Couverture de RISA_854

Article de revue

La durabilité des institutions : une caractéristique instable

Pages 627 à 644

Notes

  • [1]
    Traduction de l’article paru en anglais sous le titre : « The sustainability of institutions : An unstable condition » – réalisée par le Centre de traduction des ministères économiques et financiers (France) dans le cadre d’un partenariat avec l’Institut de la Gestion Publique et du Développement Économique (France).
  • [2]
    Le concept d’autonomie fonctionnelle utilisé ici est emprunté aux publications en sciences de l’éducation sur le fonctionnalisme qui représente l’aptitude de tous les organismes vivants à se conserver. En particulier, l’accent est mis sur les fonctions de l’activité humaine dont la finalité est l’adaptation à l’environnement.
  • [3]
    Il s’agit de la légitimité au sens sociologique, c’est-à-dire l’identification collective au rôle institutionnel dictée par les comportements et les attitudes. Elle doit être distinguée du concept de légitimité lié à l’acceptation du rôle institutionnel conformément aux règles et procédures.
English version

Introduction

1Au cours des dernières décennies, les institutions publiques des démocraties occidentales les plus développées ont été confrontées à une crise profonde et complexe mettant en danger leurs fonctions et leur capacité à poursuivre leurs objectifs et mobiliser des ressources (Peters et al., 2011). Un décalage est apparu entre les problèmes rencontrés et les solutions apportées, en particulier en raison de l’inefficacité de plus en plus marquée de la prise de décision et la capacité limitée de mise en œuvre par la structure politico-administrative de l’État (tant au niveau central que local) (Pollitt, 2010). La cause est à chercher dans les critères d’efficacité les plus courants : mérite, professionnalisme, transparence et réactivité ; pour certains pays, il faut également incriminer le phénomène rampant des irrégularités administratives, du gaspillage et de la corruption. Cette situation est révélatrice d’une crise politique profonde qui touche plusieurs aspects de la démocratie représentative (par exemple, la baisse de la participation électorale, la fragmentation et la radicalisation des partis et l’augmentation des inégalités sociales), ce qui met en lumière, plus vivement que par le passé, l’écart entre l’« existence actuelle » et l’« existence future » des institutions publiques (Lijphart, 2001).

2Dans ce domaine, les articles de sciences politiques étudient généralement la performance institutionnelle (Kaplan et Norton, 1996), ce qui permet de mieux comprendre les institutions et leur mode de fonctionnement. Toutefois, cette approche n’est pas très utile pour appréhender pleinement la relation difficile entre société et institutions, ni pour fournir des orientations sur la manière de pérenniser ces dernières, en particulier dans un contexte de scepticisme généralisé à l’égard des institutions publiques (Norris, 2011).

3Face à la diminution des ressources, il est important d’évaluer la capacité des institutions publiques à conserver et/ou accroître leur rôle dans la société. L’étude approfondie de cette capacité est nécessaire pour adopter la perspective méthodologique appropriée dans le cadre du débat sur les réformes liées aux institutions publiques actuelles, et plus encore aux institutions publiques futures. Cet article va dans ce sens, en proposant d’utiliser d’une manière différente le concept de « durabilité institutionnelle » habituellement lié, dans la littérature, au renforcement des capacités en matière de politiques de développement durable.

4Le concept de durabilité utilisé ici repose sur le sens étymologique du terme « durabilité ». Il désigne la capacité des institutions à survivre grâce au maintien et au développement d’activités et de fonctions s’inscrivant (quantitativement et qualitativement) dans le cadre des ressources (en termes de personnel, de moyens financiers et matériels) dont elles disposent et qui sont reconnues par la société. Ceci amène à s’interroger sur la logique et la dynamique des actions qui revêtent une nature non seulement technico-managériale mais également politique. La dimension politique représente le côté le plus innovant du concept de durabilité des institutions car elle est liée à la question de la légitimité, condition fortement associée au concept des institutions (Meyer et Scott, 1994 ; Powel et Di Maggio, 1991) et rarement prise en compte dans les études sur la durabilité institutionnelle.

5Cette approche de la durabilité est doublement utile car elle permet 1) de comprendre comment les institutions jouent leur rôle en dépit de nombreux enjeux (économiques, technologiques, politiques, sociaux, etc.), et 2) de repérer les aspects des institutions qui nécessitent d’être améliorés, voire modifiés profondément. C’est pourquoi le concept de durabilité a une vocation universelle. Il peut être appliqué tant aux institutions qui interviennent dans le cadre du marché, y compris celles dont l’objectif est la recherche d’un intérêt collectif, comme les organisations à but non-lucratif, qu’aux institutions publiques. Au-delà de l’intérêt poursuivi et de l’environnement dont ils dépendent pour rassembler des ressources (Pfeffer et Salancik, 1978), les deux types d’organisations (publiques et privées) doivent satisfaire à des exigences en matière de légitimité afin de survivre.

6Cet article ne traite que des administrations publiques, le but étant de se concentrer sur un type d’institutions pris de plus en plus en étau entre les incertitudes et la confusion de la prise de décision et les difficultés et délais de mise en œuvre. Dans un contexte international dominé par une crise économique sans fin dont il convient de limiter les graves conséquences sociales, ces problèmes contribuent au risque de manquement de nombreuses institutions à leurs obligations financières, ce qui affecte sérieusement la qualité et la quantité des services rendus à la collectivité (Diamond et Liddle, 2014).

