Introduction
1De nos jours, la planification et la recherche en matière d’espace se heurtent à des situations complexes qui ont beaucoup évolué en quelques décennies. Deux phénomènes doivent être pris en compte à cet égard :
- une différenciation socioculturelle accrue – voire, une fragmentation – de la société (individualisation, différenciation et pluralisation des modes de vie) ;
- un développement dynamique des structures spatiales et des régimes d’utilisation du temps, avec notamment des formes de plus en plus complexes de déplacements à différents niveaux (par exemple, le choix de l’emplacement de l’habitation et les modalités du déplacement en tant que formes fondamentales du déplacement dans l’espace).
2La présente étude s’appuie sur le projet de recherche interdisciplinaire « StadtLeben ». Ce projet associe des spécialistes des transports, des urbanistes, des géographes et des psychologues des institutions suivantes : rwth (Aix-la-Chapelle), Institut für Stadtbauwesen und Stadtverkehr (coordination) ; Université libre de Berlin, Institut für Geographische Wissenschaften, Abteilung Stadtforschung ; Ruhr-Uni-Bochum, Arbeitseinheit Kognitions- und Umweltpsychologie, Université de Dortmund, Fachgebiet Verkehrswesen und Verkehrsplanung ; Wohnbund Frankfurt Entwicklungsgesellschaft mbH. Ce projet bénéficie du soutien du Ministère fédéral allemand de l’éducation et de la recherche dans le cadre du programme sur le bâtiment et le logement.
Principes de base
Modes de vie
3En sociologie allemande, la recherche sur les modes de vie s’est considérablement développée depuis la fin des années 1980. Il y a eu au départ les thèses de Beck sur le renforcement de l’individualisation, selon lesquelles les structures traditionnelles d’inégalité sociale perdraient de leur pertinence puisque l’inégalité verticale « ancienne » ferait place à de nouvelles inégalités horizontales « au-delà des classes et couches sociales » (Beck, 1986, p. 121). La structure manifeste des couches sociales se déferait en une mosaïque de morceaux qui resteraient dynamiquement rattachés les uns et les autres par la mobilité sociale. « Le bref rêve d’une prospérité sans fin » (Lutz, 1984) que la richesse économique a rendu possible dans les décennies d’après-guerre a aidé à se libérer de façon inattendue des structures traditionnelles, notamment avec la disparition des existences linéaires et prévisibles, l’amélioration des possibilités d’éducation offertes à toutes les couches de la population, le prolongement de l’adolescence, l’évolution des relations entre les sexes (y compris la place croissante des femmes sur le marché du travail), la réduction de la taille des ménages, la diversification et la flexibilisation de l’emploi et la disparition des régimes traditionnels d’utilisation du temps. En ce qui concerne la mobilité, la motorisation des années 1960 et 1970 s’est développée à des rythmes qui n’ont pas cessé de déjouer toutes les prévisions (Scheiner, 2002).
4Tout récemment, la dérégulation du travail en relation avec la mondialisation de l’économie et les effets dans l’espace de la baisse des régimes d’utilisation fixe du temps ont atteint des dimensions nouvelles (Wolf et Scholz, 1999).
5Pour les spécialistes des modes de vie, ces évolutions structurelles constituent plus un arrière-plan que l’objet même de l’étude. La recherche sur les modes de vie s’intéresse essentiellement à la façon dont les individus conçoivent leur existence. Le mode de vie est défini comme « habitudes régulières de comportement, qui reflètent des situations structurelles en même temps qu’un comportement habituel et des affinités sociales » (Lüdtke, 1996, p. 140). Le temps consacré au loisir constitue un champ vaste et riche pour les recherches sur la stylisation de soi. Au niveau théorique, il importe de distinguer les conceptions « volontaristes » des conceptions « structuralistes ». En sociologie allemande, les conceptions volontaristes du mode de vie tendent à couper celui-ci de la stratification sociale (Schulze, 1992 ; Lüdtke, 1995). On ne saurait pourtant négliger qu’il y a interdépendance entre mode de vie et position sociale. Des travaux empiriques montrent que les variables classiques propres à la couche sociale (revenu, situation professionnelle) sont devenues moins importantes que l’âge et l’éducation – et, en partie, que le sexe (Schulze, 1992 ; Spellerberg, 1996 ; Schneider et Spellerberg, 1999 ; Klee, 2001, p. 131 et suiv.). Il en ressort que persiste le lien entre, d’une part, les conceptions en matière d’éducation et les perspectives de promotion vers l’élite économique et, d’autre part, le niveau d’éducation et la profession des parents (Schimpl-Neimanns, 2000). On semble revenir par là à une conception structuraliste des modes de vie (Bourdieu, 1979).
Mobilité
6L’idée fondamentale, c’est qu’à des groupes de modes de vie correspondent des formes spécifiques de mobilité. Mais la mobilité est un terme à deux sens. D’une part, elle désigne la mobilité sociale et spatiale ; d’autre part, elle désigne une mobilité à court terme (voyages) et à long terme (changement de logement, choix du lieu d’habitation). De surcroît elle sert à désigner un mouvement réel (déménagement, modalité de déplacement, ascension ou déclin social) en même temps que des potentialités et des possibilités. Ces dernières façonnent le déplacement mais sont elles-mêmes tributaires aussi de l’accessibilité des destinations comme « offre » (Topp, 1994). Enfin, la mobilité dans l’espace est souvent utilisée comme synonyme de déplacements physiques, mais elle comprend aussi le recours aux médias (« mobilité virtuelle »), que ce soit par l’utilisation individualisée (Internet, courrier électronique, cd-rom interactif, télécopie, btx, téléphone) ou des médias classiques (télévision, radio, presse écrite). Ces différenciations sont très pertinentes pour analyser les modes de vie et la mobilité.
7L’idée que les modes de vie se détachent (partiellement) des cadres socio-structurels implique que les possibilités d’utilisation de l’espace deviennent plus nombreuses. L’analogie semble fonctionner au niveau spatial : avec le relâchement des conditions structurelles, l’origine spatiale ne constitue plus guère un obstacle pour façonner sa vie. De surcroît, l’affiliation à un quartier peut diminuer (motorisation et utilisation accrue de véhicules, mobilité virtuelle…).
