Accueillir la voix de l’autre. Voici sans doute l’un des principaux objectifs et l’un des principaux problèmes de l’écriture ou de la description qualitative. Nous citons des verbatims, nous essayons d’adopter the native point of view, les plus hardis d’entre nous co-définiront la recherche avec les participants, ou leur demanderont de faire des performances dans les codes de leur propre culture... Là ! C’est le chercheur qui tient la plume, qui tisse ces récits reçus sur la trame qu’il a lui-même dressée, dispose les indices selon le drame qu’il veut mettre en scène. Celui qui signe, celui qui interprète, celui qui dit ce qu’il faut en penser, reste le chercheur, auteur du texte.
Mais quelle part de la voix de l’autre reste dans la voix maîtresse de l’auteur ? En est-il l’interprète, le témoin, le porte-parole, le traducteur, le producteur, le metteur-en-valeur, le social-traitre ? La question n’est pas seulement celle d’une position énonciative à adopter en fonction des effets rhétoriques souhaités. Elle est épistémologique : les interprétations reposent-elles sur une exposition suffisante à la voix de l’autre, en sont-elles justement et amplement informées, les aprioris du chercheur ont-ils été mis en danger dans la rencontre avec ce qui est étudié ? Elle est aussi politique : quelles voix sont écoutées, relayées, considérées comme légitimes, comment sont-elles représentées, ont-elles été invitées ou extorquées, recueillies ou fabriquées, qui parle dans les discours de la recherche …