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Article de revue

Le lexique particulier et la conception consensuelle du gouvernement électronique : une perspective exploratoire

Pages 605 à 625

Introduction

1Les domaines académiques ont des frontières négociées socialement. Ces frontières n’existent que si le groupe de scientifiques concerné pense qu’elles existent et adopte une conception commune de leur sens essentiel (Astley, 1985; Nag, Hambrick et Chen, 2007). Le sens essentiel décrit son objet de recherche et oriente/présente les initiatives des chercheurs et des praticiens. Cependant, compte tenu de l’hétérogénéité des formations des membres, de l’attraction intellectuelle et de l’hégémonie des domaines adjacents, de même que de l’évolution constante du bloc de connaissances et de la théorie, cette vision partagée est loin d’être automatique (Astley, 1985; Whitley, 1984).

2Le gouvernement électronique est un domaine de recherche dont le sens reste vague et indéfini. Si ce domaine est comparativement neuf, il s’est considérablement développé ces quinze dernières années et ne cesse de s’étendre. En 1993, il a été reconceptualisé et rebaptisé par le mouvement du « reinventing government » du National Performance Review (NPR) (Yildiz, 2007). Ses disciplines coïncident partiellement avec d’autres domaines académiques, comme l’informatique, la science de l’information, la science de la gestion, le génie logiciel, les affaires, etc. Ses membres participants sont formés de manière variable (établissements universitaires, ministères, entreprises, etc.). Il n’est guère étonnant que les conceptions acceptées publiées du gouvernement électronique soient si variées et si l’on invitait les spécialistes du gouvernement électronique à définir ce domaine, on obtiendrait sans aucun doute des réponses différentes.

3Qu’est-ce que précisément le gouvernement électronique ? Comment les spécialistes du domaine le perçoivent-ils ? Il est urgent de définir la véritable nature du domaine car les scientifiques, en notamment les jeunes, ont besoin de balises analytiques pour faire leur travail. Qu’est-ce que cela signifie de faire des recherches sur le gouvernement électronique ? Que faut-il faire pour être considéré comme un spécialiste du gouvernement électronique ? Tandis que d’autres études ont examiné l’essor et la chute de certaines théories ou de certains sujets dans le cadre du gouvernement électronique (par ex., Fountain, 2001, p.4; Relyea, 2002; Yildiz, 2007; Anthopoulos, Siozos et Tsoukalas, 2007), nous poursuivons un objectif plus fondamental : définir un lexique propre et identifier une définition généralement acceptée du domaine.

4À cette fin, nous avons réalisé une étude exploratoire basée sur les articles publiés dans ce domaine entre 1993 et 2008. Nous avons extrait un grand nombre d’articles liés au gouvernement électronique de Web of Science, la première base de données académique au monde, sur la plateforme Web of Knowledge de l’ISI (Institute for Scientific Information). Les articles ont été évalués et rangés dans quatre catégories : (1) manifestement pas un article sur le gouvernement électronique, (2) probablement pas un article sur le gouvernement électronique, (3) probablement un article sur le gouvernement électronique et (4) manifestement un article sur le gouvernement électronique. Nous avons ensuite défini le lexique propre au domaine au moyen d’un outil d’analyse de textes automatisé. Pour terminer, nous avons utilisé les définitions existantes du gouvernement électronique afin d’identifier les éléments conceptuels et avons fait appel aux méthodes de construction des concepts utilisées par les spécialistes du domaine afin d’obtenir une conception consensuelle du gouvernement électronique à partir du lexique. Nous terminerons notre article par une analyse de la conception et ses implications pour les recherches, et expliquerons plusieurs obstacles et autres idées de recherche futures possibles.

Analyse documentaire

5Nous avons extrait 752 articles publiés, critiques de livres, documents, analyses, articles de presse et résumés de conférences publiés entre 1993 et 2008 (illustration 1) portant sur des sujets interconnectés liés au « gouvernement électronique » et comportant plusieurs sous-catégories, comme l’informatique, la science de l’information, la bibliothéconomie, l’administration publique, la gestion et les télécommunications. Le résultat de l’analyse des dix premiers sujets de la plateforme Web of Knowledge de l’ISI (consultée le 25 juin 2008) est présenté dans l’illustration 2. Plus de 60 % des articles appartenaient au domaine de l’informatique ; environ 25 % étaient liés à la science de l’information et à la bibliothéconomie ; 9 % peuvent être rangés dans la catégorie de l’administration publique ; près de 3 % et 2 % (illustration 2) appartenaient respectivement aux domaines de la gestion et de la science politique, etc.

Illustration 1

Types de documents dans le domaine du gouvernement électronique

Illustration 1
Domaine: Type de document Nombre d’occurrences % sur 752 Diagramme à barres Article 678 90.1596 % Critique de livre 30 3.9894 % Matériel d’édition 24 3.1915 % Analyse 10 1.3298 % Article de presse 8 1.0638 % Résumé de réunion 2 0.2660 % *Les chiffres ont été établis par la plateforme de l’ISI Web of Knowledge le 25 juin 2008.

Types de documents dans le domaine du gouvernement électronique

Illustration 2

Thèmes dans le domaine du gouvernement électronique

Illustration 2
Domaine : Thème Nombre d’occurrences % sur 752 Diagramme à barres Informatique, théorie et méthodes 283 37.6330 % Science de l’information et bibliothéconomie 192 25.5319 % Informatique, systèmes d’information 100 13.2979 % Administration publique 68 9,0426 % Informatique, intelligence artificielle 38 5.0532 % Informatique, applications interdisciplinaires 31 4.1223 % Ingénierie, électrique et électronique 26 3.4574 % Sciences sociales, interdisciplinaires 26 3.4574 % Gestion 23 3.0585 % Science politique 21 2.7926 % *Les chiffres ont été établis par la plateforme de l’ISI Web of Knowledge le 25 juin 2008.