7L’étude empirique de la durabilité institutionnelle des administrations publiques constitue un champ de recherche intéressant. Les responsables de l’élaboration des politiques sont mieux à même de choisir des politiques qui renforcent le rôle d’une administration publique s’ils connaissent ses limites en matière de durabilité. Plus précisément, la connaissance des éléments caractéristiques de la durabilité d’une administration publique permettra d’adopter des politiques mieux ciblées, prenant mieux en compte ses faiblesses dans toute leur complexité. Toutefois, les rares modèles d’évaluation disponibles dans la littérature spécialisée et les outils utilisés (indicateurs et variables) sont mal adaptés à l’objectif proposé ici, à savoir la concrétisation du concept de durabilité institutionnelle. Par conséquent, cet article tente de répondre aux questions suivantes : sur quels éléments se fonde la durabilité de l’administration publique et quel type de méthodologie peut-on utiliser pour « mesurer » ces éléments ?

8L’article se présente de la manière suivante : les première et deuxième parties étudient les définitions de la durabilité institutionnelle utilisées dans la littérature en relevant leurs faiblesses et leurs limites. La troisième partie introduit le modèle conceptuel de durabilité institutionnelle, en mettant en exergue la valeur ajoutée par rapport aux publications existantes. La quatrième partie traite plus précisément de l’application du concept à l’administration publique et étudie les deux domaines principaux d’analyse (aspect technico-managérial et légitimité). La cinquième partie propose quatre types de durabilité (proactive, technique, liée à des valeurs et faible) dont l’ensemble trace, bien que de manière non exhaustive, un panorama de la durabilité institutionnelle. Enfin, la sixième partie présente un modèle de mesure qui propose des critères et des indicateurs utiles dans le cadre d’une étude empirique.

Durabilité institutionnelle et développement durable

9La durabilité institutionnelle est abordée de manières très différentes dans les publications portant sur ce sujet. Par exemple, l’Agenda 21 considère qu’il s’agit de la capacité à garantir des conditions de stabilité, démocratie, participation, information, formation, justice (UN, 1993). Le Rapport sur le développement dans le monde (2003) de la Banque mondiale met en avant les aspects liés au système politique, aux droits civiques et politiques qui s’y rattachent, à la taille et à l’efficience du système de marché, au système des droits de propriété, à la qualité des politiques et des organismes publics et aux mécanismes de gestion des conflits. D’autres études considèrent que la durabilité institutionnelle s’insère dans un programme territorial durable centré sur les activités des institutions visant à promouvoir le principe de durabilité (Bell and Morse, 2008), voire qu’elle est liée à la capacité, pour une organisation, de faire face aux coûts récurrents malgré l’affaiblissement du financement (Brown, 1998). Le concept semble donc recouvrir des aspects très variés, allant du respect de l’environnement à l’égalité entre les femmes et les hommes, de la recherche de résultats à la durabilité écologique.

10Au-delà de ces différences, certains chercheurs (Blewitt, 2008 ; Fiorino, 2010 ; Graymore, 2014 ; Pfahl, 2005 ; Wang et al., 2012) font encore référence au cadre du développement durable (Brown et al., 1987). Ce modèle de développement, de même que l’approche de la triple performance (Elkington, 1994), garantit, voire améliore, la satisfaction des besoins des communautés sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs (Imperatives, 1987). En particulier, la durabilité institutionnelle est considérée comme un outil pour mettre en place des politiques de développement durable. Toutefois, les chercheurs appréhendent de manières différentes le lien entre le concept de développement durable et celui de durabilité institutionnelle.

11Certaines études sur la durabilité institutionnelle établissent un lien de cause à effet (une réelle connexion) entre capacité institutionnelle et développement durable (par exemple, Fiorino, 2010 ; Leuenberger et Bartle, 2009) : plus le niveau de la capacité institutionnelle est élevé, plus le développement durable sera important. La durabilité institutionnelle met l’accent sur les compétences techniques et de gestion nécessaires pour atteindre les objectifs et respecter les critères et principes de la nouvelle gestion publique. Il faut noter tout particulièrement l’importance accordée à la capacité financière, l’évaluation de la performance étant presque exclusivement fondée sur les aspects économiques ; l’analyse du rapport coûts-bénéfices et les ressources financières sont considérées comme primordiales (Vig et Kraft, 2006). Récemment, ce type de recherches s’est orienté sur l’élaboration de stratégies aux fins d’un changement organisationnel (Wang et al., 2012), encourageant la création de processus d’apprentissage liés à la mise en œuvre de politiques de développement de plus en plus complexes et ramifiées.

12Malgré ces réinterprétations de la durabilité institutionnelle, le concept n’est pas à l’abri de critiques. Le fait que le développement durable exige des institutions compétentes, disposant d’une capacité d’action et en mesure d’orienter les processus économiques et sociaux ne signifie pas que les deux concepts (durabilité institutionnelle et développement durable) soient indissociablement unis par un lien de cause à effet. S’il est vrai que les institutions contribuent au développement durable, il n’est pas certain qu’elles y conduisent nécessairement. La durabilité institutionnelle peut également suivre la voie d’un développement non durable ou ne viser aucun développement (NORAD, 2000).

