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Article de revue

Analyse comparative des performances des systèmes de transports collectifs urbains en Europe

Pages 261 à 275

Le contexte

1L’intégration européenne est une notion floue qui fait intervenir toute une gamme de facteurs sociopolitiques, de cadres géographiques et de mécanismes économico-institutionnels. L’Union européenne (ue) est née de l’action non coordonnée d’une mosaïque de forces disparates, réseaux indépendants et régimes de réglementation autocentrés. Les avancées vers une meilleure coordination, par exemple dans le domaine de la politique agricole commune (pac) ou de la politique commune des transports (pct), ont été d’une lenteur parfois frustrante. L’Europe sculpte néanmoins progressivement son visage politique, cette évolution devenant du reste urgente dans la perspective de l’admission prévue des pays candidats à l’adhésion (voir également Commission européenne, 2001).

2La politique des transports est l’une des sphères de l’action publique où la Commission européenne a été active. L’élaboration de politiques dans ce domaine est régie par deux principes généraux énoncés dans les traités fondateurs de l’Union, à savoir le principe de subsidiarité et le principe de proportionnalité. Le premier stipule que « dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, la Communauté n’intervient […] que si et dans la mesure où les objectifs de l’action envisagée ne peuvent pas être réalisés de manière suffisante par les États membres et peuvent donc, en raison des dimensions ou des effets de l’action envisagée, être mieux réalisés au niveau communautaire », tandis que le second doit être interprété comme suit : « L’action de la communauté n’excède pas ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs du présent traité ». Une politique européenne commune est en voie d’élaboration, pour le secteur des transports dans ce cadre général.

3L’un des principes de base de la pct est l’introduction d’une orientation commerciale plus marquée dans le secteur des transports afin d’accroître l’efficience de systèmes parfois surannés. Différents mécanismes fondés sur la dévolution de la décision publique sont actuellement envisagés, en particulier la décentralisation, la déréglementation et la privatisation. Le secteur des transports est censé améliorer l’efficacité du processus d’intégration européenne par une ferme adhésion aux règles du marché. Cette politique s’impose non seulement pour les transports transfrontaliers (dans le secteur ferroviaire ou aérien ou le transport international de marchandises) mais aussi en ce qui concerne les transports en commun à différentes échelles géographiques, du niveau interrégional au niveau local. La Commission européenne élabore actuellement un cadre global de réglementations et incitations financières appropriées afin de favoriser la performance des transports collectifs à l’aide des stimulants du marché. Parmi les trois modèles idéal-typiques d’organisation possible de ces services de transport, à savoir le monopole public sur des marchés fermés (incluant aussi les systèmes où des entreprises privées possèdent des droits exclusifs), un régime de concurrence limitée et un régime de marché entièrement déréglementé, la Commission se prononce actuellement pour un cadre reposant sur une concurrence limitée. Il est évident que ce système ne rompt pas brutalement avec le passé ; plusieurs villes ont déjà commencé à mettre en œuvre ces nouveaux cadres réglementaires de la politique des transports publics.

4La présente étude vise à tester l’hypothèse selon laquelle le passage progressif des transports publics (entendus ici au sens de transports en commun) urbains à un régime de concurrence limitée a effectivement contribué à une meilleure réalisation des objectifs fixés par les autorités organisatrices de ces services. Elle a également pour but de mettre en évidence les facteurs cruciaux de succès des systèmes de transports collectifs dans différentes régions urbaines de l’Europe à partir d’une interprétation typologique et d’une comparaison méta-analytique.

5L’article est organisé comme suit : la section 2 offre une présentation concise de la politique européenne des transports publics (urbains) ; elle s’attache en particulier à décrire les différents objectifs de la politique qui servent de cadre de référence pour évaluer les réalisations effectives des systèmes de transports collectifs urbains. La section 3 propose un aperçu de diverses formes d’organisation de ces systèmes. À titre de première démarche vers une analyse pratique des politiques, la section 4 trace une carte des différents facteurs cruciaux qui conditionnent ces réalisations. La section 5 présente la base de données ayant servi à notre classification systématique de différents systèmes européens de transports publics urbains. La section 6 contient une interprétation de fond des conclusions des études empiriques et la description des résultats d’une analyse réalisée par une méthode plus rigoureuse de traitement des données qualitatives de petits échantillons dans des études de cas comparatives, à savoir l’analyse par les ensembles d’approximation, qui repose sur les principes de la méta-analyse ; les règles de politique qui s’en dégagent et peuvent constituer des enseignements transposables font également l’objet d’une interprétation. L’article décrit en conclusion certaines perspectives en matière de politiques.

Éléments fondamentaux de la politique européenne des transports publics urbains

6L’amélioration des transports est l’un des principes de connexion qui sous-tendent la politique d’intégration européenne (Nijkamp et al., 1998). Ceci vaut pour tous les échelons géographiques, de l’international au local. Ainsi, au niveau international, la plus haute importance est attachée à la politique relative aux Réseaux transeuropéens (rte). Au niveau local, la compétence de l’ue en ce qui concerne le fonctionnement des réseaux est limitée par les principes susmentionnés de proportionnalité et de subsidiarité ; toutefois, l’objectif général consistant à favoriser la rationalisation des systèmes de transports européens est également applicable à ce niveau, parallèlement à certains objectifs socio-économiques (tels que la création d’emplois) et environnementaux (comme la réduction des émissions de co2 dans le secteur des transports). Les transports en commun sont en particulier souvent considérés comme un instrument majeur d’instauration d’une mobilité durable.