Thèmes dans le domaine du gouvernement électronique

6Le contexte théorique du gouvernement électronique remonte à 1993, lorsque le rapport conjoint du NPR introduisait ce nouveau terme (Relyea, 2002). On a baptisé l’apparition de la récente réinvention du gouvernement « e-gouvernement », « gouvernement électronique », « eGouvernement » ou « e-Gouv », pour ne citer que quelques exemples, et le terme est souvent utilisé pour symboliser et évoquer de façon non ambiguë les actuelles applications de la technologie de l’information (TI) aux activités des pouvoirs publics et l’objectif consistant à réaliser des fonctions gouvernementales de façon plus efficace et moins coûteuse (Yildiz, 2007). Les rapports annuels publiés par les Nations unies en 2002–2005 et 2008 et ceux publiés par le professeur West (université Brown) en 2001–2007 donnent un aperçu complet de l’évolution du gouvernement électronique dans le monde. Les chercheurs ont aussi réalisé de nombreuses études dans ce domaine. Ces études s’efforcent essentiellement d’examiner le courant intellectuel, les tendances de recherche, les perspectives, les philosophies, les théories, les méthodes et les pratiques dans le domaine (Fountain, 2001, p. 4; Allen, et al., 2001; Chen et Gant, 2001; Wimmer, 2002; Jaeger, 2002; Gronlund, 2003; Kersten, 2003; Vriens et Achterbergh, 2004; Gil-Garcia et Pard, 2005; Evans et Yen, 2006; Otjacques, Hitzelberger et Feltz, 2007; Heeks et Bailur, 2007).

7Parmi ces différentes analyses, Allen et al. (2001) s’intéressent à l’apparition du gouvernement électronique et expliquent les nouveaux modes possibles de prise de décisions, de partage du pouvoir et de coordination. Means et Schneider (2000, p. 121) définissent le gouvernement électronique comme les relations entre les pouvoirs publics et leurs clients (les citoyens, les entreprises et les autres gouvernements) et leurs fournisseurs (les citoyens, les entreprises et les autres gouvernements) par voie électronique. Pour Hernon (1998), le gouvernement électronique est « simplement le fait d’utiliser les TI pour offrir des services publics directement au client, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 ». Pour Jaeger (2003), cela concerne aussi le fait d’utiliser d’autres technologies de l’information et de la communication (TIC), à côté de l’Internet et du Web, comme des « bases de données, le travail en réseau, l’aide aux analyses, les multimédias, les technologies d’automatisation, de suivi et de retraçage et d’identification personnelle ». Nous présentons en annexe un ensemble choisi de définitions, qui comprend la définition de Fountain (2001, p. 4) du domine administratif public et du domaine institutionnel.

8Il n’existe cependant toujours pas de conception universellement acceptée du gouvernement électronique (Halchin, 2004). Wimmer (2002) soutient que « tout le monde parle du gouvernement électronique, mais chacun l’interprète de façon différente ».

9On constate un manque d’intérêt pour répondre à cette question fondamentale pour trois raisons. Premièrement, le gouvernement électronique est un concept défini par l’objectif de l’activité (le transfert d’informations et de services publics entre les pouvoirs publics, leurs clients et leurs fournisseurs) plutôt que par la technologie utilisée, le fournisseur du service/de l’information ou les activités bien définies des acteurs concernés (Yildiz, 2007). En conséquence, beaucoup de conceptions du gouvernement électronique sont vagues et dissimulent tout simplement plusieurs significations (Torres, Pina et Acerete, 2005).

10Deuxièmement, le gouvernement électronique est un concept aux définitions multiples selon les groupes (Grant et Chau, 2005). Pour le professeur Perri, par exemple, les différentes composantes du gouvernement électronique sont la prestation de services électronique, la démocratie électronique et la gouvernance électronique. En outre, face aux évolutions technologiques rapides, il est plus compliqué de « bien saisir le sens, les possibilités et les limites du concept » (Prins, 2001, pp.1-5).

11Troisièmement, non seulement le sens réel du concept est ambigu, mal défini et varie selon le contexte, mais il fait aussi beaucoup de bruit dans la littérature, à l’instar des notions de « gestion des connaissances » (Lev, 2000; Lissack, 2000) ou de « gestion par objectifs » (Miller et Hartwick, 2002).

12Même si ces définitions ne sont pas absolument compatibles, elles suffisent pour interpréter ce que recouvre le domaine du gouvernement électronique, ainsi que ce qui le différencie d’autres domaines étroitement liés. Le gouvernement électronique est évoqué dans des revues arbitrées bien connues, comme Government Information Quarterly (GIQ), Social Science Computer Review (SSCR), Public Administration Review (PAR), European Journal of Information Systems (EJIS), Information Society (IS), Information & Management (I&M) et Electronic Government (EG), une revue internationale. Quelle est alors la conception précise et consensuelle de ce domaine académique ? Les recherches réalisées dans la présente étude pourraient contribuer à préciser l’identité collective partagée par ses membres de ce domaine.

Méthodologie

Philosophie de l’étude

13Nous sommes partis de l’idée que les domaines scientifiques étaient composés de communautés de chercheurs partageant une identité et un langage communs (Becher, 2001). L’existence d’objectifs, de valeurs et de normes communs qui démarquent les membres de ces communautés des autres, qu’elles soient scientifiques ou non, est essentielle à la notion de paradigme (Nag, Hambrick et Chen, 2007). L’objet et les frontières de la communauté scientifique sont fortement influencés par les connaissances spécialisées et les normes techniques de ses membres (Shapin, 1995).

14Si l’on part du principe que les connaissances scientifiques sont socialement construites, alors le langage, sous forme de discours scientifique, est l’outil de construction sociale fondamental (Grace, 1987). Le langage est à la base de l’apparition d’une identité particulière partagée par les membres d’une communauté scientifique. Astley (1985) affirme que les domaines scientifiques sont des « systèmes de mots » créés et entretenus par leurs membres.

