Couverture de RISA_853

Article de revue

Collaborer dans la rivalité ? L’ambivalence de la coopétition dans les collectivités territoriales

Pages 471 à 485

Notes

  • [1]
    Les auteurs tiennent à remercier l’Association des Dirigeants Territoriaux ADT-INET, et plus particulièrement deux de ses membres (Bruno Paumier et Frédéric Pin) pour leurs apports importants dans le contenu de cet article.
  • [2]
    L’origine de l’expression « millefeuille territorial » ne semble pas clairement établie, mais elle est peut-être liée à une métaphore utilisée par le politiste Grodzins en 1960 pour qualifier le fédéralisme américain, en opposant d’un côté l’image du « layer cake » pour le fédéralisme dual, établi sur une clarté de rôles avec peu de chevauchements entre l’État local et l’État fédéral, et de l’autre le « marble cake federalism » utilisé pour imager le fédéralisme coopératif, porteur de rôles plus mixés entre le local et le fédéral.
  • [3]
    Voir notamment le livre récent (2015) d’Éric Giuily, maître des requêtes honoraires au Conseil d’État, et Olivier Régis, président délégué du Forum pour la gestion des villes et des collectivités territoriales, dont le titre reprend cette expression.
  • [4]
    Symposium ADT-INET / LAREQUOI-ISM « Quel rôle des managers dans la “coopétition’’ des territoires ? » le 5 février 2013 à l’Université de Versailles St-Quentin en Yvelines.
  • [5]
    INET = (Institut National des Etudes Territoriales). Association ADT-INET : http://www.adtinet.fr/.
  • [6]
    L’expression « étude de cas » est utilisée ici par convention, dans la mesure où un exemple particulier de collectivité est présenté et étudié. L’étude reste cependant exploratoire et nécessitera approfondissement.
  • [7]
    Les 10 dirigeants se répartissent ainsi : 3 dans un EPCI/communauté d’agglomération, 1 dans un centre de gestion d’île de France, 2 en conseil général, 3 dans des communes au sein d’EPCI (communautés urbaines ou communautés de communes), 1 dans une commune au sein d’une métropole.
  • [8]
    Témoignage recueilli auprès du Directeur Général des Services de la CAPI, lors de trois périodes : en février 2013, en janvier 2015, et en septembre 2016, ce qui a permis une analyse des évolutions dans la durée.

Introduction

1Tendre la main à son concurrent est un phénomène complexe mais non surprenant dans le monde d’aujourd’hui. Pour décrire cette situation apparemment contre-nature, Nalebuff et Bradengurger (1996) introduisent le terme de « coopétition » pour souligner l’existence possible de la coopération dans la compétition. La coopétition est une stratégie paradoxale de coopération entre concurrents, leur permettant d’atteindre collectivement des gains mutuels (Luo, 2007).

2La coopétition ne se limite pas à la sphère privée mais affecte aussi la dimension publique. Dans cet article [1], nous allons porter notre attention sur le management public territorial en France, qui est soumis à un certain paradoxe : d’un côté la tradition colbertiste pousse à centraliser les grandes décisions d’aménagement avec la création de grands ensembles comme les régions, les métropoles et les départements ; d’un autre côté, un principe de décentralisation incite à placer la décision publique au plus près du citoyen dans le maquis des 35.000 communes. Dès lors, l’expression familière de « millefeuille territorial » [2] est souvent utilisée, notamment dans la presse mais aussi dans des ouvrages analytiques [3], pour évoquer le manque de clarté dans ce découpage, dans la mesure où chaque collectivité territoriale se superpose aux autres, sans suppression ou réelle fusion. Cela conduit à ce que les différentes strates locales partagent l’administration d’un même territoire et financent les mêmes projets, à la fois dans la complémentarité et dans la rivalité, en raison de possibles compétences communes et d’enjeux politiques en arrière-plan.

3La problématique de cet article consiste à comprendre pourquoi et comment des collectivités situées sur le même territoire peuvent collaborer, en dépassant les clivages politiques et les autres enjeux d’influence locale (Bengtsson, Kock, 2000). Pour une collectivité, la coopétition paraît généralement paradoxale, car elle vise à renforcer l’attractivité du territoire avec l’aide de ses rivaux, souvent porteurs d’une étiquette politique opposée.

4Les deux dimensions politique et administrative, réputées être distinctes et complémentaires dans le fonctionnement public, se trouvent partiellement entremêlées sur les sujets de management stratégique, du fait de la gouvernance bicéphale des collectivités (Lamarzelle, 2011). Ce constat est particulièrement présent sur la thématique de la coopétition, dans la mesure où celle-ci intègre des dimensions stratégiques externes et des dimensions managériales internes. C’est pourquoi la problématique de notre recherche appréhende autant les facettes politiques qu’administratives du sujet. Pour se faire, elle se centre ici sur le point de vue du dirigeant territorial, considéré comme un pivot de la mise en œuvre stratégique des choix politiques. Si l’élu représente en effet le seul décideur légitime en matière d’orientations stratégiques avec les autres collectivités, il repose sur son directeur général des services et ses équipes pour en identifier les conditions de réussite et les modalités opérationnelles. Dès lors, on peut considérer que, en assistant les élus dans les choix d’action publique, le directeur territorial s’implique dans le jeu politique (Le Saout, 2009). Cette option méthodologique présente la limite de ne pas intégrer directement l’avis du politique et souligne le besoin de travaux complémentaires en ce sens. Elle part cependant du principe selon lequel les dirigeants publics ont renforcé leurs compétences managériales et stratégiques au cours des décennies passées (Bartoli et Blatrix, 2015), et développent leur zone de légitimité en rendant prioritaire la qualité de la relation avec le chef de l’exécutif, tout en respectant et préservant la légitimité politique de ce dernier (Durat, 2012). À ce titre, la dimension managériale constitue un rôle majeur dans la définition et la mise en œuvre de la coopétition.

