Notes
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[1]
Gijs Jan Brandsma travaille à l’Utrecht School of Governance, Université d’Utrecht, Pays-Bas. Courriel : g.j.brandsma@uu.nl.
Traduction de l’article paru en anglais sous le titre : « The effect of information on oversight : the European Parliament’s response to increasing information on comitology decision-making ». -
[2]
Règlement du Parlement européen, article 88.
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[3]
Ibidem.
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[4]
Règlement du Parlement européen, article 103.
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[5]
Il est important de noter que toute commission parlementaire peut se prononcer sur une résolution « normale », contrairement aux résolutions relevant du DR et de la PRC, qui doivent être adoptées par la commission qui était responsable de la rédaction de l’acte initial adopté en codécision.
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[6]
Journal officiel des Communautés européennes (2000), L 256/19
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[7]
Affaire Rothmans, Tribunal de première instance T-188/97.
-
[8]
Journal officiel des Communautés européennes (2008), C 143/1.
Introduction
1Le Parlement européen, comme tout autre parlement, a besoin d’informations pour pouvoir fonctionner. Pour assurer sa fonction législative, des informations spécialisées sont indispensables pour permettre aux députés de prendre des décisions avisées en ce qui concerne l’efficacité de l’une ou l’autre politique. Pour assurer leur fonction de supervision et de responsabilisation de l’exécutif, les députés ont besoin d’informations qui leur permettent de repérer les manœuvres politiques peu scrupuleuses. Même si, d’une manière générale, les informations sur les décisions de l’exécutif sont d’une importance capitale pour les parlements, la pertinence des différents types d’information varie selon le type de contrôle qui est exercé. Du point de vue de l’équilibre des pouvoirs, par exemple, des informations s’imposent qui indiquent si oui ou non l’exécutif a outrepassé son pouvoir d’appréciation défini dans la législation. Du point de vue du contrôle populaire, en revanche, ce sont des informations sur les ressources et les résultats des processus décisionnels de l’exécutif qui s’imposent, afin de permettre au législateur d’apprécier les préférences qui ont effectivement été traduites ou non en politiques et comment. Enfin, le point de vue de l’apprentissage exige essentiellement des informations évaluatives pour permettre au législateur de tirer des leçons des événements passés (Bovens et al., 2008).
2Dans une grande partie de la littérature sur la transparence et l’imputabilité gouvernementales en général, un « lien automatique » est supposé entre de transparence, ou plutôt disponibilité de l’information, et imputabilité (Naurin, 2007). L’on part du principe que le simple fait qu’un mandant soit informé du comportement d’un mandataire amène ce dernier à agir de manière plus conforme aux préférences du premier — que ce soit parce que le mandataire anticipe la réaction du mandant, ou parce que celui-ci réagit effectivement aux informations qu’il reçoit (par ex. Huber, 2000 ; Strøm, 2000 ; Lane, 2005 ; Lupia, 2006). Les informations sont par conséquent quelque chose dont les parlements ont toujours soif. Même si la mise à disposition d’un nombre accru d’informations ne rend pas forcément l’État plus responsable en soi, les informations contiennent bel et bien les signaux auxquels les parlements réagissent. Le traitement de l’information est donc une condition préalable importante pour évaluer le travail de l’État et lancer le processus d’imputabilité (Bovens, 2007 ; Naurin, 2007).
3À cet égard, cependant, on sait peu de choses sur la façon dont le Parlement européen traite l’information. Les études qui existent s’intéressent essentiellement à cette question non seulement en des termes abstraits, dans le cadre d’une notion plus large de supervision, mais aussi sur le plan des parlements nationaux d’Europe occidentale et américains (par ex. McCubbins et Schwartz, 1984 ; Saalfeld, 2000). Ce constat est surprenant compte tenu de l’importance de l’imputabilité en ce qui concerne la formulation des politiques de l’Union européenne (par ex. Gustavsson et al., 2009 ; Bovens et al., 2010 ; Papadopoulos, 2010). Ces dernières années, l’éventail d’instruments mis à la disposition du Parlement européen pour rendre la Commission comptable de ses actes s’est étendu (Bovens et al., 2010). Ces instruments ne peuvent cependant libérer leur plein potentiel que si suffisamment d’informations sont fournies et si ces informations sont effectivement traitées.
4À cet égard, il faut aussi se souvenir que le Parlement européen n’est pas vraiment comparable aux parlements nationaux en Europe. Tous les systèmes parlementaires démocratiques occidentaux disposent de systèmes bien établis d’interaction avec l’exécutif, qui sont coordonnés par les partis politiques (Saalfeld, 2000), faisant du contrôle de l’exécutif une question de politique partisane dans une large mesure (Peters, 2009). Le fonctionnement de l’Union européenne s’écarte cependant du modèle standard. Même si les compétences législatives de l’Union européenne sont partagées entre le Parlement européen et le Conseil des ministres, seul le premier dispose d’un pouvoir de contrôle. De même, il se compose de partis et de groupes de partis transnationaux qui ne soutiennent pas la Commission au moyen d’une coalition permanente de partis. Cela signifie que des majorités doivent se mettre en place pour accepter les amendements à la législation proposée, mais aussi pour approuver le budget ou pour s’opposer à des mesures exécutives adoptées par la Commission.
5Dans cet article, nous nous intéressons au traitement de l’information par le Parlement européen. Et plus précisément aux informations sur la comitologie : un processus décisionnel exécutif, agissant sous les auspices de la Commission, qui traite environ 60 % des mesures exécutives européennes et pour lequel le Parlement européen a mené une longue bataille institutionnelle en vue d’obtenir des droits d’information et de contrôle (Brandsma 2010). Cela signifie que la comitologie n’est pas « juste » un autre mode de gouvernance, mais en réalité le principal processus décisionnel lorsqu’il s’agit d’adopter des mesures exécutives. Comment le Parlement européen traite-t-il les informations sur la comitologie dans le cadre de sa volonté de rendre la Commission responsable de ses actes ? Voilà la question au centre de notre article.