15Si c’est au travers du langage que les membres d’un domaine académique expriment leurs idées, alors c’est au travers du langage que l’on peut identifier la nature profonde, ou la conception, du domaine. Les membres d’un domaine académique doivent pouvoir examiner un corps de texte (même sans contexte) et, grâce au langage de ce texte, déterminer s’il porte sur leur domaine (Nag, Hambrick et Chen, 2007). Cela ne veut pas dire que tous les membres du domaine vont privilégier des théories, des méthodes et des styles de recherche similaires, mais bien qu’ils vont pouvoir déterminer si un texte donné fait partie de leur conception commune du domaine. D’autres analystes devraient alors pouvoir travailler dans le sens inverse : grâce aux conclusions des membres sur la question de savoir si les différents textes proviennent de leur domaine, les analystes devraient pouvoir identifier et évaluer le langage particulier qui a donné naissance aux conclusions des membres, et identifier ainsi les conceptions de ces membres sur ce qui compose leur domaine. Voilà la logique à la base de notre étude.

Méthode

16Notre étude comportait deux étapes. Au cours de la première, nous avons analysé les documents au moyen de mots clés tels que « gouvernement électronique », « e-Gouvernement », « eGouvernement », « e-gouvernance », « eGouvernance », « e-Gouv » et « eGouv » dans Web of Science, la première base de données académique au monde, sur la plateforme de l’ISI Web of Knowledge (WoK). Il est normal que les articles contenus dans Web of Science comportent le risque de fausser le traitement de l’information dans les documents sur le gouvernement électronique ; nous avons donc tenté de corriger ces failles avant de poursuivre notre étude. Nous avons par conséquent extrait les documents de trois bases de données de premier plan dans le monde : Web of Science, ScienceDirect et InterScience. Les résultats indiquent que la majorité des documents contenus dans ScienceDirect et InterScience ne correspondaient pas à des « articles manifestement axés sur le gouvernement électronique » (voir tableau 1), tandis que les documents contenus dans Web of Science (y compris quatre sous-bases de données : SCIE, SSCI, A&HCI et CPCI-S) concernaient des domaines liés au gouvernement électronique, comme l’informatique, la science de l’information, la gestion, l’administration publique, etc. (illustration 1). Nous avons en outre constaté que 30 % environ des documents issus de Web of Science étaient des documents de conférence, en particulier ceux du CPCI-S (illustration 3). Nous nous sommes donc basés sur Web of Science.

17Toutes les revues réputées dans ce domaine ont été incluses dans les bases de données mentionnées plus haut. Nous avons ainsi trouvé 752 documents pertinents, dont 678 articles, 30 critiques de livres, 24 publications, 10 analyses et articles de presse et 2 résumés de réunion (illustration 1). Parmi ces archives, nous avons écarté 137 documents car ils ne contenaient pas de sommaire, ce qui nous laissait 615 sommaires (environ 81,78 %) à analyser plus avant.

Tableau 1

Le résultat de l’analyse des bases de données sélectionnées

Tableau 1
N° Base de données Nombre d’articles apparentés Nombre d’« articles manifestement axés sur le gouvernement électronique » Pourcentage (%) 1 InterScience 52 10 19,23 2 ScienceDirect 1482 109 7,35 3 Web of Science 752 528 85,85

Le résultat de l’analyse des bases de données sélectionnées

18Sur ces 615 sommaires, un nombre non négligeable n’appartenait pas au domaine du gouvernement électronique, même si le système ISI disait le contraire sur la base de leur intérêt pour le sujet. Un filtrage a été effectué par un panel de 22 experts dans le domaine, 15 chercheurs et 7 praticiens dans le secteur public spécialisés en TI (27,27 % étaient des docteurs et 72,73 % étaient titulaires d’une maîtrise en administration publique (MPA)). Chaque membre du panel a été invité à noter 30–35 sommaires sur une échelle à quatre points : 1 = manifestement pas un article sur le gouvernement électronique, 2 = probablement pas un article sur le gouvernement électronique, 3 = probablement un article sur le gouvernement électronique et 4 = manifestement un article sur le gouvernement électronique. Tous les sommaires ont été rangés dans l’une des quatre catégories suivantes (cat. 1 à 4) en fonction de leur notation :

Cat. 1 :Sommaires portant sur des questions purement administratives, juridiques, managériales et technologiques comme le commerce électronique, les services en ligne, les publications gouvernementales, les systèmes d’information géographique (SIG) en ligne, la conservation numérique, les amendements législatifs, les mécanismes de sécurité, la gestion du processus de modélisation, la sécurité de l’information, la restructuration des activités, les systèmes bancaires électroniques en ligne et sur d’autres questions manifestement pas liées au gouvernement électronique (51 sommaires, 8,29 %).
Cat. 2 :Sommaires portant sur des questions technologiques, liées aux politiques, qui facilitent ou sont à la base du gouvernement électronique, comme la gestion des services gouvernementaux, les TIC dans la gestion de l’État, l’identité personnelle en ligne, les informations gouvernementales, l’informatique répartie et les politiques d’information gouvernementale qui ne portent probablement pas sur le gouvernement électronique (14 sommaires, 2,28 %).
Cat. 3 :Les sommaires portant sur le commerce électronique dans le secteur public, les bibliothèques publiques numériques, l’enseignement électronique, la communauté électronique, la société électronique, le vote électronique, la gestion des sites Web des organisations, la mise en œuvre de la santé électronique, la fracture numérique, la législation sur la divulgation électronique, la gestion de la clientèle (CRM) au sein du gouvernement local et d’autres qui portent probablement sur le gouvernement électronique (22 sommaires, 3,58 %).
Cat. 4 :Les sommaires dont le thème porte sur les services publics électroniques, le service de gouvernement en ligne, le gouvernement local électronique, le gouvernement numérique, les sites Web du gouvernement, le gouvernement électronique, la gouvernance électronique, la démocratie électronique, les services publics électroniques et d’autres qui portent manifestement sur le gouvernement électronique (528 sommaires, 85,85 %).

