Note
-
[1]
Dans une étude portant sur les cinquante principales villes des États-Unis, Talen (1997) a constaté que 25 d’entre elles mettaient en œuvre un plan d’aménagement global à long terme de type classique. Les deux autres grandes métropoles sud-africaines – Johannesburg et Durban – ont elles aussi établi des plans d’urbanisme globaux au début des années 1990.
Introduction
1Dans le passé, villes et bourgs se sont développés sur le site de nœuds de communication offrant un accès aisé, par exemple par la mer, les cours d’eau ou les routes. Malheureusement, cette macro-accessibilité est restée en général sans équivalent au niveau micro. L’accessibilité est souvent problématique à l’intérieur même de la ville. Au fil du temps, il est apparu clairement que la raison en était l’absence de coordination entre planification des transports et planification des établissements humains. D’où de vastes zones urbaines qui ne sont pas viables. C’est ce qui s’est produit en Afrique du Sud. Venant s’ajouter à l’absence de planification, la politique de l’apartheid y a rendu plus difficile encore une situation n’offrant déjà aucune perspective d’avenir.
2Sur quelle définition de la « viabilité » des agglomérations urbaines ce constat s’appuie-t-il ? Dans le présent article, la viabilité s’entend par rapport aux problèmes de transport. L’usage de la voiture particulière a de nombreux effets indésirables : nuisances sonores, pollution atmosphérique, encombrements, consommation d’espace. La viabilité est synonyme de mobilité pour tous, mais elle suppose en outre que l’on privilégie les moyens de locomotion lents (marche à pied et bicyclettes) et les transports publics. Aux fins de notre étude, nous adopterons la définition suivante :
Une agglomération urbaine viable assure la mobilité à l’ensemble de ses habitants, en rendant toutes les destinations accessibles, de préférence au moyen de modes de locomotion lents ou des transports publics. L’usage de la voiture particulière est limité, il n’y a pas d’encombrements et des mesures sont prises en cas de nuisances sonores.
4Nous nous proposons dans un premier temps de familiariser le lecteur avec les théories générales de l’espace urbain. Même si la pratique ne concorde jamais totalement avec la théorie, nous tenterons d’illustrer par des exemples concrets les différents concepts théoriques, dont nous analyserons en outre l’efficacité sur le plan de la viabilité.
5Nous examinerons ensuite la situation en Afrique du Sud, où les agglomérations urbaines, nous le verrons, ne sont pas viables. Conscientes de cela, les autorités nationales ont élaboré au milieu des années 1990 toute une série de documents directeurs. Nous nous intéresserons pour finir à la ville du Cap (exemple de ville sud-africaine).
6Une analyse des théories de l’espace urbain à la lumière de plusieurs exemples concrets amène à conclure que l’approche néerlandaise dite de la « ville compacte » a donné des résultats tout à fait concluants. Faute d’espace, les Pays-Bas ont néanmoins été le premier pays d’Europe contraint de chercher au-delà de ce modèle de nouvelles solutions aux problèmes de transport. Ils les ont trouvées dans l’intégration de la planification des établissements humains et de la planification des transports, en limitant l’usage de la voiture particulière en milieu urbain pour privilégier les transports publics. Nous décrirons la principale théorie sur laquelle repose cette approche. D’autres pays européens ayant entrepris de mettre en œuvre des politiques analogues, il est permis de se demander si l’Afrique du Sud n’aurait pas, elle aussi, avantage à s’inspirer du modèle néerlandais.
Aperçu des théories générales de l’espace urbain
7Les planificateurs ont exploré au fil des ans plusieurs modèles de croissance urbaine. Il est impossible de rendre compte dans cet article de toutes les théories de l’espace urbain. Il ne sera présenté que six modèles de croissance urbaine, étayés par des exemples pris dans le monde entier (figure 1).
Modèles de croissance urbaine dans le monde
Modèles de croissance urbaine dans le monde
La ville fidèle à sa configuration traditionnelle (« business-as-usual city »)
8Une telle ville se développe par occupation des espaces encore vacants. Sur le plan des transports, c’est la méthode de l’offre en fonction des prévisions qui prévaut. On prédit la demande à partir des modèles existants, en prenant en compte les nouveaux établissements. Les routes ou voies secondaires nécessaires pour répondre à cette demande s’ajoutent au réseau existant. En général, ce type d’aménagement génère de longs déplacements, la voiture particulière étant le principal moyen de transport. Cette approche n’est donc pas considérée comme très viable à long terme.