7Les transports collectifs urbains sont généralement tenus pour un service public d’une grande importance. Au niveau individuel, ce service répond aux besoins de mobilité des citoyens tandis qu’au niveau sociétal il contribue à la qualité de la vie et à la durabilité. La Direction générale des transports de la Commission européenne voit même dans les transports publics un service crucial pour les citoyens européens, comme l’indiquent les déclarations ci-après (Commission européenne, 1996) : « les besoins des citoyens sont au cœur des décisions relatives à l’offre de transports » ; et : « Idéalement, les transports publics devraient être ouverts à tous les citoyens en termes d’accès, de prix et de réseaux. Les considérations financières et techniques peuvent entraver la réalisation de cet objectif. La Commission considère toutefois que ce but est important et mérite d’être débattu… » La politique de la Commission est donc axée sur une utilisation plus intensive des transports en commun.

8Le nouveau cadre réglementaire de l’ue dans ce domaine inclut les objectifs généraux suivants (Commission européenne, 1996, 2001) :

  • encourager l’utilisation accrue des transports collectifs ;
  • encourager l’intégration des systèmes et la satisfaction des besoins de service public ;
  • créer, pour les prestataires de services et les autorités responsables de la planification, des incitations à améliorer l’accessibilité aux systèmes de transports en commun, et l’efficience, la qualité et la facilité d’utilisation de ces systèmes ;
  • promouvoir l’instauration des conditions financières requises pour rendre les services de transports collectifs plus attrayants à la fois pour le public et pour les investisseurs privés ;
  • assurer le respect de conditions minimales concernant les qualifications du personnel et garantir ainsi des niveaux élevés de fiabilité, de sûreté et de sécurité ;
  • sauvegarder la souplesse au regard de priorités nationales, régionales et locales spécifiques et des particularités des régimes juridiques nationaux.
La réalisation de ces objectifs stimulerait la mise en place d’un secteur des transports collectifs fort en Europe et éliminerait les obstacles qui sont actuellement des facteurs d’inefficacité. Toutefois, la mise en pratique à l’échelon local des principes énumérés ci-dessus est principalement du ressort des pouvoirs publics locaux ou régionaux.

9À l’évidence, une entrave majeure à l’offre de transports en commun urbains et suburbains de qualité tient au manque de transparence de l’organisation des transports collectifs en Europe. Les modèles d’organisation vont de l’entreprise publique (détenue majoritairement par une collectivité publique qui joue un rôle prépondérant dans la planification et la gestion) à l’entreprise privée sur un marché déréglementé. Les monopoles publics (et privés) sont devenus notoirement inefficaces du fait qu’ils opèrent sur un marché protégé manquant de stimulants. Les entreprises organisées sur le mode privé, opérant sur des marchés de transports en commun concurrentiels, sont réputées fonctionner de manière beaucoup plus efficiente mais cette rationalisation accrue est parfois compensée par une perte en ce qui concerne l’intégration des différents systèmes de transports collectifs (Van Ooststroom, 1998 ; isotope, 1997). C’est pourquoi la Commission européenne a conçu un modèle issu du mélange de ces deux formes extrêmes qui répond peut-être mieux aux besoins des citoyens et de la société tout entière. Ce modèle d’organisation mixte est du type semi-concurrentiel (« semi-marché ») mais présuppose aussi une réglementation stricte, ce qui peut favoriser à la fois la rationalisation de la production, la rentabilité, la réalisation des objectifs socio-économiques et l’orientation vers le client.

10Le modèle du « semi-marché » préconisé par la Commission repose sur un système de concessions que les pouvoirs publics compétents accordent sur une base concurrentielle à différents opérateurs de transports collectifs. Le cadre réglementaire et opérationnel des services à offrir doit être fixé par les pouvoirs publics. L’adoption de ce modèle a deux grandes conséquences : premièrement, elle induit une réorientation de la mission de l’opérateur de transports collectifs qui, dès lors, consiste moins à assurer des prestations conformément à une obligation de service public qu’à remplir un contrat de service public conclu avec une autre partie – les pouvoirs publics –, le résultat étant que les deux rôles ne peuvent plus coïncider. À l’évidence, les droits et les devoirs des deux parties (l’obligation d’assurer les prestations de service public par exemple) doivent alors être précisés dans le cadre juridique accompagnant le modèle. Deuxièmement, le modèle de la concession comporte des incitations qui sont celles du marché : en effet, une concession est accordée pour une durée limitée et toute nouvelle concession fait l’objet d’un appel d’offres. Plusieurs modalités de fonctionnement restent néanmoins possibles dans le cadre de ces conditions générales comme l’indique la diversité des formes d’organisation des opérateurs européens de transports publics locaux.

L’organisation des systèmes de transports publics locaux

11Les systèmes de transports publics locaux (tpl) – dans les pays de l’Union européenne et dans le monde entier – présentent une énorme diversité quant à leur organisation et leurs relations avec les parties prenantes, ainsi qu’à leurs modes de planification et de contrôle. Dans cette étude, nous utiliserons une classification pratique des systèmes de tpl selon le « droit à l’initiative », c’est-à-dire selon que le pouvoir fondamental et juridique de décider des modalités d’organisation du système appartient à une autorité publique ou au marché (isotope, 1997 et Van der Velde, 1997). Dans le premier cas, l’autorité chargée des transports détient un monopole officiel, tandis que dans le second les initiatives naissent du libre jeu – souvent anonyme – du marché (même lorsque celui-ci est encadré par une législation et des mesures de régulation).