19Dans la présente étude, nous n’avons basé notre analyse que sur les sommaires appartenant à la catégorie « 4 » (528 sommaires) (tableau 2).

Tableau 2

Les catégories d’articles étudiés

Tableau 2
Cat. Résultat de l’appréciation Nombre Pourcentage (%) 1 Articles manifestement pas axés sur le gouvernement électronique 51 8.29 2 Articles sans doute pas axés sur le gouvernement électronique 14 2.28 3 Articles sans doute axés sur le gouvernement électronique 22 3.58 4 Articles manifestement axés sur le gouvernement électronique 528 85.85

Les catégories d’articles étudiés

20Dans un deuxième temps, nous avons effectué une analyse lexicographique de ces sommaires au moyen d’un logiciel de CATA, ce qui nous a permis d’identifier le vocabulaire consensuel du domaine du gouvernement électronique : un ensemble de 52 termes qui apparaissaient régulièrement dans les sommaires sur le gouvernement électronique. En passant itérativement des conceptions antérieures du domaine à notre propre interprétation de la façon de ranger les 52 termes dans les catégories conceptuelles, nous avons identifié six éléments qui constituaient la conception particulière du gouvernement électronique. Pour terminer, nous avons analysé la conception et interprété les moyennes de ces six sous-éléments.

Collecte de données et analyse

Identification des textes axés sur le gouvernement électronique

21Comme indiqué plus haut, il est généralement admis que les frontières du domaine du gouvernement électronique sont sans forme. Notre première étape consistait dès lors à effectuer des recherches et à produire l’ensemble d’articles sur le gouvernement électronique. Ces articles, qui sont notamment issus de revues et de conférences (illustration 3), et qui émanent d’une série d’auteurs, dont des Américains, des Européens, des Australiens, des Canadiens, des Chinois et d’autres, offraient une perspective générale sur le domaine de recherche.

Illustration 3

Sources des articles sur le gouvernement électronique

Illustration 3
Domaine: Titre de la source Nombre d’occurrences % sur 752 Diagramme à barres Informatique, théorie et méthodes 142 18.8830 % Science de l’information et bibliothéconomie 74 9.8404 % Informatique, systèmes d’information 60 7.9787 % Administration publique 20 2.6596 % Informatique, intelligence artificielle 18 2.3936 % Informatique, applications interdisciplinaires 17 2.2606 % Ingénierie, électrique et électronique 14 1.8617 % Sciences sociales, interdisciplinaires 13 1.7287 % Gestion 10 1.3298 % Science politique 10 1.3298 %

Sources des articles sur le gouvernement électronique

22Notre méthode de sélection de l’ensemble d’articles à coder (tous les articles pouvant être considérés comme liés au gouvernement électronique, que ce soit de façon évidente ou plus éloignée) présentait deux avantages. Premièrement, cela limitait les travaux d’analyse et nous permettait de nous concentrer sur la construction conceptuelle. Deuxièmement, notre ensemble d’articles couvrant des régions allant de l’Amérique à l’Asie en passant par l’Australie, l’Afrique et l’Europe, il était des plus représentatif.

Définition du lexique propre au gouvernement électronique

23L’analyse du contenu des sommaires est une méthode habituelle pour identifier le lexique propre à un domaine (Nag, Hambrick et Chen, 2007). On utilise actuellement la CAT pour traiter d’importants volumes de texte dans le cadre de l’étude systématique d’une série de phénomènes sociaux, comme la cognition managériale et organisationnelle (Porac, Wade et Pollock, 1999), les modèles mentaux des équipes (Carley, 1997) et l’isomorphisme institutionnel (Abrahamson et Hambrick, 1997). Nous avons analysé 528 sommaires au moyen du logiciel de CATA Concordance (Watt, 2004) afin d’identifier le lexique ou le vocabulaire récurrents et propres au domaine du gouvernement électronique.

24Nous avons examiné des termes individuels (et leurs différentes formes) plutôt que des phrases entières ou des relations entre les mots. L’analyse de mots individuels est une approche habituelle en matière de codage automatique de texte, par exemple, dans les études sur les sciences sociales (Nag, Hambrick et Chen, 2007), comme dans les études d’Abrahamson et Hambrick (1997) et de Walsh, Weber et Margolis (2003).

25L’analyse de groupes de mots ou de phrases a l’avantage de tenir compte du contexte dans lequel les mots sont utilisés ; cette technique présente néanmoins aussi des inconvénients non négligeables (Singleton, 2000). Le fait de s’intéresser à des chaînes ou des paires de mots débouche sur un grand nombre de combinaisons qui sont analytiquement insolubles, ou cela oblige le chercheur à émettre des jugements a priori sur les types de combinaisons de mots à trouver. Par exemple, on peut s’attendre à ce que des expressions comme « gouvernement à guichet unique », « prestation de services publics », « informations sur le gouvernement électronique » et « partage de données publiques » soient fréquemment utilisées dans le domaine du gouvernement électronique ; l’acte même consistant à prédéterminer ces expressions entraîne un biais considérable dans la démarche analytique. Afin de limiter ces biais, nous avons donc examiné l’apparition de mots, ou de lexèmes, individuels en guise d’approche analytique de base.