6Notre analyse se divise en deux parties. Après une brève présentation de la comitologie et de la position du PE à son égard, nous présentons, dans la première partie de l’analyse, la façon dont ont évolué les pouvoirs de contrôle et les droits d’information du Parlement en ce qui concerne la comitologie. Dans la seconde partie, nous analysons, sur la base d’entretiens réalisés avec le personnel du PE (à qui la tâche consistant à traiter l’information est déléguée), la façon dont le PE gère en interne le flux d’informations sur la comitologie. Nous verrons que même si le PE s’est autrefois efforcé sans relâche d’obtenir davantage d’informations en vue de l’aider à prendre des mesures politiques, les informations n’ont que peu modifié le cours des choses dans la pratique.
La comitologie et le Parlement européen
7Le PE s’avère très désireux de contrôler les mesures exécutives qui sont adoptées par la Commission. Les actes exécutifs ont évidemment une portée moins grande que la législation, mais ils contiennent l’ensemble des dispositions qui seront ensuite appliquées et auront un impact sur la vie des citoyens et les perspectives des entreprises à l’échelle de la Communauté.
8Depuis les années 90, plusieurs mesures ont été prises pour renforcer la transparence de la Commission vis-à-vis du grand public (Lodge, 1994 ; Peterson, 1995 ; Hix, 1998 ; Brandsma et al., 2008). Parallèlement à cela, le PE a mené une longue bataille pour pouvoir accéder aux documents de la Commission et contrôler ses activités exécutives. Cette bataille était particulièrement visible dans le domaine de la comitologie (Türk, 2003 ; Bradley, 2008). La comitologie désigne un ensemble de 250 comités environ, qui sont présidés par la Commission et composés de fonctionnaires des États membres, qui examinent des mesures exécutives et se prononcent sur leur sort. Environ la moitié des décisions exécutives, des directives et des règlements sont adoptés en comitologie, et cette procédure s’applique également à de nombreuses mesures exécutives qui prennent une forme différente, comme les programmes de travail annuels. Au total, la comitologie produit entre 2000 et 2500 mesures exécutives par an (Brandsma, 2010), ce qui en fait le principal outil de gouvernance exécutive au sein de l’Union européenne.
9La pratique consistant à établir des comités de comitologie existe depuis les premières années de l’intégration européenne : les États membres craignaient en effet de perdre le contrôle de la mise en œuvre des politiques en déléguant cette fonction à la Commission. Étant donné que seuls des fonctionnaires des États membres sont représentés dans les comités, la compétence du PE a pendant longtemps été une question contestée. À travers l’histoire, le PE n’a jamais cessé de s’opposer à la comitologie, pour deux raisons essentiellement. La première est que le Parlement souhaite être sur un pied d’égalité avec le Conseil (Bergström, 2005 ; Bradley, 2008 ; Neuhold, 2008). Le Conseil et le PE sont des co-législateurs, mais la participation aux comités de comitologie est exclusivement réservée à des représentants des États membres. Cette structure a amené le PE à craindre que la Commission et les États membres ne soient en mesure de prendre des décisions politiquement importantes dans le cadre de mesures d’exécution plutôt que dans la législation normale, contournant ainsi le PE (Bergström, 2005).
10La seconde raison est que, pour le PE, la comitologie fragilise son pouvoir de contrôle de l’exécutif. Comme tout parlement, le PE est chargé de contrôler l’exécutif. Ses liens formels avec l’exécutif concernent cependant essentiellement la Commission, en tant qu’institution. Le Parlement estime qu’il doit être en mesure de contrôler l’ensemble de l’exécutif, y compris la comitologie (Neuhold, 2008). La Commission a néanmoins pendant longtemps été d’avis que les décisions prises en comitologie ne devaient pas faire l’objet d’un contrôle parlementaire, dans la mesure où les comités se composent de représentants des États membres et sont présidés par la seule Commission. Jusqu’à ce que la Cour de justice en décide autrement en 1997, la Commission a invoqué cet argument pour éviter que les travaux des comités ne soient accessibles au public et au PE (Brandsma et al. 2008).
11Ces deux raisons sont au cœur de plus de quarante ans de querelles interinstitutionnelles au sujet de la position du Parlement par rapport à la comitologie. C’est en bloquant stratégiquement le processus législatif, en limitant la validité de certains textes de loi (et, partant, en limitant aussi la possibilité de mettre en œuvre des mesures via la comitologie) à un certain nombre d’années (ce qu’on appelle les « sunset clauses », ces clauses de temporisation) et en bloquant parfois même certains volets du budget de la Commission qu’il est parvenu à développer son pouvoir de contrôle et ses droits d’information en matière de comitologie (Bradley, 2008). C’est la preuve que le PE est loin d’être indifférent à cette question, et l’on peut dès lors penser que le renforcement des droits d’information et du pouvoir de contrôle du Parlement a suscité des changements dans son organisation. Mais avant d’examiner cette question de plus près, il importe de commencer par souligner quelles sont les compétences effectives du Parlement et quelles sont celles qu’il a acquises ces dernières années.
Le pouvoir de contrôle du Parlement européen
12Lorsque le PE souhaite agir à l’encontre d’une question de comitologie, il a le choix entre plusieurs options. Deux de celles-ci concernent des droits spéciaux dont jouit le PE dans le cadre de la seule comitologie, et deux autres concernent des droits génériques dont a toujours joui le PE.
Le droit de regard (DR)
13Ce droit a été introduit dans la décision de 1999 sur le fonctionnement du système de comitologie ; il permet au Parlement de s’opposer à un projet de mesure lorsque la mesure proposée outrepasse le pouvoir de mise en œuvre prévu dans l’instrument de base. Le droit de regard ne s’applique que lorsque le projet de mesure se base sur un acte adopté en codécision. Le Parlement peut exprimer son opposition dans un délai d’un mois suivant la réception du projet de mesure et il le fait au moyen d’une résolution non contraignante. Sauf circonstances tout à fait exceptionnelles, la commission parlementaire compétente doit d’abord se prononcer sur cette résolution. Celle-ci est ensuite soumise au vote de la plénière, qui doit l’adopter à la majorité absolue. [2]
14Les conditions de recours à ce droit sont par conséquent très restrictives. Le droit de regard ne prévoit qu’un motif d’objection possible, qui est extrêmement restrictif, et la majorité s’impose au sein de la commission du PE compétente comme dans le cadre de la plénière, alors que le PE ne se réunit en plénière qu’une fois par mois.