5Afin de traiter cette question, une première partie examine l’opportunité de la transposition théorique du concept managérial de coopétition dans le secteur public. Puis, à l’issue d’une deuxième partie consacrée à l’étude empirique du phénomène à partir de trois analyses de terrain complémentaires, sont analysées les raisons et la manière dont les collectivités locales françaises gèrent les situations de coopétition, en conformité ou non avec les grilles de lecture théoriques convoquées.

La coopétition dans le management public

Coopétition et secteur public : enjeux et spécificités

6Plusieurs facteurs et certaines politiques publiques poussent à la coopétition dans le secteur public. Ainsi, comme Bartoli et Blatrix (2015) le soulignent, l’instrument de l’appel à projets, le développement du « benchmarking » (parangonnage), les bonnes pratiques, et d’autres projets-vitrines, se caractérisent par un dosage entre logique d’émulation et logique de compétition. Les procédures d’appel à projets peuvent ainsi être particulièrement propices à la coopétition, lorsque le problème de taille critique pousse les collectivités rivales à s’associer dans une candidature unique. Dans d’autres situations, la procédure d’appel à projet renforce au contraire les logiques concurrentielles lorsqu’il s’agit d’allouer des subventions à la collectivité la plus « performante » suivant des critères de politique publique. Enfin, l’harmonisation des bonnes pratiques à travers le parangonnage peut à l’inverse favoriser la coopération entre collectivités ayant besoin d’échanger les expériences. Pour autant, toutes ces pratiques se révèlent souvent ambivalentes, fondées sur la coopération et la compétition.

7Dans le système territorial français, fait de plusieurs dizaines de milliers de communes et autres établissements depuis les lois de décentralisation de 1982, plusieurs niveaux de rivalité peuvent exister : un niveau interne au sein d’une même collectivité, notamment entre les détenteurs du pouvoir technocratique/administratif et les détenteurs du pouvoir politique, mais aussi dans les tensions entre élus politiques de tendance différente ; un niveau externe soit entre des collectivités d’orientation politique différente, soit pour des enjeux d’attraction de territoire à l’égard de ressources à obtenir ou d’implantations nouvelles à acquérir. Dès lors, les collectivités sont par nature en compétition pour obtenir les subventions publiques et bénéficier des ressources fiscales locales. Pour autant, la logique de coopération est tout autant de mise car les enjeux territoriaux sont souvent partagés, tant par les acteurs que par les établissements, et conduisent à rassembler les énergies sur des projets et actions d’intérêt commun ou général. C’est ainsi que la logique de coopétition ressort très largement.

Le management de la coopétition publique

8La mise en œuvre d’une stratégie de coopétition est toujours un défi managérial. Dans le cas de la sphère territoriale, la difficulté de trouver un mode de régulation efficace provient d’une part de l’absence de tutelle entre collectivités locales, et d’autre part de la difficulté de solliciter l’arbitrage de l’État, du contrôle duquel on voudrait s’exonérer et qui n’intervient officiellement qu’en matière de contrôle de légalité.

9Pour une collectivité, la coopétition peut sembler de fait paradoxale, notamment lorsqu’elle vise à renforcer l’attractivité de l’ancrage territorial par la mutualisation de compétences techniques et de ressources financières, avec l’aide d’élus potentiellement concurrents, compte tenu des enjeux possibles d’élections futures. Si la coopétition peut permettre d’obtenir un avantage en termes d’image de marque territoriale, elle suppose cependant de prévoir des garde-fous, avec des processus managériaux capables de préserver l’autonomie de chacun et de valoriser la dépendance mutuelle de tous. À ce sujet, Bengtsson et Kock (1999), préconisent quelques principes managériaux pour réduire les conflits d’intérêt. Il apparaîtrait ainsi préférable de séparer les logiques d’actions, coopération ou concurrence, ce qui peut se réaliser en fonction de la nature de la compétence territoriale. La collectivité locale gère plusieurs domaines très différents : transports, santé, éducation, voirie, sécurité, état-civil, propreté, urbanisme, etc. Elle peut alors coopérer avec les collectivités rivales dans un domaine de compétence, et s’adonner à la concurrence territoriale dans les autres (pour tenter d’obtenir l’implantation d’entreprises par exemple).