13Toutefois, d’autres études abordent le lien entre durabilité institutionnelle et développement durable en termes de complémentarité (par exemple, Magali et Young, 2009 ; Pfahl, 2005). C’est en combinaison avec d’autres facteurs ayant une influence sur les aspects économiques, environnementaux et sociaux que la durabilité institutionnelle conduit au développement durable (Brown et al., 1987). Dans ce contexte, les principes opérationnels et les stratégies institutionnelles revêtent de l’importance pour le développement durable et tendent vers des objectifs de bonne démocratie, notamment la garantie et la protection des droits des citoyens. La durabilité institutionnelle renvoie à la coordination et à l’équilibre des intérêts portés par différentes parties prenantes, à travers certaines formes de participation citoyenne et en coopération avec différents acteurs publics et privés (Graymore, 2014 ; Pfahl, 2005). La durabilité institutionnelle fait appel à un mode de gouvernement qui met en avant des processus inclusifs de prise de décision.

14Par conséquent, les études relevant de cette deuxième catégorie se concentrent sur la gouvernance et sur le comportement proactif des acteurs participant à la mise en œuvre des politiques. L’attention particulière portée à la gouvernance tend à faire perdre de vue le gouvernement et l’interdépendance entre gouvernance et gouvernement. Par suite, le rôle des institutions en tant que chaîne de production (de l’État à la municipalité) comportant une hiérarchie des pouvoirs et des responsabilités eu égard à l’intérêt public est ignoré.

15Ce sont là les différences que présentent les deux approches. Toutefois, dans les deux types d’études, le concept de durabilité institutionnelle affaiblit l’équilibre homéostatique qui sous-tend le concept étymologique de durabilité. Même dans le cas des institutions, qui apparaissent comme des organisations complexes, ce concept renvoie à la capacité de préserver des êtres ou des choses tout en développant des stratégies et des programmes en harmonie avec l’environnement. De plus, le risque existe de ne pas tenir compte de la transformation des institutions. En effet, les institutions naissent, meurent ou évoluent, et sont soumises à des processus d’institutionnalisation et de désinstitutionnalisation dont on ne peut faire abstraction (Morgan, 2007).

16Au-delà de ces deux écoles de pensée, l’agence norvégienne de coopération pour le développement (NORAD, 2000) propose son propre concept de durabilité institutionnelle. Dans ce cas, l’aspect primordial est « la capacité des institutions à se maintenir et à se développer pour assurer la permanence de leurs fonctions tout en recourant de moins en moins à l’assistance externe » (NORAD, 2000 : 7). Le point clé de cette définition se trouve dans ses derniers termes, « en recourant de moins en moins à l’assistance externe », qui font référence aux ressources financières ainsi qu’à l’ensemble des dispositions réglementant les pouvoirs et responsabilités, la gouvernance locale et institutionnelle, l’identité sociale, etc. Ce rapport met en lumière la nécessité d’accroître la stabilité des tâches et fonctions des institutions en identifiant les risques, les opportunités et les objectifs. Cependant, cette approche présente tout de même une faiblesse car elle néglige l’impact des pressions organisationnelles provenant de l’environnement externe (social, culturel, politique et juridique), qui affecte la capacité de survie et de développement des institutions (March et Olsen, 1989).

Durabilité et survie des institutions

17Certaines études utilisent le concept de durabilité institutionnelle d’une manière plus fonctionnelle du point de vue de la croissance et de la création de valeur de l’organisation. Notamment, ces études considèrent que la durabilité doit être un nouveau modèle de stratégie managériale permettant de répondre aux pressions exercées par un environnement social et politico-institutionnel compétitif et qui évolue rapidement (Porter et Kramer, 2006). En particulier, ces thèses visent à intégrer stratégiquement les questions sociales et environnementales dans les processus opérationnels et les interactions avec les parties prenantes, tout en respectant le principe de responsabilité sociale. L’objectif est d’accroître la confiance accordée par l’environnement externe, afin de faire perdurer les avantages concurrentiels essentiels à la survie de l’organisation, spécialement en période de récession. Cette gestion stratégique a également été appliquée aux institutions de l’État pour les aider à atteindre leurs objectifs (Bryson, 2004). Le but est de résoudre les problèmes de court et moyen terme afin d’améliorer la prise de décision et d’accroître l’efficience en fonction des besoins des parties prenantes (Varbanova, 2013).

18Il existe également des études portant sur des organismes à but non lucratif et l’administration publique (Moldavanova, 2014 ; Stazyk et al., 2016) qui suggèrent d’intégrer les exigences organisationnelles à court et moyen terme à la durabilité intergénérationnelle, définie comme la capacité des institutions à se maintenir et à remplir leurs objectifs sur le long terme en mobilisant les générations futures comme les générations présentes. Dans ce cas, le concept de durabilité institutionnelle, tout en étant lié à la gestion stratégique, englobe la protection de l’équité intergénérationnelle. L’objectif principal est de préserver à long terme la mission et les valeurs fondamentales afin de créer de la valeur pour la communauté actuelle et future. Toutefois, cette approche ne tient pas compte de la nécessité, pour les organisations, d’avoir une légitimité sur le long terme.