La procédure de réglementation avec contrôle (PRC) et l’opposition aux actes délégués
15La procédure de réglementation avec contrôle a été adoptée en 2006, même si elle s’appuie sur un privilège particulier dont jouit le PE depuis 2003 dans le domaine des services financiers. À l’instar du droit de regard, la procédure de réglementation avec contrôle permet au PE de s’opposer à un projet de mesure. Cette opposition a néanmoins bel et bien des effets contraignants et elle peut s’appuyer sur des raisons autres que l’abus de pouvoir. Le Parlement peut aussi élever une objection au motif qu’un projet de mesure n’est pas compatible avec l’objectif ou le contenu de l’acte initial adopté en codécision, ou qu’il ne respecte pas les principes de subsidiarité ou de proportionnalité. Suite à l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, cette procédure va progressivement être remplacée par la procédure des actes délégués prévue dans ce même traité, qui offre au PE des motifs d’objection illimités, de même que la possibilité de revenir sur la délégation de certaines compétences à la Commission. Un autre changement concerne le fait que les comités de comitologie concernés deviennent des groupes d’experts composés d’administrateurs nationaux, ce qui signifie qu’ils perdent leur droit de vote (Brandsma et Blom-Hansen, 2011).
16Les résolutions liées aux objections suivent le même parcours : elles doivent d’abord être acceptées par la commission parlementaire compétente avant de pouvoir être adoptées en plénière. Dans le cadre du système de PRC, le Parlement a trois mois pour exprimer son objection en plénière, contre un mois seulement dans le cadre de son droit de regard. Encore une fois, ce droit ne s’applique que lorsque le projet de mesure se base sur un acte adopté en codécision qui précise que le Parlement peut faire usage de ces compétences. [3] Dans le cadre de la nouvelle procédure des actes délégués, le délai est passé à deux mois, auquel s’ajoute un mois supplémentaire lorsque le Parlement annonce entre temps qu’il envisage d’adopter une résolution (Brandsma et Blom-Hansen, 2011).
17En règle générale, la procédure de PRC s’applique lorsque les actes d’exécution obtenus peuvent modifier ou étoffer ce qu’on appelle les « éléments non essentiels » des actes initiaux adoptés en codécision (à savoir les annexes). Étant donné que le traité de Lisbonne modifie le fondement juridique du processus décisionnel exécutif de la Commission, l’on ignore encore au juste à quels cas supplémentaires le nouveau système des actes délégués va s’appliquer.
18Les deux droits mentionnés plus haut ne peuvent pas être utilisés de manière générique. La question de savoir lequel de ces deux droits spéciaux s’applique doit être négociée entre le Conseil et le Parlement lorsque l’acte législatif initial est adopté. À côté du droit de regard et de la PRC, cependant, le PE peut aussi recourir à deux autres lignes d’action qu’il peut toujours utiliser à sa guise, soit en dehors des deux lignes d’action mentionnées plus haut, soit en plus de celles-ci.
Le droit de faire des déclarations
19Le PE peut toujours adopter des résolutions en vue de faire des déclarations politiques. Celles-ci doivent suivre le même parcours que les résolutions mentionnées plus haut : passer des députés à la plénière en passant par une commission. [4] [5] Ces résolutions ne sont aucunement contraignantes pour les autres institutions, mais elles convoitent un message politique fort, qui peut tout de même avoir de l’influence.
20Un exemple parlant concerne la décision de la Commission d’inscrire les scanneurs corporels sur la liste des mesures de sécurité autorisées dans les aéroports. La commission des transports du PE a décidé de ne pas s’opposer formellement à cette mesure, mais la commission des libertés civiles a rédigé une déclaration contre l’utilisation des scanneurs corporels, qui a été acceptée en tant que résolution en plénière. La Commission a pris ce message en considération et a décidé de retirer les scanneurs corporels de la liste (Hardacre et Damen, 2009).
La négociation
21Étant donné que les commissions parlementaires s’occupent (essentiellement) de propositions législatives, elles peuvent exprimer leur mécontentement dans le cadre de négociations législatives avec les autres institutions sur des questions connexes. Compte tenu du nombre de textes de loi qui doivent être réexaminés après un certain nombre d’années, les autres institutions peuvent s’attendre à ce que le PE renforce ses exigences à l’avenir s’il n’est pas satisfait des mesures d’exécution adoptées. Dans le même ordre d’idées, les commissions parlementaires peuvent aussi menacer de rédiger une résolution et de rallier des appuis dans le cadre du système de PRC lorsque la Commission n’a pas pris d’autres engagements dans des dossiers connexes.
22Toutes ces options ont en commun le fait que le contrôle est effectivement exercé au niveau des commissions parlementaires. Même si les résolutions doivent passer par la plénière, l’initiative proprement dite consistant à prendre ces mesures vient normalement des commissions, qui, comme nous allons le voir de plus près dans la partie qui suit, sont aussi les principaux acteurs dans le régime d’information du Parlement en matière de comitologie.
Les droits d’information du Parlement européen
23L’obtention par le Parlement, à partir de 1999, d’un renforcement de ses droits de contrôle a également nécessité la conclusion d’accords de travail entre le Parlement et la Commission sur le processus de transmission de documents. La décision Comitologie de 1999 indiquait déjà quels documents le PE était habilité à recevoir pour lui permettre d’exercer son droit de regard, mais elle ne précisait pas les conditions et les procédures dans le cadre desquelles ces documents devaient être transmis.