26Les sommaires contenaient des milliers de mots individuels. Afin de rendre cet important volume de texte analytiquement malléable, nous avons imposé certaines restrictions aux termes à examiner de sorte à ne pas fausser les résultats. Ce processus est présenté dans l’illustration 4. La restriction la plus importante était que nous avons exclu tous les mots qui apparaissaient moins de dix fois dans les 528 sommaires sur le gouvernement électronique ; ces mots étaient employés tellement rarement qu’on ne pouvait les considérer comme faisant partie d’un quelconque lexique particulier. Ensuite, non avons exclu les noms propres, les prépositions, les adverbes, les articles et certains descripteurs communs, comme « divers », « terme », « ensemble » et « type », ainsi que des termes régulièrement employés dans les sommaires, comme « analyser », « se baser (sur) », « examiner », « étudier », « enquête », « indiquer », « illustrer », « décrire » et « montrer ». Pour certains termes ambigus, comme « IS », nous avons déterminé s’il désignait le verbe « être » (« is », en anglais) ou l’abréviation de « Information System » et s’il était traité comme un terme différent. Troisièmement, nous avons regroupé toutes les variations des racines de mots et les avons traitées collectivement. Par exemple, les termes anglais « provide », « provision » et « providing » ont tous été traités comme un même terme ; nous les avons indiqués en évoquant la variante la plus fréquente (en l’occurrence, « provide »). À l’inverse, nous avons analysé le contexte et avons déterminé la racine appropriée. Certains termes non pertinents ont été minutieusement supprimés après plusieurs analyses. Ce processus à étapes multiples a produit au total 166 mots, ou lexèmes, sur lesquels nous avons basé notre analyse. Encore une fois, l’objectif était d’identifier le lexique propre au gouvernement électronique : le vocabulaire régulièrement utilisé par les chercheurs dans le domaine du gouvernement électronique. L’étape suivante consistait par conséquent à identifier les termes les plus récurrents dans ces sommaires. Globalement, nous avons extrait près de 30 %, soit 52 mots (tableau 3).

Illustration 4

Processus d’affinage des termes

Illustration 4

Processus d’affinage des termes

Tableau 3

Le vocabulaire régulièrement utilisé par les chercheurs dans le domaine du gouvernement électronique

Tableau 3
Terme Fréquence Terme Fréquence Terme Fréquence gouvernement électronique (e 1480 politique (policy) 217 initiative 139 government) gouvernement (government) 930 organisation (organization) 215 exige (require) 138 service électronique (e-Service) 720 administration (administration) 213 secteur (sector) 136 public (public) 530 sûr (secure) 213 connaissances (knowledge) 125 informations (information) 512 projet (project) 210 améliorer (enhance) 124 site Web (website) 508 application (application) 210 pays (country) 123 usage (use) 441 accès (access) 206 définition (design) 123 développer (develop) 407 données (data) 185 société (society) 121 technologie (technology) 360 local (local) 184 stratégie (strategy) 121 citoyen (citizen) 333 efficace (effective) 180 niveau (level) 121 gérer (manage) 322 besoin (need) 177 communication (communication) 120 système (system) 314 entreprises (business) 169 numérique (digital) 119 processus (process) 288 démocratie électronique (e-Democracy) 159 faire (make) 115 modèle (model) 264 en ligne (online) 158 améliorer (improve) 104 offrir (provide) 249 Internet (internet) 155 monde (world) 103 cadre (framework) 244 États (state) 150 offrir (deliver) 102 approche (approach) 244 adopter (adopt) 148 mettre en œuvre (implement) 221 présenter (present) 144 a les mots à racine comprennent leurs différentes formes.

Le vocabulaire régulièrement utilisé par les chercheurs dans le domaine du gouvernement électronique

Définition de la conception généralement acceptée du domaine

27Nous avons basé la définition de la conception généralement acceptée du domaine du gouvernement électronique sur les 52 termes extraits de l’analyse des textes. Nous avons réalisé cette démarche inductive de manière itérative. Premièrement, nous nous sommes tournés vers des conceptions existantes du gouvernement électronique, comme celles présentées en annexe, afin de repérer les éléments conceptuels récurrents lorsque les chercheurs conceptualisaient le domaine. Malgré la variété de ces conceptions, nous avons épinglé certains éléments communs. Par exemple, plusieurs conceptions faisaient allusion au secteur public, tandis que d’autres faisaient référence aux informations ou aux services, au public ou à l’entreprise en tant qu’unité de service, etc. Sur la base de l’étude de la modélisation contextuelle et du raisonnement contextuel (Hong, Schmidtke et Woo, 2007), nous avons classé 52 mots dans le cadre de six paramètres fondamentaux de paradigmes contextuels : quelqu’un (Qui) interagit d’une certaine manière (Comment) et dans un certain but (Pourquoi) avec quelque chose (Quoi) à un moment (Quand) et un endroit donnés (Où), ou 5W1H en abrégé (illustration 5).

Illustration 5

Composantes générales d’une conception

Illustration 5

Composantes générales d’une conception

28Imaginons deux conceptions :

  1. Le gouvernement électronique (Quoi) est l’usage intensif ou généralisé (Comment) des technologies de l’information (Quoi) au sein de l’État (Où) dans le cadre de la prestation de services publics, de l’amélioration de l’efficacité managériale et de la promotion des valeurs et des mécanismes démocratiques (Pourquoi) » (Gil-Garcia et Pardo, 2005).
  2. « Le gouvernement électronique (Quoi) est la transmission (Comment) d’informations gouvernementales (Quoi) via l’Internet (Quoi) aux citoyens et aux entreprises et entre les agences gouvernementales (Qui) » (Jaeger et Thompson, 2004).
Dans ces deux définitions, le moment des activités (Quand), comme « 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 » et « à tout moment », n’a, en toute logique, pas été inclus.

29En examinant ces définitions existantes et en les comparant à nos catégories conceptuelles contextuelles, nous avons pu passer à la deuxième étape de ce processus inductif : identifier les principaux éléments qui constituent la conception consensuelle du domaine. Nous avons défini des catégories approximatives sur la base des groupes conceptuels de termes. Par exemple, plusieurs termes portaient sur les participants (Qui, par ex., « gouvernement », « citoyens » et « entreprise ») ; certains concernaient de toute évidence les initiatives prises par l’État (Comment, par ex., « fournir », « développer » et « administration ») ; certains portaient sur le contenu — les objets de ces initiatives (Quoi, par ex., « informations », « service » et « politique ») ; certains concernaient la méthode – comment réaliser ces initiatives (Quoi, par ex., « Internet », « système », « site Web » et « demande ») ; et les autres mots appartenaient à d’autres catégories approximatives. Les résultats classés sont présentés dans le tableau 4.

