Couverture de RISA_863

Article de revue

Fonctionnaires, anonymat et activité politique en ligne : la neutralité bureaucratique est-elle en danger ?

Pages 519 à 535

Notes

  • [1]
    La CFP décide des mesures disciplinaires en cas d’infractions. Le comportement inapproprié n’est pas précisément défini par la loi et les affaires sont jugées au cas par cas. Lorsqu’elle rend une décision, la CFP tient compte de « la nature des fonctions de l’agent au sein du ministère, du niveau et de la visibilité du poste de celui-ci, de la nature des activités politiques menées par l’agent et de l’importance du mandat du ministère » (Commission de la fonction publique du Canada, 2015b). Tony Turner a pris sa retraite avant que la décision finale soit prononcée (CBC, 2015).
  • [2]
    La CFP fournit dans ses rapports annuels des données sur les allégations de participation inappropriée à des activités politiques. En général, le nombre de ces affaires est très peu élevé. Par exemple, en 2015, la CFP a enquêté sur quatre allégations, qui étaient toutes fondées. Depuis 2005, les mesures disciplinaires comprennent une formation obligatoire sur les valeurs et l’éthique, une notification portée au dossier de l’agent, une formation en ligne et un congé sans solde (Commission de la fonction publique du Canada, 2015a : 70).
  • [3]
    Cela présume aussi que le désir d’apporter une contribution à la société en se livrant à des activités politiques prime sur les préoccupations selon lesquelles ce comportement pourrait mettre en danger la réputation d’impartialité politique de l’agent et produire des effets négatifs.
  • [4]
    Les Tableaux sont consultables en ligne sur : https://journals.sagepub.com/doi/suppl/10.1177/0020852318780452.
  • [5]
    Outre ces agents, le taux de syndicalisation est également inférieur chez les agents appartenant aux groupes professionnels de gestion (28 %), tous les autres groupes professionnels ayant un taux supérieur à 60 % (Statistique Canada, 2018).

Introduction

1Dans la tradition administrative de type Westminster, une forte interdépendance existe entre les conventions constitutionnelles de neutralité, de permanence et d’anonymat (Rhodes et al., 2009). Selon cette tradition administrative, également appelée modèle de Whitehall, qui existe au Royaume-Uni, au Canada, en Australie et en Nouvelle-Zélande, les fonctionnaires sont politiquement neutres et fournissent des services impartiaux au gouvernement, lequel, au moment de son installation, s’abstient de limoger le personnel administratif (Hood et Lodge, 2006).

2L’anonymat est un principe essentiel pour maintenir l’équilibre entre neutralité et caractère permanent. Pour éviter, de la part des partis d’opposition et du public, toute impression de proximité entre les fonctionnaires et le parti au pouvoir, les agents exercent traditionnellement leurs fonctions en toute discrétion (Parris, 1969 : 98). Toutefois, depuis peu, d’aucuns considèrent que l’essor des réseaux sociaux, qui permettent de créer, recevoir et diffuser des contenus de façon autonome, met à mal cette tradition.

3Pour certains, les réseaux sociaux portent directement atteinte au principe de neutralité et ont politisé le travail des fonctionnaires en exerçant une pression sur eux pour qu’ils défendent les politiques gouvernementales sur internet (Aucoin, 2012). D’autres estiment en revanche que le plus grand problème posé par les réseaux sociaux n’est pas cette pression accrue exercée sur les agents pour qu’ils mènent des actions politiques mais plutôt la perte d’anonymat découlant de ces actions (Grube, 2015). La visibilité que procurent les activités menées sur les réseaux sociaux expose les fonctionnaires au grief selon lequel ils seraient trop proches du parti au pouvoir et du programme politique de celui-ci. En outre, une remise en question de la neutralité des fonctionnaires pourrait inciter les gouvernements, lors de leur installation, à chercher à contrôler la bureaucratie en nommant les agents sur le fondement de leur loyauté politique plutôt que sur leur mérite (Hustedt et Salomonsen, 2014). Cette situation serait d’autant plus problématique que le recrutement au mérite est une source importante de bonne gouvernance (Dahlström et Lapuente, 2017).

4Jusqu’à présent, toutefois, l’attention a surtout porté sur la manière dont les bureaucrates utilisent les réseaux sociaux dans le cadre de leurs fonctions officielles (Djerf-Pierre et Pierre, 2016). Pourtant, la menace que présentent les réseaux sociaux pour la neutralité bureaucratique ne se limite pas à ce cadre. En effet, lorsqu’ils sont politiquement actifs en ligne dans le cadre privé, en tant que simples citoyens, les fonctionnaires risquent aussi de mettre en danger leur réputation de neutralité politique. Ce sujet n’est pas anodin. Pourtant, nous en savons peu sur la relation entre fonctionnaires et activité politique en ligne. Le but du présent article est d’enrichir l’état des connaissances dans ce domaine en rendant compte de l’une des premières études empiriques sur le sujet.

5Dans le présent article, en nous appuyant sur la littérature consacrée à la motivation de service public (MSP), nous formulons des hypothèses divergentes concernant la relation entre fonction publique et activité politique en ligne. Lorsque nous avons confronté ces hypothèses aux données issues de l’Étude électorale canadienne de 2015, les résultats de l’analyse de régression logistique multivariée ont fait ressortir une relation négative entre fonctionnaires syndiqués et activité en ligne. Ce résultat est particulièrement intéressant si l’on considère que la relation entre fonctionnaires syndiqués et activités politiques traditionnelles « hors ligne » n’est pas négative et que dans le secteur privé, la relation entre l’affiliation à un syndicat et le fait d’être politiquement actif, hors ligne comme en ligne, est positive.