8Deuxièmement, l’individualisation et la pluralisation des modes de vie entraînent une modification de la dynamique de la mobilité sociale et spatiale. Par exemple, les considérations de mobilité se trouveront modifiées après un changement d’emploi. Lorsqu’il s’agit de choisir entre faire chaque jour des déplacements accrus ou se rapprocher de son lieu de travail après avoir changé d’emploi, le choix est de plus en plus en faveur des déplacements quotidiens, que facilite le fait de disposer d’un véhicule et qu’encourage le fait d’être propriétaire de son logement ; d’où un renforcement du lien avec le lieu du logement (Kalter, 1994). Quoi qu’il en soit, les formes modernes d’évolution professionnelle (foyers avec deux revenus) et les changements fréquents d’emploi restreignent de toute façon les possibilités de s’installer « à proximité ».
9Troisièmement, la « médiatisation » de plus en plus marquée de la société et le remplacement partiel de l’interaction directe par la communication virtuelle multiplient les possibilités spatiales. En conséquence, les relations physiques se modifient (Scheiner, 2001). Jusque-là, on ne voit pas très bien comment les choses vont continuer à évoluer. En particulier, dans le contexte du télétravail, différentes conceptions sont à l’étude. La question essentielle est de savoir si la mobilité physique sera remplacée par la télécommunication ou si les deux formes se renforceront mutuellement (Vogt, 2000).
10En conclusion, les processus de mobilité sont interdépendants à différents niveaux (logement et déplacements quotidiens, mobilité physique et virtuelle) et se situent dans un contexte social et économique.
Liens
Modes de vie et déplacements quotidiens
11Dans les années 1990, les travaux de recherche sur la mobilité ont commencé à traduire les « modes de vie » en « modes de déplacement ». On a vu apparaître une conception nouvelle de la demande de déplacement qui établissait un lien entre les modes de vie et la mobilité quotidienne dans le cadre d’un système sectoriel (Götz, Jahn et Schultz, 1997 ; Scheiner, 1997 ; Wulfhorst, Beckmann, Hunecke et Heinze, 2000). Jusqu’à présent, cette conception s’intéresse surtout au choix des modes (Götz, Jahn et Schultz, 1997).
12Scheiner (1997) classe les populations de différentes zones de Stuttgart (Allemagne) en fonction de l’orientation de l’espace d’activité. Il distingue les groupes concentrés sur quelques destinations et les groupes aux orientations dispersées. Il trouve des différences importantes entre les distances et le choix des modes, qui permet de déterminer des styles de mobilité.
13Le concept de style de mobilité a été appliqué dans des études récentes. Le but est en partie de donner une description approfondie de formes typiques de modalité de déplacement (Lanzendorf, 2001) ; par ailleurs, l’accent est mis sur des modèles théoriques qui permettent d’expliquer les modalités de déplacement (Hunecke, 1999).
14Cependant, un certain nombre de questions essentielles restent sans réponse, et l’on ne voit pas encore bien dans quelle mesure les modes de vie peuvent être pertinents dans les recherches sur la mobilité. Aboutissent-ils à des explications qui confirment les résultats de la socio-démographie classique ? En général, les typologies du mode de vie sont considérées comme des variables indépendantes et on y voit donc des styles qui apparaissent de façon autonome. La question se pose de savoir comment ils sont structurellement influencés par les ressources ou restrictions qui ne sont pas spécifiques aux modes de vie. On ne voit pas bien non plus ce qui se trouve « derrière » les modes de vie. La question repose sur la relation forte qui existe entre modes de vie et problèmes socio-démographiques (par exemple l’âge), ainsi que sur des considérations théoriques relatives au degré de dépendance des modes de vie par rapport aux ressources.
15Deuxièmement, les recherches sur la mobilité restent focalisées sur le choix du mode de déplacement. Les autres dimensions sont négligées, comme les distances parcourues, l’aspect participatif, ou la structure temporelle des activités. Or, ces aspects restent importants du point de vue de l’analyse comme pour les applications s’agissant d’une planification durable des transports. Par exemple, il y a un lien entre les distances parcourues et la consommation de ressources et les émissions dues aux transports. Les possibilités de participer à des activités sont très pertinentes pour les personnes âgées ou pour celles dont la mobilité est réduite (Kasper et Scheiner, 2002).
Modes de vie et choix de l’emplacement de l’habitation
16Le mode de vie qui est le leur place les gens dans un environnement spatial. La relation contextuelle peut être directe, lorsque les activités sont tributaires de « scènes » telles que discothèques, cafés, installations sportives ou autres lieux de rencontre (Schulze, 1992, p. 459 et suiv.). Cependant les modes de vie domestiques et « non spatiaux » (par exemple liés à l’utilisation des médias ou à la navigation sur le Net) supposent eux aussi un « positionnement » dans l’espace. Celui-ci peut « simplement » indiquer que l’on se concentre sur la sphère privée ou sur des contacts planétaires, où les individus « ne se contentent pas de se dissoudre dans l’Internet pour vivre dans le cyberespace » du fait de leur existence matérielle (Rhode-Jüchtern, 1998, p. 7).
17En ce qui concerne l’infrastructure interne du foyer, du quartier et du lieu d’habitation, ces conceptions différenciées de la vie quotidienne présentent une difficulté (Klee, 2001, p. 162 et suiv.). En effet, si certains ont besoin de centres commerciaux, d’installations sportives ou d’un centre de loisirs à proximité de chez eux, d’autres privilégient l’accès à l’Internet et les services de livraison. Récemment, ces phénomènes ont été examinés en relation avec les modes de vie et le choix du lieu de résidence.
