un cadre institutionnel hiérarchique sera vraisemblablement moins performant dans la promotion de l’innovation sociétale. (On notera qu’un tel cadre ne correspond pas vraiment au modèle universitaire traditionnel, que ce soit sous sa forme antique, médiévale ou xixe siècle. En revanche, on pourrait considérer qu’il est devenu empiriquement dominant au cours du xxe siècle, à la faveur d’un processus général de nationalisation et de contrôle étatique accru.) De surcroît, on peut s’attendre à ce qu’une société en réseau diffuse plus efficacement les innovations, puisque les barrières institutionnelles n’y exigent pas d’être franchies. De fait, ces idées sont fortement étayées sur le plan théorique par l’économie de l’innovation, qui apporte également beaucoup d’éléments empiriques. À un niveau générique, un tel modèle correspond en fait à ce que l’on désigne désormais comme « mode 2 » de la recherche (Gibbons et al., 1994). Ajoutons que l’idée d’une « société en réseau », dont la recherche en réseau serait une dimension possible, paraît correspondre à un ensemble de tendances observables auxquelles on attribue souvent une portée normative. C’est sans doute chez Castells (1996, 1997, 1998) que l’on trouve la formulation et l’évaluation critique les plus systématiques de ce point de vue. Ainsi, on dira fréquemment que les réseaux ne sont pas simplement plus productifs, pour les raisons qui viennent d’être esquissés, mais également moins hiérarchiques et plus flexibles, et donc plus compatibles avec les conditions sociales de la société du savoir, notamment en ce qui concerne l’emploi de personnels hautement qualifiés. Or, empiriquement, on a des raisons de penser que les réseaux de recherche fonctionnent.
9S’il y a ainsi de bonnes raisons d’encourager les réseaux, des difficultés n’en émergent pas moins : c’est en se référant à des programmes de recherche internationaux et interdisciplinaires qui dépendent fortement, pour leur mise en œuvre, de réseaux de recherche qu’on le voit le mieux. On constate l’insatisfaction des instances de programmation quant aux performances de la recherche en réseau en termes de pertinence des résultats, d’où le souci que, au lieu d’apporter une valeur ajoutée (« additionalité ») par rapport aux procédures nationales de financement existantes (qui peuvent elles-mêmes s’appuyer ou non sur des réseaux), les programmes internationaux compensent simplement des financements insuffisants d’autres sources et promeuvent ainsi la recherche que veulent les chercheurs plutôt que celle à laquelle aspirent les bailleurs de fonds. Il s’agirait d’être incitatif, afin que les chercheurs fassent des choses qu’autrement ils ne feraient pas, et de produire ainsi des informations et des théories pertinentes pour l’action publique en inscrivant les préoccupations de celle-ci – une fois correctement reconfigurées comme défis empiriques ou conceptuels – dans des paradigmes programmatiques prescriptifs et dans les procédures d’évaluation et de diffusion qui doivent assurer la relation entre les recherches réalisées et les objectifs sous-jacents. Pourtant, l’évaluation des politiques publiques, toute insuffisante qu’elle est, suggère que la programmation par priorités a moins d’influence qu’elle ne le voudrait sur les pratiques de recherche.
10Une interprétation possible de cette difficulté serait que les chercheurs ont besoin d’être plus proches des politiques, d’avoir une meilleure conscience de leurs préoccupations et de s’engager plus directement à répondre à leurs priorités. À l’inverse, une crainte largement partagée à propos des programmes de recherche contemporains est précisément qu’ils s’appuient sur une telle exigence ou supposition et risquent ainsi de nuire à toute capacité de recherche véritablement critique. En fait, aussi bien cette interprétation que cette crainte semblent trompeuses au vu des caractéristiques observables des programmes de recherche. De bonnes raisons de principe existent de penser que l’instrumentalisation de la recherche en détruit une bonne partie de la valeur pour l’usager, qui peut en être ou non le bailleur de fonds. Qui plus est, les usagers comme les bailleurs de fonds en sont fort conscients. Certes, ils ne veulent en aucun cas être engagés à tenir compte de recherches qui entrent en conflit avec leurs préconceptions, leurs préjugés ou leur ordre de jour idéologique. Mais il ne veulent pas davantage, et ce pour des raisons purement rationnelles, consacrer des ressources significatives à la production de travaux complaisants qui se contentent d’habiller de jargon universitaire ces préconceptions, ces préjugés, cette idéologie. Sans doute cet habillage a-t-il une fonction politique importante, et peut être une technique de légitimation puissante dès lors qu’il émane d’universitaires à forte crédibilité ; cependant, le financement de grands programmes de recherche est une manière très inefficace de le solliciter. Tout projet politique a besoin de ses « intellectuels organiques », mais on les mobilise en général soit gracieusement, au titre de leur propre engagement idéologique, soit au prix de l’expertise de politique publique, qui peut prendre appui sur la recherche mais n’est pas en elle-même une activité de recherche. En outre, de manière plus empirique, il suffit de regarder les priorités qu’expriment les programmes de recherche et les modalités de leur application pour noter d’une part leur nature large et flexible, et d’autre part leur mise en œuvre par des instances d’évaluation qui comptent principalement sur les critères académiques de qualité, la pertinence ne jouant qu’un rôle secondaire.