6Si, selon de précédents travaux de recherche, l’affiliation à un syndicat a pour effet d’intensifier l’activité politique (Davis, 2011 ; Kerissey et Schofer, 2013), la relation négative entre l’affiliation à un syndicat de la fonction publique et les activités en ligne va dans le sens des conclusions de travaux de recherche consacrés à la MSP, selon lesquels les organisations présentes dans l’environnement de travail influent fortement sur les comportements (Moynihan et Pandey, 2007). Au Canada, où le gouvernement, la Commission de la fonction publique (CFP) et les syndicats de fonctionnaires ont relayé des messages exhortant les agents à être prudents s’agissant des activités politiques en ligne, il semblerait que ces messages ont eu pour effet une moindre activité politique en ligne des fonctionnaires syndiqués.

7À ceux qui craignent que les réseaux sociaux mettent en péril la neutralité bureaucratique, les résultats de la présente étude présente un tableau relativement optimiste. L’anonymat et la neutralité semblent être des valeurs bien ancrées chez les fonctionnaires syndiqués canadiens.

8La suite du présent article comprend cinq parties. Dans la première partie, nous proposons un aperçu des réseaux sociaux ainsi que des règles régissant les activités politiques en ligne dans la fonction publique canadienne. Dans la deuxième partie, nous nous appuyons sur la théorie de la MSP pour élaborer deux hypothèses concernant la relation entre fonction publique et activité politique en ligne. Dans la troisième partie, nous exposons en détail les données et les méthodes utilisées pour vérifier nos hypothèses. Dans la quatrième partie, nous présentons les résultats de l’analyse de régression multivariée et examinons la façon dont ils étayent nos hypothèses. Dans la conclusion, nous examinons les enseignements pouvant être tirés de la présente étude en matière d’intégrité de la neutralité bureaucratique à l’ère de la gouvernance numérique et évoquerons les perspectives de recherche qui se dégagent pour la suite.

Règles régissant les activités politiques en ligne dans la fonction publique

9Les fonctionnaires devraient-ils être autorisés à prendre part à des activités politiques ? Cet éternel sujet de débat (Christoph, 1957) a été soumis à plusieurs reprises aux juges de la Cour suprême canadienne (Heard, 1991 : 59-60). Ces derniers temps, il a été remis à l’ordre du jour en raison de l’émergence des réseaux sociaux (Jacobson et Tufts, 2013).

10Kaplan et Haenlein (2010 : 61) définissent les réseaux sociaux comme « un groupe d’applications en ligne qui se fondent sur l’idéologie et la technologie du Web 2.0 et permettent la création et l’échange du contenu généré par les utilisateurs ». Parce qu’ils font gagner du temps à leurs utilisateurs et leur simplifient la vie, ces réseaux – tels que Facebook, Twitter et YouTube – ont suscité les éloges de certains commentateurs, qui estiment qu’en offrant aux citoyens de nouvelles façons de participer à la vie politique, ces réseaux renforcent la démocratie (Krueger, 2002). Cependant, pour les fonctionnaires, mener des activités politiques est devenu plus compliqué avec les réseaux sociaux, et cela à plus d’un titre.

11Tout d’abord, les réseaux sociaux peuvent brouiller la distinction entre identité professionnelle et identité privée (Zhao et al., 2008). Les activités menées en ligne peuvent être facilement vues par les collègues, les employeurs et le grand public, ce qui rend difficile la distinction entre ce qui est exprimé à titre professionnel et ce qui est exprimé à titre personnel (Marichal, 2012). Ainsi, en 2015, Tony Turner a été suspendu de la fonction publique canadienne après avoir mis en ligne sur YouTube, pendant la campagne électorale, une vidéo où il interprétait une chanson contestataire de son cru intitulée « Harperman, a Protest Song », dans laquelle il critiquait le Premier ministre, Stephen Harper. Justifiant sa sanction à l’encontre de M. Turner, la CFP a estimé que les actes de ce fonctionnaire contrevenaient au code de valeurs et d’éthique du secteur public, et, en particulier, à l’obligation d’exercer ses fonctions « de façon non partisane et impartiale » (May, 2015) [1].

12Un autre danger lié aux réseaux sociaux réside dans la facilité et la rapidité avec laquelle les contenus peuvent être partagés avec d’autres personnes, échappant ainsi au contrôle de celui ou celle qui les a créés. Comme le soulignent Woodley et Silverstri (2014 : 127), les contenus que nous publions sur les réseaux sociaux « peuvent être consultés par un très grand nombre de personnes, de façon quasiment permanente, et pendant toute notre vie ». Ainsi, moins d’une semaine après sa mise en ligne sur YouTube, la vidéo de M. Turner a été visionnée environ 400 000 fois et partagée sur Facebook et Twitter par des milliers d’autres personnes (May, 2015). Conscients de la menace que font peser les activités politiques en ligne sur la réputation de neutralité politique des agents, plusieurs gouvernements, commissions de la fonction publique et syndicats de fonctionnaires ont établi des lignes directrices à ce sujet.