Durabilité institutionnelle en tant que durabilité des institutions

19Le modèle de durabilité institutionnelle que je propose ici vise à contribuer aux études qui utilisent le concept de durabilité d’un point de vue fonctionnel pour les organisations. L’objectif est de renforcer le rôle et l’identité des institutions par le développement d’une capacité institutionnelle appropriée, même dans des conditions critiques ou défavorables (diminution des ressources financières, modification du contexte réglementaire, économique ou social, évolution politique rapide, problèmes d’aggravation qualitative et quantitative rapide des conflits sociaux, etc.).

20En particulier, la capacité institutionnelle à laquelle je fais référence (à la différence des propositions en matière de gestion stratégique et de durabilité intergénérationnelle) vise à mettre en place et à préserver la mission et les valeurs fondamentales, en prenant en compte non seulement les ressources (financières, sociales, environnementales, etc.) devant être transmises aux générations futures, mais également la légitimité institutionnelle. Cette légitimité justifie le rôle de l’organisation dans la société et contribue à l’acquisition de ressources et au soutien constant des parties prenantes (Parsons, 1990). L’importance de la légitimité est telle, que si les comportements stratégiques ne parviennent pas à la garantir, l’organisation est en difficulté même si elle présente de bons résultats (Olsen, 1992) et si ses objectifs sont acceptables d’un point de vue rationnel (Baum et Oliver, 1991).

21Le modèle de durabilité institutionnelle proposé demande non seulement des compétences de gestion compatibles avec les contraintes existantes et les moyens disponibles, mais également la capacité à développer un consensus social afin de renforcer le rôle institutionnel. Ce dernier aspect touche à la « nature » de l’institution de manière plus essentielle que ce qui apparaît jusqu’ici dans la littérature sur la gestion stratégique et la durabilité institutionnelle. Les institutions publiques communiquent et agissent au nom de la communauté tout entière, et les organismes privés et à but non lucratif le font au nom de groupes spécifiques. La prise en compte des différents principes qui apportent une légitimité à leurs actions est indispensable pour appréhender et comprendre les forces et les faiblesses des institutions.

22Ainsi envisagée, la durabilité institutionnelle nous permet d’aller au-delà de la performance. En matière de performance, l’intérêt est de comprendre si l’institution répond aux besoins et exigences des citoyens et si elle résout un problème (Kaplan et Norton, 1996). Concernant la durabilité institutionnelle, l’intérêt est de déterminer si l’institution a la capacité de se régénérer et de survivre à long terme sans perdre le rôle qu’elle joue dans la société.

23C’est pourquoi ce modèle conceptuel offre des perspectives d’analyse intéressantes pour de futures études empiriques. À cette fin, je propose des pistes d’étude portant sur deux aspects fondamentaux : 1) la recherche de facteurs de durabilité institutionnelle et, 2) la recherche d’indicateurs mesurables et observables permettant d’analyser empiriquement le concept de durabilité.

Durabilité et institutions publiques

24Pour étudier la durabilité institutionnelle, il convient de partir du rôle des institutions. Dans le cas de l’administration publique, cela signifie qu’il faut examiner un domaine de compétence actuellement redéfini par l’influence du marché et orienté vers les principes de dérégulation, de privatisation et de libéralisation (Pollitt et Bouckaert, 2011). En effet, les institutions publiques (en particulier à l’échelon local) n’ont plus autant d’activités de gestion qu’auparavant et prennent moins d’initiatives d’intervention directe, se fondant sur les réglementations spécifiques applicables aux différents niveaux de l’administration. Par conséquent, les objectifs, les structures, les principes et les règles des services publics ont profondément changé, sans que les institutions publiques ne soient en mesure de gérer ces changements ni de faire face aux circonstances défavorables et aux nouveaux problèmes (Haque et al., 1998).

25Pour remédier à ces lacunes, il est nécessaire d’appliquer les critères d’efficience, d’efficacité et d’économie conformément aux objectifs d’équité, de participation, de transparence et de responsabilité (Osborne, 2006), l’ambition finale étant d’agir de la manière la plus favorable au bien-être de la communauté. Il existe une dimension politique dans les fonctions institutionnelles et la capacité à fournir des services qui ne respecte pas toujours l’équilibre entre les coûts et les recettes (Aucoin, 1990), ce qui impose le développement des institutions, le renforcement des rôles et des fonctions, afin de préserver l’intérêt public. Ce qui signifie qu’en matière de durabilité, l’aspect technico-managérial dans l’analyse de l’administration publique doit prendre en compte la dimension politique et se concentrer sur la résolution des problèmes collectifs.

26En ce qui concerne l’aspect technico-managérial, outre les critères d’efficience, d’efficacité et d’économie, j’ai relevé la capacité à réagir à la fois aux problèmes prévus et aux imprévus sans « consommer » de ressources (environnementales, sociales et économiques). Il faut noter tout particulièrement la capacité à fixer des objectifs, trouver des moyens et reconfigurer les processus de gestion interne et la connaissance organisationnelle (Levitt et March, 1988). Il s’agit d’une capacité de gestion complexe dans laquelle « l’autonomie fonctionnelle » [2] joue un rôle significatif ; elle exprime la capacité à faire évoluer les actions et réactions en fonction des besoins propres sans faire appel à des ressources externes.

