Notes
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[1]
Berry Tholen, Université Radboud, Nimègue (Pays-Bas). Courriel : b.tholen@fm.ru.nl. Traduction de l’article paru en anglais sous le titre : “Citizen Participation and Bureaucratization. The Participatory Turn seen through a Weberian Lens”.
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[2]
Parlament und Regierung im neugeordneten Deutschland (Le parlement et le gouvernement dans une Allemagne réorganisée) a d’abord été publié sous forme d’une série d’articles dans le Frankfurter Zeitung (1917). Wahlrecht und Demokratie in Deutschland (Droit de vote et démocratie en Allemagne) a été publié sous forme de brochure la même année. Ces deux ouvrages se retrouvent dans les recueils de textes politiques de Weber.
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[3]
Dans ses derniers écrits politiques, Weber se montre très critique à l’égard du Parlement et est partisan d’un leadership personnel marqué en politique. C’est ce qui a amené certains commentateurs à présenter Weber comme quelqu’un d’intolérant, d’antidémocratique et même comme ayant jeté les bases du fascisme (Aron 1967 : 253, Mommsen 1974 : 398, 411). Ces qualificatifs ne sont toutefois pas défendables si l’on tient compte de l’ensemble de l’œuvre de Weber. Son enthousiasme pour le leadership personnel était pondéré, par exemple, par son appel lancé au Parlement afin qu’il résiste au développement des « tendances césaristes » (Weber 1921/1988 : 392, 395. Voir également Beetham 1985 : 43, 88 ; Breen 2012 : 16 ; Whimster 2007 ; 24).
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[4]
Nous ne voulons pas dire ici que Weber a fermé les yeux sur ses propres recommandations destinées au scientifique honnête, qui ne doit pas revendiquer une quelconque autorité dans le domaine des valeurs. Le présupposé de base, cependant, concerne le fait que les écrits politiques et les études sociologiques partagent un même contexte normatif. Pour un point de vue similaire, voir également Mommsen (1974 : ch 1) ; Beetham (1985 : ch 1 and 9) ; Lassman (2000 : 87) ; De Valk (1980 : 218). Dans le présent article, nous adoptons en effet la même approche herméneutique que celle de Beetham et De Valk, qui consiste à considérer l’ensemble des écrits de Weber comme cohérents dans ce contexte.
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[5]
On pourrait avancer que les cadres normatifs de base d’Habermas comme de Weber trouvent leur inspiration dans la philosophie pratique d’Emmanuel Kant (1798/1998). Chacun se concentre toutefois sur un aspect différent de cette philosophie. Habermas développe la règle kantienne de l’universalisation telle qu’exprimée dans l’Impératif catégorique. Weber s’appuie sur l’idée de Kant du Menschenwürde et de l’autonomie individuelle.
Introduction
1Depuis quelques années, nombreux sont les spécialistes de l’administration publique qui plaident pour un renforcement de la participation citoyenne dans l’élaboration et la mise en œuvre des politiques. Pour eux, il faut « réintégrer le citoyen dans le processus d’élaboration des politiques » (Fischer, 1993 : 36). Ils préconisent un renforcement du dialogue (Wagenaar, 2011) ou du discours (Fox et Miller, 1995) avec les citoyens et, partant, « un virage communicatif, destiné à rétablir le lien entre la fonction publique et le citoyen » (Healey, 1993 ; King, 1998 ; Stivers, 2008 : 11, 105). Ils nous invitent à considérer les « citoyens comme des praticiens » dans l’élaboration des politiques (Catlaw, 2007 : 193 ff), à réaliser le « caractère citoyen de la gouvernance » (Farmer, 2005 : 191) et à opter pour une élaboration des politiques fondée sur la collaboration (Stout, 2013).
2En somme, ces spécialistes plaident en faveur d’un virage participatif dans l’administration publique. Il faudrait mettre en place de nouveaux mécanismes participatifs, qui permettent aux citoyens de participer directement non seulement à l’élaboration des politiques, mais aussi à leur mise en œuvre.
3Plusieurs arguments sont invoqués pour justifier ce virage participatif. Une participation plus directe des citoyens dans l’élaboration des politiques serait nécessaire au motif que la démocratie représentative classique est devenue problématique (Fox et Miller, 1995 ; Hirst, 1994). Cette participation renforcée est par ailleurs préconisée pour faire face à la fragmentation sociétale contemporaine (ou postmoderne) et à l’affaiblissement du sens civique (Stivers, 2008 ; Stout, 2013 ; Wagenaar, 2011). D’autres invoquent des arguments épistémologiques, selon lesquels une élaboration dialogique des politiques avec les citoyens correspond aux interprétations postmodernes de la connaissance et débouche sur de meilleurs résultats (Farmer, 1995 ; Flyvbjerg, 2001 ; McSwite, 1997).
4Les partisans de ce virage participatif invoquent des arguments, ou des ensembles d’arguments, variables. Ils sont cependant tous d’accord pour dire que le renforcement de la participation citoyenne est la réponse aux problèmes rencontrés dans le fonctionnement de la bureaucratie. Que ce soit à cause de son lien avec l’échec de la démocratie représentative ou de son recours à une épistémologie erronée, l’administration publique contemporaine fait désormais partie du problème (Farmer, 1995 ; Flyvbjerg, 2001 ; Stivers, 2008 ; Wagenaar, 2011). Le renforcement de la participation citoyenne doit aussi être considéré comme une réponse à une crise de légitimité pour l’administration publique bureaucratique (McSwite, 1997). Le virage participatif passe par conséquent aussi par un changement dans le rôle et le fonctionnement de l’administration publique. L’administration publique doit être davantage au service du citoyen (Denhardt et Denhardt, 2007) ; elle doit jouer un rôle d’intermédiaire (Stout, 2013) ou de médiateur (Forester, 2009) et devenir le modérateur du débat citoyen (Fox et Miller, 1995 ; Stivers, 2008 ; Wagenaar, 2011). Plus généralement, l’administration publique doit devenir un facilitateur et un partenaire de la participation civique.
5Ce dernier aspect du virage participatif indique que la question concerne essentiellement le lien entre démocratie et bureaucratie. La question n’est pas neuve. Elle est plutôt classique, et elle est même au centre des réflexions sur l’administration publique. Notons que les partisans du virage participatif n’associent jamais systématiquement leurs propositions aux débats antérieurs sur cette question. Pourtant, la prise en considération des perspectives classiques pourrait donner plus de poids à leurs propositions, mais aussi faire apparaître des défauts et des zones d’ombre. Max Weber pourrait être un bon candidat pour ce point de vue classique. Weber a ouvertement examiné le lien entre démocratie et bureaucratie dans ses écrits sociologiques et politiques (dans ses Models of Democracy (2006 ; ch. 5). Held va même jusqu’à considérer Weber comme le principal auteur sur cette question). L’analyse faite par Weber de cette relation est par ailleurs solidement enracinée dans une analyse sociologique globale de la modernité et une vision du monde normative cohérente. La présente analyse porte dès lors sur le point de vue bien développé que peut offrir Weber. La principale question à laquelle nous tentons de répondre est la suivante : les récentes propositions en faveur d’un renforcement de la participation citoyenne dans l’élaboration des politiques et le rôle que cela suppose pour l’administration publique sont-elles réalisables d’un point de vue wébérien, et ces propositions contiennent-elles des risques ou des pièges ?