12Les différents modes de détention de l’initiative et de structuration organisationnelle peuvent être classés schématiquement comme suit (Van der Velde, 1997) :

131. L’initiative se manifeste par l’intermédiaire d’une autorité administrative officielle, et peut se traduire par la création :

  • d’une branche d’un système d’administration publique (dotée de compétences juridiques extrêmement variables, allant de la gestion par délégation à la gestion publique directe) ;
  • d’une entreprise privée (ou d’économie mixte), en vertu d’une concession.
2. L’initiative se manifeste par l’intermédiaire du marché et peut prendre les formes extrêmes suivantes :
  • un système fondé sur une autorisation concédée par un acteur public à un acteur privé, à un autre acteur public ou à une combinaison des deux ;
  • un système fondé sur l’intervention d’acteurs sur un marché libre.
Le système de tpl fonctionne en général dans un champ de forces complexe où interviennent plusieurs acteurs clés. Selon notre approche typologique, nous distinguerons :
  • les consommateurs/usagers, qui représentent la demande ;
  • les électeurs locaux, qui représentent le jeu démocratique local ;
  • les autorités locales, qui agissent en tant que représentants du public ;
  • les entreprises ou opérateurs de transports collectifs, responsables de la gestion quotidienne de ceux-ci.
Cette liste de parties prenantes peut servir de base à l’établissement d’une liste des droits à l’initiative concernant l’entrée et les conditions de fonctionnement sur le marché des tpl. Les quatre types d’acteurs susmentionnés concernés par les systèmes de tpl exercent différents rôles et fonctions sur le marché des transports collectifs de voyageurs. On peut distinguer en particulier les activités et tâches suivantes :
  • l’offre (la prestation) de différents services de tpl à des clients (consommateurs/usagers) ;
  • le paiement des prestations de tpl par les clients (auquel s’ajoute le paiement complémentaire que constituent les subventions publiques) ;
  • l’impact exercé par le jeu démocratique (par le biais du vote) sur la qualité et la quantité des services ou systèmes de tpl ;
  • la régulation publique de l’offre et/ou de la demande de services de tpl sur la base d’une réglementation juridique.
Ces fonctions étant à l’évidence liées, l’accomplissement des tâches et l’exercice des rôles qu’elles impliquent amènent les parties susmentionnées à interagir. La nature très variable des relations qui existent au sein des constellations des tpl peut être représentée schématiquement au moyen de graphiques à flèches. (Presque) toutes les « constellations » de tpl peuvent en principe être cartographiées systématiquement de cette manière. Bien entendu, les schémas représentant ces relations de manière stylisée peuvent correspondre à de multiples formes d’organisation (maretope, 2000 ; Van der Velde, 1992, 1999). On en citera pour exemples les monopoles publics, les tpl subventionnés, les systèmes d’adjudication concurrentiels, les concessions sélectives, la gestion déléguée et la propriété publique. Il est impossible de décrire dans le détail toutes ces structures organisationnelles. Dans la présente étude, nous traiterons surtout des principales forces qui les animent et nous chercherons à mettre en évidence les grands facteurs contextuels de toute la gamme des systèmes européens de tpl qui contribuent à leur succès ou à leur échec. Cette analyse s’étendra, au-delà des facteurs liés à l’environnement externe, aux forces qui tiennent aux différents niveaux de compétence rencontrés dans les systèmes de tpl en matière de planification et notamment de planification stratégique, tactique et opérationnelle. Ce point sera examiné plus en détail dans la section suivante.

Facteurs de succès des systèmes de tpl

14Pour accroître l’utilisation et l’efficience des systèmes de tpl, il faut avoir une idée plus précise des forces ou facteurs qui en déterminent les performances. En se fondant sur les différentes directives de l’ue mentionnées plus haut, on peut diviser en deux catégories les objectifs qu’elles visent (Van Egmont, 2001). On citera tout d’abord les objectifs de performance socio-économique, notamment l’utilisation accrue des systèmes de tpl et leur contribution à l’amélioration de la qualité de l’environnement ou à l’emploi. On peut également mentionner dans cette catégorie l’accessibilité aux services de tpl, leur qualité, leur disponibilité et le caractère abordable de leurs tarifs. On classera dans la seconde catégorie les objectifs de performance économico-financière, en particulier la rentabilité interne et l’efficacité orientée vers le consommateur. Cet ensemble complexe d’objectifs/critères liés concernant le fonctionnement des systèmes de tpl est décrit par le graphique à flèches de la figure 1. Il est évident que la réalisation effective de ces objectifs doit « s’expliquer » par un ensemble de facteurs aussi bien généraux que propres à chaque contexte. Le principal indicateur du succès de la politique dans ce domaine est l’ampleur de l’utilisation des systèmes de transports collectifs locaux (c’est-à-dire la part du système de tpl dans l’ensemble des modes de transport), qui, comme l’illustre la figure 1, est un indicateur composite, synthèse de multiples critères sous-jacents en rapport avec la politique menée. La figure 1 donne donc un aperçu global très schématique des indicateurs cruciaux d’évaluation/de performance des systèmes de tpl ainsi que des facteurs qui les déterminent. Elle fournit également le cadre d’une analyse comparative des systèmes de tpl dans les villes européennes.

Figure 1

Schéma des interactions entre les objectifs/critères intéressant les tpl

Figure 1

Schéma des interactions entre les objectifs/critères intéressant les tpl

15La performance des systèmes de tpl – mesurée d’après leur part dans la répartition modale des transports et leur qualité – dépend donc d’une manière cruciale de toute une série de facteurs majeurs (ou « conditions cruciales de succès », abrégées ci-après en ccs). Ces facteurs sont bien évidemment multiples mais, par souci de clarté, on les a classés ici en quatre catégories que l’on va maintenant décrire brièvement (voir pour plus de détails Van Egmont, 2001).

ccs d’ordre externe

16Ces facteurs ne sont pas du ressort des autorités organisatrices des transports collectifs urbains et échappent donc au contrôle de l’organisme de tpl concerné. Nous en distinguerons ici quatre :

La population

17Ce facteur exprime la demande potentielle de services de tpl et constitue aussi un indicateur de leur efficience au regard de la masse critique de leurs usagers (qui englobe également la population des zones adjacentes à celle considérée, ainsi que des touristes).

La densité de la population

18Ce facteur est un indicateur supplétif des économies liées à la densité géographique et influe sur la nature des systèmes de tpl offerts.