10L’enjeu est aussi celui de l’intégration des parties prenantes (Freeman et Reeds, 1983), à savoir notamment les différentes entités publiques, les citoyens, les élus et les managers territoriaux, les investisseurs et autres acteurs du territoire. Dans le cas de la coopétition, on peut considérer que les compétiteurs-partenaires et leurs différents corps sociaux internes (élus, cadres territoriaux, salariés…) ainsi que les habitants ou les organisations implantées sur le territoire et les services de l’État, sont des parties prenantes primaires, dans la mesure où elles sont liées institutionnellement avec la collectivité considérée. En complément, les médias, l’opinion publique, ou les acteurs des autres territoires, peuvent affecter ou être affectés par la réalisation des objectifs de la collectivité mais de façon non systématiquement contractuelle, et donc « secondaire » (Clarkson, 1995). Dans cette approche, le rôle des dirigeants territoriaux est alors de faciliter le management de la coopétition en développant une forme de gouvernance démocratique avec les parties prenantes primaires, tout en restant vigilants sur les enjeux des acteurs secondaires. Ces différents mécanismes peuvent aider à surmonter l’absence de hiérarchie ou de tutelle commune pour réguler les comportements déviants par la pression au conformisme entre concurrents-partenaires.

11La pression tacite du groupe peut aussi s’avérer très efficace pour corriger les écarts par rapport à la norme. Cette réflexion rejoint les travaux de Boltanski et Chiapello (1999) sur l’économie de la grandeur à partir des conventions d’usage. D’après cette théorie, la coopétition repose sur des grandeurs communes, des « formes légitimes de bien commun comme la défense du territoire d’appartenance ou la sauvegarde des valeurs du corporatisme public », permettant à chaque élu de collaborer par convention avec les autres élus concurrents. Chaque rival politique à la tête d’une collectivité locale est ainsi en mesure de se référer à des repères non écrits, qui vont légitimer l’action publique et limiter les comportements déviants à l’échelle du territoire.

La coopétition sur les territoires : approche empirique

Méthodologie

12La recherche empirique repose sur trois étapes complémentaires : d’abord une large enquête préliminaire par questionnaires, ensuite une étude de cas exploratoire sur un territoire, concernant un pôle métropolitain récemment constitué, et enfin une enquête d’approfondissement auprès de dix dirigeants territoriaux. La collecte initiale des données est reliée à un processus de préparation, réalisation, et valorisation d’un colloque [4] sur le thème de la coopétition des territoires. La première enquête par questionnaires sur le thème de la coopétition territoriale a été réalisée auprès de plusieurs centaines d’adhérents de l’Association des Dirigeant Territoriaux et Anciens de l’INET [5], avec un retour de 252 réponses exploitables.

13Sur cette base, l’étude de cas [6] du territoire Rhône-Alpins a été réalisée à partir des données empiriques suivantes : préparation de la présentation avec et par le Directeur Général des Services (DGS) du processus d’élaboration d’un pôle métropolitain lors du symposium de recherche ; étude des débats avec d’autres dirigeants territoriaux engendrés par cette présentation et enregistrés au cours du symposium ; complément d’informations et d’analyse effectué par un travail de validation et d’actualisation auprès du DGS ré-interviewé sous forme semi-directive deux années plus tard, et par l’interview complémentaire d’un autre dirigeant général des services de collectivité concerné par ce cas. Bien que les données empiriques proviennent d’une source centrale unique, que nous appelons l’interviewé-pivot de la métropole étudiée, il faut signaler plusieurs facteurs qui réduisent l’impact de cette limite : du fait de trois étapes de validation dans le temps, l’étude intègre plusieurs entretiens ; en outre, l’interviewé pivot du recueil d’information était directement impliqué lui-même dans la démarche de changement, et a témoigné aussi de différents points de vue de ses collègues, tant dans les interviews, que dans sa présentation publique lors du colloque ; en final, l’apport du cas ne saurait se situer dans le nombre d’interviews qui est trop réduit, mais dans le fait que le recueil est réalisé de manière longitudinale sur plusieurs années.

14Ainsi, afin de vérifier la solidité de notre argumentation par un travail de triangulation méthodologique, nous avons lancé une enquête complémentaire en interrogeant une dizaine de directeurs territoriaux constituant un panel d’experts [7], afin de recueillir leurs perceptions sur les pratiques de collaboration dans la compétition. Ces dix acteurs ont été identifiés parmi les professionnels du milieu susceptibles d’apporter une double dimension : ils sont d’une part dirigeants territoriaux eux-mêmes, en activité dans des collectivités ; ils assument d’autre part des responsabilités transversales en lien avec leur métier, soit en tant que représentants élus d’associations ou de réseaux professionnels, soit en tant qu’intervenants occasionnels au sein de cycles de formation supérieure ou d’études. Ils avaient en outre participé au symposium initial et répondu à la première enquête. De ce fait, les 10 interviewés ont pu à la fois témoigner des pratiques de leurs entités, et apporter un regard distancié sur la problématique étudiée. Ils sont donc considérés comme experts à double titre : par leurs responsabilités managériales et par leur connaissance préalable significative de la thématique traitée.

