Couverture de RISS_176

Article de revue

Une politique novatrice aux États-Unis dans le domaine des transports, de l'aménagement du territoire et de la qualité de l'air

Enseignements pour les changements de politiques dans d'autres pays

Pages 341 à 353

Note

  • [*]
    Je tiens à remercier le German Marshall Fund des États-Unis qui m’a attribué une bourse d’études pour l’environnement, ainsi qu’Andrea Broaddus pour son aide.

Introduction

1Le plus souvent, les débats sur les moyens de parvenir à une mobilité plus durable se concentrent sur les habitudes de déplacement des particuliers, mais le système de transports est également fortement influencé par le comportement des institutions. Le présent article examine les changements intervenus au cours des onze dernières années, comme suite à l’adoption d’une loi novatrice, dans les mécanismes de planification et de financement des transports aux États-Unis d’Amérique.

2Toutes les politiques américaines génératrices de progrès en matière de qualité de l’air et d’aménagement du territoire sont, d’une façon ou d’une autre, liées à deux lois et influencées par celles-ci, à savoir l’Intermodal Surface Transportation Efficiency Act (istea – Loi sur l’efficacité du transport de surface intermodale) et le Transportation Equity Act for the 21st Century (tea 21 – Loi sur l’équité dans les transports pour le xxie siècle). Cette législation fédérale, adoptée en 1991 (istea) et renouvelée en 1997 (tea 21), postule une relation étroite entre le système de transports et son impact sur l’environnement. Les programmes de dépenses qui en ont résulté ont entraîné d’importants changements dans le processus de planification des transports. L’istea et le tea 21 ne sont pas seulement des énoncés ambitieux de politique générale : elles visent également à traduire une nouvelle vision politique en dispositions concrètes, mécanismes de financement et exigences de planification.

3Dans le présent article, nous nous proposons de rechercher des leçons qu’il est possible de tirer du changement de modèle induit par l’adoption de l’istea. À l’heure actuelle, les décideurs des pays européens doivent faire face à des critiques de plus en plus aiguës concernant les programmes de financement des transports. À cet égard, les aspects novateurs de l’istea et du tea 21 peuvent nourrir le débat politique et technique en Europe. Aux États-Unis, le thème est d’actualité car la tea 21 expire au cours de l’année 2003. Le débat sur son renouvellement est déjà engagé. Une évaluation de la façon dont les réformes introduites par l’istea ont été mises en œuvre peut contribuer à mettre en évidence les points importants qui devront être abordés lors du processus de renouvellement de la loi.

4Le présent article est fondé sur une étude des travaux publiés sur la question et sur plus d’une trentaine d’entretiens de l’auteur avec des spécialistes, organisés dans le cadre d’un voyage d’études de cinq semaines en septembre-octobre 2000 grâce à une bourse du German Marshall Fund. L’auteur a rencontré des spécialistes du Ministère fédéral des transports, de plusieurs groupes de pression à Washington D.C., de divers organismes de planification des transports d’agglomérations urbaines, des Ministères des transports de divers États, de sociétés de consultants et de plusieurs instituts de recherche. Pour illustrer notre propos, nous avons introduit à divers endroits des citations des personnes interviewées. Afin d’en préserver l’anonymat, il est seulement fait mention du type d’organisme auquel appartient la personne citée.

Le point de départ : la prédominance de l’automobile

5De toutes celles du monde, la société américaine est la plus axée sur l’automobile. Dans la plupart des régions, le tissu urbain est constitué de telle façon qu’il est pratiquement impossible de vivre sans voiture. Les conséquences d’une telle situation sont visibles : dégradation de la qualité de l’air, encombrements de la circulation et ségrégation sociale. Dans des agglomérations tentaculaires où il n’existe aucun substitut à l’automobile, l’accès aux emplois devient problématique, particulièrement pour les ménages à faible revenu. Mais même pour ceux qui ont une voiture, les déplacements quotidiens (pour aller au travail, faire les courses, etc.) demandent beaucoup de temps en raison des longues distances à parcourir. Dans de nombreuses familles américaines, ce sont les mères qui se déplacent le plus ; elles passent en moyenne plus d’une heure par jour au volant (notamment pour organiser les loisirs de leurs enfants : d’où l’expression « soccer moms » (mamans football) qui leur est souvent appliquée). Les effets environnementaux des véhicules à moteur sont parfaitement connus. On estime à 113 millions le nombre des citoyens américains qui respirent un air insalubre, alors que l’asthme sévit à l’état endémique. L’aggravation des effets environnementaux et sociaux est telle que le système de transports aux États-Unis n’est plus viable. Il est impératif de trouver des substituts à l’usage de l’automobile.

6Même si l’expérience américaine montre que l’utilisation intensive de l’automobile conduit à une détérioration de la qualité de l’environnement et de la qualité de la vie en général, il semble que tous les autres pays industrialisés s’engagent dans la même voie, celle d’une trop grande dépendance par rapport à l’automobile. C’est pourquoi il est intéressant d’étudier comment réagit le système politique et administratif dans une situation où il pourrait être nécessaire de rompre avec une politique qui a prévalu pendant plusieurs décennies.

Le cadre de l’istea/du tea 21. Les lois sur le financement des transports

7L’istea a constitué l’innovation la plus importante dans la législation fédérale en matière de transports depuis 1956. Cette loi a permis d’introduire une approche plus globale de la planification des transports, en lieu et place de la conception du « tout-routiere » qui avait prévalu auparavant dans ce domaine. Pour la première fois, l’istea a permis d’établir une certaine équité entre les transports routiers et les autres modes de transport. Il a contraint à adopter une vision plus large des investissements en matière de transports et à prendre en considération l’impact global des décisions sur l’environnement. En sus d’établir de nouvelles priorités, l’istea a introduit des innovations dans le processus de décision, qui ont conduit à faire une plus grande place à l’intermodalité et permis un redéploiement des financements entre les différents modes de transport. La loi a également consacré l’importance des collectivités territoriales et de la participation du public au processus de décision.

