Notes
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[1]
La « ville nouvelle » est un produit spécifique de l’expansion de la proche banlieue. Nous l’avons donc assimilée, pour les besoins de l’analyse, au suburbain dans les tableaux suivants.
-
[2]
Le questionnaire a été rédigé par l’irec (Institut de recherche sur l’environnement construit), centre de recherche universitaire installé à l’École polytechnique fédérale de Lausanne, en Suisse, et par le certu (Centre d’études sur les réseaux, les transports, l’urbanisme et les constructions publiques), qui dépend du Ministère de l’équipement, des transports et du logement de la France. Les rédacteurs du questionnaire se sont appuyés sur des enquêtes antérieures, dont la validité avait été vérifiée (Kaufmann et Guidez, 1998) : les enquêtes sur le « choix » des moyens de transport effectuées par l’École polytechnique fédérale de Lausanne, le sondage annuel d’univox sur le logement (Suisse), et les enquêtes menées en France par le certu en collaboration avec l’Union des transports publics et le Groupement des autorités responsables de transports. Ils y ont ajouté de nouvelles questions, par exemple celles qui se rapportent à l’utilisation de la bicyclette. Les auteurs enverront le texte intégral du questionnaire aux lecteurs qui leur en feront la demande.
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[3]
Le nombre de personnes par pièce confirme ce résultat : en Île-de-France, il est de 0,82 dans les appartements et de 0,68 dans les maisons individuelles (Fouchier, 1997, p. 90).
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[4]
Dès 1850, la moitié de la population anglaise vivait dans les villes (Champion, 1989, p. 83).
Introduction
1Favoriser l’utilisation d’autres moyens de transport que l’automobile n’est pas chose facile. De nombreuses études ont mis en évidence qu’un tel objectif ne peut être atteint que par la mise en cohérence de l’offre de transports en commun, de la gestion des accessibilités routières et l’articulation entre l’urbanisation et l’offre de transports publics (Pharoah et Apel, 1995 ; Wegener et Fürst, 1999 ; Kaufmann, 2000). Quand le développement urbain se fait autour des rocades routières, il ne suffit pas d’accroître l’offre de transports en commun et de réglementer le stationnement pour susciter des transferts d’usage de l’automobile vers les transports publics. De telles mesures dynamisent les entrées de ville et sont en fait le plus sûr moyen d’augmenter la circulation automobile : il en résulte un cercle vicieux dans lequel la croissance urbaine s’articule aux réseaux routiers, et renforce ainsi l’usage de l’automobile. Cette utilisation s’ancre alors dans les modes de vie et conduit les investisseurs comme les ménages à rechercher des logements facilement accessibles par la route.
2Beaucoup de villes européennes, prises dans ce cercle vicieux, essaient de maîtriser leur croissance périurbaine. Mais la chose est plus facile à dire qu’à faire. L’aspiration des citadins à l’automobilité et leur désir d’habiter dans le périurbain apparaissent à de nombreux acteurs comme des obstacles majeurs à ces tentatives. Se pose dès lors la question : comment organiser le développement d’une ville à forte densité de population en facilitant la circulation des piétons et des cyclistes et l’utilisation des transports en commun, alors que les habitants veulent se déplacer en automobile et vivre dans des maisons individuelles ?
3Notre article se divise en deux parties. Dans la première, nous analyserons le cas français, qui présente un intérêt particulier dans la mesure où la périurbanisation des villes françaises a atteint un stade avancé. Nous examinerons les représentations de la ville, les aspirations des citadins, les avantages et les contraintes liés aux différents lieux de résidence, ainsi que les pratiques en matière de transport. Nous nous servirons pour cela d’une enquête comparative effectuée dans quatre agglomérations françaises. Nous verrons que la dynamique urbaine actuellement à l’œuvre dans ces villes conduit à une dispersion de l’habitat urbain dans les grandes banlieues et favorise l’utilisation de l’automobile, bien que cette situation ne corresponde pas aux désirs de tous les citadins. Dans la seconde partie de l’article, nous comparerons les villes françaises avec des villes européennes qui ont élaboré des modèles ou des politiques d’urbanisation destinés à promouvoir d’autres moyens de transport que l’automobile. Cette comparaison montrera que la situation des villes françaises n’est pas inévitable, mais résulte des lois et des politiques actuelles de la France dans le domaine de l’urbanisme et du logement. Nous conclurons par des réflexions générales sur la nécessité de ne plus considérer avec fatalisme la possibilité de réorienter les pratiques en matière de transport.
