Couverture de RISA_734

Article de revue

L'automatisation des contrôles de vitesse en Grande-Bretagne : entre révolution technique et continuité administrative

Pages 661 à 675

Notes

  • [*]
    Laurent Carnis est chercheur à l’Institut National de Recherche sur les Transports et leur Sécurité au Groupe d’Analyse du Risque Routier et de sa Gouvernance.
  • [1]
    La France prévoit l’installation de 2 000 appareils à la fine de l’année 2007.
  • [2]
    A l’avenir et selon les dernières déclarations du ministre des Transports, le Pays de Galles devrait obtenir le droit de gérer son propre dispositif de contrôle.
  • [3]
    En ce qui concerne l’Ecosse, les premiers dispositifs de caméras ont été introduits en 1993.
  • [4]
    Document du Ministère des Transports britannique « Frequently Asked Questions ».
  • [5]
    Depuis avril 2007, une nouvelle organisation est mise en œuvre en Angleterre. Les dispositifs de contrôle de la vitesse sont désormais logés au sein de nouveaux dispositifs locaux en charge des questions de transport et feront l’objet d’un financement direct par le Ministère des Transports. Le gouvernement justifie sa décision par la nécessité de travailler désormais à la consolidation du dispositif. Quant à l’Ecosse, les autorités n’ont pas encore pris leur décision. Le présent article étudiera alors le système tel qu’il fonctionnait jusqu’à avril 2007.
  • [6]
    Un partenariat local peut comprendre plusieurs sites de contrôle répartis sur plusieurs juridictions administratives.
  • [7]
    Chaque partenaire apporte ses propres connaissances et son expertise.
  • [8]
    Les évaluations menées sur le dispositif de contrôle prennent essentiellement en compte la survenance d’accidents à proximité des lieux de contrôle. En conséquence, certaines victimes ne seraient pas comptabilisées alors qu’elles devraient l’être. Les chiffres s’en trouvent dès lors surestimés. En fait, ce débat porte plus sur l’amplitude des effets produits que les effets eux-mêmes. Il souligne aussi la difficulté de mesurer les gains associés à la mise en œuvre d’une intervention publique.
  • [9]
    Ce phénomène renvoie à la théorie du « saut du kangourou ». Le conducteur diminue sa vitesse de circulation à proximité du lieu de contrôle et accroît celle-ci après son passage.
  • [10]
    Même s’il peut être raisonnable de penser que les modifications physiques du réseau peuvent se substituer à une politique de répression en milieu urbain, cela paraît plus difficile pour des réseaux situés en rase campagne ou à forte circulation.
  • [11]
    Je tiens à remercier ici l’un des référés qui a suscité en partie cette réflexion.
  • [12]
    L’évolution institutionnelle récente entreprise par le gouvernement répond sans doute en partie à ces enjeux. L’absence de recul ne permet pas de conclure et d’aller plus en avant sur ce point pour le moment.
  • [13]
    Les interventions d’officiers de police britanniques lors de la dernière conférence du TISPOL (organisation européenne des forces de police qui vise à coordonner leurs actions et à échanger des bonnes pratiques) a mis en évidence que la sécurité routière n’était pas toujours une priorité de certains commissaires. “Making Europe’s Roads Safer”, London Conference 2007.
  • [14]
    La nouvelle disposition organisationnelle décidée par le Ministère des Transports semble conforter cette conclusion. La décision de financer l’installation de nouveaux appareils de contrôle lui revient désormais.
  • [15]
    A ce titre, la création d’un programme national pour gérer le dispositif du contrôle automatisé semble confirmer cette tendance à déléguer des prérogatives à des organisations qui n’appartiennent pas stricto sensu à un ministère.
  • [16]
    Il peut également refuser l’implantation d’un dispositif de contrôle automatisé sur sa juridiction.
  • [17]
    Une évolution similaire est à l’œuvre pour ce qui concerne le contrôle du paiement des péages, du stationnement, mais aussi le contrôle de la production agricole subventionnée, le contrôle fiscal, et plus généralement l’automatisation de nombreuses tâches administratives.

Introduction

1Même si la vitesse est reconnue depuis longtemps comme un facteur générateur d’accidents, les techniques permettant sa régulation se sont substantiellement améliorées depuis quelques années. Désormais, les véhicules peuvent être équipés de régulateurs ou de limiteurs de vitesse. Le progrès a rendu également possible l’amélioration des techniques de détection et de sanction. Les vitesses peuvent être contrôlées par des radars reliés à des dispositifs informatiques permettant une automatisation quasi complète de la procédure de contrôle et de sanction, limitant ainsi les interventions humaines.

2Différents pays ont introduit très tôt ces dispositifs de contrôle. De nombreuses études et évaluations ont été réalisées sur ces différentes expériences de contrôle automatisé de la vitesse. Leur objet consiste essentiellement à évaluer l’effet dissuasif du dispositif sur les conducteurs (vitesse de circulation, proportion de contrevenants et importance des excès de vitesse réalisés) et à identifier l’impact sur les accidents pour proposer éventuellement des recommandations de politique publique [Blackburn et Gilbert 1995]. Cependant, malgré une littérature fournie, aucune étude systématique n’a été menée sur le processus de mise en œuvre, ni sur le cadre institutionnel dans lequel le déploiement des systèmes automatiques s’inscrit (organisation du système de sécurité routière, places respectives des contrôles de vitesse automatisés et manuels, cadre juridique, orientations de la politique publique…).