6Dans la partie 2, nous définirons le virage participatif et présenterons les arguments invoqués pour le justifier. Dans la troisième partie, nous présenterons le point de vue général de Weber à propos de la démocratie et de la bureaucratisation. Dans la quatrième partie, nous examinerons les arguments et les conséquences du virage participatif au travers de ce prisme wébérien. Dans notre conclusion, nous rassemblerons nos observations pour évaluer les arguments en faveur d’un virage participatif.
Les arguments en faveur du virage participatif
7Les arguments invoqués pour justifier le virage participatif dans l’administration publique sont présentés sous différentes appellations. Ses partisans qualifient leur approche de postmoderne (Fox et Miller, 1995), d’autoréférentielle (Farmer, 1995) ou de socioconstructiviste (Jun, 2006), entre autres. Les intitulés donnés à leurs propositions varient eux aussi — discours public (McSwite, 1997), dialogue (Wagenaar, 2011), virage argumentatif (Fischer et Forester, 1993), collaboration (Stout, 2013) et gouvernance basée sur le consensus (Stivers, 2008). Les partisans de ce virage ont par ailleurs quelques points de désaccord. Par exemple, faut-il s’appuyer, au moins dans une certaine mesure (Flyvbjerg, 2001 ; Wagenaar, 2011), sur la théorie de l’action communicative d’Habermas (Fox et Miller, 1995 ; Kelly, 2004), ou faut-il abandonner ses idées (Farmer, 1995) ? Le dialogue citoyen doit-il être plus harmonieux idéalement (Dryzek, 1993 ; Jennings, 1993 ; McSwite, 1997 ; Stivers, 2008), ou doit-il exprimer un antagonisme (Fox et Miller, 1995 ; Wagenaar, 2011) ? Malgré ces différences, cependant, les études de ces auteurs présentent un idéal commun évident, qui justifie l’idée qu’ils sont tous des partisans de la même cause : un virage participatif. Dans cette partie, nous commençons par donner quelques précisions sur cette cause commune. Dans la deuxième partie, nous donnerons un aperçu des arguments qui ont été invoqués (sous différentes combinaisons) en faveur du virage participatif.
Ce que suppose le virage participatif
8L’idée au centre du virage participatif est que des mécanismes doivent être mis en place pour permettre aux citoyens de participer directement à l’élaboration des politiques. Ces mécanismes doivent faciliter de véritables dialogues ou débats entre les citoyens et entre ceux-ci et les administrateurs.
9Certains partisans se contentent de cet aspect général (par ex. Farmer, 1995 ; McSwite, 1997). D’autres présentent des propositions plus élaborées en faveur d’un débat pertinent ou authentique entre les citoyens et entre les citoyens et les agents de l’État. Fox et Miller illustrent bien cette idée. Ils proposent de s’appuyer sur les « nouvelles créations du discours, comme les réseaux stratégiques, les groupes de travail et consortiums interagences, les contraintes réglementaires négociées, les adhocraties et autres nouveautés du même genre », dans lesquelles le dialogue débouchant sur de nouvelles politiques est essentiel. Pour bien remplir cette fonction, ces « créations du discours démocratique » doivent recourir à un dialogue approprié. « Une discipline s’impose dans ce discours ». Il convient de suivre certaines lignes directrices bien précises (des « garanties du discours », comme la sincérité, la situation en ce qui concerne l’intentionnalité, l’attention à la bonne volonté et la contribution fondée » (Fox et Miller, 1995 : 11, 120, 157). D’autres auteurs proposent eux aussi des listes de ce type en ce qui concerne les débats qui s’imposent ou les pièges à éviter (par ex., Catlaw, 2007 : 193-198 ; Denhardt et Denhardt, 2007 ; Forester, 2009). Même si certains éléments des listes varient, l’idée commune est de « réintégrer le citoyen dans le processus d’élaboration des politiques » (Fischer, 1993 : 36).
10Cette amélioration des possibilités de participation des citoyens doit s’accompagner d’une évolution dans le rôle et les actions de la bureaucratie gouvernementale. Fox et Miller (1995 : 111) expriment cette évolution de façon métaphorique : les contextes bureaucratiques doivent faire place à des champs d’énergie, ce qui veut dire que le dialogue doit intervenir non dans des structures fixes et hiérarchiques, mais dans le cadre de mécanismes nouveaux et ouverts, propices au développement de nouvelles idées et de nouvelles significations. D’autres relèvent que selon cet argument, les agents de l’État doivent jouir d’un pouvoir d’appréciation certain, condition préalable indispensable à l’élaboration de politiques dans le cadre d’un dialogue avec les citoyens (Denhardt et Denhardt, 2007 : 153). Les membres de l’administration publique doivent par ailleurs s’efforcer de promouvoir la participation des citoyens (Denhardt et Denhardt, 2007 : 63, 81, 97, 115, 135). Ces personnes doivent aussi assumer les fonctions nécessaires pour garantir un débat authentique, faciliter le développement de nouvelles interprétations des problèmes et œuvrer en faveur d’un accord et d’un consensus. « Les administrateurs doivent imaginer des formes de participation, diffuser des informations, souligner les problématiques, partager les responsabilités, soulever des questions, et peut-être même prendre la défense des citoyens marginalisés » (Kelly, 2004 : 39).
11Le nouvel agent de l’État est souvent comparé à une sage-femme, un administrateur, un médiateur et un catalyseur (Catlaw, 2007 : 198 ; Denhardt et Denhardt, 2007 : 135, 152 ; Farmer, 2005 ; Stout, 2013 : 249). L’administrateur public, dans le cadre du virage participatif, est responsable de « la gouvernance du consensus » (Stivers, 2008 : 6, 117/9). L’administrateur crée, facilite, oriente et anime le dialogue citoyen sur la politique. Parallèlement à cela, les citoyens et les administrateurs doivent être égaux (« nous sommes tous des praticiens, à présent ») (Catlaw, 2007 : 196) ; l’administrateur est un « citoyen comme tous nous » (Fox et Miller, 1995 : 158)).
12Les arguments en faveur du virage participatif ont des conséquences non seulement pour l’élaboration des politiques publiques, mais aussi pour les spécialistes de l’administration publique. En réalité, selon les partisans de ce virage, la mission qui incombe aux chercheurs en matière d’élaboration des politiques et de programmation publique est souvent relativement similaire à celle des agents de l’État. Les spécialistes de l’administration publique doivent entreprendre des recherches dans lesquelles les citoyens eux-mêmes peuvent participer à l’élaboration des politiques, comme des recherches participatives et une planification délibérative. Il incombe également aux spécialistes de l’administration publique de faciliter et d’animer le dialogue. (Flyvbjerg, 2001 ; Wagenaar, 2011 : 229/230). Pour les partisans du dialogue citoyen sur la politique publique, la mise en place de nouveaux mécanismes de collaboration et la modération du dialogue sont des préoccupations essentielles. Peu importe que la fonction de modérateur soit assumée par des planificateurs, des dirigeants communautaires, des cadres ou des analystes des politiques (Forester, 2009 : 6).