8Intermodalité : L’istea reconnaît l’importance des déplacements à bicyclette et à pied et prescrit leur incorporation dans les plans des régions et des États. Même si maintes stratégies axées sur la demande de transport étaient mises en œuvre dans de nombreuses zones avant l’adoption de l’istea, la nouvelle loi a renforcé leur crédibilité et l’attention qui leur était portée. L’istea a également obligé à prendre en considération l’efficience du fret, qui a été introduit dans les plans de transports dans de nombreux secteurs.

9Souplesse en matière de financement : L’istea a levé les obstacles qui limitaient l’affectation des taxes sur l’essence aux seules infrastructures routières. Les nouvelles dispositions ont donné aux collectivités locales la latitude de choisir les solutions les mieux adaptées à leurs besoins en matière de transport. La loi a créé une vaste gamme de nouveaux programmes et de dispositifs souples de financement permettant aux États de redéployer les fonds en fonction des objectifs régionaux.

10Prise de décision au niveau local : L’istea a permis de transférer d’importantes prérogatives du gouvernement fédéral au bénéfice des États et des collectivités locales. Un rôle beaucoup plus important a été dévolu aux instances locales dans le choix des projets. L’istea a redéfini les Metropolitan Planning Organizations (mpo – Organismes de planification des transports dans les agglomérations urbaines) comme « l’instance de concertation des décisions en matière de transports pour une zone urbanisée ». En vertu de la loi, incombe aux mpo de traiter de l’ensemble des effets sociaux, économiques, énergétiques et environnementaux des décisions en matière de transports. Par ailleurs, la réglementation renforce sensiblement la participation du public, la contribution des citoyens et des ong est désormais mieux intégrée au processus de planification.

11Conséquences pour l’environnement : L’istea établit une relation étroite entre les transports et leur impact environnemental. Les amendements apportés en 1990 à la Clean Air Act (loi sur la lutte contre la pollution atmosphérique) comportaient de nouvelles dispositions qui enjoignaient aux États d’établir une meilleure coordination entre les transports et la qualité de l’air. La Clean Air Act faisait peser une plus grande responsabilité sur le secteur des transports quant à l’amélioration de la qualité de l’air, mais ne prévoyait pas de sources de financement donnant aux États les moyens de satisfaire aux nouvelles normes. L’istea impose une cohérence avec les prescriptions de la Clean Air Act et le complète en prévoyant un financement permettant aux États d’atteindre les objectifs en matière de qualité de l’air.

12Prescriptions en matière de planification : L’istea dispose que certains paramètres de planification au niveau des régions et des États doivent être pris en compte dans le processus de planification, afin que la planification des transports se fasse de façon plus globale. Parmi les prescriptions à respecter, on peut noter la prise en compte des effets des décisions en matière de transports sur l’aménagement du territoire et l’exigence de cohérence entre l’aménagement du territoire et les plans de transports. C’est également la première fois que le gouvernement fédéral imposait une planification des transports au niveau des États. Alors que les collectivités locales avaient établi des plans de transports à long terme depuis de nombreuses années, le processus était moins formalisé au niveau des États.

Qu’est-ce qui a rendu possible un changement de politique à travers l’istea ?

13L’istea représente une inflexion des priorités dans la politique des transports. De manière générale, il est plutôt inhabituel qu’une seule loi parvienne à provoquer tant de changements dans un domaine donné. On trouvera ci-après un bref examen des principaux facteurs qui ont rendu possible la réforme en profondeur associée à l’istea.

Le contexte historique

14Pour comprendre en quoi l’istea a profondément réformé la politique et la planification des transports, un bref historique de la politique des transports aux États-Unis est nécessaire. C’est par la Federal Aid Highway Act de 1956 qu’il a été décidé de construire un vaste réseau routier connu sous le nom d’Interstate Highway System (système autoroutier inter-États). Comme la décision de mettre en place ce réseau routier n’avait pas suscité de controverse, on peut dire qu’il n’y a pas eu débat approfondi autour de la politique des transports pendant 25 ans, la priorité du gouvernement fédéral – acceptée par tous – étant d’achever le réseau autoroutier. Pendant la plus grande partie de cette période, le gouvernement fédéral n’a pas investi dans les transports publics.

15Les États-Unis ont vu émerger le mouvement écologiste dans les années 1970, période pendant laquelle ont été adoptés la Clean Air Act, la Clean Water Act et la National Environmental Protection Act. Certains experts considèrent que la situation qui s’est développée dans les années 1970 a joué un rôle essentiel dans le processus qui a conduit ultérieurement à l’adoption de l’istea. Le programme autoroutier a suscité des réactions hostiles lorsque des démolitions ont été opérées dans des quartiers habités par des groupes défavorisés et des minorités pour faire place aux autoroutes. Même si la portion urbaine des autoroutes inter-États représentait un peu moins d’un dixième du programme total (6 500 kilomètres environ sur quelque 71 000 kilomètres), c’est elle qui a pesé financièrement et politiquement sur la mise en œuvre du programme. À Baltimore, les projets autoroutiers ont entraîné la destruction de 20 % environ du parc immobilier appartenant à la population afro-américaine de la ville. La construction d’autoroutes dans la zone urbaine de Detroit a entraîné la démolition de plus de 20 000 habitations (stpp, 1997, p. 10). Les services des ponts et chaussées des États continuaient à s’activer pour construire les tronçons manquants dans les zones urbaines, mais ils ne trouvaient plus d’appuis au niveau local. Au départ, le mouvement anti-autoroutes n’a pas été pris au sérieux, mais il a fini par bloquer effectivement des projets d’autoroutes inter-États dans de nombreuses villes. « Il y a eu un fort ressentiment du public à l’égard de ce qui était perçu comme un programme monolithique d’autoroutes d’État qui ne tenait pas compte de son impact sur la population et sur l’environnement » (Colman et Rothblatt, 1996, p. 5).

16Une bonne partie du réseau ayant été achevée, les responsables ont été conduits à repenser la planification des transports. Cet exercice a fait naître de nouvelles priorités, notamment le souci de prendre en considération les solutions de remplacement et de rechercher un consensus au sein du public, en tant que composante nécessaire du processus. C’est à cette époque que les spécialistes et les responsables des politiques de transport ont engagé une réflexion sur des formules de substitution aux infrastructures axées sur l’automobile. Les premiers exemples intéressants de planification intégrée des transports et de l’aménagement du territoire remontent aux années 1970 (par exemple, Portland dans l’Oregon).