13Dans son analyse des règles régissant les activités politiques en ligne dans les pays utilisant le système de Westminster, Grube (2017) relève que, à la différence d’autres pays, le Canada a opté pour une approche excluant les risques. Les agents sont invités à faire montre de prudence dans la conduite de leurs activités tant dans le cadre professionnel que personnel, et à s’abstenir de toute activité politique susceptible de porter atteinte à leur réputation d’impartialité. En particulier, l’article 113(1) de la loi sur l’emploi dans la fonction publique dispose que les fonctionnaires peuvent se livrer à des activités politiques, « sauf si celles-ci portent ou semblent porter atteinte à leur capacité d’exercer leurs fonctions de façon politiquement impartiale ».

14Dans son étude sur les réglementations du gouvernement fédéral et des gouvernements provinciaux canadiens, Kernaghan (2014) observe que, plutôt que de fournir des règles précises définissant ce que constitue un comportement acceptable ou un comportement inapproprié, ces gouvernements ont opté pour une approche fondée sur les valeurs et l’éthique (Cooper, 1998), qui met davantage l’accent sur les normes de comportement que sur une définition stricte de ces comportements. Par exemple, au niveau fédéral, un comportement politique inapproprié est jaugé à l’aune de la disposition du code de valeurs et d’éthique du secteur public qui énonce que les fonctionnaires exercent leurs fonctions « conformément aux lois, aux politiques et aux directives de façon non partisane et impartiale » (Canada, 2011 : 4).

15En complément du code de valeurs et d’éthique, la CFP, qui a compétence exclusive pour enquêter sur les allégations d’activités politiques inappropriées et infliger des sanctions disciplinaires [2], a établi un document d’orientation sur la participation à des activités politiques non liées à une candidature, dans lequel est énoncé ce qui suit :

16

Les médias sociaux et les activités en ligne présentent de nouveaux défis pour les fonctionnaires qui doivent s’assurer que leur capacité d’exercer leurs fonctions de façon politiquement impartiale n’est pas atteinte ou ne semble pas atteinte par de telles activités. Les médias sociaux ont élargi l’éventail de moyens disponibles aux fonctionnaires leur permettant d’exercer leur droit de se livrer à des activités politiques. Les fonctionnaires devraient tenir compte de la vaste portée, l’instantanéité et la permanence du contenu dans les médias sociaux qui peuvent brouiller la distinction entre leur vie professionnelle et leur vie privée.
(Commission de la fonction publique du Canada, 2014 : 4)

17Soulignons qu’au Canada, ce message de prudence a aussi été diffusé par les syndicats de la fonction publique. Traditionnellement, ces syndicats défendent le droit de leurs membres à être politiquement actifs (Heard, 1991 : 60), mais, s’agissant des réseaux sociaux, nombre d’entre eux ont ces derniers temps lancé des appels à la prudence. Ainsi, l’Alliance de la fonction publique du Canada (AFPC) a publié le message suivant :

18

Les mêmes règles et considérations s’appliquent à l’exercice des droits politiques par l’entremise des médias sociaux.
L’AFPC conseille à ses membres de faire preuve de prudence dans l’utilisation des médias sociaux pour exprimer leurs opinions. Une fois un message publié, il est difficile à effacer ou à rétracter.
(Alliance de la fonction publique du Canada, 2015a)

19

Rappel : Facebook, Twitter et YouTube sont des espaces publics. N’écrivez jamais des propos que vous n’oseriez pas dire dans votre milieu de travail ou à votre voisin.
Vérifiez bien vos paramètres de sécurité. Dressez une liste sur Facebook pour vos collègues (et votre patron !) qui leur donne un accès limité. N’oubliez pas que les messages affichés sur votre page personnelle sont d’ordre public.
(Alliance de la fonction publique du Canada, 2015b : 26)

20Pour sa part, l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (2015) a adressé à ses adhérents la mise au point suivante : « Les membres sont libres d’utiliser les médias sociaux en exerçant leur liberté d’expression. Toutefois, ce faisant, ils doivent toujours être conscients de leur obligation de respecter autrui et de leur devoir de loyauté envers l’employeur. »

21De son côté, le Syndicat canadien de la fonction publique (2015) a mis en garde ses membres sur le fait que « l’utilisation des médias sociaux comporte toutefois des risques » et leur a donné les précisions suivantes :

22

La publication est permanente. Il est très difficile de supprimer ou de retirer une publication dans un média social. D’autres personnes peuvent aisément réacheminer, copier ou réutiliser le contenu. Si vous ne diffuseriez pas l’information dans votre milieu de travail, ou si vous ne la communiqueriez pas verbalement, ne la mettez pas en ligne.
Lorsque vous communiquez en ligne, n’oubliez pas que, peu importe si vous êtes au travail ou non, c’est l’impact de la communication elle-même qui détermine le cas de discipline.
(Syndicat canadien de la fonction publique, 2015)

Fonction publique et activité politique en ligne : des perspectives divergentes selon l’origine attribuée aux valeurs liées à la MSP

23Depuis les travaux précurseurs de Perry et Wise (1990), la MSP est devenue l’un des sujets les plus étudiés dans le domaine de l’administration publique. Sa définition est la suivante : « convictions, valeurs et attitudes qui dépassent l’intérêt personnel et l’intérêt de l’organisation pour prendre en compte l’intérêt d’une entité politique plus vaste et qui amènent les individus à agir en conséquence le cas échéant » (Vandenabeele, 2007 : 547).