24C’est ce qui a amené le Parlement et la Commission à conclure un accord bilatéral en octobre 2000 [6] — plus d’un an après l’entrée en vigueur de la décision Comitologie de 1999. Cet accord répète la décision de 1999, en mentionnant que le Parlement reçoit les projets d’ordre du jour, les résultats des votes, les listes des autorités auxquelles appartiennent les représentants des États membres, les comptes rendus sommaires des réunions des comités et les projets de mesures d’exécution qui sont soumis aux comités lorsque ceux-ci se basent sur un acte visé par la codécision. Selon cet accord bilatéral, le Parlement reçoit ces documents en même temps que les membres des comités et dans les mêmes conditions. Les versions détaillées des procès-verbaux des comités ne devaient cependant pas être transmises au PE. Toutefois, au titre d’un arrêt de la Cour prononcé quelques années plus tôt, le Parlement peut demander l’accès à ces procès-verbaux ainsi qu’aux projets de mesures d’exécution qui ne s’appuient pas sur un acte adopté en codécision. [7] Étant donné que le PE n’a aucun droit de contrôle dans les domaines concernés, ces documents ne pouvaient être demandés qu’à des fins d’information. La Commission s’engageait aussi à transmettre ces documents par voie électronique dès que les conditions techniques seraient réunies à cet effet.
25En ce qui concerne les mesures liées au secteur des services financiers, d’autres accords d’information ont été conclus entre le PE et la Commission entre 2001 et 2004, qui concernent aussi les pouvoirs de contrôle spéciaux du PE dans ce domaine (voir plus haut). C’est par le biais d’une lettre émanant du commissaire Bolkestein que la Commission et le Parlement ont décidé d’organiser des réunions régulières entre les deux institutions : des réunions mensuelles entre le secrétariat de la commission des affaires économiques du PE et les services de la Commission de la DG Marché intérieur, ainsi que des réunions régulières entre le commissaire et les coordinateurs de même que les rapporteurs au sein de la commission des affaires économiques (Commission européenne 2001). Il fut également décidé que les agents de la Commission informeraient le PE des discussions au sein des comités de comitologie et qu’ils seraient tenus de répondre aux éventuelles questions du PE sur ces discussions, oralement ou par écrit.
26En 2008, un nouvel accord bilatéral est conclu entre le PE et la Commission. [8] Celui-ci prévoit les mêmes dispositions que l’accord de 2000 et reproduit les accords complémentaires conclus pour le secteur des services financiers. La seule différence par rapport aux accords précédents est que les procès-verbaux seront désormais explicitement considérés comme des documents confidentiels, si bien que des sanctions pourront s’appliquer en cas de fuite de documents de ce type. À côté des modalités préexistantes, le nouvel accord mentionne également la création d’un nouveau registre des documents, tenu par la Commission et auquel le PE a un accès direct, qui contient l’ensemble des documents transmis par la Commission au PE, y compris le stade de la procédure décisionnelle et des informations sur le calendrier. L’accord stipule également que le PE va continuer à recevoir des documents de manière individuelle par courrier électronique.
27Le tableau 1 ci-dessous donne un aperçu des droits d’information du PE en ce qui concerne la comitologie, y compris les restrictions dans le cadre desquelles ces droits s’appliquent.
Aperçu des droits d’information du Parlement européen dans le cadre de la comitologie
Aperçu des droits d’information du Parlement européen dans le cadre de la comitologie
28Nous avons vu jusqu’ici que le Parlement européen dispose de droits de contrôle génériques et spéciaux en ce qui concerne les décisions prises en comitologie et qu’il a acquis des droits d’information au cours des dix dernières années. Le grand nombre de réunions en comitologie organisées chaque année (environ un millier), le nombre de mesures examinées dans leur cadre (entre 2000 et 2500) et le peu de temps dont dispose habituellement le PE pour adopter des résolutions lorsqu’il est en droit de le faire (entre un et trois mois) sont déjà révélateurs de la pression sous laquelle le Parlement doit travailler. Il convient aussi de noter, à ce stade, que le PE n’était pas « submergé » par toutes sortes d’informations de comitologie que lui envoyait la Commission de son propre chef, mais que le PE n’a en réalité eu de cesse d’exiger que tous ces documents lui soient envoyés pendant de nombreuses années (Bergström, 2005 ; Bradley, 2008). Compte tenu des nombreux effets positifs que la littérature attribue à la disponibilité de l’information, comme l’efficacité gouvernementale (Drew et Nyerges, 2004), la défense effective des préférences du législateur (par ex., Strøm, 2000) et le contrôle populaire (Bovens, 2007), et étant donné, par ailleurs, que le PE a toujours eu très à cœur d’obtenir des droits d’information dans le cadre de la comitologie, l’on pourrait au moins tabler sur une adaptation de son organisation à ces nouvelles circonstances. Avant d’étudier plus avant le système appliqué par le PE pour traiter toutes ces informations, nous allons expliquer, dans la partie qui suit, le modèle de recherche du volet empirique de notre étude.
Données et méthodes
29Le volet empirique de cette étude « suit » la piste des documents envoyés par la Commission pour se rapprocher de deux types de changements dans l’administration du PE. Le premier type concerne les changements structurels : les responsabilités ont-elles été redistribuées, et à qui ? De quelle manière la structure organisationnelle a-t-elle été adaptée à la nouvelle situation ? Le second type de changement concerne les nouvelles méthodes de travail du personnel de soutien du PE qui travaille avec des documents de comitologie au quotidien. Comment traite-t-il un tel volume de documents de comitologie ? Et de quelle manière fait-il part des dossiers de comitologie aux députés ?
30Les données ont été recueillies par le biais d’entretiens. La tâche consistant à traiter les informations sur la comitologie ayant été déléguée aux administrateurs du PE (Kaeding et Hardacre 2010), nous avons interrogé huit membres du personnel. Six viennent en aide aux commissions parlementaires et sont chargés d’informer les députés directement sur les affaires traitées en comitologie. Nous avons également interrogé deux autres membres du personnel, qui assurent la coordination de la comitologie ou offrent une aide pratique dans ce domaine de manière horizontale au sein du Parlement. L’anonymat a été promis à l’ensemble des répondants. Le nombre limité de répondants s’explique par le fait que, comme nous allons le voir dans les paragraphes qui suivent, quelques-unes seulement des dix-huit commissions du PE traitent régulièrement des dossiers de comitologie.