17On peut se demander pourquoi les changements de politique introduits à travers l’istea ne sont pas intervenus avant 1991. Au cours des entretiens, deux experts ont mis ce retard sur le compte de la présidence Reagan. « L’istea aurait dû être adopté en 1981 mais nous avons perdu une décennie du fait de l’administration Reagan » (société de consultants). Au cours des années 1980, alors que s’aggravaient les difficultés de circulation et que l’économie était en plein essor, les services des ponts et chaussées des États sont parvenus à mettre en œuvre les projets prévus dans le plan de développement du réseau autoroutier inter-États. Pendant cette période, il n’y a eu aucun appui politique en faveur de réformes dans le sens d’un système de transports davantage soucieux de l’environnement. « À cause de Reagan, nous avons perdu dix ans. Pas d’action législative, pas de ressources financières, pas de sensibilisation : nous sommes restés totalement inertes pendant cette période » (organisme de recherche).

Les luttes politiques en 1991

18Une fois achevés les derniers kilomètres du réseau autoroutier inter-États dans les années 1980, le lobby des entreprises de construction routière était soucieux de trouver de nouvelles activités. Malheureusement pour elles, le sénateur Daniel Patrick Moynihan avait la haute main sur ce programme, et il était résolu à le réformer. De nombreux experts ont attribué la réussite de l’istea au sénateur Moynihan. Démocrate de New York, c’était un spécialiste des zones urbaines et il reprochait vivement au réseau inter-États d’avoir détruit des zones urbaines très actives.

19« À la veille de l’istea, c’est Daniel Patrick Moynihan, l’un des premiers critiques et l’un des plus pénétrants à l’égard du programme autoroutier fédéral, qui était responsable de la proposition de loi routière du Sénat. Si cette fonction avait échu à un autre que lui, l’istea n’aurait jamais été menée à son terme. Mais sa position n’était pas entièrement le fruit du hasard. Elle marquait l’aboutissement d’un cheminement lent mais progressif qui a commencé le jour où Moynihan est entré au Sénat, en 1976, et a demandé à siéger à la Commission de l’environnement et des travaux publics. Dans certains cas, le choix d’une commission obéit à un souci de commodité ; en l’occurrence, il correspondait à une véritable passion. Alors que l’échéance de 1991 approchait, Moynihan savait avec certitude ce qu’il ne voulait pas – un autre réseau inter-États et des millions de dollars dépensés pour disloquer des zones urbaines – mais il ne percevait pas encore avec précision ce qui devait être mis à la place. » (Kienitz, 1998, p. 1)

20Le sénateur Moynihan n’avait pas pour seule visée de se débarrasser du programme « tout-autoroute » ; il était également très attaché à la protection de l’environnement. Un expert a souligné que l’action du sénateur Moynihan était motivée en partie par le souci d’obtenir davantage de moyens financiers pour les transports dans les zones urbaines touchées par la pollution atmosphérique, ce qui était le cas de l’État de New York dont il était le représentant. Ainsi, le programme de l’istea destiné à financer la Clean Air Act et la Congestion Mitigation and Air Quality Improvement Programme (cmaq) (programme visant à réduire les encombrements et à améliorer la qualité de l’air), a été conçu de façon à faire bénéficier le plus les États qui étaient les moins performants dans ces domaines.

21L’ardeur du sénateur Moynihan à défendre la réforme a permis d’élargir, comme jamais auparavant, l’éventail des acteurs associés à l’élaboration de la politique des transports. L’un des acteurs importants à émerger lors du processus a été le Surface Transportation Policy Project (stpp), coalition de planificateurs, d’organismes de transports publics, de défenseurs de la bicyclette et d’ong écologistes. Le stpp est aujourd’hui un réseau de plus de cinq cents groupes couvrant l’ensemble du territoire des États-Unis. Il attribue sa réussite au fait qu’il s’est organisé dans l’optique d’une réforme reflétant des intérêts très diversifiés plutôt que des intérêts particuliers. Il est apparu clairement qu’aucun des divers groupes d’intérêt constituant la coalition n’avait de chances de réussir sans de vastes réformes de structure. Un autre principe a consisté à privilégier l’efficacité par rapport aux infrastructures et à déplacer le débat en cherchant non plus comment accroître la mobilité des véhicules grâce à la construction d’infrastructures mais plutôt comment accroître la mobilité des personnes tout en améliorant la qualité de la vie au sein des communautés (Burwell, 1994, p. 7).

22Il y a un lien manifeste entre la Clean Air Act et l’istea. Lorsque la Clean Air Act a été adoptée, le mouvement écologiste n’était pas pleinement satisfait du résultat, et la loi sur les transports constituait une bonne occasion d’obtenir des avancées dans ce domaine. Parmi les principaux acteurs de ce mouvement, nombreux étaient ceux qui pensaient que la politique des transports avait un profond impact sur la qualité de l’air. La coalition qui avait lutté pour renforcer la Clean Air Act par les amendements de 1990 s’est rassemblée sous la bannière du stpp. Bien qu’elle fût un nouvel acteur dans le domaine de la politique des transports, la coalition a vu dans le renouvellement de la loi sur les transports la possibilité de prolonger son travail sur les amendements à la Clean Air Act. Ainsi, le mouvement écologiste était bien préparé en vue du débat sur la nouvelle loi de financement des transports, et il y a contribué substantiellement.

23Les partisans de la réforme ont dû affronter les institutions traditionnelles du secteur des transports. Les groupes nombreux et puissants désignés sous l’appellation de « lobby routier » étaient rassemblés autour d’un objectif simple et unique : augmenter les crédits du budget fédéral alloués aux routes. L’un des acteurs les plus influents était l’Association of American State Highway and Transportation Officials (aashto). Le lobby routier, pleinement conscient de la nécessité de trouver une solution de remplacement pour le réseau autoroutier inter-États, ne s’est soucié que des aspects techniques de la législation et a négligé les autres débats politiques importants sur l’environnement et l’expansion des zones urbaines. Même le Ministère fédéral des transports (usdot), selon son habitude, s’est aligné au départ sur le projet de l’aashto pour la loi de financement.