3Cette contribution s’intéresse à cette dimension en étudiant la mise en place du dispositif de contrôle automatisé de la vitesse britannique, qui constitue une ‘révolution’ technique s’articulant autour d’une organisation institutionnelle spécifique (1.1) et présentant des effets notables en termes accidentologiques et financiers (1.2). Toutefois son analyse organisationnelle et institutionnelle indique une continuité dans la mise en œuvre de principes administratifs inspirés de la nouvelle gestion publique (NGP) (2.1) déjà à l’œuvre dans le domaine de la régulation et de la circulation routières assurées par les forces de police (2.2).

I – Le contrôle automatisé de la vitesse : une révolution technique aux effets remarquables

1.1 – Perspectives historiques et éléments organisationnels

4L’organisation du « safety camera programme » britannique a évolué au cours du temps. Il compte à présent environ 5000 appareils de contrôle de la vitesse. Cela en fait un programme relativement important, lorsqu’il est comparé à d’autres dispositifs [1]. Son impact sur le nombre de victimes et d’accidents s’avère significatif (1745 victimes décédées ou gravement blessées sauvegardées chaque année) et représente un gain considérable pour la société britannique (258 millions de livres économisées au niveau de la société pour l’exercice 2003/2044) [Gains et al. 2005].

51.1.1. La mise en place progressive du programme de contrôle automatisé des vitesses Le terme de dispositif britannique est d’une certaine manière impropre dans la mesure où il existe de fait non pas un, mais deux dispositifs indépendants de contrôle automatisé de la vitesse [2]. En effet, l’Ecosse dispose de son propre système depuis le processus de dévolution liée à l’autonomie de la province. Même si les dispositifs partagent de nombreuses caractéristiques communes dans la manière d’opérer, ils restent toutefois clairement indépendants [Department for Transport 2006 ; Scottish Safety Camera Programme 2004]. La présente étude assimilera le dispositif britannique aux deux programmes précités.

6Le dispositif britannique de surveillance automatisée des infractions routières prend la dénomination de « safety cameras programme ». Il comprend environ 7000 lieux de contrôle pour contrôles les limitations de vitesse et le respect des feux de circulation. En fait, la dénomination du dispositif de contrôle automatisé de la vitesse est « speed cameras programme». Il s’appuie sur environ 5000 sites de contrôle répartis sur l’ensemble du territoire et fonctionnant de manière aléatoire [Mountain et al. 2004, p. 280].

7Historiquement, le dispositif s’est développé en trois étapes. En 1991 [3], le Road Traffic Act reconnaît la possibilité de sanctionner l’excès de vitesse lorsque celui-ci est détecté par un appareil photographique. Les autorités modifient ainsi la loi et donnent la possibilité aux juges de sanctionner un contrevenant détecté par ce type de dispositif. Des circulaires (Circular Roads 1/92 et 1/95) [4] précisent les conditions d’implantation et de signalisation de ces dispositifs. En 1992, le West London Speed Camera Demonstration Project, projet pilote ouvre la voie à l’installation de nouveaux dispositifs.

8Très tôt, des difficultés d’extension du dispositif du contrôle automatisé sont identifiées. Leur financement s’avère inadéquat. En effet, les coûts d’installation et d’entretien sont supportés par les autorités locales et les forces de police, tandis que les revenus sont reversés au Trésor britannique (Hook et al. 1996, pp. 24-25). Les autorités britanniques décident alors d’expérimenter un autre dispositif. Ainsi en 2000, une expérimentation sur 8 sites pilotes évalue l’opportunité de déployer des dispositifs autofinancés (netting off schemes) dans le cadre de « local partnerships » (partenariats locaux). Cette expérimentation permet également de répondre aux détracteurs de ces dispositifs, qui accusent le gouvernement de les utiliser à des fins parafiscales. Face au succès obtenu par l’expérimentation, le principe du partenariat local autofinancé est retenu et généralisé au niveau national à partir de 2001. Cette troisième phase ouvre un processus de consolidation progressif de l’ensemble des dispositifs locaux existants au sein d’un programme national homogène et coordonné [5].

91.1.2. La dimension organisationnelle L’« handbook » constitue un guide opérationnel de mise en œuvre et de fonctionnement du dispositif. Il souligne le professionnalisme et le soin qui caractérisent le dispositif de contrôle. Il précise les modalités de la gouvernance aux niveaux national et local, mais également leur imbrication (règles de contrôle des dispositifs, procédure d’audit et de certification, modalités d’utilisation des revenus générés par le dispositif…). Les conditions d’implantation et de signalisation des lieux de contrôle sont clairement définies et permettent ainsi d’harmoniser le fonctionnement du dispositif.