11En d’autres termes, il s’agit moins, dans la programmation par priorités, d’instrumentaliser la recherche que d’essayer d’encourager une vraie recherche, selon les critères académiques usuels, dans des domaines qui, pour différentes raisons, sont jugés à la fois négligés et importants. Les causes supposées des friches intellectuelles constituent souvent une composante aussi importante du processus de programmation que l’importance ou la pertinence pour l’action publique. Il est banal de noter que ces causes tiennent souvent à des barrières institutionnelles qui exigent d’être dépassées. C’est notamment le cas s’agissant d’objets ou de thèmes qui ne trouvent pas leur place dans les cadres disciplinaires historiquement constitués ; certains, parmi ces objets ou thèmes, coïncident avec d’importantes préoccupations politiques actuelles (par exemple, l’épidémiologie des pathologies à codétermination sociale, dont le sida et différents types de toxicomanie, nombre d’aspects de l’analyse environnementale, ou encore les dynamiques sociétales des technologies de l’information…). Ces barrières s’interprètent généralement en termes à la fois disciplinaires et nationaux, à quoi, dans bien des domaines, il convient d’ajouter une dimension sectorielle : le souci d’une interaction insuffisante entre les mondes de la recherche et de l’entreprise. Il en résulte que ce type de programmation est en général formulé en termes interdisciplinaires et internationaux. Le « réseautage » trouve assez naturellement sa place dans un tel schéma. Le calendrier et les ressources requises par l’institutionnalisation (internationale et interdisciplinaire, qui plus est) sont généralement sans commune mesure avec le cycle de programmation – quoique de nombreuses exceptions intéressantes méritent discussion à cet égard. En outre, les relations horizontales entre individus et entre institutions de niveau bas ou intermédiaire (tels des équipes de recherche, des centres, des laboratoires, des départements…) peuvent permettre de franchir des barrières existantes de manière efficace et flexible sans qu’il soit nécessaire de démanteler celles-ci.
12Si tout cela est aussi plausible, comment se fait-il que les bailleurs de fonds nationaux et internationaux sont, dans l’ensemble, si peu satisfaits des résultats tangibles de la recherche en réseau ? On peut noter trois facteurs de grande importance à cet égard. Tout d’abord, il est très difficile de concevoir des procédures pour assurer la qualité des résultats au niveau des projets sans imposer à l’instance de programmation une surcharge ingérable. Il ne s’agit évidemment pas de dire que la recherche produite, par exemple, dans les Programmes-cadres européens soit en totalité, ou même pour l’essentiel, de mauvaise qualité. En revanche, la qualité des produits dépend presque exclusivement des qualités intellectuelles et gestionnaires des chercheurs eux-mêmes. Sans doute l’évaluation ex ante peut-elle donner à cet égard des indications pertinentes, de même que les règles administratives imposent certaines contraintes. Il n’en reste pas moins que, du point de vue du bailleur de fonds, les résultats de recherche sont, pour l’essentiel, aléatoires. Une conclusion possible, qui mériterait d’être considérée de manière plus détaillée, serait qu’il est trompeur d’envisager le « projet » comme unité appropriée pour la planification, le financement et l’évaluation.
13Ensuite, même dans une perspective exclusivement ex ante et centrée sur les projets, l’évaluation pose des problèmes structurels sévères. Ceux-ci résultent de l’interaction extrêmement complexe entre quatre jeux de critères qui mettent l’accent sur des desiderata très différents des projets de recherche : la qualité du travail préalable tel qu’exprimé dans une proposition ; la vraisemblance d’une réalisation adéquate des travaux ; la vraisemblance de la qualité des résultats ; et enfin l’utilité escomptée de ceux-ci. Certes, aucun obstacle technique ne s’oppose à l’élaboration d’indicateurs qui pondèrent ces critères afin de rendre les projets comparables pour les besoins de l’évaluation. Ce qui est beaucoup moins sûr, du point de vue d’un bailleur de fonds, est que les arbitrages implicites dans toute solution technique aient un vrai sens au regard des objectifs d’un programme thématique. En fait, tout le problème est qu’une solution pleinement satisfaisante exige une connaissance précise des corrélations entre critères ; or, ces corrélations sont justement ce qu’il faut négliger en pratique pour être en mesure de construire un indicateur composé utilisable. De surcroît, de façon plus banale, les programmes à grande échelle se heurtent à des problèmes sérieux, et fort bien connus, de capacité d’évaluation. Dans le cas limite – dont on peut facilement trouver des exemples au niveau national –, l’évaluation impartiale est littéralement impossible parce que toute personne suffisamment qualifiée pour être évaluateur est quelqu’un dont la contribution au programme comme chercheur est indispensable.
