Notes
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[1]
En tant qu’unité structurelle, le cabinet ministériel belge est, dans une certaine mesure, comparable à son pendant français. Le cabinet ministériel français varie toutefois par sa composition et la formation de ses membres, puisqu’il est caractérisé par une forte intégration fonctionnelle de la fonction publique et des possibilités de carrière au sein du cabinet ministériel.
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[2]
Les deux pays sont des monarchies parlementaires, avec des parlements bicaméraux, n’appliquent pas (ou rarement) d’instruments de démocratie directe, organisent leurs élections sur la base du principe de proportionnalité et sont dépourvus de judiciarisation générale de la vie politique (Brans & Maes, 2001).
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[3]
Même si l’éventail de domaines politiques est sans doute plus limité dans un État fédéral, rien ne permet de penser qu’il existe un lien entre les caractéristiques de l’État fédéral et la tension verticale qui existe entre le contrôle politique et les conseils stratégiques. De même, au niveau régional flamand, l’on constate des efforts de réforme. Ceux-ci diffèrent légèrement des efforts fédéraux, mais le discours des deux échelons est similaire. Nous n’avons pas trouvé d’élément nous permettant de conclure que les tensions entre les conseils stratégiques et le contrôle politique sont plus ou moins nombreuses.
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[4]
En ce qui concerne leur position de principaux conseillers stratégiques des ministres, les hauts fonctionnaires néerlandais se rapprochent de leurs collègues du modèle traditionnel de Whitehall.
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[5]
Les conseillers des cabinets ministériels sont souvent des fonctionnaires. Les recherches révèlent néanmoins que les fonctionnaires détachés dans les cabinets ministériels adoptent une rationalité politique. Leur culture dans les cabinets ministériels correspond dès lors davantage à la culture des ministres qu’a celle de la fonction publique (Majersdorf & Dierickx, 1992).
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[6]
L’arène centrale se compose d’acteurs situés au sommet de la formulation des politiques, responsables de la communication finale de conseils stratégiques au ministre. L’arène du soutien stratégique se compose d’unités au sein de la structure ministérielle, qui communiquent des informations stratégiques et les résultats des analyses stratégiques à l’arène centrale. L’arène externe se compose d’acteurs qui participent au processus, souvent à l’initiative d’acteurs de l’arène centrale, ou uniquement à la phase d’évaluation du processus stratégique.
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[7]
Il s’agit bien entendu d’une généralisation, et certains ministres sont parfois spécialisés. Nous pensons cependant qu’il ne faut pas sous-estimer l’influence systémique du recrutement partisan et du système électoral sur le type de politiciens que cela produit. Notons que les politiciens belges sont élus dans des circonscriptions ou des arrondissements régionaux, tandis que les politiciens néerlandais sont élus sur une base nationale.
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[8]
Les partisans des partis au pouvoir, caractérisés par une faible rotation, ont toujours été surreprésentés, et les partisans des partis d’opposition, sous-représentés. En 1990, 62 pour cent des fonctionnaires occupant les 3 postes les plus importants dans les ministères fédéraux appartenaient au parti chrétien démocrate ; 21 pour cent, aux partis socialistes ; 11 pour cent, au parti libéral. Seuls 6 pour cent étaient indépendants et 1 pour cent, des nationalistes flamands (Dierickx & Majersdorf, 1994).
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[9]
Les nominations aux postes de haut niveau sont décidées par le gouvernement et ne constituent pas des outils à la disposition des différents ministres. Les hauts fonctionnaires ne partagent pas forcément les mêmes vues politiques que leurs ministres et sous-ministres, ceux-ci faisant l’objet d’une plus grande rotation ainsi que d’une différentiation politique entre eux (Van der Meer, 1999).
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[10]
Ce plan a été présenté le 16 février 2000. Depuis quelques années, les gouvernements belges baptisent leurs grands accords ou arrangements en faisant référence à l’anniversaire de personnages historiques. Copernic, né le 19 février 1473, était révolutionnaire en ce que sa théorie ne voyait plus la Terre comme le centre de l’univers. Dans le même ordre d’idées, le plan du gouvernement mettait l’accent sur le fait que le gouvernement n’était pas primordial, à la différence des citoyens, et que ce gouvernement devait être au service des citoyens et non l’inverse.
Introduction
1Les changements internes survenus dans le secteur public et les changements dans l’environnement extérieur de l’administration publique ont conduit la Belgique à renforcer le rôle des agents de l’État dans la production des conseils stratégiques et à revoir ses mécanismes de contrôle politique. Les réformes structurelles (début 2000) avaient pour but de supprimer les cabinets ministériels [1] en tant que mécanismes de contrôle politique. Cependant, ceux-ci ont manifestement été réorganisés étant donné la façon dont les nouvelles relations entre les politiques et l’administration ont été définies et dont le rôle stratégique de l’administration a été renforcé. Aux Pays-Bas, en revanche, on constate une tendance à renforcer le contrôle politique aux dépens de la liberté de décision de l’administration, mais aussi dans le but de répondre à des problèmes de gouvernance à la fois internes et externes. La volonté de rétablir le contrôle politique ne se concilie pas bien avec le pouvoir stratégique de l’administration. Etant donné que les changements sont essentiellement informels, il n’est pas facile de savoir où mènera le compromis entre contrôle politique et pouvoir stratégique de l’administration.