10Pour installer un site de contrôle, un minimum de 4 tués ou blessés graves par kilomètre (longueur du site concerné) sur les 36 derniers mois est requis. Le seuil est fixé à 2 tués ou blessés graves par kilomètre sur la même période pour un dispositif mobile [Department for Transport 2004, p. 30]. D’autres dispositifs peuvent être installés dans la mesure où il existe des preuves évidentes d’un problème associé à la vitesse et à condition que ces sites ne représentent pas plus de 15% de l’activité totale du dispositif. Le dispositif britannique comprend ainsi les « core sites » ou dispositifs centraux, des sites exceptionnels (exceptional sites) et des dispositifs ponctuels à proximité de zones de travaux (roadwork sites). A ces différentes catégories de dispositifs, il faut ajouter les «non programme sites», c’est-à-dire les dispositifs automatisés qui ne participent pas au programme national et qui ne sont donc pas concernés par les contraintes liées à son adhésion.
La gouvernance du système s’appuie sur une double structure nationale et locale. Au niveau national, le ministère des Transports supervise le fonctionnement du programme national. Le «national safety camera programme board», composé des intervenants clés du système (représentants des Ministères des Transports et de la Santé, des représentants des provinces galloise et écossaise, et des représentants des dispositifs locaux…), assure une fonction de conseil en matière de stratégie, de direction et de contrôle du dispositif national. Il joue aussi un rôle de superviseur des dimensions opérationnelles et financières des dispositifs locaux. Le « safety camera programme office » l’assiste dans ces tâches en assurant une fonction opérationnelle (gestion des données statistiques, production d’analyse et de recherches, mise à jour du guide, travail de reporting). Il effectue un travail d’identification des bonnes pratiques (processus d’homogénéisation du système) et assure leur diffusion. Il réalise aussi un travail d’évaluation des dispositifs locaux et constitue une structure de support et de liaison avec les structures locales. La politique de communication au niveau national est prise en charge par la « national safety camera liaison ». Cette politique s’effectue de manière coordonnée avec les dispositifs locaux qui assurent leur propre politique de communication circonscrite au niveau local.
La structure de gouvernance s’appuie sur des partenariats locaux [6], « local partnerships », qui associent les différents intervenants locaux concernés par les enjeux de sécurité routière (magistrats, policiers, services de santé et de secours, représentants de l’équipement, élus…) [Department for Transport 2004, p. 14 et s.]. Les dispositifs locaux sont responsables auprès des instances nationales (accountability) et peuvent définir des accords (Memorandum of Understanding (MOU) ou Service Level of Agreement (SLA)) qui assurent la cohérence de l’action du dispositif local avec la politique de sécurité routière (infrastructure, éducation…) [7].

1.2 – Les résultats probants du dispositif de contrôle automatisé britannique

11Le contrôle automatisé de la vitesse a permis de réduire significativement les vitesses de circulation, les conduites à vitesse excessive et le nombre de victimes. Il a permis de réduire le coût de l’insécurité routière supporté par les citoyens et de disposer d’une meilleure connaissance des contrevenants.

121.2.1. Une réduction des vitesses excessives, du nombre des victimes et du coût social De nombreuses études ont procédé régulièrement à l’évaluation de ce dispositif de contrôle pour déterminer à la fois sa viabilité financière et ses impacts sur l’accidentologie [Gains et al. 2004 ; Christie et al. 2003 ; Hess 2003 ; Hooke et al. 1996]. L’évaluation du dispositif menée sur un échantillon représentatif de sites pour les quatre premières années de fonctionnement a identifié une diminution de la vitesse moyenne de 2,2 mph, une réduction du nombre des contrevenants de 31 % et de 51 % pour ceux excédant la limite de vitesse de plus de 15 mph [Gains et al. 2005, p. 5]. Quant au nombre de tués et blessés, la diminution s’établit à -42% avec des effets plus importants pour les dispositifs fixes (-50 %) que pour les mobiles (-35 %). Cette différence s’explique de manière essentiellement technique. Les dispositifs fixes nécessitent un niveau d’accidentologie (avant installation) plus élevé que celui appliqué aux dispositifs mobiles (la réduction attendue est donc en conséquence plus importante). Ceci est renforcé par le fait que les dispositifs mobiles produisent une dissuasion générale (ensemble du réseau) et les dispositifs fixes une dissuasion locale. Or l’impact des dispositifs se fait à proximité des lieux de contrôle. Les auteurs estiment aussi le ratio bénéfice/coût pour le dispositif de contrôle à 2,7. Il aurait également conduit à économiser plus de 200 millions de £ du fait de dommages évités.

131.2.2. Une meilleure connaissance des contrevenants qui facilite l’ajustement du dispositif de contrôle L’impact du dispositif automatisé sur les accidents et les modalités pour apprécier celui-ci font l’objet de débats entre les experts [Hewson 2005 ; Cameron and Buckingham 2003-04]. En somme, la question de l’automatisation des contrôles est au centre d’échanges scientifiques, qui sont permis par la transparence et l’accessibilité aux informations concernant le dispositif. Ainsi, il existerait des effets connexes associés aux radars automatisés. Un « phénomène de migration des accidents » serait à l’œuvre du fait des modifications de trajet opérées par les conducteurs pour éviter les contrôles, ce qui conduirait à déplacer en partie les lieux de survenance des accidents [8]. L’adaptation comportementale temporaire des conducteurs [9] limiterait également l’efficacité des dispositifs dans le temps et à quelques centaines de mètres des lieux de contrôle (effets de halo spatial et temporel) [Carnis 2001]. Les conducteurs réduiraient leur vitesse de circulation à proximité des contrôles et pour une durée limitée, et ils adopteraient de nouveau un niveau de vitesse qu’ils jugent adapté. Ainsi, les effets imputés à l’automatisation des contrôles seraient surestimés du fait de la diversion du trafic et d’une adaptation comportementale, sans remettre toutefois en cause l’efficacité globale du dispositif [Mountain et al. 2004, p. 280]. D’autres études mettent en évidence l’existence d’alternatives à l’installation des radars. En effet, les modifications d’infrastructures dites verticales (dos-d’âne ou gendarmes) et horizontales (chicanes, rond-point…) seraient plus appropriées pour obtenir des résultats à la fois sur les vitesses de circulation et l’accidentologie [Hirst et al. 2004 ; Mountain et al. 2004] [10]. Ce débat, qui reste néanmoins ouvert, souligne que la gestion du risque routier ne peut se passer d’une action intégrée associant les 3 E (education, engineering, enforcement) et ne peut faire l’économie d’une réflexion stratégique quant à l’utilisation et au déploiement des appareils.