18Chez les sociologues, ce débat est apparu à la suite de recherches sur la ségrégation. La pluralisation des modes de vie est associée aux jeunes élites urbaines (jeunes cadres, couples salariés sans enfants) dont le mode de vie est économiquement et culturellement dominant, qui se répandent symboliquement et fonctionnellement dans l’espace urbain et évincent d’autres groupes de population en s’emparant de nouveaux quartiers (« embourgeoisement »). En revanche, d’autres groupes, comme les personnes âgées, ne sont pas pris en compte dans les recherches sur le mode de vie (Spellerberg, 1996 et Klee, 2001). Dangschat (1996, p. 113) en conclut que l’idée de déstructuration sociale et de pluralisation des modes de vie ne s’applique qu’à une partie de la société – au « côté brillant qui caractérise les vainqueurs de la modernisation » (127). Tous en effet n’ont pas les moyens d’être libres par rapport aux contraintes structurelles (Friedrichs et Blasius, 2000).
19Il faut distinguer l’emplacement de l’habitation comme répartition spatiale de groupes sociaux et la mobilité en matière de logement en tant qu’indicateur de l’évolution des biographies. L’unité de logement (type, taille, modèle) est la variable qui fait la relation entre les deux étant donné que la répartition spatiale inégale des types de logement influe sur le choix de l’emplacement du logement. Selon Schneider et Spellerberg (1999), les modes de vie diffèrent encore sensiblement selon que l’environnement est urbain ou rural, même si des modes de vie urbains ont été relevés dès les années 1960 dans des environnements ruraux, parallèlement à l’évolution économique et structurelle (déclin du secteur agricole), avec des phénomènes de développement de banlieues et d’exurbanisation, de motorisation généralisée et de développement des médias. La différenciation spatiale est également « visible » à l’intérieur des villes (Klee, 2001 pour Nuremberg ; Wulfhorst, Beckmann, Hunecke et Heinze, 2000 pour Cologne). Outre les lieux d’implantation, l’importance de la mobilité en matière de logement diffère sensiblement en fonction des modes de vie (Schneider et Spellerberg, 1999, p. 219 et suiv.).
20Après avoir procédé à un examen critique des recherches en matière de modes de vie en fonction de l’espace, nous en retiendrons deux constatations. Premièrement, ces recherches portent en général sur les centres urbains à forte densité de population. On pense que l’on y trouvera une concentration de modes de vie extrêmement différenciés en raison de l’hétérogénéité socioculturelle et de la polarisation économique (Blasius et Dangschat, 1994). Cette conception étroite contredit les thèses selon lesquelles les recherches sur les modes de vie ont une validité universelle (Schulze, 1992). De surcroît, on considère normalement que les modes de vie sont indépendants, sans chercher à savoir quelle est leur valeur explicative relative par rapport aux structures sociales.
Choix de l’emplacement de l’habitation et déplacements quotidiens
21Le choix de l’emplacement de l’habitation et les déplacements quotidiens ne sont pas seulement deux variables dépendantes qui servent à étudier les modes de vie, mais des éléments liés entre eux. Ce lien n’a pas encore été convenablement analysé, même s’il a déjà été abordé dans les années 1970 dans des études d’urbanisme anglo-américaines (Chapin, 1974), et, de façon sporadique, en géographie sociale allemande (Troxler, 1986). Ce n’est que récemment que le lien entre le choix de l’emplacement de l’habitation et les déplacements quotidiens a été considéré et mis en application en urbanisme appliqué. Geier, Holz-Rau et Krafft-Neuhäuser (2000) comparent les options spatiales des populations établies depuis longtemps et des nouveaux arrivants dans la banlieue de Berlin. Il en ressort que « les nouveaux banlieusards » restent tournés, à moyen terme, vers le centre-ville, d’où des distances parcourues quotidiennement assez élevées. Cela vaut pour les allers et retours domicile-travail comme pour les déplacements à des fins d’achats ou de loisirs. Selon Scheiner (2002), il y a des différences notables à Berlin entre les options spatiales par rapport à l’origine spatiale. Si les habitants d’une même zone résidentielle de Berlin Ouest ont surtout pour destinations des lieux situés dans la partie ouest de la ville, l’inverse vaut pour les habitants de Berlin Est. Plusieurs auteurs font état de changements des modalités du déplacement à la suite d’un déménagement vers les banlieues – par exemple, d’une augmentation des distances parcourues ou de l’achat d’un second véhicule pour le ménage. D’autre part, le premier véhicule du ménage était déjà une condition indispensable du déménagement en banlieue, où presque tous les ménages sont motorisés (Herfert, 1997). De ce point de vue, il n’y a pas de lien de cause à effet évident entre le choix de l’emplacement de l’habitation et la modalité du déplacement. Ce que l’on constate en revanche, c’est qu’il faut s’attendre à d’importantes influences mutuelles entre mobilité à court terme et à long terme. On note que les ménages sans véhicule ont davantage tendance à choisir l’emplacement de leur habitation en fonction des transports publics et de la présence de petites infrastructures que les ménages dotés d’un véhicule, qui ont beaucoup plus de choix pour leur lieu d’habitation.
22Il n’y a pas que les déménagements : le maintien du lieu d’habitation peut aussi avoir un impact sur les modalités du déplacement en fonction de l’évolution de l’espace d’activité. Kalter (1994) étudie le contexte de la migration et des déplacements domicile-travail. Il en ressort un pourcentage accru de déplacements quotidiens sur de longues distances (de 2,6 % en 1985 on est passé à 6,6 % en 1997 – Vogt et al., 2001, p. 560) et une tendance à ne pas changer de lieu d’habitation. Il en conclut que les allers et retours domicile-travail remplacent de plus en plus les déménagements. Certaines personnes qui font ces déplacements y voient « le signe avant-coureur » d’un déménagement ou une solution à court terme avant un changement d’emploi, mais pour 46 % des personnes qui se déplacent chaque jour sur de longues distances, l’association logement-emploi est stable depuis au moins dix ans (Kalter, 1994, p. 465).