L’argument lié à la baisse de la légitimité démocratique
13Le premier des quatre arguments en faveur du virage participatif attire l’attention sur la baisse de la légitimité de la démocratie représentative. Les partisans soutiennent que ce modèle de démocratie ne fonctionne plus comme il le faudrait. Les préférences des citoyens ne se forment plus librement sous l’influence des médias ; ils ne basent pas leurs choix électoraux sur des alternatives politiques, mais bien sur l’image des politiciens ; les citoyens n’appuient pas leurs décisions sur des motifs rationnels ; après les élections, des coalitions qui n’agissent pas selon les préférences de la majorité des électeurs arrivent au pouvoir ; et les citoyens ne surveillent pas sérieusement les actions de leurs candidats. La démocratie représentative est un idéal et un vestige du XIXe siècle – elle ne fonctionne plus (Fox et Miller, 1995 ; Hirst, 1994 : 15-6, 43).
14Si le pouvoir est occupé par une élite administrative, c’est en raison de ce système démocratique parlementaire inefficace (McSwite, 1997 : 1, 15, 217). Nous sommes dirigés par une « petite autocratie » de bureaucrates (Fox et Miller, 1995 : xiv) à la « vision exclusivement centrée sur l’administration » (Denhardt et Denhardt, 2007 : 23). La bureaucratie publique ne représente pas la population, mais détermine ce qui est dans l’intérêt général, définissant ainsi ou créant elle-même ce qu’elle est censée représenter (Catlaw, 2007). Ce phénomène a dès lors créé une rupture entre les citoyens, d’une part, et l’élaboration des politiques et l’administration, d’autre part. Seules des formes directes de participation permettront aux citoyens de retrouver leur souveraineté. Un virage participatif s’impose pour créer une démocratie que l’on pourra vraiment qualifier de légitime.
L’argument lié à la fragmentation sociétale
15Le deuxième argument concerne les caractéristiques de notre société actuelle (postmoderne). La bureaucratie et l’élaboration descendante des politiques ne sont plus de mise à notre époque, une époque caractérisée par des structures sociales fragmentées, la décentration des identités, la fin des grands discours et le néo-tribalisme (Fox et Miller, 1995 : 59 ; Stout, 2013 : 237 ; Wagenaar, 2011 : 306). En ces temps de profond désaccord, les partisans soutiennent que ce qu’il nous faut, c’est une approche différente. La solution, c’est le dialogue avec et entre les citoyens, de préférence sur des questions plus ou moins précises (Fox et Miller, 1995 ; Healey, 1993 : 253 ; Jennings, 1993 : 112 ; Wagenaar, 2011). Une « gouvernance du consensus » qui englobe des types d’activation citoyenne appropriés et appuie différentes formes de participation s’impose pour accomplir le développement de communautés politiques florissantes, dans lesquelles les membres « s’apprécient et se reconnaissent mutuellement » (Stivers, 2008 : 2, 85-6, 109, 117-9 ; Wagenaar, 2011 : 301, voir aussi Denhardt et Denhardt, 2007 et McSwite, 1997).
L’argument lié à la suffisance des connaissances dans le cadre de l’élaboration des politiques
16On retrouve un troisième type d’argument dans les récents débats dans le domaine de l’épistémologie. Selon les partisans du virage participatif, l’élaboration des politiques dans l’administration publique contemporaine s’appuie sur une interprétation des connaissances et de la rationalité qui est indéfendable. De fait, les interprétations qui prévalent sont erronées à trois égards. Premièrement, les spécialistes de l’administration publique — au sein de la fonction publique et en dehors — oublient que les affaires humaines sont toujours profondément liées à des conséquences. Pour véritablement comprendre les actions, il faut bien comprendre ce que ces actions supposent pour les personnes concernées. Pour ce faire, il convient de consulter ces personnes (McSwite, 1997 : 233, 377 ; Wagenaar, 2011 : 14 ; Dryzek 1993 : 224 ; 2000). Deuxièmement, la distinction stricte entre les faits et les valeurs n’est pas défendable. Les affirmations, même celles des spécialistes, contiennent toujours des jugements de valeur. L’expertise bureaucratique ne peut dès lors légitimement prétendre être objective ou neutre. En réalité, les valeurs sont multiples et il n’existe pas de formule simple pour déterminer quelle valeur doit l’emporter sur les autres lorsque des actions contradictoires s’opposent à la demande. Pour tenir compte sérieusement du pluralisme de valeurs, il y a lieu de laisser tous les individus, avec leurs propres estimations, participer à l’élaboration des politiques (Farmer, 1995 : ch. 5 ; Flyvbjerg, 2001 : 63, 139 ; Fox et Miller, 1995 ; Wagenaar, 2011). Pour terminer, d’aucuns soutiennent que le type de connaissances juridiques générales habituel dans le domaine des sciences naturelles n’est pas un bon exemple pour les sciences humaines. Les connaissances dans ce domaine ne peuvent être que situationnelles, et concerner des questions spécifiques dans des contextes et des circonstances bien précis. Encore une fois, la participation citoyenne est nécessaire si l’on veut rendre compte de la complexité des différentes situations (Flyvbjerg, 2001 : 160).
L’argument lié à la l’efficacité en tant que valeur prédominante
17Le dernier argument concerne la promesse faite par les spécialistes de l’administration d’apporter des solutions techniques et des réponses économiques. Les ambitions des spécialistes administratifs et leur manière de procéder à l’élaboration des politiques tendent à indiquer une approche neutre. Les partisans du virage participatif indiquent néanmoins que l’approche soi-disant neutre ou technique ne fait en réalité qu’exprimer l’attachement prédominant à une valeur bien précise : l’efficacité. L’attachement de l’administration à l’efficacité met sur la touche d’autres valeurs ou les fait passer au second plan, sans parler du fait qu’il bloque toute créativité. Cette manière de penser limite le processus décisionnel politique à la recherche des solutions les plus économiques dans un but bien précis et le comportement administratif, à suivre les règles. Pour prendre la créativité en compte comme il se doit et venir à bout de la perspective étroite en matière de valeur, les structures bureaucratiques doivent être ouvertes, et un dialogue ouvert avec les citoyens doit être mis en place (Denhardt et Denhardt, 2007 ; Farmer, 1995 ; Fischer, 1993 ; Jennings, 1993 : 112 ; Stivers, 2008 : 27, 31, 55, 59).
18Dans les paragraphes qui suivent, nous nous intéressons de plus près à ces arguments et aux mesures qu’ils proposent. Dans la partie qui suit, nous développons un prisme wébérien pour nous faciliter la tâche.
Weber à propos de la bureaucratie et de la démocratie
19Les propos les plus explicites de Max Weber sur la démocratie directe se retrouvent dans ses écrits politiques apparus pour la première fois en 1917 [2]. Avec cette série d’articles, il a pris part à des discussions sur les changements constitutionnels et politiques intervenus en Allemagne à son époque. Ces changements concernaient la structure fédérale, les droits de vote et la position du Parlement. Pour certains commentateurs et politiciens, la solution aux problèmes sociaux et politiques devait être recherchée dans l’introduction d’un certain type de démocratie directe. Parmi ces partisans, on trouvait des oiseaux au plumage variable : des communistes, des socialistes, des anarchistes, des syndicalistes et des corporatistes. Weber les qualifie d’auteurs snobs et naïfs, de « romantiques de l’encrier » et de dilettantes, dont les fantasmes romantiques sont empreints d’harmonie et de fraternité (Mommsen, 1974 ; Weber, 1921/1988 : 263, 306-7, 366, 443). Ils sont convaincus, à tort, que l’on peut confier l’administration et la politique à des amateurs et ne comprennent pas la véritable nature des problèmes politiques de l’Allemagne (Weber, 1921/1988 : 289, 306).