La réaction du Parlement face à l’augmentation du volume d’informations
31Les recherches antérieures sur le traitement des informations par les parlements révèlent qu’ils ont des façons très variables de traiter les informations. La célèbre étude de McCubbins et Schwartz (1984), par exemple, fait la distinction entre les régimes de type « policiers » et ceux de type « alarme incendie » : les premiers désignent un système dans lequel les parlements exigent une grande quantité d’informations de la part des gouvernements, tandis que les seconds concernent un système dans lequel les parlements comptent sur des tiers pour surveiller les gouvernements, officiellement ou officieusement en leur nom, tiers qui n’alertent les parlements que lorsqu’ils estiment que la question mérite d’être portée à son attention.
32En ce qui concerne la comitologie, le PE a organisé une forme de supervision de type « policier » pour lui-même, mais sous une forme décentralisée (cf. McCubbins et Schwartz 1984, Ogul et Rockman 1990). L’illustration 1 présente un diagramme représentant cette procédure et révèle que les informations sur le travail des comités de comitologie font un long chemin, qui part des DG de la Commission qui gèrent les comités de comitologie, pour passer ensuite par plusieurs services de la Commission et parlementaires et arriver enfin aux commissions parlementaires compétentes.
Le cheminement de l’information, des comités de comitologie aux députés au PE
Le cheminement de l’information, des comités de comitologie aux députés au PE
33L’on distingue deux niveaux de changement possibles entre la Commission et les membres des commissions parlementaires : des changements dans l’attribution des responsabilités et des changements dans les méthodes de travail des administrateurs du PE, qui informent quant à eux les députés au Parlement. Nous allons examiner ces changements tour à tour.
Les changements organisationnels
34L’augmentation du flux d’information et le renforcement des compétences du PE à l’égard de la comitologie ont suscité deux changements dans l’organisation du PE. Ils concernent les secrétariats des commissions parlementaires, ainsi que le Bureau de réception et d’orientation du Parlement. Le Bureau de réception et d’orientation est l’endroit où tous les documents envoyés au Parlement, que ce soit par voie postale ou électronique, sont réceptionnés et transmis aux personnes compétentes au sein du PE. En ce qui concerne les documents de comitologie, cela signifie que tous les documents qui arrivent sont transmis aux secrétariats des commissions parlementaires qui ont participé à la rédaction de l’acte initial adopté en codécision sur lequel s’appuient les mesures d’exécution de la Commission.
35Le premier changement concerne l’évolution progressive du système de transmission du grand nombre de documents de comitologie. Au départ, la Commission n’indiquait pas le sujet du message dans l’objet du document, et le Bureau de réception et d’orientation se contentait de transférer l’ensemble des documents entrants sans les organiser de manière systématique (répondant 2). À partir de 2006, cependant, lorsque le Parlement a vu ses droits de contrôle se renforcer dans le cadre de la PRC mentionnée plus haut, le besoin d’un système plus systématique de traitement des documents s’est fait sentir (répondant 5). En mai 2009, le Bureau de réception et d’orientation a commencé à utiliser un nouveau système de base de données appelé « EPGreffe », dans lequel le secrétariat général de la Commission télécharge de petits lots de documents. Le Bureau de réception et d’orientation détermine ensuite à qui ces documents doivent être transmis et vérifie également, le cas échéant, si les différentes versions linguistiques sont effectivement incluses dans ces lots de documents (répondant 8). Le secrétariat de la commission parlementaire compétente reçoit ensuite les documents par courrier électronique (envoyés en pièce jointe) (répondants 1, 2, 4 à 8).
36La Commission s’est en outre engagée à rendre les informations de comitologie disponibles sous un format plus structuré et convivial, tant en ce qui concerne les informations envoyées au PE que celles divulguées au grand public (Parlement européen et Commission 2008). En plus d’envoyer des informations au PE par le biais du Bureau de réception et d’orientation, la Commission a également créé son propre registre de comitologie, auquel le personnel des commissions du PE a accès. Ce registre comprend des informations similaires, mais permet de trouver plus facilement des documents liés ou supplémentaires dans ces dossiers. Concrètement, la plupart des administrateurs du PE utilisent les informations qu’ils reçoivent par le biais du Bureau de réception et d’orientation et ne recourent à la base de données de la Commission (le cas échéant) que lorsqu’ils ont besoin d’informations complémentaires (répondants 1, 2, 5, 6, 7). Un répondant seulement utilise principalement le registre de la Commission (répondant 4) et certains déclarent également recevoir des informations directement de la part du personnel de la Commission (répondants 1, 5).
37Le deuxième changement, qui est lui aussi intervenu au sein des secrétariats des commissions du PE, concerne le recrutement, à partir de 2006, de personnel spécialisé. Au sein du Bureau de réception et d’orientation, une personne a été chargée de traiter les informations de comitologie et une personne de contact de la comitologie a été désignée au sein des différents secrétariats des commissions parlementaires (répondants 1 à 8). Certaines commissions qui traitent des questions de comitologie relativement nombreuses ou volumineuses (affaires économiques, environnement et transports) ont ainsi pu engager un secrétaire supplémentaire (répondants 3, 5, 7).
38Même si ces changements sont intervenus à la suite des nouveaux accords d’information conclus entre le Parlement et la Commission en matière de comitologie, ils n’étaient pas uniquement axés sur une « multiplications des informations ». En ce qui concerne le premier changement, il semble effectivement plausible que le nouveau système de traitement des documents — y compris l’affectation d’un membre du personnel spécialisé au Bureau de réception et d’orientation — soit effectivement le résultat de la nécessité pratique de traiter un grand nombre de documents de manière efficiente. Mais aussi, ce besoin ne s’est fait sentir qu’après 2006, lorsque le PE a vu son droit de regard se renforcer (répondant 5). Ce changement ne semble pas lié au nombre de documents que reçoit le PE de manière régulière étant donné qu’il reçoit d’importants volumes de documents de comitologie depuis 2000 déjà. Le nombre de réunions des comités, par exemple, et, dès lors, le nombre d’ordres du jour et de comptes rendus sommaires tourne autour du millier depuis quelques années (Commission européenne 2006, 2009). L’on peut dire la même chose du second changement. Les commissions parlementaires qui s’occupent le plus de comitologie ont en effet pu recruter des personnes supplémentaires, mais seulement après que la décision Comitologie de 2006 a accordé au PE un droit de regard supplémentaire. Cette évolution n’est pas le résultat logique des droits d’information introduits en 2000.