La répartition de la population

19Ce facteur décrit en particulier le degré d’homogénéité ou d’hétérogénéité de la répartition géographique de la population (s’il s’agit par exemple d’une distribution polynucléaire ou plutôt d’une distribution dichotomique urbaine/rurale).

Les grandes manifestations urbaines ponctuelles

20Les grandes manifestations urbaines telles que les expositions et les événements sportifs ou culturels ont un impact non négligeable encore que ponctuel sur la performance des systèmes de tpl.

ccs d’ordre stratégique

21Les objectifs des systèmes de tpl sont également influencés par des facteurs stratégiques déterminés par les différentes parties prenantes, en particulier par les autorités nationales, régionales et locales. Les facteurs stratégiques distingués ici sont :

L’intérêt politique

22Les pouvoirs publics influent de manière importante, par le biais de réglementations et par des interventions facilitatrices, sur le fonctionnement des systèmes de tpl, que ceux-ci soient organisés par eux ou qu’ils soient orientés par le marché.

Les réglementations propres aux tpl

23Une réglementation judicieusement équilibrée des tpl est nécessaire afin, d’une part, de créer pour les différents opérateurs un cadre juridique clair qui précise leurs droits et obligations et, d’autre part, de laisser à ces opérateurs une marge de manœuvre suffisante pour bien mener leur entreprise.

L’intégration des tpl et les aménagements urbains

24Les plans d’aménagement urbain et suburbain doivent s’appuyer sur des systèmes de tpl suffisants. Cette intégration doit s’effectuer dans le cadre tant des politiques structurelles que des projets d’aménagement afin de susciter une demande suffisante.

La coordination entre le secteur des tpl et les pouvoirs publics

25Les autorités compétentes en matière de tpl jouent plusieurs rôles : délivrance des concessions, évaluation des licences, octroi de subventions etc. Une répartition efficace de ces différents rôles et tâches entre les différentes instances concernées est indispensable pour assurer entre le secteur des tpl et les pouvoirs publics une bonne coordination qui stimulera à son tour la mise en place de transports publics fonctionnant mieux.

ccs d’ordre tactique

26Sur le plan tactique, la question est de savoir comment passer des objectifs généraux à la mise en œuvre effective des services de tpl. Les facteurs pertinents à cet égard peuvent se ranger dans les catégories suivantes :

Le cadre organisationnel

27La configuration organisationnelle dépend en particulier du droit à l’initiative comme on l’a dit ci-dessus. Cette configuration est censée être un déterminant majeur du degré de succès du réseau de tpl.

Le cadre financier

28La dimension financière a surtout trait à la répartition des risques financiers et de production entre les autorités et les opérateurs, répartition qui reflète la structure des relations contractuelles entre eux (il peut s’agir par exemple de contrats de gestion ou de contrats relatifs à coûts bruts ou nets, ayant chacun leurs caractéristiques particulières).

Les subventions

29Ces formes d’aides financières comprennent aussi bien des subventions structurelles que des subventions non structurelles, les deuxièmes étant destinées à financer des projets ponctuels. Les subventions structurelles se subdivisent en subventions directes et indirectes. Les subventions directes se traduisent par un transfert à l’opérateur de tpl tandis que les subventions indirectes sont des aides financières qui leur bénéficient par l’intermédiaire des usagers. Les subventions horizontales entre différents services publics ou différents services de tpl sont également possibles.

Le partenariat privé-public

30Cette forme de coopération entre le secteur public et le secteur privé peut porter tant sur l’exécution opérationnelle des services de tpl que sur l’exploitation des infrastructures dans ce domaine. Parmi les motifs d’établissement de ces partenariats figurent les avantages de la synergie qu’ils créent, le caractère plurifonctionnel du développement qu’ils induisent, le fait qu’ils combinent culture réglementaire et culture commerciale et permettent une meilleure protection contre les risques du marché, etc.

La symbiose entre les tpl et les autres modes de transport

31Une meilleure intégration peut créer des situations – la création de terminaux de voyageurs multimodaux par exemple – où toutes les parties sont gagnantes.

ccs d’ordre opérationnel

32Le niveau opérationnel englobe l’offre et la prestation effectives des services de tpl et en particulier les activités de production et de vente. Les facteurs de succès que l’on peut distinguer ici sont les suivants :

La variété de l’offre des services de tpl

33Les systèmes de tpl qui importent ici incluent l’autobus, le tramway, le métro, les chemins de fer, d’autres dispositifs de transport de personnes, etc.

La position privilégiée des tpl par rapport à d’autres modes de transport

34Les règlements qui donnent sur les voies de circulation une priorité matérielle aux tpl peuvent conférer à l’ensemble du système un avantage compétitif par rapport aux transports individuels.

La densité des tpl

35Il peut s’agir de la densité des services (leur fréquence et leur intensité) aussi bien que de celle du matériel roulant et/ou des infrastructures utilisées par les systèmes de tpl.

L’intégration des tpl

36Les différents systèmes de tpl existant dans une ville ou d’une ville à l’autre peuvent gagner en cohérence du fait de l’intégration des tarifs, de la logistique, des itinéraires, etc.

Les activités de marketing et l’information relative aux services de tpl

37Ce facteur fait référence à la nécessité d’une orientation vers le marché et le client dans un secteur de tpl moderne (par exemple par la fourniture d’informations en ligne ; Goede et Nijkamp, 2002).

38On utilisera maintenant ces ccs comme cadre expérimental d’analyse comparative des systèmes de tpl de différentes villes européennes, dans le but d’en tirer d’utiles enseignements pour le choix de politiques.

