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Article de revue

La direction politique stratégique : étude de l'évolution qualitative de la fonction de ministre suite aux réformes du Nouveau Management Public

Pages 87 à 102

Notes

  • [*]
    Minna Tiili est chercheuse, candidate au doctorat, du département de science politique de l’université d’Helsinki, Finlande. Traduction de l’article paru en anglais sous le titre : " Strategic political steering: exploring the qualitative change in the role of ministers after NPM reforms ".
  • [1]
    Certains ministres ont toutefois refusé d’être interrogés, ou n’en avaient pas le temps. Les refus les plus importants sont ceux du Premier ministre et du ministre des Finances, ce qui a des conséquences sur le point de vue du gouvernement. En ce qui concerne les différents secteurs du gouvernement, cependant, les entretiens étaient suffisamment représentatifs. Il existe 13 ministères (en ce compris le cabinet du Premier ministre) et généralement 18 ministres en Finlande. Tous les ministres appartiennent au gouvernement. Début 2005, neuf secrétaires d’État aux ministres ont été nommés pour la première fois.
  • [2]
    Il convient toutefois de souligner que l’auteur ne considère pas le NMP comme un modèle global adopté universellement. Les pays fondamentalement favorables au NMP (Australie, Nouvelle-Zélande et RU), appelés " marketizers " (favorables à la " marchandisation ") (Pollitt et Bouckaert 2004: 96-8), se distinguent par l’intensité de leurs réformes, tandis que des pays comme la Finlande, les Pays-Bas et la Suède se sont montrés plus prudents, en adoptant certaines idées mais aussi des traits distinctifs, comme des éléments participatifs. Avec la Belgique, l’Italie et la France, ces pays sont considérés comme des " modernisateurs ", ce qui se traduit par un modèle de réforme différent, appelé " État néo-wébérien " (voir ibid.: 99).
  • [3]
    La célèbre expérience néo-zélandaise en matière de domaines de résultats stratégiques et de domaines de résultats clés serait un cas intéressant à comparer avec les expériences britannique et australienne. Malheureusement, le rôle des ministres dans ce processus n’a pas été examiné de façon approfondie. Boston et Pallot (1997: 389) affirment d’une manière générale que les ministres ne participaient qu’à la dernière phase du processus, même si leurs opinions (implicites) étaient prises en compte par les responsables : l’identification des domaines de résultats stratégiques se fondait sur les objectifs et les priorités des ministres, d’abord identifiés par les responsables départementaux et ensuite approuvés par les ministres eux-mêmes.
  • [4]
    Un ministère moyen en Finlande comptait entre 300 et 500 fonctionnaires. Neuf des 13 ministères ont des agences exécutives à leur service. Le système lié aux puissantes agences centrales a été supprimé au début des années 1990. Différentes solutions ont été adoptées. Certaines agences centrales ont été transformées en entreprises d’État, d’autres en sociétés à capitaux publics, d’autres encore ont été changées en agences et certaines, en agences spécialisées dans le développement et la recherche (Savolainen 1996, 395–396). En outre, le but était de déléguer certaines tâches à des échelons inférieurs de l’État mais dans certains cas, on a opté pour la solution opposée, à savoir le transfert de certaines tâches aux ministères.
  • [5]
    Bryson (1995) ne considère pas la politique comme incompatible avec la planification. En revanche, il affirme que le processus de planification stratégique préconisé dans son livre s’appuie sur la nature de la prise de décision politique (ibid.: 10).

Introduction

1La direction politique stratégique est une notion qui tente d’exprimer l’évolution qualitative à laquelle font face les dirigeants politiques dans les pays qui ont subi des réformes s’inspirant du nouveau management public. La gestion publique étant inextricablement liée à la politique, les réformes de la gestion publique ont des conséquences non seulement sur l’administration, mais aussi sur les décideurs politiques. Dans le présent article, nous nous intéressons essentiellement aux ministres du gouvernement, qui sont les responsables politiques de l’administration. Les conséquences des réformes s’inspirant du NMP pour les dirigeants politiques n’ont pas été analysées en profondeur (voir, cependant, Zifcak 1994; Marsh et al. 2001; Peters et Pierre 2001; Pollitt et Bouckaert 2004). Dans le présent article, nous analysons la direction politique stratégique à la suite des réformes du nouveau management public, d’abord d’un point de vue théorique puis, d’un point de vue empirique, en nous appuyant sur des données internationales ainsi que sur des données propres à la Finlande, recueillies par l’auteur.

2Au niveau global, le NMP a instauré un nouveau rôle pour les ministres : celui de stratège et de guide d’opinion (Pollitt et Bouckaert 2004: 150). Les ministres sont censés " préciser et communiquer des visions et des valeurs, déterminer les stratégies appropriées et identifier, répartir et affecter des ressources au niveau global " (ibid.). Les gestionnaires professionnels se chargent dès lors de la gestion et des opérations, et leur rendement est évalué par rapport à des objectifs clairement définis par les ministres. Cette répartition des tâches entre les politiciens et les fonctionnaires ou, pour employer le nouveau langage, les gestionnaires, entraîne une décentralisation. Aucoin (1997: 196) soutient que cette nouvelle décentralisation permet à la fois d’assurer, voire de renforcer, la direction et le contrôle politiques stratégiques et d’améliorer la gestion dans l’utilisation des ressources et la prestation de services publics. Il n’est toutefois pas raisonnable de penser que la décentralisation se traduit automatiquement par une meilleure direction politique stratégique, du moins lorsque les politiciens ne sont pas préparés à leur nouveau rôle. Pollitt et Bouckaert (2004: 150) sont sceptiques à propos de ce nouveau rôle : les ministres n’ont pas toujours les compétences ni la motivation nécessaires pour adopter le rôle suggéré par le NMP. Il est donc logique que cette façon de considérer les ministres comme des " leaders stratégiques " pose quelques problèmes.