24Postulant que les fonctionnaires sont fortement motivés par l’idée d’apporter leur contribution à la société, les chercheurs ont réalisé des études pour savoir si le comportement des agents publics différait de celui des salariés du secteur privé. Il a été observé que les fonctionnaires étaient davantage enclins à être membres d’une association citoyenne (Brewer, 2003), à mener des activités de bénévolat (Ertas, 2014 ; Piatak, 2015) ou à adopter des comportements altruistes, tels que le don de sang (Houston, 2006).

25D’autres travaux de recherche avancent que les fonctionnaires seraient plus actifs politiquement. Selon Corey et Garand (2002), ils voteraient davantage que la population générale. Selon certains chercheurs, ils seraient plus enclins à mener des activités politiques non électorales, telles que la signature de pétitions, le boycottage d’entreprises ou la participation à des actions de contestation (Ertas, 2015 ; Taylor, 2010).

26Après avoir recensé les différences qui existent entre les fonctionnaires et d’autres segments de la société, les chercheurs ont plus récemment porté leur attention sur l’origine des valeurs inhérentes à la MSP. La plupart d’entre eux ayant convenu que ces valeurs résultaient d’un processus de socialisation (Perry, 2000), le débat s’est focalisé sur la question de savoir quels agents de socialisation étaient les plus influents.

27Certains estiment que les valeurs propres à la MSP proviennent des institutions – scolaire, religieuse, communautaire et familiale – auxquelles les agents appartenaient avant leur recrutement (Pandey et Stazyk, 2008 ; Vandenabeele, 2011). Selon ce point de vue, les personnes qui souhaitent intégrer la fonction publique afin de pouvoir apporter leur contribution à la collectivité possèdent dès avant leur recrutement un sens aigu de l’intérêt commun. Ainsi, les valeurs inhérentes à la MSP que l’on retrouve chez les fonctionnaires sont avant tout le fait d’un regroupement d’individus partageant les mêmes idées et animés par la volonté, qui préexistait à leur recrutement, de contribuer à la société. Partant du principe que les fonctionnaires ont pour motivation d’améliorer la société et que cette motivation découle de valeurs acquises avant leur recrutement dans la fonction publique, nous posons une première hypothèse, selon laquelle, de même qu’il existe une relation positive entre fonction publique et activités politiques classiques, une association positive existe aussi entre fonction publique et activité politique en ligne [3].

  • Hypothèse 1 : les fonctionnaires sont positivement associés aux activités politiques en ligne.

28D’autres chercheurs avancent que les valeurs inhérentes à la MSP proviennent des organisations présentes dans l’environnement professionnel de l’agent (Giauque et al., 2011 ; Moynihan et Pandey, 2007). S’inscrivant dans la droite ligne de travaux menés en psychologie affirmant que le comportement d’un individu est influencé par les normes de son milieu social (Kim et al., 2016), ces chercheurs ont conclu que c’est dans leur environnement professionnel que les fonctionnaires acquièrent les valeurs propres à la MSP.

29Plus précisément, des chercheurs ont constaté que les employeurs, les cadres et les syndicats sont les principaux agents de socialisation dans le milieu professionnel (Chen et al., 2014 ; Pancer, 2017). Kerrissey et Schofer (2013) ont constaté que les syndicats incitent leurs membres à être politiquement actifs en cultivant leurs identités et en leur apportant les compétences et connaissances nécessaires à cet effet.

30Davis (2011) relève que les syndicats de la fonction publique transmettent un certain nombre de valeurs et de comportements à leurs membres. Il convient de souligner que ces valeurs ne sont pas toutes en phase avec la MSP. Si les agents syndiqués font preuve de plus d’abnégation et d’engagement en faveur de l’intérêt commun, ils montrent par ailleurs moins de compassion. Selon Davis, ces résultats s’expliquent notamment par la complexité des valeurs transmises par les syndicats. Ceux-ci peuvent inciter leurs membres à s’engager dans des actions de bénévolat mais aussi à faire passer le bien-être des autres membres du syndicat avant celui des non-membres.

31Comme nous l’avons déjà mentionné, au Canada, divers acteurs, parmi lesquels le gouvernement, la Commission de la fonction publique et les syndicats de fonctionnaires, ont adressé aux agents des messages de prudence vis-à-vis des activités politiques en ligne. Prenant cet élément en considération, les auteurs privilégiant l’idée selon laquelle la socialisation provient des organisations présentes dans le milieu professionnel envisagent une relation entre fonction publique et activité politique en ligne différente de celle précédemment évoquée. Les messages de prudence relayés auprès des agents par les employeurs et les syndicats lors des élections de 2015 ont inspiré une seconde hypothèse, selon laquelle la relation entre fonction publique et activité politique en ligne serait négative. Cette relation négative concernerait en particulier les membres des organisations syndicales, car ces dernières, qui jouent un rôle important et qui traditionnellement défendent le droit des agents à être politiquement actifs, demandent à présent aux fonctionnaires d’être prudents.