2Même si la Belgique est un État fédéral, les deux pays possèdent des institutions publiques globalement similaires au macro niveau. [2] Ils se différencient toutefois considérablement dans la façon dont les conseils stratégiques professionnels se combinent avec le contrôle politique. [3] L’exemple néerlandais est traditionnellement caractérisé par une participation intensive de la fonction publique dans la production de conseils stratégiques [4], tandis que la fonction publique belge est marginalisée dans le processus de formulation des politiques. Les mécanismes de contrôle politique varient également. Le contrôle politique aux Pays-Bas passe par la loyauté de la fonction publique et le recours limité aux conseillers stratégiques. En Belgique, le contrôle politique passe par un recours intensif aux cabinets ministériels et une politisation informelle de l’administration. Ces différences s’expliquent par la variation méso-institutionnelle et par les différentes façons dont l’organisation de la société et le rôle des organisations intermédiaires influencent l’administration publique. Depuis quelques années, les deux pays connaissent des tensions croissantes au sein de leurs modèles classiques, et le côté où la balance penche entre contrôle politique et conseils stratégiques professionnels présente une certaine convergence.
Le présent article a un objectif empirique et a pour objet de décrire et d’analyser la façon dont les conseils stratégiques et le contrôle politique se situent l’un par rapport à l’autre. Dans la première partie, nous comparons la production de conseils stratégiques en Belgique et aux Pays-Bas. Ensuite, notre article examine l’organisation du contrôle politique dans les deux pays. Dans la dernière partie, nous analyserons la récente évolution vers la conciliation entre conseils stratégiques et contrôle politique.
La production de conseils stratégiques en Belgique et aux Pays-Bas
3Nous avons examiné le rôle de la fonction publique dans la production des conseils stratégiques au moyen de trois ensembles de variables. Le premier ensemble concerne l’organisation générique de la formulation des politiques dans les deux pays et comprend les types d’acteurs, leur situation et leurs rôles respectifs. Le deuxième ensemble décrit les mécanismes organisationnels mis en place pour contribuer à la formulation professionnelle des politiques et les compétences stratégiques qui sont déployées. Ces variables contribuent à analyser le soutien institutionnel comparé pour les activités stratégiques, comme le recours aux informations et aux recherches, aux évaluations, à la concertation et à la coordination. La troisième étude sur les caractéristiques différentielles du rôle de l’administration dans la formulation des politiques concerne la nature des relations politico-administratives sur le plan de l’influence déterminante qu’elles ont sur la façon dont les conseils stratégiques sont produits en Belgique et aux Pays-Bas.
Organisation générique
4Nous avons tenté d’identifier la nature des acteurs intervenant dans la formulation des politiques dans les deux pays au moyen d’une typologie mise au point par Hoppe (Hoppe, 1998). Etant donné que la Belgique et les Pays-Bas ont tous deux des gouvernements de coalition, le groupe politiquement responsable se compose de ministres responsables sur le plan fonctionnel. Ceux qui sont directement responsables de la préparation des politiques sont des acteurs directement responsables du processus de formulation des politiques. Aux Pays-Bas, ce groupe se compose de fonctionnaires, tandis qu’en Belgique, ses membres sont des conseillers des cabinets ministériels. [5] Ces cabinets jouent un rôle déterminant dans la production de conseils stratégiques. La littérature leur attribue de nombreuses fonctions stratégiques. Le soutien stratégique flexible, les compétences spécifiques et la loyauté inconditionnelle sont des atouts essentiels. En outre, les cabinets ministériels sont des centres de communication et de coordination (Suetens & Walgrave, 1999). Les cabinets ministériels ont des relations verticales avec l’administration, mais ils recrutent aussi souvent des fonctionnaires de confiance au sein de leurs équipes, ce qui leur permet d’accéder aux secrets de la bureaucratie et à des informations de première main sur les règles informelles et les hiérarchies. Les cabinets ministériels recrutent souvent des membres auprès d’organisations de défense des intérêts dans le but de faciliter l’intermédiation des intérêts (Pelgrims, 2001). Ils jouent également un rôle important en rendant des services aux électeurs des ministres, qui vont de la fourniture d’informations à ce qu’on appelle le service social. À coté de ces fonctions stratégiques, les cabinets ministériels assument également des fonctions politiques (voir partie suivante).
5Le groupe de travail et central est responsable de l’étude proprement dite des options stratégiques et de la production de conseils stratégiques. En Belgique, le groupe de travail se compose d’un mélange de fonctionnaires et de membres des cabinets ministériels, ces derniers étant à la tête du processus. Aux Pays-Bas, ce groupe se compose essentiellement de fonctionnaires, parfois assistés par des conseillers externes. On peut qualifier les différents experts intervenant dans la formulation des politiques de groupe d’accompagnement. La composition de ces groupes ne varie pas énormément d’un pays à l’autre, contrairement à la façon dont leur intervention est gérée. Aux Pays-Bas, l’organisation administrative des projets de même que la consultance externe permettent d’obtenir des conseils experts. En Belgique, on recourt plus souvent au recrutement temporaire d’experts dans les cabinets ministériels ou au regroupement des experts administratifs et externes dans le cadre de projets ad hoc, gérés par des membres du cabinet. Il en va de même en ce qui concerne le groupe représentatif, qui se compose des différents groupes d’intérêt et groupes cibles, qui interviennent dans le processus de formulation des politiques. Aux Pays-Bas, la consultation de ces acteurs est organisée par des agents stratégiques de l’administration, tandis qu’en Belgique, ce sont les membres du cabinet ministériel qui prennent la direction des opérations.