3Notre article est structuré de la façon suivante. Nous commencerons par présenter la notion de direction stratégique dans le cadre du NMP, puis les données internationales existantes concernant les politiciens qui tentent de s’adapter à ce rôle stratégique. Nous analyserons l’expérience finlandaise de façon plus détaillée. Enfin, dans notre conclusion, nous ferons la synthèse des expériences internationales et finlandaise en matière de direction politique stratégique, ce qui débouchera sur une analyse théorique des explications possibles au succès modeste des modèles de gestion qui visaient à instaurer le rôle stratégique des politiciens.

4Les données empiriques recueillies par l’auteur concernent le cas finlandais et s’appuient sur des entretiens ainsi que sur une analyse documentaire. Nous analysons les documents relatifs à la réforme administrative entre 1987 et 2003. Il est relativement logique de commencer par 1987 dans le cadre des réformes administratives finlandaises puisque c’est l’année où a été créé le Comité ministériel permanent chargé de la réforme de la gestion publique et que plusieurs programmes de réforme ont été lancés pendant les années qui ont suivi, ce qui a donné naissance à la notion de " vague de réformes " pendant la période allant de 1987 à 1995 (Temmes et Kiviniemi 1997). Tandis que nous étudions les documents de réforme depuis 1987, on peut raisonnablement penser que les conséquences des discours et des mesures de réforme ne sont apparues que quelques années plus tard. La gestion fondée sur les résultats, qui était la première réforme à lancer l’idée du rôle stratégique des ministres en Finlande, a été mise en œuvre entre 1988 et 1995. D’autres outils de direction stratégique (comme le fait de définir des plafonds de dépenses (" frame budgeting ") et le portefeuille stratégique) sont apparus plus tard (le premier en 1991 et le second, en 1995). En conséquence, nous n’étudierons les méthodes de direction stratégique qu’à partir du changement de gouvernement, en 1995. Nous nous sommes essentiellement basés sur des entretiens pour étudier les pratiques réelles de direction stratégique. Les données sont issues de 14 entretiens réalisés auprès de hauts fonctionnaires en 2002 et de 14 entretiens auprès de ministres en 2003. Ces données décrivent les méthodes de direction stratégique utilisées pendant les deux mandats de Premier ministre de Lipponen entre 1995 et 2003, et plus particulièrement pendant la seconde période (entre 1999 et 2003). Les deux gouvernements Lipponen étaient de vastes coalitions réunissant cinq partis. Les entretiens couvrent tous les secteurs du gouvernement, ce qui nous permet de donner un aperçu global de la situation. [1] Ces entretiens étaient semi-structurés et non directifs.

Le modèle de direction stratégique du NMP

5Le NMP proprement dit ne doit plus être présenté. [2] Ce qui est intéressant, dans le contexte qui nous occupe, est que le nouveau management public indique une évolution du rôle de direction des responsables politiques (Pollitt et Bouckaert 2004: 150; Maor 1999: 8). Cette évolution est de nature qualitative (Christensen et Lægreid 2003: 119). Bien que Christensen et Lægreid (ibid.) préfèrent s’intéresser au contrôle politique plutôt qu’à la direction, cette évolution qualitative implique que l’accent est davantage mis sur une formulation des politiques et des lignes directrices générales et à long terme que sur la participation politique spécifique à court terme. En d’autres termes, " les organismes de direction ne sont plus soumis à un contrôle hiérarchique et imposé d’en haut : ils doivent être dirigés " à bout de bras " par le ministère. Par conséquent, les responsables politiques doivent se concentrer sur les décisions stratégiques générales qui servent d’orientation à l’exécution opérationnelle, tandis que les détails opérationnels relèvent du ministère " (Maor 1999: 8).

6Le fait de " laisser les gestionnaires gérer " implique une décentralisation. Cette décentralisation exige cependant non seulement que l’on " laisse les gestionnaires gérer ", mais aussi que l’on " incite les gestionnaires à gérer " (Aucoin 1997: 195). En réalité, le but est de renforcer la direction politique en faisant en sorte que les fonctionnaires soient davantage à l’écoute de l’orientation stratégique donnée par les responsables politiques, tout en étant sensibles aux exigences des citoyens, de l’économie et en termes d’efficacité (ibid.). Cet objectif tridimensionnel n’est pas dépourvu de tensions, et Pollitt et Bouckaert (2004: 164) ajoutent à cela la proposition du NMP : " augmenter le contrôle politique de la bureaucratie/laisser les gestionnaires gérer/donner des moyens d’agir aux consommateurs de services " à leur liste des dix points controversés dans le NMP. Leur conclusion est que " dans un monde parfait, ces éléments pourraient être plus ou moins compatibles ", mais dans le monde réel, moins parfait, ce triangle entraîne généralement des compromis et dans certains contextes, le compromis peut être tellement marqué qu’il se transforme en fait en contradiction (ibid.: 167, 180).

7Dans ce triangle " pouvoir des ministres, pouvoir des gestionnaires et pouvoir du consommateur " (Pollitt et Bouckaert 2004: 165), le dernier ne présente pas d’intérêt dans le cadre de notre communication. En revanche, la proposition relative au renforcement du pouvoir des ministres et des gestionnaires est associée à des tensions majeures. Christensen et Lægreid (2003: 19-20) attribuent ce " caractère hybride du NMP " à ses origines théoriques. Tandis que les théories économiques suggèrent de renforcer le pouvoir des dirigeants politiques par rapport à celui de la bureaucratie, les théories de la gestion défendent les principes managériaux dans la bureaucratie. Concrètement, cela signifie que la centralisation, la coordination et le contrôle sont privilégiés en même temps que la décentralisation. Les théories managériales et économiques ont été combinées afin de séparer plus clairement l’élaboration des politiques, d’une part, et leur administration de même que leur mise en œuvre, d’autre part, tandis que les gestionnaires sont désormais contractuellement tenus de rendre des comptes aux décideurs (ibid.: 20). Cette logique propre au NMP ne satisfait pas toujours les décideurs, cependant. Maor (1999: 8) indique que les politiciens ressentent parfois encore le besoin d’intervenir car ils ne peuvent pas se permettre de perdre leur influence sur la mise en œuvre des politiques.