32Il importe de souligner que la syndicalisation dans le secteur privé n’est pas réputée être associée à une diminution des activités politiques en ligne lorsque les normes de neutralité politique sont absentes. De fait, compte tenu du fait qu’il existe généralement une relation positive entre syndicalisation et activité politique (Kerrissey et Schofer, 2013), la syndicalisation dans le secteur privé devrait être positivement associée aux activités politiques hors ligne et en ligne.

  • Hypothèse 2 : Les fonctionnaires syndiqués sont négativement associés aux activités politiques en ligne.

Données et méthodes

Sélection des cas et données

33Nous avons vérifié les hypothèses en les confrontant aux données issues de l’enquête menée dans le cadre de l’Étude électorale canadienne (ÉÉC) de 2015 (Fournier et al., 2015). Cette étude, qui a porté sur un échantillon aléatoire d’électeurs résidant au Canada au moment des élections fédérales, comprenait diverses questions visant à appréhender les comportements des citoyens en matière de politique, y compris leur activité en ligne, ainsi que des questions types sur l’âge, le sexe et le niveau d’éducation. Élément important de l’ÉÉC 2015, les répondants devaient préciser s’ils travaillaient dans la fonction publique ou dans le secteur privé et s’ils étaient membres d’un syndicat.

34Un autre élément intéressant réside dans la forte progression de l’utilisation des réseaux sociaux au moment où l’enquête a été menée. À titre d’exemple, le nombre mensuel d’utilisateurs actifs de Facebook est passé de 430 millions en 2010 à 1,4 milliard en 2015 (Statista, 2015a). Pendant la même période, le nombre mensuel d’utilisateurs de Twitter est passé de 30 millions à 300 millions (Statista, 2015b).

35Malgré ces éléments intéressants, les données présentent des limites. Le grade des agents n’est pas précisé, pas plus que le niveau – fédéral, provincial ou communal – auquel ils exercent leurs fonctions. Si la fonction publique fédérale et provinciale s’inscrit dans la tradition administrative du système de Westminster, ce n’est pas forcément le cas de la fonction publique communale (Siegel, 2015). Il n’a pas non plus été demandé aux personnes interrogées de préciser si elles travaillaient dans des organismes à but non lucratif, alors que selon certaines études, les valeurs dont font montre les personnes œuvrant dans ce type de structures diffèrent de celles de leurs homologues travaillant dans des structures à but lucratif (Ertas, 2015).

36Ces limites mises à part, grâce à ce vaste échantillon aléatoire de comportements politiques observés dans un pays appartenant au système de Westminster, l’ÉÉC nous offre la première étude empirique sur la relation entre fonction publique et activité politique en ligne.

Opérationnalisation des variables

37Dans le Tableau 1 [4] figurent l’opérationnalisation des variables indépendantes, des variables dépendantes et des variables de contrôle ainsi que les statistiques sommaires se rapportant à ces variables. Le secteur d’emploi a été mesuré en demandant aux personnes interrogées de préciser si elles travaillaient dans le secteur public ou privé. Elles avaient en outre la possibilité de répondre par « je ne sais pas » ou « je ne travaille pas ». On retrouve cette question type sur le secteur d’emploi dans l’Étude sur les élections nationales américaines et dans l’Enquête australienne sur les comportements sociaux, qui sont souvent utilisées dans les travaux de recherche sur les comportements des fonctionnaires (Brewer, 2003 ; Taylor, 2010). Les retraités, les personnes sans emploi et celles qui ignoraient quel était leur secteur d’emploi ont été exclues de l’analyse.

38Parmi les personnes interrogées, 11 % des salariés du secteur privé sont syndiqués comparé à 56 % chez les fonctionnaires. Cette différence se retrouve dans les données recueillies par Statistique Canada. En 2014, le taux de syndicalisation était de 15 % dans le secteur privé et de 71 % dans la fonction publique (Statistique Canada, 2017). Le nombre plus élevé de fonctionnaires non syndiqués qui ressort de l’enquête est probablement dû à l’inclusion des travailleurs précaires, en particulier les employés occasionnels, qui ne sont pas officiellement considérés comme des fonctionnaires au sens de la loi sur l’emploi dans la fonction publique, qui ne sont pas syndiqués [5], et auxquels le gouvernement a néanmoins eu de plus en plus recours pendant ces vingt dernières années (Gow et Simard, 1999). Ainsi, en 2015, la Commission de la fonction publique a procédé au recrutement de 3 904 employés permanents (syndiqués) et 18 609 employés occasionnels (non syndiqués) (Commission de la fonction publique du Canada, 2015a : 12).

39Plusieurs questions ont porté sur les activités politiques. Il a été demandé aux personnes interrogées de préciser combien de fois elles avaient mené une activité particulière au cours des douze derniers mois. Deux questions portaient sur les activités en ligne : il était demandé aux personnes interrogées si elles utilisaient les réseaux sociaux pour discuter de politique avec quelqu’un qu’elles connaissaient (première question) ou avec quelqu’un qu’elles ne connaissaient pas (seconde question).

40Afin de savoir s’il existe des caractéristiques propres aux fonctionnaires en matière d’activité en ligne, certaines questions ont porté sur les activités traditionnelles hors ligne, telles que la participation à une marche, à un rassemblement ou à une action de contestation, ou l’achat d’un objet motivé par une raison politique (« buycott »).