Intégration
23La figure 1 s’efforce d’intégrer en un concept de recherche les interdépendances examinées ci-dessus. L’accent est mis sur le choix du lieu d’habitation et les déplacements quotidiens ainsi que sur leur contexte commun et leur relation aux structures sociales. Les décisions relatives aux modalités du déplacement sont prises dans le cadre de certaines structures spatio-temporelles. Celles-ci ne déterminent pas les activités humaines (en particulier s’agissant des occasions de déplacements). Il faut plutôt y voir des ressources dynamiques et perméables. Les structures spatio-temporelles sont des macrostructures faites de prescriptions spatiales et temporelles universelles et nationales (par exemple la division spatiale du travail, la planification régionale au niveau de l’Union européenne, l’infrastructure de transports rapides) ainsi que de structures d’habitat et régimes d’utilisation du temps à l’échelle de villes et de quartiers tels que : occupation des sols, qualité de la vie dans les communautés locales, régimes d’utilisation du temps à petite échelle (par exemple heures d’ouverture, accords sur les emplois du temps), de la situation du contexte urbain, etc. Les interprétations doivent se faire en fonction des conditions économiques, sociales, politiques et techniques (par exemple du marché immobilier, des aides fiscales au logement, des taxes en relation avec la mobilité). Ni les modes de vie ni la mobilité ne peuvent être considérés en dehors des cadres macrostructurels.
Structure du concept de recherche
Structure du concept de recherche
Conception : Scheiner. Voir aussi Hesse/Trostorff (2002).24Les structures sociales et situations sociales, d’une part, et les modes de vie, d’autre part, doivent être vus les uns par rapport aux autres, même si les modes de vie dépendent davantage de la position sociale que l’inverse. À cet égard, l’expression « mode de vie » a là un sens légèrement différent de celui qu’elle a en sociologie. La mobilité n’est pas seulement fonction des projets esthétiques et des modes de consommation, mais aussi des types de ménages, avec leur façon spécifique de gérer le temps, leur curriculum vitae et leur accès aux transports ainsi qu’aux technologies de l’information et de la communication. Ainsi, les modes de vie « choisis » sont tributaires de conditions structurelles qui peuvent restreindre ou élargir les options.
25Si les modes de vie dépendent en partie des situations sociales, ils ne conviennent pas comme modèles exclusifs d’explication dans les travaux de recherche sur la mobilité. Dans ces travaux, la valeur du concept de mode de vie réside essentiellement dans la différenciation des structures sociales par la prise en compte des modèles subjectifs d’explication, des buts d’activité, de l’orientation des valeurs, des préférences et affiliations (sub)culturelles. Comme ni les structures spatiales ni les structures sociales ne peuvent orienter le comportement (en matière de mobilité), les recherches sur les modes de vie sont en mesure de fournir des explications différenciées concernant des groupes cibles, à la différence des modes d’explication actuelles plus uniformes qui se fondent sur des facteurs socio-économiques et démographiques.
26D’une part, la mobilité effective est l’expression d’un comportement social et est l’aboutissement d’objectifs et de valeurs individuelles. D’autre part, elle s’inscrit dans un contexte social et spatial (figure 2). C’est précisément en opposition à ce contexte qu’apparaissent les marges à l’intérieur desquelles la mobilité est possible. Cependant, ces marges ne sont pas structurellement fixées mais peuvent varier au niveau individuel, par exemple du fait de la mobilité proprement dite. Il est donc important de noter que les contextes, s’ils ne sont pas choisis par l’individu, sont des conditions et non des causes du comportement.
Le contexte de l’action
Le contexte de l’action
Conception : Scheiner.27Comme on l’a déjà indiqué, l’idée de base est ici que ce qui caractérise les différents groupes de styles de vie, ce sont des formes de mobilité spécifiques. De la sorte, sur le plan méthodologique, le choix de l’emplacement du logement et les déplacements quotidiens sont considérés comme des variables dépendantes. La faculté à déménager pourrait s’analyser sous l’angle de l’ampleur de la mobilité ou de la persistance (occupation du logement, nombre de déménagements pendant une période donnée, distances) et du choix de l’emplacement. Les raisons des déménagements sont également pertinentes étant donné qu’elles correspondent à des structures spatiales. Si la mobilité locale et régionale est due à l’insatisfaction devant les conditions de logement ou à des raisons personnelles (naissance d’un enfant, mariage), la mobilité sur une longue distance est essentiellement liée au changement d’emploi (dans le cas de Francfort-sur-le-Main, voir Dobroschke, 1999).
28Le type, la quantité et la chronologie des activités, le choix des destinations et l’orientation spatiale (espaces d’activité), les distances parcourues et le choix des modes de déplacement constituent les aspects essentiels des déplacements quotidiens.
29L’analyse de ces aspects va au-delà des études actuelles sur les modalités du déplacement propres au mode de vie, qui se focalisent sur le choix du mode de transport. Le choix du lieu d’habitation et les déplacements quotidiens sont considérés comme étroitement liés l’un à l’autre, la priorité étant accordée à l’impact du changement de logement sur les déplacements quotidiens : le premier étant une décision à long terme qui commande les déplacements quotidiens et qui, en fait, se situe entre le mode de vie et les déplacements quotidiens. Inversement, il ne fait aucun doute que certaines formes de déplacements quotidiens influent sur le choix du lieu d’habitation. Enfin, aussi bien le choix des modes de transport que les orientations spatiales quotidiennes (lieu de travail, réseau social, loisirs) restent relativement stables.
30Ainsi résumée, cette approche peut sembler abstraite. Dans les sections qui suivent, nous allons donner un exemple des avantages que l’on peut tirer de son application à une enquête empirique qualitative portant sur un quartier et montrer comment ces résultats peuvent être appliqués à des modes durables de mobilité et d’urbanification.
Étude empirique : le contexte de la planification
31En recherche appliquée, il est essentiel de savoir comment des environnements bâtis répondront aux exigences nouvelles qui résultent de modes de vie moins prédictibles, de la pluralisation des modes de vie et de la différenciation des concentrations socio-spatiales. La résistance de plus en plus marquée à la mise en œuvre de grands projets ou de rénovations générales de quartier dans les années 1980 a abouti à des méthodes de planification globales ou participatives. Malgré les tendances à la mondialisation et au développement à grande échelle, ces conceptions restent valables, en particulier au niveau du quartier, où s’exercent et trouvent leur surface de projection la plupart des modes de vie. De surcroît, les quartiers constituent le contexte spatial où des modes de vie spécifiques peuvent créer des milieux. C’est pourquoi, le point de référence spatial du projet de recherche « StadtLeben » est le quartier. Celui-ci occupe une position cruciale s’agissant des déplacements quotidiens durables parce qu’un resserrement des liens spatiaux qui rattachent les résidents à leur quartier signifierait une diminution des distances, une réduction de la circulation et un renforcement des modes de circulation non motorisés.