8D’une manière générale, il semble que le but visé par le NMP, à savoir faire de la direction stratégique la responsabilité des politiciens tout en accordant aux organismes un pouvoir d’appréciation sur le plan opérationnel, ne soit pas dépourvu de problèmes. Par ailleurs, le fait de combiner la séparation des questions stratégiques et opérationnelles avec une importance plus générale accordée aux techniques de gestion stratégique présente certaines incohérences. Selon Gruening (2001: 2), la planification et la gestion stratégiques appartiennent au groupe des caractéristiques incontestées du NMP. Naschold et Daley (1999: 82) indiquent que tandis que la répartition de la responsabilité entre les décideurs politiques et les fonctionnaires dans le modèle du NMP est une répartition entre définition des objectifs politiques et pouvoir discrétionnaire managérial, elle " présente des incohérences, en particulier dans le cadre de la gestion stratégique, où il est essentiel de relier la sélection des objectifs et le contrôle avec au minimum les décisions fondamentales liées à la mise en œuvre opérationnelle ". S’agissant de la gestion stratégique, Ring et Perry (1985: 277) indiquent eux aussi qu’il est essentiel d’établir un lien direct entre la formulation et la mise en œuvre stratégiques pour une élaboration des politiques efficaces dans le secteur privé. Dans le secteur public, ce fossé est accentué. Par conséquent, tandis que les ministres ne doivent pas intervenir dans la mise en œuvre opérationnelle, une procédure de planification stratégique efficace l’exige, ce qui rend le rôle du ministre assez déroutant dans le modèle du NMP. Même si ce dernier ne dit rien sur le rôle du ministre dans les processus stratégiques formels, il ne fait aucun doute que si les décisions stratégiques relèvent des ministres, on peut raisonnablement penser que ceux-ci participent aux processus de planification stratégique.

La direction politique stratégique : les données disponibles au niveau international

9Quelques éléments indiquent la réticence et l’incapacité des politiciens d’adopter le genre de rôle que le NMP propose dans le cadre de son modèle de direction stratégique. Il existe des études s’intéressant à l’échelon local ainsi qu’au niveau de l’État. Les difficultés les plus frappantes concernent l’échelon local, où les politiciens ont traditionnellement joué le rôle de représentants directs des citoyens. Vabo (2000) soutient que les conseillers municipaux norvégiens sont censés assumer une nouvelle fonction de " direction politique stratégique " suite aux changements organisationnels s’inspirant du NMP opérés dans la structure des conseils dans les années 1990. Vabo (2000: 348, 351) emploie la notion de " leadership stratégique " pour désigner le contraire de l’activité qui consiste à s’occuper des affaires et des détails quotidiens : le leadership stratégique consiste en effet à privilégier les questions de nature générale ou principale. Les conclusions de Vabo (2000), qui s’appuient sur des données issues d’études de cas existantes, indiquent que " la notion de leadership stratégique n’a pas été appliquée comme prévu " et que " le politicien ordinaire est perplexe et se sent mal à l’aise dans son nouveau rôle " (ibid.: 360). Les politiciens locaux n’étaient pas à l’aise avec ces solutions organisationnelles qui les empêchaient d’intervenir dans les détails. En outre, ils avaient l’impression que leur pouvoir s’était réduit (ibid: 360-2). En conséquence, Kleven et al. (2000) avancent, en se basant sur leur étude de cas portant sur trois municipalités scandinaves au Danemark, en Norvège et en Suède, que la fonction de " gestion politique stratégique " ou de " leadership stratégique " telle que proposée dans le discours du NMP n’est pas fort présente dans le monde politique local, où le rôle traditionnel est encore très apprécié.

10Les données issues du monde politique local en Finlande sont similaires. La thèse de Möttönen (1997) se fonde sur la question de savoir si la gestion par objectifs (GPO) peut fonctionner dans la relation entre les décideurs politiques et les titulaires d’un mandat. Möttönen analyse le modèle de relation politico-administrative recommandé dans le cadre de la GPO, selon lequel les décideurs politiques doivent se concentrer sur l’élaboration de stratégies, de politiques et la fixation d’objectifs. Les fonctionnaires, quant à eux, sont responsables des questions opérationnelles. La conclusion empirique de Möttönen, qui se fonde sur une étude de cas de deux municipalités, est que les décideurs politiques n’ont pas accepté le rôle qui leur a été confié. La répartition du travail entre les politiciens et les fonctionnaires n’a pas évolué conformément au modèle qui accompagne la GPO, à l’exception du fait que l’autorité formelle des politiciens était plus réduite qu’auparavant (ibid., 171). Par ailleurs, Möttönen souligne que d’un point de vue théorique, les principes de la GPO ne constituent pas un fondement adapté pour répartir les rôles et les responsabilités entre les fonctionnaires et les politiciens.

11L’expérience nordique en matière de politique locale révèle que les politiciens veulent continuer à intervenir dans les détails, en dépit de la fonction de direction stratégique qui leur est attribuée dans les réformes de la gestion. Les politiciens locaux sont censés être des représentants directs des citoyens et, partant, il est sans doute plus difficile pour eux que pour les politiciens agissant au niveau de l’État d’essayer d’agir sur le plan stratégique abstrait. Cependant, dans la plupart des pays démocratiques, la règle de base est que les ministres sont recrutés au sein du Parlement et, dès lors, qu’ils doivent assurer leur réélection. Par conséquent, les ministres comme les politiciens locaux doivent se demander si cela vaut la peine qu’ils s’investissent dans la pensée stratégique.