41Les répondants n’ont pas reçu d’instructions particulières pour répondre à ces questions. Les réponses allaient de « jamais », « une fois seulement », « quelquefois », à « plus de cinq fois ». Elles ont été recodées afin d’obtenir une mesure binaire indiquant si une personne avait mené une activité au moins une fois. Ce recodage a été effectué car on suppose que lorsque les normes sont défavorables à l’activité politique en ligne, les fonctionnaires ne cherchent pas à limiter leur activité mais préfèrent s’abstenir complètement. Une personne est ou n’est pas politiquement active. Outre le secteur d’emploi et la syndicalisation, plusieurs autres facteurs réputés influencer l’activité politique et l’utilisation des réseaux sociaux ont été inclus en tant que contrôles.

42Âge. Il ressort de plusieurs études que l’activité politique des jeunes s’exerce davantage en ligne et que la relation entre l’âge et l’utilisation des nouvelles technologies est généralement négative (Bakker et De Vreese, 2011). La relation entre l’âge et l’activité politique en ligne pouvant être non-linéaire, les modèles incluent également l’âge au carré.

43Présence d’enfants. Compte tenu des contraintes liées à leur emploi du temps, les personnes ayant des enfants sont susceptibles de participer dans une moindre mesure aux activités politiques (Schussman et Soule, 2005), même si, en raison des facilités que procurent les réseaux sociaux, il est possible que cela ne s’applique pas aux activités en ligne. Une variable factice indiquant la présence d’une personne de moins de 18 ans dans le foyer est incluse dans les modèles.

44Sexe. Le fait d’être une femme est souvent négativement associé à l’activité politique, en raison d’un partage inégal des responsabilités au sein du foyer et du fait d’avoir à s’occuper d’autres personnes (Coffé et Bolzendahl, 2010). Les modèles incluent une variable-i ndicateur indiquant si la personne est de sexe masculin.

45Éducation. L’éducation est souvent associée à une participation politique accrue. En suivant l’opérationnalisation effectuée par Moynihan et Pandey (2007), une variable mesurant le niveau d’éducation de la personne est incluse en tant que contrôle (niveau inférieur à la licence = 1 ; licence = 2 ; master ou diplôme professionnel = 3).

46Personnalité. Il a été observé qu’il existe une relation positive entre personnalité extravertie et activité en ligne (Seidman, 2013). Pour tenir compte de ce facteur, les modèles incluent une variable mesurant sur une échelle comportant sept niveaux la façon dont le répondant perçoit sa personnalité comme étant extravertie et enthousiaste.

47Intérêt pour la politique. L’intérêt pour la politique est un facteur clé pour expliquer les activités politiques (Di Gennaro and Dutton, 2006). Une variable mesurant sur une échelle de 0 à 10 l’intérêt général du répondant pour la politique, tel que déclaré par celui-ci, est incluse en tant que contrôle.

Méthodes

48La régression logistique est utilisée dans deux modèles différents pour vérifier la relation entre chaque activité politique et le secteur d’emploi. Dans le Modèle A, il est procédé à la vérification de la première hypothèse en effectuant séparément une régression de chaque activité politique sur la fonction publique et sur les variables de contrôle. Dans le Modèle B, il est procédé à la vérification de la seconde hypothèse en ajoutant un terme d’interaction entre le secteur d’emploi et l’affiliation à un syndicat, et en interprétant l’interaction par probabilité réduite et par variation marginale des probabilités de mener chaque activité.

49Un test de robustesse a été réalisé, consistant à tester, en effectuant une analyse de régression par la méthode des moindres carrés ordinaires, un modèle alternatif utilisant le codage de l’échelle de l’activité politique. Les résultats obtenus par ce modèle alternatif ne semblent pas différents de ceux obtenus avec les modèles présentés.

Résultats et analyse

50Les résultats des modèles de régression figurent au Tableau 2. Il ressort du Modèle A que, bien que la relation entre fonction publique et participation à une marche politique soit positive et significative (p = 0,05), elle ne semble pas influencer la probabilité d’être politiquement actif en ligne. Lorsque les variables de contrôle sont incluses, aucune relation statistiquement significative n’apparaît entre le fait de travailler dans la fonction publique, considéré globalement, et celui d’avoir une discussion politique en ligne, que cette discussion ait lieu avec un inconnu (p = 0,956) ou qu’elle ait lieu sur un réseau social avec une personne que l’on connaît (p = 0,158).

51Dans le Modèle B, pour vérifier la seconde hypothèse, nous avons inclus un terme d’interaction entre secteur d’emploi et affiliation à un syndicat. La valeur significative du terme d’interaction semble indiquer que l’affiliation à un syndicat conditionne la relation entre secteur d’emploi et activité politique en ligne. Les données permettant d’interpréter ce résultat se trouvent à la Figure 1, qui porte sur la probabilité prédite de mener chaque activité en fonction du secteur d’emploi et de l’affiliation à un syndicat, et dans le Tableau 3, qui indique la variation marginale de ces probabilités.

52Tout d’abord, ces résultats, qui confirment ceux de travaux antérieurs, font ressortir que l’affiliation à un syndicat accroît la probabilité d’être politiquement actif dans le secteur privé, hors ligne comme en ligne. Comme le montre la Figure 1, la probabilité qu’un salarié du secteur privé participe à une marche, à un rassemblement ou à une action de protestation politiques est de 15 % (intervalles de confiance de 95 % : 13, 18) lorsqu’il n’est pas syndiqué et de 29 % (20, 38) lorsqu’il l’est. Comme il est indiqué au Tableau 3, dans le secteur privé, lorsque le salarié est syndiqué, la variation marginale de la probabilité de participer à une marche, un rassemblement ou une action de protestation politiques représente une hausse de 14 points de pourcentage (p = 0,004).