14En termes d’infraction, le dispositif met en avant des capacités impressionnantes. En effet, le dispositif automatisé a permis la détection de 1,8 million d’infractions en 2003, dont plus de 93 % concernent des excès de vitesse. Le nombre d’infractions à la vitesse détectées a augmenté de 80 % par rapport à 2001. Un autre fait significatif réside dans la proportion des excès de vitesse détectés par le dispositif automatisé : 85 % du total des infractions à la vitesse limite [Ayres et al. 2004].
Le déploiement du dispositif automatisé a conduit aussi à s’interroger sur les perceptions des conducteurs à l’égard de ce type de contrôle, mais également à prendre en compte celles des policiers et des juges qui ont vu leur pratique professionnelle bouleversée par l’introduction de ces appareils [Corbett 1995]. L’étude souligne ainsi la nécessité de financer les dispositifs en évitant de ponctionner sur les budgets de la police (phénomène de substitution des activités) et de trouver les mécanismes incitatifs idoines pour les juges (problème de motivation). Elle met également en évidence la nécessité d’employer les dispositifs fixes à proximité des points noirs (effet local) et d’utiliser les dispositifs mobiles afin de produire un effet dissuasif en générant de l’incertitude à l’ensemble du réseau (effet global) [Ibid., p. 352]. L’auteur plaide également pour accroître la densité du dispositif et homogénéiser l’impact dissuasif sur les contrevenants malgré le danger de créer un mécontentement parmi les usagers (acceptabilité sociale). D’autres recherches se sont penchées sur les différentes stratégies possibles compte tenu des perceptions et des réactions des conducteurs [Blincoe et al. 2006 ; Stradling et al. 2003 ; Corbett and Simon 1999]. Quatre catégories de conducteurs coexisteraient : les conformistes (qui respectaient les limites de vitesse avant la mise en œuvre du dispositif), les dissuadés (ceux qui respectent désormais la réglementation), les manipulateurs (réduisent leur vitesse uniquement au lieu des contrôles) et les réfractaires qui s’opposent au système. Les autorités peuvent dès lors ajuster leur stratégie, par exemple en signalant les lieux de contrôle, en facilitant l’identification des radars par le conducteur par l’adoption de boîtiers de protection jaunes. Le conducteur se trouve dès lors averti de l’existence de contrôles de vitesse. Le sentiment d’être tombé dans un piège est atténué.

2 – Une intervention en sécurité routière qui s’inscrit dans la continuité des principes administratifs qui guident l’action des autorités britanniques

2.1 – Le dispositif de contrôle automatisé des vitesses : un système local coordonné à performances contrôlées

15L’étude du programme britannique de contrôle automatisé des vitesses fait ressortir quelques grandes caractéristiques. Il présente une dimension locale marquée, mais qui reste contenue par des mécanismes de coordination assurés par les instances nationales. Ces dernières assurent entre autres le contrôle des performances et homogénéisent le fonctionnement des partenariats locaux.

162.1.1. La rationalisation économique et financière par l’application des outils de la Nouvelle Gestion Publique (NGP) Une dimension essentielle du dispositif britannique repose sur la généralisation des audits relatifs à sa viabilité financière et le contrôle régulier de ses performances. Dès 1996, un premier rapport souligne l’existence d’un bénéfice net associé au programme selon différentes hypothèses (taux d’actualisation, période d’étude, tests de sensibilité…). Le rapport conclut à la nécessité de mener régulièrement des contrôles sur les performances économiques et financières du système afin d’en assurer sa viabilité à terme [Ibid. p. 47]. Cette recommandation sera donc intégrée au fonctionnement du dispositif.

17La démarche « économique » anime également le rapport de l’étude pilote qui justifie la généralisation du « cost recovery system » [Gains et al. 2003]. Le système doit assurer son autofinancement en couvrant ses dépenses d’investissement et de fonctionnement. Ce principe d’autofinancement oriente en partie les choix d’implantation des dispositifs. Les sites pour lesquels le retour financier est assuré et les enjeux en termes accidentologiques ont été identifiés sont éligibles. Les critères d’installation en termes d’accidentologie définis par le handbook évitent que ne soient installés des dispositifs où l’objectif se limiterait à l’identification des contrevenants et le paiement d’amendes. Par ailleurs, une section routière caractérisée par une récurrence d’accidents peut ne pas être équipée d’un appareil de contrôle, du fait de l’absence de viabilité financière. Dans ce cas, la solution passe éventuellement par une mesure alternative (contrôle traditionnel, modification de l’infrastructure, car la vitesse peut ne pas être la cause des accidents…). Toutefois, l’énonciation d’un critère financier, même s’il préserve de l’installation injustifiée d’un équipement de contrôle, n’est pas sans danger. En effet, un dispositif efficace réduit à terme le nombre de contrevenants et les revenus générés A terme sa viabilité financière peut être mise en défaut. Ainsi quand bien même se justifierait économiquement un dispositif (valorisation des dommages évités et des vies sauvegardées), il ne saurait être maintenu dans une optique strictement financière [11][12]. Il existe ici un réel point de tension entre deux logiques qui ne sont pas toujours concordantes.