12Même si des systèmes de direction stratégique ont été instaurés dans beaucoup de pays, on a peu d’informations sur les réactions des ministres face à ces systèmes. Les rares données disponibles indiquent néanmoins que le rôle stratégique ou, plus généralement, la fonction de gestion rationnelle des ministres n’a pas été une expérience fructueuse. Zifcak (1994), qui a analysé la réforme administrative au RU et en Australie, s’est également intéressé au rôle des ministres. [3] Au RU, l’Initiative de gestion stratégique (" Financial Management Initiative ") instaurée en 1982 comprenait un système d’information des responsables destiné aux ministres, appelé MINIS. Le but était de faire des ministres plus que de simples acteurs dans la sphère politique, de les associer à la gestion des programmes départementaux. Le MINIS avait pour objet de permettre aux ministres de passer en revue les priorités, de fixer des objectifs et d’attribuer des ressources, mais aussi de les aider à comprendre la façon dont le travail était organisé et à identifier les responsables (Zifcak 1994: 27, 34). D’après Zifcak, le MINIS n’a pas été un grand succès. Il identifie huit questions problématiques (ibid.: 35-9). Du point de vue de la direction stratégique, deux éléments ressortent de ces questions problématiques. D’abord, même les ministres les plus axés sur la gestion ne parviennent pas à adopter une vision stratégique plus large. Deuxièmement, tandis que les fonctionnaires considéraient le MINIS comme un outil stratégique, facilitant la planification et la réalisation d’objectifs opérationnels à long terme, les ministres s’en servaient pour les aider à atteindre des objectifs politiques à court terme. En outre, les ministres utilisaient les informations fournies par le MINIS pour intervenir dans certains aspects des activités des départements au lieu de s’en servir pour obtenir un aperçu global des activités du ministère afin d’établir leurs priorités (ibid.: 39). Ces interventions illustraient les intérêts particuliers ou préférés des ministres. Cette observation cadre avec les interventions des politiciens locaux.

13L’expérience australienne est relativement similaire, même si l’idée n’est pas identique. Le but n’était pas de faire des ministres des gestionnaires, mais de placer la gestion au même niveau que la politique. Par conséquent, les ministres devaient participer à la définition des objectifs et des stratégies du ministère et prendre part à l’attribution de ses ressources et pour y parvenir, ils avaient besoin d’informations sur les questions opérationnelles et managériales (Zifcak 1994: 92-3). Dans la pratique, les départements et les agences se chargeaient de la planification globale tandis que le rôle des ministres consistait à définir les orientations du département (Ibid.: 99-101).

14La planification globale supposant une logique et une analyse formelles, plusieurs problèmes ont été rencontrés lorsqu’on a tenté d’adapter les ministres à cette approche. Tout d’abord, pour y parvenir, les ministres auraient dû accepter et être capables de fixer des priorités dans leur portefeuille. Ils étaient cependant peu enclins à le faire, non pas pace qu’ils n’en étaient pas capables, mais parce que la " méthode ministérielle " est faite de négociations, de compromis et de ruse, et qu’il serait contraire à ces " règles du jeu politique " de s’engager préalablement en faveur d’un quelconque projet exprimé publiquement (Zifcak 1994: 103). Ensuite, tandis que la planification globale était adaptée au long terme, les ministres devaient répondre à un environnement politique, économique et social en constante évolution. Par conséquent, leurs " horizons politiques étaient nettement plus limités " (ibid). D’une manière générale, les ministres ne considéraient pas la planification globale comme particulièrement efficace.

15Au vu des difficultés rencontrées par les ministres pour assurer une direction stratégique dans les systèmes politiques majoritaires du RU et d’Australie, on pourrait s’attendre à ce que les gouvernements de coalition en Finlande constituent un environnement encore plus difficile pour les ministres. En effet, le succès politique des ministres est déterminé par leur capacité à créer des coalitions, auquel cas il peut s’avérer contre-productif d’énoncer clairement leurs stratégies et leurs priorités (Pollitt et Bouckaert 2004: 151). Une autre difficulté présentée par les gouvernements de coalition est que si les questions importantes du mandat gouvernemental ne sont pas inscrites dans l’accord de coalition (le programme gouvernemental), il peut s’avérer extrêmement difficile d’introduire de nouvelles questions et, plus particulièrement, de modifier les questions déjà convenues en cours de mandat. En conséquence, les définitions stratégiques contenues dans le programme gouvernemental limitent les ministres dans leur volonté de faire des choix stratégiques et, lorsque ces définitions sont absentes, les différents points de vue des partis politiques doivent être pris en considération malgré l’autonomie ministérielle dont les ministres disposent dans leurs domaines respectifs.

La direction politique stratégique : l’expérience finlandaise

16Le modèle de direction stratégique dans le cadre des idées du NMP a été introduit en Finlande par le biais de la réforme de la Gestion par résultats (GPR) au début des années 1990. La GPR a été mise en œuvre essentiellement par des réformes du budget. L’idée était que les décisions stratégiques devaient être prises par les ministères et les décisions opérationnelles, par les agences. [4] En conséquence, les ministres, en tant que responsables des ministères, prenaient les décisions stratégiques et le personnel des ministères était composé d’acteurs " axés sur la stratégie " chargés de les conseiller. Le rôle exact des ministres dans le nouveau système de direction n’a cependant fait l’objet que de rares commentaires. La meilleure description du rôle du gouvernement et, dès lors, des ministres, a été donnée dans la décision de principe du gouvernement en 1993, là encore à un niveau très abstrait : " Ils [le Parlement et le gouvernement] définissent les objectifs centraux en matière de service et de productivité pour l’administration publique dans les domaines de la législation, des décisions budgétaires et des autres procédures liées à la Gestion par résultats " (gouv. Dec. 1993: 8). Le mémorandum expliquant cette décision (ibid.: 21) évoque également le programme gouvernemental et mentionne le " frame budgeting " séparément. D’une manière générale, la mission du gouvernement était définie comme une direction stratégique globale de l’administration, tandis que le ministère définit les objectifs de résultats de son administration subalterne (ibid.: 22). Le rôle du ministre au sein du ministère n’était pas défini et l’acteur qui était mentionné était toujours le ministère, jamais le ministre.

17La pratique concrète de la GPR illustrait la relation abstraite des politiciens et de la GPR dans les documents de réforme. Pöllä et Vuorela (2001: 8) écrivent que la direction politique ne se réalise pas par le biais d’un cycle annuel de négociation et de suivi de la gestion par résultats, mais par le programme gouvernemental, le portefeuille stratégique gouvernemental et les décisions gouvernementales ou différents programmes et, indirectement, par le biais de décisions annuelles en matière de définition des plafonds de dépenses (" frame budgeting "). Plus concrètement, les ministres peuvent assurer la direction par le biais de missions spécifiques. Différentes études indiquent que le rôle des ministres dans la GPR est un rôle distant. En d’autres termes, ils ne participaient pas activement au processus annuel de GPR (Kiviniemi 1996: 13; Uusikylä et Virtanen 1999: 7; Pöllä et Vuorela 2001: 8). Dans le cadre des entretiens réalisés pour la présente étude, cette distance est confirmée par le fait que lorsque nous avons interrogé les ministres à propos des outils de direction stratégique, seul un ministre a mentionné la GPR en tant qu’outil de ce type, et il s’agissait d’un secteur dépourvu d’agences, fondé uniquement sur des acteurs locaux et régionaux.