La périurbanisation en question
Une représentation dichotomique qui entraîne le fatalisme
4En France, une conception largement dualiste de la ville prévaut aujourd’hui dans les milieux universitaires et professionnels (Dubois-Taine et Chalas, 1997). Elle oppose la forme historique de la ville (qu’il faudrait conserver) et sa forme périurbaine (dont le développement serait difficile à maîtriser).
- La première de ces deux représentations de la ville (celle de la « ville historique ») correspond aux centres anciens caractérisés par la concentration de leur population et de leurs activités. Cette forme historique implique la densité et la proximité spatiale, puisqu’elle a été conçue pour le centre des villes et pour des quartiers conçus à l’échelle du piéton. D’autre part, elle est connue pour sa diversité économique, sociale et culturelle. Ce modèle de l’espace urbain défini par la contiguïté et l’accessibilité immédiate sous-tend le concept d’urbanité, qui se réfère aussi bien à un lieu qu’à un type de comportement. La ville historique fait partie d’un système spatial marqué par une forte opposition entre la ville et la campagne.
- Le modèle de la ville périurbaine est une induction de l’automobile. Construite autour des potentiels de vitesse offerts par les grandes infrastructures de transports, cette forme urbaine se caractérise par la multipolarité. Elle matérialise la dispersion spatiale presque absolue propre aux modes de vie urbains caractéristiques des pays occidentaux. Ses limites géographiques ne relèvent pas de la morphologie urbaine, mais sont déterminées par le flux des déplacements. Le modèle de la ville périurbaine ne s’inscrit donc plus dans une opposition ville-campagne, mais traduit l’urbanisation progressive d’un territoire de plus en plus facilement accessible.
5Cette représentation de la ville fait disparaître la figure de la banlieue, considérée soit comme un prolongement de la ville historique, soit comme une zone de transition entre les deux types d’espace urbain. La banlieue apparaît en fait comme un lieu d’exil, plus ou moins stigmatisé, où se retrouvent ceux qui n’ont accès ni à la ville historique ni à l’habitat périurbain.
6À côté de cette conception dualiste de la ville se manifeste clairement en France le désir de limiter l’automobilité urbaine. Les Plans de Déplacements Urbains ont notamment pour objectif de promouvoir l’utilisation de moyens de transport autres que l’automobile pour les déplacements quotidiens. Pourtant, ceux-ci ne traitent que de la ville-historique et de sa banlieue, la ville périurbaine nécessitant par essence le recours à l’automobile.
7Cette situation conduit les professionnels des transports et de l’aménagement à considérer avec fatalisme les chances de renverser la tendance actuelle. Les plans de déplacements urbains visent à limiter l’utilisation de l’automobile en ville alors que l’expansion urbaine se produit en dehors de leurs périmètres d’intervention. Le sentiment prédominant devant un tel phénomène, qui semble répondre aux demandes de la population, est donc un sentiment d’impuissance.
8La dynamique urbaine dépend bien entendu de choix individuels, mais l’observation d’une tendance ne dit pas les logiques qui la sous-tendent. Il est donc nécessaire de dépasser ces raisonnements a prioristes, d’autant plus qu’il est naïf de penser que la localisation résidentielle des ménages répond uniquement à leurs aspirations. La localisation résidentielle des ménages et les moyens de transport sont avant tout le résultat d’arbitrages sous contraintes.
Méthodologie
9Pour examiner cette question, nous avons étudié quatre agglomérations suivant une méthode qui permet de comparer des formes urbaines différenciées en termes sociaux (catégories socioprofessionnelles, modes de vie) et d’accès (offre de transports). Les agglomérations retenues sont celles de Paris - Île-de-France, de Lyon, de Strasbourg et d’Aix-en-Provence. Nous avons choisi, dans chacune d’entre elles, des secteurs d’enquête qui se rattachent aux modèles suivants :
- le modèle urbain central, dont l’urbanisme est antérieur à la démocratisation de l’automobile ;
- le modèle suburbain de la banlieue ;
- le modèle de la « ville nouvelle [1] » ;
- le modèle périurbain.