9Le principal paramètre qui définit une agglomération urbaine – sa densité – a d’importantes incidences sur la longueur des déplacements et la répartition du trafic entre modes de transport. De manière générale, les villes américaines et australiennes se caractérisent par une faible densité de la population et de l’emploi. La ville repose entièrement sur l’utilisation de l’automobile. Los Angeles est l’exemple type de la ville motorisée fidèle à sa configuration traditionnelle. On y compte environ 700 automobiles pour 1 000 habitants, la densité n’y dépasse pas une vingtaine d’habitants par hectare et les transports publics n’y sont quasiment pas utilisés : 2,2 voyages par véhicule-kilomètre (Newman et Kenworthy, 1989). Le bus est le seul transport en commun existant à Los Angeles. La distance moyenne entre le foyer et le lieu de travail est de 15 km.
La ville à croissance périurbaine (« edge city »)
10La ville à croissance périurbaine se caractérise par un accroissement de la population, du taux d’occupation des sols et de l’emploi en un certain nombre de points nodaux et par des investissements accrus dans la construction de routes reliant ces nœuds. Sa viabilité est jugée supérieure à celle du modèle précédent, car les nœuds offrent des services plus proches du foyer, de sorte que les distances diminuent. Le principal inconvénient est l’éparpillement des nœuds d’activité, qui limite les possibilités de mettre en place des transports publics viables.
11La plupart des agglomérations de ce type se trouvent aux États-Unis. Les densités y sont localement plus élevées que dans les villes fidèles à leur configuration traditionnelle. Globalement, elles restent néanmoins assez faibles. Denver et Boston sont des exemples de ce modèle : la densité globale y est de 20 habitants par hectare, mais l’existence de nœuds locaux se traduit par un net raccourcissement de la distance moyenne entre le foyer et le lieu de travail (11 km environ). Les transports publics sont en outre beaucoup plus développés, avec 1,6 voyage par véhicule-kilomètre pour le bus, 4,2 voyages pour le chemin de fer et 6,7 voyages pour le tram (Newman et Kenworthy, 1989).
La ville éclatée (« ultra city »)
12La ville éclatée se caractérise par le développement de nœuds régionaux dans un rayon de 100 kilomètres autour du centre-ville. Des trains à grande vitesse relient les nœuds régionaux au cœur de la ville. Malgré la viabilité de ce mode de transport, on considère que ce modèle n’est pas une solution durable. De précieux espaces naturels sont occupés par de nouveaux aménagements qui auraient pu être réalisés dans les zones urbaines (ou à proximité).
13Stockholm est l’exemple le plus connu de « ville éclatée ». Le recours aux transports publics y est limité : 2,4 voyages par véhicule-kilomètre sur le réseau ferroviaire (Newman et Kenworthy, 1989). Avec environ 55 habitants par hectare, la densité globale est très élevée. Néanmoins, le fait que les banlieues sont conçues comme des agglomérations satellites allonge la longueur des déplacements. La distance moyenne entre le foyer et le lieu de travail est de 11 km à Stockholm, soit le même chiffre qu’à Denver et Boston, où la densité est pourtant beaucoup moins forte.
La ville compacte (« compact city »)
14La ville compacte utilise les espaces demeurés vacants à l’intérieur de ses limites. Les banlieues existantes absorbent le surcroît de population, de sorte que les densités augmentent. On considère en général la ville compacte comme un modèle d’expansion urbaine tout à fait viable, où les transports publics constituent habituellement une solution adaptée.
15Amsterdam en est un exemple : il n’y a généralement pas de problèmes d’accès et les transports publics y sont une option satisfaisante. Cela est parfois moins vrai de l’automobile et des autres modes de transport routier du fait des encombrements autour d’Amsterdam aux heures de pointe. Pour accroître le niveau d’accessibilité, la municipalité a amélioré les principaux axes routiers (A 10) et accueilli le terminus d’un nouveau train à grande vitesse (le Thalys) qui relie le centre-ville à l’aéroport de Schiphol, Bruxelles et Paris (Vanderschuren et al., 2000). Amsterdam a une densité supérieure à 55 habitants par hectare et la distance moyenne entre le foyer et le lieu de travail y est de 7 km. Le nombre de voyages par véhicule-kilomètre confirme que cette ville est de type compact et privilégie les transports publics : il est de 3,8 pour le bus, de 2 pour le chemin de fer et de 11,9 pour le tram (Newman et Kenworthy, 1989).