18Étant donné que la direction politique stratégique ne se fait pas par le biais de la GPR (ou de la gestion au rendement, comme on préfère l’appeler aujourd’hui), elle repose sur le triangle suivant : programme gouvernemental, portefeuille stratégique gouvernemental et " frame budgeting ". Cela s’applique pour les années comprises entre 1995 et 2003, puisque le portefeuille stratégique a été créé pour la première fois en 1995. Depuis 2003, la situation n’a pas beaucoup évolué, même si le système s’appelle aujourd’hui " Gestion du programme " et que le portefeuille stratégique gouvernemental a été rebaptisé " document stratégique gouvernemental ". Nous examinons brièvement les conséquences de cette nouvelle approche à la fin du présent chapitre.

19Dans les gouvernements de coalition, qui constituent la seule option réaliste en Finlande, le programme gouvernemental est un document important. Les partenaires de la coalition décident des lignes stratégiques les plus importantes et des principaux projets à mener à bien. Le programme gouvernemental est par conséquent le fondement de la direction stratégique et de la direction politique en général. Lorsque le portefeuille stratégique gouvernemental a été créé en 1995, dans le cadre du premier gouvernement Lipponen, l’idée était de renforcer la capacité de direction du programme gouvernemental en définissant les stratégies ou, plus concrètement, en précisant les projets nécessaires pour mettre en œuvre les objectifs présentés dans le programme gouvernemental. Le portefeuille coïncidait avec la structure du programme. Les services du Premier ministre étaient chargés de définir le portefeuille tandis que les ministères apportaient des suggestions à propos des projets à inclure dans le portefeuille. Le projet de portefeuille était ensuite examiné dans le cadre de la réunion des secrétaires d’État permanents, à savoir les fonctionnaires les plus haut placés des treize ministères. Enfin, le projet était examiné dans le cadre du " cours du soir " du gouvernement, une réunion officieuse du Conseil des ministres. Le portefeuille était mis à jour deux fois par an, conformément au cycle budgétaire, même s’il n’existait aucun lien réel entre la procédure budgétaire et le portefeuille.

20La définition des plafonds de dépenses (" frame budgeting ") a été instaurée en 1991 en Finlande. Techniquement, cela signifie que des plafonds de dépenses sont fixés au printemps avant le début de la seconde phase budgétaire, qui comprend un traitement plus détaillé. Au départ, l’idée était d’établir des cadres budgétaires dans les domaines stratégiques importants sur les plans sociopolitique et économique, sur la base d’une discussion stratégique avec le gouvernement. Cependant, les cadres budgétaires sur les questions importantes n’ont été définis pour la première fois qu’en 1991 et ensuite, lorsque la récession économique est devenue réalité, les plafonds de dépenses n’ont été fixés que pour les secteurs de l’État (ministère des Finances 1997: 2).

21Ni le portefeuille stratégique gouvernemental, ni le " frame budgeting " ne se sont avérés très efficaces sur le plan stratégique. Le portefeuille est devenu un vaste recueil de projets, qui ne reposaient pas sur les priorités stratégiques du gouvernement mais sur les suggestions des ministères. Ces suggestions se fondaient sur le programme gouvernemental, mais celui-ci n’était pas développé de façon suffisamment stratégique pour produire des priorités. Par ailleurs, le problème avec le portefeuille stratégique concernait l’absence de coordination horizontale, en particulier en ce qui concerne l’attribution des ressources prévues pour les projets. Les projets n’étaient pas liés au " frame budgeting " au sens initialement prévu. Le " frame budgeting " proprement dit, indépendamment du portefeuille stratégique, était caractérisé par l’absence de fixation des priorités et par son horizontalité.

22Outre ces observations générales, les données d’entretien révèlent que ni les différents ministres, ni le gouvernement dans son ensemble ne sont en mesure d’assumer la fonction de direction stratégique telle que suggérée dans le modèle de NMP. Les ministres n’ont pas activement participé au choix des projets intégrés dans le portefeuille, et le gouvernement n’a pas remis en question les choix effectués par les fonctionnaires et ensuite approuvés par les ministres sectoriels. Dans le cadre des entretiens, les ministres déclaraient que le portefeuille était pour eux un moyen de suivre les projets deux fois par an, de vérifier s’ils avaient oublié quelque chose. Dans la plupart des ministères, le portefeuille ne suscitait pas d’autres attentions que les mises à jour nécessaires qui étaient considérées comme quelque chose devant obligatoirement être fait. Les projets liés au portefeuille faisaient partie de l’action normale des ministères, et l’intérêt des ministres pour les projets était déterminé par d’autres facteurs que par leur statut de projet dans le portefeuille de stratégies gouvernementales. D’une manière générale, le portefeuille était, sous le gouvernement Lipponen, un dispositif technique permettant de suivre la mise en œuvre du programme gouvernemental, et pas un outil de direction stratégique que le gouvernement dans son ensemble, ou les différents ministres au sein de leur ministère, utilisaient pour identifier et gérer leur programme stratégique.

23Tandis que le portefeuille de stratégies gouvernementales restait une innovation managériale sans grand intérêt politique, la procédure budgétaire faisait l’objet d’une réelle attention politique, l’attribution des ressources étant la décision la plus importante de l’année. Cependant, les ressources étant rares, il n’est guère amusant d’être ministre de nos jours. L’enveloppe disponible est peu épaisse et les ministères doivent rivaliser pour en obtenir une part. D’après les entretiens, les ministres ne tenaient pas compte de la situation globale : ils préféraient choisir les questions dont ils estimaient qu’elles valaient la peine de se battre avec le ministère des Finances. Certains estimaient que ce serait une erreur que d’essayer d’établir un ordre de priorités au sein du cadre budgétaire du ministère car cela serait interprété comme un excédant de ressources. Par conséquent, la procédure budgétaire n’encourageait pas les changements stratégiques au sein du cadre budgétaire des ministères, autrefois acquis.