6En ce qui concerne la situation de ces acteurs, l’on distingue trois arènes : l’arène centrale, l’arène du soutien stratégique et l’arène externe (tableau 1) [6]. Les acteurs présents dans ces arènes varient considérablement en Belgique et aux Pays-Bas. Les principaux acteurs néerlandais situés dans l’arène centrale sont les directions générales des politiques. Il s’agit de directions générales classiques articulées autour de branches sectorielles stratégiques, responsables de l’essentiel du processus de formulation des politiques. En Belgique, l’arène centrale regroupe les membres des cabinets ministériels. L’arène du soutien stratégique est très différente. L’administration néerlandaise fait intervenir un vaste éventail d’unités de soutien stratégique. Des unités de révision des politiques juridiques et des divisions responsables de la recherche sont bien entendu présentes dans les deux pays. Mais les rôles joués par les directions générales néerlandaises des affaires financières et économiques (FEZ) et par la division Évaluation et instrumentation des politiques (BEI) du ministère des Finances dans le processus de formulation des politiques ne sont pas les mêmes que ceux joués par l’administration belge. À première vue, l’inspection FEZ est l’équivalent de l’Inspection des finances belge. Cependant, le rôle joué par cette dernière dans le processus de formulation des politiques est limité. Le FEZ néerlandais joue quant à lui un important rôle officiel et officieux en étayant les analyses stratégiques de différents départements (Ministerie van Financiën, 2001). Le FEZ, en collaboration avec les unités de la comptabilité ministérielle, vérifie la fiabilité non seulement des informations financières, mais aussi des systèmes d’information stratégiques utilisés dans les analyses stratégiques. Le BEI n’a pas d’équivalent fonctionnel au sein du gouvernement fédéral belge. Le BEI néerlandais favorise l’analyse stratégique professionnelle au sein de différents départements et propose des formations méthodologiques en politiques et des logiciels d’évaluation ex ante aux différents départements. Par ailleurs, l’arène externe est différente en Belgique et aux Pays-Bas. Un service tel que WRR, le conseil scientifique de la politique gouvernementale, qui complète les travaux analytiques des politiques sur le plan scientifique, n’existe pas en Belgique. Le fonctionnement des services d’audit et le rôle des experts externes, qui interviennent dans la formulation des politiques, sont moins différents dans les deux pays. En Belgique, les unités de recherche des partis au pouvoir semblent néanmoins jouer un rôle plus important dans l’étude des options stratégiques.
Nos recherches nous amènent à conclure que le cas néerlandais est caractérisé par une représentation moins systématique de la loyauté politique dans le système politico-administratif, tandis qu’en Belgique, la loyauté politique fait partie intégrante des cabinets ministériels et est officieusement favorisée par une administration politisée (Hoppe, Van de Graaf & Besseling, 1995). Les similarités ou les différences dans les compétences sectorielles stratégiques et les compétences sur le plan du processus stratégique ne se distinguent pas clairement pour l’instant.
La situation des acteurs dans la formulation des politiques en Belgique et aux Pays-Bas
La situation des acteurs dans la formulation des politiques en Belgique et aux Pays-Bas
Organisation et compétences particulières nécessaires pour des conseils stratégiques professionnels
7Selon la littérature normative sur l’élaboration professionnelle des politiques (State Service Commission, 1999 ; Cabinet Office, 1999 ; Davies et al, 2000), les conseils stratégiques professionnels reposent sur la présence d’une organisation et de compétences particulières au sein du système politico-administratif. D’abord, les conseils stratégiques professionnels se basent sur des informations et des recherches et sur la capacité à produire des informations stratégiques en vue d’obtenir des politiques qui reposent sur des données factuelles. Deuxièmement, la capacité à évaluer les politiques et l’usage de ces évaluations dans la formulation des politiques. Troisièmement, un élément reconnu plus récemment, la contribution dans l’élaboration professionnelle des politiques de ceux qui sont finalement concernés par les politiques. Quatrièmement, la capacité de co-coordination dans la formulation des politiques. La présence de ces éléments constitutifs de la production de conseils stratégiques permet de formuler des politiques reposant sur des faits, des enseignements des programmes passés, et caractérisées par un minimum de redondance, d’incohérence et de lacunes dans les programmes (Peters, 1998). Notre comparaison révèle que les conditions nécessaires à la présence de conseils stratégiques reposant sur des données factuelles se retrouvent plus largement dans le système politico-administratif néerlandais, tant en ce qui concerne la capacité sur le plan de l’information et de la recherche que l’utilisation des évaluations.
Les relations politico-administratives
8La nature des relations politico-administratives est très différente dans les deux pays. Selon la typologie de Peters (Peters, 1987 ; Peters, 1997), les relations politico-administratives néerlandaises correspondent au modèle du « village fonctionnel » : les hommes politiques et les fonctionnaires jouent tous un rôle stratégique basé sur des relations fonctionnelles. On relève au moins cinq indicateurs. D’abord, le programme d’action est très technique aux Pays-Bas (Kickert & In ‘t Veld, 1995). Deuxièmement, le nombre de responsables politiques est limité. Troisièmement, la formation et la carrière des fonctionnaires et des politiciens sont fortement intégrées. Quatrièmement, les ministres néerlandais se considèrent avant tout comme des gestionnaires de leur département. Cinquièmement, le système politico-administratif est caractérisé par un cloisonnement important, ce qui gêne la mobilité interdépartementale et la coordination des politiques.
9Les relations politico-administratives belges correspondent au modèle légal formel. Les responsables politiques sont uniquement responsables de la formulation des politiques et les fonctionnaires, de l’exécution des programmes stratégiques (Brans & Hondeghem, 1999). Cette tendance se confirme dans les attitudes et la définition des rôles de la fonction publique. Les fonctionnaires se considèrent essentiellement comme des agents neutres de l’État et présentent une orientation technocratique et un rejet de la loyauté partisane (Majersdorf & Dierickx, 1992). La politisation officieuse généralisée et la taille, de même que le rôle, des cabinets ministériels se traduisent par une domination du programme politique dans l’arène administrative. Les responsables politiques sont nombreux et la formation de même que la carrière des fonctionnaires et des hommes politiques sont différentes. Les ministres belges sont essentiellement des généralistes qui ne se considèrent pas comme des gestionnaires de leur département, mais bien comme des représentants de leur parti et de leur électorat. [7] Contrairement aux Pays-Bas, où la communication entre les administrateurs et les ministres est de nature directe, les fonctionnaires belges communiquent avec leurs maîtres politiques par le biais de cabinets ministériels, ce qui ne leur permet qu’un usage limité de leurs appuis traditionnels (compétences et expérience). Les cabinets ministériels fonctionnent comme des administrations fantômes, ce qui réduit fortement le rôle stratégique de l’administration. La culture de la fonction publique empêche les fonctionnaires de pénétrer dans l’arène politique (Majersdorf & Dierickx, 1992). La méfiance mutuelle qui règne entre les ministres et leurs fonctionnaires, d’une part, et les hauts fonctionnaires, d’autre part, a jusqu’à présent empêché d’envisager des relations politico-administratives dépassant modèle légal formel.