La référence spatiale
32Trois quartiers de Cologne (Allemagne) ont été choisis en tant que contexte spatial du projet de recherche sur la base de certains critères. Les types retenus devaient différer nettement l’un par rapport à l’autre en même temps que chacun devait être un exemple typique de quartier. Les différences concernent :
- la distance par rapport au centre de la ville et la présence de transports publics (accessibilité) ;
- la structure sociale et démographique (âge moyen, taille des ménages, revenu) ;
- la dynamique du développement (développement urbain, changements de logement) ;
- les lacunes (environnement construit, mobilité sociale et spatiale).
- Ehrenfeld, un quartier du centre de la ville (style « Wilhelminien »), construit à la fin du xixe siècle ;
- Stammheim, une cité à l’intérieur du premier périphérique (« style fonctionnaliste moderne »), avec des barres d’immeubles de trois ou quatre étages construits dans les années 1960 ;
- Esch, une banlieue construite à partir d’un village rural, qui s’est régulièrement agrandi depuis les années 1950 avec des rangées de maisons individuelles ou de maisons jumelées.
Méthodes de recherche empirique
33Pour étudier et définir les modes de vie dans ces trois quartiers, on a recouru à plusieurs méthodes empiriques. D’abord, on a procédé à une enquête classique avec 180 entretiens dans chaque quartier où ont été abordés des points tels que le choix du lieu d’habitation, la satisfaction en matière de logement, les modes de déplacement, les modes de vie, les réseaux sociaux, les technologies de l’information et de la communication, les cadres comportementaux dans le quartier, les modes de transport disponibles et les informations socio-démographiques. Deuxièmement, on a procédé à une vingtaine d’entretiens personnels avec des résidents et spécialistes de chaque quartier. Nous avons ainsi obtenu une idée approfondie des quartiers étudiés en tant que « microcosmes » spatiaux et sociaux. Par rapport à l’enquête classique, elle nous a permis de mieux comprendre les problèmes de mobilité, la pertinence de l’accessibilité en tant que facteur de choix du lieu et les relations mutuelles entre groupes aux modes de vie différents au sein d’un quartier.
34Les « spécialistes » sont ici des personnes qui travaillent dans le quartier avec ou pour des groupes spécifiques de résidents et qui connaissent très bien la communauté, ses problèmes et sa dynamique en raison de leurs responsabilités professionnelles (par exemple le pasteur, le maire (Alderman), l’épicier, le directeur d’école, le fonctionnaire de police, le responsable d’un club de jeunes, l’administrateur de la société de logement). Les questions posées aux spécialistes étaient les mêmes (choix du lieu d’habitation, etc.), mais ils ont été en outre interrogés sur leur relation professionnelle avec le quartier et les réseaux professionnels. En général, ces entretiens avaient pour but de comprendre la signification commune et subjective des attitudes et regroupements dans le quartier. Étant donné que ces spécialistes ont pour fonction de conseiller des personnes qui ne sont pas d’ordinaire associées aux processus de planification, il faut interpréter leurs jugements et points de vue pour comprendre les conceptions qui régissent les déplacements quotidiens et les modes de vie. En ce qui concerne les perspectives du quartier, les entretiens étaient axés sur les différents modes de vie ou communautés qui y cœxistent ou qui y sont en conflit. Le quartier est traversé d’intérêts divers, qui ont pour effet des possibilités sociales et spatiales, des désirs de changement ou des stratégies pour s’accommoder d’une structure donnée.
35L’analyse qui suit offre un bref résumé des résultats des entretiens qualitatifs semi-structurés avec les experts et résidents. On trouvera d’abord une comparaison entre les trois zones étudiées et, en second lieu, à titre d’exemple, une étude spécifiquement consacrée au quartier de Stammheim.
Comparaison entre quartiers : les résultats des entretiens avec les experts
36Ehrenfeld est un quartier où, en règle générale, on ne s’occupe pas de ses voisins. Des groupes ethniques et sociaux différents cohabitent dans un cadre fonctionnel et structurel diversifié. En ce qui concerne le choix du lieu de travail, les raisons données par les spécialistes diffèrent beaucoup, mais tous affirment que c’est la variété des groupes de population qui attire ceux qui choisissent d’habiter et de travailler à Ehrenfeld et qui crée des liens de connexité. En réalité, la variété sociale et ethnique n’en fait pas un ensemble idyllique de convivialité dans la multiplicité des modes de vie ; ceux-ci ont plutôt tendance à exister côte à côte. Le pourcentage élevé de déménagements l’explique en partie : en 2000, les installations et départs étaient de 14,2 % contre 8,6 % à Stammheim et 5,5 % seulement à Esch (Stadt Köln, 2001). À Ehrenfeld, on trouve donc beaucoup de gens aux origines et aux parcours très différents. Cependant, pour nombre d’entre eux le quartier représente une étape de leur vie, et on peut noter qu’y prédomine un mode de vie où la socialisation se fait en dehors du domicile. Le quartier est marqué par une vie urbaine trépidante qui n’est pas sans effet sur les déplacements quotidiens (l’infrastructure étant bonne, la localité est bien pourvue). En même temps, elle affaiblit la cohésion sociale et la connexité à long terme avec le quartier.
37À Esch, tous les experts estiment que le quartier reste proche du « monde idéal », même si ce n’est pas toujours sans accroc. Il y règne une atmosphère de club fermé éloigné de la ville sans que le quartier soit pour autant totalement privé des avantages de la ville. L’attachement à ce lieu est l’aboutissement d’un vif sentiment de contribuer au moins dans une certaine mesure à la vie de la communauté et de bénéficier d’un soutien mutuel. Par rapport aux deux autres quartiers, on trouve à Esch une orientation marquée vers l’uniformité des modes de vie (tournés vers la famille, la vie privée et les goûts des classes moyennes) et la motivation « d’arriver » dans une communauté.