14Le troisième problème est à bien des égards le plus important : il recoupe dans une large mesure les préoccupations des numéros 177 et 179 de la Revue internationale des sciences sociales. D’ailleurs, comme nous le verrons ci-après, ce problème a une portée théorique qui dépasse l’observation critique des programmes de recherche existants. Même si l’on suppose des recherches de qualité, selon des critères universitaires généralement admis (et compte tenu de la pertinence), il reste un fossé infranchissable entre deux ensembles d’objectifs qui sont, séparément, inhérents à tout exercice de programmation de la recherche. La recherche ne peut être utile que si elle est de la vraie recherche, ce qui veut dire que son utilité suppose sa traduction en termes pertinents pour l’action publique. Mais une telle traduction exige un niveau de connaissance à la fois de la recherche et de l’action publique qui est institutionnellement improbable. On connaît les techniques adoptés en pratique pour gérer ce problème, dont la structure formelle est classiquement celle du rapport entre « principal » et « agent ». Sans doute, d’ailleurs, ces techniques sont-elles efficaces, à leur manière : le détachement d’universitaires dans des fonctions temporaires de conseil programmatique, ou de fonctionnaires dans des postes universitaires temporaires, peuvent créer un réseau de relations qui suffisent à enjamber le fossé. (Cette idée d’un « pont » est notamment au centre de la conception du programme intergouvernemental most de l’unesco. D’ailleurs, le choix du sigle est lui-même un jeu de mots polyglotte, puisque most est la racine slave qui signifie « pont ».) Toutefois, si le savoir commun est, dès lors que le groupe dont il relève est suffisamment vaste, plus robuste à certains égards que les procédures explicites de coordination, il est aussi, par sa nature même, moins susceptible de « mise en œuvre ». Dans une perspective de programmation, il peut être de fait impossible de déterminer si les priorités de politique publique se diffusent aux universitaires et sont repris par eux à leur compte, ou si ces priorités sont simplement diluées dans des priorités de programmation qui sont en réalité purement académiques. En outre, pour des raisons sociologiques très classiques, l’approche des problèmes principal-agent par la cooptation engendre des conflits d’intérêt dont la gestion pratique peut se révéler très difficile. Enfin, de l’exigence incontournable de traduction politique, combinée au fait que nombre d’acteurs concernés ne maîtrisent guère l’une ou l’autre des deux langues de l’action publique et de la recherche, résulte des occasions destructrices d’instrumentalisation stratégique des deux côtés du fossé. Cet argument peut sembler complexe : ses implications sont en fait très simples. Aussi « pertinents » soient-ils, les résultats de la recherche ne sont pas directement « utilisables » en termes politiques. Il en résulte que, tant qu’ils ne sont pas traduits, leur pertinence reste hypothétique ; dès lors, ils ne peuvent donner d’indication solide pour la programmation et l’évaluation. Les éléments sur lesquels s’appuie la présente discussion suggèrent que les décideurs politiques sont très conscients d’être prisonniers de ce cercle.
15Si, dans l’insatisfaction générique quoique discrète qu’expriment les bailleurs de fonds sur leurs propres procédures, il ne s’agissait que de la relation entre recherche et action publique, ce serait déjà une question importante qui appellerait une grande attention. Or, les arguments qui précèdent impliquent que le problème est en fait plus profond. C’est dans l’idée d’une programmation en réseau, en tant que telle, que se situent des difficultés qui désignent la tension inhérente à la notion même d’une société « en réseau » – ou, de manière spécifique dans le cadre du présent article, la notion d’un secteur de recherche en réseau. À un niveau très abstrait, cette tension s’exprime très simplement. Ce qui attire, dans le réseau comme modèle de recherche, c’est qu’il rend possible l’évaluation du potentiel d’innovation d’un système sans pour autant se départir d’une conception de la production des savoirs comme processus fondamentalement imprévisible. Admettons cependant que les savoirs scientifiques forment un système qui, par essence, se reconfigure continuellement en modifiant non seulement les logiques d’interaction mais aussi, par conséquence directe, les propriétés des nœuds eux-mêmes. Dans ce cas, l’idée même est suspecte qu’une vue extérieure puisse déterminer les savoirs qui manquent et qui pourraient être produits. Les mathématiciens ont ainsi réussi de manière frappante à imposer l’idée qu’il n’existe aucune distinction rigide entre mathématiques pures et appliquées. De fait, on constate dans les dernières décennies de nombreuses applications improbables de mathématiques très abstraites aux sciences physiques et du vivant, l’essentiel étant que personne ne sache à l’avance quels éléments des mathématiques vont se révéler utiles et à qui. En réalité, l’utilité est ici une propriété d’un système de savoirs plutôt que d’un savoir isolé quelconque. Peut-être les mathématiques constituent-elles un cas particulier. Mais il est au minimum raisonnable de supposer qu’une telle perspective « holiste » sur le savoir s’applique de manière assez large : d’ailleurs, une telle perspective résume la conception philosophique traditionnelle de l’université, à ceci près qu’elle écarte l’hypothèse d’une science maîtresse, appelée précisément philosophie, dont l’intervention architectonique assurerait la cohérence d’ensemble du système des connaissances.
16On pourrait en conclure, de façon apparemment évidente, que, dès lors que le savoir constituerait un maillage ou un réseau holiste, les systèmes de production de connaissances devraient avoir la même propriété. Dans ce cas, pour autant qu’il y ait une contradiction entre les réseaux de recherche et la programmation thématique orientée vers l’action publique, c’est à celle-ci qu’il conviendrait de renoncer. En fait, il existe de fortes raisons de penser que cette conclusion est fausse. Ce qui pose problème dans le raisonnement, c’est l’assertion qu’il devrait y avoir une sorte d’isomorphisme entre le savoir et les systèmes du savoir. Il ne s’agit en réalité que d’une vague analogie, dont l’absence de validité est indiquée par quelques éléments empiriques très simples.