Création de la base de données relative aux systèmes de tpl de villes européennes

39Il nous reste à rendre plus opérationnelle la classification des ccs effectuée dans la section précédente en indiquant dans quelle mesure les différents objectifs et ccs des tpl sont satisfaits dans chacune des villes européennes qui font l’objet de la présente étude. Les villes européennes sélectionnées dans cette étude de cas représentent un large éventail de tailles d’agglomérations et de cadres organisationnels/réglementaires et offrent un échantillon représentatif de différentes constellations de transports en commun urbains. Il est ainsi possible de comparer, d’une part, des régions urbaines ayant sensiblement la même taille mais fonctionnant selon des dispositions différentes et, d’autre part, des régions urbaines de tailles diverses mais fonctionnant selon des dispositions analogues (maretope, 2000 ; Yin, 1994). Le choix définitif s’est porté sur les villes mentionnées ci-dessous en fonction de leur désir de participer au projet et de la disponibilité de données les concernant (tableau 1).

Tableau 1

Liste des villes européennes sélectionnées dans l’étude de cas

Tableau 1
1. Athènes 2. Barcelone 3. Berlin 4. Berne 5. Bordeaux 6. Bruxelles 7. Budapest 8. Copenhague 9. Dresde 10. Dublin 11. Hagelanden 12. Hanovre 13. Londres 14. Leeds 15. Lisbonne 16. Malmö/Lund/Helsingborg 17. Mannheim/Heidelberg/Ludwigshafen 18. Oslo 19. Paris 20. Rome 21. Stockholm 22. Vienne

Liste des villes européennes sélectionnées dans l’étude de cas

40Les valeurs de l’ensemble des indicateurs de performance (de succès) inclus dans la figure 1 ont été établies selon une échelle qualitative (catégorielle) pour chacune des villes de la liste à partir d’informations officielles, semi-officielles ou fournies par des experts locaux (voir pour plus de détails Van Egmont, 2001). Les notes attribuées correspondent au degré de réalisation des objectifs mentionnés dans la figure 1. L’objectif central qui fonde notre évaluation des politiques est l’utilisation des systèmes de transports collectifs urbains (autrement dit leur part dans la répartition modale des transports) telle qu’induite par les différents facteurs contextuels inclus dans la figure. Les données sur les parts modales sont en général publiques et aisément accessibles dans de nombreuses villes européennes. Toutefois, l’obtention d’autres statistiques (figure 1) pose souvent des problèmes et suppose de recourir à l’aide d’experts locaux mieux placés pour avoir accès aux données locales – parfois qualitatives. Ces experts ont joué un rôle crucial dans notre analyse comparative car il leur a été demandé de collecter des données sur chaque ville d’une manière systématique et uniforme. L’équipe de recherche a ensuite évalué le degré de succès des systèmes de tpl selon un critère consistant à déterminer si la part modale du système de chaque ville donnée était supérieure ou inférieure à la moyenne européenne. L’examen de tous les critères de performance susmentionnés dans le cadre d’une consultation d’experts a permis d’attribuer une note globale de succès à chaque système de tpl de n’importe laquelle de ces villes selon une classification à trois niveaux de leurs performances : succès (note 1) ; succès modéré (note 2) ; échec (note 3) ; le numéro de code 4 a été attribué en cas de succès inconnu. Les évaluations des performances effectives établies à partir de rapports, articles, annuaires, recherches, informations puisées sur l’Internet et entretiens réalisés localement sont consignées à la première ligne (P) du tableau 3 (Van Egmont, 2001). L’indicateur de performance P est donc un indicateur composite que l’on a établi en combinant les informations publiques sur la part des systèmes de tpl avec des informations obtenues localement et fournies par des experts afin d’évaluer les résultats d’un système de tpl donné. Les notes sont fondées sur une moyenne à long terme couvrant parfois plusieurs années, ce qui a permis d’éliminer les éléments aberrants.

41Il convient de noter que l’information disponible sur les déterminants de la performance des tpl se présentait souvent sous une forme non numérique (information catégorielle). D’où la nécessité d’un codage systématique. Afin de cartographier par catégorie l’information sur les ccs pour chaque ville, il a fallu dresser un tableau où ces renseignements qualitatifs étaient codés (tableau 2). Des estimations empiriques (présentées sous forme codée) des 18 facteurs déterminant les ccs ont ensuite été réalisées pour les 22 villes européennes objet de l’étude de cas, là encore par le regroupement et le recoupement des informations sur les tpl puisées à diverses sources locales. Le codage présenté dans le tableau 2 a été appliqué à chacune de ces villes à l’aide de vastes travaux comparatifs menés sur le terrain. Les estimations empiriques figurent dans le tableau 3, aux lignes A à D. L’information rassemblée dans ce dernier tableau sera maintenant traitée en deux étapes. Nous commencerons par interpréter qualitativement les résultats à partir d’une analyse de fréquence des ccs du tableau. Nous utiliserons ensuite une nouvelle méthode de classification multivariée applicable aux échelles de mesures nominales, méthode dite « analyse par les ensembles d’approximation » (rough sets).