Comparaison du contrôle politique en Belgique et aux Pays-bas
Belgique : Les cabinets ministériels : un instrument de contrôle politique
10Les cabinets ministériels ont toujours existé en Belgique, mais leur taille, leur structure et leur rôle ont fortement évolué au 20ème siècle pour trois raisons. D’abord, l’affranchissement des ministres de l’influence du Roi. Deuxièmement, la croissance de l’État providence et la nécessité de contrôler et de diriger les différents ministères sous la responsabilité des ministres. Enfin, l’évolution de la politique politicienne. En principe, la production de conseils stratégiques et le contrôle des départements auraient également pu être assurés par la fonction publique. Mais l’influence de la politique partisane sur les relations politico-administratives n’a pas permis la bonne marche que cette option aurait exigé (Van Hassel, 1975; Dewachter, 1995). La politisation du recrutement et des promotions qui s’en est suivie a eu un impact négatif sur la confiance des ministres à l’égard des fonctionnaires. [8] Les recherches révèlent que cette méfiance n’est pas toujours justifiée, la politisation des comportements des fonctionnaires restant limitée (Brans & Hondeghem, 1999).
11L’on fait la distinction entre les fonctions stratégiques et les fonctions politiques. Parmi celles-ci, les fonctions politiques comprennent quatre volets. D’abord, les cabinets ministériels jouent un rôle important dans le recrutement et la carrière des politiciens professionnels. Ils constituent des tremplins vers des fonctions politiques plus élevées (Brans, 1999 ; Van Hassel, 1974 ; Pelgrims, 2001 ; Dewachter, 1995). Deuxièmement, les cabinets contribuent également à assurer un fonctionnement sans heurts du gouvernement de coalition, qui comprend, au niveau fédéral en Belgique, au moins quatre partis politiques, mais plus généralement six. Il arrive que les cabinets ministériels comprennent des membres délégués par d’autres partis de la coalition afin de vérifier les politiques du ministère (Dewinter, 1981). Troisièmement, les postes au sein des cabinets sont également utilisés à des fins de contrôle des partis. Quatrièmement, les cabinets sont également un outil déguisé de financement des partis. Certains membres font officiellement partie de la composition des cabinets mais ne s’y rendent jamais étant donné qu’ils mènent leurs activités politiques ailleurs (Pelgrims, 2001).
L’administration est marginalisée dans la production de conseils stratégiques et joue un rôle d’agent d’exécution (Hondeghem, 1996). Cependant, le rôle joué par les cabinets dans le processus stratégique ne se limite plus uniquement à un seul côté de la dichotomie politiques/mise en œuvre. Les cabinets produisent non seulement des conseils stratégiques, mais ils se sont également transformés en administrations fantômes, en assumant des fonctions de législation subordonnée et même exécutives. Par ce fait, la fonction publique est non seulement marginalisée dans la production des conseils stratégiques, mais aussi exclue de l’exécution des programmes stratégiques. Les relations entre les cabinets et les responsables administratifs sont dès lors tendues. Enfin, le rôle étendu des cabinets peut mettre à mal les procédures écrites et la mémoire administrative. Nombreuses sont en effet les interventions des cabinets dans le processus d’élaboration des politiques qui se font de manière orale, et la trace des arrangements est quelquefois difficile à retrouver.
Pays-Bas : Un contrôle politique par le biais d’une fonction publique loyale
12Dans le modèle néerlandais classique, le contrôle politique passe par une fonction publique loyale et une relation de travail sans heurts entre les composantes politique et administrative dans la formulation des politiques. Cette loyauté de la fonction publique découle de la responsabilité ministérielle. Les fonctionnaires sont tenus de servir leurs maîtres politiques, qu’ils soient ou non d’accord avec le contenu des mandats politiques pour le changement. Le principe de loyauté est officiellement confirmé dans la Constitution et dans le Règlement général de la fonction publique ainsi que dans un récent document du gouvernement sur la responsabilité. Ce dernier souligne le devoir des fonctionnaires de fournir, en respectant la ligne hiérarchique, toutes les informations pertinentes aux ministres, en soutenant leur responsabilité ministérielle. Dans la pratique, on ne retrouve pas totalement la loyauté administrative idéal-typique, mais elle constitue un point de référence important. Les personnes interrogées dans le cadre de la recherche qualitative de Nieuwenkamp confirment que la loyauté demeure leur principe directeur (Nieuwenkamp, 2001). Les hauts fonctionnaires optent généralement pour la loyauté ou ont recours à l’expression de leur opinion. Les conflits stratégiques entraînent généralement des débats internes dans lesquels l’argumentation prévaut sur le pouvoir, même s’il arrive que des ministres n’apprécient pas la franchise de leurs fonctionnaires, ou que des fonctionnaires s’en aillent (Nieuwenkamp, 2001). La mise en œuvre de la loyauté de la fonction publique passe par la confiance réciproque de leurs maîtres politiques et, d’une manière générale, une relation de travail sans heurts entre les hommes politiques et les bureaucrates, deux conditions qui connaîtraient de graves difficultés depuis peu.