Tableau 4

Les catégories 5W1H du lexique

Tableau 4
Catégorie Terme Fréquence Catégorie Terme Fréquence Quoi gouvernement électronique (egovernment) 1480 Comment offrir (provide) 249 service électronique (e-Service) 720 présenter (present) 144 informations (information) 512 offrir (deliver) 102 politique (policy) 217 processus (process) 288 données (data) démocratie 185 accès (access) 206 électronique (e-Democracy) 159 gérer (manage) 322 connaissances (knowledge) 125 administrer (administrate) 213 communication (communication) 120 développer (develop) 407 technologie (technology) 360 définition (design) 123 système (system) 314 faire (make) 115 modèle (model) 264 usage (use) 441 projet (project) 210 mettre en œuvre (implement) 221 cadre (framework) 244 adopter (adopt) 148 application (application) 210 améliorer (enhance) 124 initiative 139 améliorer (improve) 104 approche (approach) 244 Où site Web (website) 508 Qui gouvernement (government) 930 en ligne (online) 158 public (public) 530 Internet (internet) 155 citoyen (citizen) 333 Modificateur État (state) 150 organisation (organization) 215 local (local) 184 entreprises (business) 169 niveau (level) 121 secteur (sector) 136 numérique (digital) 119 pays (country) 123 efficace (effective) 180 société (society) 121 sûr (secure) 213 monde (world) 103 stratégique (strategic) 121 Pourquoi besoin (need) 177 Quand 24/7 exige (require) 138 a Nous avons indiqué le « quand » dans le tableau dans l’unique but de présenter la structure complète du 5W1H.

Les catégories 5W1H du lexique

30Nous avons entrepris des discussions multiples pour ranger les 52 mots dans des catégories conceptuelles, en cherchant à concilier plusieurs considérations. Nous avons utilisé la nomenclature existante issue des définitions existantes dans la mesure du possible, tout en évitant d’être entravés par les définitions antérieures. Dans un souci de parcimonie, nous avons limité le nombre d’éléments conceptuels définis ; nous devions cependant aussi veiller à ce que tous les termes rangés dans une catégorie soient cohérents et s’emboîtent véritablement. Enfin, afin d’assurer la simplicité, chaque mot, ou lexème, n’a été rangé que dans une catégorie, même si leurs différentes formes pouvaient raisonnablement appartenir à d’autres. Les catégories conceptuelles et la relation logique entre celles-ci sont présentées dans l’illustration 6.

Illustration 6

Les catégories conceptuelles et la logique

Illustration 6

Les catégories conceptuelles et la logique

31Ce processus à étapes multiples nous a conduits à la conception suivante du gouvernement électronique, telle que déterminée par le lexique propre au domaine : « le gouvernement électronique désigne (a) les initiatives stratégiques de tous les échelons de l’État (b) afin de développer (définir), d’utiliser (mettre en œuvre, adopter) et de gérer des applications (systèmes, modèles), des projets (cadres) et la technologie (c) dans le but de développer (améliorer) le traitement, l’administration et la fourniture (présentation, prestation) sûrs et efficaces de l’information (données, connaissances, politique) et des services électroniques (démocratie électronique, communication) (d) au moyen de sites Web (Internet) afin de répondre aux besoins des citoyens et des entreprises (exigences) (e) ou d’offrir aux citoyens et aux entreprises un moyen (f) d’accéder en ligne à des informations (données, connaissances, politique) et des services électroniques (démocratie électronique, communication) sûrs et efficaces ».

Analyse

32Selon Kuhn, les communautés scientifiques n’ont pas besoin qu’il existe un paradigme unificateur, mais elles ont bel et bien besoin d’une identité commune (Nag, Hambrick et Chen, 2007). Notre démarche contribue à mieux comprendre ce qui constitue l’identité commune dans le domaine du gouvernement électronique. Cependant, la vitalité du gouvernement électronique est due au contenu intellectuel du domaine, qui se compose de multiples éléments conceptuels et permet d’étudier toute une série de questions théoriques et pratiques. D’après notre analyse, la conception généralement admise du domaine est composée d’un lexique de 52 termes composés de six éléments.

33Ces six éléments constituent la conception généralement admise du gouvernement électronique. Plus précisément, cette conception est généralement admise car elle est conceptualisée par les termes les plus souvent utilisés par les chercheurs dans le domaine. Cette conception s’écarte fondamentalement des autres car elle représente, de facto, la façon dont les membres (les chercheurs, les scientifiques, les praticiens et d’autres) envisagent le domaine, plutôt que la façon dont ils devraient, pourraient ou voudraient l’envisager. Il faut néanmoins reconnaître que cette conception théorique n’est ni formulée de manière élégante, ni gracieuse dans sa syntaxe, et devrait varier avec l’évolution du gouvernement électronique. Sous sa forme actuelle, elle représente notre meilleure tentative d’intégrer dans une phrase les six éléments issus des études existantes.

34Le premier élément conceptuel, « les initiatives stratégiques de tous les échelons de l’État », est représenté par des termes tels que « stratégique » et « initiative », qui soulignent l’importance du gouvernement électronique au sein d’un gouvernement. Les termes « gouvernement », « échelon », « secteur », « local », « pays » et « État » concernent les principaux acteurs qui sont les objectifs dans les études sur le gouvernement électronique.

35Le deuxième élément, « afin de définir, d’utiliser et de gérer des applications, des projets et la technologie », concerne les moyens de réaliser la mission stratégique. Des termes tels que « développer », « définir », « utiliser », « mettre en œuvre », « adopter » et « gérer » représentent les activités nécessaires à la réalisation de la mission. Les termes « applications », « systèmes », « modèles », « projet », « cadre » et « technologie » portent sur les outils utilisés pour réaliser la mission stratégique.