20Dans ces textes, Weber a participé aux débats passionnés en Allemagne pendant les derniers moments de la Première Guerre mondiale et juste après. Il s’est farouchement opposé aux arguments antiparlementaires de l’époque [3]. Les partisans de la participation directe à notre époque ne plaident cependant pas pour la suppression du système parlementaire. Par conséquent, pour apprécier les arguments de ces partisans contemporains, il nous faut nous tourner vers l’analyse plus large faite par Weber de la modernité et son interprétation de la démocratisation et de la bureaucratisation qui explique les commentaires contenus dans les écrits politiques mentionnés plus haut [4]. À des fins de clarté et de concision, nous présenterons ici l’analyse de Weber en distinguant quatre aspects de la bureaucratisation par rapport à la démocratie.
La bureaucratisation et l’importance de la prévisibilité
21Pour Weber, la modernisation est en grande partie une question de rationalisation. L’action sociétale fait de plus en plus l’objet de calculs. La standardisation, la planification, les mesures et les procédures dans tous types d’activités facilitent le contrôle des processus sociétaux et rendent les résultats plus prévisibles (Scaff, 2000 : 104). Dans la préface de son recueil sur la sociologie de la religion, Weber donne un aperçu des domaines dans lesquels la modernisation a eu lieu : dans la science, l’art, l’économie, au sein de l’État et de l’administration. La rationalisation dans ce dernier domaine passe par l’élaboration d’un système de droit et d’une bureaucratie moderne (Weber, 1920/1972 : 1-16). Le droit rationnel contient des règles qui sont claires pour chacun, et la bureaucratie est source de prédictibilité en raison de ses caractéristiques typiques, comme ses compétences fixes et son personnel titulaire qualifié (Weber, 1920/1972 : ch 6 ; 1921/1988). La rationalité conjuguée à la prévisibilité permet d’obtenir des résultats calculables, à l’instar d’une machine, au sein de l’État moderne (Weber, 1921/1988 : 322).
22La prévisibilité est entremêlée à l’interprétation et l’appréciation de Weber de la liberté individuelle ou de l’autonomie. Dans plusieurs de ses écrits, Weber présente l’idéal d’un individu libre de faire ses propres choix, comme celui du scientifique libre dans Science as a Vocation et celui du politicien véritablement libre dans ses choix, dans Politics as a Vocation. (Bartels, 2009 ; Beetham, 1985 ; Palonen, 1999 ; Tijsterman et Overeem, 2008 ; Verhoogt, 1980 ; Weber, 1921/1988 : 505 ; 1922/1988 : 582). Pour ces personnes libres, la prévisibilité est un élément important. Weber fait observer qu’il n’existe pas de moyen rationnel de déterminer quelles sont les valeurs suprêmes et quels sont les objectifs les plus louables. Le domaine des valeurs est un « polythéisme » voire, encore plus fort, un monde de « dieux en guerre » (Weber, 1922/1988 : 609). On peut cependant parvenir à déterminer les instruments appropriés pour réaliser certaines valeurs ou certains objectifs (Weber, 1922/1988 : 607). Il est important d’utiliser ces connaissances pour des individus capables de décider librement, que leur volonté soit d’être de bons scientifiques, de bons politiciens ou de suivre une autre vocation (Weber, 1921/1988 : 551 ; 1922/1988 : 595). Il est important, pour tout citoyen, de savoir à quoi se prépare le gouvernement, indépendamment de ses aspirations. La réglementation des actions administratives dans le droit et l’organisation bureaucratique de ses tâches apportent cette prévisibilité. Chacun est soumis aux mêmes règles publiques et certaines (Bartels, 2009 : 465 ; Gajduschek, 2003).
La bureaucratisation et l’expertise
23Weber distingue plusieurs types de rationalité, mais le type qui confère à la modernité son caractère même est la rationalité instrumentale, qui concerne l’application de la connaissance des causes et de leurs conséquences. Même si personne ne saisit l’ensemble des connaissances causales existantes, on peut être certain que les connaissances pertinentes existent et qu’elles peuvent nous être appliquées ou présentées par les experts compétents (Weber, 1922/1988 : 594), ce qui est assez différent dans le domaine des valeurs, le domaine que Weber compare au monde des « dieux en guerre » (Weber, 1922/1988 : 609). Il existe une pluralité de valeurs, et il n’existe pas de moyen rationnel de déterminer lesquelles doivent prévaloir. Il est par conséquent impossible de trancher de manière rationnelle les questions politiques. La politique est essentiellement synonyme de conflit — conflit dans la société civile à propos des moyens de l’État (Weber, 1921/1988 : 506 ; 1922/1988 : 609). C’est la raison pour laquelle Weber abandonne les idées fraternelles des syndicalistes, des corporatistes et des socialistes, qu’il juge romantiques et naïves (Weber, 1921/1988 : 263, 366).
24Pour que les experts puissent contribuer utilement, leurs positions doivent être séparées des luttes à propos des valeurs et autres intérêts personnels. Il convient de tracer une frontière nette entre science et politique, une frontière que les scientifiques fidèles ne doivent pas traverser. (Weber, 1922/1988 : 601). Il en va de même en ce qui concerne une séparation entre administration et politique. Les agents de l’État sont recrutés dans les bureaucraties publiques pour leurs compétences et leur expertise, et ils acquièrent de nouvelles connaissances tout au long de leur carrière dans différentes fonctions (souvent très spécialisées). Une partie des caractéristiques de l’interprétation de Weber de la bureaucratie exprime son intérêt pour (le recrutement de) l’expertise. L’autre partie concerne les instruments permettant de garder séparées la politique et l’administration : en créant des conditions d’emploi qui garantissent l’indépendance par rapport à l’issue des conflits politiques. On peut alors considérer que la bureaucratie est au-delà de tout groupe social ou de toute classe sociale déterminés, avec ses valeurs et ses intérêts propres. On peut parler, comme l’a fait Hegel, de « classe universelle » (Hegel, 1967 : section 205).
La bureaucratisation et la routinisation
25Weber est bien conscient de l’inconvénient de la standardisation et de la réglementation, qui confèrent à la société moderne sa prévisibilité. La rationalisation conduit également au « désenchantement » et à la « pétrification de l’esprit ». Le désenchantement concerne la perte du sacré de l’unité et de l’interdépendance entre soi et le monde, comme le prévoient la religion, la magie, les mythes et la tradition. Cela se traduit par une aliénation, le sentiment d’être perdu dans le monde, et de vivre dans un monde dépourvu de sens.
26La pétrification de l’esprit concerne les conséquences de l’organisation et de la réglementation croissantes, à la façon d’une « machine », des aspects de la vie sociale, en particulier les bureaucraties, qui contrôlent de plus en plus le travail de leurs agents et la vie de ceux qu’ils fréquentent. Cette tendance commune à la bureaucratisation dans la société moderne menace la liberté individuelle. Si cette tendance n’est pas contrôlée d’une certaine manière, nous finirons dans la « maison de la servitude » ou dans « la cage de fer » de la vie moderne (Weber, 1920/1972 : 203-4 ; 1921/1988 : 332-3).