Les aspirations de la population sont nombreuses et variées…
10L’enquête – c’est un de ses principaux résultats – confirme que l’expansion actuelle des villes françaises sous l’impulsion de l’automobile n’est pas la conséquence d’aspirations universellement répandues dans la population. S’il existe un modèle dominant qui associe l’automobile, la connectivité (considérée comme un facteur d’intégration sociale) et la maison individuelle, l’enquête met aussi en évidence d’autres modèles.
- Les raisons de choisir un moyen de transport particulier varient beaucoup selon les individus. Tout le monde ne veut pas se déplacer en automobile. Si la majorité des personnes interrogées font état d’une préférence marquée pour l’automobile, d’autres inclinations, qui ne sont pas les plus répandues, poussent d’autres personnes à préférer les transports en commun, la bicyclette ou la marche. Les modèles minoritaires se fondent soit sur le respect de l’environnement, comme chez les individus sensibles à la question de l’environnement, soit sur un attrait pour la ville historique et ses espaces publics, comme chez ceux qui ont une préférence naturelle pour les solutions de remplacement. Ainsi 19 % des personnes interrogées préfèrent recourir aux transports en commun, marcher ou se déplacer à bicyclette, soit en raison de leurs convictions (6 %), soit à cause des avantages offerts par ces moyens de locomotion (14 %). L’examen des résultats par sexe et par type de ménage (tableau 1) montre que les femmes sont surreprésentées dans la catégorie « Utilisation exclusive de moyens de transport autres que l’automobile », ce qui témoigne d’une forte inégalité d’accès à l’automobile. Nous voyons aussi que les familles sont surreprésentées dans les catégories « Utilisation exclusive de l’automobile » et « Automobilistes obligés d’utiliser les transports en commun », ce qui tient probablement à la grande complexité du programme de leurs activités quotidiennes avec les enfants.
- Tout le monde ne veut pas vivre dans le périurbain (tableau 2). Certaines personnes interrogées qui résident dans les villes-centres voudraient certes vivre dans le périurbain, mais l’inverse aussi est vrai. Il faut cependant noter que les désirs concernant le lieu de résidence sont polarisés : ils se portent soit vers le centre de la ville, soit vers le périurbain. On ne trouve pas beaucoup de gens qui veulent vivre dans la proche banlieue, même parmi ceux qui y vivent déjà.
- Il n’y a pas de différence significative sur ce point entre les sexes. En revanche, le tableau 2 fait apparaître une nette opposition entre les types de ménage : les célibataires sont plus attirés par le centre de la ville, et les familles par la grande banlieue, même si un pourcentage assez élevé (38 %) des familles disent vouloir vivre dans le centre.
Typologie des raisons de choisir un moyen de transport déterminé
Typologie des raisons de choisir un moyen de transport déterminé
Aspirations concernant le lieu de résidence
Aspirations concernant le lieu de résidence
… mais la dynamique urbaine impose le modèle dominant
11S’il faut reconnaître que tout le monde ne veut pas conduire une voiture et habiter dans le péri-urbain, les recherches montrent que certaines contraintes liées à la dynamique urbaine tendent à imposer le modèle dominant à ceux qui ont d’autres désirs. Les modèles qui diffèrent du modèle dominant pâtissent en particulier de l’insuffisance de l’offre de transports publics. Bien que la dynamique urbaine qui favorise l’automobile soit l’expression d’un ensemble complexe de désirs individuels, elle tend à s’imposer comme la seule dynamique possible aux personnes interrogées qui adhèrent à d’autres valeurs. Cette situation est particulièrement bien illustrée par les deux faits suivants.
- Premièrement, parmi les personnes interrogées prédisposées à utiliser plusieurs moyens de transport, celles qui voudraient éviter l’automobile pour être en accord avec leurs convictions, ou qui voudraient utiliser les transports en commun plutôt que l’automobile pour le plaisir d’être dans un espace public avec d’autres personnes, sont souvent obligées d’utiliser l’automobile, en particulier pour aller travailler et revenir de leur travail, parce qu’il n’y a pas de transports en commun (satisfaisants) entre leur domicile et leur lieu de travail. Le tableau 3 montre que c’est notamment le cas des habitants du périurbain.