24Du point de vue de la direction stratégique, la conclusion est qu’il n’existait pas de réelle direction politique dans le cas du portefeuille, ni au niveau des différents ministres, ni au niveau de l’ensemble du gouvernement, tandis que dans la procédure budgétaire, les ministres jouaient un rôle plus actif dans la définition des questions stratégiques de leurs ministères qui nécessitaient des ressources supplémentaires. Cependant, étant donné que l’attribution de ressources supplémentaires était une chose exceptionnelle, les ministres ne pouvaient procéder qu’à des modifications minimes de la situation, qui ne leur permettaient pas de remettre en question les priorités globales du budget. Le gouvernement dans son ensemble ne participait pas activement à la définition des priorités budgétaires. Les décisions politiques ayant une influence sur le budget étaient prises à n’importe quel moment de l’année, sans autre forme d’examen que le contrôle des dépenses effectué par le ministère des Finances.

25Au sein de leur département, les ministres ont également la possibilité de donner des orientations stratégiques en participant à des processus de planification stratégique plus ou moins officiels. En Finlande, chaque ministère est libre d’organiser ses processus stratégiques et, en réalité, aucun processus de planification stratégique ou document stratégique ne sont nécessaires, à l’exception du plan financier et de fonctionnement portant sur les quatre années suivantes, qui est à la base de la préparation du budget. Outre ces plans, la plupart des ministères ont cependant rédigé leurs plans stratégiques portant sur l’ensemble du secteur. Par ailleurs, tous les ministères produisent des sortes de stratégies axées sur le fond.

26D’après nos entretiens, les plans stratégiques des ministères étaient considérés comme relativement indépendants du gouvernement au pouvoir. Les plans stratégiques étaient approuvés au sein du ministère et pas même signés par le ministre et ce dans tous les ministères. Par conséquent, la préparation du plan stratégique du ministère était un processus dirigé par les fonctionnaires. Dans le cadre du processus stratégique, les ministres formulaient des commentaires sur les projets préparés par les fonctionnaires : ils assuraient un " contrôle politique ". Les fonctionnaires veillaient à tenir leurs ministres au courant de la situation et leur offraient la possibilité d’avoir une influence. En ce qui concerne les stratégies axées sur le fond, la situation était beaucoup plus variable en fonction de la personne du ministre et de l’attention politique de même que de l’intérêt personnel accordés à la question abordée. Les stratégies axées sur le fond ne constituent pas un groupe cohérent, mais elles peuvent concerner des questions très spécialisées dépourvues d’intérêt politique de même que des questions revêtant un enjeu politique élevé. Lorsque la question présente un enjeu politique ou ne se confine pas à un seul secteur, les stratégies sont généralement traitées au sein des groupes de travail ministériels du gouvernement. Dans certains cas, le gouvernement approuve officiellement la stratégie. Par conséquent, il existe souvent un lien réel, ou du moins apparent, entre les stratégies axées sur le fond et le gouvernement au pouvoir, contrairement aux plans stratégiques s’intéressant à l’ensemble du secteur. Il n’en reste pas moins que la préparation des stratégies axées sur le fond était essentiellement dirigée par les fonctionnaires. Rares étaient en effet les ministres qui dirigeaient activement les processus stratégiques. Ces ministres, plus exceptionnels que " normaux ", possédaient généralement des connaissances dans le domaine traité (ce qui n’est généralement pas le cas en Finlande) ou souhaitaient, pour une autre raison, participer à la préparation concrète, qu’il s’agisse de processus stratégiques ou d’autres questions en préparation. Le politicien généraliste typique et axé sur la tradition ne considérait pas automatiquement que les processus stratégiques méritaient que l’on y accorde beaucoup de temps et d’énergie : ils sélectionnaient les questions qui figuraient au premier rang des préoccupations politiques du gouvernement ou de leur parti, ou encore de leurs propres préoccupations. Ils n’adoptaient donc pas systématiquement la direction politique stratégique comme moyen d’agir.

27Comme indiqué au début, la situation générale a quelque peu évolué depuis 2003, avec l’adoption de l’approche de la Gestion des programmes. Cette approche porte essentiellement sur quatre programmes stratégiques qui sont dirigés par un ministre responsable de la coordination et par un groupe ministériel également responsable de la coordination, ainsi que sur tous les autres projets horizontaux contenus dans le document stratégique du gouvernement. La procédure du " frame budgeting " avait pour objet de favoriser l’approche horizontale et d’être étroitement liée au document stratégique du gouvernement (Ohjelmajohtaminen valtioneuvostossa 2002). En réalité, les problèmes liés au portefeuille stratégique du gouvernement ont été transférés au document stratégique du gouvernement, et le " frame budgeting " n’a pas été en mesure de favoriser vraiment deux des objectifs de la Gestion des programmes, à savoir renforcer la direction politique et améliorer l’horizontalité. C’est ce qu’on peut conclure de l’étude qu’Eerola (2005) a réalisée sur la gestion des programmes et des conclusions de la présente communication. Par conséquent, même si la gestion des programmes visait à favoriser la direction politique, la nouvelle approche n’était pas considérée comme très utile par les ministres, tandis que les fonctionnaires y voyaient quelques avantages (Eerola 2005: 79, 127). Il semble que les politiciens doivent trouver leur propre façon d’aborder les questions stratégiques, comme le montre le lancement par les politiciens eux-mêmes de débats dans le cadre d’un Forum stratégique (voir Harrinvirta et Kekkonen 2005). Ces débats au sein du gouvernement, qui s’articulaient autour de sept thèmes, ne faisaient pas partie de l’approche de Gestion des programmes initialement prévue (Eerola 2005).