Synthèse de chaque étape

15Enquête sur les conceptions et pratiques de coopération et compétition territoriales. Les questionnaires ont été administrés début 2013 par le biais de l’Association des dirigeants territoriaux. La population des répondants est composée pour les deux tiers de directeurs généraux des services (DGS), directeurs ou chefs de service de collectivités, les autres étant soit des élus soit des chargés de mission. L’objectif de l’enquête était d’analyser la pertinence, l’acceptabilité et la réalité du concept de coopétition dans les collectivités territoriales. L’hypothèse centrale était en effet la suivante : sans être explicitées ou qualifiées formellement, les situations combinant coopération et compétition sont connues et réelles dans la sphère locale. Le questionnaire était structuré en trois parties : les enjeux et évolutions de l’organisation territoriale ; les situations de coopération et de compétition ; le management de la coopétition au plan local. Dans la première partie, le questionnaire se référait à trois grandes évolutions du contexte territorial (la multiplication des parties prenantes, la raréfaction des moyens publics, le développement des outils de communication et d’information) et analysait leur impact sur les situations de coopération et de compétition. Dans la seconde partie, les enjeux et les exemples concrets de situation de coopération et de compétition étaient approchés. Dans la troisième partie, la notion de coopétition était directement testée, et le rôle possible des managers territoriaux et des élus sur ces questions abordé.

16Plusieurs points importants sont ressortis de cette enquête. Tout d’abord, si la coopération est considérée comme une nécessité pour 61 % des répondants, la compétition est aussi vue comme présente pour plus de 40 % et constitue un moteur de la performance pour un tiers des managers territoriaux. Le constat de l’existence des deux phénomènes de coopération et compétition est partagé par une large majorité. En mode projet, la collectivité se retrouve au carrefour de nombre de relations avec d’autres acteurs, qu’ils soient du domaine public, privé ou associatif, ou encore, avec d’autres collectivités au niveau intercommunal, quelle que soit la couleur politique des élus. Cette nécessité de travailler en mode projet, y compris avec des collectivités politiquement différentes et potentiellement rivales, se justifie par la raréfaction des ressources publiques, comme le rappellent les extraits de verbatim suivants : « Il y a un besoin de recherche de co-financement, et donc de collaboration Ville/Agglomération/Département pour l’accueil de grands évènements sportifs » ; « Nous devons raisonner en mutualisation de moyens, rapprochements d’équipes, libération d’énergies et coproduction de services publics avec les habitants » ; « La mutualisation des moyens humains et des projets se fait principalement au niveau du binôme Ville/ Agglomération » ; « Pour les demandes de subventions culturelles auprès d’acteurs comme les régions, la diminution des moyens nous place en concurrence avec d’autres demandeurs mais dans le même temps, coopérer est le moyen de mutualiser et rationaliser nos ressources ».

17C’est l’une des raisons pour lesquelles le travail en réseau au sein d’un territoire et avec les territoires voisins tend à se développer. Ce sont alors les institutions de concertation qui entrent en jeu (syndicats, réseaux de spécialistes, clubs et groupes de travail), mais aussi les compétences qui peuvent se transposer à l’extérieur du territoire, comme le tourisme au sein d’un projet plus global, la communication, ou encore les modèles de démocratie participative. Dans ce contexte, les élus locaux doivent mettre de côté leurs divergences politiques, pour contribuer collectivement à l’attractivité de leur territoire : « Le contexte politique est délicat dans la collaboration : la vision peut être très différente entre des élus qui viendraient du privé, qui auraient une culture privée et dont l’idée est de gérer une collectivité comme une entreprise, et des élus plus concentrés sur l’idée d’intérêt général, avec une vision de l’intérêt public plus prononcé » ; « La compétition peut freiner l’avancée d’un projet, en mettant en concurrence les ressources pour d’autres projets qui ne sont pas forcément comparables, portés par des collectivités qui n’ont pas les mêmes moyens […] pour le défendre, avec un risque d’accroissement des inégalités au sein du territoire » ; « Dans les domaines de la culture et du tourisme chers aux élus, on confond parfois les enjeux d’identité du territoire, et ceux de la légitimité de l’élu voire même de son “pré carré” ».

18Les enjeux stratégiques majeurs qui induisent la coopération et la compétition sont principalement de trois ordres. Le premier est économique, avec plusieurs variables qui interviennent : raréfaction des moyens financiers, non disponibilité des moyens humains, etc. Le second est d’ordre politique, les répondants disant être contraints par cette dimension, qui les pousse parfois dans des situations inextricables, avec des effets destructeurs sur les collectivités. Troisièmement, les enjeux sociétaux interviennent par la mutation profonde des pratiques et des modes organisationnels. Il y a certaines limites politiques et organisationnelles à ces enjeux, dont les répondants ont conscience : « Suivant le niveau du projet et de ses investissements, l’entente entre les collectivités pourra être plus ou moins consensuelle suivant que l’on se place dans une stratégie de concurrence régionale ou nationale, voire internationale ou purement locale » ; « La disponibilité des acteurs n’est pas toujours garantie, à cause d’une absence d’outil de gouvernance inter-collectivités adapté et simplifié pour une véritable co-maîtrise d’ouvrage administrative et financière (montage de groupement d’achats, appel à manifestation d’intérêt…) » ; « Coopération et compétition entre collectivités sont au final incompatibles lorsqu’il y a un perdant. En revanche la coopération entre collectivités pour une compétition contre un phénomène externe au territoire (chômage, désertification des territoires…) est indispensable ».

19L’enquête a ainsi confirmé que la coopétition territoriale est une réalité, décrite et illustrée par une majorité de répondants, même si elle n’est pas toujours facile à concrétiser ou à pérenniser, notamment lorsque le nombre de parties prenantes est important. En effet, diverses difficultés de mise en œuvre peuvent se cumuler, tout à la fois dans les domaines organisationnels et financiers et pour le montage de dossiers compte tenu de la complexité de certaines procédures. Le cas exploratoire présenté dans la suite de l’article montre comment peuvent être surmontés certains obstacles pour mettre en œuvre la coopétition en milieu territorial.