27Cette résistance à la bureaucratisation est possible, selon Weber. Elle peut être assurée par une « figure de proue », ou par l’entrepreneur innovant, dans le secteur privé, et le leader politique, dans la sphère publique. Ces types de personnes cherchent à dépasser les routines existantes pour rechercher de nouvelles approches. Elles ne suivent pas le protocole, préférant prendre leurs responsabilités en prenant des décisions de base (Weber, 1921/1988 : 334-5, 525, 545-7, 559). La réponse à la menace bureaucratique réside dans le politicien au pouvoir qui peut s’appuyer sur le soutien de la population. Dans le contexte de la société de masse, les bureaucraties sont inévitables, mais les politiciens capables de trouver des partisans pour leurs nouvelles idées le sont tout autant. Les politiciens doivent être charismatiques, c’est-à-dire sources d’inspiration et loyaux, pour pouvoir réaliser le changement. Pour ce faire, ils doivent bien souvent recourir à des mesures démagogiques (Weber, 1921/1988 : 338, 393).
La bureaucratisation et le pouvoir des bureaucrates
28La prévisibilité n’est pas le seul aspect à présenter un côté obscur ; il en va de même en ce qui concerne l’expertise dans les bureaucraties et les efforts menés pour les mettre à l’abri de l’ingérence politique. Il arrive que les bureaucraties administratives soient séparées de la politique sociétale ; cela ne veut toutefois pas dire qu’elles sont au-delà des luttes de pouvoir. Weber critique les sociologues de son époque, qui considèrent la bureaucratie comme l’avait fait Hegel : comme une « classe universelle », dépourvue d’intérêts en soi, détachée des conflits. Weber présente la bureaucratie comme une force susceptible d’être en contradiction avec les acteurs politiques (Beetham, 1985 : 64, 226 ; Weber, 1921/1988 : 396). Les bureaucrates possèdent des connaissances spécialisées, qu’ils ont acquises dans le cadre d’une formation spéciale et de leur expérience professionnelle. Ces connaissances leur procurent du pouvoir. En monopolisant ses connaissances, et en les transformant dès lors en connaissances secrètes, le bureaucrate est à même de renforcer sa position. Dans les sociétés bureaucratiques, la menace d’une dictature des agents est toujours imminente (Weber, 1921/1988 : 333, 352-3).
29Des compétences et des aptitudes particulières s’imposent pour contrôler et contrecarrer le pouvoir bureaucratique. Selon Weber, les organes composés de citoyens qui participent directement sont très peu qualifiés pour remplir cette fonction. Les bureaucraties seront en mesure de se montrer plus intelligentes que les superviseurs amateurs peu expérimentés et mal informés. Elles n’auront aucun mal à proposer des mesures de contrôle efficaces, tout en restant fermement au pouvoir, par exemple, en accordant de petites victoires à certains des superviseurs, semant ainsi la discorde entre eux. Voilà pourquoi Weber soutient, dans ses commentaires à propos des romantiques de l’encrier de son époque, que la démocratie directe, loin d’empêcher une dictature des agents, la créerait plutôt (Weber, 1921/1988 : 290, 298-300), dictature qui pourrait conduire à une dictature des bureaucrates ou des intérêts particuliers si un groupe parvenait à prendre le contrôle de la bureaucratie (Beetham, 1985 : 38, 41, 56, 223 ; Mommsen, 1974 : 86, 88 ; Palonen, 1999 ; Weber, 1921/1988 : 332-333 ; Whimster, 2007 : 244).
30Pour Weber, le contrôle de la démocratie ne peut se réaliser que par un Parlement doté d’un leadership politique fort. Les vrais leaders sont non seulement ceux qui sont capables de briser la routine, mais aussi ceux qui ont les compétences nécessaires pour diriger la bureaucratie et ne pas tomber dans le piège de la « politique négative » (en s’impliquant dans de simples guerres de territoire avec les bureaucraties). Par ailleurs, le Parlement doit avoir des experts dans tous les domaines, parallèlement à l’expertise de la bureaucratie administrative. Il doit aussi être formellement habilité à affronter la bureaucratie (par exemple, grâce à un droit d’enquête). En l’absence de ces compétences, le Parlement est un tigre édenté, uniquement capable d’afficher une « démagogie qui n’est fondée sur rien et une impuissance routinière » (Weber, 1921/1988 : 289, 339-345, 250-356).
Les conséquences du virage participatif vu à travers le prisme wébérien
31Maintenant que le prisme de Weber est en place, commençons à nous en servir. Quelles sont les conséquences probables des nouveaux modes de participation dans les domaines auxquels Weber s’est intéressé dans son analyse de la bureaucratisation et de la démocratisation ?
Le virage participatif et la prévisibilité
32L’un des éléments des approches participatives concerne l’obligation d’augmenter le pouvoir discrétionnaire bureaucratique, par exemple, grâce à un droit texturé plus transparent. Ces mesures sont une condition préalable indispensable au débat et à la collaboration civique à propos des politiques publiques. Le renforcement du pouvoir discrétionnaire de l’administration est susceptible d’entraîner une baisse de la prévisibilité — une baisse à trois niveaux. Le premier niveau est celui du mode de prise de décisions. Lorsque la réglementation permet de recourir aux dispositifs participatifs pour élaborer les politiques, les agences ont le pouvoir de décider des questions qui feront l’objet de projets participatifs.
33Le deuxième niveau est celui de l’organisation de la procédure participative. De quelle manière la question examinée va-t-elle être définie ? Qui doit participer ? Et quel type de résultat le débat vise-t-il ? Les lignes directrices pour un « vrai débat » n’abordent pas toutes ces questions. Et même lorsqu’elles le font, elles nécessitent souvent une interprétation. Prenons, par exemple, l’argument de Fox et Miller, selon qui les contributions aux débats doivent être pertinentes. Comme l’indiquent eux-mêmes les partisans du virage participatif, différents objectifs peuvent être poursuivis. On peut par exemple modérer les dialogues pour qu’ils aient le plus de chances de réaliser les meilleures solutions stratégiques (Dryzek). Ils peuvent aussi viser à surmonter les différences et le conflit (Forester). Ils peuvent aussi mettre l’accent sur le développement individuel (Stivers) ou l’émancipation des plus démunis (Catlaw). Même lorsque tous ces choix sont fixés, on atteint un troisième niveau d’insécurité, le débat proprement dit. Dans la plupart des processus communicatifs, il est très difficile de prévoir la décision à laquelle parviendra n’importe quel groupe de personnes au final. Ensemble, ces trois niveaux d’insécurité supposent que le processus décisionnel dans le cadre du virage participatif réduira la prévisibilité des politiques et de la réglementation qui l’accompagne.
34Une législation texturée plus transparente et la baisse qui en résulte de la prévisibilité de l’action gouvernementale risquent d’avoir un effet secondaire négatif supplémentaire. Par conséquent, le lien entre les programmes politiques tels qu’ils sont présentés lors des élections et les politiques réelles deviendra encore plus faible qu’il ne l’est aujourd’hui d’après les partisans du virage participatif. Le remède a par conséquent tendance à intensifier le problème.