24Fortement désavantagée par rapport au lobby routier en termes de ressources financières, la coalition du stpp devait faire preuve de stratégie, d’habileté et de rapidité. Elle a choisi une tactique éprouvée pour affronter le débat politique à venir : diviser pour gagner. L’objectif était de jouer sur la rivalité entre les États pour le partage des crédits et d’éviter de mettre en concurrence le financement des transports et celui des infrastructures routières. Alors que l’attention se focalisait principalement sur le débat autour d’une répartition équitable des ressources entre les États, la coalition a collaboré avec le sénateur Moynihan pour élaborer des parties essentielles de la loi. « La faible visibilité des différents éléments de la réforme lors du débat au Sénat a contribué à empêcher la pleine mobilisation de l’opposition et a permis de focaliser l’attention sur les réformes prioritaires à introduire dans la législation sur les transports. » (Gifford, Mallett et Talkington, 1994, p. 16)

25Traditionnellement, la principale instance de débat sur la politique des transports était la Commission des transports et des infrastructures de la Chambre des représentants, sur lequel le lobby routier concentrait ses efforts. Une première initiative visant à accroître les recettes allouées aux transports a été prise par un Démocrate du New Jersey, qui a tenté de faire adopter une hausse de cinq cents de la taxe sur l’essence. Cependant, le Président Bush était résolu à ne pas augmenter les taxes et le lobby routier était divisé, les transporteurs routiers étant opposés eux aussi à une hausse des taxes. Alors que la Commission de la Chambre s’adonnait au traditionnel bras de fer politique, chaque parlementaire s’efforçant d’obtenir le maximum de ressources pour les infrastructures routières en faveur de l’État qu’il représentait, la coalition du stpp a concentré ses efforts sur le Sénat. Par une manœuvre furtive, la coalition est parvenue à faire échec au lobby routier en s’assurant rapidement des soutiens pour faire adopter en premier lieu la version sénatoriale de la loi sur les transports.

26En dernier ressort, l’adoption de l’istea ne s’est pas jouée sur le terrain avec les transports. Sachant que la réforme prendrait du temps, les rédacteurs de l’istea se sont abstenus d’attaquer le programme routier. « Nous n’avions aucune idée sur la façon de réduire les éléments négatifs – la stratégie était donc d’augmenter les éléments positifs » (ong). Les intéressés savaient également qu’il serait plus facile de faire adopter les grandes orientations de la loi s’ils consentaient à des augmentations dans le programme global de financement des routes. Le fait que le secteur routier ait pu maintenir le statu quo a facilité le travail des opposants pour faire adopter l’istea, bien que ce texte fût très différent des précédentes lois de financement. Même si des organisations telles que l’aashto n’approuvaient pas toutes les dispositions de la nouvelle loi, elles l’ont finalement acceptée car elle prévoyait une augmentation importante des crédits. L’istea a permis de réaliser un vaste compromis entre différents niveaux et instances : entre le fédéral, les États et les grandes villes, entre les États contributeurs nets et les États bénéficiaires nets, entre les différents modes de transport, entre les besoins du secteur des transports, ceux des autres secteurs de la collectivité et les impératifs de protection de l’environnement (Dittmar, 1996).

Quels ont été les effets induits par l’istea ?

L’istea a-t-elle réellement modifié la planification et la politique des transports ?

27Si la plupart des experts s’accordaient à reconnaître que l’istea était véritablement une loi novatrice qui introduisait des changements majeurs dans le secteur des transports, de nombreux observateurs portaient des appréciations nuancées et guère enthousiastes. Certains partisans de l’istea étaient chagrinés par le fait que les changements souhaités exigeaient beaucoup de temps et que les progrès observables jusqu’à présent étaient insuffisants. La distinction la plus importante mise en avant était que, si la planification et la politique des transports avaient bien été réformées, le financement ne l’avait pas été.

28Il est vrai que les réponses varient selon les interlocuteurs. Ceux qui souhaitent que soit mis un frein au développement du réseau routier et à l’utilisation de l’automobile sont moins satisfaits. Un consultant interviewé se félicitait ainsi des changements intervenus (« l’istea a préservé le statu quo dans le domaine des routes mais a introduit beaucoup d’innovations, c’est un grand pas en avant »), tout comme un expert scientifique (« l’istea représentait une rupture radicale par rapport aux pratiques passées, beaucoup semblent l’avoir oublié »). Cependant, les organisations militantes étaient moins enthousiastes. « L’istea a été perçue comme une révolution, mais c’est en fait une loi modeste… L’impact médiatique est allé au-delà du texte lui-même » (une ong). Une autre série de citations permet d’illustrer les différents points de vue :

  • « Ce sont les mêmes groupes liés au réseau routier qui sont réunis autour de la table, avec cependant un nouvel acteur, les transports publics » (Un organisme scientifique).
  • « L’istea a été une loi novatrice – non pas parce qu’elle a entraîné des transformations immédiates mais parce qu’elle correspondait à un changement d’optique » (groupe de pression).
  • « Il n’y a pas eu reconduction de l’ancienne loi sur les routes… Les choses ont changé : nous allons dans de nouvelles directions » (ong).

Quels ont été les changements les plus importants introduits par l’istea ?

29La plupart des experts ont souligné que le principal mérite de l’istea a été de favoriser les modes de déplacement non motorisés (marche à pied, bicyclette) ainsi que les transports collectifs. Antérieurement aucune aide financière fédérale n’était prévue pour les voies piétonnières, les pistes cyclables et les améliorations dans les transports publics. Depuis l’adoption de l’istea, les modes de transport « alternatifs » sont pris en compte dans les arbitrages budgétaires, ce qui n’était pas le cas auparavant. Un expert a estimé que, globalement, l’effet le plus important de l’istea a été le changement d’état d’esprit des professionnels des transports : « Bon gré mal gré, les ingénieurs ont accepté l’idée du changement » (organisme scientifique).