20Étude exploratoire sur un pôle métropolitain. Cette seconde partie de la recherche vise à s’enraciner dans la réalité empirique et s’appuie sur les principes de l’étude de cas comme matériau de recherche, au sens de Yin (2009). Notre étude a considéré la même organisation en l’examinant plusieurs fois dans le temps, en 2013, en 2015 et en 2016.

21Le pôle métropolitain étudié est constitué par quatre communautés représentant 139 communes regroupant près de 2 millions d’habitants et 1 million d’emplois.

22Nous présentons ci-après la synthèse du témoignage d’un dirigeant territorial [8] directement impliqué dans la création de ce vaste pôle. Ce matériau a été enrichi par l’étude de documents internes sur le pôle. La création du pôle métropolitain résulte donc du regroupement de quatre établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) relativement voisins mais situés dans des départements différents, et que l’on peut considérer comme rivaux sur le plan politique. Ces quatre établissements se sont mis à travailler en réseau pour créer un pôle métropolitain en Rhône Alpes, regroupant un ensemble de 2 millions d’habitants, sur un territoire discontinu sans frontières communes. Cette coopération démarre en 2008 par des contacts inter-personnels entre les présidents d’intercommunalités : deux élus de gauche du Parti Socialiste (Grand Lyon, St Etienne métropole), rejoints par un élu UMP de droite (communauté viennoise), puis par un autre président élu de la CAPI (communauté d’agglomération porte de l’Isère).

23La création du pôle métropolitain prend effet en mai 2012, avec comme objectif officiel de faire rayonner le territoire constitué par l’union des quatre EPCI, à l’échelle des métropoles européennes, taille critique qu’aucun des partenaires isolés n’aurait pu atteindre seul. La démarche de coopération se construit d’abord par des rencontres informelles (présidents, directeurs généraux de service), puis par la mise en place de structures de concertation avec des groupes mixtes techniciens-élus, animés par un duo de deux collectivités différentes. Chacun des quatre partenaires désigne ensuite un Vice Président dans le nouvel organigramme de la métropole. Au niveau de l’exécutif, la représentativité dans les instances de gouvernance s’établit sur une base égalitaire (un EPCI=1 voix), principe respecté quelle que soit la taille de l’agglomération. La composition du conseil métropolitain obéit à des règles proportionnelles de représentation comme l’exigent les textes régissant cette catégorie d’EPCI constitué comme un syndicat mixte. Par ailleurs, une présidence tournante est instaurée parmi les quatre partenaires avec un partage équitable des responsabilités dans les différentes commissions. La structure du pôle métropolitain est très légère avec quatre postes rattachés au pôle et la mise à disposition par les partenaires de cinq postes équivalents temps plein. Tout changement dans la gouvernance doit faire l’objet d’une décision à l’unanimité, comme le précise le Directeur Général des Services de la CAPI, l’un des établissements concernés : « Un accord de gouvernance existe entre les 4 Présidents : toutes les décisions concernant l’extension du pôle à un nouveau membre, ou sur la prise en charge par le pôle d’un nouveau domaine d’action, doivent être prises à l’unanimité. C’est un point essentiel du fonctionnement ».

24En région Rhône Alpes, les collectivités locales peuvent considérer le pôle métropolitain comme l’émergence d’un nouveau pouvoir politique local. Pour éviter les risques d’instrumentalisation politique, le pôle métropolitain adopte une structure juridique très souple dans laquelle il n’y a pas de transfert de compétences. Les établissements conservent leurs prérogatives de responsabilité dans leur périmètre et la métropole développe de nouvelles prérogatives à l’échelle d’un périmètre plus large. Plusieurs actions sont inscrites dans la feuille de route du pôle : culture, transports, économie… Par exemple, le pôle s’associe à la Région pour avoir un syndicat de gestion en commun pour le transport collectif. Néanmoins, la relation entre le pôle métropolitain et la Région demeure complexe. Au niveau national, la rivalité reste exacerbée avec les départements et les Régions, surtout ceux qui ne sont pas entrés dans le dispositif et qui souhaitent incarner le leadership politique à l’échelle du territoire.

25Ainsi, le pôle métropolitain peut apparaître à la fois comme une menace à l’extérieur et comme une opportunité pour les partenaires à l’intérieur. Il répond surtout à un véritable besoin de collaboration sur le long terme des collectivités locales, au-delà des rivalités politiques, comme le souligne encore le DGS : « Les changements politiques suite aux élections municipales de mars 2014 n’ont pas remis en cause le fonctionnement du pôle et ses principes. Pourtant 3 nouveaux Présidents et 2 changements de bord politique se sont opérés. […] Pour autant, après quelques mois d’échanges et de rencontres interindividuelles et collectives, les 4 EPCI se sont réengagés sur les mêmes bases. Un nouvel accord sur la Présidence a été passé. L’enjeu commun a prévalu ! ».

26Cette description d’un processus innovant montre la complexité des relations entre les collectivités territoriales, qui combinent diverses formes de coopération et de rivalité. Tout en étant emblématique d’un cas assez singulier, cette expérience n’est cependant pas unique dans le monde territorial français qui compte à l’heure actuelle une quinzaine de démarches de pôles métropolitains plus ou moins abouties.