27En ce qui concerne la politique, seconde dimension de l’analyse, j’examine l’aspect de l’action institutionnelle qui consiste à trouver des réponses fiables pour la communauté et à établir un ordre social légitime. Le but de l’action politique de l’institution est de résoudre les problèmes collectifs, et non de se battre pour le pouvoir. Cette approche se rattache au thème du bien commun et de la « légitimité » des institutions. [3] En réalité, il est difficile de réfléchir à la durabilité d’une administration publique sans examiner les principes et règles fondamentaux reconnus par la communauté comme valables et utiles à l’intérêt public (Suchman, 1995).

28Pour évaluer la légitimité des institutions il est nécessaire d’étudier la manière dont les autorités conditionnent les individus afin qu’ils agissent, et comment ces derniers comprennent les institutions et perçoivent leur signification et leur valeur (Zucker, 1987). La littérature repose sur deux axes théoriques : l’un adopte une approche stratégique et met l’accent sur la manière dont les organisations manipulent et utilisent des symboles pour obtenir l’adhésion de la société (par exemple, Ashford et Gibbs, 1990 ; Pfeffer, 1981) ; l’autre suit la tradition de l’institutionnalisme et met l’accent sur les pressions culturelles dont l’organisation ne peut faire abstraction (par exemple, Meyer et Rowan, 1977). Ces deux tendances reposent sur une réflexion sur la légitimité en tant qu’atout précieux pour la survie de l’organisation.

29Dans l’étude de la durabilité des administrations publiques, ce qui m’intéresse le plus est l’origine de la légitimité : qui reconnaît le rôle institutionnel des organisations ? Le débat qui oppose les chercheurs porte sur deux aspects du processus politique : les procédures et les résultats (Scharpf, 1999). Du côté des procédures, l’application stricte de règles garantit la représentativité du personnel politique et par conséquent le rôle des leaders dans le processus de prise de décision. Du côté des résultats, on trouve les effets de l’action de l’État et la capacité à répondre aux besoins des citoyens (Rothstein, 2009). Appliqués aux institutions, ces deux axes du processus politique peuvent se retrouver dans deux profils différents de légitimation : le premier est procédural, l’autre participatif.

30Le premier profil, procédural, est descendant. Il rappelle le modèle bureaucratique rationnel-légal établi par Max Weber et le modèle traditionnel de l’administration publique (Stocker, 2006 ; Waldo, 2007 [1948]) mettant en exergue l’exercice non-discrétionnaire du pouvoir sur la base d’une séparation claire entre sphère politique et sphère administrative, la seconde étant subordonnée à la première. La légitimité des institutions repose sur l’existence de lois et de règlements qui définissent les rôles, tâches et fonctions incombant aux institutions. Les principales incidences de ce modèle proviennent des changements constants de réglementation, qui tendent à déstabiliser l’activité de l’administration publique, et des différentes tâches confiées aux administrations publiques dans le cadre institutionnel (Rodden, 2004). C’est la remise en cause de ces lois qui tend à entraîner la mise en place de nouvelles directives administratives sans réorganisation des fonctions existantes (Beetham, 1991).

31Le second profil de légitimité, que j’appelle participatif, est au contraire ascendant. Il se réfère au rôle actif des citoyens dans les processus d’élaboration des politiques et implique l’utilisation d’un nouveau service public (Denhardt et Denhardt, 2003). La légitimité des institutions se fonde non seulement sur les ressources dont elles disposent (ressources économiques et financières, technologiques, compétences et capacités de conception, etc.) et sur l’aptitude à faire naître un consensus au niveau des responsables politiques, mais également sur la participation des acteurs sociaux aux processus d’élaboration des politiques. Dans ce sens, la légitimité permet aux acteurs sociaux d’exprimer l’esprit inclusif et collaboratif de la communauté sociale et, plus généralement, de mettre en évidence la recherche du bien commun grâce aux principes participatifs et à la démocratie délibérative.

32À ces deux profils de légitimité, il est toutefois essentiel d’en ajouter un troisième, le profil interinstitutionnel, fondé sur les réseaux. La légitimité peut provenir d’autres organisations publiques, comme dans le cadre des relations inter-organisationnelles mises en place dans les processus de gouvernance multiniveaux. Dans ce cas, l’approche de la nouvelle gestion publique se révèle utile car elle s’intéresse aux affaires publiques dans un but de performance maximum (Hood, 1991). La performance d’une administration publique transparaît dans les relations entre les différentes administrations publiques contribuant au processus d’élaboration des politiques, si bien que la légitimité est affectée par le choix des instruments (analyse des coûts, décentralisation des tâches de gestion, réductions d’effectifs, privatisation) permettant d’atteindre les objectifs de la manière la plus efficiente, efficace et économique. En particulier, il est possible d’affirmer que la logique réglementaire (imposée par les règles) évolue vers une logique de contrat qui conçoit l’action de l’État comme un entrelacs de transactions et d’accords impliquant une relation de responsabilité mutuelle entre responsables politiques et agents de l’administration (Moynihan, 2006).

Types de durabilité

33Comme indiqué précédemment, l’autonomie fonctionnelle et la légitimité sont deux éléments de la capacité institutionnelle essentiels à la durabilité. En les corrélant, on peut obtenir, sur un tableau de contingence (voir Tableau 1), quatre types de durabilité : proactive, technique, liée à des valeurs et faible. Ces quatre types de durabilité offrent une image globale des différents aspects possibles de la durabilité des administrations publiques.