36Le troisième élément de la définition, « afin d’améliorer le traitement, l’administration et la fourniture sûrs et efficaces de l’information et de services électroniques », conceptualise les fonctions clés des initiatives axées sur le gouvernement électronique. Des termes tels que « prestation », « processus » et administrer » expriment les autres activités essentielles pour réaliser la mission, tandis que les termes « informations », « données », « connaissances », « services électroniques », « communication », « démocratie électronique » et « politique » désignent les principaux résultats du gouvernement électronique. Des termes tels que « sûr » et « efficace » illustrent les caractéristiques des principales fonctions.

37Le quatrième élément conceptuel, « via des sites Web (Internet) afin de répondre aux besoins (exigences) des citoyens et des entreprises », est lié aux objectifs des initiatives de gouvernement électronique et aux outils utilisés par les gouvernements. Des termes tels que « site Web » et « Internet » désignent les outils que peuvent utiliser les gouvernements.

38Le cinquième élément, « ou offrent au citoyen et aux entreprises un moyen », conceptualise l’autre caractéristique du gouvernement électronique – une méthode de communication bidirectionnelle pour les gouvernements, les citoyens et les entreprises.

39Enfin, le sixième élément, « pour accéder en ligne à des informations (données, connaissances, politique) et des services électroniques (démocratie électronique, communication) sûrs et efficaces » signifie que les citoyens et les entreprises peuvent accéder aux informations et aux services dans un intérêt personnel.

40Maintenant que nous avons extrait la conception généralement admise du domaine, la question qui se pose est « Et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ? ». Le principal avantage de cette conception est sans doute qu’elle permet aux chercheurs dans le domaine du gouvernement électronique de discuter de la façon dont ils veulent voir évoluer le domaine. À cet égard, la conception extraite semble accorder de l’importance au service plutôt qu’à d’autres activités gouvernementales, comme l’administration ou la gestion.

41Au niveau le plus basique, le lexique et la conception extraits pourraient servir d’écran ou d’aimant pour les recherches futures. Si le domaine du gouvernement électronique obéit à son propre concept de compétence particulière, on peut considérer la conception existante comme un écran ou un filtre, et les études scientifiques qui ne cadrent pas avec cette conception peuvent être traitées comme sortant du cadre du domaine du gouvernement électronique. Si, cependant, nous traitons la conception actuelle comme un aimant, qui attire ou suscite des études connexes, la forme du domaine – y compris la conception proprement dite – pourrait évoluer au fil du temps. Dans cette perspective, l’une des compétences particulières du domaine pourrait concerner sa capacité – et sa disposition – à négocier, concilier et intégrer les travaux issus de beaucoup d’autres domaines (Hargadon et Sutton, 1997; Nag, Hambrick et Chen, 2007).

Conclusion

42Les chercheurs dans le domaine du gouvernement électronique déplorent la nature disparate, ambiguë et en constante évolution de ce domaine. Comment ces préoccupations peuvent-elles être compatibles avec le succès considérable que connaît le gouvernement électronique depuis deux décennies ? Notre étude, qui se fonde sur une étude à grande échelle sur les travaux réalisés dans le domaine du gouvernement électronique, a débouché sur un lexique particulier et permis d’identifier la façon dont ses membres conçoivent le domaine. À côté de cela, notre étude indique que le gouvernement électronique fait office d’entité de courtage intellectuel, qui se développe en permettant la poursuite simultanée d’orientations de recherche multiples par des membres qui proviennent de toute une série de courants disciplinaires et philosophiques. Parallèlement à cela, cependant, les membres de cette communauté, aussi diversifiés soient-ils, semblent liés par un consensus fondamental qui assure la cohérence du domaine et le maintien de son identité. Le succès du gouvernement électronique laisse par conséquent entrevoir une nouvelle vision des communautés académiques – des entités qui sont dynamiques et malléables, et qui pourtant sont reliées entre elles par un fondement commun et sous-jacent, quoi que perméable.

Faiblesses et recherches futures

43Notre étude définit un lexique particulier et propose une conception généralement admise du domaine du gouvernement électronique. Elle présente néanmoins plusieurs faiblesses, qui sont présentées dans le cadre de quatre aspects.

44Premièrement, nous avons analysé les articles du WoK allant de 1993 à 2008 au moyen des thèmes que sont le « gouvernement électronique », l’ « e-gouvernement », l’« eGouvernement », la « gouvernance électronique », l’« e-gouvernance », l’« e-Gouv » et l’« eGouv » afin de distinguer le gouvernement électronique des autres domaines. Cette approche ne tenait cependant pas compte de ce qui différencie ou rapproche le gouvernement électronique d’autres domaines académiques, comme la sécurité de l’information, le vote électronique, la communauté électronique ou la société électronique. Nous avions l’intention d’inclure les articles axés sur le gouvernement électronique issus de revues spécialisées dans ces autres domaines apparentés, mais ils étaient trop vagues pour permettre de réaliser ce type d’analyse.

45Deuxièmement, les articles que nous avons examinés étaient exclusivement extraits de revues dont les citations sont suivies par SCIE, SSCI, A&HCI et CPCI-S ; nous avons omis les autres revues académiques et les livres connexes non abordés par le WoK. Nous avions l’intention d’inclure des revues issues d’autres bases de données apparentées, comme indiqué au premier paragraphe de la partie consacrée à la Méthode ; elles n’étaient cependant pas utiles à notre analyse en raison du mécanisme de notation de ces bases de données.