30Financement de modes de transport « alternatif » : la preuve la plus visible de l’amélioration de la situation des transports publics est le programme New Starts en faveur des systèmes de transport par réseau ferré léger (lrt). Ce nouveau programme a bénéficié du soutien de politiciens désireux d’obtenir des crédits du gouvernement fédéral en faveur de grands projets de transport dans leur État qui, pour la première fois, étaient des projets de transport public. Le financement des infrastructures cyclables est passé de sept millions de dollars en 1990 à 222 millions de dollars en 2000. Pendant la même période, le financement des transports publics (en dehors du programme New Start) a doublé, passant de trois à six milliards de dollars (stpp, Ten Years of Progress, 2001).

31Importance accordée à l’entretien : dans le cadre de l’istea, un programme distinct a été prévu pour l’entretien des ponts, de façon à encourager les États à effectuer les travaux de maintenance sur les infrastructures routières vieillissantes. La part des fonds fédéraux alloués en vertu de l’istea à la construction de routes a commencé à diminuer. La plupart des nouveaux crédits ouverts au titre du tea 21 sont affectés à des catégories qui ne peuvent servir à financer la construction de nouvelles routes.

32Aménagement du territoire : Un des autres aspects particulièrement positifs de l’istea a été la prise en compte de l’aménagement du territoire. L’istea reconnaît clairement le lien entre les transports et l’aménagement du territoire. Sur ce point cependant, les experts ont également mentionné les problèmes d’organisation qui se posaient au niveau de la mise en œuvre, car les organismes de planification des transports des agglomérations urbaines (Metropolitan Planning Organizationsmpo) ont une maîtrise encore insuffisante des décisions en matière d’occupation des sols.

33Effets sur la planification : La plupart des experts ont noté une nette influence de l’istea sur le processus de planification proprement dit. L’istea s’est efforcé d’introduire une dimension qualitative dans ce processus et a mis davantage l’accent sur la participation et la contribution des acteurs locaux. La plupart des experts ont considéré comme positif l’accroissement du rôle des mpo, mais ils ont également souligné les relations difficiles entre les mpo et les ministères des transports (dot) des États : « Avant l’istea, les mpo étaient à l’arrière-plan, désormais elles sont aux commandes » (Ministère des transports d’un État). Les dispositions de l’istea en matière de planification ont favorisé l’amélioration de la planification des transports au niveau des États. Dans une étude réalisée par Colman et Rothblatt (1996), la plupart des Ministères des transports des États ont indiqué que la planification des transports à l’échelle des États en vertu de l’istea était sensiblement différente des plans qu’ils avaient précédemment adoptés. Les nouveaux plans faisaient une plus large place au transport multimodal et prévoyaient une plus grande participation du public et des différentes parties prenantes ainsi qu’une meilleure prise en compte des problèmes de financement.

34Flexibilité : Un des aspects positifs de l’istea mérite une attention particulière, à savoir les dispositions sur la flexibilité de financement. Parallèlement aux améliorations apportées dans les modes de déplacement non-motorisés et les transports publics, cette dimension de l’istea a été jugée le plus souvent comme un facteur de progrès. La flexibilité de financement s’applique aux programmes dont les fonds peuvent être utilisés pour les routes ou pour les transports publics. Le choix n’est pas imposé, mais il est plus courant d’utiliser les fonds destinés aux routes pour les transports publics (c’était d’ailleurs l’objectif de ce dispositif) : si les États veulent affecter l’argent des transports publics aux infrastructures routières, ils doivent certifier qu’ils ont satisfait aux besoins en la matière. La flexibilité peut être utilisée pour divers projets de transports publics tels que l’achat d’autobus, des projets concernant des carburants de remplacement, etc.

35La plupart des experts ont convenu que le financement flexible était un bon instrument et qu’il avait eu un impact certain, même si par ailleurs il est évident que cet outil ne peut à lui seul assurer le développement des transports publics :

  • « La flexibilité n’est pas la panacée : c’était un outil utile à ce moment-là » (ong).
  • « La flexibilité ne fait pas de prodiges, mais c’est un levier utile » (organisme scientifique).
L’istea et le tea 21 laissent aux États et aux instances locales le soin d’utiliser l’outil de la flexibilité. Dans les années qui ont suivi l’adoption de l’istea, les redéploiements de fonds entre différents modes de transport ont été limités. De toute évidence, il a fallu du temps aux organisations pour se familiariser avec les dispositions de l’istea. Un expert (consultant) a déploré qu’au bout de dix ans, certaines villes ne sachent toujours pas comment se servir de la flexibilité. Un effort pédagogique supplémentaire sur la valeur de cet instrument semble nécessaire. La flexibilité suppose une forte motivation de la part des mpo et un effort de coopération des Ministères des transports des États car la mpo doit justifier auprès de l’État le recours au financement flexible. C’est pourquoi un expert (scientifique) a estimé que la flexibilité avait avantagé les mpo les plus efficaces, aux dépens des autres mpo moins entreprenantes. On ne distingue pas de fortes tendances au niveau des régions ou des zones urbaines dans le recours à la flexibilité, mais une comparaison entre l’ensemble des États montre de nettes différences dans l’utilisation de l’instrument de la flexibilité (Puentes, 2000). Au niveau national, la Californie comptait pour 60 % dans le recours à la flexibilité en faveur des transports publics, alors que la plupart des États ruraux ne faisaient aucun usage de cet instrument.

Quels problèmes peut-on imputer à l’istea ?

L’istea ne prescrivait pas le changement

36Même si tous les experts conviennent que l’istea a suscité d’importants changements, certains ont des jugements assez réservés. Toutes les critiques vont dans le même sens : les changements ne sont pas allés assez loin. Les difficultés ne concernent pas l’istea proprement dite, mais sa mise en œuvre ainsi que certains aspects institutionnels. Il importe de souligner que l’istea ne prescrivait pas le changement. La politique définie au niveau fédérale ne fait qu’offrir des possibilités. L’istea ne pouvait susciter de changement lorsque celui-ci n’était pas souhaité : « L’istea et le tea 21 étaient nécessaires mais non suffisantes » (mpo).