38Du point de vue de la planification des transports, le plus gros problème à Esch est l’utilisation massive des voitures individuelles, en particulier étant donné que leur nuisance (bruit, pollution) touche davantage les habitants du centre ville que la population d’Esch proprement dite, en raison de la structure radiale et tournée vers le centre des déplacements domicile-travail. Cependant, du point de vue des résidents d’Esch, ce n’est pas véritablement un problème étant donné qu’un accroissement des infrastructures et d’autres éléments d’urbanisation toucherait leur « monde quasi idéal » et pourrait amener certains à déménager plus loin. En matière d’urbanisme, la première chose à faire serait donc peut-être de signaler qu’un problème objectif se pose au-delà de la justification subjective et individuelle de l’utilisation de la voiture.
39Par opposition, Stammheim est considéré par les spécialistes locaux comme un lieu « différent », et ils estiment que travailler dans le quartier ou pour le quartier est un « pari difficile ». Stammheim est considéré avec mépris et n’a guère d’identité positive, ce contre quoi les spécialistes s’appliquent précisément à lutter.
40Ce qui caractérise Stammheim, c’est une séparation nette entre les différents groupes de population. Construit en 1963-1964 à proximité du vieux village de Stammheim, le quartier abrite des modes de vie très différents : celui des « autochtones » du vieux Stammheim, celui des premiers habitants du nouveau Stammheim – qui, entre-temps, sont passés de la famille au ménage du troisième âge – et ceux des diverses vagues d’immigrés, qui ont été installés dans les logements publics. Pour tous ces groupes, les choix de logement étaient restreints. Selon l’interprétation d’un spécialiste, faute de choix les gens ont eu du mal à se rapprocher, ce qui est à l’origine (en dehors des problèmes sociaux et économiques) de conflits internes et d’une suspicion explicite. Cependant, les spécialistes dédramatisent en général les conflits, précisément parce qu’ils sont prévisibles. Ils y voient une exagération et insistent sur l’image de Stammheim comme « quartier encore plutôt normal » qui, tout comme Ehrenfeld et Esch, incarne le « chez-soi » pour les résidents de longue date.
« Interdit aux enfants mais pas aux chiens » : les résultats des entretiens avec les résidents de Stammheim
41Faute de place, on ne retiendra des nombreux thèmes des entretiens que trois sujets : 1) la pertinence des déplacements quotidiens et de l’accessibilité pour les décisions d’implantation, 2) les espaces verts en tant qu’indicateurs de la qualité du loisir dans le quartier, 3) la régulation sociale contre l’anonymat dans le quartier en tant qu’indicateur des relations entre différents groupes sociaux et modes de vie. Le premier thème est en rapport avec des observations que nous avons faites plus haut sur les relations entre le changement de logement et les déplacements quotidiens. Les deux autres sont des facteurs essentiels de qualité de vie et de satisfaction, qui pourraient éventuellement offrir l’occasion de renforcer les liens à l’intérieur d’un quartier et de diminuer la circulation (liée aux loisirs) en réduisant les distances et en favorisant les modes de déplacement non motorisés.
L’installation à Stammheim : les déplacements quotidiens et l’accessibilité ne sont pas des critères pertinents
42S’installer à Stammheim n’est généralement pas synonyme de décision explicite. C’est plutôt parce qu’une occasion est saisie. Généralement, les personnes interrogées sur les raisons de leur venue à Stammheim invoquent « le hasard ». Les facteurs les plus répandus sont les parents et amis qui habitent déjà à Stammheim et qui en disent du bien quand un appartement se libère. De la sorte, les quartiers sont « légués » un peu comme des maisons le sont par leurs propriétaires. Le choix du lieu de résidence n’est donc pas seulement une décision déterminée par la loi de l’offre et de la demande ; il est aussi préconditionné par le lieu où l’on a grandi. La diversité des surfaces des appartements est un avantage si l’on veut déménager quand les circonstances de la vie changent. La société publique de logement supervise, en principe, tous les appartements de Stammheim, ce qui garantit théoriquement la transparence absolue du marché. Cela facilite les choses pour les personnes qui souhaitent rester et conserver les mêmes relations.
43Les possibilités d’accès au lieu de travail, aux centres commerciaux, aux transports publics – la mobilité dans son ensemble – ne jouent pas un rôle essentiel dans le choix du lieu d’habitation. L’accès aux transports publics, en particulier, est jugé comme un élément positif mais non décisif du choix du lieu. Cela ne signifie bien sûr pas qu’il n’y a pas de lien étroit entre le changement de logement et les déplacements quotidiens, mais que ce lien n’entre pas en compte dans les calculs subjectifs des résidents, dans la mesure où une décision en faveur de Cologne comme région a déjà été prise. Il n’importe guère pour les résidents que leur lieu de travail soit à deux ou dix kilomètres de chez eux tant qu’il se trouve à un temps-distance acceptable.
Régulation sociale ou anonymat : l’air des villes rend-il les êtres humains véritablement libres ?
44À Stammheim, les relations entre groupes d’habitants et la diversité de leurs intérêts et modes de vie sont dominées par le fait que l’ensemble du parc locatif est la propriété d’une société de logement. Depuis les années 1960, un code de comportement clair et strict s’est imposé (notamment sous forme de « règlements d’immeubles »). Ces règlements ont été officialisés par les locataires installés de longue date et n’ont jusqu’à présent pas été contestés. Les locataires estiment maintenant qu’il est de leur devoir de remédier au laxisme des gardiens d’immeubles des années 1960 et 1970. Ils s’estiment responsables de la régulation et du maintien de l’ordre social, alors que les locataires « plus jeunes » jugent que cette surveillance est excessive : « Les vieux guettent derrière leurs rideaux […]. Ils ne travaillent plus mais surveillent tout. Du balcon, on les entend parler de tout le monde » (Mme L.). Les « nouveaux » gâchent les plaisirs paisibles des retraités et menacent leur mode de vie.