27Enquête d’ approfondissement auprès de dix dirigeants territoriaux. Dix dirigeants territoriaux familiarisés avec le sujet ont répondu en septembre 2016 à un guide d’entretien semi-directif centré sur les enjeux et modalités de la coopétition, afin d’affiner et actualiser l’enquête de février 2013. Il en ressort les éléments suivants :

  • la collaboration dans la compétition est une réalité pour les collectivités.

28Elle commence dans la gouvernance des collectivités elles-mêmes, de nature bicéphale où les élus représentant les citoyens doivent composer avec les managers possédant la maîtrise technique et réglementaire pour mettre en œuvre les politiques publiques. Entre les élus et les administrateurs se construit alors une relation ambivalente fondée à la fois sur la rivalité dans la décision et sur la collaboration dans la mise en œuvre, car les dirigeants territoriaux n’ont pas de pouvoirs propres et exercent par délégation des élus.

29Elle se prolonge dans les rapprochements nécessaires entre collectivités locales voisines mais administrées par des élus d’opinions politiques différentes, surtout en province. C’est surtout le cas pour des collectivités en compétition qui vont trouver des accords pour gérer en commun des services de proximité à lourde charge financière mais à faible reconnaissance politique, comme la collecte des ordures ménagères, ou le transport collectif : « La rivalité est naturelle dans le monde politique au sein du même camp comme avec le camp d’en face ». La coopération est également inévitable, surtout avec le recul des phénomènes de cumul des mandats. Les élus doivent composer avec les autres détenteurs de pouvoir. L’extension des territoires avec la fusion des régions et plus généralement la récente loi NOTRe (Nouvelle Organisation Territoriale de la République), a accéléré les processus de coopétition, notamment entre grandes collectivités (métropoles, départements, régions). Les documents formels de planification jouent un rôle également pour favoriser le rapprochement des collectivités : « Tous ces phénomènes ont donc accru la nécessaire coexistence et la recherche de compromis, puisque les « communautés de défense » constituées en résistance à l’influence de la collectivité urbaine puissante ou à la plus importante communauté de communes d’à côté, ont disparu au profit d’un ensemble plus vaste » ;

  • la gouvernance démocratique de la coopétition est une clef de réussite.

30Parmi les exemples de coopétition, l’intercommunalité est en permanence dans cette situation. Les oppositions politiques et les rivalités historiques doivent s’effacer pour travailler au développement du territoire commun. Mais elles perdurent et entrainent la nécessité d’une régulation et de médiations permanentes. L’important consiste alors à gérer la coopétition avec équité, ce qui passe par une répartition équitable des pouvoirs, avec possibilité de faire tourner les postes, et une prise en compte des intérêts raisonnés de chacun.

31Dans la gouvernance d’une structure de coopétition, il est donc opportun de privilégier une forme de gouvernance collaborative : présidence tournante pour le symbole, décision collégiale et unanime pour l’efficacité et la légitimité, sont indispensables au bon fonctionnement. « De cette manière, dans une stratégie de coopétition avec un projet commun, des ressources humaines partagées (mutualisation), une répartition équitable et pertinente des ressources financières (pacte fiscal et financier) la notion de rivalité doit s’estomper. Les collectivités deviennent associées pour réussir le projet commun indispensable à leur propre développement. Il peut subsister des rivalités politiques, personnelles ou historiques, mais aucune collectivité ne peut se passer d’une synergie avec ses voisines, sauf pour celles vivant en auto-suffisance économique ». « S’il s’agit d’arbitrer sur les objectifs du territoire commun, c’est affaire de pédagogie et d’intelligence collective. S’il s’agit d’arbitrer entre des stratégies concurrentes de collectivités membres, il faut revenir au sens collectif qui fonde l’association ».

32Il n’y a que par le partage et la compréhension des enjeux stratégiques à l’échelle du territoire, par la confrontation des idées, les débats « non pas sur le mode du consensus mais du consentement », qu’il serait possible d’arbitrer dans l’intérêt du bien commun et rendre la coopétition durable.

Discussion des résultats intermédiaires de la recherche

33Notre recherche révèle tout d’abord des situations de rivalité entre collectivités locales, notamment pour capter des ressources, pour attirer des citoyens par l’attractivité du territoire local, pour obtenir le pouvoir politique et l’influence territoriale lors des élections locales, ou pour des raisons parfois plus confuses. Dans ce contexte, il est souvent utile pour les collectivités locales voisines soumises aux mêmes enjeux d’influence de se regrouper pour peser dans les décisions publiques. On assiste alors à des stratégies de coopération en dépit de la rivalité sous-jacente. Les processus de coopétition à l’œuvre dans les collectivités s’avèrent souvent délicats, comme l’ont montré certains chercheurs dans d’autres contextes (Yami et al., 2010).

34Ainsi, en raison de l’incertitude sur le partage des responsabilités, Das et Rahman (2010) considèrent que la coopétition peut être détournée de ses fondements, en évoluant au bénéfice de l’un des partenaires au détriment des autres. Cela peut se produire lorsque le partenaire opportuniste cherche à augmenter unilatéralement sa rétribution aux bénéfices de la coopération, en réduisant de lui-même ses obligations de contribution à la collaboration, et en transférant sur les autres le surcoût lié à sa défection.