46Troisièmement, les articles sélectionnés pour l’analyse étaient extraits de revues et de conférences et il y avait aussi quelques dossiers gouvernementaux (par ex., des documents et des rapports sur la politique), des rapports d’organisations publiques (par ex., des rapports des Nations unies), des schémas technologiques d’entreprises (par ex., l’« Infrastructure solution for e-government » d’IBM), etc., qui ont peut-être nuit à la valeur professionnelle qui sert d’indicateur aux praticiens de l’État. Le domaine du gouvernement électronique comporte non seulement des activités académiques, mais aussi des activités appliquées qui peuvent d’une certaine manière influencer l’orientation des activités académiques. Nous nous sommes en outre basés sur un grand nombre d’ouvrages apparentés, comme le rapport des Nations unies intitulé « Global E-government Readiness Report (2002-2005, 2008) » et « Global E-government (2001-2007) » du prof. West, ainsi que sur plusieurs documents de travail et thèses trouvés sur l’Internet dans le cadre de la définition la conception. Ces documents ont cependant été omis dans la conception finale car ils étaient trop diversifiés et désorganisés.

47Enfin, notre ensemble d’articles était extrait exclusivement de revues en langue anglaise, et nous avons donc omis les revues rédigées dans d’autres langues. Une part non négligeable de chercheurs et de praticiens ont cependant publié des articles dans d’autres langues. Par exemple, entre 1993 et 2008, près de 12 000 articles, thèses et autres ouvrages ont été publiés en chinois. Nous avons omis ces articles parce qu’ils n’étaient pas adaptés à notre outil d’analyse et qu’on ne pouvait pas se servir du logiciel de CATA pour analyser le chinois et d’autres langues.

48Ces faiblesses indiquent plusieurs possibilités de recherches futures. Premièrement, on peut examiner le domaine du gouvernement électronique depuis plusieurs perspectives. Nous avons basé notre étude sur l’analyse lexicale eu égard aux allusions pertinentes au gouvernement électronique. Le gouvernement électronique peut cependant aussi avoir le même système de vocabulaire que d’autres domaines académiques. Deuxièmement, les recherches futures peuvent reproduire notre évaluation dans le domaine du gouvernement électronique et étudier la façon dont les membres de ce domaine ont examiné et revu leurs conceptions du domaine au fil du temps. Il serait très intéressant d’examiner la façon dont les membres considèrent le domaine dans cinq ou dix ans, de même que ce qu’ils pourront alors considérer comme faisant ou non partie du domaine sur la base de leur conception actuelle. Troisièmement, on pourrait examiner l’influence croisée de la conception généralement admise entre le gouvernement électronique et d’autres domaines, comme la sécurité de l’information, le vote électronique, la communauté électronique ou la société électronique. Quatrièmement, notre méthodologie peut s’appliquer à d’autres domaines académiques, comme ceux dans les sciences de la gestion. En conséquence, notre étude pourrait non seulement permettre de mieux comprendre le domaine du gouvernement électronique en tant qu’entité sociale, mais aussi constituer une feuille de route analytique pour mener des recherches similaires dans d’autres domaines.


Annexe

Définitions du gouvernement électronique

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Auteur Définition Hernon (1998) le gouvernement électronique est « … le simple fait d’utiliser les technologies de l’information pour offrir des services gouvernementaux directement au client, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 ». McClure (2000) Le gouvernement électronique désigne l’utilisation par le gouvernement de la technologie, et notamment des applications en ligne, afin d’améliorer l’accès et la fourniture d’informations et de services publics aux citoyens, aux partenaires commerciaux, au personnel, aux autres agences et aux entités gouvernementales. Fountain (2001) Le « gouvernement électronique » est un gouvernement qui est de plus en plus organisé en termes d’agences virtuelles, de réseaux interagences et de réseaux public-privé, dont la structure et la capacité sont basées sur l’Internet et le Web. Brown & Brudney (2001) Le gouvernement électronique est l’usage de la technologie, en particulier les applications en ligne, afin d’améliorer l’accès aux informations et aux services publics et leur fourniture. Kaylor et al. (2001) Le gouvernement électronique est considéré comme étant la possibilité pour les citoyens de communiquer et/ou d’interagir avec la ville via l’Internet d’une manière plus sophistiquée que le simple courrier électronique envoyé à la ville (ou au Webmaster) ou que la mention d’une adresse électronique sur le site. Relyea (2002) Le « gouvernement électronique » est souvent utilisé pour symboliser ou désigner de façon ambiguë les applications actuelles des TI aux activités de l’État ainsi que l’idée de réaliser les fonctions gouvernementales de manière plus efficace et moins coûteuse. Banque mondiale (2003) Le « gouvernement électronique » désigne l’usage par les agences gouvernementales des technologies de l’information (comme les réseaux étendus, l’Internet et l’informatique mobile) pour pouvoir transformer les relations avec les citoyens, les entreprises et les autres organes de l’État. Jaeger & Thompson (2004) Le gouvernement électronique désigne le fait d’offrir des informations gouvernementales par l’Internet aux citoyens et aux entreprises et entre les agences gouvernementales. Gil-Garcia & Pardo (2005) Le gouvernement électronique est l’usage intensif ou généralisé des technologies de l’information au sein de l’État dans le cadre de la prestation de services publics, de l’amélioration de l’efficacité managériale et de la promotion des valeurs et des mécanismes démocratiques. Tung & Rieck (2005) Le gouvernement électronique est censé entraîner une amélioration de la prestation de services publics et des interactions entre les entreprises et l’industrie, un renforcement de la position des citoyens grâce à l’accès aux informations ou une gestion publique plus efficace. Evans, Yen, & David (2006) Le gouvernement électronique désigne la communication entre l’État et les citoyens via des ordinateurs et une présence en ligne. Vassilakis, et al. (2007) On peut définir le gouvernement électronique (ou « e-gouvernement ») comme l’usage de plus en plus fréquent et omniprésent des technologies de l’information et de la communication dans le cadre de la société de l’information, qui touche de plus en plus le secteur public ; l’importance de ce phénomène est de plus en plus reconnue dans beaucoup de pays du monde et des expériences sont menées à tous les échelons de l’État… pour améliorer le fonctionnement des services publics concernés et développer leur interaction avec le monde extérieur.

Bibliographie

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