La ville à couloirs (« corridor city »)
16La ville à couloirs tente d’éviter les inconvénients de la ville à croissance périurbaine. Elle se développe à partir des quartiers d’affaires. Les liaisons radiales existantes (transports publics) sont modernisées. Ce modèle est considéré comme viable.
17Vienne est un exemple d’une telle ville en Europe. Sa densité est supérieure à 75 habitants par hectare et la distance moyenne entre le foyer et le lieu de travail est de 6 km. L’usage des transports publics y apparaît bien développé : le nombre de voyages par véhicule-kilomètre est de 2 pour le bus, 2,1 pour le chemin de fer et 3,8 pour le tram (Newman et Kenworthy, 1989).
18Dans les pays en développement, Curitiba (Brésil) offre un autre exemple de ce modèle. Depuis 1965, la municipalité a élaboré un plan de développement des transports fondé sur le principe de l’aménagement de couloirs de transport. Un vaste réseau de liaisons par bus a été mis en place au fil des ans et les établissements n’ont été construits que le long de ces itinéraires. En 1980, Curitiba avait une densité de 30 habitants par hectare et 79 % de la population faisait un usage fréquent de ce moyen de transport (Smith et Raemaekers, 1998).
19L’Office national des transports de l’Afrique du Sud a adopté une politique axée sur cette approche (Ministère des transports et Office des transports, 1999) (figure 3). Compte tenu de l’organisation traditionnelle des villes sud-africaines, cette solution semble viable à long terme.
La ville à croissance suburbaine (« fringe city »)
20Le développement d’une telle ville se concentre essentiellement dans ses banlieues. C’est ainsi que les grandes villes australiennes sont connues pour leurs franges mi-rurales mi-urbaines, et les densités y sont faibles.
21Sydney est l’une des agglomérations les plus complexes et les plus dynamiques de cette catégorie. La densité y est d’environ 17 habitants par hectare (Newman et Kenworthy, 1989). L’usage des transports publics reste limité : 2,2 voyages par véhicule-kilomètre pour le bus et 1,5 pour le chemin de fer (Newman et Kenworthy, 1989). Ce modèle de développement urbain n’est pas jugé viable en raison des distances importantes qu’il faut y parcourir pour rejoindre les pôles d’activité économique.
22La plupart des données relatives aux densités et aux distances entre le foyer et le lieu du travail qui figurent dans la présente section sont empruntées aux travaux de M. Paul Mann, un spécialiste des transports publics et des problèmes de transport de l’Afrique du Sud (figure 2).
Longueur moyenne du trajet entre le foyer et le lieu de travail (en km) par rapport à la densité (nombre d’habitants par ha)
Longueur moyenne du trajet entre le foyer et le lieu de travail (en km) par rapport à la densité (nombre d’habitants par ha)
23La preuve en a été faite, des densités plus élevées permettent d’envisager diverses options viables en matière de transports publics. C’est dans les agglomérations à forte densité de population que le modèle de la « ville compacte » et celui de la ville à couloirs ont le plus de chances de porter leurs fruits. En outre, les villes de ce type sont plus respectueuses de l’environnement et plus enclines à combattre la pollution produite par les automobiles.
Les établissements humains en Afrique du Sud
24À l’époque de l’apartheid, les Blancs résidaient dans les zones développées, à proximité des équipements, tandis que les Noirs étaient cantonnés dans des townships (censées en principe ne pas faire partie de la ville) loin de ces équipements. Les transports publics fonctionnaient comme des navettes, acheminant les Noirs jusqu’à leur lieu de travail tôt le matin et les ramenant dans les townships le soir.
25La figure 3 illustre l’organisation d’une agglomération sud-africaine. Les branches en étoile représentent des routes. L’intersection de ces routes, dans la partie supérieure du schéma, correspond à la zone développée. Les parties renflées au bas du schéma représentent les townships où vivaient les ouvriers (dont les épouses étaient souvent restées dans les homelands). Comme on peut le voir, ces townships étaient séparées entre elles par des espaces non urbanisés qui servaient de zones-tampons, pour empêcher toute mobilité. Ce prolétariat composé de Noirs et de Métis était dans l’impossibilité de s’aventurer hors des quartiers qui lui étaient dévolus. Nous l’avons dit, il n’était transporté que dans le cadre du travail.