39Compte tenu de ce qui précède, on constate que la seule multiplication des informations n’a pas entraîné de changements organisationnels au PE. L’augmentation la plus significative dans le volume d’informations envoyées au PE, comme l’indique le tableau 1, a été observée en 2000, tandis que les changements organisationnels sont intervenus à partir du moment où le PE a acquis un nouveau droit politique, à savoir en 2006. Cela veut dire que la nécessité d’organiser les flux d’information de manière accessible n’apparaît que lorsque cela s’avère nécessaire pour un droit parlementaire bien précis (en l’occurrence, le droit d’annuler les avis des comités), par opposition à l’ajout d’un nouveau droit aux droits généraux existants, comme le contrôle de l’exécutif grâce à la possibilité de lui poser des questions.
Les méthodes de travail du personnel du PE
40Ceux qui s’intéressent à la surveillance parlementaire ont déjà étudié le rôle joué par le personnel de soutien parlementaire dans le fait d’amener les députés au Parlement à donner suite à leurs idées, renforçant ainsi leur propre position dans le système (Aberbach, 1990 ; Ogul et Rockman, 1990). Le personnel spécialisé pour les affaires de comitologie fait défaut depuis longtemps au sein des commissions du PE. Ce n’est que depuis 2006 qu’un nombre limité d’administrateurs spécialisés ont été désignés au sein des secrétariats des commissions parlementaires pour être explicitement responsables des dossiers de comitologie. Il n’est donc pas possible de relever les changements dans leurs modes de travail survenus à la suite du renforcement des droits d’information du PE qui a été décidé avant leur désignation.
41Ce que l’on observe, cependant, à la suite des changements de 2006 et de la désignation de membres du personnel spécialisés, c’est qu’un réseau de coordination informel (le « réseau comitologie ») a été mis en place par l’unité Conciliations et codécision, une unité du PE qui s’occupe du processus décisionnel interinstitutionnel à un niveau horizontal. Le réseau comitologie se réunit plusieurs fois par an et rassemble les personnes de contact de la comitologie des secrétariats des commissions parlementaires, ainsi que le personnel des groupes politiques. Le réseau a pour objet le partage des problèmes pratiques et l’identification de solutions communes ou de meilleures pratiques, tant lorsqu’il s’agit de préparer de nouveaux textes de loi que lorsqu’il est question de surveiller les mesures d’exécution. En ce qui concerne cette dernière question, parmi les thèmes régulièrement abordés, citons, par exemple, les changements introduits par le traité de Lisbonne, les moyens de respecter les délais et, phénomène intéressant, les moyens de sensibiliser les députés au PE à l’importance de la comitologie (répondants 1, 3, 5, 6 ; voir plus loin pour de plus amples informations).
42La situation varie considérablement d’une commission parlementaire à l’autre en ce qui concerne la charge de travail suscitée au sein de leurs domaines stratégiques par la comitologie. Quatre commissions reçoivent plus de dossiers que les autres en vertu du droit de regard et de la procédure de réglementation avec contrôle : les commissions des transports, du développement, de l’agriculture et, surtout, de l’environnement (répondants 3, 8). Ces commissions doivent donc traiter davantage d’informations que les autres. Leur personnel administratif, qui s’occupe du traitement de l’information, applique-t-il des méthodes de travail différentes de celles du personnel qui doit traiter beaucoup moins d’informations sur les affaires de comitologie ?
43Dans le cadre du « groupe principal » composé de ces quatre commissions, nous avons interrogé trois administrateurs chargés de la comitologie. Lorsqu’il reçoit des informations du Bureau de réception et d’orientation, l’un des répondants transfère chaque lot d’information directement à l’ensemble des députés de la commission, lot auquel il joint un résumé des fichiers joints et une date limite interne avant laquelle les députés sont priés de faire savoir au secrétariat s’ils souhaitent discuter d’une objection en commission (répondant 2). Au sein des commissions de l’environnement et des transports, qui font partie de ces quatre commissions qui s’occupent de l’essentiel des dossiers de PRC, les ensembles d’informations sont rassemblés et transférés en même temps qu’un bulletin d’information qui comprend un bref résumé des fichiers joints (répondants 5, 7 et 8). Au sein d’une commission, d’autres informations générales sur les dossiers sont également fournies au moyen du bulletin d’information (répondant 5). Les bulletins d’information sont produits entre deux fois par semaine et deux fois par mois. Cette procédure absorbe par conséquent un certain temps (entre le mois et les trois mois dont dispose le PE pour adopter une résolution en commission et en plénière), mais cette façon de faire permet aux députés de digérer plus facilement l’information. Les députés d’une commission ont déclaré préférer ne pas recevoir l’ensemble des courriels, mais le secrétariat estime qu’il revient à l’échelon politique, et non au personnel administratif, de sélectionner les dossiers importants, et il continue dès lors à transférer les différentes mesures (répondant 7).
44Dans les autres commissions, les pratiques varient également. Cela s’explique en partie par la culture de travail des commissions. Dans l’une des commissions, l’ensemble des dossiers sont transmis à tous les membres de la commission (répondant 4), tandis que dans une autre, ils ne sont transmis qu’aux coordinateurs des groupes politiques de la commission, accompagnés d’une brève note d’information (répondant 6). Dans un cas exceptionnel, le secrétariat filtre les mesures de PRC importantes et les transmet au président de la commission ainsi qu’au rapporteur de l’acte adopté en codécision sur lequel la mesure de comitologie se base, en même temps qu’une évaluation de la suite à donner la plus appropriée (répondant 1). Des bulletins d’information ne sont produits dans aucune de ces commissions, cependant.