Le virage participatif et l’expertise
35Le centre des connaissances, pour les partisans de la participation, n’est pas l’administration publique, mais les citoyens. Cette évolution confère un rôle déterminant aux préférences et aux appréciations des citoyens et à leur vision des problèmes. L’administrateur, pour reprendre les paroles de McSwite, cessera d’être « un homme de raison » qui est bien informé et donne des conseils ou prend les décisions qui s’imposent sur les questions de fond. Son nouveau rôle, en tant qu’initiateur, facilitateur et modérateur du dialogue, a des conséquences sur le développement et l’utilisation de l’expertise de l’administrateur. Compte tenu du nouveau rôle, plus procédural, l’administrateur possédant des connaissances spécialisées sur la question discutée pourra se sentir obligé de tenir pour lui son avis d’expert. Son influence en tant que modérateur risque d’être mise à mal lorsqu’il commencera à injecter son expertise dans le débat. Ces actions pourraient avoir pour conséquence de passer à côté d’informations pertinentes pour une élaboration rationnelle des politiques. Ce phénomène est similaire à la fuite d’expertise observée dans le sillage des mesures de privatisation et d’agencification (Haque, 2001).
36Une évolution vers un processus participatif qui facilite l’administration publique pourrait aussi supposer que dans le recrutement, les connaissances de ce domaine et les compétences dans celui-ci seraient particulièrement importantes. Le type classique d’expérience qui serait développée dans ce cadre porterait aussi sur l’initiation, l’organisation et la modération de processus délibératifs avec les citoyens. Si l’on considère cela comme un compromis, une partie considérable de l’expertise sur les questions abordées dans l’administration publique diminue forcément.
Le virage participatif et la routinisation
37Les partisans de la participation présentent les administrateurs publics comme des professionnels qui lancent, facilitent et appuient les processus délibératifs. Ces processus sont présentés comme des processus ouverts et créatifs. Conformément à l’analyse de Weber, cependant, il convient de tenir compte de la possibilité de voir apparaître des formalités, des bureaucraties et des routines dans ce domaine. En outre, dans le processus de communication, les modérateurs et les facilitateurs ont tendance à développer des routines (à l’image des sages-femmes — la métaphore préférée de plusieurs partisans du virage participatif). Le développement de routines est, conformément à l’analyse faite par Weber de la rationalité, un élément logique du professionnalisme. Le professionnel rationnel recherche des éléments causaux et s’en sert pour structurer son travail.
38Les partisans eux-mêmes avancent une autre raison pour expliquer la tendance pour les routines et les formalisations à se développer dans ce domaine. Les administrateurs, dans leur fonction de facilitateurs et de modérateurs, doivent veiller à ce que les dialogues soient authentiques, à ce que les plus démunis soient entendus et à ce que les intérêts communs soient défendus. Comme dans tous les domaines du gouvernement, la réglementation doit être invoquée pour ce faire (Stivers, 2008 : 110).
39Cependant, la « pétrification » des « champs d’énergie », du dialogue ou du discours a peu de chances de s’arrêter aux routines et à la réglementation du côté des administrateurs publics. Les études sur la participation des organisations clientes des hôpitaux et les fondations de logement social indiquent que les dispositifs participatifs sont susceptibles de créer de nouvelles bureaucraties, à savoir des organisations professionnelles qui représentent les clients. Un débat (et des négociations) sérieux sur les questions sérieuses exige du temps, de l’expertise et une implication, des aspects dans lesquels seuls certains citoyens ordinaires semblent vouloir ou pouvoir s’investir. Ceux qui deviennent effectivement des représentants se transforment en professionnels spécialisés (titulaires) au fil du temps (Trappenburg, 2008). Il n’y a aucune raison de penser que cette évolution ne va pas se faire dans l’élaboration des politiques publiques, et c’est d’ailleurs ce qui pousse Weber à insister sur le fait que la complexité de la vie moderne nécessite une organisation bureaucratique (Weber, 1921/1988).
40En somme, toutes ces évolutions ne feront pas des nouveaux dispositifs participatifs des espaces ouverts, propices à une participation créative et inspirante, qui attire les citoyens enthousiastes, comme l’auraient souhaité leurs partisans. Elles donneront probablement lieu à des procédures structurées de manière exagérée, qui seront régulièrement annoncées et auxquelles des groupes de citoyens choisis seront régulièrement invités. L’intérêt populaire en eux connaîtra le même sort que celui qu’ont connu les dispositifs représentatifs.
Le virage participatif et le pouvoir bureaucratique
41Le prisme de Weber fait ressortir d’autres questions que les partisans — ou certains d’entre eux eu du moins — ignorent, mais qui risquent d’avoir des conséquences sur les résultats et les possibilités de débat citoyen. Elles concernent l’observation selon laquelle les bureaucraties ne sont pas des instruments neutres, mais des agences dotées d’un pouvoir et d’intérêts propres.
42Lorsque l’on s’intéresse aux effets possibles du virage participatif pour la bureaucratie, il semble probable que le pouvoir de la bureaucratie va se renforcer. Deux facteurs expliquent ce renforcement. D’une part, les dispositifs participatifs passent par des règles texturées plus transparentes, ce qui suppose un pouvoir discrétionnaire accru pour l’administration. Dans l’organisation, la facilitation et la modération du dialogue, les administrateurs ne manquent pas de possibilités d’influer sur le cours des événements. Dans la communication — comme le savent les enseignants, les médiateurs et les modérateurs —, l’issue dépend en grande partie du modérateur. (L’analogie avec la sage-femme est peu judicieuse ici. En maïeutique, le mode d’accouchement peut faire varier l’enfant qui finira par naître.) Nous avons déjà indiqué plus haut que les intentions dans la direction du dialogue pouvaient varier. Catlaw (2007) laisse entendre que le modérateur du dialogue civique est chargé de veiller à ce que le résultat soit dans l’intérêt des plus démunis — en d’autres termes, le modérateur détermine qui sont les plus démunis et ce qui est considéré comme un intérêt (suffisant). Forester indique que différentes approches existent en matière de dialogue : il y a le dialogue, le débat et la négociation. Chaque approche a sa place et ses résultats propres (Forester, 2009 : 6-7). Le médiateur décide quelle attitude adopter dans chaque cas. Fox et Miller soutiennent que le discours doit être surveillé par des justifications ou des règles habermassiennes. Les contributions au débat doivent, par exemple, être en rapport avec la question examinée (Fox et Miller, 1995 : 13, 118). La « surveillance du discours » (Fox et Miller, 1995 : 126) ne passe-t-elle pas, au final, par un modérateur qui, en cas de conflits, détermine la pertinence des contributions (à savoir, la manière dont les justifications doivent être interprétées) ?
43L’analyse de Weber fait ressortir le fait que les bureaucraties gouvernementales ont inévitablement leurs intérêts propres. Ces bureaucraties doivent afficher des résultats, et elles préfèrent la continuité. Il est très probable que ces considérations aient un impact sur (une série de) processus délibératifs. Les recherches existantes confirment l’idée que dans les procédures de consultation, les considérations techniques des administrateurs ont elles aussi leur importance (De Vries, 2000).