18L’évaluation du dispositif national en 2003 avance un ratio coût – bénéfice de 4 [Gains et al. 2004, p. 56 et s.]. Il a été réactualisé récemment. Les logiques économique et financière constituent ainsi une composante essentielle du fonctionnement du dispositif de contrôle britannique. Ce dernier doit permettre de générer de réels avantages pour la population, d’où le principe retenu du «best value» (solution recherchant l’efficacité, l’efficience et la dimension « économique » ou les 3 ‘E’) [Pollitt 1996, p. 82]. L’installation d’un dispositif automatisé doit ainsi démontrer que la solution apportée au problème n’est pas trop onéreuse, qu’elle constitue une réponse adaptée et que le dispositif sera correctement géré. La recherche de la performance (notamment financière et en termes de réduction d’accidents), les mécanismes d’accountability, la séparation entre les dimensions financière et opérationnelle, la mise en œuvre de mécanismes de contrôle interne et externe aux partenariats locaux constituent les principes organisationnels mis en œuvre s’inspirant de la NGP [Lacey 1994, p. 542]. Ces influences apparaissent encore plus évidente lorsque sont pris en considération d’autres caractéristiques essentielles du dispositif de contrôle : la quantification des objectifs, un raisonnement en termes de réalisations et la recherche de l’efficience, l’articulation du programme national autour de partenariats locaux autonomes du point de vue opérationnel et de taille réduite qui associe la société civile, la mise en œuvre d’une forme de contractualisation avec les autorités locales et l’appel au privé pour la réalisation de certaines prestations techniques (équipement, communication…) [Pollitt 2006, pp. 27-28].

192.1.2. Une intervention publique locale La dimension locale du dispositif apparaît particulièrement discriminante pour spécifier le dispositif britannique. En effet, le programme national s’appuie sur les actions menées par les «local partnerships» (au nombre de 38). Ces partenariats associent les différents « agents clés » (stakeholders) de la juridiction locale qui ont un intérêt à la résolution des problèmes de sécurité routière. Ces agents clés sont représentés à la fois au sein des instances dirigeantes et stratégiques des dispositifs locaux, et des instances exécutives.

20Les autorités locales (municipalités par exemple) sont tenues d’intervenir dans la formulation d’une politique locale de sécurité routière en vertu du Road Traffic Act de 1988. Elles jouent un rôle leader dans la constitution du local safety plan qui vise à coordonner les actions des organisations publiques (les écoles par exemple) et des acteurs privés (associations d’usagers, de défense de victimes, représentants de la communauté…) entre autres en sécurité routière. Les forces de police constituent un maillon essentiel dans la politique de répression en appliquant localement les priorités définies par la National Roads Policing Strategy et en les adaptant aux spécificités de leur juridiction. Chaque Chief Constable, commissaire de police responsable d’une juridiction, dispose d’une autonomie importante pour appliquer les objectifs définis au niveau national. La lutte contre l’insécurité routière peut ainsi ne pas être considérée comme une priorité dans certaines juridictions [13]. Les Highways Agencies, les services de santé et d’urgence constituent d’autres acteurs essentiels du fait de leur activité dans la gestion du réseau routier ou de leur intervention lors des accidents.

21Le partenariat local s’articule autour de trois organes. Le bureau de la direction (partnership steering group or board) surveille le fonctionnement opérationnel du dispositif et définit la stratégie locale. L’instance de direction opérationnelle (partnership working group) assure quant à elle le bon fonctionnement opérationnel local (management, finance, analyse des données, communication, support). Les organes opérationnels (partnership project office) prennent en charge le travail quotidien de contrôle et des poursuites judiciaires assuré par des civils sous la direction de policiers.

22Ce système d’emboîtements successifs assure une réelle décentralisation au programme des speed cameras. En somme, les fonctions stratégiques et dirigeantes relèvent essentiellement du centre même s’il subsiste un pouvoir de décision au niveau local, tandis que les actions de nature opérationnelle sont assurées principalement par les partenariats locaux.
2.1.3. Instance de coordination ou processus de centralisation Les mécanismes de coordination des dispositifs locaux de contrôle de la vitesse conduisent-ils à la mise en œuvre d’un processus de centralisation ou s’agit-il seulement de mécanismes de régulation nécessaires à l’homogénéisation de dispositifs locaux ? En effet, les dispositifs locaux s’intègrent dans un programme national, dont les prérogatives visent à produire de la cohérence au sein du dispositif de contrôle des vitesses. Le programme national permet ainsi d’articuler un dispositif intégré et cohérent à l’échelle du pays. Pour y parvenir, celui-ci mobilise un schéma de financement particulier dont les règles sont définies par le centre. L’homogénéisation des dispositifs s’appuie également sur des critères d’installation identiques. Ces critères servent aussi à limiter les influences politiques locales et à éviter le déploiement inapproprié d’appareils. Par ailleurs, le centre définit la stratégie et pilote la politique de communication nationale. Il dispose aussi du contrôle de l’expertise et assure des fonctions de management, qui lui permettent en fait d’asseoir une certaine domination sur les dispositifs locaux confinés aux tâches opérationnelles. En cela, un mouvement centralisateur s’exprime clairement et qui transparaît avec la notion de programme national adoptée en 2001 [14].
Néanmoins, ce mouvement de centralisation reste limité du fait de l’existence de partenariats locaux qui produisent aussi de la coordination à leur niveau en associant les différents agents clés du système. Cette mise en réseau des acteurs permet de produire non seulement de la coordination, mais aussi une certaine autonomie échappant au niveau central. La séparation de traitement des questions de répression des excès de vitesse de celles de l’éducation des conducteurs ou encore la gestion des infrastructures et du trafic routier, qui s’organise autour de leurs propres partenariats locaux en constitue une bonne illustration. Ainsi, l’autonomie des dispositifs locaux et leur intégration au système reposent sur un équilibre entre des espaces d’action organisés, des ‘systèmes d’action concrets’, [Crozier et Friedberg 1981, p. 278 et s.]. Ils constituent des ‘ordres locaux’ qui échappent en quelque sorte au centre [Friedberg 1997, p. 119 et s.]. L’autonomie que s’approprient les acteurs locaux pointe ainsi l’écart existant entre une organisation telle qu’elle s’exprime de manière formelle et telle qu’elle se vit sur le terrain.