45Il existe aussi des disparités entre les traitements (jugés à tort ou à raison injustes) réservés aux locataires lorsqu’il s’agit de rénover les appartements après un départ. Outre qu’elle est perçue comme une injustice, cette question est considérée comme affectant la qualité des logements et comme cause de mécontentement à l’égard de la société de logement. De surcroît, les possibilités d’adaptation des logements au goût personnel sont restreintes du fait que, lorsqu’on quitte un appartement, il faut le remettre dans son état initial et ôter les meubles encastrés (par exemple les cuisines intégrées). Là encore, les modes de vie tournés vers le privé et les vieux locataires sont désavantagés puisque les modes de vie centrés sur le foyer ont du mal à se prolonger.
46En dehors de la question de l’« égalité », le voisinage dans des appartements mal insonorisés est un chapitre important de la régulation sociale entre locataires. Toute forme d’activité organisée dans les appartements ou leurs environs qui s’accompagne de communication ou d’amusement est source de gêne pour les autres résidents. D’où des désagréments mutuels liés au bruit et, en fin de compte, des disputes qui à chaque fois deviennent un événement semi-public. Le sentiment d’agression est particulièrement vif et les accusations sont promptes. Par exemple, il y a eu des heurts entre adolescents d’origine turque et russe et Mme J. a déclaré « nous craignions pour nos enfants et pensions partir mais, depuis, tout s’est arrangé ». Par rapport aux autres quartiers étudiés, ces aspects suscitent un désir de changement social, en particulier en ce qui concerne la composition sociale des habitants, ainsi qu’un désir très élevé de protection contre la violence.
Espaces verts et espace public : zones tampons et centre oublié
47Les espaces verts dominent à Stammheim, et servent de zone tampon entre les barres d’immeubles. Autrefois, ils étaient le lieu de conflits entre gardiens, enfants et mères : « interdit aux enfants, autorisé aux chiens » (Mme P.). Faute de solution de remplacement, l’interdiction était régulièrement violée, même lorsque les conséquences en étaient prévisibles. « Les employés de la société de logement suivaient les enfants, prenaient des photos et déposaient plainte » (Mme P.).
48Dans le quartier, on ne trouve aucun site qui puisse être qualifié de « beau » ou « charmant ». Les habitants regrettent qu’il n’y ait pas dans le quartier d’endroit où l’on puisse aller, se rencontrer, flâner ou se reposer. L’espace situé en face de l’église ou le centre socioculturel sont étroitement tributaires d’une intention fonctionnelle et ne peuvent jouer le rôle de parvis ou de place du marché. « Le parking devant le centre socioculturel est lugubre. La nuit, je n’ose pas passer à côté » (Mme J.). Pour se promener, les habitants préfèrent quitter leur cité et aller au bord du Rhin ou dans le parc du Palais au nord. La plupart des résidents se retirent dans la vie privée, ils se barricadent en quelque sorte pour se protéger de la vie publique. D’autres qualifient Stammheim de « banlieue dortoir » et désirent davantage de vie publique, avec des clubs, des associations, des fêtes de quartier et des rues animées. La structure spatiale de Stammheim répondait bien aux besoins à l’époque où la cité a été construite. Mais, avec le temps, les modes de vie à Stammheim se sont diversifiés. Comme l’environnement construit n’offre plus un espace adapté à la diversité des besoins, les scénarios à mettre en place doivent prévoir des différenciations spatiales.
49En résumé, on ne peut plus considérer des cités du type de Stammheim comme des quartiers anonymes ou des lieux de transit. Des réseaux de voisinage solides se constituent à l’occasion de rencontres, d’amitiés ou de liens familiaux. Leur expression spatiale se manifeste par des modes de vie. De surcroît, ces réseaux servent à se démarquer des groupes indésirables. En particulier, des limites sont tracées entre les résidents de longue date et leur famille, d’un côté, et les nouveaux résidents, de l’autre. La régulation sociale exercée par les premiers est facilitée par la clarté de l’espace public, puisqu’il n’y a pas moyen de se retirer dans un espace semi-public, que l’alignement des immeubles résidentiels ne le favorise pas et qu’il s’ensuivrait inévitablement des perturbations. Enfin, une mise en œuvre floue de règlements qui sont officiellement stricts mais mal appliqués aggrave l’ambiguïté. Quant aux espaces verts, ils constituent une zone tampon dysfonctionnelle que l’on ne peut s’approprier. Enfin, l’absence de centre contribue à l’abandon du quartier pour les activités quotidiennes. D’où une incompatibilité entre modes de vie différents et une non-adaptabilité de l’environnement socio-spatial aux nouveaux modes de vie.
50Dans l’ensemble, on peut dire que les bâtiments, espaces publics et structures d’organisation ne correspondent plus au fait que les besoins et modes de vie des résidents sont différents. Cela ressort tout particulièrement de la gêne qu’occasionnent des modes de vie tournés vers l’extérieur, qui privilégient certains loisirs et modes d’interaction. L’environnement construit est devenu incompatible avec l’hétérogénéité des modes de vie.
Le passage à la planification : la conception sociospatiale
51Un des buts du projet est d’appliquer les connaissances acquises quant aux relations mutuelles entre logement, mode de vie et déplacement à une utilisation urbanistique pratique. La méthode pour ce faire consiste à associer la recherche et la planification pour obtenir des résultats qui se rapprochent de ce qu’on pourrait qualifier de « réalité ». La durabilité économique et sociale est fonction de la compatibilité de structures spatiales et organisationnelles, d’une part, avec, d’autre part, des modes de vie réels et choisis chez les résidents. Si l’hypothèse dont on est parti dans la section précédente est juste, il faut trouver le moyen de combler l’écart entre les besoins propres au style de vie des résidents de Stammheim et les structures environnementales.
52S’agissant des divers types de problèmes et de l’hétérogénéité des intérêts des résidents, l’effort pour combler cet écart doit 1) aller au-delà de la planification classique (bâtiments, infrastructures, etc.), 2) ne pas négliger la capacité des résidents à défendre eux-mêmes leurs intérêts. L’instrument de cette démarche – où la planification est conçue de façon plus proche des exigences de la « réalité » – est la « conception sociospatiale ». Ce n’est pas seulement ce que l’on appelle d’ordinaire « plan » ; c’est plutôt un ensemble potentiel de mesures et stratégies à différents niveaux :
- concepts de planification pour l’environnement construit (par exemple lien avec le réseau public de transport) ;
- conceptions ou scénarios structurels (par exemple utilisation et surveillance des espaces verts, répartition des habitations) ;
- modèles de participation (par exemple avec la société de logement, les responsabilités nouvelles).