13Avant de passer aux aspects conflictuels des relations politico-administratives et aux mesures destinées à rétablir le contrôle politique, il convient d’examiner la présence de mécanismes de contrôle politique classiques dans le modèle traditionnel néerlandais : la politisation et le recours à des conseillers politiques. Le phénomène de politisation dans le recrutement ne ressort pas clairement dans le cas néerlandais. Cette question apparaît essentiellement dans les quotidiens nationaux, mais la position officielle du gouvernement consiste à s’en défendre. C’est ce qui ressort également des résultats des enquêtes menées auprès des hauts fonctionnaires (Van der Meer, 1999). Les informations disponibles sur l’affiliation politique des fonctionnaires révèlent différents éléments. En 1988, lorsque les chrétiens démocrates étaient au pouvoir, près de 70 % des secrétaires généraux étaient des chrétiens démocrates. Après la défaite du parti en 1994, ce pourcentage est passé à 23 %, en faveur d’une augmentation de plus de 30 % des partisans socialistes au sommet (Van der Meer, 1999). Il semble qu’une politisation officieuse existe en réalité au sommet de l’administration néerlandaise, mais pas dans une mesure similaire à celle observée dans le cas belge. D’après Van Der Meer et Raadschelders, la politisation aux Pays-Bas ne s’accompagne pas d’une politisation des comportements (Van der Meer, 1999). Les hauts fonctionnaires n’agissent pas de façon partisane étant donné qu’une telle attitude gênerait trop la communication avec les différents maîtres politiques. [9]
Les membres de l’exécutif néerlandais n’ont pas de cabinets ministériels, mais ils peuvent nommer des conseillers politiques. C’est ce qu’ils font depuis le premier gouvernement d’après-guerre. Le recours aux conseillers politiques est modeste, même si le gouvernement de centre-gauche au pouvoir dans les années 1970 a fait un usage plus intense de ces mécanismes. Le recours à des conseillers politiques, qui sont ou non issus de la bureaucratie, ne fait pas bon ménage avec la haute fonction publique. En particulier lorsque ces conseillers jouent un rôle important dans la production de conseils stratégiques. Lorsqu’ils se confinent à des tâches purement politiques, ils ont plus de chances d’être acceptés par leur environnement bureaucratique.
Récentes tendances: les réformes et le compromis entre conseils stratégiques et contrôle politique
Belgique : Renforcer l’administration sans perdre le contrôle politique
14Nous avons vu plus haut que la relation entre les cabinets et les hauts fonctionnaires est tendue. Les tensions conflictuelles qui caractérisent les relations politico-administratives, l’évolution des relations du gouvernement avec la société civile et son environnement politique de même que les problèmes en matière de gestion expliquent la volonté du précédent gouvernement (1999-2003) de revoir la relation entre le rôle stratégique de l’administration et les mécanismes de contrôle politique.
15En ce qui concerne la relation du gouvernement avec la société civile et son environnement politique plus large, il n’est pas exagéré de dire que dans les années 1990, le système politique belge faisait face à une crise de gouvernance (Maesschalck, Hondeghem, & Pelgrims, 2002). La « nouvelle culture politique » était devenue la nouvelle expression à la mode. Celle-ci comprenait une série de plans visant à retrouver la confiance du public et à améliorer la qualité de la vie publique, en mettant notamment fin aux nominations partisanes, en réduisant la taille des cabinets ministériels et en réintégrant des hauts fonctionnaires dans l’élaboration des politiques.
16Au début du millénaire, la réduction de la taille et du rôle des cabinets ministériels et la réintégration des fonctionnaires dans le processus d’élaboration des politiques occupaient une place déterminante dans le programme de réforme du gouvernement belge, réaffirmée dans l’accord de coalition (gouvernement fédéral, 7/7/1999). Les programmes lancés par le gouvernement en 2000 visaient à réduire la taille des cabinets ministériels et à intégrer la formulation des politiques dans la structure administrative. Cependant, la façon dont les cabinets devaient être démantelés et leurs fonctions, transférées à d’autres organismes révèlent à quel point la réforme est déterminée par les hasards de l’histoire. Le rôle de l’administration dans la production de conseils stratégiques devait être renforcé, mais les cabinets ministériels ont clairement été réinventés étant donné la situation et la composition des cellules consultatives en matière de politiques ainsi que les nouvelles relations entre l’administration et les ministres.
La presse a baptisé le programme du gouvernement fédéral visant à moderniser l’administration fédérale le « plan Copernic ». [10] Le gouvernement a ensuite adopté ce terme, étant donné qu’il correspondait bien au discours sur la modernisation de l’État. Le plan revoyait la structure organisationnelle des ministères et redistribuait les fonctions consultatives stratégiques à de nouvelles unités. Le plan Copernic faisait d’abord face aux problèmes avec des mots. Les ministères devenaient des services publics fédéraux (SPF). Les secrétaires généraux étaient remplacés par des présidents du Comité de direction. Les directeurs généraux ne présidaient plus des administrations, « passées de mode », mais bien des directions opérationnelles. Ensuite, le plan prévoyait un certain nombre de mesures structurelles. Une nouvelle interface allait être créée entre le ministre et le département : le Conseil stratégique. Cette interface serait responsable d’un certain nombre de fonctions de gestion et assisterait les ministres dans la préparation et le suivi de l’exécution de leurs programmes stratégiques. Par ailleurs, une nouvelle Cellule stratégique allait être créée, responsable de la coordination et de l’intégration des conseils stratégiques ainsi que de l’évaluation des politiques. Notons que le plan Copernic initial ne parlait pas des cabinets ministériels, même s’il n’était pas prévu de les supprimer totalement.
Le plan Copernic (X, 16/2/2000)
Le plan Copernic (X, 16/2/2000)
17Ce plan a été mis en place à l’initiative du ministre de la Fonction publique et du Premier ministre. Sa mise en œuvre a exigé des négociations politiques. Le plan officiellement adopté par le gouvernement présente certaines variations par rapport au plan original. D’abord, il comprend un secrétariat personnel pour le ministre, composé d’un secrétaire personnel responsable du travail avec le public et de l’agenda politique du ministre, d’un porte-parole, d’une secrétaire administrative et d’un personnel administratif limité. Un autre élément intéressant est le retrait de la Cellule stratégique de l’ensemble des services horizontaux du personnel et sa promotion dans l’échelle hiérarchique, puisqu’elle se rapproche du sommet politique. La cellule est censée dépendre du Conseil stratégique et du président du Comité de direction. Elle est responsable de la coordination et de l’intégration de la formulation et de l’évaluation des politiques et se compose de membres des unités de recherche, de fonctionnaires statutaires et de conseillers temporaires.