2.2 – Les interactions avec les missions de sécurité routière assurées par les forces de police

23L’étude de l’organisation policière montre une influence des principes de la NGP et une structuration essentiellement locale, bien qu’une tendance centralisatrice soit à l’œuvre. La répartition des tâches entre le nouveau dispositif et les activités traditionnelles de policing de la route souligne une bonne articulation.

242.2.1. L’activité de « traffic policing » au crible de la performance L’introduction des critères financiers et de performance pour évaluer le dispositif de contrôle automatisé de la vitesse s’inscrit an fait dans le cadre d’une politique de réforme plus générale et d’inspiration managériale qui touche à la fois l’agence policière et l’administration publique avec la création d’agences autonomes [15] [Hogwood 1997]. Cette politique réformiste implique ainsi la définition de critères financiers (financial accountability, best value), d’indicateurs de performance, la production d’informations couramment utilisées dans les politiques inspirées de la NGP [Drake and Simper 2005 ; Loveday 1999, p. 1 et p. 7 ; HMIC 1998, p. 21], qui se traduit par la dévolution budgétaire aux agences policières locales dès 1994. En somme, le schéma général d’organisation du contrôle automatisé s’inspire des mêmes principes organisationnels qui se sont imposés aux forces de police et qui consistent à raisonner en termes d’objectifs (équilibre financier et autofinancement), de performances (diminution du nombre de tués et des vitesses excessives) et de services à rendre (routes plus sûres et réduction des pertes subies par les usagers) [Nicholls 1996, chap. 5 et 7]. L’organisation du contrôle automatisé s’intègre dans la mise en œuvre des principes de la NGP [Frederickson 1996 ; Hood 1994 ; 1991].

25Le « recovery system » qualifié également de « netting off scheme » illustre la nécessité pour les partenariats locaux d’être performants. Certaines dépenses éligibles sont remboursées dans la mesure où le produit financier du fonctionnement du système procure les ressources suffisantes. En tant que partie prenante, les forces de police sont ainsi remboursées des dépenses effectuées dans le cadre des partenariats. Leur participation constitue également un puissant incitateur à contrôler leurs performances en matière de sécurité routière, les obligeant à définir des priorités stratégiques et budgétaires, ce qui n’était pas encore le cas avant l’introduction du programme national du contrôle automatisé de la vitesse [HMIC 1998, p. 19 et 31]. En somme, la logique managériale à l’œuvre au sein du contrôle de la vitesse reflète une application généralisée au sein de l’administration britannique [Pollitt 1996]. Par ailleurs, le fonctionnement du dispositif oblige les forces policières à une plus grande rigueur et à un meilleur usage de leurs ressources pour les actions spécifiques de sécurité routière, qui ne sont pas encore perçues comme ne faisant pas partie du cœur de leur métier [HMIC 1998, p. 21]. Même si la stratégie nationale policière définit le road policing comme une priorité et si le Ministère des Transports encourage l’organisation policière à participer pleinement à réduire l’insécurité routière [The Government’s Response to the Transport 2002, p. 22 et 27], cette thématique ne fait pas systématiquement l’objet d’une réappropriation par les officiers de police. En effet, les Chiefs constables doivent composer avec d’autres priorités et les contraintes organisationnelles locales, tandis que la plupart du temps les officiers de police ne considèrent pas cette activité comme valorisante [Bennett and Lupton 1992, p. 176].

262.2.2. Un policing de la route décentralisé De même qu’il existe une convergence entre le fonctionnement du programme national de contrôle des vitesses et celui des agences policières du fait des influences de la NGP, la prépondérance de la dimension locale constitue une autre caractéristique commune. En effet, les « police authorities » disposent d’un réel encrage local depuis 1964, même si depuis une tendance à la centralisation se manifeste régulièrement [Loveday and Reid 2003, p. 12]. En effet, il existe une certaine ambivalence dans la mesure où les autorités ont mis en place les BCU («Basic Command Unit») qui disposent d’une autonomie financière et opérationnelle [Nicholls 1996], mais ont procédé simultanément à la création de nouvelles agences constituant des lieux d’expertise, de contrôle et d’homogénéisation des pratiques [Loveday and Reid 2003, p. 13 ; Ormerod and Roberts 2003]. Les agences de police locales sont également incitées à s’engager dans des partenariats locaux de sécurité pour améliorer la qualité des services rendus, rassurer le public, produire de la cohésion sociale et s’adapter aux besoins spécifiques des communautés [Home Office 2002, p. 19], et spécialement dans le domaine de la sécurité routière où l’intégration est considérée comme insuffisante [HMIC 1998, p. 39]. En cela, les dispositifs locaux de contrôles de la vitesse reprennent un schéma similaire en tenant compte des impératifs locaux de sécurité. Ainsi, l’évolution de l’organisation policière semble avoir précédé celle du contrôle automatisé et l’initier par l’antériorité de sa propre démarche.