- Statu quo : il s’agit de faire en sorte que la situation ne s’aggrave pas. Le point de départ est l’idée que Stammheim n’est pas (encore) un foyer de difficultés sociales insurmontables. On n’utilisera que les instruments classiques pour remédier aux insuffisances futures.
- « Intervention ad hoc » : il s’agit de mener des actions sociales, comme par exemple d’organiser ou de mettre en place des moyens pour régler des problèmes urgents imminents pour des groupes sociaux différents en prenant diverses mesures de construction ou d’organisation. Ce scénario a de bonnes chances de réussite parce que la municipalité de Cologne, les sociétés de logement et diverses organisations sociales travaillent dans ce sens pour remédier aux problèmes. L’inconvénient, c’est qu’il est peu probable que l’on rendra ainsi plus compatibles les modes de vie et le contexte spatial.
- « Embourgeoisement » : il s’agit d’amener des groupes à venir habiter le quartier, et d’autres à le quitter. On construira de nouveaux appartements de grand standing pour habitants aisés soit en ajoutant un étage ou plus aux immeubles, soit en construisant de nouveaux immeubles entre les anciens. La structure spatiale et organisationnelle sera conservée.
- « Les copropriétés du Rhin » : la structure spatiale restera la même mais l’organisation sera adaptée aux modes de vie modernes (par exemple services aux ménages). Ce pourrait être un ensemble de luxe sur le Rhin pour des groupes de propriétaires ou de locataires aisés. Actuellement, il y a à Cologne une demande de logements de grand standing. Les habitants actuels seraient relogés.
- « Démolition et rénovation » : aide à la propriété pour des « jeunes familles » : cela suppose le relogement des habitants actuels et un développement fondé sur les maisons individuelles pour les classes moyennes.
- « Démolition et rénovation » : création de nouveaux logements sur la base d’un concept urbanistique : structure diversifiée de propriétaires, densités, usages et fonctions différents. Cela pourrait aboutir à une communauté autonome.
- « Parcellisation et privatisation sous la direction des habitants » : s’il s’avère que l’environnement construit peut être modifié convenablement mais que la structure administrative est le principal problème, la zone pourrait être divisée en lots, ce qui donnera de l’espace pour les habitants actuels ainsi que pour de nouveaux ensembles urbains. Des lots supplémentaires pourraient être créés pour que ce scénario soit rentable, et la flexibilité serait favorable à des modes de vie différents.
53Les scénarios seront examinés, testés et proposés lors de l’atelier ; il s’agit de savoir le type d’impact propre à chacun. En ce qui concerne les conséquences spatiales, sociales et économiques, les scénarios seront établis de façon à rendre les évaluations plus faciles de la part des participants. En ce qui concerne la mobilité, une évaluation de ses conséquences figurera également dans chaque scénario ; il s’agit de savoir quels sont les résultats des scénarios sous l’angle des migrations des anciens et nouveaux habitants et du développement de la mobilité dans l’espace. Chaque quartier aura pour responsabilité de déterminer s’il faut élaborer de nouvelles structures de communauté ou d’accessibilité.
Perspectives
54Le développement de la mobilité spatiale en relation avec l’individualisation et la pluralisation des modes de vie est de plus en plus incompatible avec la réglementation par voie de planification. On s’en aperçoit à la dispersion de plus en plus marquée dans l’espace, qui va contre les politiques d’utilisation des sols et les programmes de planification régionale, ainsi qu’au succès mitigé d’une planification des transports orientée vers l’offre. Il semble en particulier qu’il y ait une conception insuffisante de la mobilité spatiale en tant que processus durable de choix de lieu d’habitation et d’activités quotidiennes. Le module de recherche présenté ici est précisément conçu pour remédier à cette insuffisance en reliant le comportement (notamment en matière de mobilité), la structure sociale et la structure spatiale. Si l’on veut que la mobilité et les structures spatiales se développent plus durablement, cette approche est indispensable ; en effet, les recherches sur la mobilité et la planification des transports ne peuvent se faire durablement si l’on part de l’hypothèse que l’espace et la mobilité entretiennent un lien de cause à effet direct.
55Pour l’urbaniste, la difficulté est de combiner différenciation des modes de vie et tâches traditionnelles. Bien que l’on prévoie souvent un recours accru aux services d’information et de communication, le quartier reste un foyer de vie humaine et constitue le décor des modes de vie. À mesure que les besoins se diversifient, la conception et l’organisation de l’environnement local ainsi que le choix de l’emplacement du logement ont des impacts très importants sur les déplacements quotidiens.
56Stammheim ne constitue pas une exception. En Allemagne, de nombreux quartiers semblables à Stammheim passent par une phase de transformation fondamentale. Étant donné que le développement général de ces quartiers et les autres options structurelles ne sont pas examinées de près, ce que l’on voit apparaître, c’est une multiplicité de solutions de circonstances qui n’aboutissent pas à des solutions durables. Les quartiers ne sont pas adaptés aux demandes et besoins nouveaux qui apparaissent avec la différenciation des modes de vie.
57Des interprétations comparables des modes de vie, quartiers, communautés et déplacements peuvent être intégrées dans la conception de la planification du logement et de la mobilité. Ces concepts feront le lien entre la recherche fondamentale et l’urbanisme appliqué. Dans l’hypothèse où le comportement spatial se détache de plus en plus des cadres (infra)structurels, la planification doit également se dégager de ces conditions. Le « concept » ne s’ajuste pas étroitement dans des schémas bidimensionnels. Il faut une conception plus large de la planification qui prenne en compte un schéma plus individualisé et orienté sur la demande, avec une riche panoplie de mesures organisationnelles, infrastructurelles, constructives et politiques. Alors, l’expression « planification intégrée » prendra tout son sens.
58Traduit de l’anglais
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