44Autre facteur qui explique la probabilité que le pouvoir de la bureaucratie se renforce : l’affaiblissement de la position des compétences compensatoires (potentielles) par rapport à la bureaucratie. Pour Weber, le Parlement était le pouvoir compensatoire logique de la bureaucratie. Pourtant, dans le cadre du virage participatif, le Parlement risque de se détacher encore plus des citoyens et, partant, de perdre sa légitimité et son influence. Les nouveaux dispositifs ne possèdent eux-mêmes guère l’expertise et l’expérience nécessaires pour combler le vide que le Parlement laisse derrière lui.
Réexamen des arguments en faveur du virage participatif
45Pour conclure, nous allons revenir sur les quatre types d’arguments que l’on retrouve dans les écrits des partisans du virage participatif. Les commentaires qui suivent sont le résultat des observations et autres considérations que nous avons rassemblées dans le cadre de notre analyse au travers du prisme wébérien.
L’argument lié à la baisse de la légitimité
46Les nouveaux mécanismes participatifs ont été présentés comme un moyen de remédier aux déficits (croissants) dans la légitimité du modèle représentatif de démocratie. L’analyse de Weber présente néanmoins des raisons de douter de l’efficacité de cette solution. Premièrement, les dispositifs alternatifs risquent de créer une distance encore plus grande entre les organes représentatifs et les citoyens. Le fonctionnement et, dès lors, la légitimité du modèle représentatif pourraient alors être encore plus mis à mal. Cette observation nous oblige à nous montrer prudents dans l’introduction et la mise en œuvre de nouveaux dispositifs de participation directe. Deuxièmement, les mécanismes proprement dits risquent de subir facilement les mêmes types de menaces que celles rencontrées par le modèle représentatif de démocratie. Les partisans de la participation directe n’ont pas pris en considération le fait que les mécanismes qui compromettent le modèle représentatif de démocratie peuvent aussi avoir des conséquences sur leurs propres dispositifs.
47Notre troisième commentaire se base sur l’observation selon laquelle dans les arguments en faveur du virage participatif, la légitimité est en grande partie assimilée à la légitimité démocratique. Cette plongée dans les travaux de Weber a toutefois fait ressortir d’autres avantages pour le gouvernement, à savoir la prévisibilité de l’administration et des politiques basées sur des connaissances. Dans les arguments en faveur de la prévisibilité de la participation et l’importance, étroitement liés, de l’égalité de traitement, une zone d’ombre subsiste. Par ailleurs, les effets des dispositifs participatifs risquent d’avoir une influence négative sur la réalisation de ces avantages. Il est par conséquent loin d’être certain qu’un virage participatif renforcera la légitimité administrative.
L’argument lié à la fragmentation sociétale
48Les partisans du virage participatif soutiennent que la participation civique dans le dialogue est la meilleure réponse à la fragmentation sociale et au pluralisme de valeurs contemporains. L’interprétation fondamentale de Weber concernant la fragmentation de la société et de la sphère de valeurs est assez similaire à celle de ces partisans. En outre, sa réponse, pourrait-on dire, suppose aussi une communication. Il met par ailleurs l’accent sur la communication non pas en termes de dialogue et de débats, mais en termes de discours convaincants, voire démagogiques, émanant des leaders démocratiques. Weber prend très au sérieux la diversité des valeurs et le contexte politique fait de conflits dans lequel les partisans des avantages s’affronteront mutuellement. Le « pouvoir irréfutable du meilleur argument » — l’idée que les partisans tirent d’Habermas — ne sera peut-être pas suffisant pour rassembler les esprits. Weber estime que le leadership joue un rôle indispensable dans le processus décisionnel démocratique, un leadership qui n’existe pas dans l’autre vision. Son point de vue n’est sans doute pas global non plus, mais il fait encore une fois ressortir une forme de partialité dans le point de vue des partisans [5].
49Ce n’est guère l’endroit pour se plonger dans les idées d’Habermas. Cependant, étant donné que bon nombre de partisans du virage participatif évoquent ces idées, une remarque s’impose ici. Ces partisans font pour la plupart référence à la théorie de l’action communicative d’Habermas, par exemple, pour définir les règles du discours authentique (Habermas, 1986, 1989). Dans son ouvrage ultérieur, Entre faits et normes (1996), Habermas développe sa théorie de l’action communicative pour en faire une théorie de l’État, en reliant le discours à l’état de droit et à la démocratie. Remarquons que cet ouvrage ne contient pas d’arguments forts en faveur d’un virage participatif. Vers la fin du livre, on peut lire une remarque qui laisse entendre que l’on pourrait mettre en place une interaction directe entre les citoyens et l’administration dans le cadre de l’élaboration des politiques. Il appelle cela la « démocratisation de l’administration » (1996 : 440) (favorablement cité par (Breen, 2012 : 81 ; Kelly, 2004 : 7)). Cependant, dans le reste d’Entre faits et normes, Habermas avance des arguments clairement contre la démocratie directe. Cette forme de démocratie, soutient-il, est en désaccord avec le développement d’une « volonté générale » globale (Habermas, 1996 : 298). Le Rechtsstaat démocratique suppose des garanties individuelles, par exemple, de la liberté d’expression et un « système d’écluses » — y compris des élections générales — qui relie l’opinion publique au Parlement (Habermas, 1996 : 354-8). En somme, Habermas est moins favorable aux partisans de la participation directe que ceux-ci ne le pensent. (Habermas, 1996 : 356/7 ; Scheuerman, 1999).
L’argument épistémologique
50Le troisième argument en faveur du virage participatif soutient que la participation civique directe se traduit par de meilleures politiques. Cette affirmation s’appuie sur trois considérations épistémologiques. Weber ne conteste pas la dérive générale de ces trois arguments. Il pense aussi que pour véritablement comprendre les phénomènes sociaux, il convient de prendre en considération les implications de ces phénomènes pour la population (pour sa “verstehende Soziologie”, voir : Weber, 1922/1972 : section 1 ; 1922/1988 : 427 ff) ; il fait également observer que les connaissances contiennent des aspects de cela qui sont importants. Les sciences médicales, par exemple, visent à assurer la survie et à la bonne santé (Weber, 1922/1988 : 599-600). Il reconnaît cependant que pour les questions sociétales, il est impossible d’avoir le type de connaissances de type juridiques qui existent dans les sciences naturelles (Weber, 1922/1972). Pour Weber, cependant, ces considérations ne mènent pas à un type de recherche (ou d’élaboration des politiques bien informée pour cette question) qui cherche à intégrer les citoyens dans le processus de délibération. Elles exigent cependant que l’on fasse preuve de prudence : les conséquences qu’ont ces phénomènes pour la population doivent être prises en considération ; cependant, ces conséquences ne constituent en soi pas encore une explication complète de ces phénomènes (Weber, 1922/1988 : 427ff). Les experts doivent par ailleurs connaître les limites de ce que peuvent apporter leurs connaissances et se montrer honnêtes dans ce cadre (Weber, 1922/1988 : 601). La perspective wébérienne en matière de connaissances nous donne par conséquent des raisons de douter que les considérations épistémologiques requièrent en soi une participation citoyenne directe générale dans l’élaboration des politiques. Dans certains cas, trouver les meilleures solutions stratégiques nécessite une vaste consultation (sous n’importe quelle forme) ; cependant, cela nécessite aussi l’apport de connaissances spécialisées. En se focalisant sur le débat civique, on oublie parfois l’importance d’autres types de ressources pertinentes dans l’élaboration des politiques.