37De nombreux experts ont souligné la nécessité de prendre en compte le facteur temps pour porter un jugement sur l’istea. D’un point de vue strictement technique, l’istea et le tea 21 qui lui a succédé ont onze ans d’existence, mais les nouveaux principes qui y étaient inscrits n’ont été introduits dans les pratiques quotidiennes de planification que depuis cinq ou six ans. Il y a eu tout d’abord l’arriéré des projets et engagements passés, qu’il fallait liquider. En règle générale, tout vrai changement demande du temps. Les anciennes politiques ne disparaissent pas du jour au lendemain. En l’occurrence, toutes les institutions concernées ont mis du temps avant de se familiariser avec les nouvelles réglementations et procédures. Certains États ont choisi de ne pas tenir compte de la nouvelle loi, convaincus qu’ils étaient que celle-ci serait temporaire, et, dans un premier temps, ils ne s’y sont pas conformés. En 1993-94, la Commission des transports de la Chambre des représentants a dû organiser une série d’auditions pour améliorer la mise en œuvre car le programme ne fonctionnait pas comme prévu.

Difficultés institutionnelles

38De manière générale, il est bien connu que ceux qui perdent une bataille législative ne sont guère enthousiastes pour appliquer la nouvelle politique. « Dans nombre de cas, les problèmes d’application se posent précisément dans les domaines où le processus d’élaboration des politiques a suscité les plus grandes controverses » (Gifford, Mallett et Talkington, 1994, p. 16). « Il arrive que les parties qui perdent sur le terrain de la formulation des politiques s’efforcent d’atteindre leurs objectifs en en détournant ou influençant l’application » (ibid). Les principaux problèmes concernant la mise en œuvre de l’istea qui sont encore apparents aujourd’hui tiennent à la capacité et aux intérêts des institutions. On peut même affirmer que l’istea était trop en avance par rapport aux capacités des organisations. « La mise en œuvre n’est pas un processus linéaire, c’est plutôt une évolution chaotique » (organisme scientifique).

39L’istea imposait de s’écarter de la démarche du sommet vers la base qui présidait à la construction des routes. Au début, la Federal Highway Administration (fhwa) n’a pas déployé un zèle excessif pour remplacer les anciennes réglementations et procédures. Les nouvelles idées ont été étouffées par l’inertie des anciennes pratiques. Les institutions qui avaient un rôle central à jouer dans la mise en œuvre des réformes découlant de l’istea étaient certainement les mpo et les Ministères des transports des États.

40L’attitude générale des États a été également un facteur important dans la mise en œuvre de l’istea. Dans certains États, la législation impose encore l’affectation des taxes perçues par l’État sur les carburants aux seules d’infrastructures routières. Cette disposition remonte aux années 1920, lorsque la construction des routes est devenue une mission de service public de plus en plus importante, alors que les systèmes de transports en commun étaient gérés par des entreprises privées. La plupart des États ne disposent pas de la majorité politique nécessaire pour modifier les anciens règlements, ce qui crée des problèmes lorsqu’il s’agit de financer la portion des projets de transports publics qui incombe à l’État.

41La mise en œuvre de l’istea a nécessité de nouveaux efforts de planification qui étaient autant de défis pour les mpo et les Ministères des transports des États. Dans les années qui ont suivi l’adoption de l’istea, les ressources en personnel, l’éventail des compétences professionnelles et les anciennes habitudes des services des Ponts et chaussées sont apparus comme des obstacles à la bonne application de la nouvelle loi. De nombreuses mpo, notamment dans les agglomérations urbaines de petite et moyenne importance, ne disposaient pas de ressources humaines et financières suffisantes pouvant être consacrées à la planification des transports. Un responsable du stpp a déploré une pénurie de compétences au niveau national dans les institutions chargées des transports, car le plus souvent les plans à long terme n’étaient pas élaborés au niveau interne mais par des consultants : « Le passage d’une équipe chargée de la construction des routes à une équipe chargée de la gestion des transports constitue un vaste défi » (Dittmar, 1994, p. 10). Pour sa part, à l’issue d’une première évaluation, le Bureau de vérification des comptes des États-Unis a porté l’appréciation suivante : « Il faudra du temps avant que les planificateurs et les décideurs puissent adopter une approche multimodale » (gao, 1993, p. 18). Il convient cependant de préciser que l’istea a accru les fonds alloués au processus de planification afin de pouvoir augmenter les effectifs et d’étendre les activités de planification.

42Depuis 1972, la législation fédérale disposait que toute agglomération urbaine comptant un bassin de population supérieur à 200 000 habitants devait être dotée d’une mpo. L’istea a étendu cette exigence aux agglomérations de plus de 50 000 habitants, ce qui a eu pour effet de tripler le nombre des mpo. L’istea a également contribué à renforcer le rôle des mpo. « Entre 1960 et 1990, nous étions utiles mais nous n’avions pas de pouvoir » (mpo). Pour autant, les mpo ne sont pas devenues des institutions puissantes. Les principaux problèmes auxquels elles ont à faire face sont doubles :

  • elles manquent de prérogatives en ce qui concerne les plans d’occupation des sols ;
  • les relations entre les mpo et les Ministères des transports des États demeurent difficiles.
Le fait que les mpo n’aient aucun pouvoir réel dans l’établissement des plans d’occupation des sols a été souvent critiqué par les experts au cours des entretiens. Il y a de toute évidence un hiatus entre l’intention du législateur qui souhaitait, à travers l’istea, intégrer les plans de l’aménagement du territoire dans le processus de planification des transports et la réalité de la planification stratégique régionale de l’aménagement du territoire aux États-Unis. « Les mpo se sentent handicapées parce qu’elles n’ont aucun pouvoir en matière d’occupation des sols – elles sont un peu comme le mort à ses propres funérailles » (organisme scientifique).

43L’Association of Metropolitan Planning Organizations (ampo) a préconisé un renforcement du processus de planification de l’occupation des sols, mais les instances fédérales n’ont pas été très réceptives. Des changements dans ce domaine ne sont intervenus qu’au niveau des États ou, dans des circonstances particulières, au niveau régional. Deux experts ont fait observer que les mpo, en tant qu’émanations de la loi fédérale, doivent affronter le scepticisme qui est le lot de tous les organismes créés en application de la législation fédérale. Ainsi, comme on peut le constater, d’un côté les planificateurs souhaitent vivement un renforcement des mpo et de l’autre, certains doutent que cela puisse se faire au niveau politique. « Des mpo plus fortes ? Je n’imagine pas que cela puisse advenir dans ce pays » (groupe de pression).