45Encore une fois, il apparaît qu’un nombre plus grand d’informations n’influence pas en soi la façon dont le personnel du PE traite les informations entrantes, étant donné que l’une des commissions chargées de traiter un nombre relativement important de dossiers de comitologie applique des méthodes de travail similaires à celles des commissions qui traitent relativement peu de dossiers. La distribution de bulletins d’information est limitée aux deux commissions qui non seulement traitent un grand nombre d’informations, mais qui s’occupent aussi relativement souvent de mesures de PRC, à savoir les commissions des transport et de l’environnement. Une nouvelle preuve que le volume d’informations n’influence pas en soi les pratiques de travail au sein d’un parlement, mais que ce facteur n’a une influence que lorsqu’il s’accompagne d’un renforcement des compétences parlementaires et de compétences parlementaires plus précises.
Implications politiques
46Dès lors, en quoi ces changements dans le système d’information du Parlement et la façon dont il traite les informations qu’il contient affectent-ils les activités des députés au PE ? Après tout, c’est ce que le système d’information du Parlement est censé faciliter. Comme indiqué plus haut, le PE a quatre instruments à sa disposition : une résolution sur son droit de regard en ce qui concerne la légalité des mesures, une extension de ses droits de veto au titre de la procédure de réglementation avec contrôle, la possibilité de faire des déclarations politiques par le biais d’autres résolutions, et la possibilité d’influencer les processus de négociation avec d’autres institutions grâce à ces différents instruments.
47Si l’on en croit la fréquence avec laquelle le PE se sert de ces instruments, il ne semble pas que le nouveau régime d’information ait considérablement influencé le comportement du Parlement pour la simple raison qu’il n’agit que rarement. Entre l’introduction du droit de regard en 1999 et 2010, le PE n’a adopté que neuf résolutions fondées sur un abus de pouvoir. Ce nombre réduit n’a sans doute rien d’étonnant compte tenu du fait que le Parlement n’a qu’un mois pour adopter ces résolutions en plénière et que celles-ci ne sont pas contraignantes. En réalité, elles ne font qu’obliger la Commission à « reconsidérer » ses mesures, ce qui revient, en langage politique, à expliquer plus en détail la mesure contestée (Lintner et Vaccari, 2009). La décision finale revient dès lors à la Commission, qui a adopté l’acte au départ et qui ne cède généralement pas face aux doutes parlementaires à propos de leur légalité (Neuhold, 2008).
48Les autres droits ne sont cependant guère plus utilisés dans la pratique. Jusqu’à l’été 2010, la procédure de réglementation avec contrôle, introduite en 2006, n’a produit que trois vetos parlementaires (Kaeding et Hardacre, 2010). Cinq autres tentatives de veto ont échoué en commission, et une dernière a été rejetée en plénière d’extrême justesse (ibid). Ces chiffres, en termes relatifs, sont nettement plus élevés que dans le cas du droit de regard ordinaire, mais ils restent relativement faibles dans l’absolu. On observe des chiffres encore plus faibles dans d’autres moyens d’action, comme les déclarations politiques faites dans le cadre de résolutions. À côté de l’initiative parlementaire aboutie dans le domaine des scanneurs corporels, mentionnée plus haut (cf. Hardacre et Damen, 2009), deux autres résolutions de ce type à peine ont été adoptées entre 1999 et 2005 (Lintner et Vaccari, 2009). Une simple menace de veto n’a amené la Commission à retirer sa mesure que dans un seul cas, et cet instrument n’a servi d’argument de négociation qu’à deux reprises dans le cadre de processus législatifs futurs (Kaeding et Hardacre, 2010).
49Globalement, donc, ces dix années d’exercice des droits de contrôle par le Parlement n’ont produit que des résultats plutôt maigres proportionnellement au nombre de mesures à propos desquelles le PE reçoit des informations. Bien sûr, l’absence d’objection, sous quelque forme que ce soit, peut aussi être le signe d’une approbation de la mesure adoptée, mais sur le plan des observations, cela équivaut à des structures de travail parlementaires entravant la surveillance ou à un manque de sensibilisation d’une manière plus générale. L’on aurait au moins pu croire que les affaires de comitologie auraient été examinées plus souvent dans le cadre des réunions des commissions. D’aucuns avancent depuis peu que cette absence d’intérêt est peut-être liée à l’absence d’intérêt politique dans les affaires techniques soumises à des délais serrés (Kaeding et Hardacre, 2010), une idée qui correspond également à ce que pensent les personnes concernées. Les documents de comitologie ne suscitent que très peu de réactions, si bien que les questions de comitologie ne sont que rarement inscrites à l’ordre du jour des commissions parlementaires (répondant 2). D’après un agent expérimenté s’occupant de questions de comitologie horizontales, avant 2007, ni les députés au PE, ni les agents du PE ne s’intéressaient un tant soit peu à la comitologie (répondant 3). Leur intérêt s’est cependant progressivement développé à la suite des nouvelles possibilités offertes au PE grâce à la procédure de réglementation avec contrôle et parce que le « comité comitologie » mentionné plus haut a aidé les administrateurs des commissions à sensibiliser le personnel à la question.
50Cela nous ramène aussi, encore une fois, à l’explication relative aux incitants procéduraux, une explication différente mais plus solide. L’introduction de la procédure de réglementation avec contrôle en 2006 a suscité des changements dans le système de traitement des documents du PE, et le personnel de soutien des commissions du PE diffuse également les informations de manière plus accessible lorsqu’une commission traite un nombre relativement important de mesures de PRC. Malgré ses délais serrés, le dynamisme relatif de la PRC stimule aussi le désir de contrôler le processus décisionnel car les décisions adoptées au titre du « droit de regard », plus faible, n’ont aucun effet contraignant (répondants 1 à 5). Cela veut dire que le régime d’information du PE manque, à certains égards, de cohérence avec le contrôle qu’il exerce dans la pratique. D’une manière générale, la sélection s’appuie sur des incitants procéduraux, et non sur le contenu.
Conclusions
51Dans bon nombre de documents stratégiques ainsi que dans beaucoup d’études sur la gouvernance, la transparence est saluée comme étant la solution miracle pour faire face à l’ensemble ou presque des soi-disant problèmes de légitimité de l’UE, du renforcement de sa légitimité en général (par ex.Eriksen et Fossum, 2002 ; Corbett et al., 2000) au renforcement de la confiance populaire en particulier (Majone, 2000), en passant par l’efficacité gouvernementale (Drew et Nyerges, 2004) et le contrôle de l’exécutif (Héritier, 2003). Dans ce dernier courant de littérature, notamment, les auteurs se basent sur un « lien automatique » à partir de la transparence : entre la disponibilité de l’information et l’imputabilité (Naurin 2007). L’on part du principe que le simple fait qu’un mandant soit informé du comportement d’un mandataire amène ce dernier à agir de manière plus conforme aux préférences du premier (par ex., Huber 2000, Strøm 2000, Lane 2005, Lupia 2006).