Tableau 2

Tableau codé des ccs des systèmes de tpl

Tableau 2
Codage des ccs 1 2 3 4 5 6 ccs Externes A1 Taille de la population > 3 millions 3 millions > x > 1 million 1 million > x > 500 000 < 500 000 A2 Nombre d’habitants/km2 > 2 000 2 000 > x >1 000 < 1 000 A3 Répartition Oui Non significatif A4 Grandes manifestations ponctuelles Oui Non Stratégiques B1 Intérêt politique Grand Moyen Non significatif B2 Législation propre aux tpl Législation générale Législation spécifique Non significative Inconnue B3 Intégration des tpl et aménagement urbain Systématiques Par projet Non significatifs B4 Coordination entre les tpl et les pouvoirs publics Oui Non Tactiques C1 Cadre organisationnel Réglementé Concurrence limitée ; l’initiative appartient aux pouvoirs publics Concurrence limitée ; l’initiative appartient au marché Concurrence limitée ; l’initiative est partagée entre le marché et les autorités Marché déréglementé Combinaison des principales catégories C2 Cadre financier Contrat à coûts nets Contrat à coûts bruts Contrat de gestion Inconnu C3 Subventions (pourcentage des coûts d’exploitation) < 25 % 25 % - 50 % > 50 % Inconnues C4 Partenariat public-privé Concerne les infrastructures Concerne les services de tpl Concerne les infrastructures et les services de tpl Pas de partenariat Inconnu C5 Intégration des tpl avec les autres modes de transport Oui Non significatif Inconnu
Tableau 2
Opérationnels D1 Variété dans les services de tpl Autobus/tramway/service ferroviaire lourd de transport (sub)-urbain Autobus/métro/service ferroviaire lourd de transport (sub)-urbain Autobus/service ferroviaire léger de transport (sub)-urbain/service ferroviaire lourd de transport (sub)-urbain Autobus/service ferroviaire lourd de transport (sub)-urbain Autobus/tramway et/ou métro et/ou service ferroviaire léger/lourd de transport (sub)-urbain Autres combinaisons importantes D2 Priorités des tpl sur les autres types de trafic Oui Non Inconnue D3 Densité des tpl Forte Moyenne Faible Inconnue D4 Intégration des tpl Forte Moyenne Faible Inconnue D5 Activité de marketing et d’information relative aux tpl Forte Moyenne Faible Inconnue

Tableau codé des ccs des systèmes de tpl

Résultats empiriques

42L’examen qualitatif du tableau de données codées (tableau 3) permet de faire quelques intéressants constats. Les notes de performance présentées dans le tableau 3 montrent que, sur notre échantillon de 22 villes européennes, au maximum cinq peuvent être considérées comme dotées de système de tpl ne fonctionnant pas avec succès. Neuf peuvent faire état d’un succès modéré et sept atteignent apparemment de bonnes performances. La performance des systèmes de tpl d’une ville n’a pu être codée clairement. Le constat général qui se dégage, c’est que les conditions actuelles – notamment la politique européenne d’encouragement d’une ouverture limitée à la concurrence – ont abouti à d’assez bons résultats. On peut en conclure que l’adoption d’une forme organisationnelle-institutionnelle propre aux tpl, fondée sur une mise en concurrence limitée crée les conditions d’une réalisation équilibrée des objectifs sociopolitiques de développement socio-économique et économico-financier sain des systèmes de tpl.

Tableau 3

La base de données codées sur la performance (P) et les ccs (A, B, C, D) des systèmes européens de tpl

Tableau 3
Villes européennes objet de l’étude de cas ccs 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 P 3 2 2 1 3 2 2 1 2 1 3 2 1 4 1 2 3 A1 1 1 1 4 3 2 2 2 3 2 3 3 1 2 3 2 3 A2 2 1 1 3 3 1 1 1 2 2 1 1 1 2 2 3 2 A3 2 2 2 2 1 2 2 2 2 2 1 1 2 2 1 1 1 A4 2 2 1 2 2 2 1 1 2 1 2 1 2 2 1 2 1 B1 2 1 1 1 3 2 2 1 2 2 1 1 1 1 2 2 2 B2 2 2 1 2 1 1 4 2 1 2 1 1 2 1 2 2 1 B3 2 1 1 1 2 1 2 1 2 2 1 2 2 1 2 2 2 B4 2 1 2 1 2 1 2 1 1 1 2 1 1 1 2 1 2 C1 1 2 2 1 1 3 2 2 2 3 3 2 2 6 6 2 2 C2 1 2 2 3 3 1 1 2 2 3 2 2 2 1 2 1 2 C3 2 2 3 2 3 3 3 2 3 1 3 2 4 4 2 3 2 C4 1 1 3 4 4 1 3 4 4 4 5 3 4 3 4 5 4 C5 1 3 1 1 2 1 1 1 2 2 2 3 3 1 2 3 2 D1 2 5 5 5 4 5 5 4 1 4 1 3 5 4 5 4 5 D2 1 2 1 3 1 3 2 3 3 3 3 3 3 2 1 3 1 D3 2 2 1 2 3 2 2 1 1 2 2 1 2 4 2 1 4 D4 3 1 1 2 3 1 1 1 1 2 1 2 2 3 3 2 1 D5 2 1 2 3 3 4 3 2 1 2 4 1 3 2 3 2 4 18 19 20 21 22 2 1 2 2 1 2 1 2 2 2 2 2 1 3 1 2 2 2 2 2 1 2 2 1 1 1 1 1 1 1 2 2 1 2 3 1 1 2 1 3 1 1 1 1 2 2 4 1 2 3 1 2 2 2 2 2 3 3 3 3 4 4 1 2 4 1 1 1 1 1 5 5 5 5 5 2 3 1 1 3 1 1 2 2 2 1 1 2 1 1 1 4 1 4 2

La base de données codées sur la performance (P) et les ccs (A, B, C, D) des systèmes européens de tpl

43Sur les vingt-deux villes de la série, seize au total peuvent être considérées comme des cas de mise en concurrence limitée, la forme organisationnelle prédominante des systèmes de tpl de l’Union européenne. Sur ces seize cas, dix peuvent être imputés à l’initiative des pouvoirs publics, les autres représentant l’initiative du marché (un cas est ambigu). D’une manière générale, tous les cas de mise en concurrence limitée semblent donner des résultats plutôt prometteurs.