44Outre le manque de prérogatives en matière d’occupation des sols, les relations entre les mpo et les autres instances gouvernementales et collectivités locales constituent un problème important. « La situation des mpo est devenue plus compliquée, nous sommes placés au centre de tous les intérêts » (mpo). De par son mandat, la mpo est tenue de prendre en compte les différents intérêts du Ministère des transports de l’État, des villes et (le cas échéant) des comtés. Dans tous les entretiens menés avec des responsables de mpo, ceux-ci ont exprimé leur mécontentement à l’égard du rôle du Ministère et ont déploré la lutte âpre entre celui-ci et la mpo. « L’État s’adresse en premier lieu aux comtés pour examiner les projets, il revient ensuite à la mpo de donner son visa au plan », a fait observer un expert d’une mpo. « Le Ministère de l’État étudie d’abord ce qui lui semble nécessaire et, après seulement, s’adresse à la mpo », a reconnu un autre.

45Les mpo considèrent que les Ministères des transports des États sont trop puissants et continuent de s’en tenir à leur propre programme de travail. En s’efforçant d’imposer leurs plans aux mpo, ils sortent du cadre de leur nouvelle mission. « La plupart des Ministères des États vous diront que les mpo représentent les compétences locales, mais c’est nous qui avons l’argent » (mpo). Sur ce point, les responsables des mpo ont souvent invoqué les disparités en termes de ressources et de personnel pour expliquer pourquoi il est difficile aux mpo d’être en position de force face aux Ministères des États. Ceux-ci ont une histoire plus ancienne que les mpo et des effectifs beaucoup plus nombreux. L’essentiel, comme l’a fait observer un expert d’une ong, c’est que, même après l’adoption de l’istea, « ce sont les États qui mènent la danse ». Par ailleurs, en réponse aux critiques formulées par les mpo, le responsable du Ministère des transports d’un État a cité, sans surprise, l’inertie comme facteur important : « C’est comme si l’on voulait faire faire demi-tour à un cargo ».

46Malgré toutes ces critiques, certains experts ont tout de même admis des changements de la part des Ministères des États. « Ils se sont rendu compte qu’une mutation culturelle était nécessaire », a indiqué un consultant. Ou, comme l’a formulé le représentant d’un groupe de pression, « les Ministères ont appris quels étaient leurs clients ». Toutefois, il est clair que les Ministères n’apprécient guère la nouvelle situation qui accorde une plus grande influence aux mpo et qui réduit le rôle des États dans le processus de planification. « Plus le fédéral impose, plus les États se plaignent » (groupe de pression). Lors des entretiens, des responsables des Ministères ont demandé une plus grande souplesse et ont émis le vœu de n’être pas soumis à des réglementations aussi contraignantes.

47Globalement, on peut dire que l’istea a incité un grand nombre d’institutions à modifier leurs méthodes de travail et leurs modes d’organisation. Mais de toute évidence, cette loi devait être l’amorce d’un processus beaucoup plus long. Certains experts pensent à cet égard que l’évolution future est tributaire de la performance de l’organisation la plus faible. Dans la perspective du renouvellement, le fait qu’un grand nombre de mpo continuent d’être considérées comme inefficaces et que les mpo ne soient pas associées à la réussite de l’istea et du tea 21 pourrait constituer un problème.

Quelles leçons peut-on tirer du renouvellement de l’istea en 1997 ?

48En 1997, l’istea est arrivée à son terme et a dû être renouvelée. La loi qui lui a succédé, la tea 21, reconduit l’istea à quelques exceptions près. Ce qui sépare l’istea et la tea 21, ce sont de légères différences dans les catégories de financement et certains changements dans le processus de planification (ainsi, la grande étude d’investissement comportant une comparaison intermodale qui était prévue dans l’istea n’existe plus dans la nouvelle loi). La tea 21 offre également de nouvelles facilités. Un programme d’aide a été conçu afin d’améliorer les possibilités de déplacement des travailleurs à faible revenu et de développer les services de transports en direction des bassins d’emplois péri-urbains. La tea 21 a également levé les obstacles qui empêchaient les employeurs d’offrir une gamme d’avantages en matière de transports, tels que des aires de stationnement, des titres de transport ou un service de covoiturage en minibus. Même si certains experts estiment que, du point de vue de l’environnement, la tea 21 est plus faible que l’istea (principalement parce que l’étude globale d’investissement n’est plus obligatoire), chacun s’accorde à reconnaître qu’il était opportun et important de conserver l’orientation initiale de l’istea.

49Lors de la procédure de renouvellement de 1997, le contexte politique avait changé par rapport à 1991. L’istea avait été élaborée par un Congrès démocrate dominé par les représentants du Nord-Est et signé par le Président républicain George Bush. La tea 21, qui préservait les réformes précédentes, a été adoptée par un congrès républicain à direction sudiste et a été signée par le Président démocrate Bill Clinton. Après que les Républicains ont conquis la majorité au Congrès en 1995, les écologistes ont craint que la loi ne fasse machine arrière sur des points importants à l’occasion du processus de renouvellement. Cependant, une lutte est intervenue au sein du Parti républicain, et les représentants républicains des circonscriptions péri-urbaines ont appuyé l’istea. « Les infrastructures ne constituent pas un enjeu partisan » (décideur).

50En 1996 et 1997, une action résolue mais infructueuse a été menée en vue d’abroger les réformes contenues dans l’istea. Lors du processus de renouvellement, plusieurs propositions ont été formulées en vue de limiter sensiblement les conditions dans lesquelles les projets routiers financés à l’aide de fonds fédéraux devraient faire l’objet d’un examen environnemental mais, à l’issue d’une bataille entre le lobby routier et les groupes écologistes, ces propositions ont été rejetées.