Tableau 1

Types de durabilité institutionnelle

Tableau 1
Légitimité Autonomie fonctionnelle Haute Faible Durabilité proactive Durabilité technique Durabilité liée à des valeurs Durabilité faible Faible

Types de durabilité institutionnelle

34Dans le premier cadre (en haut à gauche), on trouve les institutions présentant une durabilité proactive. Elles disposent d’une autonomie organisationnelle et d’un haut degré de légitimité. Leur durabilité est garantie par leur capacité à poursuivre et atteindre leurs objectifs, compte tenu à la fois des équilibres budgétaires et de niveaux élevés de performance organisationnelle. De plus, à cette capacité s’ajoute l’impact politique sur les citoyens, plus précisément leurs attentes et appréciations, ainsi que le contexte politique institutionnel (souvent caractérisé par un large chevauchement des fonctions et de nombreuses incohérences en matière de gestion et de planification). Cette situation conduit à l’acquisition, au maintien et au développement de la légitimité, concourant à la stabilité de l’institution même lorsque ses décisions ou ses actions ne sont pas en cohérence avec sa mission. L’ensemble de ces éléments confère à l’institution une stabilité et une force qui lui permettent d’anticiper les problèmes et de procéder à l’avance aux modifications nécessaires.

35Dans le deuxième cadre (en haut à droite), figurent les institutions qui fonctionnent correctement mais dont la légitimité est faible. Dans ce cas, la durabilité est « technique ». La capacité de l’institution à se maintenir et à consolider ses fonctions repose sur la dimension technico-managériale et les éléments (haut niveau de performance, encadrement de qualité, innovation, capacité d’acquisition de connaissances, etc.) qui lui permettent d’agir même dans des conditions critiques ou dans une situation défavorable. Toutefois, l’institution n’est pas capable de développer une identité propre, ce qui peut conduire à des échecs. Ce type de durabilité est éphémère et des mesures énergiques sont nécessaires pour compenser ses défauts et ses lacunes en termes de légitimité.

36A contrario, dans le cadre situé en bas à gauche, on trouve les institutions qui présentent un haut niveau de légitimité mais dont la performance est faible. Leur développement est donc lié, presque exclusivement, à leur capacité d’adaptation aux modèles règlementaires et aux valeurs extérieures à la structure de l’administration, ainsi qu’aux besoins technologiques et instrumentaux (opinion publique, entreprises, professions libérales, etc.). La durabilité s’inscrit sur le moyen ou long terme mais devrait être améliorée en agissant sur l’autonomie organisationnelle.

37Enfin, dans le cadre situé en bas à droite, figurent les institutions se caractérisant par une faible autonomie organisationnelle et peu de légitimité. Leur durabilité est faible et elles sont incapables d’assumer leurs rôles, tâches et fonctions, sauf sur de courtes périodes. Elles sont donc soumises en permanence à des ajustements opérationnels et fonctionnels, mettant en question la possibilité d’une transformation en de nouveaux modèles d’organisation.

38Il est évident que ces quatre types de durabilité institutionnelle sont des « types idéaux ». Ils permettent d’avoir une compréhension globale des caractéristiques des administrations publiques qu’il conviendrait de renforcer ou d’améliorer. C’est pourquoi il est essentiel d’essayer de « concrétiser » le concept de durabilité institutionnelle, ainsi que cet article le propose, pour parvenir à mesurer celle-ci empiriquement.

Mesure de la durabilité des administrations publiques

39On trouve, dans la littérature, de plus en plus de tentatives de concrétisation du concept de durabilité institutionnelle (voir Tableau 2). Pour la plupart, les études mesurent la mise en œuvre d’actions de développement durable au moyen d’indicateurs et de variables se référant aux trois dimensions du développement durable (économique, environnementale et sociale) (par exemple, Blewitt, 2008 ; Graymore, 2014 ; Wang et al., 2012). D’autres études se sont concentrées sur le renforcement des capacités aux fins de la durabilité, analysant presque exclusivement la performance (Bell et Morse, 2008 ; Hák et al., 2012 ; Leuenberger et Bartle, 2009). S’il est fait référence à la sphère politique, il est surtout question de gouvernance et de qualité de la démocratie (par exemple, Connor et Dovers, 2004 ; Spangenberg, 2002).

Tableau 2

Exemples de modèles de mesure de la durabilité institutionnelle extraits de la littérature

Études / auteursOrientations méthodologiquesPrincipaux indicateurs
Leuenberger, Bartle (2015)Bilan intrants, extrants et résultatsAnalyse du rapport coûts-bénéfices
Wang X, Hawkins C, Lebredo N, Berman E (2012)Mesure de l’efficacité des institutions par l’évaluation de la mise en œuvre des politiques de développement durable
  • Investissements stratégiques de l’État dans des entreprises et des programmes de développement économique
  • Intégration de différents domaines d’action
  • Transparence et responsabilité
Hák, Moldan, Dahl (2012)Mesure de la performance du système institutionnel
  • Décentralisation et responsabilité
  • Politiques publiques et pouvoir de la société civile
  • Éducation et recherche
  • Droits humains
Connor et Dover (2004)Évaluation des politiques de développement durable
  • Acquisition de connaissances
  • Gouvernance
  • Loi sur la gestion des ressources
  • Intégration de mesures élaborées par différentes administrations
Norad (2000)Examen et évaluation des succès et des échecs des actions entreprises
  • Stratégie organisationnelle
  • Ressources financières
  • Infrastructures
  • Compétences institutionnelles
  • Participation et légitimité
  • Cadre culturel et politique