17En termes sociologiques, les réseaux entretiennent avec les institutions une relation de symbiose. D’aucuns prétendraient que cette forme de symbiose est parasitaire, et donc nécessairement au détriment de l’hôte (ici : les institutions). Toutefois, le raisonnement ne dépend pas de la position que l’on adopte par rapport à cette suggestion : d’ailleurs, son orientation, comme nous le verrons, est plutôt inverse. Sans doute les éléments empiriques disponibles montrent-ils que les réseaux regroupent des individus plutôt que des institutions, mais les individus dont il s’agit sont, précisément, institutionnalisés. On peut même affirmer, partant de ces mêmes éléments empiriques, que le soutien institutionnel – que les chercheurs dans nombre de pays jugent tristement insuffisant – constitue un facteur causal essentiel dans la participation aux réseaux des programmes-cadres européens : cela suggère que, en tout cas s’agissant de la recherche, les institutions formelles et les réseaux présentent des relations de synergie positive. Une raison importante en est que les institutions offrent un espace relativement non contraint à la fois de recherche non finalisée (au sens où elle se définit exclusivement par des dynamiques intellectuelles) et pour l’interaction des personnels. D’ailleurs, on peut soutenir, de manière tout à fait réaliste, que toute institution de recherche est elle-même un réseau, qui, surtout au sein d’une université, a précisément les propriétés holistes citées précédemment. En d’autres termes, la mise en réseau externe peut s’envisager comme un aspect du « réseautage » interne, qui justement ne saurait se déployer en l’absence de l’institution hôte. On pourrait esquisser un raisonnement analogue s’agissant des disciplines et de l’interdisciplinarité, qui entretiennent vraisemblablement une relation analogue de synergie positive. Inversement, on se heurte à de sérieuses difficultés sociologiques si l’on essaie d’imaginer un système de recherche purement en réseau, ou même simplement un rôle accru des réseaux au détriment des institutions. Parmi les défis auxquels les systèmes actuels de recherche sont confrontés figure l’équilibre entre soutien aux institutions et aux projets ou réseaux, et il est loin d’être sûr qu’une division territoriale du travail puisse offrir, de ce point de vue, des mécanismes efficaces de coordination.
18On peut donner à ces appréciations davantage de précision en s’intéressant de plus près à certains des problèmes que pose le rôle des réseaux dans l’économie du savoir. L’essentiel, pour les besoins de la présente discussion, est que la notion de « réseau » présente d’importantes ambiguïtés, même si, à un niveau assez superficiel, chacun sait de quoi il s’agit. L’orientation prioritaire pour de futures recherches doit précisément être de préciser le sens à donner à la notion de « réseau » et les raisons de son importance, tout en améliorant, inséparablement, la connaissance empirique du fonctionnement des réseaux de toutes sortes, y compris les réseaux informels qui ne reposent pas manifestement sur un maillage de relations contractuelles. Inutile de souligner qu’un tel programme soulève des questions disciplinaires éventuellement malaisées qui dépassent de loin le cadre de cet éditorial.
19Dans la lignée de la discussion qui précède, supposons un modèle générique de la production du savoir en réseau tel que cette production ne se situe principalement ni au niveau des institutions individuelles (quoique certaines institutions de grande taille puissent y faire exception), ni au niveau du système dans son ensemble (en d’autres termes, la production des connaissances ne se résume pas au résultat plus ou moins mécanique du fonctionnement d’un système économique qui utilise un volume donné de ressources), mais plutôt au niveau intermédiaire des relations entre institutions enchâssées dans un système. De ce point de vue, émergent quatre questions principales, dont chacune résume à elle seule un programme de recherche.
– Quelles formes spécifiques de relations constituent-elles des réseaux ? Il est clair que si les réseaux peuvent passer, entre autres, par un maillage de relations contractuelles, ils ne s’y réduisent pas. D’ailleurs, s’ils s’y réduisaient, les réseaux seraient simplement des composantes observables d’un système marchand et il serait très difficile de les isoler comme facteur autonome de la production des connaissances. Inversement, si l’économie institutionnelle a tendance à parler du réseau comme genre d’« institution », ce n’est pas vraiment cohérent avec l’usage sociologique consacré. En effet, les réseaux ne sont pas concernés par certaines caractéristiques des institutions – notamment l’existence de responsabilités juridiques hiérarchisées et de règles explicites d’appartenance –, même s’ils peuvent avoir en commun avec les institutions stricto sensu l’existence de configurations stables de comportements réglés. D’une manière générale, on peut utilement penser les réseaux comme conjuguant à l’interdépendance systémique et aux relations juridiques entre entités autonomes quelque chose d’autre, que l’on peut de manière commode appeler « capital social ». Intuitivement, on voit bien de quoi il s’agit : c’est un bien public, qui profite à tous les participants même quand ils n’en font pas délibérément usage, et qui se rattache d’une manière ou d’une autre à la confiance, à la réputation, à la circulation fluide de l’information, et ainsi de suite. Bien entendu, c’est une autre affaire, bien plus difficile, que de déterminer comment opérationnaliser le concept ou l’évaluer empiriquement. De surcroît, le problème est aggravé par la difficulté générale d’une analyse acceptable, sociologique et économique, du savoir. En effet, le capital social est, entre autres choses, un genre de savoir : celui qui porte sur les modalités de la coopération dans un cadre non institutionnel.