- En ce qui concerne les aspirations des citadins à résider dans telle ou telle partie de la ville, le tableau 4 montre que les ménages – et notamment les familles – ne sont pas complètement satisfaits de l’état du marché immobilier. Il ressort de notre enquête que les familles d’ouvriers et d’employés aspirent à vivre dans le périurbain ; mais elle met aussi en évidence l’aspiration inverse : celle des habitants du périurbain qui voudraient vivre dans le centre de la ville. Deux catégories d’individus en particulier se trouvent dans cette dernière situation : d’une part, les cadres qui auraient voulu acheter un grand appartement dans le centre de la ville, mais que le manque de logements correspondant à leurs goûts et à leurs moyens a contraints de s’établir dans la grande banlieue [3] ; d’autre part, les adolescents, ainsi que les adultes qui ne travaillent pas, lorsqu’ils ne disposent pas d’une automobile, n’ont pas choisi de vivre en banlieue, mais sont néanmoins tributaires de l’automobile.
Pourcentage des individus qui utilisent l’automobile pour aller à leur travail, par type de raison de choisir un moyen de transport déterminé
Pourcentage des individus qui utilisent l’automobile pour aller à leur travail, par type de raison de choisir un moyen de transport déterminé
Converge entre le lieu de résidence effectif et le lieu de résidence désiré
Converge entre le lieu de résidence effectif et le lieu de résidence désiré
Comparaison avec d’autres villes européennes
Une autre conception de la proche banlieue
12Les résultats présentés ci-dessus montrent que si, par une polarisation des attitudes, les Français aspirent à vivre soit dans le centre des villes, soit dans le périurbain, ceux qui vivent effectivement dans le périurbain ne sont pas tous satisfaits d’y vivre. Pour certains, la vie périurbaine est un exil imposé par le marché du logement ou la conséquence d’un choix fait par un autre membre de leur famille. Ces petits signes suggèrent qu’il y a un marché pour de l’habitat urbain n’imposant pas le recours massif à l’usage de l’automobile. Dans la situation actuelle, la croissance périurbaine résulte autant des aspirations de la population que du système d’opportunités et de contraintes du marché du logements. Dans ce contexte, nous sommes d’accord avec l’analyse de Marc Wiel suivant laquelle la périurbanisation diffuse découle des méthodes appliquées en matière d’urbanisme et d’urbanisation, ainsi que des règles qui régissent le financement du logement (Wiel, 1999). Mais rien n’empêche de changer les « règles du jeu ». Notre enquête indique en fait deux pistes d’action. La première consiste à offrir des logements spacieux à des prix abordables en milieu urbain – des logements conformes aux critères des familles actuellement obligées de vivre en péri-urbain parce qu’elles ne trouvent pas de tels logements dans le centre. La seconde, à élaborer des urbanisations périurbaines compactes qui ne condamnent pas ses habitants à utiliser l’automobile, de sorte que même ceux qui n’ont pas de voiture puissent accéder facilement aux activités proposées.
13Pour que ces deux pistes soient efficaces, il faut se défaire de la vision dichotomique entre villes historique et périurbaine. Il est évidemment impossible d’accroître l’offre de grands logements à prix abordable dans le centre des villes, où les possibilités d’expansion urbaine sont désormais réduites et les prix fonciers élevés. Il n’est pas non plus possible d’accroître suffisamment l’offre de transports en commun pour limiter la dépendqnce automobile dans le périurbain diffus. De telles pistes n’ont de sens que dans la proche banlieue : il s’agit d’imaginer un troisième urbain de densité intermédiaire entre les modèles de la ville historique et de la grande banlieue.
14Les villes européennes fournissent de nombreux exemples susceptibles d’alimenter la réflexion sur ce troisième modèle. La conception dualiste de la ville qui prévaut actuellement en France se pose différemment dans la plupart des autres pays d’Europe. Les formes urbaines et leur image sont formatées par la ségrégation socio-spatiale, les politiques d’urbanisme et les lois en vigueur. De même, la répartition des logements dans l’espace de la ville et les désirs des citadins concernant leur lieu de résidence dépendent largement de l’offre. Les exemples de la Grande-Bretagne, de l’Allemagne et de la Suisse sont intéressants à cet égard parce que la répartition spatiale des logements et les aspirations des citadins s’inscrivent dans des champs du possible différents. Ces pays ont élaboré, chacun à leur manière, des modèles d’urbanisation échappant à la conception dualiste qui oppose la ville historique construite à l’échelle des piétons à la ville périurbaine diffuse construite à l’échelle de l’automobile. Ces exemples contredisent l’idée suivant laquelle l’expansion périurbaine est inévitable.