Exemples de modèles de mesure de la durabilité institutionnelle extraits de la littérature

40Toutes ces études ont privilégié la dimension managériale par rapport à la dimension politique et n’ont pas examiné avec soin la légitimité. Elles sont donc peu utiles à la concrétisation du concept de durabilité institutionnelle tel que nous l’envisageons. Ce que nous proposons ici est un modèle de mesure qui prend en compte à parts égales et avec la même attention la dimension managériale et la dimension politique. La première est analysée au travers de l’autonomie fonctionnelle, la seconde sous l’aspect de la légitimité, ce que l’on ne trouve quasiment pas dans d’autres études.

41L’autonomie fonctionnelle est liée au renforcement de la capacité institutionnelle. Trois critères principaux semblent particulièrement importants pour l’évaluation de la durabilité institutionnelle : la capacité financière, la capacité managériale et la compétence technique (voir Tableau 3). La capacité financière est liée à l’aptitude à réellement trouver et conserver des ressources financières (Dunleavy et Hood, 1994). Il est certain que les administrations publiques n’ont pas les mêmes besoins de financement que les entreprises privées, soumises au jeu de la concurrence. Toutefois, même pour les institutions publiques, la recherche et la gestion des ressources nécessite de se projeter dans l’avenir. Or, le contexte historique actuel se caractérise par la rareté des ressources et la nécessité absolue de les utiliser rationnellement pour pouvoir satisfaire le plus de besoins possible. Trois indicateurs peuvent être considérés comme utiles. Le premier est l’autosuffisance financière, qui repose sur l’autonomie en matière de revenu et de dépenses (Oulasvirta et Turala, 2009). Le deuxième est l’autonomie fiscale, c’est-à-dire la capacité de percevoir (phases de paiement spontané et de recouvrement forcé) les impôts sur le revenu et sur le patrimoine. Enfin, le troisième est la propension à investir ; il mesure la capacité d’investissement. Ensemble, ces trois indicateurs permettent d’évaluer la disponibilité de ressources suffisantes pour couvrir les frais récurrents et le capital.

Tableau 3

Éléments, critères et indicateurs de durabilité des administrations publiques

ÉlémentsCritèresIndicateurs
Autonomie fonctionnelleCapacité financièreAutonomie financière
Autonomie des investissements
Propension à investir
Capacité managérialePerformance
Initiatives en matière de stratégie
Innovation
Capacité techniqueRéseautage
Compétence bureaucratique
LégitimitéLégitimité procédurale
(ou officielle)
Évolutions règlementaires
Qualité des règles
Responsabilité institutionnelle
Légitimité participativeParticipation
Responsabilité
Réactivité
Légitimité interorganisationnelleLeadership politique
Coopération interinstitutionnelle

Éléments, critères et indicateurs de durabilité des administrations publiques

42Le deuxième critère, la capacité managériale, reflète l’aptitude à développer, mettre en œuvre et évaluer les objectifs et les initiatives de l’institution (Hood, 1991). Il requiert l’utilisation d’au moins trois indicateurs. Le premier est la performance, c’est-à-dire l’aptitude à créer des programmes en termes d’extrants et de résultats (O’Toole et Meier, 2011). L’analyse doit donc prendre en compte les critères d’efficience, d’efficacité, d’équité (c’est-à-dire la répartition des extrants et des résultats entre les principales cibles) et de satisfaction du public. Le deuxième indicateur porte sur les initiatives stratégiques à moyen et long terme. Les priorités de ces initiatives devraient être définies en fonction des besoins, opportunités et menaces perçus dans l’environnement et des forces et faiblesses des intervenants (Moore, 1995). Il est donc nécessaire de repérer les activités stratégiques de planification afin de définir, d’atteindre et d’évaluer les objectifs stratégiques dans la durée (Vinzant et Vinzant, 1996). Le troisième indicateur est l’innovation, c’est-à-dire le niveau d’évolution des processus d’organisation et de travail (Abramson et Lawrence, 2001). Il conviendrait de vérifier si des plans de communication sont utilisés pour convaincre les individus de la nécessité et de l’intérêt du changement, du développement de nouveaux processus et pratiques et de la restructuration et réorganisation de l’organisation.

43Enfin, la capacité technique, le troisième critère, correspond à la compétence des ressources humaines. Elle illustre l’aptitude de l’administration à disposer d’une main-d’œuvre qualifiée, en développant et en entretenant les compétences par la formation, en retenant les agents qualifiés et expérimentés, en sanctionnant les moins efficaces et en se séparant de ceux qui ne parviennent pas à atteindre les objectifs de performance, ce qui suppose l’existence d’une politique de ressources humaines cohérente et appropriée, souple en matière de promotions et de compensations (Ulrich, 1998).

44Concernant la légitimité, il est utile d’examiner les différents profils (voir Tableau 3). Je fais une distinction entre les légitimités procédurale, participative et inter-organisationnelle. Dans le cas de la légitimité procédurale, il est intéressant d’utiliser des indicateurs portant sur la variabilité de la législation, la qualité des règles et la responsabilité interinstitutionnelle. Dans les deux premiers cas, je veux parler respectivement de stabilité temporelle et de clarté des règles. Mais dans le troisième cas, je fais référence à la responsabilité des décideurs envers d’autres organismes ou institutions (banques, tribunaux, etc.) (Diamond et Morlino, 2005).