– Même à supposer que la notion de capital social puisse être clarifiée et opérationnalisée, il resterait à voir comment elle pourrait devenir objet d’intervention politique. Une conclusion possible, compte tenu de l’importance au sein du capital social de conditions d’arrière-plan historiquement déterminées, serait que la politique publique n’a pas d’autre rôle que permissif. Il ne faudrait pas y voir une déclaration d’impuissance, dès lors que demeure l’option de passivité face aux défis socio-économiques. Mais il n’en reste pas moins que les collectivités nationales ou territoriales disposeraient de marges de manœuvre fortement réduites dans leur gestion de la société du savoir. On pourrait également conclure, de manière assez différente, que toute solution efficace est spécifique sur le fond et ne saurait être copiée, quoique des techniques procédurales puissent être formulées à un niveau plus général. Au vu de l’extrême intensité en information de toute intervention politique efficace sur un objet aussi complexe qu’un système en réseau, on pourrait soutenir que les techniques participatives et consultatives ont un rôle important à jouer dans l’incorporation au processus politique du savoir des acteurs sur eux-mêmes. Cela aurait l’avantage supplémentaire que, la promotion du capital social passant nécessairement par la participation active des acteurs sociaux eux-mêmes, la participation et la consultation y contribueraient directement, au-delà même des retombées informationnelles immédiates. Cependant, on peut également imaginer des conclusions plus négatives. Peut-être le réseautage dépend-il d’une auto-organisation qui est susceptible d’être endommagée par toute tentative délibérée visant à la modeler. Inversement, on trouve dans les travaux scientifiques des exemples de réussite politique, notamment au niveau régional. Sans doute est-il difficile d’évaluer, de manière contrefactuelle, ce qui se serait produit en l’absence d’une initiative donnée de politique publique. Toutefois, les exemples favorables suggèrent au moins que les politiques actives ne sont pas nécessairement destructives. Pour les besoins de cet éditorial, ce qui compte est l’absence des informations qui seraient requises pour traiter ces éventualités d’une manière un tant soit peu précise ; d’ailleurs, au vu du paragraphe précédent, peut-être manque-t-il jusqu’aux cadres conceptuels qui permettraient l’élaboration d’outils opérationnels. Il faut au minimum une analyse empirique beaucoup plus détaillée d’un ensemble de succès et d’échecs politiques par référence à une notion de capital social rigoureusement construite. Par ailleurs, il y aurait grand avantage à essayer de faire le lien entre les perspectives sur le capital social issues de l’économie institutionnelle et les travaux classiques en science politique et en sociologie qui se sont intéressés aux conditions historiques, culturelles et institutionnelles du capital social. Toute analyse sérieuse de l’innovation institutionnelle devra se confronter à l’idée que le capital social, et plus particulièrement la mise en réseau, constituent des phénomènes culturels qui renvoient à des disparités importantes entre composantes d’une même société (par exemple, entre l’Italie du Nord et l’Italie du Sud, pour prendre le cas le plus célèbre dans la littérature).
– Un aspect des deux points qui précèdent est qu’on ne saurait présupposer que le réseautage, aussi dense et stable soit-il, soit toujours « bon » au vu des états sociaux et économiques jugés pertinents pour l’évaluation normative. On peut penser à des exemples de cadres sociaux qui témoignent de formes de sclérose caractéristiques des sociétés à forte structuration. Le capital social, comme toute forme de capital, peut devenir obsolète du fait du changement environnemental (par exemple, technologique), ou alors peut verrouiller, pour une entreprise ou pour une société, une trajectoire de développement sous-optimale et en dernière analyse non pérenne. Il peut donc être nécessaire de déprécier le capital social, jusqu’à le passer en charge. Il faut prendre au sérieux cette métaphore comptable. L’intégration du savoir dans l’analyse des systèmes de production, ainsi que sa valorisation, constituent des questions d’importance cruciale que les travaux spécialisés ont jusqu’alors insuffisamment traitées. Toutefois, même à supposer que la valeur sociale du capital social soit connue, on ne voit guère quel processus social pourrait correspondre à sa « dépréciation », quels acteurs pourraient être capables d’en prendre l’initiative, et dans quelles conditions il pourrait être légitime. Peut-être pourra-t-on montrer qu’un capital social supérieur implique toujours une capacité d’adaptation plus grande, mais il faudrait alors pouvoir distinguer entre formes de densité sociale, certaines ne comptant pas comme capital social (ce qui nous ramène au premier point). Il s’agit à nouveau ici à la fois d’analyse empirique affinée, notamment des échecs politiques et autres réalisations défavorables, et de clarification conceptuelle.
– Enfin, pour reprendre des éléments déjà notés, les termes conceptuels et empiriques de l’évaluation du savoir comme « facteur de production » restent lacunaires – à moins, d’ailleurs, à supposer que l’on rejette cette dernière catégorie, que le savoir doive s’analyser en termes tout à fait différents. Dans une perspective de fonctions de production, le savoir est de fait une boîte noire. On peut le déduire de toute configuration d’entrées et de sorties, mais seulement d’une manière tautologique [2]. Avec un point de départ certes très différent, on arrive sensiblement au même point si l’on se réfère à la sociologie de la science. De bonnes raisons théoriques existent de penser que le savoir est « tacite » au sens des travaux spécialisés, c’est-à-dire implicite dans des pratiques apprises et comprises plutôt que réflexivement maîtrisé. À nouveau, cependant, cela revient à une boîte noire dans laquelle la « dotation en savoir » devient une caractéristique holiste de systèmes culturels dans leur ensemble ; dans une telle boîte noire, l’analyse endogène du changement est impossible.
21De ces remarques, on pourrait induire que le « savoir » ne constitue pas une catégorie économique du tout, dans la mesure où on ne saurait la réduire à des immobilisations « tangibles » résultant de dépenses identifiables qui pourraient être inscrites dans un bilan et amorties. Or, il n’y a en réalité aucune raison de rejeter la notion d’actifs « intangibles », qui s’applique précisément au savoir de manière très utile. De fait, les marchés évaluent les sociétés de telle manière que les actifs intangibles comme les marques ou le savoir-faire ont une énorme importance, qui reflète, sous réserve de toute une série de complications, la relation entre facteurs de production tangibles et produits tangibles. Il n’en reste pas moins qu’il n’existe aucun fondement clair ou « objectif » à l’évaluation de telles immobilisations, et cela précisément parce que l’interprétation holiste des systèmes de savoir esquissée précédemment attribue au savoir une essence relationnelle. En effet, la valeur du savoir détenu par une institution dépend des savoirs détenus par d’autres institutions, y compris si celle-là n’entretient avec celles-ci aucune relation, voire en ignore l’existence. Il ne s’agit nullement d’un problème nouveau du point de vue de l’économie, de la finance ou de la comptabilité : au contraire, il en va de même pour tous les actifs intangibles à caractère réputationnel (tels les fonds de commerce). Que le problème soit bien connu, toutefois, ne le rend nullement plus facile à résoudre.