Exemple d’aménagement linéaire en Afrique du Sud
Exemple d’aménagement linéaire en Afrique du Sud
26Depuis l’abolition de l’apartheid, il n’existe plus de zones réservées selon des critères racistes. Le droit de circuler librement est donc devenu une réalité et il convient d’encourager la mobilité pour tous, ce qui signifie qu’il faut développer les transports.
27L’utilisation actuelle des sols accentue ce schéma hérité du passé et caractérisé par des villes-dortoirs et de longues distances : les habitations à bon marché sont implantées loin des centres urbains et des axes desservis par les moyens de transport existants. Le droit au logement et l’égalité des chances sont devenus des sujets de revendication. Déjà élevée, la distance moyenne parcourue par les « voyageurs quotidiens » (« commuters ») s’accroît encore (tableau 1).
Effectif des différentes catégories de voyageurs urbains et proportion par rapport à l’ensemble
Effectif des différentes catégories de voyageurs urbains et proportion par rapport à l’ensemble
28Nous l’avons dit, les problèmes de transport résultent d’un usage accru de la voiture particulière et de la diminution des densités (nombre d’habitants par hectare). Malheureusement, la densité des villes sud-africaines a considérablement chuté au cours du xxe siècle (figure 4).
Croissance de la ville du Cap, 1904-2000
Croissance de la ville du Cap, 1904-2000
29Comme le montre le tableau 1, on prévoit un accroissement considérable de la mobilité dans les années à venir. L’infrastructure sud-africaine – routes, transports publics, etc. – ne permettra pas d’y faire face. De plus, le trafic, notamment de poids lourds, est la cause de nuisances sonores et de rejets dans l’atmosphère. Presque chaque jour, la ville du Cap est recouverte d’une brume brunâtre qui témoigne de la gravité de la pollution atmosphérique. Selon des études internationales, le trafic est responsable en moyenne de 30 % de cette pollution. Ce pourcentage est encore plus élevé dans les pays en développement.
30Avant de passer à la section suivante, nous allons examiner plus en détail le cas de la ville du Cap. Nous l’avons choisie comme exemple d’agglomération sud-africaine en raison des schémas directeurs et autres documents qui existent à son sujet. De plus, 89 % de la population du Cap occidental se concentre dans les zones urbaines (c’est-à-dire au Cap). Les transports publics y sont néanmoins beaucoup plus utilisés que dans les autres villes du pays, du fait principalement du caractère plus développé du réseau ferroviaire local. Les problèmes que nous allons évoquer sont donc encore plus aigus dans ces autres villes.
31La ville du Cap s’est beaucoup développée au cours du siècle dernier. On l’a vu à la figure 2, les densités y sont faibles et les distances moyennes entre le foyer et le lieu de travail élevées. De fait, la densité de population a diminué, passant de 115 personnes par hectare en 1904 à 39 personnes par hectare en 2000 (figure 4). L’extension et la croissance des zones bâties donnent la mesure du territoire qu’il faut désormais desservir.
32Le Conseil métropolitain du Cap a élaboré un « Cadre d’aménagement de l’espace métropolitain » (Cape Metropolitan Council, 1996) à peu près au moment où l’Office national des transports adoptait le principe des couloirs de transport. Ce principe figure au nombre des quatre stratégies préconisées dans le cadre d’aménagement, qui s’inspire à cet égard de l’exemple de Curitiba. Le rapport technique publié en 1996 a été décrit comme un « projet de planification urbaine classique, dans le droit fil de la tradition » (Mandelbaum, 1990). Ses 107 pages solidement argumentées et illustrées trouvent leur aboutissement dans une carte en couleurs du Cap présentant l’aménagement des espaces urbains tel qu’il devrait être dans 20 ans (Watson, 2000). C’est un projet moderniste très ambitieux, comme en ont adopté bon nombre de grandes villes, en Afrique du Sud ou ailleurs [1].
33Les conceptions de l’aménagement de l’espace sur lesquelles repose ce projet découlent en partie de l’expérience passée de l’Afrique du Sud en matière d’urbanisme, mais elles n’ont réellement pris corps en tant que projet politique qu’au début des années 1990, lorsque les planificateurs, en particulier au sein des administrations, se sont mis en quête de solutions qui rompent avec l’organisation de l’espace fondée sur le racisme et l’exclusion propre à l’idéologie de l’apartheid. Dans les années qui ont immédiatement précédé et suivi les élections de 1994, l’Afrique du Sud était dans une situation comparable à certains égards à celle de l’Europe de l’après-guerre : le sentiment prévalant était qu’il fallait reconstruire sur les cendres du passé une société meilleure et radicalement nouvelle (Watson, 2000). Le cadre d’aménagement prévoit même la densification des couloirs de transport. La figure 5 présente l’aboutissement escompté de ce plan d’aménagement.