53La probabilité qu’un salarié du secteur privé discute de politique en ligne avec un inconnu est de 22 % (19, 25) lorsque le salarié n’est pas syndiqué et de 35 % (26, 45) lorsqu’il l’est. La probabilité qu’un salarié non syndiqué discute de politique sur les réseaux sociaux avec quelqu’un qu’il connaît est de 29 % (26, 32) alors qu’elle est de 34 % (24, 44) pour un salarié syndiqué.

54Dans la fonction publique, toutefois, aucune association positive entre affiliation à un syndicat et activité politique n’est observée. De fait, dans la ligne de la seconde hypothèse, l’affiliation à un syndicat de fonctionnaires fait diminuer la probabilité d’être politiquement actif en ligne. La probabilité qu’un agent non syndiqué discute de politique sur un réseau social avec quelqu’un qu’il connaît est de 38 % (31, 44), alors que cette probabilité est de 27 % (22, 32) lorsqu’il s’agit d’un agent syndiqué. La variation marginale de la probabilité de cette activité selon l’affiliation à un syndicat correspond à une baisse de 11 points de pourcentage (p = 0,008).

55On observe une relation similaire lorsque l’on examine la probabilité qu’un agent discute de politique en ligne avec un inconnu : cette probabilité est de 27 % (22, 34) lorsque le fonctionnaire n’est pas syndiqué et de 21 % (13, 29) lorsqu’il l’est. Comme il est indiqué au Tableau 3, bien que la valeur p soit plus élevée que 0,05, qui est le seuil traditionnellement utilisé (p = 0,108), l’affiliation à un syndicat de fonctionnaires réduit la probabilité de six points de pourcentage. Cette réduction est d’autant plus remarquable si l’on considère que, dans le secteur privé, être membre d’un syndicat augmente la probabilité de discuter de politique en ligne de 13 points de pourcentage (p = 0,008).

56Il importe de souligner que, dans la fonction publique, l’affiliation à un syndicat n’entraîne aucune diminution substantielle de la probabilité de mener des activités hors ligne traditionnelles. En fait, l’affiliation à un syndicat fait augmenter de cinq points de pourcentage la probabilité de participer à une marche (p = 0,209) et la variation marginale de la probabilité de faire un achat motivé par une raison politique, lorsque la personne est membre d’un syndicat, est inférieure de deux points de pourcentage (p = 0,654).

57L’absence d’effets de l’affiliation à un syndicat sur la probabilité que les fonctionnaires se livrent à des activités politiques hors ligne va dans le sens de la seconde hypothèse, selon laquelle les normes transmises par les organisations présentes dans l’environnement professionnel de l’agent influencent son comportement. Comme nous l’avons précédemment souligné, pendant les élections canadiennes de 2015, les appels à la prudence relayés par les syndicats dans la fonction publique se concentraient sur les activités politiques en ligne.

Conclusion

58Les réseaux sociaux transforment la façon dont nous nous gouvernons. Depuis peu, ils préoccupent certains acteurs, qui craignent qu’en réduisant l’anonymat, ces réseaux menacent la réputation de neutralité politique du service public. À ce jour, toutefois, peu de travaux de recherche ont été menés sur les activités politiques en ligne des fonctionnaires. Dans le présent article, en nous appuyant sur la littérature consacrée à la MSP, nous nous sommes attachés à approfondir la recherche dans ce domaine en formulant deux hypothèses divergentes sur la relation entre fonction publique et activité politique en ligne, puis en les vérifiant au moyen de données issues de l’enquête réalisée dans le cadre de l’Étude électorale canadienne de 2015.

59Les résultats de l’analyse multivariée de régression logistique ont fait ressortir une relation négative entre fonction publique et activité politique en ligne, et, dans la ligne des résultats des travaux de Kerrissey et Schofer (2013), une relation positive entre affiliation à un syndicat dans le secteur privé et activité politique, hors ligne et en ligne. À la lumière des appels à la prudence visant les activités politiques en ligne qu’ont lancés les syndicats de fonctionnaires lors des élections fédérales canadiennes de 2015, nous constatons que la relation négative entre fonctionnaires syndiqués et activité politique en ligne va, en théorie, dans le sens de la littérature consacrée à la MSP, selon laquelle les comportements des agents sont influencés par les normes établies par les organisations présentes dans leur environnement professionnel (Davis, 2011 ; Giauque et al., 2011).