Grande-Bretagne : le modèle dominant de la banlieue résidentielle à forte densité
15On se représente généralement les villes britanniques sous l’aspect agréable de quartiers composés d’interminables rangées de petites maisons jumelées. Plus de 80 % de la population vit en effet dans des maisons individuelles (Wiel, 1999, p. 34). C’est le principal mode d’urbanisation, bien que dans certains quartiers il y ait aussi des immeubles d’habitation collective. Les maisons sont parfois très proches les unes des autres, et elles se ressemblent beaucoup. Il s’agit de maisons en mitoyenneté à deux, trois ou quatre chambres à coucher. Outre l’uniformité des habitations, ce type d’habitat présente deux caractéristiques : il est très ancien (il date de plus d’un siècle) et très dense. Du fait de ces deux caractéristiques, l’urbanisme britannique favorise l’utilisation de moyens de transport autres que l’automobile. Ce modèle d’urbanisation ancien [4], conçu pour l’essentiel avant la démocratisation de l’automobile, reste à l’échelle des piétons. C’est pourquoi les villes britanniques offrent encore aujourd’hui un tissu serré qui permet d’aller partout à pied, à bicyclette ou par les moyens de transport en commun (Pharoah et Apel, 1995, p. 28). La densité de la population des différents quartiers assure la persistance de ce modèle, notamment en ce qui concerne les commerces de proximité. La recommandation officielle en matière d’urbanisme publiée en 1994 sous le numéro 13 vise à réduire les émissions de polluants provenant des moyens de transport en favorisant un mode d’urbanisation qui tire parti de cette densité. Elle propose de construire des villes là où il y en a déjà, en rénovant les quartiers anciens et en accroissant la densité de l’habitat dans les banlieues. Les avantages de ce modèle sont cependant contrebalancés par la dispersion des lieux de travail et par la médiocrité des réseaux urbains de transport en commun, qui obligent souvent les citadins à utiliser l’automobile (Froud et al., 2000).
16L’exemple britannique n’en est pas moins intéressant pour deux raisons. Premièrement, il montre que certains types de logements semi-indépendants sont compatibles avec des moyens de transport autres que l’automobile, réfutant ainsi le stéréotype suivant lequel le modèle de la banlieue résidentielle impliquerait l’utilisation de l’automobile. Deuxièmement, il souligne le caractère relatif de l’opposition entre les habitations collectives et les modèles d’urbanisation anciens d’une part, les habitations individuelles et les modèles d’urbanisation contemporains de l’autre. Non seulement les habitations individuelles existent depuis longtemps en Grande-Bretagne ; mais un nouveau type d’immeubles d’habitation collective, de taille limitée, auquel s’attache un certain prestige social, vient de faire son apparition dans le pays, notamment dans le nord de l’Angleterre.
Allemagne : une proche banlieue diversifiée
17Les modèles d’urbanisation sont très variés en Allemagne. Outre les immeubles de résidence habituels et les maisons individuelles, on trouve toutes sortes de bâtiments d’habitation semi-collective, – par exemple de petits immeubles de résidence de trois étages ou des maisons indépendantes divisées en appartements. De façon générale, il n’y a pas beaucoup de « pavillons » à la française dans le péri-urbain : plus de 60 % des Allemands (contre seulement 40 % des Français) vivent dans des maisons individuelles (Wiel, 1999, p. 34). L’application de modèles d’urbanisation intermédiaires a contrarié le désir des ménages – et notamment des familles – de vivre dans des logements plus isolés et plus proches de la nature (Kontuly et Vogelsang, 1989, p. 17). Elle s’explique par les politiques d’urbanisme et les normes de construction, qui ne permettent pas d’aménager de façon rentable des zones résidentielles à faible densité de population (Pucher, 1998, p. 286-287). La population des villes allemandes n’est cependant pas plus dense que celle des autres villes européennes, parce que sa densité varie relativement peu d’un quartier à l’autre. Les banlieues sont en général accessibles par le train, qui assure avec efficacité les liaisons radiales (Pucher, 1998, p. 297). Il en résulte une bonne adaptation réciproque entre l’urbanisme et les transports en commun.