Cadre d’aménagement de l’espace métropolitain
Cadre d’aménagement de l’espace métropolitain
34À l’origine, les autorités nationales ont soutenu le cadre d’aménagement du Cap, conformément à leur choix de privilégier le développement le long des axes de transport. Malheureusement, il n’est pas certain que ce soit encore le cas aujourd’hui. Les subventions publiques destinées à financer ces couloirs se sont taries. Le gouvernement national semble s’être désintéressé de ce projet et la municipalité du Cap se retrouve privée de ressources.
Planification intégrée des établissements humains et des transports
35Dans les pays d’Europe, l’aménagement des espaces urbains prend depuis toujours en compte les transports. C’est pourquoi les villes européennes se caractérisent par des densités plus élevées et une meilleure viabilité des politiques d’urbanisme (villes compactes et aménagement linéaire). Malheureusement, il est clair aujourd’hui qu’accroître la densité ne suffit pas. Il faut une planification intégrée des établissements et des transports.
36Comme le montre l’exemple d’Amsterdam, les autorités néerlandaises ont opté pour le principe de la ville compacte. Aux Pays-Bas, les citadins utilisent beaucoup les transports en commun et la topographie facilite l’usage de la bicyclette. Néanmoins, le manque d’espace a contraint les pouvoirs publics à innover en allant plus loin encore. La planification intégrée des établissements humains et des transports est « née » au début des années 1990. La politique fondée sur la typologie « abc » en a été le premier pas. Lui a succédé l’approche dite de l’« urbanisation axée sur la mobilité ». Ces nouvelles politiques néerlandaises commençant à faire école dans d’autres pays d’Europe, la question se pose de savoir si elles pourraient être une solution applicable aux villes sud-africaines.
La politique fondée sur la typologie abc
37Ayant constaté que les incitations financières perdent rapidement de leur efficacité, les pouvoirs publics ont réfléchi à des mesures à plus long terme. Il fallait repenser le plan d’occupation des sols. Une solution prometteuse consiste à encourager l’utilisation des transports publics par une meilleure coordination de la planification des équipements de transport et de l’aménagement du territoire, en particulier du point de vue de l’emploi. Les sites industriels, les équipements publics et les bureaux des entreprises commerciales et des administrations génèrent une certaine mobilité des personnes et des biens. Le volume des flux ainsi créés et l’utilisation des différents nœuds de communication dépendent fortement des caractéristiques de ces pôles d’activité et de leur situation géographique. On sait qu’en implantant les emplois à proximité des gares de chemin de fer et autres lieux bien desservis par les transports publics, on accroît l’utilisation des transports en commun. Quantité d’exemples montrent que la présence d’une entreprise influe sur le mode de transport emprunté par les « voyageurs quotidiens ».
38Le Centre de recherches tno Inro a étudié les possibilités de limiter les besoins de déplacement en réglementant l’implantation des entreprises (Verroen et al., 1990). Il a constaté qu’une manière prometteuse et novatrice de gérer l’occupation des sols était d’exploiter les différences dans l’ampleur des flux induits par divers types d’entreprises. Il conviendrait donc de prêter attention à ces différences considérables dans l’accroissement potentiel de la demande de transports publics et de l’utilisation de véhicules automobiles pour les voyages d’affaires et le transport des marchandises. Compte tenu de ce que l’espace est limité à proximité des nœuds de transport publics et de ce que certaines entreprises dépendent fortement des équipements routiers, il serait bon de réserver les emplacements les mieux desservis aux entreprises présentant un fort potentiel en matière d’utilisation des transports en commun. Celles dont le potentiel est plus faible, mais qui sont fortement tributaires de la route pour le transport et les déplacements professionnels devront être installées de préférence à proximité des accès au réseau routier.
39On a donc distingué différentes catégories de sites en vue de déterminer quels sont ceux qui sont le mieux adaptés pour chaque type d’entreprise. Dans sa première version, le système de planification en recensait trois (figure 6) :
- Sites de type A : sites d’accès très aisé par les transports en commun. Des exemples en sont les grands nœuds des réseaux de transports publics tels que les gares centrales dans les grandes agglomérations urbaines.
- Sites de type B : sites d’accès raisonnablement aisé tant par les transports en commun qu’en voiture particulière.