35Dans le prolongement de cette réflexion, Bengtsson et Kock (2000), distinguent trois situations d’échec ou de succès de la coopétition, transposables à l’action publique :

  • la stratégie de coopétition évolue vers une coopération systématique. À terme, il peut ici y avoir un risque d’atteinte à l’intérêt général avec une entente tacite entre élus locaux pour ne plus rivaliser au moment des élections en conservant une rente de situation locale ;
  • la stratégie de coopétition demeure équilibrée avec une alternance de coopération et de compétition. Un équilibre est respecté pour coopérer lorsqu’il est nécessaire d’atteindre des effets de taille dans l’action, et pour rivaliser lorsqu’il faut proposer au citoyen des alternatives selon la sensibilité politique. Dès lors, la stratégie de coopétition peut perdurer ;
  • la stratégie de coopétition tend à évoluer vers une compétition systématique. À terme il y a un risque de déviance dans l’action, avec une situation d’isolement des collectivités renforcée par l’affrontement politique des élus. Ces situations de conflit sont notamment constatées lorsque les résultats électoraux et la géographie locale opposent le maire de la commune-centre et le président de la communauté.

36L’exemple du pôle métropolitain en Rhône-Alpes illustre jusqu’ici une situation de coopétition équilibrée à l’échelle d’un territoire. Il est en effet conçu pour tirer parti des complémentarités économiques entre des collectivités politiquement rivales, sans toutefois engendrer de surcoût avec l’apparition d’un maillon redondant dans le « millefeuille territorial ». En effet, la structure chapeau du pôle métropolitain est suffisamment légère pour ne pas être redondante. Elle respecte le principe de subsidiarité, en intervenant uniquement lorsqu’il est possible de réaliser des économies d’échelles, de mutualiser une partie des coûts, et d’améliorer l’attractivité du territoire.

37En s’efforçant de respecter à la fois les enjeux des élus et les principes d’intérêt général, la coopétition entre collectivités peut se dérouler de manière harmonieuse, pour partager par exemple la charge d’investissement dans le domaine des transports publics ou dans l’action culturelle, et lorsqu’il est nécessaire de rationaliser les subventions et d’optimiser l’utilisation des taxes locales. De cette manière, la coopétition peut conduire les collectivités à atteindre une taille critique pour gagner du pouvoir de négociation vis-à-vis des fournisseurs, des créanciers et des pouvoirs publics nationaux et européens, qui apparaissent ainsi comme des parties prenantes secondaires, au sens évoqué ci-avant.

38D’après les résultats de l’étude exploratoire, renforcés par ceux de l’enquête complémentaire, la stratégie de coopétition peut réussir lorsqu’elle repose sur une gouvernance collégiale de type démocratique, avec un souci de représentativité à égalité entre les partenaires-rivaux.

39Tout le problème est de parvenir à garder un équilibre dans la coopétition, ce qui n’est pas évident compte tenu de l’enchevêtrement des structures territoriales en France. Si l’on reprend le cas du regroupement métropolitain, la coopétition est gérée d’une manière qui semble relativement harmonieuse vis-à-vis des membres intercommunaux partenaires, en respectant un principe de subsidiarité des tâches et en mettant en place une gouvernance démocratique. Néanmoins, avec l’accroissement en taille, le regroupement empiète potentiellement sur certains domaines de compétence de la Région, les deux structures locales de taille comparable risquant de se chevaucher dans certaines prérogatives publiques. Avec la création du pôle métropolitain, le conseil régional pourrait alors perdre de l’influence à l’égard de l’État et du citoyen. La coopétition risque ainsi de renforcer l’influence du pôle métropolitain au détriment de la Région, à moins de retrouver les conditions d’harmonisation entre la Région et le regroupement des 139 communes. Ces résultats illustrent également l’enjeu du nécessaire dépassement de paradoxes lorsque le secteur public s’efforce de développer une forme de management par le sens (Trosa et Bartoli, 2016), ce qui peut être le cas dans des situations de coopétition territoriale.

Conclusion

40La collaboration dans la compétition est une pratique existante non seulement dans la sphère marchande, mais également dans la gestion des collectivités locales. Notre recherche reposant sur une large enquête par questionnaires, une étude de cas, et une enquête d’approfondissement, montre que la théorie mobilisée en management privé sur le sujet de la coopétition, peut s’appliquer sous conditions d’adaptation dans le champ du management public. Les observations empiriques réalisées soulignent en effet que la collaboration des collectivités rivales sur le plan politique a du sens, à partir du moment où on prend en considération deux échelles d’analyse : l’échelle globale qui pousse les collectivités à collaborer pour permettre au bien commun du territoire de rayonner au niveau national et international ; l’échelle locale où il est légitime pour le débat démocratique que les élus de proximité s’affrontent pour une compétition politique de proximité. À cette condition, la coopétition entre collectivités locales dépasse l’apparent paradoxe des phénomènes de rivalité dans la sphère publique qui contrediraient la coopération. En effet, elle peut se concevoir dans l’intérêt de diverses parties prenantes primaires et secondaires : les instances publiques pour mutualiser les coûts, le citoyen pour conserver la proximité des élus, ou le territoire dans son ensemble, pour attirer des acteurs et investisseurs pertinents et préserver l’emploi.