18L’exemple de l’Allemagne montre d’abord qu’il est possible de se servir de l’urbanisme pour limiter l’expansion des villes, et ce dans un des pays d’Europe qui accordent le plus d’importance à l’automobile et où la proportion des propriétaires d’automobile est le plus élevée. Il réfute ainsi l’affirmation suivant laquelle la diffusion de l’automobile conduirait automatiquement à la dispersion de l’habitat urbain. Ce n’est pas l’utilisation de l’automobile qui conduit à l’expansion des grandes banlieues ; ce sont les politiques d’urbanisme qui permettent à l’urbanisation de favoriser ou, au contraire, de restreindre cette expansion. L’exemple de l’Allemagne montre également que les grandes banlieues ne sont pas la seule réponse possible au désir d’espace et de vie proche de la nature. Divers modes d’urbanisation intermédiaires, comme ceux qu’on trouve dans la proche banlieue des villes allemandes, peuvent aussi satisfaire ces aspirations.
Suisse : un modèle urbain trichotomique
19En Suisse, petit pays dont l’identité s’est largement construite sur des paysages naturels, la terre est vraiment un bien rare. Depuis le début des années 1980, cette rareté conduit à l’élaboration d’une politique de la ville destinée à préserver les zones rurales. Il y a trois modèles d’urbanisation : un modèle classique qui s’applique au centre des villes, et deux autres modèles qui s’appliquent respectivement au suburbain et au péri-urbain (Schuler et Joye, 1998). Chacun de ces modèles a ses partisans, comme l’attestent les analyses d’univox relatives au logement (la préférence des individus pour tel ou tel modèle est notamment déterminée par leur situation personnelle : âge, situation de famille, fait d’avoir ou non des enfants, etc.). Les aspirations des individus concernant leur lieu de résidence ne peuvent se réduire au désir de vivre dans le centre de la ville, ni à celui d’habiter dans le péri-urbain. Le modèle généralement appliqué au suburbain se caractérise par la diversité des modes d’urbanisation, de nombreux quartiers se composant de petits immeubles de résidence de deux ou trois étages. Les grandes banlieues présentent en général une assez forte densité de population et contiennent beaucoup de maisons en mitoyenneté. Les services de transport en commun sont habituellement efficaces dans le suburbain, ainsi que dans le péri-urbain de Berne et de Zurich.
20L’exemple de la Suisse montre que la proche banlieue n’est pas nécessairement un endroit où personne ne veut habiter. La qualité des constructions et des services qu’on trouve dans la proche banlieue des villes suisses, ainsi que la possibilité d’y accéder très facilement par plusieurs moyens de transport, expliquent la popularité de ce modèle. L’exemple de la Suisse montre aussi qu’il est possible d’élaborer des modèles de péri-urbain qui s’appuient sur le réseau ferroviaire. Ces modèles supposent que la population soit assez dense pour fournir un nombre suffisant de voyageurs potentiels. Le péri-urbain peut alors faire l’objet de différentes formes d’appropriation qui n’impliquent pas l’utilisation de l’automobile.
De la nécessité de dépasser la conception dualiste de la ville
21Les exemples précédents suggèrent que la conception dualiste de la ville qui prévaut actuellement en France parmi les chercheurs, les décideurs, les urbanistes et les citadins, n’est pas inévitable.
- Les aspirations des individus concernant leur lieu de résidence s’adaptent à l’offre du marché. La périurbanisation à la françaises répond aujourd’hui au désir des citadins d’accéder à la propriété et de vivre près des espaces naturels ; mais ce n’est pas la seule réponse possible.
- Il est possible d’élaborer des formes urbaines de densité moyenne qui offrent une qualité de vie appréciable et soient beaucoup plus propices que le périurbain diffus « à la française » aux transports en commun, à la bicyclette, ou aux déplacements pédestres.
- Le rôle de distinction sociale joué par l’automobile ne fait pas nécessairement obstacle à l’élaboration de ces modèles.
- Il est possible d’élaborer des modèles dans lesquels le périurbain est relié au réseau des transports en commun.