- Sites de type C : sites typiquement axés sur l’utilisation de véhicules automobiles, c’est-à-dire situés par exemple à proximité des accès routiers, dans des zones périphériques mal desservies par les transports publics.
Exemple d’emplacement des sites de type A, B et C
Exemple d’emplacement des sites de type A, B et C
40Étant donné les objectifs de ce système de planification, on s’est attaché essentiellement à définir l’accessibilité en ce qui concerne les transports publics et l’automobile. L’étude n’a pas pris expressément en compte les modes de transport lents. tno Inro s’est aperçu que la distinction entre sites de types A, B et C était trop restrictive pour permettre une typologie significative et exhaustive de tous les pôles d’emploi. On a donc défini deux nouveaux types : site A-l (site de type A à l’échelon local), raisonnablement bien desservi par les transports publics, mais d’accès moins aisé par l’automobile, et site R, d’accès difficile par ces deux modes de transport. Le tableau 2 présente de façon schématique la typologie finale fondée sur les conditions d’accès.
Typologie des sites par moyens d’accès
Typologie des sites par moyens d’accès
41Connaissant le potentiel de mobilité des entreprises et l’accessibilité des sites, et compte tenu des objectifs visés, il s’agissait ensuite de déterminer quel type d’entreprise était idéalement adapté à tel type de site. Quelle stratégie réduirait au maximum les déplacements en voiture « superflus » et garantirait l’accès au réseau routier aux entreprises qui en dépendent fortement pour les déplacements professionnels et/ou le transport des marchandises ? Plusieurs simulations et études multicritères (Verroen et Hilbers, 1998) ont permis de déterminer le meilleur type de site pour 11 grands types d’entreprises (tableau 3).
Types d’emplacement préférables pour onze grands types d’équipements
Types d’emplacement préférables pour onze grands types d’équipements
42Compte tenu des objectifs de la politique fondée sur la typologie abc, on peut envisager deux sortes de mesures : planification de l’infrastructure, en vue d’améliorer l’accessibilité des entreprises sur les sites qu’elles occupent déjà, et planification de l’utilisation des sols, en vue de réglementer ou de modifier l’implantation des entreprises.
43Ces politiques, il importe de le noter, ont été mises en œuvre par les pouvoirs publics. Ces derniers ont défini les sites optimaux pour les différents types d’entreprises et les collectivités locales ont été « contraintes » de respecter ce cadre préétabli.
44Un important projet concernant la ville de La Haye a prouvé que les deux mesures – amélioration de l’offre de transports (publics) et réglementation de l’occupation des sols – pouvaient, en principe, être efficaces. Le gouvernement néerlandais tente à présent de dresser le bilan de cette politique mise en œuvre depuis huit à dix ans, mais aucune donnée concrète n’est malheureusement encore disponible.
L’urbanisation axée sur la mobilité
45Les liens étroits entre infrastructure, mobilité et aménagement de l’espace sont, bien entendu, connus de longue date. Depuis des années déjà, des recherches sont menées pour déterminer comment les caractéristiques de l’aménagement urbain influent sur les courants de circulation à différents niveaux et l’utilisation de l’infrastructure urbaine (Bolt, 1982 ; ecotec, 1993). Les études de tno Inro mettent principalement l’accent sur les incidences de l’aménagement urbain sur les activités quotidiennes des citadins aux Pays-Bas (« espace urbain quotidien ») et les flux de trafic qui en résultent. Les statistiques montrant que plus de 90 % des déplacements quotidiens se font sur une distance inférieure à 30 km, ces études ont porté sur les effets du choix des sites dans un tel rayon. Les liaisons sur de plus grandes distances et les aspects de l’organisation de l’espace à l’échelle réduite des banlieues et des zones périurbaines ont moins retenu l’attention.
46Les principaux facteurs déterminants ont été établis sur la base de l’abondante littérature récemment consacrée à l’urbanisation et à la mobilité. Trois variables (type d’aménagement urbain, activités quotidiennes et flux de trafic) ont conduit à définir huit options prometteuses, comme indiqué au tableau 4, qui, toutes, sont fondées sur la proximité avec un ou plusieurs nœuds et l’installation des nouveaux équipements étant installés non loin des points de desserte d’un réseau de transports publics bien conçu.