22Il peut sembler que ces considérations sur la nature sociale, et notamment économique, du savoir ont conduit loin de l’excellence. En réalité, la difficulté essentielle – l’excellence doit-elle se penser de manière relative ou absolue ? – recoupe les implications de la perspective holiste (ou peut-être, de manière plus stricte, systémique) sur le savoir qui a été esquissé ici. Si les systèmes de savoirs sont holistes, alors on risque la contradiction à vouloir mettre en place des relations concurrentielles entre les nœuds en se fondant sur une notion d’excellence qui, par définition, n’est accessible qu’à une petite minorité à tout moment. Inversement, si cette conclusion pose problème, c’est toute l’idée d’une « société du savoir en réseau » qui exige peut-être un réexamen.
23Cela peut apparaître comme un problème binaire relativement simple dont la solution relève de la recherche empirique. En réalité, dès lors que l’on s’efforce de donner de l’idée d’un « réseau » une clarification analytique sérieuse, ce sont des perspectives complexes et quelque peu paradoxales qui s’ouvrent. Nous avons vu que les propriétés positives que l’on attribue aux réseaux, pour autant que l’on s’attendrait à les voir croître avec la densité de ceux-ci, impliquent un modèle du savoir comme propriété émergente de flux de communication configurés. Pour prendre une métaphore peut-être trompeuse, il est impossible de prédire où jaillira une étincelle dans un réseau sous tension, mais plus forte est la tension et plus nombreux sont les nœuds actifs, plus grande est la probabilité globale. Il en résulte que la productivité, du point de vue des connaissances, ne saurait se réduire à une quelconque caractéristique (telle l’excellence) d’un nœud envisagé pour lui-même : la productivité ne peut se comprendre qu’en termes holistes ou systémiques. On pourrait bien entendu combiner les deux perspectives, puisqu’un réseau peut ne pas être uniformément dense ou productif. Inversement, toutefois, on a peine à concevoir un réseau fortement hétérogène qui fonctionne vraiment comme un réseau : du seul fait des processus de diffusion, on s’attendrait à une certaine homogénéisation, fût-ce par exclusion ou enkystement des nœuds défaillants. Toutefois, si l’on poursuit cette idée de la production du savoir à la faveur d’autres idées – dont la communication, qui peut ne pas être orientée vers le savoir du tout –, on risque de diluer la notion de « réseau » jusqu’à n’en faire qu’un équivalent à la mode de « système » ou de « société ». Si le capital social n’est qu’un synonyme de la « solidarité » bien connue de Durkheim, on n’y gagne aucune compréhension spécifique des propriétés particulières de différents types de système du point de vue de la production des connaissances. Faute d’une approche véritablement sociologique des réseaux, en d’autres termes, on se retrouve dans la boîte noire. On trouve dans les travaux récents quelques indications dans ce sens (quoique l’on déplore presque unanimement l’usage passe-partout du mot « réseau »), mais encore faudrait-il le recouper avec la sociologie de la science et l’économie de l’innovation.
24Enfin, il importe de réfléchir davantage sur le genre d’activité qu’implique la quête du savoir. C’est, bien entendu, l’un des enjeux des débats entre sociologie de la science et économie de l’innovation (si tant est que le mot « débat » convienne à l’isolement réciproque qui prévaut généralement entre les deux disciplines), mais outre la nécessité générale de dépasser cette dichotomie, d’autres questions demeurent. Il faut intégrer dans une compréhension complète des systèmes sociaux de production de connaissances des perspectives sociologiques sur la fécondité du conflit – dans certaines de ses formes réglées –, de même que les configurations comportementales sous-jacentes qui donnent naissance au conflit, y compris sous la forme tout à fait particulière que l’on appelle concurrence. Chacun sait que des considérations militaires sont, dans de nombreux pays, au cœur de la recherche scientifique et technologique : il suffit de penser aux programmes spatiaux américain et soviétique. À un certain niveau d’analyse, cela ne réfute pas la thèse rationaliste selon laquelle les objectifs de la quête du savoir sont définis indépendamment de celle-ci. Après tout, l’institution militaire est la bureaucratie rationnelle-légale par excellence. Mais elle n’est pas que cela : elle éclaire les raisons pour lesquelles toute bureaucratie qui se déploie dans un environnement concurrentiel devra être, dans une certaine mesure, non juridique et non rationnelle. En termes plus individuels, les motivations des chercheurs requièrent plus d’attention qu’elles n’en ont reçue. La libido sciendi, pour emprunter le vocabulaire de Pierre Bourdieu, a quelque rapport avec la libido dominandi. Pour autant que pouvoir et savoir soient liés, en termes foucaldiens cette fois-ci, c’est comme ensembles d’aspirations et de dispositions, et non simplement comme constructions institutionnelles. Aucune conclusion sur ces questions ne dispose d’un fondement suffisant ; elles n’en exigent pas moins une place plus grande dans les programmes de recherche qu’elles n’en ont trouvé jusqu’alors. En tout cas, la relation dynamique entre institutions et réseaux en dépend.