Conclusions

28La vie politique locale nordique et la politique exécutive en Finlande, au RU et en Australie indiquent que dans ces différents contextes, les politiciens ont du mal à se comporter en dirigeants stratégiques. Les études s’intéressant à la politique locale nordique concluent que le modèle de direction stratégique n’a pas été mis en œuvre comme prévu et que les politiciens ont du mal à adapter le rôle suggéré par les réformes s’inspirant du NMP. L’expérience des ministres adoptant des modèles managériaux rationnels au RU et en Australie indique que l’horizon temporel des ministres était nettement plus limité que ce qu’exigeait l’approche stratégique, et que les ministres n’acceptaient pas ou n’étaient pas capables de fixer des priorités et d’adopter une vision stratégique plus large.

29En Finlande, les pratiques de direction stratégique du gouvernement Lipponen indiquent une volonté d’essayer de définir un agenda stratégique et de le gérer en conséquence, mais en réalité, l’absence de fixation des priorités et de coordination entre les objectifs, les stratégies et les ressources étaient manifestes. La difficulté à définir des priorités avec l’aide du portefeuille stratégique gouvernemental et dans la procédure budgétaire est sans doute liée au fait que ces gouvernements associaient cinq partis. Les ministres auraient cependant pu jouer un rôle stratégique plus actif au sein de leur ministère en ce qui concerne les décisions budgétaires, mais ils se contentaient de procéder à de légères modifications uniquement. En ce qui concerne le portefeuille stratégique, la situation était plus difficile étant donné que les ministres avaient été désignés depuis peu lorsque les propositions de projets stratégiques ont été émises, de sorte qu’ils ont dû faire appel aux fonctionnaires. Le gouvernement aurait néanmoins pu jouer un rôle plus actif ; il aurait pu remettre en question la liste de projets basés sur le secteur sur la base de son programme gouvernemental, mais le problème est que ce programme correspond en grande partie à la structure des ministères, et une grande partie du texte est fourni par les fonctionnaires de ces ministères. L’idée d’un programme gouvernemental capable de définir des priorités précises dans l’ensemble des secteurs a peu de chances de se concrétiser dans les gouvernements de coalition, ce qui a tendance à se traduire par une fixation d’objectifs constitués de vagues compromis.

30Par conséquent, en Finlande, la direction politique stratégique rencontre des problèmes, qui sont dus aux contraintes liées au contexte des coalitions, mais ce n’est pas la seule explication. Au sein des ministères, les processus stratégiques ne sont généralement pas entravés par les points de vue divergents des partis politiques, mais il n’en reste pas moins que le ministre typique n’acceptait pas ou n’était pas capable de diriger les processus stratégiques. La direction politique stratégique en tant que moyen d’action n’était pas systématiquement adoptée. La plupart des ministres n’agissaient que lorsque la question soulevée présentait un intérêt personnel pour eux ou lorsqu’il s’agissait d’une question politiquement sensible. Ce constat coïncide avec les conclusions issues de la vie politique locale et d’autres pays. Les politiciens ont tendance à privilégier les cas spécifiques plutôt que les questions de principe. En outre, ils ne tiennent pas à définir des objectifs généraux et à fixer des priorités, et ils évitent d’examiner les questions dont la réalisation n’est pas prévue dans un avenir immédiat.

31Il apparaît que la vision des ministres en tant que leaders stratégiques, propre au NMP, ne s’est pas réalisée. Lorsque l’on compare les conclusions empiriques avec les critiques émises à l’encontre du NMP, les ministres semblent agir de façon rationnelle. Le NMP part du principe que le pouvoir des ministres augmente parallèlement au renforcement de l’autonomie des gestionnaires. Cette hypothèse a été contestée par plusieurs auteurs, et Maor (1999) prévoyait que les politiciens voudraient garder la possibilité d’intervenir dans les questions opérationnelles. Il apparaît que ni les ministres, ni les politiciens locaux n’ont voulu s’intéresser exclusivement aux orientations stratégiques à long terme et aux questions de principe. Pour les politiciens locaux ordinaires, la situation est difficile car ils n’ont plus la possibilité d’avoir une influence sur les détails. En ce qui concerne les ministres, l’évolution des systèmes de direction a sans aucun doute réduit leur possibilité d’intervenir dans les détails, mais leur position est telle que les interventions restent possibles, même si elles ne sont pas souhaitables.

32Les informations disponibles indiquent que le problème est moins lié au fait que les politiciens ne sont pas en mesure de jouer le rôle de direction stratégique qu’au fait que la vie politique ne coïncide pas avec la logique indiquée dans les modèles managériaux rationnels et que dès lors, rien n’incite les politiciens à jouer ce rôle stratégique. D’aucuns ont avancé que la planification ne coïncidait pas avec la politique (Olsen 1983), que la gestion stratégique ne fonctionnait pas dans la politique (Nylehn 1998) ou que la gestion par objectifs n’était pas compatible avec la politique (Möttönen 1997). La planification, la gestion stratégique et la gestion par objectifs sont des notions étroitement liées. La planification fait partie de la gestion stratégique et la gestion par objectifs passe par des procédures de planification et de gestion stratégique. Ces trois processus reposent sur la définition d’objectifs, ce qui explique pourquoi ils ne s’intègrent pas facilement dans la politique : la politique ne se base par sur des objectifs, mais sur des dossiers (Bryson 1995, 11-2). Par ailleurs, il est souvent imprudent pour les politiciens de définir des objectifs. Selon Olsen (1983, 113), la règle dans la formulation exécutive des politiques est la suivante : " Ne pas annoncer de position ; ne pas s’engager à un stade précoce ". Zifcak (1994, 103) indique par ailleurs que la " méthode ministérielle " est faite de négociations, de compromis et de ruse et qu’il serait contraire à ces " règles du jeu politique " de s’engager préalablement en faveur d’un projet exprimé publiquement. Cela signifie que la politique se fonde sur un processus de " sondage ", dans lequel les objectifs sont définis dans le cadre du processus décisionnel et où les alternatives sont développées en même temps que les objectifs (Olsen 1983, 113). En outre, l’enregistrement du soutien politique est un élément important du processus (ibid., 114). Ce processus politique est fondamentalement différent de celui de planification, dans lequel on définit les objectifs opérationnels avant de rechercher le meilleur moyen de les atteindre (ibid., 113; Bryson 1995, 11-2). [5]