Modèles d’urbanisation prometteurs déjà éprouvés
Modèles d’urbanisation prometteurs déjà éprouvés
47S’agissant des plans d’aménagement urbain à long terme qui sont souhaitables du point de vue de la mobilité, les solutions optimales ne sont pas aussi tranchées et dépendent de la prise en compte des indicateurs de mobilité. En particulier, si l’on étudie, à l’aide de techniques de simulation et de recherche multicritères, les possibilités de réduire le trafic automobile et l’encombrement du réseau routier, il apparaît qu’un plan d’urbanisme prévoyant une combinaison judicieuse de multiples fonctions qui (dans une moindre mesure) soient en outre regroupées au sein d’unités spatiales plus vastes situées le plus près possible des quartiers métropolitains existants, ou entre ces quartiers, et bien desservies par un réseau de transports publics bien conçus produira les meilleurs résultats en termes de mobilité. Les choses sont moins nettes quand il s’agit de choisir entre des nœuds isolés proches d’une même conurbation ou des nœuds regroupés sur les axes reliant plusieurs conurbations. Les sites offrant les meilleures conditions sur le plan de la mobilité sont ceux qui se situent à proximité du centre d’une conurbation ou sur les axes la reliant à d’autres conurbations. Ces sites présentent plusieurs avantages :
- un relatif raccourcissement des distances ;
- des liaisons plus efficaces avec l’infrastructure principale ;
- de plus amples possibilités d’accès aux transports en commun.
Exemples types d’agglomérations à nœuds isolés ou regroupés, bien et mal situés
Exemples types d’agglomérations à nœuds isolés ou regroupés, bien et mal situés
Conclusion
48Le développement durable des villes a été trop longtemps négligé en Afrique du Sud. Les politiques récemment adoptées (aménagement linéaire) montrent que le pays entend mettre en œuvre une planification intégrée des établissements humains et des transports. Compte tenu des structures urbaines héritées de l’époque de l’apartheid, c’est un choix tout à fait logique et rationnel. Nous l’avons dit, la ville compacte est le modèle théorique qui présente les meilleures perspectives de développement durable. L’Afrique du Sud devrait tenter de combiner l’approche linéaire et l’approche de la ville compacte. Il conviendrait d’implanter les nouveaux établissements aussi près que possible des pôles d’activité économique existants. Non pas qu’il faille construire des ensembles résidentiels au cœur des zones industrielles ou à proximité immédiate. La solution consiste à étendre les quartiers résidentiels « vers l’intérieur ». Dans le contexte sud-africain, cela doit être fait de manière équitable : loger les plus pauvres dans des quartiers d’accès aisé est une priorité.
49L’exemple du Cap montre que les villes issues de l’apartheid ne sont pour l’instant pas viables. Leurs caractéristiques héritées du passé (faibles densités) obligent leurs habitants à parcourir de longues distances. Les éléments pauvres de la population vivent à la périphérie et les frais de déplacement absorbent une part importante de leur revenu. De plus, les longs trajets réduisent considérablement le temps passé en famille. Les plus aisés ne se déplacent en général qu’en voiture particulière, en causant toutes sortes de nuisances : encombrements, pollution, insécurité, etc. La répartition de l’espace routier n’est pas plus équitable. Les riches en occupent la plus grande partie avec leurs automobiles (à bord desquelles ils circulent le plus souvent seuls), tandis que les pauvres doivent s’entasser dans des transports en commun bondés, peu sûrs et au fonctionnement aléatoire. De surcroît, les seconds sont exposés aux effets néfastes pour l’environnement des modes de transport utilisés par les premiers (pollution).
50Aucun nouveau progrès ne s’est encore matérialisé depuis l’adoption de l’approche linéaire. Qui plus est, les autorités nationales ont cessé de subventionner les projets de couloirs de transport au Cap, dont elles se sont désintéressées. L’avenir de cette politique est donc incertain en Afrique du Sud, et aucun plan de substitution n’a été proposé aux collectivités locales ou au public. Une mesure adoptée à Curitiba dont on pourrait s’inspirer est le système du « tarif unique », dont les principaux bénéficiaires sont les pauvres vivant à la périphérie et qui est donc un facteur d’équité.
51Dans les villes américaines, le trajet moyen est très long et la densité faible, alors que dans les villes européennes, c’est l’inverse. Néanmoins, les municipalités et les autorités nationales des pays d’Europe sont parvenues à la conclusion qu’il fallait améliorer encore la planification. Certes, la mise en œuvre d’une nouvelle politique prend du temps, mais dix ans après son lancement, l’initiative pionnière des Pays-Bas donne des résultats positifs et d’autres pays européens commencent à suivre l’exemple de ce pays. Si elle veut obtenir des résultats demain, l’Afrique du Sud ne doit pas relâcher ses efforts.