52Dans cet article, nous avons examiné comment le PE traite les informations sur la comitologie. Même s’il n’est pas possible de déterminer, sur le plan empirique, quels auraient été les résultats de la comitologie en l’absence de contrôle parlementaire, on aurait pu croire que le PE se servait davantage des informations sur la comitologie. Depuis le début des années 60, il déclare souhaiter contrôler la comitologie et c’est au début du siècle qu’il a commencé à recevoir davantage d’informations sur la comitologie. L’on pensait que cela influencerait fortement la mesure dans laquelle le Parlement prendrait des mesures concernant les décisions de comitologie.
53Même si l’information est considérée comme une condition préalable nécessaire à l’imputabilité (Bovens, 2007), nous avons vu dans cet article que la multiplication des informations sur la comitologie ne semble guère avoir influencé la façon dont le PE contrôle cette procédure. Même si le Parlement a toujours eu les moyens de contrôler la comitologie, il ne jouissait d’aucun droit de contrôle « spécial » réel jusqu’en 2006. D’après les entretiens réalisés, c’est comme si le Parlement n’avait pas réagi à l’augmentation du volume d’informations en soi, mais qu’il avait attendu d’acquérir de nouveaux droits de contrôle pour commencer à traiter de manière systématique les informations entrantes. Ce n’est qu’alors que des changements sont intervenus dans l’organisation du PE et dans les méthodes de travail de son personnel administratif.
54De nouveaux changements sont en cours en ce qui concerne les droits de contrôle du PE. Comme mentionné plus haut, le traité de Lisbonne a introduit une scission dans le fondement juridique de la comitologie entre les « actes délégués » (article 290) et les « actes d’exécution » (article 291). Le régime des actes délégués prévoit des droits de contrôle parlementaire qui sont un peu plus larges que l’actuelle procédure de réglementation avec contrôle, de même qu’un système informel de groupes d’experts des États membres. Le régime des actes d’exécution s’inspire très fortement du système de comitologie classique, sauf en ce qui concerne la procédure de réglementation avec contrôle (Brandsma et Blom-Hansen 2011). Si les actuelles méthodes de traitement de l’information sont maintenues, il est probable que le PE centre son attention sur le contrôle des actes délégués étant donné que cette procédure s’accompagne d’un plus grand nombre d’incitants procéduraux, et se préoccupe peu des mesures d’exécution.
55Comme l’indiquent les données empiriques présentées plus haut, la supervision quotidienne des mesures de comitologie est une tâche imposante, et pour beaucoup de commissions, elles sont trop nombreuses pour permettre aux députés au PE de toutes les traiter sur une base structurelle. À cet égard, il semble plausible que les députés au PE comptent concrètement sur des alarmes incendie qui, par définition, sont de nature plus fortuite (Türk 2003). Cependant, comme l’indiquent d’autres recherches, seuls les personnes véritablement concernées peuvent sans doute déclencher les alarmes incendie comme il se doit. Les informations sur la comitologie qui sont accessibles au public sur l’Internet rendent trop peu compte des discussions qui ont lieu au sein des comités de comitologie, tant sur le plan de la quantité que de la qualité (Brandsma et al. 2008).
56Le lien supposé entre information et comportement parlementaire est donc loin d’être automatique. La transparence en soi n’est pas le remède miracle qui améliore ou qui renforce à lui seul l’imputabilité gouvernementale. Le cas de la comitologie et du Parlement européen révèle cependant bel et bien qu’il s’agit d’une composante nécessaire, à côté d’autres conditions, pour pouvoir utiliser pleinement l’éventail d’instruments de contrôle disponible. Deux enseignements peuvent être tirés à cet égard. Le premier est que le volume et la qualité de l’information que reçoivent les destinataires ne suffisent pas pour avoir une influence. Ce qui importe, c’est le traitement de l’information (Naurin 2007, Brandsma 2010). La question déterminante pour l’exercice du contrôle par les parlements ne concerne donc pas le volume d’informations qu’ils reçoivent, mais bien la manière dont l’intérêt des députés est réparti entre les questions et la mesure dans laquelle ils utilisent effectivement les informations disponibles. Le second enseignement est que ce sont les incitants procéduraux qui amènent les acteurs au sein des parlements à s’intéresser aux informations fournies. Les informations transmises à un Parlement ne deviennent intéressantes que lorsque les députés peuvent observer le lien entre les informations qu’ils reçoivent et leurs droits politiques bien précis, par opposition à des droits politiques plus diffus.
Bibliographie
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Mots-clés éditeurs : imputabilité, organisation et structures administratives, administration internationale, contrôle, transparence
Mise en ligne 30/03/2012
https://doi.org/10.3917/risa.781.0079Notes
-
[1]
Gijs Jan Brandsma travaille à l’Utrecht School of Governance, Université d’Utrecht, Pays-Bas. Courriel : g.j.brandsma@uu.nl.
Traduction de l’article paru en anglais sous le titre : « The effect of information on oversight : the European Parliament’s response to increasing information on comitology decision-making ». -
[2]
Règlement du Parlement européen, article 88.
-
[3]
Ibidem.
-
[4]
Règlement du Parlement européen, article 103.
-
[5]
Il est important de noter que toute commission parlementaire peut se prononcer sur une résolution « normale », contrairement aux résolutions relevant du DR et de la PRC, qui doivent être adoptées par la commission qui était responsable de la rédaction de l’acte initial adopté en codécision.
-
[6]
Journal officiel des Communautés européennes (2000), L 256/19
-
[7]
Affaire Rothmans, Tribunal de première instance T-188/97.
-
[8]
Journal officiel des Communautés européennes (2008), C 143/1.