41Il convient néanmoins d’éviter certains écueils dans le management de la coopétition, en s’appuyant sur certains principes dégagés par la littérature et confirmés dans notre recherche. Dans le périmètre de la coopétition, il s’avère opportun de nouer des collaborations locales qui apportent de la valeur ajoutée dans l’enchevêtrement territorial, par rapport aux strates de proximité, sans redondance avec les strates territoriales de niveau plus global. Par ailleurs, il convient de mener une stratégie de collaboration qui se déroule dans des domaines de compétences périphériques éloignés du cœur de préoccupation des élus, pour éviter les situations de rivalité trop forte entre partenaires. Ensuite, il s’agit de réfléchir à la manière de répartir les tâches de façon équitable entre les collectivités rivales et partenaires. Cela relève d’une réflexion sur la gouvernance de la coopétition qui sera d’autant plus éclairée qu’elle s’accompagnera d’une analyse des motifs réels et des atouts de la coopétition : l’existence d’un « adversaire commun », l’expression d’une communauté d’intérêts, la présence d’un leader moteur mais respectueux de ses alliés… Cette gouvernance doit respecter des principes démocratiques, en distribuant le pouvoir soit de manière égalitaire quels que soient la taille et les enjeux du partenaire, soit selon un compromis équilibré entre puissance démographique ou économique et égalité, en garantissant la transparence des informations, en privilégiant la collégialité dans la prise de décision, ou en établissant une charte des droits et des devoirs pour garantir la confiance. Enfin, dans la mise en œuvre de la coopétition, il peut sembler opportun de séparer les équipes en charge soit de la collaboration technique soit de la rivalité politique lors des périodes électorales, pour éviter les conflits d’intérêts à l’égard de chaque collectivité. En d’autres termes, l’ambivalence de la coopétition pourrait être considérée comme un atout et non comme une contrainte, au service du bien commun.

42Ces résultats doivent être nuancés en raison des limites de l’étude de cas, car même si celle-ci prend assise sur des enquêtes plus larges, elle nécessiterait des approfondissements sur différents aspects. Il serait notamment utile de poursuivre l’analyse des conceptions et pratiques de coopération/rivalité des diverses parties prenantes et en premier lieu des élus, pour mieux analyser les marges de manœuvre dont disposent les collectivités en la matière. Compte tenu des particularismes inhérents aux processus de management dans le secteur non marchand, il serait également nécessaire de préciser la place des valeurs de service public dans ces démarches, et de comprendre le rôle qu’elles peuvent jouer dans la spécificité de la coopétition au plan territorial. Enfin, un éclairage international permettrait de relativiser et de mettre en perspective le cas de la France, au regard de systèmes institutionnellement et culturellement différents.

Bibliographie

Références bibliographiques

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  • Yin RK (2009), Case Study Research. Design and Methods, 4th Edition, Sage Publications.

Mots-clés éditeurs : cooperation, coopétition, rivalité, collectivités territoriales, service public

Mise en ligne 22/10/2019

https://doi.org/10.3917/risa.853.0471

Notes

  • [1]
    Les auteurs tiennent à remercier l’Association des Dirigeants Territoriaux ADT-INET, et plus particulièrement deux de ses membres (Bruno Paumier et Frédéric Pin) pour leurs apports importants dans le contenu de cet article.
  • [2]
    L’origine de l’expression « millefeuille territorial » ne semble pas clairement établie, mais elle est peut-être liée à une métaphore utilisée par le politiste Grodzins en 1960 pour qualifier le fédéralisme américain, en opposant d’un côté l’image du « layer cake » pour le fédéralisme dual, établi sur une clarté de rôles avec peu de chevauchements entre l’État local et l’État fédéral, et de l’autre le « marble cake federalism » utilisé pour imager le fédéralisme coopératif, porteur de rôles plus mixés entre le local et le fédéral.
  • [3]
    Voir notamment le livre récent (2015) d’Éric Giuily, maître des requêtes honoraires au Conseil d’État, et Olivier Régis, président délégué du Forum pour la gestion des villes et des collectivités territoriales, dont le titre reprend cette expression.
  • [4]
    Symposium ADT-INET / LAREQUOI-ISM « Quel rôle des managers dans la “coopétition’’ des territoires ? » le 5 février 2013 à l’Université de Versailles St-Quentin en Yvelines.
  • [5]
    INET = (Institut National des Etudes Territoriales). Association ADT-INET : http://www.adtinet.fr/.
  • [6]
    L’expression « étude de cas » est utilisée ici par convention, dans la mesure où un exemple particulier de collectivité est présenté et étudié. L’étude reste cependant exploratoire et nécessitera approfondissement.
  • [7]
    Les 10 dirigeants se répartissent ainsi : 3 dans un EPCI/communauté d’agglomération, 1 dans un centre de gestion d’île de France, 2 en conseil général, 3 dans des communes au sein d’EPCI (communautés urbaines ou communautés de communes), 1 dans une commune au sein d’une métropole.
  • [8]
    Témoignage recueilli auprès du Directeur Général des Services de la CAPI, lors de trois périodes : en février 2013, en janvier 2015, et en septembre 2016, ce qui a permis une analyse des évolutions dans la durée.
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