52Même si elle ne peut être comparée à l’Europe, l’Afrique du Sud doit analyser l’expérience acquise à l’étranger et les adapter aux perspectives qui sont les siennes. Le bon sens voudrait qu’elle étudie les possibilités d’adopter (en partie) les nouvelles méthodes de planification intégrée des établissements humains et des transports. L’un des problèmes qui, en Afrique du Sud, font obstacle à la bonne application d’une politique comme celle qui se fonde sur la typologie abc est la répartition du pouvoir. Aux Pays-Bas, le gouvernement central joue un rôle déterminant dans la planification des établissements humains. Les collectivités locales ne peuvent s’opposer aux « plans structurels » nationaux. En Afrique du Sud, elles ont des pouvoirs beaucoup plus étendus. Il leur incombe donc d’adopter les politiques de planification intégrée qui ont fait leurs preuves, comme la politique fondée sur la typologie abc. Sans remettre en question le cadre d’aménagement de l’espace métropolitain, la municipalité du Cap pourrait, par exemple, n’autoriser la construction de bureaux qu’à proximité des nœuds desservis par les transports publics.
53Enfin, et ce n’est pas le moins important, l’exemple des pays développés montre que même la planification intégrée n’est pas une solution suffisante. En ce qui concerne les transports, il importe d’accroître l’efficacité de l’infrastructure. Cela pourrait être fait par exemple en mettant à profit les méthodes de gestion dynamique du trafic et les systèmes de transport intelligent (sti). Des études sont déjà en cours à l’Office national des transports et à l’Association sud-africaine pour les sti.
54Traduit de l’anglais
Références
- Bolt, D, 1982. Urban Form and Energy for Transportation, La Haye, PbIVVS.
- Conseil metropolitain du cap. 1996. The Metropolitan Spatial Development Framework. A Guide for Spatial Development in the Cape Metropolitan Functional Region. Technical Report, Le Cap, Cape Metropolitan Council.
- Ecotec research and consulting, 1993. Reducing Transport Emissions through Planning, Londres, Ecotec.
- Mandelbaum, S., 1990. « Reading plans », Journal of the American Planning Association, été, p. 350-356.
- Ministère des transports et office des transports. 1999. Moving South Africa, the Action Agenda. A 20-year Strategic Framework for Transport in South Africa, Pretoria, Ministry of Transport.
- Ministerie van verkeer en waterstaat, 2000. Van A naar Beter, Nationaal Verkeers-en VervoerPlan, Beleidsvoornemens, La Haye, Ministerie van Verkeer en Waterstaat.
- Newman, P.W.G. ; Kenworthy, J.R. 1989. Cities and Automobile Dependence. An International Sourcebook, Aldershot, Gower Technical.
- Smith, H. ; Raemaekers, J. 1998. « Land use pattern and transport in Curitiba », Land Use Policy, n° 15(3), p. 233-251.
- Talen, E. 1997. « Success, failure and conformance : An alternative approach to planning evaluation », Environment and Planning B, n° 24, p. 573-587.
- Vanderschuren M.J.W. A. ; Langerak, L. ; Van Den Broeke, A.M. ; Jansen, G.R.M., 2000. Artist, Agenda for Research on ourism by Integration of Statistics/Strategies. Case Study Amsterdam, Delft, Inro-tno.
- Verroen, E.J. ; De Jong, M.A. ; Korver, W. ; Jansen, G.R.M. 1990. Mobility Profiles of Companies and Public Facilities, Research report n° 1990-03, Delft, Inro-tno.
- Verroen, E.J. ; Hilbers, H.D. 1998. « Urban planning and mobility, some Dutch experiences », Paper presented at the conference, Public Transport and Medium Sized Cities, Terassa, Espagne.
- Watson, V. 2002. Change and Continuity in Spatial Planning, Metropolitan Planning in Cape Town under Political Transition, Le Cap, Université du Cap.
Note
-
[1]
Dans une étude portant sur les cinquante principales villes des États-Unis, Talen (1997) a constaté que 25 d’entre elles mettaient en œuvre un plan d’aménagement global à long terme de type classique. Les deux autres grandes métropoles sud-africaines – Johannesburg et Durban – ont elles aussi établi des plans d’urbanisme globaux au début des années 1990.