25De toutes ces considérations, émergent plus de questions que de réponses. En revanche, elles permettent au moins de souligner tout ce qui est en jeu dans le repérage, apparemment simple, des composantes de la recherche en sciences sociales qui sont « bonnes » et méritent à ce titre d’être soutenues. Dans les débats contemporains sur les politiques de recherche – qui portent, en pratique, principalement sur la technologie et les sciences qui l’engendrent, mais peuvent tout autant s’appliquer aux sciences sociales –, on suppose souvent, comme une évidence, qu’il existe un contexte nouveau qui requiert des outils nouveaux. Dans sa version la plus fruste, cette approche postule que les systèmes de recherche sont touchés par des changements exogènes qui créent des difficultés pour les politiques existantes (analysées comme conjonctions d’objectifs et d’instruments) ; dès lors, tout jeu d’objectifs requiert la conception de nouveaux instruments. Le message central de cet éditorial est de souligner à quel point il s’agit là d’un malentendu quant à la nature des politiques publiques, malentendu particulièrement dommageable dans le cas des systèmes de recherche. Tout d’abord, pour de fortes raisons historiques, de tels systèmes sont déjà politiquement « saturés ». Le changement politique est donc, notamment, un changement systémique. Les barrières nationales et disciplinaires, les flux de financement, l’organisation normalisée des trajectoires de carrière, les principes et les pratiques de l’évaluation, sans parler des institutions caractéristiques : toutes ces variables sont massivement path-dependent, et donc peu compréhensibles en-dehors de leur évolution historique. Il en résulte que le changement systémique, loin d’être « exogène », est nécessairement un aspect du changement politique. Pour autant qu’il y ait un « défi » du changement, ce défi est donc interne à l’action publique elle-même. Ensuite, le changement politique n’est pas davantage exogène. Sans doute les finances publiques contraignent-elles la capacité de l’État et des organismes quasi-étatiques de financer les institutions, les personnels et les activités de recherche. De même, il existe manifestement un climat budgétaire général qui découle de conditions d’arrière-plan s’agissant de la croissance économique et d’autres paramètres. Toutefois, l’analyse la plus sommaire montre que, dans nombre de pays, c’est après le début de la crise de l’État social keynésien-fordiste que l’essentiel de l’expansion des systèmes de recherche s’est produite. Cela ne signifie nullement, bien entendu, que la crise fiscale ait été sans importance, ni que le redéploiement ultérieur (dans les années 1990, dans la plupart des pays) n’en ait pas été à bien des égards une conséquence. Il s’agit plutôt de souligner que l’« importance » est une construction extrêmement complexe, que filtre toute une série de considérations idéologiques, techniques et politiques. Il est exact que la plupart des États considèrent impossible toute expansion forte du financement public de la recherche. Toutefois, cela ne saurait se détacher de perceptions modifiées de la bonne gestion (de l’efficacité, etc.) qui s’appliquent aussi au secteur de la recherche, tout comme, d’ailleurs, au secteur des entreprises en général, voire aux ong et autres associations. Le changement de l’action publique, en d’autres termes, est un aspect du changement social plus large.
26Il en résulte logiquement que les « nouveaux défis » auxquels sont confrontés les systèmes de recherche – aux niveaux national, subnational et international – relèvent de l’interprétation, de la perception, et éventuellement de la controverse violente. Ces défis ne constituent nullement un cadre relativement objectif dans lequel les options politiques prennent place. Dans le même sens, comme de nombreux secteurs le montrent, les options politiques sont autant des solutions à la recherche de problèmes que des problèmes qui exigent d’être résolus. Dire que les solutions viennent d’abord ne revient pas nécessairement à remettre en cause leur sincérité ou leur viabilité technique, même s’il est incontestable que l’idéologie et les intérêts des consultants ont un rôle à jouer à cet égard. En revanche, on peut avancer, comme une généralisation empirique à validité étendue, que le choix politique est précontraint par une gamme de solutions possibles dont la définition n’est jamais simplement technique ; de surcroît, le processus politique consiste autant à légitimer les solutions que l’on préfère qu’à adopter des solutions optimales à des problèmes soigneusement analysés. Dans le cas d’espèce, il n’est pas évident que la compétitivité, l’interdisciplinarité, la pertinence etc. soient les défis auxquels la politique de recherche de l’avenir soit confrontée. S’ils en venaient à être généralement reconnus comme tels, cela constituerait en tant que tel un résultat politique.
27En d’autres termes, il convient de formuler le défi politique à un niveau plus général. On peut penser qu’un système de recherche optimal aurait la capacité et la flexibilité qui lui permettraient de produire des savoirs d’extension indéfinie en réponse à des critères de qualité qui soient à la fois généralement acceptés et constamment exposés à la remise en question. Un tel système pourrait mettre ces savoirs en réseau de telle manière que des connexions auquel personne, seul, ne songerait puissent émerger de l’activité de communication et de collaboration. Il assurerait une rétroaction telle que le système du savoir évolue constamment en réponse aux nouvelles découvertes et idées. Enfin, un tel système optimal offrirait une interface avec une communauté d’usagers potentiels elle-même indéfinie. Sous réserve de l’hypothèse, modeste, selon laquelle il n’existe aucune contradiction de principe entre savoirs spéculatif et pratique, et partant aucune contradiction entre les dynamiques du savoir qui résultent, d’une part, de la curiosité intellectuelle et de l’ambition professionnelle, et d’autre part de la résolution de problèmes pratiques, l’idéal-type ainsi esquissé apparaît conceptuellement cohérent. Certes, l’existence d’un tel système est improbable : elle supposerait un réseau d’interaction sociale infiniment dense et fluide. En revanche, cette perspective suggère au moins que la densité et la fluidité offrent des outils conceptuels pour apprécier l’efficacité sociale de systèmes de recherche réellement existants. Cette hypothèse s’expose certes à la critique au titre théorique général du principe selon lequel les approximations sous contrainte d’optimums de premier rang ne sont pas forcément des optimums de second rang. Sous réserve de l’accepter, on peut cependant formuler la propriété générique d’une politique de recherche idéale, à savoir qu’elle tend à accroître la densité et la « fluidité » (comprise dans ce contexte comme la proportion d’interfaces vides ou de déchirures qui s’opposent à la communication entre nœuds adjacents, alors que la densité pondère les chemins de communication par leur longueur et n’intègre donc pas directement les bords ou interfaces).