45Trois indicateurs de légitimité participative semblent utiles : la participation des citoyens (conventionnelle ou non), la responsabilité et la réactivité. Les deux derniers indicateurs sont complémentaires et renvoient à l’aptitude des gestionnaires à endosser la responsabilité de leurs actes et à répondre aux questions et besoins des citoyens. Dans le cas de la responsabilité, il convient d’étudier l’information sur les activités politiques, les justifications avancées par les décideurs, ainsi que les votes sanction ou récompense (Schedler, 1999). Dans le cas de la réactivité, comme l’indique Powell (2004), il conviendrait d’étudier le jugement porté sur certaines politiques par la population, la confiance dans les institutions et la popularité du gouvernement.

46En ce qui concerne la légitimité interinstitutionnelle, les indicateurs principaux se rattachent à la direction politique et à la coopération interinstitutionnelle. Ces dernières, quoique de manière différente, jouent toutes les deux un rôle majeur dans la gestion du consensus, ou de l’absence de consensus, qui existe dans d’autres institutions ou peut en provenir. S’agissant de la direction politique, il semble utile d’étudier non seulement l’aptitude à communiquer avec d’autres institutions, mais également la stabilité gouvernementale, administrative et politique. Dans le cas de la coopération interinstitutionnelle, il est intéressant d’observer les arènes politiques et de mesurer la réalité du partage de l’information et de la gestion collective des ressources.

47Ces indicateurs doivent être appréhendés en rapport avec le contexte temporel et géographique dans lequel des facteurs endogènes et exogènes sont étroitement liés. Il faut se rappeler que la durabilité est une caractéristique qui varie dans le temps et l’espace, à la fois de manière qualitative et quantitative. Pour l’apprécier, il faut par conséquent recourir à d’autres concepts (comme la performance). D’un point de vue méthodologique, cela signifie qu’il est impossible de déterminer, pour chaque critère, une valeur à atteindre pour chaque institution. Il n’est même pas possible d’attribuer des coefficients de pondération à chacun des critères institutionnels. Les caractéristiques des institutions ont toutes la même importance puisque la durabilité repose sur l’équilibre entre autonomie fonctionnelle et légitimité et non sur la suprématie de l’une sur l’autre. Pour mesurer la durabilité, il serait utile de calculer des indicateurs synthétiques d’autonomie fonctionnelle et de légitimité et de les comparer. Cette comparaison permettrait de déterminer l’existence d’un « équilibre » entre les deux indicateurs. Ce qui signifie que lorsque l’indicateur synthétique de l’autonomie fonctionnelle enregistre une valeur proche de celle de la légitimité, l’institution est durable. Pour quantifier la durabilité, l’une des solutions serait de comparer les deux types d’indicateurs synthétiques avec ceux d’institutions similaires agissant dans le même contexte géographique. Pour résumer, la recherche empirique nous permet de définir et de quantifier la durabilité institutionnelle.

Conclusions

48Le concept de durabilité, dans cet article, permet de décrire plus précisément la capacité d’évolution des institutions ou, plus exactement, leur aptitude à réagir face aux problèmes de plus en plus nombreux qui se posent à elles. En particulier, il est important d’attirer l’attention sur la nécessité de prendre en considération la question de la légitimité pour fixer les objectifs techniques et opérationnels. Il est nécessaire de tenir compte à la fois des multiples besoins et exigences d’une société en rapide évolution, mais également du cadre institutionnel général, souvent caractérisé par un large chevauchement des fonctions et de nombreuses incohérences en matière de gestion et de planification.

49Afin de déterminer si et de quelle manière les institutions sont durables, il est nécessaire non seulement d’identifier les obstacles, les besoins et les domaines d’intervention afin de favoriser la reconnaissance de l’utilité des institutions, mais également de renforcer la dimension démocratique essentielle, qui contribue à la liberté et à l’égalité des citoyens. Sans institutions durables, il est difficile de développer et de garantir des mécanismes de représentation des processus de prise de décision et la participation résultant de l’interdépendance entre les acteurs des secteurs public et privé. C’est dans ce cadre complexe que les institutions publiques doivent désormais relever ces défis.

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Notes

  • [1]
    Traduction de l’article paru en anglais sous le titre : « The sustainability of institutions : An unstable condition » – réalisée par le Centre de traduction des ministères économiques et financiers (France) dans le cadre d’un partenariat avec l’Institut de la Gestion Publique et du Développement Économique (France).
  • [2]
    Le concept d’autonomie fonctionnelle utilisé ici est emprunté aux publications en sciences de l’éducation sur le fonctionnalisme qui représente l’aptitude de tous les organismes vivants à se conserver. En particulier, l’accent est mis sur les fonctions de l’activité humaine dont la finalité est l’adaptation à l’environnement.
  • [3]
    Il s’agit de la légitimité au sens sociologique, c’est-à-dire l’identification collective au rôle institutionnel dictée par les comportements et les attitudes. Elle doit être distinguée du concept de légitimité lié à l’acceptation du rôle institutionnel conformément aux règles et procédures.
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