18Ses membres étaient nommés par des contrats pour une période législative. Ils provenaient des unités de recherche des SPF, du personnel statutaire détaché et l’on comptait plusieurs externes employés sur une base contractuelle. Une souplesse similaire était prévue pour les nominations au Conseil stratégique et à la présidence du Comité de direction. Le Conseil stratégique se composerait du ministre, du chef de son cabinet personnel réduit, des chefs des directions opérationnelles, en fonction des questions stratégiques concernées, et d’un nombre limité d’experts externes. Le président du Comité de direction bénéficie d’un contrat de 6 ans. Sa durée dépasse donc le mandat législatif de 2 années. Une exception est faite pour la chancellerie relevant du Premier ministre, qui s’explique par le caractère politique prononcé de sa fonction.
Plan adopté par le gouvernement le 28 avril 2000
Plan adopté par le gouvernement le 28 avril 2000
19À la suite du gouvernement élu en 2003, la continuité a été perturbée à cause de la procédure appliquée aux cellules stratégiques pour le personnel. Le gouvernement a des lors eu recours à des raisons urgentes et publié un nouvel arrêté royal le 19 juillet 2003. L’article 3, paragraphe 1, a été remplacé par l’article 7, stipulant que : « Les membres des cellules stratégiques sont désignés par le ministre, le cas échéant le secrétaire d’État, sur la base d’une description de fonction et d’un profil de compétences ». Le recrutement du personnel des cellules stratégiques devenait similaire au recrutement des cabinets ministériels. En ce qui concerne les cabinets ministériels, l’on peut dire que peu d’éléments du plan ont été mis en œuvre. Les nouvelles cellules stratégiques sont des équivalents structurels. Les cellules stratégiques ont non seulement réinventé les cabinets ministériels, mais elles ne diffèrent que dans la terminologie. Rien ne permet de penser que les relations politico-administratives ont changé depuis l’annonce du projet Copernic.
Le contrôle politique aux Pays-Bas : un modèle officiel, des mécanismes officieux
20Tout observateur belge à la recherche d’équivalents fonctionnels des cabinets ministériels aux Pays-Bas peut se voir accuser de parti pris. L’on peut avancer que ces équivalents ne se retrouveront pas, tout simplement parce qu’il n’existe pas de besoin fonctionnel d’organiser des mécanismes de contrôle politique similaires. Bien que les deux pays soient des démocraties consociationnelles et soient définis comme des sociétés divisées, il y a du vrai dans l’argument selon lequel la société belge est plus divisée en raison de son clivage ethnolinguistique et que ses mécanismes consociationnels exigent un contrôle politique accru. D’autres facteurs systémiques qui renforcent la nécessité d’un contrôle politique, comme le système électoral, où les politiques du gouvernement assurent traditionnellement des avances aux régions, et le recrutement généraliste des ministres, qui peut faire de ceux-ci des amateurs en tant que gestionnaires de leur département plutôt que des spécialistes, sont absents du système politique néerlandais. Nous avons néanmoins été troublés par un certain nombre d’événements et de débats qui semblent en contradiction avec la présence d’un système dans lequel le conseil stratégique professionnel passe par des fonctionnaires loyaux et les mécanismes directs de contrôle politique sont moins nécessaires.
21Rétablissement de la primauté politique et nouveaux mécanismes de contrôle politique Le modèle néerlandais de relations politico-administratives connaît des difficultés depuis quelques années. L’on observe plusieurs signes de tensions conflictuelles. Les ministres et les hauts fonctionnaires ont opté pour le niveau de conflit le plus élevé pour résoudre leurs différends : les médias. Depuis le milieu des années 1990, les hommes politiques réagissent en rétablissant le contrôle politique. La « primauté de la politique », comme on l’appelle aux Pays-Bas, s’exprime sous différentes formes. Avant de passer aux façons dont le contrôle politique a été renforcé, il est intéressant d’analyser le contexte des tensions qui existent entre les politiciens et les bureaucrates.
22Il existe au moins deux éléments de la dynamique interne du secteur public néerlandais qui ont posé problème aux relations politico-administratives. Le premier est une plaie ancienne dans la vie du « village fonctionnel » néerlandais et est lié à sa tradition de cloisonnement important. Ce phénomène s’observe également dans les récentes mesures prises par le gouvernement pour créer une plus grande mobilité au sommet de l’administration (Van der Meer, 1999 ; Toonen, 2001). Le second est l’orientation de plus en plus fonctionnelle du côté managérial du gouvernement, qui provient de l’agentification et de l’introduction de la gestion de type NMP. La nécessité d’une coordination interdépartementale et la réorganisation des rôles entre politiques et mise en œuvre font peser une double pression sur les relations politico-administratives. La séparation verticale des politiques et de la mise en œuvre s’accompagne d’une orientation intersectorielle horizontale au sommet politique et administratif (Toonen, 2001).