27La dimension locale de l’organisation policière présente une dimension essentiellement opérationnelle : elle dispose d’une autonomie dans l’utilisation de son budget et dans une certaine mesure relative à la gestion et au recrutement de son personnel. Cependant, les organisations centrales sont de plus en plus présentes et occupent une place de plus en plus centrale. L’Home Secretary a ainsi impulsé un processus de fusions (amalgamations) depuis 1968 [Loveday and Reid 2003, p.12]. Le HMIC (Her Majesty’s Inspectorate of Constabulary) et la Police Standards Unit ont été créés. Ces organisations permettent de définir la stratégie générale, d’homogénéiser les interventions entre les différentes polices locales, d’identifier les bonnes pratiques et de les diffuser. Le processus de centralisation se traduit entre autres dans la définition d’un programme national (National Policing Plan) qui définit les performances et les objectifs des agences policières [Home Office 2002, p. 18]. Finalement, ces instances disposent de l’expertise, assurent la coordination et génèrent de la cohérence dans l’activité des différentes forces de police.
2.2.3. L’articulation des activités de police routière et le programme national des « safety cameras » L’implantation institutionnelle du speed camera programme s’est réalisée de manière relativement satisfaisante et a été bien acceptée par les forces de police locales. Ceci peut s’expliquer par la conjonction de plusieurs facteurs. D’abord, les activités de police routière sont considérées comme peu efficaces et peu valorisantes [HMIC 1998, p. 12] par rapport aux fonctions spécialisées jugées plus attrayantes [Loveday 1998]. Ensuite l’activité de sécurité routière nécessite de multiplier les contrôles (3/4 des contrôles physiques réalisés par les policiers) et les contacts avec l’usager qui n’apprécient pas toujours la manière de faire des agents de police [Skogan 1990, p. 27 et s.]. Le délaissement de l’activité de sécurité routière s’en trouve également facilité dans la mesure où les missions de police routière ne font l’objet d’aucun indicateur de performances [Loveday and Reid 2003, p. 22-23]. L’activité de sécurité routière cumule ainsi plusieurs handicaps : un travail peu considéré, une intervention peu appréciée par les usagers qui y associent le comportement arbitraire du policier et une absence de motivation par l’absence d’évaluation des performances. L’automatisation des contrôles apparaît alors comme la solution appropriée. Elle permet de remplacer les contrôles traditionnels, l’activité de patrouille et d’éviter les contacts directs avec l’usager. Entre 1996 et 2004, le nombre d’officiers de police dédiés aux missions de police routière a ainsi diminué d’environ 20 % [PACTS 2005, p. 11]. Un processus de commutation est donc à l’œuvre au sein de l’activité de sécurité routière. D’ailleurs, les agences policières n’hésitent pas à utiliser ponctuellement les forces dédiées à la sécurité routière pour des activités de sécurité publique [Loveday and Reid 2003, p. 28]. Le processus à l’œuvre explique aussi la part importante des infractions à la vitesse limite réalisée par les dispositifs automatisés. En fait moins de 10 % des ressources policières sont consacrées aux activités de sécurité routière qui se caractérisent par une grande diversité des pratiques [Ogilvie-Smith et al. 1994, p. 7-13 ; Bennett and Lupton 1992]. Ceci s’en trouve renforcé par l’indépendance des Chief Constables qui disposent d’une réelle autonomie pour déterminer leurs priorités [16]. La faible mobilisation des ressources, une organisation peu structurée et hétérogène des activités de sécurité routière au sein de l’organisation policière reflètent leur caractère peu prioritaire. Cela a facilité sans doute le recours massif aux dispositifs automatisés. Une technique plus efficace se substitue à une autre moins satisfaisante.

Conclusion

28L’automatisation des contrôles de vitesse permet d’accroître la dissuasion à l’encontre des contrevenants potentiels et réduit le nombre d’excès de vitesse. Les vitesses moyennes de circulation diminuent, tandis que le nombre des victimes chute substantiellement. Le coût social associé s’en trouve affecté aussi. En cela, l’automatisation constitue une rupture technologique par l’obtention de résultats favorables et à moindre coût.

29L’automatisation introduit également des changements notables dans la manière d’administrer une politique publique de sécurité routière. L’introduction d’un nouvel outil (le contrôle automatisé) et d’un nouveau dispositif (le national safety camera programme) implique à la fois une adaptation du cadre juridique assurant la légalité de l’intervention, mais également une évolution organisationnelle facilitant l’insertion et la coordination avec les organisations existantes par l’élaboration de modalités d’intervention spécifiques. C’est ce dernier point que cette contribution a voulu investiguer plus particulièrement.

30Du point de vue de la logique administrative, l’implantation du programme national reflète à la fois la mise en place des principes de la NGP, la prégnance de la dimension locale dans la gestion de la sécurité, tout en reposant sur une structuration des relations en forme de réseaux. Elle renvoie également à un dialogue particulier entre le centre et le local, et à la séparation de ce qui relève du stratégique et de l’opérationnel. En cela, le fonctionnement de ces dispositifs s’inscrit dans une continuité administrative que reflète d’ailleurs le schéma organisationnel policier en charge de l’activité traditionnelle de sécurité routière. En somme, la rupture technique n’a pas entraîné de rupture administrative. Elle s’est accommodée de la structure en place.