L’argument lié à l’instrumentalité
51Le dernier argument en faveur du virage participatif est que l’efficacité, dans laquelle la bureaucratie joue un rôle important, est déterminante dans l’élaboration des politiques. Cet effet est reconnaissable sous l’angle wébérien. L’accent mis sur la rationalité instrumentale dans le cadre de la modernité exprime la volonté de réalisation efficace et effective des objectifs. Deux observations complémentaires s’imposent cependant. Premièrement, dans le cadre de Weber, cette volonté de réalisation efficace et effective des objectifs dans la bureaucratie est étroitement liée à la liberté individuelle. Dans un monde rationalisé (instrumentalement), des individus aux valeurs et aux objectifs différents savent ce qu’ils peuvent attendre du gouvernement.
52Weber considère aussi que l’instrumetalité a ses inconvénients, à savoir la routinisation et la formalisation. Il considère que les effets déplorables de l’instrumentalité accompagnent toute action rationnelle ou professionnelle, ce qui suppose que l’on doit aussi s’attendre à de telles conséquences dans les dispositifs de délibération publique. Les mesures qui ont été imaginées pour libérer les Hommes deviendront alors elles aussi « pétrifiées » dans le cadre du développement de l’expertise bureaucratique et des règles et routines dans ce domaine. Conformément à l’analyse de Weber, on peut s’attendre à ce que les dispositifs de délibération civique ne constitueront pas, avec le temps, des rassemblements populaires de citoyens aptes à délibérer librement, mais bien un niveau supplémentaire de bureaucratie. Les citoyens inquiets et mécontents auraient donc tout intérêt à simplement faire valoir leurs droits de pétition et de manifestation (propres à l’ancien modèle) pour influencer les agents (élus) (Walzer, 1999).
Conclusion
53Les partisans d’un virage participatif plaident pour une cause qui est entourée d’un halo de bienveillance (donner à la population la possibilité de s’exprimer dans l’élaboration des politiques). Le tour d’horizon des arguments des partisans confirme assurément l’idée selon laquelle l’élaboration des politiques avec la participation des citoyens et des administrateurs est la solution à bon nombre de problèmes. Lorsqu’on regarde cette proposition de plus près, cependant, au travers d’un prisme wébérien, on se rend compte que la prudence s’impose. L’introduction de dispositifs participatifs dans l’élaboration des politiques est parfois moins fonctionnelle, et peut même avoir des conséquences qui renforcent les problèmes qu’ils sont censés atténuer. Le prisme de Weber fait ressortir les zones d’ombre dans les arguments.
54Bien sûr, l’analyse faite par Weber de la bureaucratisation peut présenter des zones d’ombre en soi. L’un des points forts de cette perspective concerne cependant le fait qu’elle a conscience de la double face des développements dans la société moderne (see De Valk, 1980 on paradoxes of modernity in Weber). De fait, son analyse de la bureaucratisation se compose de deux développements jumeaux de ce type : premièrement, la réalisation de l’importance de la prévisibilité et du risque de routinisation et, deuxièmement, l’importance d’une élaboration des politiques et de ses pendants basée sur la connaissance et le risque de formalisation du pouvoir bureaucratique. Weber a essayé de trouver un juste équilibre, par exemple, dans ses propositions en faveur d’un Parlement suffisamment équipé. Pour les partisans des dispositifs délibératifs, des mesures complémentaires s’imposent pour atteindre cette situation d’équilibre.
55La conclusion pour les praticiens est que les mécanismes participatifs directs ne sont pas la panacée pour les multiples problèmes, contrairement à ce qui est souvent dit. L’analyse de la question à travers le prisme wébérien nous amène à inviter ceux qui envisagent d’introduire ces mécanismes à faire preuve de prudence. Ces mécanismes peuvent se traduire par un affaiblissement de la prévisibilité et de l’imputabilité de l’administration publique, par une baisse (considérable) de l’expertise au sein de l’État, ainsi que par un mécontentement général à l’égard de mécanismes qui ne produisent pas les résultats attendus par les citoyens. Une participation plus directe a par conséquent tendance à aggraver les problèmes qu’elle était censée résoudre.
Bibliographie
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Mots-clés éditeurs : théorie administrative, participation citoyenne, administration et démocratie, élaboration des politiques
Mise en ligne 29/09/2015
https://doi.org/10.3917/risa.813.0621Notes
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Berry Tholen, Université Radboud, Nimègue (Pays-Bas). Courriel : b.tholen@fm.ru.nl. Traduction de l’article paru en anglais sous le titre : “Citizen Participation and Bureaucratization. The Participatory Turn seen through a Weberian Lens”.
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Parlament und Regierung im neugeordneten Deutschland (Le parlement et le gouvernement dans une Allemagne réorganisée) a d’abord été publié sous forme d’une série d’articles dans le Frankfurter Zeitung (1917). Wahlrecht und Demokratie in Deutschland (Droit de vote et démocratie en Allemagne) a été publié sous forme de brochure la même année. Ces deux ouvrages se retrouvent dans les recueils de textes politiques de Weber.
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Dans ses derniers écrits politiques, Weber se montre très critique à l’égard du Parlement et est partisan d’un leadership personnel marqué en politique. C’est ce qui a amené certains commentateurs à présenter Weber comme quelqu’un d’intolérant, d’antidémocratique et même comme ayant jeté les bases du fascisme (Aron 1967 : 253, Mommsen 1974 : 398, 411). Ces qualificatifs ne sont toutefois pas défendables si l’on tient compte de l’ensemble de l’œuvre de Weber. Son enthousiasme pour le leadership personnel était pondéré, par exemple, par son appel lancé au Parlement afin qu’il résiste au développement des « tendances césaristes » (Weber 1921/1988 : 392, 395. Voir également Beetham 1985 : 43, 88 ; Breen 2012 : 16 ; Whimster 2007 ; 24).
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Nous ne voulons pas dire ici que Weber a fermé les yeux sur ses propres recommandations destinées au scientifique honnête, qui ne doit pas revendiquer une quelconque autorité dans le domaine des valeurs. Le présupposé de base, cependant, concerne le fait que les écrits politiques et les études sociologiques partagent un même contexte normatif. Pour un point de vue similaire, voir également Mommsen (1974 : ch 1) ; Beetham (1985 : ch 1 and 9) ; Lassman (2000 : 87) ; De Valk (1980 : 218). Dans le présent article, nous adoptons en effet la même approche herméneutique que celle de Beetham et De Valk, qui consiste à considérer l’ensemble des écrits de Weber comme cohérents dans ce contexte.
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On pourrait avancer que les cadres normatifs de base d’Habermas comme de Weber trouvent leur inspiration dans la philosophie pratique d’Emmanuel Kant (1798/1998). Chacun se concentre toutefois sur un aspect différent de cette philosophie. Habermas développe la règle kantienne de l’universalisation telle qu’exprimée dans l’Impératif catégorique. Weber s’appuie sur l’idée de Kant du Menschenwürde et de l’autonomie individuelle.