23En ce qui concerne l’environnement plus général de l’administration publique, les relations politico-administratives ont encore été mises à mal en raison de deux facteurs. Le premier provient de l’essor du journalisme d’investigation et du contrôle parlementaire à la suite de certains échecs politiques. Il semble que les hommes politiques deviennent anxieux lorsqu’ils doivent diriger de loin mais qu’ils doivent rendre des comptes à la presse et au Parlement en ce qui concerne les détails de la mise en œuvre. Les interprétations classiques de la responsabilité ministérielle ne semblent plus appropriées. En l’absence d’imputabilité externe des fonctionnaires, il semble donc naturel que les hommes politiques réagissent aux incidents bureaucratiques en rétablissant le contrôle politique dans les opérations quotidiennes de la bureaucratie et imposent des limites au pouvoir discrétionnaire de la fonction publique (Toonen, 2001). Une autre source de tension qui pèse sur le modèle de la loyauté et de la confiance réciproques provient de l’accès fragmenté de la société civile à la fonction publique. Dans la mesure où les fonctionnaires participent de plus en plus aux pourparlers et aux négociations avec la clientèle et les groupes de pression sans avoir reçu d’instructions précises de leurs maîtres politiques, ils peuvent développer des doubles loyautés. Ces tensions peuvent toutefois varier d’un département à l’autre et dépendent du fait que les ministres soient ou non conjointement confinés avec leur administration a un secteur stratégique défini.
24Nouveaux mécanismes de contrôle politique En plus de revendiquer la nécessité de rétablir le contrôle politique dans leurs discours, les politiciens néerlandais sont intervenus en modifiant les règles de conduite des fonctionnaires. L’une de ces mesures consistait à imposer des limites aux relations des fonctionnaires avec les membres du Parlement afin de les empêcher d’embarrasser leurs ministres en public ou de saper leur autorité.
25La couverture des événements par la presse et les débats font apparaître la progression d’autres mécanismes de contrôle politique, qui doivent encore être corroborés par des recherches systématiques. L’un de ces mécanismes est le recours aux consultants externes de confiance. Le groupe parlementaire des Verts/ Gauche au sénat a publié un rapport sur ce qu’il appelle le « sixième pouvoir » (Eerstekamerfractie Groenlinks, 03/11/2000). Deux aspects de la progression de la consultance publique externe corroborent l’hypothèse selon laquelle la production externe de conseils est conforme au besoin politique de contrôle. D’abord, les consultants externes ne fournissent pas de conseils exempts de valeur et il se trouve que les ministres choisissent les consultants dont les conseils ont tendance à légitimer l’orientation stratégique souhaitée ou à ne pas être hostiles à la position du ministre. Ensuite, les politiciens et les consultants jouent de plus en plus dans le même camp. Autrefois, les anciens hommes politiques néerlandais retournaient dans le secteur public ou acceptaient des postes au sein d’organisations sociétales pilarisées. Aujourd’hui, les anciens hommes politiques sont de plus en plus placés dans des groupes de consultance ou commencent à travailler comme consultants indépendants (Eerstekamerfractie Groen-links, 03/11/2000). Réciproquement, bien que dans une moindre mesure, les groupes de consultance constituent une réserve de recrutement pour les hommes politiques. L’on constate également que les ministres recherchent des conseils auprès de consultants externes faute de confiance envers les fonctionnaires (De Lange & Van Wijnen, 08/04/2000). In ’t Veld explique l’essor des conseils externes par la nécessité pour les ministres de se justifier devant le Parlement (De Lange & Van Wijnen, 08/04/2000). Il indique les problèmes que provoque le recours à ces conseils pour l’administration, en particulier en ce qui concerne l’évidement des compétences internes et la « pauvreté intellectuelle » au sein de la fonction publique. Une partie du discours tenu dans le débat sur les consultants externes est étonnamment similaire au débat belge sur les cabinets ministériels.
Dans certains départements, et en fonction de la situation de la question et de l’absence d’harmonie à la tête du département, les ministres développent des collaborations complexes avec des parties « sensibles » de l’administration, qui comprennent des jeunes au potentiel élevé qui considèrent l’expression de leur loyauté partisane comme un moyen de pénétrer au cœur de la prise de décision. Encore une fois, à ce stade, les témoignages ne vont pas au-delà de ce qui ressort occasionnellement du bouche à oreille administratif.
Enfin, le recours aux conseillers stratégiques aurait augmenté, en particulier parmi les ministres sociaux-démocrates et sociaux-libéraux. Nieuwenkamp indique que les « questions politiques comptent » dans le recours aux conseillers (Nieuwenkamp, 2001). Celui-ci serait essentiellement préféré par les sociaux-démocrates, à qui il attribue également l’intérêt pour la primauté politique. Cet élément est intéressant à des fins de comparaison, non seulement dans le temps, mais aussi avec le cas belge. Le recours accru aux conseillers politiques dans les années 1970 aux Pays-Bas correspondait à la vigueur du mandat pour le changement qui caractérisait les socialistes à l’époque. En ce qui concerne la Belgique, il est intéressant de noter que la résistance à l’égard de la réduction des cabinets ministériels et de la modernisation de l’administration par le biais du plan Copernic provenait essentiellement des socialistes francophones. Nous ne pouvons confirmer la suggestion de Nieuwenkamp, mais celle-ci demeure une question de recherche intéressante.
Conclusion
26Depuis quelques années, tant en Belgique qu’aux Pays-Bas, les moyens traditionnels de mélanger contrôle politique et conseils stratégiques professionnels sont remis en question. En Belgique, cette remise en question est essentiellement liée à la volonté de moderniser l’administration et aux mesures visant à rétablir la confiance des citoyens et des fonctionnaires envers le système politique. Les réformes structurelles cherchent à renforcer la prise de décision professionnelle au sein de la fonction publique, mais les nouvelles relations qui existent entre le monde politique et l’administration ainsi que la souplesse accrue des nominations dans la fonction publique réinventent clairement les mécanismes de contrôle politique. Aux Pays-Bas, la remise en question provient essentiellement de la situation paradoxale, dans laquelle le nouveau managérialisme oblige les ministres à diriger de loin et à rendre des comptes sur les détails de la mise en œuvre aux médias et au Parlement. La volonté néerlandaise de rétablir le contrôle politique a donné naissance à des mécanismes qui sont dans une certaine mesure équivalents, sur le plan fonctionnel, aux mécanismes de contrôle mis en place en Belgique, puisqu’ils sont passés par la mise en place de cabinets ministériels et d’une politisation informelle.