44Si l’on fait la distinction entre les conditions contextuelles externes, stratégiques, tactiques et opérationnelles du fonctionnement des systèmes de tpl et qu’on examine de près le tableau 3, on arrive, en ce qui concerne leurs incidences sur la performance des tpl, à la conclusion générale suivante :

  • les facteurs externes ne semblent pas avoir d’effet clair sur la note de succès des tpl. Même si celle-ci est manifestement liée à certaines composantes de ces facteurs externes, le résultat global est indécis ;
  • s’agissant des facteurs stratégiques, leur influence observée sur les notes de succès des tpl est plus directe. Il semble en particulier que la qualité de la gouvernance et de la gestion soit un facteur positif décisif (c’est le cas par exemple à Berne et Paris). En revanche une « sur-organisation » des systèmes de tpl mène généralement à l’échec ;
  • sur le plan tactique, on peut aussi faire d’intéressantes constatations. En particulier les villes où le système de tpl est régi par une concurrence réglementée ou limitée semblent obtenir de bonnes performances. Ceci se traduit également en principe par une bonne répartition des responsabilités financières entre toutes les parties prenantes, en particulier dans les cas où il existe un contrat à coûts bruts ou un contrat de gestion clairement établi. En outre, il semble que les systèmes de tpl fortement subventionnés fassent preuve de performances financières et socio-économiques peu satisfaisantes alors que ceux qui sont modérément subventionnés paraissent en général obtenir de bons résultats. À l’évidence, les incitations du marché stimulent les performances des systèmes de tpl ;
  • enfin, au niveau opérationnel, le principal constat est que les systèmes de tpl intégrés, regroupant différents modes de transport, tendent à fournir de meilleures performances.
On peut en conclure qu’il n’existe pas de facteur unique, prépondérant et clair de bonne performance des systèmes de tpl. Les cas des vingt-deux villes de l’échantillon étudié montrent clairement que le succès (ou l’échec) de ces systèmes a de multiples causes. D’où la nécessité d’étudier également les cas où les quatre conditions cruciales de succès se présentent simultanément ou se combinent. Ce sera l’objet de l’étape suivante de l’analyse.

45Afin de déterminer les schémas de causalité qualitatifs des systèmes de tpl, on utilise ici une méthode de classification qualitative mise au point récemment, à savoir l’analyse par les ensembles d’approximation, de manière à tirer de nouveaux éclairages des données nominales du tableau 3. Nous disposons d’une base de données concernant vingt-deux cas (villes) se caractérisant chacun par un indicateur de performance (valeur nominale d’un indicateur de succès). En outre, le score discriminant de cet indicateur de performance est « expliqué » par les valeurs nominales des ccs de notre tableau codé, lesquels se subdivisent en quatre grandes catégories (facteurs externes, stratégiques, tactiques et opérationnels). Chacune de ces catégories se subdivise à nouveau en plusieurs catégories de sorte que nous disposons au total de dix-huit facteurs explicatifs. Il nous faut donc expliquer l’expression nominale d’un facteur de succès concernant la performance des systèmes de tpl par un ensemble sous-jacent d’expressions nominales des ccs. Il est évident qu’indépendamment de la petite taille de l’échantillon (vingt-deux villes), la tâche est, du point de vue statistique, impossible en raison du faible niveau (informatif) de la mesure (étant donné qu’il s’agit de données nominales).

46Notre tableau d’informations codées peut néanmoins présenter une structure cachée permettant d’expliquer la valeur d’un indicateur de performance par la logique combinatoire. Le recours aux techniques de l’intelligence artificielle, en particulier à l’analyse par les ensembles d’approximation peut alors être utile. Les méthodes reposant sur les ensembles d’approximation sont des méthodes de classification multivariée qui visent à déceler des formes (schémas) dans une base de données même dans les cas où les échelles de mesure sont de bas niveau (notamment dans le cas des échelles nominales). Ces méthodes sont fondées non pas sur la statistique classique mais sur l’identification de règles (ou formules) déterministes, étayées par la base de données classées par catégories qui est disponible (Pawlak, 1991) : elles fonctionnent comme un outil d’apprentissage inductif suscité par les données. Ces méthodes sont l’objet d’un grand engouement depuis quelques années et ont été appliquées dans plusieurs études récentes en vue de l’analyse des politiques environnementales, touristiques ou d’équipement, ou de la politique agricole par exemple. On trouvera des exposés détaillés de ces méthodes et de leurs applications et des renvois à la littérature pertinente notamment, dans Bergh et al. (1999), Florax et al. (2002) et Baaijens et Nijkamp (2000).

47Ces règles, qui prennent souvent la forme d’énoncés déterministes du type « si… alors » (« règles de décision »), sont révélatrices des conditions (c’est-à-dire des combinaisons des valeurs des variables explicatives de la base de données) dans lesquelles une certaine valeur de la variable dépendante se réalisera. On peut, par cette voie déterministe, mettre en évidence les facteurs de succès qui importent.

48L’application de l’analyse par les ensembles d’approximation à la base de données ci-dessus (en utilisant le logiciel rose) permet d’aboutir à sept règles de décision, autrement dit sept énoncés conditionnels indiquant dans quelles conditions (pour quelles valeurs des ccs) la note correspondant à un certain degré de performance sera obtenue.

1 :(B2 = 2) & (C4 = 4) & (C5 = 3) ? P = 1
2 :(C4 = 4) & (D3 = 2) ? P = 1
3 :(A3 = 2) & (C1 = 2) & (D1 = 5) & (D4 = 1) ? P = 2
4 :(D5 = 1) ? P = 2
5 :(A1 = 2) & (B1 = 2) & (C2 = 1) ? P = 2
6 :(A3 = 1) & (B2 = 1) & (C5 = 2) ? P = 3
7 :(C2 = 1) & (D4 = 3) ? P = 3

49Les différentes règles de décision définies ci-dessus se prêtent à une interprétation simple. On en donnera pour exemple la règle (7) qui dit que l’échec d’un système de tpl (P = 3) peut être le résultat d’un cadre financier fondé sur un contrat à coûts nets (C2 = 1) combiné à une très faible intégration du système de tpl considéré (D4 = 3).

50Les tests statistiques du logiciel rose montrent que, dans cet ensemble de règles, l’exactitude des approximations est, semble-t-il, élevée. Si l’on examine la fréquence d’apparition des facteurs contextuels qui interviennent dans ces règles de décision explicatives, on constate que les facteurs A2, A3, B2, B4, C1, D3 et D5 semblent apparaître avec une fréquence relativement élevée, D5 étant le plus fréquent. Ces facteurs contextuels peuvent donc être considérés comme des déterminants prépondérants du succès des tpl.