Conclusion : la forme urbaine enjeu du développement durable
22Les résultats que nous avons présentés tendent à démontrer qu’il n’y a pas lieu de considérer avec fatalisme la capacité de l’action publique à réorienter les pratiques en matière de transport : il existe des marges de manœuvre. Pour ce faire, les politiques peuvent s’appuyer sur les citadins souhaitant habiter en milieu urbain et qui peinent à réaliser ce désir. Il s’agit de créer des conditions d’offre favorables à l’expression de modèles susceptibles d’être une alternative à la triade automobilité – connexité de l’insertion sociale – maison individuelle.
23La banlieue est le lieu où cette conception prend tout son sens. Le développement de formes urbaines attractives et de densités intermédiaires ne peut en effet se faire ni dans les centres-villes – où les possibilités de développement sont limitées –, ni dans le périurbain diffus. Les proches banlieues offrent souvent de grandes potentialités de développement et les transports en commun y sont souvent déjà de bonne qualité. Ce sont des espaces où le concept de développement durable prend tout son sens. Soyons imaginatifs.
24Traduit de l’anglais
Références
- Champion, A. (dir.). 1989. Counterurbanization, Londres, Edward Arnold.
- Dubois-Taine, G. ; Chalas, Y. (dir.). 1997. La ville émergente, La Tour d’Aigues, Éditions de l’Aube.
- Fouchier, V. 1997. Les densités urbaines et le développement durable, Paris, Éditions du sgvn.
- Froud, J. et al. 2000. « Les dépenses de motorisation comme facteur d’accentuation des inégalités et comme frein au développement des entreprises automobiles : une comparaison franco-anglaise », dans Dupuy, G. ; Bost, F. (dirs), L’automobile et son monde, La Tour d’Aigues, Éditions de l’Aube.
- Kaufmann, V. 2000. Mobilité quotidienne et dynamiques urbaines, La question du report modal, Lausanne, Presses Polytechniques et Universitaires Romandes.
- Kaufmann, V. ; Guidez J.-M. 1998. Les citadins face à l’automobilité, Lyon, Éditions du certu.
- Kontuly, T. ; Vogelsang, R. 1989. « Federal Republic of Germany : the intensification of the migration turnaround », dans Champion (1989), p. 141-161.
- Pharoah, T. ; Apel, D. 1995. Transport Concepts in European Cities, Aldershot, Avebury.
- Pucher, J. 1998. « Urban transport in Germany : providing feasible alternatives to the car », Transport Reviews, 18(4), p. 285-310.
- Schuler, M. ; Joye, D. 1988. Le système des communes suisses, Berne, Office fédéral de la statistique.
- Wegener, M. ; Furst, F. 1999. « Land-use transport interaction : state of the art », Deliverable D2a du Quatrième programme-cadre de l’intégration du transport et de la planification territoriale [d’après doc], Bruxelles, Commission européenne, Accessible par téléchargement à http://www.inro.tno.nl/transland/Products.htm
- Weil, M. 1999. La transition urbaine, Sprimont, Mardaga.
Notes
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[1]
La « ville nouvelle » est un produit spécifique de l’expansion de la proche banlieue. Nous l’avons donc assimilée, pour les besoins de l’analyse, au suburbain dans les tableaux suivants.
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[2]
Le questionnaire a été rédigé par l’irec (Institut de recherche sur l’environnement construit), centre de recherche universitaire installé à l’École polytechnique fédérale de Lausanne, en Suisse, et par le certu (Centre d’études sur les réseaux, les transports, l’urbanisme et les constructions publiques), qui dépend du Ministère de l’équipement, des transports et du logement de la France. Les rédacteurs du questionnaire se sont appuyés sur des enquêtes antérieures, dont la validité avait été vérifiée (Kaufmann et Guidez, 1998) : les enquêtes sur le « choix » des moyens de transport effectuées par l’École polytechnique fédérale de Lausanne, le sondage annuel d’univox sur le logement (Suisse), et les enquêtes menées en France par le certu en collaboration avec l’Union des transports publics et le Groupement des autorités responsables de transports. Ils y ont ajouté de nouvelles questions, par exemple celles qui se rapportent à l’utilisation de la bicyclette. Les auteurs enverront le texte intégral du questionnaire aux lecteurs qui leur en feront la demande.
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[3]
Le nombre de personnes par pièce confirme ce résultat : en Île-de-France, il est de 0,82 dans les appartements et de 0,68 dans les maisons individuelles (Fouchier, 1997, p. 90).
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[4]
Dès 1850, la moitié de la population anglaise vivait dans les villes (Champion, 1989, p. 83).