33Outre cette caractéristique fondamentale de la prise de décision politique, où la définition des objectifs fait partie du processus complexe de politique, il existe des contraintes concrètes qui influencent le comportement des politiciens. Celles-ci concernent l’horizon temporel, la volonté d’être réélu et le temps disponible. L’horizon temporel des ministres est limité car ils ne sont responsables que des décisions qu’ils prennent dans le cadre de leur mandat, sous forme de responsabilité parlementaire. Compte tenu des remaniements, il arrive même que les ministres ne passent pas l’ensemble de leur mandat au sein du même ministère. Étant donné la brièveté de cet horizon temporel, les ministres ont tendance à privilégier les affaires individuelles auxquelles ils sont confrontés pendant leur mandat, et non les questions stratégiques qui ne coïncident pas avec le cycle de quatre ans, par exemple. En plus du " problème lié à leur mandat ", les ministres souffrent du " problème lié à leur réélection ". La plupart des ministres sont des parlementaires et la majorité souhaitent poursuivre leur action au Parlement, et ainsi en tant que ministre, éventuellement. Ce souci de réélection ne favorise pas les développements et priorités stratégiques à long terme, car les médias et les électeurs ont tendance à s’intéresser aux dossiers qui exigent une réponse immédiate. Par ailleurs, il est bien plus rémunérateur de promettre " quelque chose à tout le monde " que de se concentrer sur des priorités. Cette tendance est accentuée dans le contexte des gouvernements de coalition. La troisième contrainte est l’agenda désespérément complet des ministres. Leur emploi du temps est rempli de tâches de nature réactive, ce qui leur laisse peu de temps pour penser et agir de façon proactive. D’une manière générale, les réformes de la gestion ne sont pas parvenues à changer la nature du travail des ministres.

34Ces trois contraintes concernent essentiellement la motivation des politiciens. Il serait facile de proposer que les politiciens réservent du temps aux tâches liées à la direction stratégique, mais si rien ne les incite à le faire, pourquoi devraient-ils s’en faire ? Comme l’indiquent les deux premières contraintes, les ministres ont tendance à se concentrer sur les affaires individuelles et sur les réalisations politiques à court terme, ainsi qu’à éviter les objectifs et priorités clairement énoncés. Par conséquent, il n’y a pas lieu de se demander si les ministres sont capables d’adopter la fonction stratégique. Il convient plutôt d’envisager la possibilité que rien ne les encourage, aujourd’hui comme demain, à le faire. Le développement de modèles managériaux rationnels en tant qu’outils pour les politiciens est donc une approche décourageante.

Bibliographie

Références bibliographiques

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Mots-clés éditeurs : NMP, politique, décentralisation, ministres, gestion stratégique

Mise en ligne 01/05/2011

https://doi.org/10.3917/risa.731.0087

Notes

  • [*]
    Minna Tiili est chercheuse, candidate au doctorat, du département de science politique de l’université d’Helsinki, Finlande. Traduction de l’article paru en anglais sous le titre : " Strategic political steering: exploring the qualitative change in the role of ministers after NPM reforms ".
  • [1]
    Certains ministres ont toutefois refusé d’être interrogés, ou n’en avaient pas le temps. Les refus les plus importants sont ceux du Premier ministre et du ministre des Finances, ce qui a des conséquences sur le point de vue du gouvernement. En ce qui concerne les différents secteurs du gouvernement, cependant, les entretiens étaient suffisamment représentatifs. Il existe 13 ministères (en ce compris le cabinet du Premier ministre) et généralement 18 ministres en Finlande. Tous les ministres appartiennent au gouvernement. Début 2005, neuf secrétaires d’État aux ministres ont été nommés pour la première fois.
  • [2]
    Il convient toutefois de souligner que l’auteur ne considère pas le NMP comme un modèle global adopté universellement. Les pays fondamentalement favorables au NMP (Australie, Nouvelle-Zélande et RU), appelés " marketizers " (favorables à la " marchandisation ") (Pollitt et Bouckaert 2004: 96-8), se distinguent par l’intensité de leurs réformes, tandis que des pays comme la Finlande, les Pays-Bas et la Suède se sont montrés plus prudents, en adoptant certaines idées mais aussi des traits distinctifs, comme des éléments participatifs. Avec la Belgique, l’Italie et la France, ces pays sont considérés comme des " modernisateurs ", ce qui se traduit par un modèle de réforme différent, appelé " État néo-wébérien " (voir ibid.: 99).
  • [3]
    La célèbre expérience néo-zélandaise en matière de domaines de résultats stratégiques et de domaines de résultats clés serait un cas intéressant à comparer avec les expériences britannique et australienne. Malheureusement, le rôle des ministres dans ce processus n’a pas été examiné de façon approfondie. Boston et Pallot (1997: 389) affirment d’une manière générale que les ministres ne participaient qu’à la dernière phase du processus, même si leurs opinions (implicites) étaient prises en compte par les responsables : l’identification des domaines de résultats stratégiques se fondait sur les objectifs et les priorités des ministres, d’abord identifiés par les responsables départementaux et ensuite approuvés par les ministres eux-mêmes.
  • [4]
    Un ministère moyen en Finlande comptait entre 300 et 500 fonctionnaires. Neuf des 13 ministères ont des agences exécutives à leur service. Le système lié aux puissantes agences centrales a été supprimé au début des années 1990. Différentes solutions ont été adoptées. Certaines agences centrales ont été transformées en entreprises d’État, d’autres en sociétés à capitaux publics, d’autres encore ont été changées en agences et certaines, en agences spécialisées dans le développement et la recherche (Savolainen 1996, 395–396). En outre, le but était de déléguer certaines tâches à des échelons inférieurs de l’État mais dans certains cas, on a opté pour la solution opposée, à savoir le transfert de certaines tâches aux ministères.
  • [5]
    Bryson (1995) ne considère pas la politique comme incompatible avec la planification. En revanche, il affirme que le processus de planification stratégique préconisé dans son livre s’appuie sur la nature de la prise de décision politique (ibid.: 10).
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