51Bien que d’apparence plutôt complexe, ces règles de décision peuvent en réalité être interprétées d’une manière simple. Ainsi, la règle (1) indique qu’il existera une probabilité de succès du système de tpl si celui-ci fait l’objet d’un régime réglementaire spécifique, conçu « sur mesure » et qui n’est pas d’une lourdeur excessive et si le système jouit d’une situation privilégiée si solide que tout partenariat public-privé est inutile. De même, la règle (2) stipule que le système de tpl tendra vers le succès si sa densité est relativement forte, éliminant la nécessité d’un mécanisme de soutien complémentaire sous la forme d’un partenariat public-privé. Un autre exemple est fourni par la règle (4), selon laquelle on peut s’attendre à un assez bon succès des systèmes de tpl dès lors que d’intenses efforts sont déployés en matière de marketing et d’information. Un exemple d’échec est fourni par la règle (7), qui veut que la combinaison de relations financières fondées sur un contrat à coûts nets et d’une faible intégration des systèmes de tpl tende à aboutir à un faible degré de succès. Ces règles sont à l’évidence de nature déterministe et épousent la logique « obligée » de la base de données qui les sous-tend. Étant fondées sur l’induction, elles peuvent bien entendu inclure de « fausses corrélations ». Chacune d’elles doit donc être interprétée avec prudence.

Conclusion

52La nécessaire amélioration de l’efficience et des prestations des systèmes de tpl européens passe par une réforme radicale de l’organisation des dispositifs urbains de transports en commun. Cette mutation réglementaire doit se traduire par une orientation plus décisive vers les principes du marché, dont un objectif crucial est la fourniture de services de haute qualité à des clients payants. Cette réforme de la réglementation doit également respecter les particularités des systèmes de tpl, telles que leur nature de service public, l’indivisibilité de certaines composantes de leur infrastructure et le caractère élevé de leurs coûts fixes. En conséquence, une orientation vers des formes de concurrence essentiellement limitées paraît probable.

53Dans la présente étude nous avons exploré les conditions du succès des systèmes de tpl dans vingt-deux villes européennes. Dans cette analyse, les facteurs cruciaux de succès ont été divisés en quatre catégories, à savoir les facteurs externes, stratégiques, tactiques et opérationnels. Parmi ces catégories, les facteurs d’ordre stratégique, tactique et opérationnel en particulier, semblent exercer une influence majeure. Sur le plan stratégique, une recommandation capitale est qu’il faut créer, là où il n’en existe pas déjà, une administration intégrée de l’ensemble des transports en commun, habilitée à en couvrir tous les aspects dans la conurbation. Sur le plan tactique, une certaine mise en concurrence paraît favorable au succès des systèmes de transports en commun. Enfin, l’amélioration de l’intégration, de l’efficience et de l’efficacité de ces systèmes semble être favorisée par des campagnes positives, intégrées et transparentes de marketing et d’information s’adressant au citoyen et client.

54D’une manière générale, la réforme de la réglementation des transports publics a fait surgir de nouveaux défis mais aussi de nouvelles possibilités d’en améliorer le fonctionnement. L’analyse comparative faite ici a démontré qu’une telle réforme a déjà permis – encore que dans une mesure variable – à de nombreuses villes européennes de parvenir à organiser leur système de tpl d’une manière plus efficiente et satisfaisante. Cependant, de nombreux et profonds changements supplémentaires demandent à être planifiés, mis en œuvre et menés à bien si l’on veut créer un système de transport durable.

55Traduit de l’anglais

Références

  • Baaijens, S. ; Nijkamp, P. 2000. « Meta-analytic methods for comparative and exploratory policy research », Journal of Policy Modelling, 22(7), p. 821-858.
  • Bergh, J.C. ; Van Den, J.M. ; Button, K. ; Nijkamp, P. ; Pepping, G. 1999. Meta-Analysis in Environmental Policy Analysis, Dordrecht, Kluwer.
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  • Commission européenne 2001. La politique européenne des transports à l’horizon 2010 : l’heure des choix, Bruxelles, Commission européenne.
  • Egmont, P.W. van. 2001. Europees Openbaar Vervoersbeleid in Praktijk, Mémoire de maîtrise, Université libre d’Amsterdam.
  • Florax, R. ; Nijkamp, P. ; Willis, K. (dir. publ.) 2002. Comparative Environmental Policy Analysis, Cheltenham, Edward Elgar.
  • Goede, E. ; Nijkamp, P. 2002. « Travel information on urban public transport », Trasporti Europei, 7(18), p. 25-43.
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  • maretope 2000. D1 : Reference Framework and Harmonisation of Concepts, Projet financé par la Commission européenne au titre du programme de croissance compétitive et durable.
  • Nijkamp, P. ; Rienstra S. ; Vleugel, J. 1998. Transportation Planning and the Future, New York, John Wiley.
  • Ooststroom, H. van. 1998. Marketing en Regulering bij Spoorwegen, thèse de doctorat, Université libre, Amsterdam.
  • Pawlak, Z. 1991. Rough Sets, Dordrecht, Kluwer.
  • Van der Velde. 1997. « Entrepreneurship and tendering in local public transport service », Communication présentée à la cinquième Conférence internationale sur la concurrence et les participations dans le transport terrestre de voyageurs, Leeds, Royaume-Uni.
  • Van der Velde. 1999. « Transport policy – Organisational forms and entrepreneurship in public transport. Part 1 : classifying organisational forms », Journal of the World Conference on Transport Research Society, 6(3), p. 93-108.
  • Yin, R. 1994. Case Study Research, New York : Sage.

Date de mise en ligne : 01/07/2007

https://doi.org/10.3917/riss.176.0261

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