28De ce point de vue, certes spéculatif, les tendances actuelles des politiques de recherche apparaissent problématiques. Toutes choses égales par ailleurs, le réseautage accru ne peut être que positif. De même, ceteris paribus, des interfaces plus développées entre les processus politiques et de recherche et les dynamiques sociétales sont, sans ambiguïté, positives. Mais il n’est pas sûr que les choses soient égales par ailleurs. Comme cet éditorial l’a souligné, il existe un risque que la promotion des réseaux érode les institutions ; il est extrêmement difficile de savoir si un tel impact serait positif ou négatif à la marge. De même, la recherche de la pertinence à l’aide d’outils de programmation en réseau risque de dégrader l’interface entre recherche et politique, sans que des avantages compensatoires apparaissent clairement à d’autres points du système. Dans le sens commun actuel qui régit la réflexion politique, les objectifs génériques sont des priorités plus claires et un financement public plus ciblé ; l’encouragement du réseautage (notamment à l’international) ; l’élimination des institutions obsolètes ; une collaboration accrue entre public et privé ; et enfin le soutien à l’excellence.
29En revanche, c’est une question très différente que de savoir si l’excellence a une chance d’être atteinte, dans la mesure où, pour les raisons avancées dans cet éditorial, il est loin d’être sûr que ces recommandations génériques soient effectivement cohérentes. Sans doute, dans certains contextes nationaux, et notamment dans des systèmes en transition, ces objectifs peuvent-ils être visés simultanément. On peut en revanche penser qu’ils sont, en dernière analyse, contradictoires au niveau le plus général. Qui plus est, cette contradiction est en rapport avec une compréhension inadéquate des relations entre recherche, savoir et innovation. Faut-il distinguer le « savoir » en général du genre de connaissance qui est en jeu dans la « recherche » ? L’« innovation » offre-t-elle un cadre qui convient à la réflexion sur la recherche en général ? Un système d’« innovation » convenablement compris se laisse-t-il, en tant que tel, « planifier », « diriger » ou « piloter » ? L’excellence peut-elle se transformer d’étalon absolu en critère relatif au service de la distribution des ressources rares ? Telles sont les questions qui restent à traiter.
Références
- Castells, M. 1996. The Information Age : Economy, Society and Culture. 1, The Rise of the Network Society. Oxford: Blackwell. [L’ère de l’information. 1, La société en réseaux. Paris, Fayard, 1998.]
- – 1997. The Information Age : Economy, Society and Culture. 2, The Power of Identity. Oxford: Blackwell. [L’ère de l’information. 2, Le pouvoir de l’identité. Paris, Fayard, 1999.]
- – 1998. The Information Age : Economy, Society and Culture. 3, End of Millennium. Oxford : Blackwell. [L’ère de l’information. 3, Fin de millénaire. Paris, Fayard, 1999.]
- Elster, J. 1983. Explaining Technical Change. A Case Study in the Philosophy of Science. Cambridge, Cambridge University Press.
- – 1985. Making Sense of Marx. Cambridge: Cambridge University Press. [Karl Marx : une interprétation analytique. Paris, puf, 1989.]
- Gibbons, M. ; Limoges, C. ; Nowotny, H. ; Schwartman, S. ; Scott, P. ; Trow, M. 1994. The New Production of Knowledge. The Dynamics of Science and Research in Contemporary Societies. London, Sage.
Notes
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[1]
Il s’agit du réseau « Semmering », qui a réalisé un projet de recherche intitulé « Émergence de l’Espace européen de la recherche : politiques scientifiques pour une Europe élargie » avec le concours financier de l’Union européenne dans le cadre du 5e Programme cadre (contrat n° hpse-ct-2001-60026). Je remercie le coordonnateur du projet, l’International Centre for Comparative Research à Vienne, Autriche, de m’avoir autorisé à utiliser des textes initialement présentés lors du Forum Semmering annuel sur la science et la technologie (les articles dans ce numéro de Cappellin et de Pereira). Cet éditorial reprend également des considérations sur le savoir en réseaux du savoir qui avaient été d’abord élaborées dans le cadre du réseau Semmering.
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[2]
Si, par exemple, Y = k C? L(1-?), où Y (la production totale), C (le capital) et L (le travail) sont connus selon des méthodes convenues, alors k (la « productivité ») est connue par définition, mais cela ne signifie pas qu’il y ait la moindre base autre qu’axiomatique pour en prévoir ou en expliquer les changements intertemporels. Cela se rapporte à l’argument important et bien connu de Jon Elster selon lequel l’explication du changement technique représente la lacune la plus significative de l’économie marxiste orthodoxe, partagée d’ailleurs avec ses « adversaires » néo-classiques (Elster, 1983, 1985).