51Un nouveau facteur est intervenu dans le processus de renouvellement, qui tenait au fait que l’istea avait très fortement étendu le champ du programme fédéral de transports. L’istea a fait apparaître un grand nombre de nouveaux acteurs dans ce domaine. Ce nouvel état de choses est apparu à la fois comme un atout et un handicap lors du processus de renouvellement. L’augmentation du nombre des parties prenantes a eu pour effet d’aviver la concurrence. Cependant, même les organisations qui n’étaient pas entièrement satisfaites lors de l’adoption de l’istea en 1991 n’ont pas cherché à tout prix à obtenir un retour en arrière. « La plupart des améliorations ont été efficaces, de sorte que nous les avons maintenues, mais nous ne sommes pas parvenus à une rationalisation » (groupe de pression).

52Lors du renouvellement de l’istea, le principal affrontement a porté sur les ressources financières. L’opposition entre les États contributeurs nets et les États bénéficiaires nets a dominé une bonne part du débat relatif à la tea 21. Dans le cas des États contributeurs nets, situés principalement dans le Sud et le Midwest, les versements au Federal Highway Trust Fund provenant des taxes prélevées sur les achats d’essence sur le territoire de l’État étaient supérieurs aux allocations revenant au Ministère des transports de l’État concerné. Les États bénéficiaires nets étaient ceux qui recevaient davantage du Fonds fédéral alimenté par les taxes sur l’essence qu’ils n’y contribuaient. La solution trouvée a été une nouvelle formule de financement qui garantissait à chaque État la rétrocession de sa contribution. On a par ailleurs établi une cloison étanche entre le fonds d’affectation spéciale pour les routes et le fonds général, de sorte que les recettes des taxes sur l’essence ne pouvaient être utilisées que pour les projets de transports.

53La stratégie du stpp a consisté à ne pas s’occuper de savoir qui allait recevoir l’argent mais plutôt à se concentrer sur la façon dont celui-ci serait dépensé. La coalition a défendu les réformes d’orientation de l’istea et s’est efforcée de garantir en priorité la préservation du système. Elle mettait surtout en avant l’idée qu’une part importante des ressources de l’istea continuait d’être affectée à l’extension des infrastructures routières, même dans les zones où les routes existantes étaient en mauvais état.

54La croissance économique et l’augmentation du budget global ont été des facteurs importants pour le renouvellement. Sans une augmentation des dépenses, il aurait été impossible de résoudre le problème de la formule de répartition des ressources entre les États. Comme il y avait davantage de ressources disponibles, chaque État a pu recevoir une plus grande part qu’auparavant et, en définitive, toutes les priorités ont pu être prises en compte. La tea 21 a été, en termes budgétaires, la plus grande loi de financement de travaux publics. L’augmentation des ressources a eu le même effet qu’en 1991, lors de l’adoption de l’istea. Toutes les parties prenantes ont pu ainsi accepter la nouvelle loi, même si elles n’étaient pas d’accord avec tous ses aspects.

Les leçons à tirer dans une perspective européenne

55Même si la promotion des modes de transport non motorisés et l’amélioration des transports en commun aux États-Unis continueront d’exiger des efforts intenses, de nombreuses réformes positives ont été mises en œuvre au cours des onze dernières années. L’istea a posé les jalons d’un processus de planification intégrée qui favorise les choix, associe le public et donne une plus grande priorité aux solutions de substitution à l’automobile. Celle-ci a eu un formidable impact sur la planification des transports aux États-Unis, malgré la lenteur du changement et les difficultés qui persistent dans sa mise en œuvre. Il est donc nécessaire d’approfondir les améliorations au niveau institutionnel et de consolider sensiblement la politique d’occupation des sols afin de favoriser la réforme de la planification des transports.

56L’istea et la tea 21 montrent que l’introduction de changements dans la planification et le financement des transports constitue une voie appropriée, et nécessaire, pour promouvoir la viabilité des systèmes de transports. Le processus de planification des transports exige des règles du jeu claires. La leçon à tirer pour les autres pays est qu’une approche du sommet vers la base au niveau fédéral peut être utile pour favoriser un processus de planification de la base vers le sommet aux niveaux local et régional.

57Cette expérience montre que, en coopérant ensemble et avec les ong, les responsables politiques peuvent jouer un rôle majeur dans l’amélioration du système de transports. Une telle mutation nécessite un horizon temporel relativement éloigné et des dirigeants ambitieux. Aux États-Unis, le changement était impossible aussi longtemps que le lobby routier dominait l’ensemble du processus. La situation n’a pu être renversée que lorsqu’un nouveau lobby a contesté la position du lobby routier et a été capable de traduire des idées sous forme de politique. L’exemple de l’istea montre également que l’introduction de changements importants dans les politiques est suivie de problèmes au niveau de la mise en œuvre. Les groupes qui ne sont pas parvenus à faire prévaloir leurs points de vue pendant le processus législatif s’efforcent d’atteindre leurs objectifs au cours des phases ultérieures du processus (pour une comparaison entre l’istea et divers modèles théoriques d’analyse des politiques publiques, voir Gifford, Horan et White, 1994).

58Le cas des États-Unis illustre le fait qu’un système de transports marqué par un nombre élevé de voitures particulières, un développement excessif des infrastructures axées sur l’automobile et une utilisation intensive de l’automobile n’est ni équilibré ni viable. Réformer un système dominé par l’automobile demande beaucoup d’efforts et beaucoup de temps, ne serait-ce que pour rétablir la crédibilité de solutions simples qui subsistent dans la plupart des pays européens et asiatiques. Cet exemple devrait être une leçon pour le reste du monde et démontrer qu’il est nécessaire de préserver les systèmes de transports en commun existants, de renforcer la politique d’occupation des sols et d’aménager les zones urbaines densément peuplées pour favoriser les déplacements à bicyclette et à pied. L’expérience des États-Unis illustre les coûts élevés que représente une politique de transports fondée sur le tout-automobile.

59Traduit de l’anglais

Références

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  • Surface Transportation Policy Project (stpp). 2001. Ten Years of Progress. Building Better Communities through Transportation, Washington, dc, Surface Transportation Policy Project.

Date de mise en ligne : 01/07/2007

https://doi.org/10.3917/riss.176.0341

Note

  • [*]
    Je tiens à remercier le German Marshall Fund des États-Unis qui m’a attribué une bourse d’études pour l’environnement, ainsi qu’Andrea Broaddus pour son aide.

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