60Les résultats de la présente étude devraient rassurer ceux qui craignent que les réseaux sociaux puissent porter atteinte au principe communément admis de neutralité politique. Celui-ci semble bien ancré dans la fonction publique canadienne, que ce soit au sein de la Commission de la fonction publique ou des syndicats de fonctionnaires. Les résultats sont particulièrement encourageants étant donné qu’au Canada, si le taux de syndicalisation a reculé dans le secteur privé, son niveau demeure élevé dans la fonction publique (Statistique Canada, 2017). Il convient toutefois de souligner que ces statistiques ne font pas apparaître la tendance croissante des pouvoirs publics à recourir aux emplois précaires, notamment aux employés occasionnels, qui ne sont pas syndiqués. Comme l’a récemment reconnu la Commission de la fonction publique canadienne, cette pratique n’est pas sans danger : « le choix de renouveler ses ressources au moyen de cet effectif temporaire doit être équilibré avec la nécessité de respecter les valeurs fondamentales de la loi sur l’emploi dans la fonction publique (LEFP) que sont le mérite et l’impartialité politique » (Commission de la fonction publique du Canada, 2011 : 12). Comme il a été constaté que les agents non syndiqués se livrent davantage à des activités politiques en ligne que les autres agents, la tendance des pouvoirs publics à recourir à ce type d’agents risque, à l’ère de la gouvernance numérique, d’écorner l’image de neutralité politique de la fonction publique.

61Le présent article rend compte d’une première étude importante sur les activités politiques en ligne des fonctionnaires mais présente néanmoins des limitations, qui pourraient donner lieu à de nouvelles recherches dans le but d’améliorer notre connaissance de l’utilisation des réseaux sociaux dans la fonction publique. Ces futurs travaux pourraient porter sur les différences de comportements selon les niveaux d’emploi. Il se pourrait que les hauts fonctionnaires collaborant avec des dirigeants politiques et les agents travaillant en contact direct avec les citoyens soient davantage conscients des dangers que leurs actions peuvent faire courir à leur réputation de fonctionnaires impartiaux et ces fonctionnaires pourraient en conséquence être moins actifs politiquement en ligne.

62Il importe également de rappeler que la présente étude exploite des données canadiennes, recueillies pendant une campagne électorale où, en raison de l’affaire « Harperman », la question des activités politiques des fonctionnaires avait fait les gros titres dans tout le pays (May, 2015). En outre, rappelons que le Canada a opté pour un encadrement des comportements politiques excluant les risques et privilégiant les valeurs et l’éthique. Et que l’absence de définition précise de ce que constitue un comportement inapproprié pousse les agents à être encore plus vigilants.

63Lors des élections qui se sont récemment tenues au Royaume-Uni et en Australie, les pouvoirs publics, les commissions chargées de la fonction publique et même les syndicats de fonctionnaires ont insisté sur les dangers liés aux activités politiques en ligne (Cabinet Office [Bureau du Cabinet], 2017 ; Towell, 2016). Si, dans les pays appartenant à la tradition de Westminster, le principe d’anonymat sous-tend l’équilibre entre la neutralité et le caractère permanent de l’administration, on observe également que de nombreux autres pays tiennent à l’impartialité de leur fonction publique. À l’avenir, il serait souhaitable de réaliser des études sur la relation entre fonction publique et activité politique en ligne dans d’autres pays, appartenant ou non à la tradition de Westminster, afin d’élargir ou de contextualiser les résultats de la présente étude.

Déclaration de conflits d’intérêts : l’auteur ne déclare aucun conflit d’intérêts potentiel relatif aux recherches menées dans le cadre du présent article, à sa qualité d’auteur ou à la publication de celui-ci.
Financement : le présent article n’a fait l’objet d’aucun financement, que ce soit au stade des recherches, de la rédaction ou de la publication.
Données complémentaires : des données complémentaires sont accessibles sur https://journals.sagepub.com/doi/suppl/10.1177/0020852318780452.

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Mots-clés éditeurs : bureaucratie, syndicalisation, anonymat, neutralité, réseaux sociaux, activité politique

Mise en ligne 25/09/2020

https://doi.org/10.3917/risa.863.0519

Notes

  • [1]
    La CFP décide des mesures disciplinaires en cas d’infractions. Le comportement inapproprié n’est pas précisément défini par la loi et les affaires sont jugées au cas par cas. Lorsqu’elle rend une décision, la CFP tient compte de « la nature des fonctions de l’agent au sein du ministère, du niveau et de la visibilité du poste de celui-ci, de la nature des activités politiques menées par l’agent et de l’importance du mandat du ministère » (Commission de la fonction publique du Canada, 2015b). Tony Turner a pris sa retraite avant que la décision finale soit prononcée (CBC, 2015).
  • [2]
    La CFP fournit dans ses rapports annuels des données sur les allégations de participation inappropriée à des activités politiques. En général, le nombre de ces affaires est très peu élevé. Par exemple, en 2015, la CFP a enquêté sur quatre allégations, qui étaient toutes fondées. Depuis 2005, les mesures disciplinaires comprennent une formation obligatoire sur les valeurs et l’éthique, une notification portée au dossier de l’agent, une formation en ligne et un congé sans solde (Commission de la fonction publique du Canada, 2015a : 70).
  • [3]
    Cela présume aussi que le désir d’apporter une contribution à la société en se livrant à des activités politiques prime sur les préoccupations selon lesquelles ce comportement pourrait mettre en danger la réputation d’impartialité politique de l’agent et produire des effets négatifs.
  • [4]
    Les Tableaux sont consultables en ligne sur : https://journals.sagepub.com/doi/suppl/10.1177/0020852318780452.
  • [5]
    Outre ces agents, le taux de syndicalisation est également inférieur chez les agents appartenant aux groupes professionnels de gestion (28 %), tous les autres groupes professionnels ayant un taux supérieur à 60 % (Statistique Canada, 2018).
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