31Des évolutions plus profondes doivent être cherchées ailleurs. En effet, la mise en place du contrôle automatisé de la vitesse suscite également des réflexions quant à la mise à distance de l’usager opérée par l’automatisation de l’outil de contrôle [17], la nouvelle répartition des tâches qui se dessine en matière de missions de police routière (doivent-elles êtres assurées uniquement par des policiers ?) ou encore par la recherche d’une cohérence du programme par les modalités de financement et par l’énonciation de règles formalisées au sein d’un guide d’utilisation. Sans doute les effets les plus notables proviennent plus des modalités opérationnelles de l’intervention que des principes organisationnels mis en œuvre. Des investigations plus fines doivent être menées plus en avant sur ces derniers points.
L’automatisation des contrôles de vitesse semble également traduire une dissociation progressive des activités de sécurité routière et de sécurité publique, ce qui soulève d’autres interrogations quant à l’efficacité du nouveau dispositif et au rôle dévolu à l’organisation policière. Alors qu’une intervention policière centrée sur la sécurité publique permet d’obtenir des économies d’échelle, elle conduit toutefois à renoncer à des économies d’envergure : le contrôle routier permet en effet d’identifier parfois des contrevenants ou des criminels (transports de drogue par exemple). En somme se posera à terme la difficile question de la spécialisation des organisations, en particulier la création d’une organisation spécialisée pour les missions de police routière, mais aussi celle de la dépoliciarisation de certaines activités (cas du contrôle des règles routières applicables aux camions au Québec). Dans ce cas, le schéma actuel retenu ne constitue-t-il pas un arbitrage subtil, mais qui reste fragile entre différents enjeux contradictoires ?

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Mots-clés éditeurs : dissuasion, radars, contrevenant, sécurité routière, infraction, police

Date de mise en ligne : 01/05/2011

https://doi.org/10.3917/risa.734.0661

Notes

  • [*]
    Laurent Carnis est chercheur à l’Institut National de Recherche sur les Transports et leur Sécurité au Groupe d’Analyse du Risque Routier et de sa Gouvernance.
  • [1]
    La France prévoit l’installation de 2 000 appareils à la fine de l’année 2007.
  • [2]
    A l’avenir et selon les dernières déclarations du ministre des Transports, le Pays de Galles devrait obtenir le droit de gérer son propre dispositif de contrôle.
  • [3]
    En ce qui concerne l’Ecosse, les premiers dispositifs de caméras ont été introduits en 1993.
  • [4]
    Document du Ministère des Transports britannique « Frequently Asked Questions ».
  • [5]
    Depuis avril 2007, une nouvelle organisation est mise en œuvre en Angleterre. Les dispositifs de contrôle de la vitesse sont désormais logés au sein de nouveaux dispositifs locaux en charge des questions de transport et feront l’objet d’un financement direct par le Ministère des Transports. Le gouvernement justifie sa décision par la nécessité de travailler désormais à la consolidation du dispositif. Quant à l’Ecosse, les autorités n’ont pas encore pris leur décision. Le présent article étudiera alors le système tel qu’il fonctionnait jusqu’à avril 2007.
  • [6]
    Un partenariat local peut comprendre plusieurs sites de contrôle répartis sur plusieurs juridictions administratives.
  • [7]
    Chaque partenaire apporte ses propres connaissances et son expertise.
  • [8]
    Les évaluations menées sur le dispositif de contrôle prennent essentiellement en compte la survenance d’accidents à proximité des lieux de contrôle. En conséquence, certaines victimes ne seraient pas comptabilisées alors qu’elles devraient l’être. Les chiffres s’en trouvent dès lors surestimés. En fait, ce débat porte plus sur l’amplitude des effets produits que les effets eux-mêmes. Il souligne aussi la difficulté de mesurer les gains associés à la mise en œuvre d’une intervention publique.
  • [9]
    Ce phénomène renvoie à la théorie du « saut du kangourou ». Le conducteur diminue sa vitesse de circulation à proximité du lieu de contrôle et accroît celle-ci après son passage.
  • [10]
    Même s’il peut être raisonnable de penser que les modifications physiques du réseau peuvent se substituer à une politique de répression en milieu urbain, cela paraît plus difficile pour des réseaux situés en rase campagne ou à forte circulation.
  • [11]
    Je tiens à remercier ici l’un des référés qui a suscité en partie cette réflexion.
  • [12]
    L’évolution institutionnelle récente entreprise par le gouvernement répond sans doute en partie à ces enjeux. L’absence de recul ne permet pas de conclure et d’aller plus en avant sur ce point pour le moment.
  • [13]
    Les interventions d’officiers de police britanniques lors de la dernière conférence du TISPOL (organisation européenne des forces de police qui vise à coordonner leurs actions et à échanger des bonnes pratiques) a mis en évidence que la sécurité routière n’était pas toujours une priorité de certains commissaires. “Making Europe’s Roads Safer”, London Conference 2007.
  • [14]
    La nouvelle disposition organisationnelle décidée par le Ministère des Transports semble conforter cette conclusion. La décision de financer l’installation de nouveaux appareils de contrôle lui revient désormais.
  • [15]
    A ce titre, la création d’un programme national pour gérer le dispositif du contrôle automatisé semble confirmer cette tendance à déléguer des prérogatives à des organisations qui n’appartiennent pas stricto sensu à un ministère.
  • [16]
    Il peut également refuser l’implantation d’un dispositif de contrôle automatisé sur sa juridiction.
  • [17]
    Une évolution similaire est à l’œuvre pour ce qui concerne le contrôle du paiement des péages, du stationnement, mais aussi le contrôle de la production agricole subventionnée, le contrôle fiscal, et plus généralement l’automatisation de nombreuses tâches administratives.

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