27Les possibilités de transfert institutionnel entre les deux systèmes restent limitées, mais pas les leçons que l’on peut tirer du fait de pousser l’élaboration professionnelle des politiques ou le contrôle politique à l’extrême. L’on estime que les changements dans les relations politico-administratives sont encore déterminés par « les hasards de l’histoire » dans les deux pays. En Belgique, des possibilités existaient de créer de nouveaux « villages » de conseillers stratégiques professionnels au sein de la fonction publique, mais le contrôle politique n’a pas été abandonné. De même, aux Pays-Bas, de nouveaux mécanismes de contrôle politique peuvent également créer de nouveaux « villages », mais il est peu probable que ceux-ci éviteront le pouvoir stratégique des fonctionnaires et les nombreuses sources de conseils professionnels. Des recherches systématiques complémentaires sont nécessaires pour évaluer les caractéristiques empiriques et normatives des nouvelles façons dont les composantes politiques et administratives du gouvernement négocient et concilient la capacité stratégique de l’administration avec les mandats politiques pour le changement. L’on espère progresser en répétant les recherches établies sur les attitudes, les rôles et le comportement des membres de ces anciens et nouveaux « villages », en menant des enquêtes approfondies sur les relations structurelles entre les bureaucrates et les politiciens et sur les règles formelles et informelles de même que sur les mécanismes de coordination sur la base desquels les responsabilités sont attribuées et les interactions, structurées.
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Notes
-
[1]
En tant qu’unité structurelle, le cabinet ministériel belge est, dans une certaine mesure, comparable à son pendant français. Le cabinet ministériel français varie toutefois par sa composition et la formation de ses membres, puisqu’il est caractérisé par une forte intégration fonctionnelle de la fonction publique et des possibilités de carrière au sein du cabinet ministériel.
-
[2]
Les deux pays sont des monarchies parlementaires, avec des parlements bicaméraux, n’appliquent pas (ou rarement) d’instruments de démocratie directe, organisent leurs élections sur la base du principe de proportionnalité et sont dépourvus de judiciarisation générale de la vie politique (Brans & Maes, 2001).
-
[3]
Même si l’éventail de domaines politiques est sans doute plus limité dans un État fédéral, rien ne permet de penser qu’il existe un lien entre les caractéristiques de l’État fédéral et la tension verticale qui existe entre le contrôle politique et les conseils stratégiques. De même, au niveau régional flamand, l’on constate des efforts de réforme. Ceux-ci diffèrent légèrement des efforts fédéraux, mais le discours des deux échelons est similaire. Nous n’avons pas trouvé d’élément nous permettant de conclure que les tensions entre les conseils stratégiques et le contrôle politique sont plus ou moins nombreuses.
-
[4]
En ce qui concerne leur position de principaux conseillers stratégiques des ministres, les hauts fonctionnaires néerlandais se rapprochent de leurs collègues du modèle traditionnel de Whitehall.
-
[5]
Les conseillers des cabinets ministériels sont souvent des fonctionnaires. Les recherches révèlent néanmoins que les fonctionnaires détachés dans les cabinets ministériels adoptent une rationalité politique. Leur culture dans les cabinets ministériels correspond dès lors davantage à la culture des ministres qu’a celle de la fonction publique (Majersdorf & Dierickx, 1992).
-
[6]
L’arène centrale se compose d’acteurs situés au sommet de la formulation des politiques, responsables de la communication finale de conseils stratégiques au ministre. L’arène du soutien stratégique se compose d’unités au sein de la structure ministérielle, qui communiquent des informations stratégiques et les résultats des analyses stratégiques à l’arène centrale. L’arène externe se compose d’acteurs qui participent au processus, souvent à l’initiative d’acteurs de l’arène centrale, ou uniquement à la phase d’évaluation du processus stratégique.
-
[7]
Il s’agit bien entendu d’une généralisation, et certains ministres sont parfois spécialisés. Nous pensons cependant qu’il ne faut pas sous-estimer l’influence systémique du recrutement partisan et du système électoral sur le type de politiciens que cela produit. Notons que les politiciens belges sont élus dans des circonscriptions ou des arrondissements régionaux, tandis que les politiciens néerlandais sont élus sur une base nationale.
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[8]
Les partisans des partis au pouvoir, caractérisés par une faible rotation, ont toujours été surreprésentés, et les partisans des partis d’opposition, sous-représentés. En 1990, 62 pour cent des fonctionnaires occupant les 3 postes les plus importants dans les ministères fédéraux appartenaient au parti chrétien démocrate ; 21 pour cent, aux partis socialistes ; 11 pour cent, au parti libéral. Seuls 6 pour cent étaient indépendants et 1 pour cent, des nationalistes flamands (Dierickx & Majersdorf, 1994).
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[9]
Les nominations aux postes de haut niveau sont décidées par le gouvernement et ne constituent pas des outils à la disposition des différents ministres. Les hauts fonctionnaires ne partagent pas forcément les mêmes vues politiques que leurs ministres et sous-ministres, ceux-ci faisant l’objet d’une plus grande rotation ainsi que d’une différentiation politique entre eux (Van der Meer, 1999).
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[10]
Ce plan a été présenté le 16 février 2000. Depuis quelques années, les gouvernements belges baptisent leurs grands accords ou arrangements en faisant référence à l’anniversaire de personnages historiques. Copernic, né le 19 février 1473, était révolutionnaire en ce que sa théorie ne voyait plus la Terre comme le centre de l’univers. Dans le même ordre d’idées, le plan du gouvernement mettait l’accent sur le fait que le gouvernement n’était pas primordial, à la différence des citoyens, et que ce gouvernement devait être au service des citoyens et non l’inverse.